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© Masson, Paris, 2004 REV. PNEUMOL. CLIN., 2004, 60, 5-279-281 CAS RADIOLOGIQUE À propos d’un cas de pneumopathie fébrile traînante H. AYADI, R. ELLEUCH, K. DAOUD, A. AYOUB Service de Pneumo-Allergologie, CHU Hedi-Chaker, Sfax, Tunisie. OBSERVATION Une patiente âgée de 43 ans, originaire de Tunisie, sans antécédent pathologique particulier, était hospitalisée pour toux productive avec expectoration muco-purulente, associée à des frissons, une fièvre à 38 C, des sueurs noc- turnes, une asthénie et une anorexie non élective, évoluant depuis environ 45 jours. Une cure d’antibiothérapie à base d’amoxicilline à la dose de 3 g/j lui avait été prescrite, mais n’avait entraîné aucune amélioration clinique. À l’admission, l’examen mettait en évidence une fiè- vre à 38,5 C et une polypnée à 24 cycles/minute. L’aus- cultation pulmonaire révélait des râles crépitants diffus aux deux champs pulmonaires, plus marqués au niveau des bases et accentués surtout à droite. Le reste de l’exa- men somatique était sans particularité. La radiographie thoracique révélait des opacités alvéo- laires, mal limitées, avec un bronchogramme aérien, sié- geant au niveau des deux bases pulmonaires et épargnant les culs-de-sac costo-diaphragmatiques (fig. 1). Un examen tomodensitométrique thoracique objecti- vait une condensation parenchymateuse du lobe inférieur droit, avec présence de bronchogramme et de cavités aériques de petite taille (fig. 2). Au niveau du lobe infé- rieur gauche, il existait des opacités de même type, moins étendues et multifocales. La numération formule sanguine mettait en évidence une hyperleucocytose à 10 400, avec une anémie ferri- prive (hémoglobine à 9,1 et fer sérique à 5 mol/l). La vitesse de sédimentation était augmentée à 105 à la 1 re heure. La gazométrie trouvait une PaO 2 à 60 mm Hg avec une PaCO 2 à 38 mm Hg. Une enquête bactériologique comportant des hémocul- tures, un examen cytobactériologique des crachats et une sérologie des germes atypiques était effectuée et se révé- lait négative. Quel est votre diagnostic ? Tirés à part : H. Ayadi, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Fig. 1. Fig. 2.

À propos d’un cas de pneumopathie fébrile traînante

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Page 1: À propos d’un cas de pneumopathie fébrile traînante

© Masson, Paris, 2004 REV. PNEUMOL. CLIN., 2004, 60, 5-279-281

CAS RADIOLOGIQUE

À propos d’un cas de pneumopathie fébrile traînante

H. AYADI, R. ELLEUCH, K. DAOUD, A. AYOUB

Service de Pneumo-Allergologie, CHU Hedi-Chaker, Sfax, Tunisie.

OBSERVATION

Une patiente âgée de 43 ans, originaire de Tunisie, sansantécédent pathologique particulier, était hospitaliséepour toux productive avec expectoration muco-purulente,associée à des frissons, une fièvre à 38¯ C, des sueurs noc-turnes, une asthénie et une anorexie non élective, évoluantdepuis environ 45 jours. Une cure d’antibiothérapie à based’amoxicilline à la dose de 3 g/j lui avait été prescrite,mais n’avait entraîné aucune amélioration clinique.

À l’admission, l’examen mettait en évidence une fiè-vre à 38,5¯ C et une polypnée à 24 cycles/minute. L’aus-cultation pulmonaire révélait des râles crépitants diffusaux deux champs pulmonaires, plus marqués au niveaudes bases et accentués surtout à droite. Le reste de l’exa-men somatique était sans particularité.

La radiographie thoracique révélait des opacités alvéo-laires, mal limitées, avec un bronchogramme aérien, sié-geant au niveau des deux bases pulmonaires et épargnantles culs-de-sac costo-diaphragmatiques (fig. 1).

Un examen tomodensitométrique thoracique objecti-vait une condensation parenchymateuse du lobe inférieurdroit, avec présence de bronchogramme et de cavitésaériques de petite taille (fig. 2). Au niveau du lobe infé-rieur gauche, il existait des opacités de même type, moinsétendues et multifocales.

La numération formule sanguine mettait en évidenceune hyperleucocytose à 10 400, avec une anémie ferri-prive (hémoglobine à 9,1 et fer sérique à 5 mol/l). Lavitesse de sédimentation était augmentée à 105 à la1re heure. La gazométrie trouvait une PaO2 à 60 mm Hgavec une PaCO2 à 38 mm Hg.

Une enquête bactériologique comportant des hémocul-tures, un examen cytobactériologique des crachats et unesérologie des germes atypiques était effectuée et se révé-lait négative.

Quel est votre diagnostic ?

Tirés à part : H. Ayadi, à l’adresse ci-dessus.E-mail : [email protected]

Fig. 1.

Fig. 2.

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280 H. AYADI et COLL.

ELÉMENTS DU DIAGNOSTIC

L’aspect endoscopique des bronches était strictementnormal, mais le liquide d’aspiration bronchique était lac-tescent, avec un surnageant huileux. Il renfermait denombreux lipophages, confirmés par la colorationd’Oil-Red O.

La biopsie transbronchique montrait des lumièresalvéolaires et des cloisons inter-alvéolaires renfermantdes amas d’histiocytes spumeux à noyau central régulieret des lipophages.

La présentation clinique, l’aspect macroscopique duliquide de lavage bronchique, la présence de lipophagesétaient compatibles avec le diagnostic d’une pneumonielipidique.

La reprise de l’interrogatoire révélait la notiond’ingestion régulière et quotidienne d’huile d’olive avec,cependant, des épigastralgies, une sensation de brûluresrétro-sternales et des fausses routes à répétions évoluantdepuis quelques années.

Une fibroscopie digestive confirmait la présenced’une hernie hiatale avec œsophagite de stade II.

La malade avait été mise initialement sous corticothé-rapie à la dose de 0,5 mg/kg/j. L’évolution immédiateavait été marquée par l’amélioration de l’état général, ladisparition de la fièvre et la stabilisation des lésionsradiologiques.

Une fois le diagnostic de pneumonie lipidique retenu,et étant donné le bénéfice controversé de la corticothéra-pie, il nous semblait inutile de la poursuivre, d’autantque la malade présentait des troubles digestifs. Elle étaitdonc arrêtée au bout de 10 jours, et un traitement symp-tomatique à base de Gaviscon® était entrepris.

Depuis, la malade s’est améliorée, tant sur le plandigestif que respiratoire : plus de fausses routes, apaise-ment des épigastralgies et disparition de la fièvre et de ladyspnée. Un contrôle radiologique fait 3 mois après sasortie de l’hôpital n’a pas montré d’anomalies radiologi-ques.

COMMENTAIRE

La pneumopathie huileuse exogène est une affectionrare, décrite pour la première fois par Laughlin en 1925.L’huile minérale en est la cause la plus fréquente, leshuiles végétales étant peu ou pas toxiques. L’importancedes lésions dépend de la quantité et de la nature del’huile inhalée (animale, minérale ou végétale dansl’ordre de gravité) [1].

Le mécanisme de pénétration dans les voies aériennessous-glottiques est variable. Il était autrefois direct lors-

que certains chanteurs avaient recours aux injectionsendolaryngées de substances huileuses pour améliorer letimbre de leur voix. Il est actuellement plutôt indirect parpénétration sous-glottique de gouttes huileuses distilléesdans les fosses nasales ou par fausse route, le plus sou-vent lors de prise de laxatifs [2].

Les huiles ne provoqueraient pas de réflexe de toux.Leur inhalation entraîne des lésions du système muco-ciliaire, ne permettant pas leur élimination. Il s’ensuitalors une infiltration alvéolaire de macrophages ;ensuite, l’huile est émulsifiée et phagocytée par lesmacrophages qui deviennent vacuolisés.

Dans certains cas, l’atteinte respiratoire est favoriséepar une atteinte digestive, notamment un reflux gastro-œsophagien, ce qui a été le cas dans notre observation oùles habitudes alimentaires de la patiente et la pathologiedigestive qu’elle présentait ont été à l’origine de la pneu-monie [2].

La symptomatologie est variable. L’aspect radiologiqueest polymorphe. Le diagnostic, évoqué sur une histoireclinique et des anomalies radiologiques compatibles, avecnotamment la mesure de la densité des images entomodensitométrie (de -150 UH à -60 UH), est confirmépar la mise en évidence de vacuoles lipidiques au niveaudes macrophages rapportés par le liquide broncho-alvéolaire (LBA) avec un test Oil-Red O positif [3].L’imagerie par résonance magnétique apporterait, de nosjours, des informations importantes. Les lésionslipidiques auraient un fort signal en T1 et T2 [3].

L’évolution est, en général, favorable après l’arrêt del’exposition, mais des complications peuvent survenir tel-les que des bronchites récurrentes ou des bronchectasies.Dans le cas rapporté, l’amélioration de la symptomatolo-gie digestive a été suivie de la disparition des signes fonc-tionnels respiratoires et du nettoyage radiologique.

Cependant, des complications graves ont été rappor-tées. La possibilité d’une cancérisation d’un foyer depneumopathie lipidique [4] a été soulevée sur certainsarguments expérimentaux. Seul le suivi de patientsatteints de ces pneumopathies pourrait valider ou infir-mer cette hypothèse.

Le traitement des pneumopathies lipidiques est con-troversé. Il se limite généralement à arrêter la prised’huile minérale ou végétale et à traiter le reflux gastro-œsophagien éventuel, ce qui permet de stabiliser oudiminuer les lésions.

Le lavage alvéolaire à visée thérapeutique a été pro-posé par certains, mais sans succès patent [5].

L’antibiothérapie prescrite généralement devant le syn-drome infectieux ne semble justifiée qu’en cas de surin-fection prouvée.

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UNE PNEUMOPATHIE FÉBRILE TRAÎNANTE 281

Le traitement corticoïde a été considéré comme effi-cace dans certains cas. Cependant, une étude en doubleaveugle contre placebo, effectuée chez 71 malades, n’apas mis en évidence d’amélioration significative chez lestraités, et même une étude expérimentale chez l’animal aconclu que ni la corticothérapie ni l’antibiothérapie systé-matique ne sont justifiées au vu des examens anatomopa-thologiques [5].

CONCLUSION

Le diagnostic de la pneumopathie lipidique doit êtreévoqué devant toute pneumonie non résolutive sous anti-biotique. La suspicion diagnostique est renforcée parl’interrogatoire orienté et l’imagerie thoracique. La con-firmation diagnostique vient du LBA quand la mesure desdensités en TDM ne permet pas de trancher.

RÉFÉRENCES

1. Le Bon B, Pract JP, Mostin M, Chain Y, Sergysels R. Pneumopa-thie secondaire à l’utilisation abusive de spray dépoussiérant. RevMal Respir 1992;9:213-5.

2. Kurlandsky LE, Vaadrager V, Davy CL, Stockinger FS. Lipidpneumonia in association with gastroesophageal reflux. PediatrPulmonol 1992;13:184-8.

3. Jkehara K, Suzuki M, Tsuburai T, Ishigatsubo Y. Lipid pneumo-nia. Lancet 2002;359:1300.

4. Breton JL, Jeffredo Y, Ranfaing E, Clément F, Faure E, Garnier G.Pneumopathie lipidique et carcinome bronchiolo-alvéolaire asso-ciés. Rev Mal Respir 1994;11:596-8.

5. Brown J, Burke B, Dajani AS. Experimental kerosene pneumo-nia: evaluation of some therapeutic regimens. J Pediatr1974;84:396-401.

RÉSUMÉ

Les pneumonies lipidiques résultent de l’inhalation d’huile dans le poumon. L’importance des lésions dépend de la quantité et dela nature de l’huile inhalée.

Nous rapportons le cas d’une patiente âgée de 43 ans sans antécédent pathologique connu qui a été hospitalisée pour suspicionde pneumopathie infectieuse et chez qui les explorations ont conclu à une pneumonie lipidique secondaire à l’ingestion d’huilefavorisée par un reflux gastro-œsophagien.

Mots-clés : Pneumonie lipidique. Reflux gastro-œsophagien.

SUMMARY

Persistent pneumonia with fever: are laxitives responsible?

Aspiration of oil into the lung can lead to pneumonia. The degree of severity depends on the quantity and the nature of the oil.We report the case of a 43-year-old woman with no medical history who was hospitalized for suspected infectious pneumonia.Explorations led to the conclusion that aspiration pneumonia was secondary to the ingestion of oil favored by gastroesophagealreflux.

Key-words: Aspiration pneumonia. Gastroesophageal reflux.