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Entretien À propos des troubles du développement du geste et dyspraxies de l’enfant About the disturbances of gesture development and dyspraxia in the child V. Leroy-Malherbe a, * , A. Pouhet b a SESSD-APF, 55, rue Gustave-Courbet, 92220 Bagneux, France b DELTA 16 (dispositif d’expertise et de liaison pour les troubles d’apprentissage pour le département de la Charente), 27, rue du Stade, 16400 La Couronne, France Disponible sur Internet le 22 juillet 2011 Introduction À la suite de la parution dans le numéro 1 de Motricité Cérébrale de 2011 de l’article du docteur Alain Pouhet intitulé « Le problème des cooccurrences des DYS... », le docteur Véronique Leroy-Malherbe pose quelques questions. Son entretien avec l’auteur se situe dans le prolongement de la Journée d’automne organisée à Paris par la Société francophone d’études et de recherche sur les handicaps de l’enfance, consacrée aux « troubles du développement du geste et dyspraxies de l’enfant ». V. Leroy-Malherbe : Excellente journée autour de la dyspraxie que cette causerie ponctuée par les interventions de Alain Pouhet, tant pour les professionnels que pour les parents. Relisant avec intérêt l’intervention de A. Pouhet, je me permets quelques échanges sur des constatations de pratique clinique, qui, pour l’essentiel, rejoignent celles qui sont énoncées dans ce texte. Quels tests utilisez-vous précisément, pour satis- faire à la définition de la dyspraxie, comme un écart de deux déviations standards par rapport à la moyenne sur les activités motrices fines organisées et apprises à l’école ou à la maison ? Une des difficultés à s’accorder ne vient-elle pas de cette absence de normes, de l’amplitude des lieux d’apprentissage de telles activités (contrairement à la lecture ou à l’ortho- graphe qui sont appris essentiellement à l’école et sont répertoriées dans les programmes scolaires) ? A. Pouhet: La problématique de la dyspraxie « développementale », c’est-à-dire, en dehors du cadre de la paralysie cérébrale, interroge toujours le praticien à propos de la scolarité. L’écart à la norme (significatif) est recherché dans différentes activités gestuelles, constructives et visuos- patiales, dans les activités de vie quotidienne, dans des activités pertinentes habituellement échouées, dans les tests proprement dits, dans le bilan psychométrique. Beaucoup d’épreuves sont étalonnées ou bien proposent des repères habituellement admis en termes d’âge de réalisation, par exemple. Le plus souvent, on retrouve une grande convergence des observations lors des examens et des évaluations y compris en situation scolaire (graphisme, géométrie, parfois lecture). Le problème se pose en cas d’incohérence et notre expérience rejoint celle des collèges du Kremlin Bicêtre www.em-consulte.com Motricité cérébrale 32 (2011) 110113 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Leroy-Malherbe). 0245-5919/$ see front matter doi:10.1016/j.motcer.2011.06.002

À propos des troubles du développement du geste et dyspraxies de l’enfant

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www.em-consulte.com

2011) 110–113

Motricité cérébrale 32 (

Entretien

À propos des troubles du développement du gesteet dyspraxies de l’enfant

About the disturbances of gesture development

and dyspraxia in the child

V. Leroy-Malherbe a,*, A. Pouhet b

a SESSD-APF, 55, rue Gustave-Courbet, 92220 Bagneux, Franceb DELTA 16 (dispositif d’expertise et de liaison pour les troubles d’apprentissage pour le département de la Charente), 27, rue du Stade,

16400 La Couronne, France

Disponible sur Internet le 22 juillet 2011

Introduction

À la suite de la parution dans le numéro 1 deMotricité Cérébrale de 2011 de l’article du docteurAlain Pouhet intitulé « Le problème des cooccurrencesdes DYS. . . », le docteur Véronique Leroy-Malherbepose quelques questions. Son entretien avec l’auteur sesitue dans le prolongement de la Journée d’automneorganisée à Paris par la Société francophone d’études etde recherche sur les handicaps de l’enfance, consacréeaux « troubles du développement du geste et dyspraxiesde l’enfant ».

V. Leroy-Malherbe : Excellente journée autour dela dyspraxie que cette causerie ponctuée par lesinterventions de Alain Pouhet, tant pour lesprofessionnels que pour les parents. Relisant avecintérêt l’intervention de A. Pouhet, je me permetsquelques échanges sur des constatations de pratiqueclinique, qui, pour l’essentiel, rejoignent celles quisont énoncées dans ce texte.

Quels tests utilisez-vous précisément, pour satis-faire à la définition de la dyspraxie, comme un écart de

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (V. Leroy-Malherbe).

0245-5919/$ – see front matterdoi:10.1016/j.motcer.2011.06.002

deux déviations standards par rapport à la moyennesur les activités motrices fines organisées et apprises àl’école ou à la maison ? Une des difficultés à s’accorderne vient-elle pas de cette absence de normes, del’amplitude des lieux d’apprentissage de tellesactivités (contrairement à la lecture ou à l’ortho-graphe qui sont appris essentiellement à l’école et sontrépertoriées dans les programmes scolaires) ?

A. Pouhet: La problématique de la dyspraxie« développementale », c’est-à-dire, en dehors du cadrede la paralysie cérébrale, interroge toujours le praticienà propos de la scolarité.

L’écart à la norme (significatif) est recherché dansdifférentes activités gestuelles, constructives et visuos-patiales, dans les activités de vie quotidienne, dans desactivités pertinentes habituellement échouées, dans lestests proprement dits, dans le bilan psychométrique.Beaucoup d’épreuves sont étalonnées ou bien proposentdes repères habituellement admis en termes d’âge deréalisation, par exemple.

Le plus souvent, on retrouve une grande convergencedes observations lors des examens et des évaluations ycompris en situation scolaire (graphisme, géométrie,parfois lecture).

Le problème se pose en cas d’incohérence et notreexpérience rejoint celle des collèges du Kremlin Bicêtre

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(Journée ARTA, 11 septembre 2009 : de l’évaluation auchoix de la rééducation, en psychomotricité, ergo-thérapie et orthoptie – L. Birenbaum, C. Galbiati, M.Palu, A. de Villèle) sur l’importance de l’évaluationqualitative.

Enfin, n’oublions pas qu’enfants comme adultespeuvent être motivés par certaines activités et y réussirde façon surprenante. On entend souvent : « il ne peutpas être dyspraxique : il est bon en sport ». Et bien si, çaarrive ! On peut aussi aimer particulièrement lespuzzles, les duplos et même avoir une affinitéparticulière pour la calligraphie. Cela s’appelle brouil-ler les pistes et c’est aussi cela « la vraie vie », qui n’estpas comme dans les livres.

V. L.-M. : Dans la mesure où les symptômes sontessentiellement scolaires, qu’elle est, dans votreexpérience, la part de l’école dans le dépistage, voirele diagnostic ?

A. P. : C’est une question difficile !L’école repère très tôt (PSM) le défaut grave

d’habileté motrice et, aussi très rapidement, les défautsde réalisation graphique. Le problème est alors d’êtreinformé que cela peut référer à un trouble spécifique etdonc de penser : trouble spécifique ! Cela nécessite, au-delà de la connaissance du sujet, de savoir recoupertous ces symptômes de la vie quotidienne, du scolaire etavec l’aide des professionnels et les constatationsdes bilans.

Souvent ces difficultés sont attribuées à uneimmaturité, des difficultés psychodynamiques, unconflit psychique infantile. Le retard pris pour poserle diagnostic peut alors être important et c’est unecatastrophe.

Parfois, au contraire, le mot dyspraxie est « lâché »tôt (ou tard !) mais sans preuve et on donne l’ordinateursans avoir posé son indication, sans apprentissage. . .etcela peut être une autre forme de catastrophe. . .

V. L.-M. : Dans la démarche diagnostique, je mesuis donné la possibilité d’un recul de deux ans etj’inclus la réponse aux rééducations comme critèrepour différencier une dyspraxie visuospatiale, d’untrouble de la régulation motrice ou d’uneconséquence comportementale motrice lors d’untrouble psychoaffectif ou de pathologies du déve-loppement. De ce fait, je préfère utiliser le terme de« syndrome dyspraxique ». Avez-vous construit unetelle démarche diagnostique dans le temps ? Quellescollaborations vous paraissent nécessaires pourauthentifier un diagnostic de ce type ? Cela meparaît encore plus important pour cerner lesnuances que vous annoncez dans votre article autourdes DYS multiples.

A. P. : C’est encore une question difficile mais trèsintéressante. Là, je crois qu’il faut raisonner en fonctionde l’âge. Passé six à huit ans, attendre deux ans ne meparaît pas raisonnable quand tous nos indices sont dansle rouge et cohérents (ou si l’analyse qualitative est trèsen faveur). Attendre deux ans n’apporte d’ailleurs pasde « preuve en soi » ! Seule une démarche rigoureusepermet le diagnostic : repérage des symptômes,décalage hors-normes, intégrité du facteur G, dissocia-tion significative (mais attention pas toujours au rendez-vous si multidys), mise en évidence pluridisciplinairedes déficits praxiques et visuospatiaux. . .

Avant cet âge, il est difficile de typer la dyspraxie. Onpeut, par exemple, avoir des problèmes très prédomi-nants dans le domaine visuospatial et se faire abuser enparticulier en graphisme, en particulier, avec l’écrituremanuelle (qui peut dans ce cas s’avérer ultérieurementfonctionnelle). Il faut savoir accepter et dire ses erreurs.Il vaut mieux parler de haute probabilité de dyspraxievisuospatiale, mettre des choses en place et savoirrevenir dessus. . .plutôt que de perdre deux à trois ans.

Chez les plus jeunes, on évoquera donc plutôt la« probabilité de. . . » et on « mettra le paquet » sur uneprise en charge adaptée qui, de toute façon, aidera à lamise en place des apprentissages.

Cette problématique est, dans ce sens, un peucomparable au problème posé par les « retards delangage ».

V. L.-M. : Utilisez-vous des questionnaires decomportement moteur quotidien pour dépister ouconforter votre diagnostic et vous paraîtrait-ilintéressant de mettre au point de tels outils ?

A. P. : En consultation, on questionne systémati-quement les familles sur la mise en place des habiletéshabituelles (repas, habillage, passage aux toilettes, jeux,sport, vélo, natation, sport de raquettes. . .).

Le problème c’est que, selon la motivation et lesgoûts des enfants, on a des surprises, par exemple, avecl’habileté avec les jeux vidéo : forte motivationcontemporaine chez l’enfant lambda !

V. L.-M. : Je pense que nos collègues seraient trèsintéressés si vous pouviez développer ce que vousentendez par « tonalité particulière » dans lestroubles d’apprentissages diffus relevant de DYSmultiples. Pour ma part, je citerai :

� u

n enfant qui donne des réponses étonnantes ou« bizarres » dans le reste de son discours(paraphasies, diffluence. . . ) ; � u n enfant dont la validité des réponses ne respecte

pas le critère de difficulté croissante et à qui ilarrive de répondre sur des questions particuliè-

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rement difficiles si on s’en tient à son niveauglobal ;

� u n enfant qui cherche plus qu’il ne fonctionne par

essai/erreur ;

� u n enfant qui montre sa conscience aiguë de son

trouble et qui est totalement soulagé lorsqu’onl’explicite ;

� u n enfant qui abandonne violemment, se révolte ou

qui ne cherche pas à coller aux indices de l’adultemais les utilise à son effet.

A. P. : Là, je crois que l’on s’est mal compris. Jevoulais simplement dire que lorsque les difficultés (en lasituation de DYS = intelligence préservée) confinent àl’échec scolaire parce que la cause cognitive est dite de« haut niveau » (mémoire de travail, fonctionsattentionnelles et/ou exécutives, mémoire à longterme. . .), cela donne des signes cliniques particuliersbien reconnaissables s’ils sont connus des adultes : c’estcela que j’appelle tonalité (clinique) particulière.L’échec scolaire chez l’enfant THADA est différentde l’échec scolaire en cas de trouble grave desmémoires. . .

V. L.-M. : Cette « tonalité » a l’intérêt, en étantexplicitée, de permettre de mieux différencier lespatients qui vont bénéficier d’un soutien global, deceux qu’il va peut-être falloir adresser à des centresde référence.

Merci d’avoir insisté sur la double tâche, faitparticulièrement mystérieux dans les écoles. Il mesemble utile de donner quelques exemples concretspour les implications scolaires et de donner despistes concrètes pour diagnostiquer ce symptômeen une consultation, dans l’observation ou l’inter-rogatoire.

A. P. : La double tâche est inhérente à la situationDYS. Une tâche non automatisée, même de bas niveau(la lecture, l’écriture manuelle, par exemple) reste alorstoujours conscientisée, coûteuse. Elle consommeattention et énergie au dépend des tâches conceptuellespourtant accessibles si on acceptait de contourner leproblème. La seule solution est de s’imposer, de statuersur la rentabilité ou non des fonctions cognitives etsurtout des outils scolaires. Quand ce n’est pas le cas, leplus difficile est de faire passer cette « réalité » auxéquipes pédagogiques.

V. L.-M. : Quels critères de consultation utilisez-vous pour différencier un trouble attentionnelsecondaire à un THADA ou un trouble secondaireà la double tâche ? Pour ma part, je fais remplir letest de Conners aux parents (il est en général négatifpour un trouble attentionnel à la maison, les parents

s’étant intuitivement adapté à l’enfant dyspraxique)et je constate la capacité attentionnelle de l’enfantexaminé devant ses parents avec une progression quiapporte les compensations adaptées lors de laconsultation (explicitation du trouble et étayageoral).

A. P. : Un trouble attentionnel franc, surtout dans lecadre du THADA, est facilement reconnaissable.Parfois c’est plus difficile de trancher. En théorie,l’enfant qui présente un trouble attentionnel structurel ades problèmes attentionnels dans tous les secteurs, avectout le monde, dans toutes les activités. . .

C’est sans compter sur son intérêt pour la tâche, larelation à l’autre, les conditions de la consultation. . .D’où l’intérêt de savoir prendre du temps, d’uneévaluation à plusieurs éclairages et d’en discuter enpluridisciplinaire. Les questionnaires sont importants. Ilfaut recouper les réponses. Si les items cochés sont lesmêmes quel que soit celui qui renseigne le question-naire, cela prend évidement de la valeur.

V. L.-M. : Pour ce qui concerne les enfantsdéficients intellectuels avec dissociation verbospa-tiale, j’ai pu constater en les suivant attentivementau fil des années, que la dissociation se module et serenverse parfois au profit du performance (ce quin’est pas le cas pour un enfant dyspraxique). Jepense de ce fait que la dissociation initiale pourraits’expliquer par une influence d’un milieu familialporteur, qui permet à l’enfant de s’appuyer sur duverbal bien adapté dans la petite enfance. Latendance se renverse avec l’école primaire, quienseigne patiemment les activités de construction sil’enfant est dans un environnement scolaire qui lesoutient. D’où l’idée que l’aide en ergothérapiepeut profiter à ces enfants et équilibrer leurscompétences. Probablement que l’enfant déficientintellectuel ne peut pas porter son effort sur toutesles découvertes du monde simultanément et qu’ils’y prend « matière » par « matière » au fur et àmesure des étayages proposés. Il s’agit alors dedissociations temporaires et non d’aptitudes inéga-les définitives.

A. P. : Là, je ne me considère plus compétent pourrépondre. Tout au plus, je formulerais l’hypothèse queles enfants déficients intellectuels légers sont au départmoins gênés dans l’activité langage (pré-câblée et detoute façon d’apparition plus précoce) que dans le faire.Au fil du temps, le niveau de langage par essence limitérencontre la complexité croissante des situationsscolaires et des tests. Alors que les aptitudes manuellesvont naturellement progresser. D’où cette constatationd’une inversion de profil cognitif ?

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V. L.-M. : Dans le cadre des constellationscomplexes fréquemment retrouvées en consultationet évoquées par A. P. outre la surdouance, la doubletâche, la déficience intellectuelle ou syndromed’Asperger, j’aurais volontiers signalé aussi laparticularité des enfants dyslexiques qui présententune dysgraphie face au problème de « la trace » àlaisser par écrit. Toutes ces situations correspondentà des demandes cliniques que nous avons face ausymptôme « multidys ».

A. P. : Cela entre dans ce que j’ai exposé commeconséquences en cascade. La dysgraphie, la calligraphiemanuelle perfectible, est fréquemment associée à ladyslexie par effet « boule de neige » en raison même dela double tâche. Mais l’enfant n’est pas maladroit dansd’autres traces graphiques, comme le dessin. . .

V. L.-M. : Merci pour cette communication trèsclaire et authentique, qui a tout lieu de rendreservice et qui mérite d’être appuyée par l’expérienceclinique de notre confrère.