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Mars 2007, vol. 7, n° 1 Droit, déontologie et soin 101 D EUXIEME PARTIE . L E CONTENU DU DROIT 8. Le droit après la mort Résumé Les yeux se sont fermés pour toujours, mais le droit ne s’éteint pas. Que serait le droit des personnes s’il prenait fin avec la mort ? Le droit poursuit son œuvre de défense de l’être humain, car, après tout, le fait d’être ne suffit pas à délimiter ce qu’est l’humanité. I – La protection du cadavre La personne, vivante, ne dispose pas d’un droit de propriété sur son corps. Elle « est » son corps : le corps est le substratum de la personne 132 . Avec la mort, le corps qui était l’incarnation de la personne devient une chose. Le corps du mort est un cadavre. Mais une chose qui n’est pas comme une autre car elle a été vivante. Elle a pensé ; elle a créé ; elle a aimé… L’enveloppe charnelle qui contenait la vie ne répond plus ; c’est au droit de prendre le relais et il se doit d’avoir les plus grands égards. Il en est tout d’abord de la représentation du corps, et la publication de la photographie d’une personne morte caractérise l’atteinte à l’intimité de la vie privée sauf si cette mort s’inscrit dans l’actualité, comme un événement. Et encore, les tribunaux veillent ! Le corps privé de vie est protégé par le droit. Mais il en est aussi des agressions contre le corps du mort. La violation de sépul- ture, comme la mutilation de cadavre, sont des infractions pénales. Le corps de la personne morte devient une chose, chose protégée, la seule limite étant offerte à la personne elle-même, de son vivant. En effet, toute per- sonne peut faire don de son corps à la science. Ce don est juridiquement hors norme : la personne fait don de son corps, alors qu’elle n’en est pas propriétaire, et elle fait ce don à la science, qui est une abstraction. Le corps est alors utilisée comme une chose, parce que celui qui en était l’incarnation l’a voulu, et parce que la chose sera utilisée par des équipes scientifiques reconnues, rendant compte de leur utilisation du corps humain. C’est un dernier signe d’attachement d’une personne à l’intérêt général. 132. R. DIERKENS, Les droits sur le corps et le cadavre de l’homme, Masson, 1986 ; M. PENNEAU, « La protection pénale du cadavre », Journal de médecine et de droit médical, 1996-1997.

8. Le droit après la mort

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Mars 2007, vol. 7, n° 1 Droit, déontologie et soin 101

D E U X I E M E P A R T I E . L E C O N T E N U D U D R O I T

8. Le droit après la mortRésumé

Les yeux se sont fermés pour toujours, mais le droit ne s’éteint pas. Queserait le droit des personnes s’il prenait fin avec la mort ? Le droit poursuitson œuvre de défense de l’être humain, car, après tout, le fait d’être nesuffit pas à délimiter ce qu’est l’humanité.

I – La protection du cadavre

La personne, vivante, ne dispose pas d’un droit de propriété sur son corps.Elle « est » son corps : le corps est le substratum de la personne132. Avec la mort,le corps qui était l’incarnation de la personne devient une chose. Le corps dumort est un cadavre. Mais une chose qui n’est pas comme une autre car elle aété vivante. Elle a pensé ; elle a créé ; elle a aimé… L’enveloppe charnelle quicontenait la vie ne répond plus ; c’est au droit de prendre le relais et il se doitd’avoir les plus grands égards.

Il en est tout d’abord de la représentation du corps, et la publication de laphotographie d’une personne morte caractérise l’atteinte à l’intimité de la vieprivée sauf si cette mort s’inscrit dans l’actualité, comme un événement. Etencore, les tribunaux veillent ! Le corps privé de vie est protégé par le droit.Mais il en est aussi des agressions contre le corps du mort. La violation de sépul-ture, comme la mutilation de cadavre, sont des infractions pénales.

Le corps de la personne morte devient une chose, chose protégée, la seulelimite étant offerte à la personne elle-même, de son vivant. En effet, toute per-sonne peut faire don de son corps à la science. Ce don est juridiquement horsnorme : la personne fait don de son corps, alors qu’elle n’en est pas propriétaire,et elle fait ce don à la science, qui est une abstraction. Le corps est alors utiliséecomme une chose, parce que celui qui en était l’incarnation l’a voulu, et parceque la chose sera utilisée par des équipes scientifiques reconnues, rendantcompte de leur utilisation du corps humain. C’est un dernier signe d’attachementd’une personne à l’intérêt général.

132. R. DIERKENS, Les droits sur le corps et le cadavre de l’homme, Masson, 1986 ; M. PENNEAU, « Laprotection pénale du cadavre », Journal de médecine et de droit médical, 1996-1997.

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II – L’autopsie

Une autopsie n’est pratiquée que sur réquisition judiciaire, et celle-ci nepeut être arbitraire. Il faut que le contexte de la mort laisse apparaître des inter-rogations telles que l’autopsie s’avère indispensable133. C’est d’abord le cas dela mort violente, qui inclut les hypothèses de mort inexpliquée, mais toute mortinexpliquée ne justifie pas une autopsie. La décision est prise par la procureurde la République au regard de la défense de l’ordre public, et de son vivant, unepersonne ne peut prendre des dispositions pour s’opposer à une autopsie. Enrevanche, la famille peut s’adresser au juge judiciaire, gardien des libertés,demeurant gardien de l’intégrité du cadavre, pour s’opposer à la demande duprocureur. Dans la pratique, lorsqu’il apparaît que seule l’autopsie est en mesurede mettre en lumière les circonstances du décès, celle-ci sera ordonnée.

III – Les dernières volontés

Symbole de la puissance de la pensée : le droit reconnaît à une personnevivante la possibilité de prendre des dispositions qui ne seront efficaces qu’aprèssa mort134. Le procédé est bien entendu le testament, qui doit être pris en comptequelle qu’en soit la forme, dans la mesure où il établit la véracité de l’intention.

Chacun peut organiser ses funérailles135. Toute personne peut faire valoir,sans forme, sa volonté d’être incinérée, pour voir ensuite ses cendres conservéesou dispersées136. À défaut, on présume que le choix est l’enterrement. De même,le choix d’un rite religieux ou athée doit être respecté comme une expression dela liberté de pensée, inhérent à la personne. Et l’on ne peut ignorer, ce qui constitueun retard de la société française, les difficultés pour les personnes qui ne sontpas de religion chrétienne, pour obtenir des funérailles qui soient conformes àce qu’était leur pensée. On en vient alors à négocier âprement un « carré juif »ou un « carré musulman » dans un cimetière communal qui est couvert de croix.La République ne sera pas en faillite quand elle donnera place dans le mêmecimetière à toutes les religions, mais aussi bien à l’absence de religion.

Survivance de la volonté après la mort, la loi autorise le mariage pos-thume : si le mariage n’a pu être célébré car l’un des futurs époux est décédé, lesurvivant peut saisir le président de la République, lequel par décret pourraordonner ce mariage, réputé avoir eu lieu la veille du décès.

IV – La défense des droits post-mortem

Si le droit ne protège rien de plus que la vie, il ne peut se désintéresser desconditions dans lesquelles une vie prend fin, notamment quand il s’agit d’une

133. CEDH, 3° section, 30 oct. 2001, n° 37794/97, Panullo et Forte c/ France.134. Loi du 15 nov. 1887 ; CGCT, art. L. 2223-42 et R. 2213-17.135. J.-M. AUBY, Les obsèques en France, PUF, 1997.136. J.-M. AUBY, La crémation en France, Petites affiches, 21 février 1997, p. 12.

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Gilles DEVERS

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fin brutale ou accidentelle. Le procureur de la République, au nom de l’ordrepublic, ouvre une enquête pour toute mort suspecte. Mais les proches, c’est-à-dire les enfants, l’époux ou le concubin, peuvent également saisir la justice pourfaire juger que le décès est du à la faute d’un tiers. Dans ce type de circonstances,l’intérêt financier n’est pas le moteur, d’autant plus que les sommes allouées parles tribunaux restent fort modérées. En revanche, le débat est passionné et lajustice procède à un examen très approfondi des faits. Si le décès est dû à desviolences volontaires, c’est une procédure criminelle qui est engagée et qui trouveson terme devant la cour d’assises. Mais il peut aussi s’agir de violences invo-lontaires, c’est-à-dire d’actes imprudents ou négligents mais qui n’incluent pasl’intention de causer la mort. L’affaire est alors dirigée vers le tribunal correc-tionnel, mais peut également être réglée dans une procédure civile.

Mais le droit n’a pas dit son dernier mot, même après l’examen lié auxcirconstances de la mort, car le respect pour la personne subsiste après la mortet doit être défendu en tant que tel.

Il s’agit du droit moral des auteurs, c’est-à-dire de la survivance de leurdroit sur leurs œuvres. Les droits sont exploités par les héritiers, qui, en contre-partie, doivent respecter les intentions du défunt et défendre son œuvre.

De même, le droit protège la mémoire des morts. Ce n’est plus une questionpatrimoniale mais une question d’honneur et les héritiers peuvent saisir la justicelorsqu’ils estiment que l’honneur de leur aïeul est bafoué.

Enfin, la loi organise la subsistance des noms patronymiques. Lorsque lesfiliations ont été féminines, et que du fait des mariages se perd un nom patro-nymique, il est possible de demander un changement de nom par substitutionou adjonction afin que se perpétue l’histoire de ce nom.