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Urgences 1997;XV1:117-119 © Elsevier, Paris Toxicologie A propos d'une intoxication aigu collective I'dthylene glycol* YM Etchepare, P Nauche, J Remize, C Sourzat, O Guindre, E Mage Service urgences, Smur, centre hospitalier, boulevard du Docteur-Verlhac, BP 432, 19312 Brive cedex, France Rdsume -Dans une usine de la ville, un employe signale de I'eau bleue et sucree. Une centaine de personnes en ont consomme. Le Smur en partenariat avec les sapeurs-pompiers va gerer la phase prehospitaliere avant de mettre en place le plan afflux de victimes existant & I'h6pital. Quatre-vingt quatorze personnes seront examinees, traitees puis orientees sur les differents hSpitaux de la region. La coordination intrahospitaliere et la collaboration interhos- pitali~re auront ete les garants de la bonne gestion de cette situation. (~thylene glycol / afflux de victimes # m~decine d'urgence # r(~gulation mddicale Le 18 octobre 1994 & 8h du matin, un employe de I'usine Thomson signale a. I'infirmiere de I'~tablis- sement que I'eau des lavabos et des toilettes est bleut~e et a un goet sucr~ [5]. 10h le medecin du travail sur les lieux decide, apres verification, de couper I'alimentation en eau potable dans le b&timent concerne. Les autoritds municipales et la DDASS sont alors prevenues et le bureau d'hygiene procede & des prel6vements sur site. ,~, cette heure I&, ce sont trois personnes qui auraient consomme de I'eau souillee. Apres en- qu~te et recensement, le medecin du travail va denombrer 80 personnes ou plus & 13h, ayant bu cette eau. Le Smur local est alors contacte et devant le nombre de patients concernes il est d(~cide, apres contact prefectoral, de mettre en place le << plan afflux de victimes >> (qui comporte un plan << Mash >> mise en alerte des services hospitaliers) dtabli & I'hOpital de Brive conforme- ment a la circulaire de 1987. MISE EN PLACE DU PLAN HOSPITALIER Rapidement est suspectee une contamination par I'ethylene glycol en raison des travaux effectu~s sur le syst~me de climatisation, 3 jours avant. C'est une v~ritable << mont~e en puissance >> des moyens medicaux qui sera effectuee par le Smur : *Conferencepr~sentL, e dans le cadredu congresde la Societe fran?aisede m~decinede catastrophe, Amiens,5-7 decembre 1996. - mise en alerte ; - direction du centre hospitalier ; - Samu de la Corr~ze, de la Haute-Vienne et de la Dordogne ; -prefecture, mairie ; - Codis de la Corr~ze ; - recherche des lits disponibles dans les hSpitaux et les cliniques ; - rappel du personnel au niveau urgences et Smur ; envoi d'un medecin urgentiste a I'usine ; - ouverture et organisation des Iocaux pr6vus dans le plan << afflux de victimes >> - premier contrat avec le centre antipoison (CAP) de Toulouse afin de cerner les risques potentiels. SUR LES LIEUX Le medecin du Smur va collaborer avec le mede- cin du travail et un officier sapeur-pompier. Son r61e sera de recenser, de regrouper et de trier les intoxiqu~s ; d'informer le personnel et la direc- tion sur les risques lids ~. cette intoxication ; d'or- ganiser la noria vers le centre hospitalier par VSAB pompiers et ambulance de I'h6pital, de maniere reguliere et adaptee aux capacit~s d'ac- cueil. Le transport durera de 14h a 19h. L'ORGANISATION DES LOCAUX Dans des Iocaux prevus par le plan intrahospitalier, qui sont au m~me etage que I'accueil des urgences, ce sont 94 personnes qui seront examinees. Cet espace sera articul~ en plusieurs zones et

À propos d'une intoxication aiguë collective à l'éthyléne glycol

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Page 1: À propos d'une intoxication aiguë collective à l'éthyléne glycol

Urgences 1997;XV1:117-119 © Elsevier, Paris

Toxicologie

A propos d'une intoxication aigu collective I'dthylene glycol*

YM Etchepare, P Nauche, J Remize, C Sourzat, O Guindre, E Mage

Service urgences, Smur, centre hospitalier, boulevard du Docteur-Verlhac, BP 432, 19312 Brive cedex, France

Rdsume -Dans une usine de la ville, un employe signale de I'eau bleue et sucree. Une centaine de personnes en ont consomme. Le Smur en partenariat avec les sapeurs-pompiers va gerer la phase prehospitaliere avant de mettre en place le plan afflux de victimes existant & I'h6pital. Quatre-vingt quatorze personnes seront examinees, traitees puis orientees sur les differents hSpitaux de la region. La coordination intrahospitaliere et la collaboration interhos- pitali~re auront ete les garants de la bonne gestion de cette situation.

(~thylene glycol / afflux de victimes # m~decine d'urgence # r(~gulation mddicale

Le 18 octobre 1994 & 8h du matin, un employe de I'usine Thomson signale a. I'infirmiere de I'~tablis- sement que I'eau des lavabos et des toilettes est bleut~e et a un goet sucr~ [5].

10h le medecin du travail sur les lieux decide, apres verification, de couper I'alimentation en eau potable dans le b&timent concerne.

Les autoritds municipales et la DDASS sont alors prevenues et le bureau d'hygiene procede & des prel6vements sur site.

,~, cette heure I&, ce sont trois personnes qui auraient consomme de I'eau souillee. Apres en- qu~te et recensement, le medecin du travail va denombrer 80 personnes ou plus & 13h, ayant bu cette eau. Le Smur local est alors contacte et devant le nombre de patients concernes il est d(~cide, apres contact prefectoral, de mettre en place le << plan afflux de victimes >> (qui comporte un plan << Mash >> mise en alerte des services hospitaliers) dtabli & I'hOpital de Brive conforme- ment a la circulaire de 1987.

MISE EN PLACE DU PLAN HOSPITALIER

Rapidement est suspectee une contamination par I'ethylene glycol en raison des travaux effectu~s sur le syst~me de climatisation, 3 jours avant.

C'est une v~ritable << mont~e en puissance >> des moyens medicaux qui sera effectuee par le Smur :

*Conference pr~sentL, e dans le cadre du congres de la Societe fran?aise de m~decine de catastrophe, Amiens, 5-7 decembre 1996.

- mise en alerte ; - direction du centre hospitalier ; - Samu de la Corr~ze, de la Haute-Vienne et de la Dordogne ; -prefecture, mairie ; - Codis de la Corr~ze ; - recherche des lits disponibles dans les hSpitaux et les cliniques ; - rappel du personnel au niveau urgences et Smur ; envoi d'un medecin urgentiste a I'usine ; - ouverture et organisation des Iocaux pr6vus dans le plan << afflux de victimes >> - premier contrat avec le centre antipoison (CAP) de Toulouse afin de cerner les risques potentiels.

SUR LES LIEUX

Le medecin du Smur va collaborer avec le mede- cin du travail et un officier sapeur-pompier. Son r61e sera de recenser, de regrouper et de trier les intoxiqu~s ; d'informer le personnel et la direc- tion sur les risques lids ~. cette intoxication ; d'or- ganiser la noria vers le centre hospitalier par VSAB pompiers et ambulance de I'h6pital, de maniere reguliere et adaptee aux capacit~s d'ac- cueil.

Le transport durera de 14h a 19h.

L'ORGANISATION DES LOCAUX

Dans des Iocaux prevus par le plan intrahospitalier, qui sont au m~me etage que I'accueil des urgences, ce sont 94 personnes qui seront examinees. Cet espace sera articul~ en plusieurs zones et

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fonctionnera avec des medecins et du personnel soignant rappele en plus des agents du service des urgences : - une zone accueil-secretariat-tri avec un mede- cin et une secretaire qui etablissent les fiches d'examens et enregistrent les identites ; - une zone d'examen avec sept medecins urgen- tistes, des infirmieres et des aides-soignantes ; ils realisent examens cliniques, enregistrements ECG et prelevements biologiques, conformement & un protocole preetabli ; - une zone d'~vacuation avec un medecin en relation telephonique permanente avec la regula- tion du Smur afin de gerer I'evacuation et I'orien- tation des malades.

En satellites sont places : une antenne de la pharmacie avec preparateur delegue & la deli- vrance du materiel et des medicaments ; une connexion informatique permettant de gerer direc- tement les donnees biologiques afin d'obtenir un dossier medical complet avant evacuation.

LA COORDINATION INTRAHOSPITALII=RE

L'infirmiere generale se charge de differer I'hospita- lisation des malades anterieurement programmes ; de mobiliser les personnels des services de me- decine ; de mettre & jour les lits effectivement disponibles & I'hepital.

La pharmacie del~gue un preparateur sur place dans les Iocaux << afflux de victimes -. Le labora- toire gere en priorite les examens de ces patients intoxiques.

AU NIVEAU DU SMUR : COLLABORATION INTERHOSPITALII~RE

Le centre de regulation au Smur de Brive va travailler en partenariat direct avec : - laboratoire de toxicologie du CHU de Limoges pour les examens specifiques : dosage sanguin de I'ethylene glycol par chromatographie en phase gazeuse, recherche d'oxalate de calcium dans les urines, recherche d'ethylene glycol dans les urines [3]; - le CAP de Toulouse pour I'elaboration d'un pro- tocole d'examen, de traitement et de suivi clinique et biologique ; - les Samu 19, 87 et 24 pour le recensement des lits pour une partie des evacuations.

LE PROTOCOLE DE PRISE EN CHARGE HOSPITALIERE

II est donc decide d'un commun accord avec le CAP de Toulouse : - I'hospitalisation des patients qui ont ingere de I'eau le 18 octobre 1994 ; - I'hospitalisation en unite de soins intensifs des patients avec symptSmes ;

- le retour a domicile apres prelevements biolo- giques et ECG des patients asymptematiques.

Au total ce sont donc 94 personnes qui seront examinees : 70 hommes et 24 femmes.

Les jours suivants, & cause des conges ou devant une prise de conscience tardive des risques potentiels, 40 personnes supplementaires consul- teront aux urgences.

Sur 94 patients, 57 seront hospitalis~s (dont 20 avec symptemes et 37 asymptematiques), 37 regagneront leur domicile awes examens.

L'I~VACUATION

Elle sera medicalisee par ambulances de reani- mation pour les patients symptomatiques et par VSAB de pompiers ou par ambulances privees pour les autres.

La medicalisation sera assuree en fonction de la destination par les Smur de Brive, de Tulle et de Limoges.

La repartition des malades s'organise de la maniere suivante [1] : 31 & Brive (dont quatre en reanimation), 17 & Tulle (dont six en reanimation), quatre a Limoges (dont trois en reanimation), trois & Perigueux (dont deux en reanimation), deux & Sarlat en reanimation.

LES SIGNES CLINIQUES PRESENTI~S, LE TRAITEMENT, LA SURVEILLANCE,

LE SUIVI

Chez les 20 malades symptematiques, les signes cliniques presentes se repartissent de fa(;;on sui- vante : - signes neurologiques : cephalees (7), nystagmus (4), flou visuel (13), vertiges (2), Romberg + (1), tremblement des extremit~s (1) ; - signes cardiovasculaire : tachycardie sinusale (8), troubles de la repolarisation (5), arythmie si- nusale (2), HTA (1), oppression thoracique & ECG normal (1); - signes digestifs : douleurs abdominales (5), diarrhees (3), nausees (2), ballonements (1) ; - divers : paresthesies des extremites (1), myalgies (1), flush (1).

L'ethanol [4] etait choisi comme mode de trai- tement de preference au 4-methyl pyrazole. Le co~t de ce dernier et les faibles stocks au niveau de la pharmacie centrale des hepitaux expli- quaient ce choix.

L'ethanol agit par affinite 100 fois plus grande pour I'ADN que I'ethyl~ne glycol. L'antigel n'est donc plus degrade en metabolites dangereux [2] par I'alcool deshydrogenase au niveau du foie.

La voie intraveineuse ~tait choisie preferen- tiellement devant les difficultes d'acceptabilite du traitement per os et devant le retentissement me- diatique lie au caractere collectif.

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Intoxication aigu~ collective 119

Le protocole ~tabli en accord avec le CAP de Toulouse etait le suivant : - 0,65 g/kg sur 30 minutes d'ethanol dans du G5 % (ampoule 10 mL & 96 ° soit six ampoules dans 500 mL de G5 %) ; - puis 1 g/kg sur 10 heures d'ethanol dans du G5 % (soit dix ampoules dans 500 mL de G5 %) avec un contrSle d'ethanolemie a. h2 et adaptation du traitement afin d'obtenir une alcoolemie & 1 g/L.

La dur~e du traitement etait de 10 heures s'il n'y avait pas de sympt6mes et de 72 heures s'il y avait des sympt6mes.

La surveillance etait clinique et biologique a j l , j2 et j3 pour les symptomatiques, biologique pour tous &j8, j15, j45 et & 4 mois.

La sortie hospitaliere etait autodsee conjointement par les medecins des services et les medecins du Smur de Brive en fonction de la clinique et de la biologie.

La surveillance etait assuree & partir de j8 par le medecin du travail et le personnel du Smur

C O N C L U S I O N

Le plan ,< afflux de victimes - a et6 mis en place au niveau de I'h6pital apr~s accord de la prefec- ture devant le caractere collectif et la gravite po- tentieUe de rintoxication.

Les points positifs sont :

- une tres bonne implication et grande motivation de tout le personnel des urgences et du Smur ; - une collaboration etroite avec les services hos- pitaliers ; - une coordination efficace avec les diff6rents Samu, le CAP de Toulouse, le laboratoire de toxicologie du CHU de Limoges et la medecine du travail de I'entreprise.

Les points negatifs sont : - les difficultes d'approvisionnement en ethanol qui a ete achemine par avion de I'usine & Melun ; - la pression importante des medias assuree uni- quement par les medecins responsables du Smur en I'absence de la mise en place par I'administra- tion d'une vraie cellule de crise dans I'h6pital.

R ~ F E R E N C E S

1 Bastier C. L'intoxication par l'ethylene glycol : un accident industriel & caractere collectif [These de medecine]. Limo- ges : Universit6 de Limoges, 1995

2 Bismuth C, Baud F, Conso F, Frejaville JP, Granier R. Toxicologie Clinique. Paris : Flammarion Medecine- Sciences, 1987

3 Descotes, Testud F, Frantz P. Les Urgences en toxicolo- gie. Paris : Maloine, 1992

4 Hachet JC. Toxicologie d'urgence. Paris : Masson, 1989 5 Mills J, T Ho M, Salber P, Trunkey D et al. Les urgences

diagnostic et traitement. Padoue : Piccin Nuova Libraria, 1992

6 Texier S, Le Gac JM, Saifudin S, Pelerin R. Intoxication a. I'ethylene glycol. Apropos d'un cas. Urg Med 1996;6:263-5