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Crédits Photos © CSC / Philippe Landreville - 11/2010 ahjucaf ahjucaf COURS JUDICIAIRES SUPRÊMES FRANCOPHONES Internalisation du droit, internalisation de la justice 21-23 juin 2010 Cour suprême du Canada Ottawa Internalisation du droit, internalisation de la justice 21-23 juin 2010 Cour suprême du Canada Ottawa 3 ème 3 ème congrès de l’AHJUCAF congrès de l’AHJUCAF

AHJUCAF, Internationalisation Du Droit, Internationalisation de La Justice, 2010

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Les rapports entre juridictions nationales et tribunaux arbitraux internationaux . . . . . . . . .59

I. Transformation des finalités de l’intervention judiciaire . . . . . . . . . . . . . . .60

II. L’internationalisation du cadre juridique de l’intervention judiciaire . . . . . . . . .62

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Atelier II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .66

Les rapports entre les cours nationales . . . . . . . . . . . . .66

Les approches des systèmes de droit international privé et les conventions internationales . . . . . . . . . . .66

I. L’objet du Droit international privé . . . . . . . .66

II. L’approche conflictuelle traditionnelle et sa critique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .67

III. Les intérêts gouvernementaux. Notion de vrai ou faux conflit . . . . . . . . . . . .71

IV. Règles matérielles ou substantielles internationales uniformes principalement par voie de conventions internationales . . . . . .72

V. Les conventions internationales de droit international privé . . . . . . . . . . . . . .73

VI. La reconnaissance. Une approche limitée. L’approche de la reconnaissance des actes juridiques étrangers . . . . . . . . . . . .73

VII. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .74

Projections du juge national a l’extérieur de sa juridiction saisine effet de jugements dans des situations transnationales le refus d’agir du juge les dessaisissements volontaires ou la règle de forum non conveniens l’exemple de l’Ile Maurice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .75

I. Projection du juge national a l’extérieur de sa juridiction - saisine et effet de jugements dans des situations transnationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .76

II. Le refus d’agir du juge, les dessaisissements volontaires (la règle du forum nonconveniens) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .82

III. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .86

Dimanche 20 juin 2010 . . . . . . . . . . .6

Réception à la Cour suprêmedu Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .6

Lundi 21 juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . .7

Ouverture et allocutions . . . . . . . . . . .7

Rapport introductif . . . . . . . . . . . . . . .14

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Atelier I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22

Rapports juridictionnels entre les juridictions nationales et internationales . . . . . . . . . . . . . . . .22

Autorité juridictionnelle des cours internationales àl’égard des cours nationales : le cas de la Cour deJustice de l’UEMOA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22

I. Les rapports horizontaux ou apparente horizontalité . . . . . . . . . . . . . .24

II. Les rapports verticaux ou véritable verticalité . . . . . . . . . . . . . . . . .26

Les méthodes de saisine des tribunaux internationaux . . . . . . . . . . . . . .29

I. Juridiction internationale pénale . . . . . . . . . .29

II. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .36

L’effet et l’exécution des décisions internationales . . . . . . . . . . . . . .37

I. La Cour pénale internationale (CPI), juge de la violation du droit humanitaire international . . . . . . . . . . . . . . . .38

II. Les procédures devant la Cour et l'approche du Bureau du Procureur . . . . . . . . . . . . . . . .41

III. Enquêtes préliminaires, situations en cours et décisions rendues . . . . . . . . . . . .44

IV. Cas particulier de l’exécution par un état non partie au Statut et la question des immunités . . . . . . . . . . . . .53

V. Les techniques et des stratégies du BdP destinées à garantir la mise en oeuvre de ces décisions et l’impact du travail de la CPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . .54

VI. Conclusion générale . . . . . . . . . . . . . . . .59

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La greffe juridique en droit comparé . . . . . . . . .86

I. L’école des anti-greffes . . . . . . . . . . . . . . . .88

II. L’école des pro-greffes . . . . . . . . . . . . . . . .91

III. L’école de la greffe prudente et parcimonieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .92

La réception des décisions étrangères . . . . . . . .95

I. Les raisons de la réception . . . . . . . . . . . . .96

II. Les modalités de la réception . . . . . . . . . . .99

III. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .103

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Atelier III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .104

La réception du droit international par les droits nationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .104

Méthodes d’intégration du droit international en droits internes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .104

I. L’internationalisation croissante des principes directeurs : méthodes constitutionnelles d’intégration . . . .105

II. L’internationalisation mesurée de la pratique étatique : méthodes législatives de transposition .109

III. L’intégration complétée : l’effort judiciaire d’application et d’interprétation du droit international . . . . . . . . . . . . . . . . .113

L’émergence du droit humanitaire et du droit pénal international . . . . . . . . . . . .115

Réception à l'Ambassade de France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .123

Allocution de bienvenue . . . . . . . . . . . . . . . .123

Allocution prononcée à l’ambassade de France au Canada . . . . . . .125

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mardi 22 juin 2010 . . . . . . . . . . . . .126

Atelier VI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .126

La coopération et les cours nationales . . . . . . . . . . .126

L’action de l’Organisation internationale de la Francophonie dans le monde judiciaire . .126

I. Place centrale de la justice au sein des engagements francophones : principaux jalons de cette consécration . . . . .126

II. Atouts de l’action de l’OIF dans le monde judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . .127

III. Répondre à l’ambition des engagements : éclairage sur les missions conduites dans les secteurs du droit et de la justice . . . .129

L’expérience de l’Association Africaine des Hautes Juridictions Francophones dans la circulation entre les hautes Institutions judiciaires . . . . . . . . . . . . . . . . . .132

I. L’AA-HJF, un outil d’intégration juridique et judiciaire au service de l’État de droit en Afrique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .132

II. La circulation ou l’internationalisation du droit et de la justice par l’AA-HJF . . . . . . .134

III. Des difficultés et des perspectives . . . . . . .137

IV. Tableau synoptique des rencontres thématiques de l’AA-HJF depuis sa création . .139

Droit francophone et droit continental. . . . . . . .141

I. Des « droits » introuvables ?. . . . . . . . . . . .141

II. Et pourtant ils existent . . . . . . . . . . . . . . .143

La réforme des systèmes de sécurité dans l’espace francophone . . . . . . . . . . . . . .146

I. Définition du concept de « reforme du système de sécurité ». . . . . . . . .146

II. Contribution de l’OIF à la RSS . . . . . . . . .149

L’Institut national de la magistrature et la coopération internationale . . . . . . . . . . .156

I. La mission de l’INM. . . . . . . . . . . . . . . . .156

II. Valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .157

Présentation du rapporteur général . . . . . . . . .159

Rapport de synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . .160

Allocutions de clôture . . . . . . . . . . .171

Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .174

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Dimanche 20 juin 2010

Réception à la Coursuprême du Canada

Mot de bienvenueLa très honorable Beverley McLachlin,juge en Chef du Canada

Mesdames et messieurs, distingués invités, aunom de mes collègues de la Cour suprême duCanada et en mon nom personnel, je vous sou-haite la bienvenue au Canada et dans notregrande maison. J’espère que vous n’en resterezpas à votre première impression ! On dit qu’auCanada, il y a deux saisons, l’hiver et les tra-vaux. Nous avons choisi les travaux pour vousaccueillir ce soir!

Vous vous trouvez néanmoins dans ce joyau dupatrimoine architectural canadien qui, depuis1947, loge la Cour suprême. C’est le grand ar-chitecte montréalais Ernest Cormier qui a conçucet édifice jusque dans ses moindres détails, duplancher aux plafonds, des meubles aux lumi-naires. Les deux seuls éléments qui sont étrangersà la conception initiale se trouvent à l’extérieurde la Cour, de chaque côté de la façadequelque peu obstruée par les travaux. Les deuxstatues dont une petite exposition relate l’histoireici même - la Justice et la Vérité, ont été ajoutéesen 1970. Il est difficile de croire que, malgré leurtaille, ces statues ont été oubliées de tous dans unentrepôt gouvernemental pendant plus de 40ans. La Justice et la Vérité, cachées et oubliéespendant si longtemps, voilà une riche métaphore.Elle nous rappelle quotidiennement le rôle descours, dont la tâche est de faire en sorte que Jus-tice et Vérité soient chaque jour exposées au re-gard de tous les citoyens.

Vous pourrez constater lors de la visite qui vousest offerte au cours de la soirée que, tout en res-pectant le patrimoine, la Cour suprême a réussià intégrer les technologies modernes dans sa

salle d’audience. Des caméras activées par lavoix servent notamment à la télédiffusion desaudiences depuis le début des années 90. Plusrécemment, en 2008, des ordinateurs y ont étéinstallés pour permettre aux neuf juges et auxavocats de consulter la version électronique desmémoires des parties à l’audience. Noussommes fiers de pouvoir préserver notre patri-moine tout en utilisant les outils que la technolo-gie met à notre disposition.

Mais par delà les installations physiques, il y ad’abord et avant tout les personnes. Nouscomptons parmi nous plusieurs invités demarque, et il serait trop long de les présentertous. Je me dois toutefois de souligner la pré-sence de personnalités canadiennes: le juge enchef du Québec, l’honorable Michel Robert etle juge en chef du Nouveau-Brunswick, l’hono-rable Ernest Drapeau, le juge en chef de laCour fédérale, l’honorable Allan Lutfy et l’hono-rable Gilles Létourneau, juge à la Cour d’appelfédérale. Nous sommes également très honoréspar la présence de l’honorable Kathleen Veil,ministre de la Justice du Québec et de l’honora-ble Kelly Lamrock, Procureur général du Nou-veau-Brunswick. Enfin, je suis très heureuse desouligner la présence de monsieur GhalebGhanem, premier président de la Cour de cas-sation du Liban et président de l’AHJUCAF.

Cette soirée n’a pas pour objectif de faire delong discours. Elle vise à nous rassembler dansce cadre symbolique pour nous permettre defraterniser et de renouer des liens que les dis-tances rendent moins tangibles. Merci d’être iciet bonne soirée à tous.

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Lundi 21 juin 2010

Ouverture et allocutionsPropos d’ouvertureLa très honorable Beverley McLachlin,juge en Chef du Canada

Bonjour à tous,

Quel plaisir de vous retrouver tous réunis cematin en cette séance d’ouverture du Troisièmecongrès de l’AHJUCAF alors que vous abordezla première longue journée de travail sur lethème choisi : «internationalisation de la justice,internationalisation du droit».

Comme le disait Madame Mireille Delmas-Marty, titulaire de la chaire «Études juridiquescomparatives et internationalisation du droit» auCollège de France, dans sa Leçon inaugurale :

« En dépit des apparences, il n’est plus possibleaujourd’hui de méconnaître la superposition denormes, nationales, régionales et mondiales, ni lasurabondance d’institutions et de juges, natio-naux et internationaux, à compétence élargie ».

Je suis tout à fait convaincue que, si les jugesqui siégeaient il y a quelque trente ans reve-naient aujourd’hui, ils seraient probablementsurpris de constater combien nos régimes juri-diques s’influencent mutuellement. Ce n’estdonc pas un hasard si l’AHJUCAF nous réunitmaintenant pour débattre de ce sujet. Nousvoulons essayer de trouver des réponses juri-diques adaptées à nos interrogations face à lamondialisation et au rôle respectif des tribunauxnationaux et des instances internationales defaçon à pouvoir répondre au questionnementde nos concitoyens. Les données rassemblées àla suite des questionnaires préparatoires aucongrès offrent un panorama des pratiques sui-vies par les cours de différents pays. La ré-flexion que nous allons mener pendant les deuxjours qui viennent nous permettra de mieux cer-ner ce thème complexe et de comprendre l’évo-

lution des pays de la francophonie qui, pour laplupart, ont des racines juridiques communes.

Je voudrais ce matin souligner tout particulière-ment le travail extraordinaire de mon collèguel’honorable Louis LeBel, qui s’est investi dans lapréparation du congrès. Le thème d’internatio-nalisation de la justice et du droit concordebien avec son intérêt pour les débats juridiqueset son ouverture sur le monde. On peut penserqu’avec votre aide à tous, le juge LeBel vise àremédier à la situation décrite par notre an-cienne collègue à la Cour suprême du Ca-nada, la juge Bertha Wilson quand elle disait«Ce qui reçoit souvent une moindre attentiondans le monde juridique, c’est comment la mon-dialisation touche aussi la fonction des juges etdes avocats, et comment le développement desliens internationaux a un effet sur les décisionsjudiciaires et les transforme, tout particulière-ment dans le cas des cours d’appel de dernièreinstance à travers le monde». Voici qui nous in-cite à partager nos expériences au sein del’AHJUCAF, qui se veut l’endroit privilégié où ledialogue des juges peut s’effectuer en toutefranchise afin d’améliorer à terme l’organisationet le fonctionnement des cours suprêmes et laqualité de leurs arrêts.

La solidarité au sein de l’AHJUCAF prend toutesa dimension face à la terrible catastrophe na-turelle qui s’est abattue sur l’un de nos paysmembres, Haïti. Je tiens à saluer ici la présencede Maître Georges Moïse, vice-président de laCour de cassation haïtienne. Cette institution etses membres ont été profondément traumatisés.Nous voulons au sein de notre association par-ticiper à la construction de l’avenir avec Haïti,au sein d’une Francophonie solidaire.

Permettez-moi donc, mesdames et messieurs lesmembres de l’Association des Hautes juridic-tions de cassation des pays ayant en partagel’usage du français, distingués invités, chersamis, de vous souhaiter à nouveau la plus cor-

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diale des bienvenues, ainsi que des échangesenrichissants tout au long de ces deux jours. Leprogramme social vous offrira, je l’espère, l’oc-casion de profiter un peu de la belle région dela capitale du Canada tout en continuant vosdiscussions avec vos collègues.

Ce matin, nous avons le plaisir d’avoir parminous plusieurs personnalités qui vont vous adres-ser la parole. Monsieur Yves Côté, sous-ministredélégué à la Justice vient vous souhaiter la bien-venue au nom du ministre de la Justice du Ca-nada, l’honorable Rob Nicholson.

Monsieur Côté, je vous invite à dire quelquesmots.

Propos d’ouvertureMaître Yves Côté, Sous-ministre déléguéà la Justice, Ministère de la Justice duCanada

Madame la Juge en chef, Monsieur le Président de l’AHJUCAF, Monsieur le Délégué à la paix, à la démocratie et aux Droits de l’Homme,Mesdames et Messieurs les juges de la Coursuprême, Mesdames et Messieurs les Présidents, Juges en chef et Juges, Distingués délégués,

Au nom de l’honorable Rob Nicholson, ministrede la Justice et procureur général du Canada,j’ai l’honneur et le grand plaisir de vous souhaiterla plus cordiale des bienvenues au Canada.L’emploi du temps de notre ministre ne lui permet-tait malheureusement pas de se joindre à nousce matin. Il vous prie de bien vouloir l’en excuser.

Le thème de la conférence cette année : « Inter-nationalisation du droit et internationalisation dela justice » revêt une importance plus grandeque jamais. Les différences persistantes entre lessystèmes juridiques demeurent un obstacle ma-

jeur à ce que justice soit rendue au niveau inter-national. Si l’Association des Hautes Juridictionsde cassation des pays ayant en partagel’usage du français n’avait pas été créée en2001, il manquerait aujourd’hui à la franco-phonie et à la justice internationale, un réseauinstitutionnel de toute première importance, cardes organismes comme le vôtre ont placé lacoopération juridique au cœur de leur action.Ces organismes visent l’amélioration de la col-laboration et l’établissement d’objectifs com-muns entre les institutions judiciaires de nospays, ce qui nous permet de surmonter ces obs-tacles et de trouver des solutions les mieuxadaptées aux différentes problématiques pou-vant survenir.

Comme nous le savons tous, la plupart des règlesinternationales ne peuvent s’appliquer sans le sou-tien et la collaboration continue des systèmes ju-diciaires nationaux. L’efficacité d’un systèmejudiciaire national procure des avantages aumonde entier. A cette fin, le ministère de la Justicedu Canada, notre ministère, s’efforce de préser-ver un cadre juridique national qui reflète la dua-lité linguistique de nos citoyens ainsi que nostraditions canadiennes bien ancrée de commonlaw et de droit civil. Le ministère est aussi chargéde veiller à ce que le système de justice au Ca-nada demeure équitable, pertinent, accessible etqu’il reflète les valeurs canadiennes.

Pays réputé pour sa stabilité et son engagementà l’égard de la primauté du droit, le Canadaconsidère qu’il a l’obligation d’établir, avec sespartenaires du monde, un dialogue sur les ques-tions de droit et de gouvernance. Le ministère dela Justice honore cette obligation en s’efforçantd’établir et de renforcer la capacité juridique deplusieurs états fragiles et émergents. C’est pournous un aspect important de notre rôle.

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Permettez-moi, en terminant, de réitérer com-bien nous sommes honorés de vous accueillirchez nous. J’ajoute ma voix à celle du ministrede la Justice pour vous souhaiter un congrèsfructueux, qui soit à la hauteur de vos attentes.Vos délibérations et vos échanges renforcentcette cruciale solidarité qu’il est essentiel demaintenir et renforcent aussi les liens qui nousunissent tous de manière à ce que l’internationa-lisation du droit et de la justice continue de fairedes progrès et devienne une réalité toujours plusprésente.

Je vous remercie.

Mot de bienvenueMonsieur Hugo SADA, Délégué à la paix,à la démocratie et aux droits de l’Hommede l’Organisation internationale de laFrancophonie

Madame la Juge en Chef du Canada, Mon-sieur le Sous-ministre délégué à la Justice,Monsieur le Président de l’Association deshautes juridictions de cassation des pays ayanten pa tage l’usage du français (AHJUCAF),Premier Président de la Cour de cassation duLiban, Mesdames et Messieurs les Présidents etmembres des hautes juridictions francophones,Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux, et honoré, d’être à vos côtés, àl’occasion de cette cérémonie d’ouverture dutroisième Congrès de l’Association des hautesjuridictions de cassation des pays ayant en par-tage l’usage du français (AHJUCAF), consacréà la problématique de l’internationalisation dudroit et de la justice.

Je me dois tout d’abord de vous transmettre leschaleureuses salutations de S.E. MonsieurAbdou Diouf, Secrétaire général de la Franco-phonie, qui se réjouit de la tenue de ce

Congrès, ici à Ottawa, en cette année 2010pendant laquelle la Francophonie institutionnellecélèbre le quarantième anniversaire de sa fonda-tion.

Je voudrais souligner, en son nom, l’importancepour la Francophonie du travail réalisé parvotre Association, ainsi que la capacité exem-plaire de mobilisation de l’AHJUCAF - dont té-moigne l’assemblée réunie aujourd’hui àOttawa -, qui est d’abord le reflet de l’engage-ment constant de la présidence et du secrétariatgénéral de l’Association.

La présence francophone, en faveur d’une jus-tice indépendante, efficace et accessible, a étésans cesse confirmée depuis le lancement, audébut des années 1990, des premiers pro-grammes de coopération francophones dansles secteurs du droit et de la justice. Cet enga-gement a été conforté en février 2008 à l’occa-sion de la IVème Conférence des Ministresfrancophones de la justice qui a adopté unenouvelle feuille de route, qui reste la référenceprincipale de la programmation de l’OIF dansle domaine du droit et de la justice. Ce do-maine a, de fait, toujours occupé une placecentrale dans nos actions en faveur de l’État dedroit et de la démocratie, telles qu’elles sont dé-finies par la Déclaration de Bamako, adoptéeil y a exactement dix ans.

L’existence de ce corpus ne saurait toutefois ré-pondre à lui seul à nos attentes. C’est bien lamise en œuvre, sur le terrain, de ce mandat quinous invite à œuvrer au développement de par-tenariats diversifiés avec les professionnels dudroit et de la justice.

De cette option découle la volonté de l’Organi-sation internationale de la Francophonie (OIF)de nouer des coopérations ciblées avec les ré-seaux institutionnels et professionnels franco-phones - et je salue la participation de nombred’entre eux à ce Congrès -, de même qu’avec

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les organisations de la société civile. La tenue dela Conférence francophone des OING à Ge-nève, à partir du 23 juin prochain, constitue dela même façon un élément majeur de cette dyna-mique et il est précieux que l’AHJUCAF puisse as-sister, en qualité d’observateur, à ces travaux.

L’année 2010 sera marquée par la tenue duXIIIème Sommet des Chefs d’État et de gouverne-ment francophones programmé à Montreux du22 au 24 octobre 2010 qui reviendra sur lesprincipaux défis auxquels la Francophonie poli-tique est confrontée.

Parallèlement, la célébration, en 2010, dudixième anniversaire de la Déclaration de Ba-mako, texte normatif de référence pour l’actionde l’OIF en faveur de la promotion de la paix, dela démocratie et des droits de l’Homme, offre au-jourd’hui l’opportunité d’un bilan. Un bilan desacquis de la mobilisation des acteurs franco-phones, de même que des défis posés à notreespace alors que les efforts de consolidation del’État de droit et de la démocratie se heurtent àdes difficultés, à des ruptures, à des situations decrise de plus en plus préoccupantes.

Dans ce contexte, la récurrence d’atteintes àl’indépendance de la justice est clairement ob-servée, notamment par votre réseau.

Nous avons en effet mis en place les bases d’uneinteraction régulière entre nos activités et il mesemble que ce troisième Congrès doit nous per-mettre de confirmer notre volonté d’agir deconcert pour la réalisation d’un certain nombred’objectifs convergents, auxquels les mouvementsd’internationalisation du droit et de la justiceconfèrent, à mon sens, une nouvelle dimension.

Quels sont ces objectifs prioritaires pour l’OIF ?

- L’objectif tout d’abord d’une présence renfor-cée des acteurs francophones aux grandesconcertations internationales ainsi que de la va-lorisation permanente de l’expertise franco-

phone, gages d’une participation équilibréedes différents pays et systèmes juridiques repré-sentés au sein de la Francophonie.

La récente participation d’une délégation del’OIF à la première Conférence de révision duStatut de Rome portant création de la Cour pé-nale internationale (CPI) (Kampala, 31 mai - 11juin 2010) a bien souligné les efforts qui doiventêtre conduits pour garantir notre présence et notreinfluence au moment de ces rendez-vous signifi-catifs. La traduction en français des travaux s’estavérée particulièrement insuffisante, au détrimentdes délégations francophones.

La promotion de l’expertise est sensiblement fa-cilitée par le travail en réseaux et il nous revientdonc de bâtir des stratégies concertées sur lesgrands enjeux de la justice, qu’il s’agisse del’indépendance effective de la justice, de lalutte contre l’impunité, du développement de lajustice internationale et de son impact sur les ju-ridictions nationales, ou encore de la recons-truction des capacités institutionnelles etjuridictionnelles dans les pays en situation desortie de crise et de transition démocratique.

La nouvelle programmation quadriennale2010-2013 a bien confirmé ces options etnous entendons, dans ce cadre, promouvoir lesréalisations des réseaux francophones.

Le plan d’action de la Francophonie pour Haïti,déposé suite au séisme sans précédent qui afrappé le pays le 12 janvier dernier, vient éga-lement souligner la plus value de la contribu-tion, opérationnelle, des réseaux francophones.Et je voudrais, en saluant la participation de laCour de cassation d’Haïti à ce Congrès, direune nouvelle fois aux représentants haïtienstoute la solidarité et la disponibilité de l’OIFpour accompagner le renforcement des capaci-tés institutionnelles.

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- L’objectif ensuite du perfectionnement des com-pétences, notamment sur le plan du droit interna-tional et régional. Les réseaux, et parmi euxl’AHJUCAF à travers le dispositif de « formationpar les pairs » qui a été conçu, font la démons-tration de la pertinence du recours au droit com-paré au service du renforcement des institutions.

L’évolution des espaces de coopération et d’in-tégration régionales, associés à un processusd’harmonisation juridique, interpelle égalementl’espace francophone, à l’instar du processusd’harmonisation du droit des affaires en Afriqueporté par l’OHADA que l’OIF a encouragé etsoutenu dès ses débuts en 1993. Je me féliciteà cet égard de la participation de plusieursCours régionales et communautaires aux tra-vaux de l’AHJUCAF, alors que se pose la ques-tion d’une meilleure prévention des conflits denormes et de compétences et d’une plus largediffusion de la jurisprudence régionale.

- L’objectif d’une meilleure diffusion de l’informa-tion juridique par ailleurs, élément de l’accès àla justice, en liaison avec les différents opéra-teurs et partenaires impliqués, et parmi eux leréseau francophone de diffusion du droit.

Le développement des technologies de l’infor-mation et de la communication à l’échelle mon-diale a renouvelé cet enjeu et suppose desefforts croissants de rationalisation de mêmeque l’instauration de synergies pérennes. Je vou-drais saluer la capacité de proposition et d’ac-tion de l’AHJUCAF sur ce terrain également,aux côtés de l’OIF, dans la redynamisation duportail « droit francophone ».

- L’objectif enfin du suivi de la situation effectivede l’indépendance de la justice, à la faveur d’undialogue permanent entre nos organisations sti-mulé par le partage de valeurs communes.

Le Secrétaire général de la Francophonie aconstitué très récemment un panel de haut ni-veau sur l’alerte précoce et la prévention des

conflits dans l’espace francophone, panelchargé d’identifier les moyens de renforcer l’ac-tion préventive de l’OIF.

Il y a là je pense des perspectives intéressantesde travail en commun, dans le strict respect del’indépendance et de l’identité de chaque struc-ture. La tenue du précédent congrès de l’AHJU-CAF sur l’indépendance de la justice etl’adoption d’une résolution sur cette probléma-tique, de même que la contribution périodiquede l’Association à l’élaboration des rapports surl’état des pratiques de la démocratie, des droitset des libertés dans l’espace francophone, re-çoivent, comme vous le savez, la plus grandeattention de l’OIF.

De la cohérence dans le déploiement de nosactivités respectives dépend en effet égalementl’autorité des messages que nous portons.

J’espère que ces axes de réflexion sauront ai-guiller l’approfondissement de la coopérationentre l’OIF et l’AHJUCAF, dont l’évaluation au-jourd’hui s’avère tout à fait positive.

Permettez-moi, en terminant mon propos, de re-mercier chaleureusement l’AHJUCAF et la Coursuprême du Canada, pour l’organisation par-faite de cette rencontre.

Je souhaite le plus grand succès à vos échangeset vous remercie de votre aimable attention.

Mot de bienvenueMonsieur Ghaleb GHANEM, Premier pré-sident de la Cour de cassation du Liban,Président de L’AHJUCAF

Chers collègues, Mesdames, Messieurs,

J’ai le plaisir et l’honneur, en ma qualité de Prési-dent de l’AHJUCAF, de vous remercier chaleureu-sement d’avoir répondu à notre invitation, et d’êtreprésents pour notre troisième congrès qui a pour

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thème « Internationalisation du droit, internationa-lisation de la justice ».

Après Marrakech en 2004, puis Dakar en2007, l’occasion nous est donnée de débattredes rapports entre les juridictions nationales etinternationales, des rapports entre les cours na-tionales, de la réception du droit internationalpar les droits nationaux et de la coopérationentre les cours suprêmes.

Partager nos connaissances et nos expériencesne peut que promouvoir la culture du droit dansle monde, ce droit qui doit évoluer, mais évoluerd’une façon cohérente, non anarchique, pourfaire face à tous les défis que pose la mondiali-sation, et régler les rapports qui mettent en pré-sence des intervenants du monde entier, des loisdivergentes et des systèmes juridiques variés.

Nous, présidents et membres des cours su-prêmes, avons pour devoir de tracer la voie dela bonne justice, de la guider, de partager unlangage juridique commun, de cultiver laconnaissance, de rapprocher les pensées et dedévelopper le droit uniformément.

C’est en fonction de ce qui précède et en fonc-tion de notre souci d’assurer l’indépendance dela magistrature et l’éthique des juges, et de res-pecter les droits fondamentaux tels que le droitdes enfants et le droit de l’environnement, quenous tiendrons le mardi après midi notre assem-blée générale, laquelle déterminera nos projetsdans les trois années à venir.

Chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

Il est une valeur à laquelle notre associationdonne la plus grande importance : c’est lerègne du droit. Cette valeur pourra englober di-vers thèmes qui seront, durant ce congrès, ouqui pourront être à l’avenir, dans la sphère denotre attention et de nos débats.

Ce que je viens de suggérer reste naturellement

le grand souci de la Cour de cassation fran-çaise, et spécialement de son Premier présidentMonsieur Vincent Lamanda qui aurait souhaitéêtre parmi nous et qu’un empêchement l’a re-tenu en France… Il vous souhaite un grand suc-cès dans vos travaux.

La Cour de cassation française, la nôtre, et ensomme nous tous, partageons les satisfactionset les peines de notre association ….

Et s’agissant des peines, tournons-nous, je vousen prie, à l’ouverture de nos travaux vers cetteterre d’Haïti, terre de francophonie et, cetteannée, terre de douleur et de deuil pour tout unpeuple et pour ses institutions dont celles appar-tenant à la famille judiciaire.

Amis et collègues d’Haïti, présents ici ou ab-sents, dans la mesure permise par votre tragé-die, dans vos juridictions sinistrées, voussuscitez l’émotion, la solidarité et l’admiration.Au-delà de l’aide que vous méritez, vous allezêtre pour tous, par vos efforts de reconstructiondéjà déployés, l’exemple du devoir et de la fi-délité à nos valeurs, l’exemple de l’élan vital dela justice et du droit.

Honorons la mémoire de ceux qui, dans l’ef-froyable séisme du 12 janvier, nous ont quittés.Le Premier d’entre eux, pour nous, représentantsdes juridictions de cassation, est Maître JacobJean-Baptiste, directeur administratif de la Courde cassation, grand juriste.

J’espère que nos efforts continus seront couron-nés de succès. Je vous souhaite une session utileà la mesure de vos attentes, de vos implica-tions, et, pourrai-je dire, de vos obligations.

Par la justice et son outil le droit, nous pourronsbâtir un monde meilleur.

En l’occasion, je me permets d’appeler à cettetribune Maître Georges Moïse, représentant dela Cour de cassation d’Haïti, qui poursuit aveccourage une présidence intérimaire commen-

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cée en 2004.(S’adressant à Maître MO SE quiprend place à la tribune) Dès le mois de février,sous votre direction, dans les locaux de L’Écolenationale de la magistrature, sans costumesd’audience restés dans les décombres de lacour détruite, sans matériel ou presque, dansun mobilier sommaire, a été repris le travail dela juridiction. Justice est ainsi, tout de même,rendue. C’était bien un devoir pour nous tous icide faire précéder par cet hommage notre troi-sième congrès, et nous vous prions de l’ouvrir.Merci.

Ouverture du congrèsMaître Georges Moïse, vice-président,président par intérim de la Cour decassation d’Haïti

Honorable Madame la Juge en chef de laCour Suprême du Canada, Monsieur le Sous-ministre de la Justice, Monsieur le Président de l’AHJUCAF, Chers collègues, Mesdames, Messieurs.

Vous allez m’excuser de faire un accroc au pro-gramme. Ce n’était pas prévu, mais j’ai senti lanécessité de dire quelques mots avant de procé-der à l’ouverture des travaux.

J’ai été très touché de l’hommage rendu à laCour de cassation d’Haïti, en particulier et engénéral aux magistrats haïtiens et aussi à Haïti.Je vous en remercie tant en mon nom personnelqu’au nom de mes collègues. Je profite de l’oc-casion et me fais un devoir de remercier particu-lièrement les différentes Cours suprêmes et decassation, membres de l’AHJUCAF qui, dès lanouvelle de la catastrophe qui s’est abattue surHaïti, se sont empressées par des messages desympathie et de solidarité de partager mes dou-leurs et mes peines.

A ce moment-là, j’avais bien besoin de ces motsde réconfort. Ils m’ont aidé à me retenir sur lapente de la dépression vers laquelle je glissaisdangereusement. En effet, il fallait avoir un sacrécourage pour supporter la vue horrible de ces mil-liers de cadavres qui jonchaient les trottoirs desrues de la capitale, des centaines de bâtimentsimportants effondrés. Je frémis encore à l’idéeque si le séisme avait eu lieu deux heures plustôt, j’aurais été enfoui sous le tas de gravats au-quel a été réduit notre Palais de Justice qui abritaitla Cour de cassation et deux autres juridictions.

Il est effrayant, le bilan du séisme qui a dévastéPort-au-Prince et les agglomérations voisines surplus d’une centaine de kilomètres. Près de 300000 morts et disparus, autant de blessés, envi-ron 125 000 maisons détruites ou endomma-gées, incluant presque tous les édifices publics et80% des locaux scolaires. Plus d’un million depersonnes vivant dans les rues et sur les placespubliques, dans des abris précaires.

Des milliers de gens ont été ruinés en l’espace de35 secondes. Le travail de toute une vie a été ré-duit à néant en ce court laps de temps. Beau-coup de larmes ont coulé car chacun avait perduau moins un parent, un ami cher ou un collabo-rateur précieux. Des magistrats, des avocats, desmembres du personnel judiciaire ont péri sous lesdécombres. Nous ne cesserons pas de sitôt depleurer Maître Jacob Jean-Baptiste, ancien greffieren chef des cas administratifs de la Cour de cas-sation, correspondant national de l’AHJUCAF,dont le corps n’a été dégagé des ruines du Palaisque deux mois plus tard. Sa fille unique, âgéed’une année à peine, mourrait de son côté à lamême minute que son père au domicile de cedernier. Je remercie l’AHJUCAF de l’hommagepublic qu’il lui a rendu par la voie de l’internet.

Un rude coup a été assené à la justice de la ré-gion métropolitaine de Port-au-Prince, où prati-quement se concentre toute l’activité judiciaire.La situation est d’autant plus tragique qu’au mo-

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ment où la terre tremblait, des gardiens effrayésou corrompus ont ouvert les portes du péniten-cier national d’où se sont évadés plus de4 000 détenus qui s’y trouvaient, parmi les-quels de dangereux bandits qui ont vite reprisleurs pratiques de vols à main armée, de kid-nappings et d’assassinats.

La Police fait de son mieux pour les reprendre,mais la justice n’est pas au rendez-vous pourles juger. Les tribunaux des zones touchées fonc-tionnent au ralenti. Le tribunal de première ins-tance de Port-au-Prince est réduit au strictminimum : une Chambre Correctionnelle héber-gée sous une tente et la Chambre des Référés.La Cour d’appel qui dessert quatre juridictionsde première instance est également en dysfonc-tionnement, faute de local.

Quant à la Cour de cassation, le moins qu’onpuisse dire est qu’elle végète, dépourvue deson mobilier disparu dans les ruines du Palaisde Justice, avec les trois quarts de ses archiveset dossiers en cours de traitement. Je profite del’occasion pour, au nom de la Cour, remercierl’Organisation Internationale de la Francopho-nie (OIF), qui est venue à notre secours en nousfournissant quelques équipements, quelques or-dinateurs et imprimantes, classeurs métalliques,machines à écrire, ventilateurs, fontaines.

Nous espérons recevoir du matériel supplémen-taire. Le pays a reçu à la suite du désastre dessecours humanitaires de nombreux pays amis,parmi lesquels le Canada et la France, cettedernière soit seule, soit à travers l’Union Euro-péenne. Nous leurs en sommes reconnaissants.Des promesses ont été faites. Des engagementsont été pris pour aider à la reconstructiond’Haïti, mais comme toujours ces promesses tar-dent à se concrétiser.

Pendant ce temps, l’économie nationale conti-nue à s’étioler. Les réfugiés dans les camps sontbattus par la pluie diluvienne, à la merci des

inondations et leur cortège de maladies etd’épidémies, tout en priant Dieu d’épargner aupays les cyclones dévastateurs dont la saisonvient de débuter.

Chers collègues, Mesdames et Messieurs, excu-sez-moi de vous importuner avec mes jéré-miades. Je sais que vous avez hâte decommencer vos travaux. Aussi, sans plus tarder,au nom de la Cour de cassation d’Haïti et envertu des privilèges qui m’ont été accordés parles organisateurs, je déclare ouverts les travauxdu troisième congrès de l’AHJUCAF. Merci.

Rapport introductifMaître Daniel JUTRAS, doyen de la facultéde droit de l'Université McGill

Madame la Juge en chef McLachlin, Mesdames et Messieurs les Présidents, Jugesen chef, Mesdames, Messieurs les Juges, Distingués invités, Collègues universitaires.

Introduction

Le thème de ce troisième congrès est celui del’internationalisation de la justice et de l’interna-tionalisation du droit. Il est exposé sans pointd’interrogation, mais on aurait pu en ajouter un.Ce rapport introductif sera donc en forme d’in-terrogation : quelle est la portée de cette inter-nationalisation de la justice et de cetteinternationalisation du droit ?

Le découpage du thème, tel que nous l’avionsenvisagé dans le questionnaire distribué auxrapporteurs nationaux, s’appuyait sur deuxconstats. Premier constat : le phénomène de l’in-ternationalisation touche à la fois les institutionsjudiciaires et la règle juridique elle-même. Onassiste aujourd’hui à l’émergence et à l’accrois-sement de juridictions internationales, régio-nales, communautaires, qui s’éloignent d’unmodèle d’ordre judiciaire rattaché à un État na-

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tion : internationalisation de la justice, dira-t-on.On assiste aussi à l’émergence de règles juri-diques qui ne sont plus exclusivement rattachéesà un système juridique national, ainsi qu’à undialogue continu des traditions juridiques : inter-nationalisation du droit, dira-t-on. Puis, undeuxième constat : l’internationalisation se dé-ploie à la fois sur le terrain supranational, endehors des institutions nationales proprementdites, mais aussi dans la nécessaire coordina-tion des juridictions et des normes nationaleselles-mêmes. En d’autres termes, l’internationa-lisation se manifeste non seulement dans laconstruction possible d’un ordre juridique inter-national, mais aussi dans la régulation deséchanges entre les cours nationales elles-mêmes.

C’est un vaste thème, que les rapporteurs natio-naux ont traité avec beaucoup de générosité etd’intelligence, examinant les rapports croisés quirésultent de ces deux constats : internationalisa-tion de la règle et des institutions, à la fois sur leterrain supranational et sur le terrain national. Jene souhaite pas, dans ce rapport introductif,faire la synthèse de ce riche travail effectué parles rapporteurs nationaux. Je me contenterai icide souligner quelques enjeux fondamentaux surtrois terrains précis, enjeux qui sont évoqués demanière récurrente dans chacun des rapports na-tionaux et dans chacune des interventions pré-sentées lors du colloque lui-même.

J’examinerai donc d’abord l’entrelacement desespaces juridiques international et nationaux,puis la question du contentieux transnational,pour enfin ajouter quelques mots sur la mobilitédu droit.

I. Un ordre juridique supranational ?

Existe-t-il un ordre juridique supranational ? Sedirige-t-on vers une espèce d’ordre juridiqueglobalisé maintenant qu’on connaît de plus en

plus d’institutions supranationales, communau-taires et régionales, dont la juridiction s’ajouteà celle des juridictions nationales ? La questiondoit être envisagée tant du point de vue des ins-titutions que du point de vue des normes.

A. L’internationalisation des institutionsjudiciaires

Quant aux institutions, on constate que l’on estassez loin en fait d’un ordre judiciaire suprana-tional. Il n’y a pas un système judiciaire hiérar-chiquement organisé à l’échelle internationale,ni de pyramide des institutions judiciaires oud’ordres de juridiction superposés. Il y a plutôtun entrelacement des juridictions nationales, ré-gionales, internationales, transnationales, pri-vées et publiques d’ailleurs, conduisant toutesà un accroissement du partage de l’activité ju-ridictionnelle assez caractéristique de l’ère desréseaux au milieu de laquelle nous vivons. Maiss’il n’y a pas de véritable ordre judiciaire su-pranational, les institutions de justice n’en sontpas moins internationalisées.

L’internationalisation des institutions judiciairesse manifeste d’abord par l’insertion de juridic-tions nationales dans un ordre régional ou com-munautaire. Ici, on discerne trois modesd’insertion, reproduits un peu partout au sein dela francophonie.

Premier mode, celui de la Cour commune dejustice et d’arbitrage de l’OHADA qui com-porte un véritable recours en cassation des dé-cisions des juridictions nationales. La CCJA del’OHADA rend des arrêts qui ont une portéeobligatoire dans toutes les affaires soulevantdes questions relatives à l’application des actesuniformes et des règlements prévus au traité del’OHADA. En ce sens, il s’agit dans ce cas vé-ritablement d’un quatrième ordre de juridiction.

Deuxième mode, qui s’éloigne de l’idée d’un

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quatrième ordre de juridiction : celui que l’ontrouve, par exemple, à la Cour de justice descommunautés européennes ou à la Cour de jus-tice de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Dans l’un et l’autre cas, onaperçoit une forme d’insertion dans un ordre ré-gional ou communautaire qui prévoit des ren-vois sur les questions préjudicielles, enparticulier pour préciser les points d’interpréta-tion du droit communautaire ou du droit régio-nal, non plus en forme de cassation, dans cecas, mais en forme d’interprétation contrai-gnante d’un droit communautaire. Les arrêts ren-dus par la Cour de Justice sont contraignants,en ce sens que les juridictions nationales desti-nataires sont liées par les interprétations du textecommunautaire ou régional retenu par la Courde justice. On pourrait aller plus loin et affirmer,comme certains des rapports nationaux le font,que ces jugements ont un caractère jurispruden-tiel contraignant pour les juridictions nationalesnon seulement dans les dossiers où les déci-sions sont rendues, mais pour toutes les juridic-tions nationales et dans tous les États membres– il s’agirait alors d’une espèce de ‘case law’selon certains rapporteurs. Le même mécanismeopère à la Cour de Justice de l’Union écono-mique et monétaire ouest-africaine, comme l’ex-pose d’ailleurs Monsieur Zinzindohoue dansson texte sur l’UEMOA.

Troisième mode d’insertion, celui de la Cour Eu-ropéenne des Droits de l’Homme, qui résulte del’article 46 de la Convention européenne desauvegarde des Droits de l’Homme et des liber-tés fondamentales. Ici, ni cassation, ni renvoipréjudiciel, ni non plus un quatrième degré dejuridiction. Plutôt une requête déposée par unindividu pour violation de la Convention euro-péenne des Droits de l’Homme, à conditionbien sûr de l’épuisement des recours. L’arrêt estrendu contre l’État, une partie contractante quis’engage à se conformer aux dispositions de

l’accord international auquel elle est partie. Ils’agit d’arrêts déclaratoires, non pas cassa-toires, comme ce que l’on constatait ci-dessus àl’égard de la Cour commune de justice et d’ar-bitrage de l’OHADA. Ces arrêts n’ont pas for-mellement d’incidence directe en droit interneet ne constituent pas la réformation d’un juge-ment de juridiction nationale, mais de facto, surle terrain, ces arrêts ont une influence très nettesur la jurisprudence des Cours de cassation eu-ropéennes et les États prennent les mesures pourse conformer à ces arrêts.

Ces trois modes d’insertion dans un ordre ré-gional ou transnational obligent les Cours natio-nales à interagir de manière très fréquente avecdes ordres juridictionnels supranationaux ou ré-gionaux, non pas dans un cadre hiérarchique,mais dans un cadre essentiellement horizontal.C’est un phénomène qui n’est pas très récent,mais le rôle de ces juridictions régionales ettransnationales est en croissance et leur pré-sence se fait sentir de manière tout à fait signi-ficative.

L’internationalisation des institutions judiciairesse manifeste aussi, bien entendu, dans l’appa-rition de nouvelles juridictions internationales.On songe par exemple au tribunal pénal inter-national pour la Yougoslavie, ou pour leRwanda - l’un et l’autre établi par le Conseil desécurité de l’ONU - et plus récemment, à lacréation de la Cour pénale internationale par leTraité de Rome du 17 juillet 1998. La Courpénale internationale n’intervient en principeque lorsque les juridictions nationales se mon-trent incapables d’intervenir et d’apporter unesolution au problème posé. On peut se deman-der si ce principe de complémentarité ne de-viendra pas la source d’une normeinternationale d’équité procédurale, de pra-tique appropriée et donc un laboratoire vérita-ble de culture juridique mixte ou pluraliste ? Pluslargement, et compte tenu de leur composition,

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peut-on imaginer que ces cours internationalesdeviennent des lieux ou la conception même dela justice et du processus judiciaire s’internatio-nalise ? Le tribunal pénal international pour laYougoslavie, pour le Rwanda, sont-ils des labo-ratoires de mixité ou de pluralisme juridique ?Ou faut-il craindre au contraire, comme l’évo-quent certains rapporteurs, que l’établissementde ces cours internationales ne soit la manifes-tation des rapports de force et des rivalités quisubsistent à l’échelle internationale ?

Et puis, finalement, comment parler d’internatio-nalisation de la justice sans constater l’accélé-ration marquée du phénomène de l’arbitragecommercial international qui opère en marge,dans ce cas, des juridictions nationales et inter-nationales ? Les juges nationaux devraient-ilsêtre préoccupés par cette marginalisation de lajustice étatique au profit d’une justice privée in-ternationale ? A l’inverse, si la marginalisationpossible de la justice étatique n’est pas une me-nace, dans quelle mesure les juridictions natio-nales devraient-elles apporter leur soutien àl’arbitrage commercial international par l’exa-men et le respect des clauses compromissoires,par l’exécution des sentences, par l’acceptationd’un cadre normatif globalisé ? Le rapport duProfesseur Bachand jette un éclairage fort utilesur ces questions.

Autant de questions soulevées par l’émergenced’un grand nombre de Cours régionales, inter-nationales, transnationales, publiques, privéesqui accélèrent l’entrelacement des institutions etdes normes et contribuent à l’internationalisationde la justice et des institutions de justice. Se dé-veloppe évidemment en même temps un ac-croissement des manifestations du droitinternational ou transnational matériel, c'est-à-dire de la dimension substantielle du droit, enparticulier en matière économique, mais aussiplus récemment en matière de droit del’Homme. Quel est l’impact de ce droit interna-

tional en croissance sur la configuration du droitnational ?

B. L’internationalisation du droit substantiel

Évidemment, le droit international s’impose àl’ordre interne. Les réponses au questionnairetransmises par les rapporteurs montrent les dif-férentes modalités de cette intégration des rè-gles internationales en droit national, qui vontde la ratification à la transposition par voie lé-gislative. Plusieurs distinctions fondamentaless’imposent : il y a d’une part les règles qui dé-coulent des traités, lesquelles sont assujetties àdes processus formels d’intégration, et d’autrepart, les règles du droit international découlantde la coutume ou des principes généraux quin’ont pas, normalement, à être intégrés formel-lement dans l’ordre interne. On évoqueraaussi l’analyse distincte qui est requise à l’égarddes règles particulières propres à certains en-sembles régionaux, qu’il s’agisse par exemplede l’intégration automatique du droit commu-nautaire dérivé, des règlements et directives quiont force de loi dans la Communauté euro-péenne sans autre formalité, des mécanismesanalogues pour les actes uniformes del’OHADA, ou encore des règles émergeant dela communauté économique des États del’Afrique de l’Ouest, de la Communauté écono-mique et monétaire de l’Afrique centrale ou del’Union économique et monétaire ouest-afri-caine.

L’ensemble de ces règles internationales entreéventuellement dans l’ordre juridique domes-tique et les pouvoirs exécutif et législatif sont lespremiers moteurs de cette intégration. Cela dit,un rôle très important est aussi confié aux jugesnationaux dans la mise en œuvre et l’interpréta-tion de ce droit international dans l’espace do-mestique. On verra par exemple dans lerapport de Madame Taxil une discussion des

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effets assez tardifs et parfois partiels de l’inté-gration par l’exécutif et le législatif des normesinternationales dans le droit interne, et de la né-cessité que ces échecs soient corrigés par uneaction plus vigoureuse et une interprétation judi-ciaire plus effective. De même, comme le sou-ligne le rapport de Monsieur Ba, les juridictionsnationales sont des partenaires essentiels desjuridictions internationales dans la mise enœuvre des décisions rendues par ces dernières,comme le montre l’expérience de la Cour pé-nale internationale.

Par ailleurs, de manière peut-être plus radicale,les juridictions nationales jouent un rôle dansl’interprétation et la mise en œuvre du droit in-ternational en droit domestique dans les cas oùl’on accepte la compétence ou juridiction uni-verselle, en particulier en matière de crimecontre l’humanité, d’atteinte aux droits fonda-mentaux de la personne humaine, de crimescontre les enfants, etc. La version la plus radi-cale de cette compétence ou juridiction univer-selle s’est manifestée dans la législation belgede 1993, aujourd’hui battue en retraite, et dontMonsieur Goethals traite en détail dans sonrapport. L’Alien Tort Claims Act aux USA donnelieu lui aussi à une forme de juridiction univer-selle par laquelle les tribunaux américains s’at-tribuent la compétence de traiter de questionsqui n’ont pas vraiment de facteurs de rattache-ment ou de motifs de rattachement étroits avecla juridiction américaine.

En dehors de ces cas assez étroits mais néan-moins très significatifs de juridiction universelle,les juridictions nationales, en matière civile, enparticulier commerciale, recherchent des fac-teurs de rattachement réels entre les litiges et lefor et restreignent donc leur intervention vis-à-visdes affaires et litiges extérieurs à leur espaceterritorial. Les principes du droit internationalprivé servent ainsi à gérer un contentieux trans-national qui est lui aussi en croissance. C’est le

deuxième thème récurrent dans les rapports na-tionaux, qui mérite qu’on s’y arrête un instant.Sur ce terrain, on s’éloigne des juridictions su-pranationales, régionales, communautairespour s’intéresser au rapport qui existe à l’hori-zontale, entre les juridictions nationales, attri-buable aux nouveaux flux et échangestransfrontaliers et à la circulation accrue desbiens et personnes.

II. Un contentieux transnational

Le droit international privé n’est pas nouveau. Ilexiste des litiges transfrontaliers depuis très long-temps, mais on constate évidemment un ac-croissement de ce contentieux transnationaldans toutes les juridictions, y compris celles dela Francophonie. Évidemment, ce contentieuxoffre des occasions de collaboration entre lesjuridictions nationales, mais génère aussi poten-tiellement un espace de compétition entre cesjuridictions nationales. Dans les rapports pré-sentés en réponse au questionnaire prépara-toire, on traite de manière assez étendue de lareconnaissance et de l’exécution du jugementétranger, des procédures d’exequatur et desnormes particulières qui prévoient, dans cer-tains ensembles régionaux ou accords bilaté-raux, la mise en œuvre automatique, sans autreformalité ou avec des formalités très réduites,des décisions rendues dans des juridictionsétrangères. Qu’on pense par exemple, àl’échelle européenne, au règlement Bruxelles 1qui favorise la libre circulation des jugementsen matière civile et commerciale au sein de laCommunauté européenne, ou encore à la col-laboration judiciaire en matière pénale, àl’échelle internationale, en particulier le rempla-cement des procédures d’extradition par unmandat d’arrêt européen et par la confiance lé-gitime réciproque que s’offrent les pays de laCommunauté Européenne.

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Que dire de ce contentieux transnational ?Quelques pistes se dégagent, ici encore enforme d’interrogations.

Première question, soit celle de l’internationali-sation du droit international privé. Évidemment,les régimes de droit international privé sont desrégimes juridiques nationaux, élaborés à l’inté-rieur de chacune des juridictions. Il y a aussi, àl’égard du droit international privé, une fortetendance à l’harmonisation des régimes menéepar les organisations internationales. A-t-on at-teint un degré de convergence suffisant ou entout cas de coordination suffisante du droit inter-national privé et de ses modèles pour assurerune juste résolution des conflits de loi dans l’es-pace ? C’est l’objet du rapport de MonsieurCastel.

Deuxième question qui résulte de l’émergencede ce contentieux transnational : assistera-t-onen même temps à l’émergence d’un marchédes ordres juridiques ? Les institutions judi-ciaires sont-elles une commodity, comme on diten anglais, un bien de consommation qu’onpeut choisir ? Des clauses d’élection de for,évidemment, existent en droit internationalprivé. Sont-elles maintenant le véhicule par le-quel les parties choisiraient les juridictions oùil fait bon vivre et où il est juste de déposer lesrecours ? Entre-t-on dans une période de forumshopping, ou même de lex shopping, c'est-à-dire ce choix que l’on peut faire du forum et ducadre juridique le plus approprié au traitementd’un litige en particulier ? Les parties choisis-sent déjà, on l’a dit, des forums d’arbitrage endroit commercial international, et rien n’exclutla possibilité d’un forum shopping à l’égarddes juridiction nationale. Sur ce terrain, onconnait les controverses qui ont émergé durapport Doing Business émis par banque mon-diale, qui a fait couler beaucoup d’encre dansles pays de droit civil.

Quant au forum shopping, les réponses aux

questionnaires sont assez minces, mais c’estd’abord en raison de l’impossibilité de mesurervéritablement le phénomène. Personne n’estvraiment assez confiant pour affirmer que sa ju-ridiction est délibérément choisie par les partiesen litige et inversement, personne n’est assezmalheureux pour affirmer que sa juridiction estboudée par les parties à un litige. Par ailleurs,évidemment, quelques règles ponctuelles assu-rent la compétence exclusive des juridictions na-tionales en certaines matières, mais il s’agit deterrains ou de champs assez restrictifs qui po-sent la question de cette ouverture des tribunauxet de ce marché des ordres juridiques. Ontrouve néanmoins quelques exemples qui mon-trent l’attractivité relative des certaines juridic-tion. Au Canada, par exemple, il y a unmarché des ordres juridiques dans la mise enœuvre des recours collectifs à l’échelle provin-ciale, qui conduit à un choix stratégique des ju-ridictions parmi les différentes provinces pourdéposer les recours collectifs. Verra-t-on, à plusgrande échelle, les juridictions européennes etafricaines se doter de régimes de recours col-lectifs, par crainte de voir les litiges déménagervers l’Amérique du Nord ?

Troisième question qui résulte de l’accroisse-ment du contentieux transnational : la questiondes conflits de valeurs, qui revient sans cessedans la discussion des processus de reconnais-sance et d’exécution des jugements étrangers.En effet, l’une des conditions récurrentes de lareconnaissance du jugement rendu à l’étrangeret leur exécution dans l’espace national estcelle de sa conformité à une notion d’ordre pu-blic. Ce dernier est formulé de manière variabledans le temps et dans l’espace. Pour beaucoupde juridictions, c’est l’ordre public national quicompte. Pour certaines juridictions, c’est unordre public international qui reste à définir, etdont le contenu n’est pas tout à fait déterminéau moment où les parties envisagent la recon-

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naissance du jugement. Que faire de cesconflits de valeur ? Dans quelle mesure etjusqu’à quel point les juridictions nationalessont-elles prêtes à faire fi de ce qui apparaîtcomme essentiel à leur ordre public national,pour assurer la courtoisie et l’exécution àl’échelle internationale de décisions qui ne heur-tent pas ce que l’on pourrait qualifier d’ordrepublic international ? Les rapports nationauxmontrent des perspectives assez divergentes surcette question.

III. La mobilité du droit

Il est indubitable que, de bon gré ou malgréeux, les juges nationaux sont au cœur du phé-nomène d’internationalisation du droit et de lajustice. Certains affirment même que les jugesnationaux sont des agents de la mondialisation.On constate, d’ailleurs, le passage de jugesdes ordres nationaux vers l’ordre international etinversement, de telle sorte que les groupes semélangent, qu’on a désormais une classe judi-ciaire internationale qui, potentiellement, seraitau cœur de ce phénomène d’internationalisa-tion. Mais même les juges nationaux partici-pent à la mobilité du droit. Il s’agit ici non plusde la mobilité des parties ou de la mobilité ducontentieux ou même de la création d’institu-tions internationales qui conduisent à l’imposi-tion de normes internationales dans l’ordreinterne, mais plutôt de la mobilité du droit lui-même, des valeurs et des modèles juridiques, etde l’apparition d’un espace de dialogue entreles juges et les juristes.

Que dire de cette conversation continue desjuges à l’échelle mondiale, de ce « commercedes juges », pour reprendre l’expression d’An-toine Garapon ? J’évoque ici trois enjeux, tou-jours en forme d’interrogation.

Se pose d’abord la question de la place dudroit comparé et des greffes de normes formu-

lées à l’étranger à l’intérieur d’un ordre interne.Ici, curieusement, peu de rapports nationaux in-diquent que leur juridiction accorde une impor-tance significative au droit comparé ou qu’ellerecourt au droit étranger dans la résolution deslitiges en droit national. Le Canada, comptetenu de son histoire juridique et de sa traditionmixte, fait exception. L’Ile Maurice aussi, pourdes motifs analogues. Les rapports de Mada-gascar, du Mali, de la Suisse et du Tchad mon-trent aussi un certain intérêt pour le droitcomparé. S’il faut admettre que le commercedes juges ne peut que s’accentuer, à l’échellemondiale, les questions de méthode du droitcomparé se poseront très certainement. Com-ment, en effet, utiliser le savoir qui résulte deces échanges accélérés que nous avons les unsavec les autres ? À quelles conditions peut-onfaire usage des normes développées à l’étran-ger ? A quelles fins, pour quoi faire ? Les rap-ports des professeurs Hourquebie et Valckesoulignent avec justesse toutes les embûches,mais aussi tous les bénéfices, du droit comparé.

Le deuxième enjeu est celui de la formation desjuges. S’il est vrai que les juges nationaux sontconfrontés au quotidien au phénomène d’inter-nationalisation du droit et de la justice, quellesconséquences cela emporte-t-il pour la forma-tion des juges ? Doit-on mieux former les jugessur les pratiques, principes, modalités du droitinternational ? Doit-on mieux former les juger surles principes, pratiques, orientations du droitcomparé ? Doit-on favoriser des échanges d’in-formations, des cadres formels pour le dia-logue, des régimes internationaux quiserviraient cette croissance d’une classe judi-caire internationale ?

Le troisième enjeu est celui de la culture juri-dique civiliste. S’il est vrai que les juges natio-naux sont au cœur d’un phénomèned’internationalisation du droit et de la justice,quelles sont les conséquences particulières de

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ce phénomène pour la Francophonie ? Quellessont les conséquences particulières de ce phé-nomène pour les traditions de droit civil qui sontdominantes au sein de la Francophonie ? D’au-cuns affirment que les juridictions nationales dela Francophonie sont à la croisée des chemins,qu’elles sont maintenant confrontées à ce choixde l’internationalisation et de la place accruedu droit comparé dans l’élaboration desnormes dans la quête des meilleures solutions.Les juges civilistes se distinguent-ils à cet égardde leurs collègues des juridictions de CommonLaw où le juge se définit moins par son rapportà la nation, à son pays que par son rapport àla tradition de Common Law ? Faut-il admettreau contraire que les juges civilistes ont un ratta-chement identitaire beaucoup plus serré avecl’ordre national au sein duquel ils opèrent, etqu’ils ont, de ce fait, un chemin plus ardu àfranchir pour parvenir à cet effort d’internationa-lisation de la justice et du droit ?

Conclusion

J’en arrive, au terme de ce bref rapport intro-ductif, à la question la plus fondamentale : L’in-ternationalisation du droit, de la justice, est-elleun état de fait ou une aspiration ? Souhaite-t-onune internationalisation accrue des institutionsde justice, une internationalisation accrue dudroit ? A quelles fins ? Sur ce terrain, on trouvedans les rapports nationaux, en filigrane, à lafois un certain enthousiasme cosmopolitique,mais aussi une certaine défense souverainiste,une certaine conception des ordres juridiquesqui est relativement imperméable, du moins surle plan formel, à l’influence du reste du monde,du droit international, et du droit comparé.

Il faut néanmoins poser cette question des fina-lités de l’internationalisation de la justice, au-delà de l’exotisme et de la fausse modernité dudialogue entre les juges. La finalité première

serait peut-être d’assurer que les institutions dejustice, nationales et internationales, servent vé-ritablement la coopération et la gouvernance àl’échelle globale pour mieux répondre auxgrands enjeux mondiaux: la santé et la sécuritédes habitants de cette planète, le respect deleur dignité d’êtres humains, la gouvernance dé-mocratique, la préservation des écosystèmes,le développement durable, l’éradication de lapauvreté, le partage de la richesse à l’échelleplanétaire. La justice internationalisée doit ré-pondre à ces grands enjeux internationaux,sinon, elle n’a pas de sens à long terme.

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Atelier IRapports juridictionnelsentre les juridictions nationales et internationales

Président de séance :Monsieur Ndongo FALLprésident de la Cour commune de justiceet d'arbitrage de l'Ohada

Autorité juridictionnelle des cours interna-tionales à l’égard des cours nationales : le cas de la Cour de Justice de l’UEMOA.Monsieur Abraham D. ZINZINDOHOUE,ancien Ministre, ancien Président de laCour Suprême du Bénin et de la Cour deJustice de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)

L’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine(UEMOA) a été créée par le Traité de Dakar du10 janvier 1994 et regroupait à l’origine les septpays de l’Afrique de l’Ouest ayant en communl’usage du Franc CFA (Bénin, Burkina Faso, Côted’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo).

Le Traité est entré en vigueur le 1er août 1994,après sa ratification par les États membres.

La Guinée-Bissau est devenue le 8e État mem-bre de l’Union, le 02 mai 1997 en conformitéd’un accord d’adhésion.

Sans préjudice des objectifs définis dans leTraité de l’Union Monétaire Ouest Africaine(UMOA), l’UEMOA poursuit, dans les condi-tions établies par le Traité de Dakar, la réalisa-tion des objectifs ci-après :

- Renforcer la compétitivité des activités écono-miques et financières des États membres dansle cadre d’un marché ouvert et concurrentiel etd’un environnement juridique rationalisé et har-monisé ;

- Assurer la convergence des performances etdes politiques économiques des États membrespar l’institution d’une procédure de surveillancemultilatérale ;

- Créer entre États membres un marché communbasé sur la libre circulation des personnes, desbiens, des services, des capitaux et le droit d’éta-blissement des personnes exerçant une activité in-dépendante ou salariée, ainsi que sur un tarifextérieur commun et une politique commerciale ;

- Instituer une coordination des politiques secto-rielles nationales, par la mise en œuvre d’actionscommunes et éventuellement de politiques com-munes notamment dans les domaines suivants :ressources humaines, aménagement du territoire,transports et télécommunications, environnement,agriculture, énergie, industrie et mines ;

- Harmoniser, dans la mesure nécessaire au bonfonctionnement du marché commun, les législa-tions des États membres et particulièrement lerégime de la fiscalité.

Pour atteindre ces objectifs, le Traité del’UEMOA1 a mis en place un certain nombred’Organes qui agissent dans la limite des attri-butions qui leur sont conférées et dans les condi-tions prévues par les Traités de l’UMOA et del’UEMOA. Il s’agit de :

- la conférence des Chefs d’État et de Gouver-nement qui définit les grandes orientations de lapolitique de l’Union ;

- du Conseil des Ministres, dont le rôle est d’assu-rer la mise en œuvre des orientations généralesdéfinies par la Conférence des Chefs d’État et deGouvernement. Il peut, dans ce domaine, délé-guer à la Commission l’adoption des règlementsd’exécution des actes qu’il édicte.

- de la Commission, qui joue un rôle centraldans le dispositif institutionnel de l’Union car,politiquement indépendante des gouvernementsnationaux, elle sert de trait d’union entre

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l’Union, les États membres, les États tiers et au-tres Organisations internationales dans un sys-tème où, les États membres restent des payssouverains et indépendants mais exercent unepartie de leur souveraineté en commun, afind’acquérir sur le plan économique une situationet une influence qu’aucun d’entre eux ne pour-rait posséder seul.

- Mais au-delà de ce rôle, la Commission s’estvue reconnaître de larges pouvoirs sur lesquelselle doit s’appuyer pour faire atteindre à l’UE-MOA, les objectifs qu’elle s’est fixée. C’estainsi que l’article 26 du Traité lui confère, envue du bon fonctionnement et de l’intérêt géné-ral de l’Union, des pouvoirs propres qui sontcomplétés par d’autres attributions émanant soitdu même Traité (Droit primaire), soit du droit dé-rivé UEMOA (Règlements, Directives, Déci-sions, etc.).

- Au total, la Commission de l’UEMOA disposede compétences diverses regroupées, de manièrenon exhaustive, dans les domaines de l’exécutionet de la gestion, de la coopération internationale,de l’impulsion de la construction communautaire etde l’application du droit communautaire.

- de la Cour des Comptes dont la mission estd’assurer le contrôle de l’ensemble des comptesdes organes de l’Union, tant du point de vuede la régularité que de l’efficacité de l’utilisationdes ressources ;

- de la Cour de Justice qui, aux termes des dis-positions de l’article 1er du Protocole addition-nel n° I, est chargée de veiller au respect dudroit quant à l’interprétation et à l’applicationdu Traité de l’Union. Le poids de la Cour deJustice dans l’architecture institutionnelle et lerôle qu’elle doit jouer dans l’atteinte des objec-tifs de l’Union sont donc considérables. En effet,si la violation des normes adoptées doit restersans sanction, on peut affirmer sans se tromperqu’il n’y aura point d’intégration effective. La

Cour de Justice de l’UEMOA exerce sa missionà l’intérieur d’un système juridique propre à cetespace, sur la base d’une compétence d’attri-bution découlant des dispositions des articles38 du Traité, 1er, 5 à 17 du Protocole addi-tionnel n°1 relatif aux organes de contrôle etdes textes subséquents, conformément à uneprocédure spécifique et en collaboration avecles tribunaux des États membres dans le cadred’un dispositif qui intègre les deux systèmes qui,quoique différents, ont tous les caractères d’uneorganisation juridictionnelle interne.

A côté de ces Organes, le Traité a égalementcréé au sein de l’Union, un Comité Interparle-mentaire (Organe de contrôle parlementaire,en attendant la création d’un Parlement del’Union), des organes consultatifs et des institu-tions spécialisées autonomes (BCEAO etBOAD) qui concourent également à la réalisa-tion des objectifs de l’Union.

La mise en œuvre d’un processus d’intégrationéconomique nécessite toujours, au-delà duTraité qui en constitue le socle, la production etl’application de normes juridiques destinées àla poursuite d’objectifs prédéfinis.

Des structures ayant vocation à l’intégration éco-nomique ou à l’harmonisation juridique existent enAfrique. On peut en citer la Communauté Écono-mique des États de l’Afrique de l’Ouest (CE-DEAO), la Communauté Économique etMonétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), l’Or-ganisation pour l’Harmonisation en Afrique duDroit des Affaires (OHADA), l’Union Économiqueet Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)… Au-cune d’elle n’a échappé à la règle consistant àproduire ses propres normes, lesquelles normespriment sur les droits nationaux.

En effet, le principe de primauté a été posé parla Cour de Justice des Communautés Euro-péennes sur la base d’une interprétation glo-bale du système communautaire et eu égard à

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l’absence d’une clause générale de supériorité dudroit communautaire sur les droits nationaux dansles traités constitutifs dont elle a pour mission d’as-surer l’interprétation et l’application uniforme2.

Le principe de primauté est celui selon lequel l’en-semble du droit communautaire prime sur l’ensem-ble du droit national. Cela signifie qu’en cas decontradiction entre une norme communautaire etune norme nationale, il conviendra toujoursd’écarter la seconde au profit de la première.

Ce principe de primauté est repris dans les Trai-tés instituant les Organisations africaines préci-tées, notamment à article 6 du Traité UEMOA.Il résulte de cet article 6 que « Les actes arrêtéspar les organes de l'Union pour la réalisationdes objectifs du présent Traité et conformémentaux règles et procédures instituées par celui-ci,sont appliqués dans chaque État membre no-nobstant toute législation nationale contraire,antérieure ou postérieure. »

Ce principe permet donc à lui seul d’entrevoirla manifestation d’une certaine autorité juridic-tionnelle des Cours communautaires à l’égarddes Cours nationales.

Dans l’espace couvert par l’Union Économique etMonétaire Ouest Africaine, {où nous allons cir-conscrire notre intervention} cette autorité juridic-tionnelle de la Cour communautaire à l’égard desCours nationales se manifeste dans la nature ho-rizontale ou verticale de la relation existante entrela Cour communautaire et les Cours nationales.

Ainsi, l’autorité juridictionnelle qui découle de larelation horizontale se manifeste à travers le mé-canisme mis en place pour permettre à la Courde Justice de l’UEMOA de veiller au respect dudroit quant à l’interprétation et à l’applicationdu droit communautaire, le recours préjudiciel,tandis que celle découlant de la relation verti-cale se manifeste à travers la force attachéeaux décisions de la Cour de Justice commu-nautaire.

Faut-il le rappeler, la Cour est compétente,selon l’article 15, du Règlement n°01/96/CMportant règlements de procédure de la Cour deJustice de l’UEMOA, pour connaître :

- du recours en manquement ;

- du recours en appréciation de légalité (ou enannulation) ;

- du plein contentieux de la concurrence ;

- du recours du personnel de l’Union,

- du recours en responsabilité (non contrac-tuelle) ;

- du recours préjudiciel ;

- des avis, des recommandations ;

- des clauses d’arbitrage.

De tous ces recours, c’est le recours préjudicielqui nous permet de mettre en exergue les rap-ports horizontaux (I) d’une part et les rapportsverticaux (II) d’autre part, entre la Cour com-munautaire de l’UEMOA et les juridictions natio-nales des pays membres de l’Union.

I. Les rapports horizontaux ou apparentehorizontalité

Le mécanisme du recours préjudiciel est le sym-bole de la relation horizontale entre la Cour deJustice de l’UEMOA et les Cours nationales et lamanifestation de l’apparence d’absence d’auto-rité juridictionnelle de la Cour communautaire.

Le recours préjudiciel est une procédure par la-quelle une juridiction nationale ou une autoritéà fonction juridictionnelle pose à la Cour de Jus-tice une question portant sur l’interprétation oul’appréciation de la légalité, c'est-à-dire la vali-dité d’une norme communautaire, dans un litigedont elle est saisie.

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C’est le procédé technique choisi par le légis-lateur communautaire pour assurer l’applicationuniforme du droit communautaire, plus exacte-ment pour assurer en toutes circonstances, à cedroit, le même effet dans tous les États membresde l’Union.

Ainsi, il apparaît comme dialogue de juge àjuge, c'est-à-dire qu’il constitue un mécanismede coopération judiciaire au service des Étatsmembres. Comme tel, il permet aux juridictionsdes États membres qui sont appelées à appli-quer le droit communautaire aux litiges portésdevant elles, de prononcer le sursis à statuer etd’interroger la Cour de Justice sur l’interprétationou la validité de la norme communautaire.

A. Le recours préjudiciel en interprétation

L’interprétation demandée peut porter sur l’en-semble du droit communautaire de l’Union. Elleest nécessaire pour garantir l’interprétation etl’appréciation uniforme du droit communautaireUEMOA.

Toutefois, la Cour de Justice interprète sans pourautant appliquer, parce que l’interprétation don-née par la Cour de Justice ne doit pas compor-ter une application du droit communautaire àune affaire donnée ; la Cour de Justice n’étantpas appelée à trancher directement le cas sou-mis au juge national.

L’utilisation de l’interprétation donnée par laCour de Justice relève toujours et exclusivementdu juge national.

L’interprétation donnée par la Cour de Justicedoit être suffisamment concrète pour être utile àla juridiction de renvoi, c'est-à-dire que la Courde Justice doit se borner à fournir au juge natio-nal les éléments d’appréciation qui lui sont né-cessaires en l’éclairant sur le sens et la portéedu droit communautaire.

B. Le recours préjudiciel en validité

Le recours préjudiciel vise également à appré-cier la validité c'est-à-dire la légalité des actesénumérés plus haut mais résultant du droit dé-rivé. En effet, aux termes de l’article 12 du Pro-tocole Additionnel N°1 «la Cour de Justicestatue à titre préjudiciel, sur l’interprétation duTraité de l’Union… », Ce qui exclut de l’appré-ciation de validité, le Traité, les Protocoles Ad-ditionnels et Actes additionnels pris par laConférence des Chefs d’État et de Gouverne-ment.

Toutefois, dans le cadre du contentieux de laFonction Publique Communautaire, un recoursen annulation ou appréciation en légalité d’unActe Additionnel (recours direct) a pu prospérerdans une célèbre affaire : Eugène YAÏ contre laConférence des Chefs d’État et de Gouverne-ment de l’UEMOA.

Cette affaire n’a connu son épilogue qu’auterme de trois arrêts : Arrêts n°3/2005 du 27avril 2005 ; n° 01/2006 du 05 avril 2006 etArrêt n°01/2008 du 30 avril 2008. Tousconfirment la compétence de la Cour qui faitainsi œuvre jurisprudentielle et qui fait une dis-tinction fondamentale au plan de la doctrineentre Acte additionnel de portée générale « LesActes additionnels au Traité de l’Union qui lecomplètent sans pour autant le modifier » et «Acte Additionnel à portée individuelle qui estsusceptible de faire grief ».

Les premiers analysés comme Actes de gouver-nement sont inattaquables devant la Cour etjouissent de l’immunité de juridiction, alors quele second est susceptible de recours en annula-tion ou appréciation de légalité.

L’appréciation en validité, dans le cadre d’unrecours préjudiciel, est en réalité une apprécia-tion en légalité. C’est pourquoi, lorsqu’elle sta-tue, la Cour de Justice à l’instar de la Cour deJustice des Communautés Européennes (CJCE),

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se borne à mentionner dans son dispositif « ditpour droit » ou l’acte visé est « invalide ».

La Cour de Justice ne peut prononcer l’annula-tion de l’acte déclaré invalide. Cette faculté ap-partient à l’institution ou l’organe dont il émane.

Les autorités nationales doivent rapporter lesactes pris sur le fondement ou en applicationde l’acte déclaré « invalide ».

La conséquence est que les juridictions natio-nales sont habilitées à donner suite à l’excep-tion d’illégalité qui a motivé le renvoi enécartant l’application de l’acte dans l’affairedont elles sont saisies au principal.

En conséquence de ce qui précède, on peut direqu’en apparence, le mécanisme du recours pré-judiciel n’apparaît pas comme la manifestationde l’autorité juridictionnelle de la Cour commu-nautaire à l’égard des Cours nationales.

En réalité, même en l’absence d’un rapport hié-rarchique parfait, l’apparence sus-décrite esttrompeuse. En effet, le mécanisme du recourspréjudiciel doit obligatoirement être usité parles Cours nationales dans certains cas (A) et lecontenu des arrêts rendus dans ce domaines’impose aux Cours nationales (B), ce quiconstitue la manifestation d’une autorité hiérar-chique. Le mécanisme d’exécution des arrêts dela Cour de Justice de l’UEMOA (C) en est uneautre manifestation.

II. Les rapports verticaux ou véritable verticalité

Le recours préjudiciel consacre les manifesta-tions de l’autorité juridictionnelle de la Cour deJustice de l’UEMOA à l’égard des Cours natio-nales dans le cadre d’une relation verticale.

A. L’obligation pour les cours nationales derecourir au mécanisme du recours préjudiciel

Aux termes de l’article 12 du Protocole Addition-nel n°1, la Cour statue à titre préjudiciel sur l’inter-prétation du Traité de l’Union, sur la légalité etl’interprétation des actes pris par les Organes del’Union, sur la légalité et l’interprétation des statutsdes organismes créés par un acte du Conseilquand une juridiction nationale ou une autorité àfonction juridictionnelle est appelée à en connaîtreà l’occasion d’un litige.

Les juridictions nationales statuant en dernier res-sort sont tenues de saisir la Cour de Justice. Pources juridictions donc, le recours préjudiciel est uneobligation, si et seulement, se pose une questiond’interprétation ou d’appréciation de validité d’unacte de droit communautaire à leur niveau.

La saisine de la Cour de Justice par les autresjuridictions nationales ou les autorités à fonctionjuridictionnelle est facultative.

L’importance du recours préjudiciel comme mé-canisme de coopération entre la Cour de jus-tice de l’UEMOA et les juridictions des Étatsmembres est réaffirmée par l’article 14 du Pro-tocole Additionnel n°1.

En effet, cet article dispose que « Si à la re-quête de la Commission, la Cour de Justiceconstate que, dans un État membre, le fonction-nement insuffisant de la procédure de recourspréjudiciel permet la mise en œuvre d’interpré-tations erronées du Traité de l’Union, des actespris par les Organes de l’Union ou des statutsdes organismes créés par un acte du Conseil,elle notifie à la juridiction supérieure de l’Étatmembre, un arrêt établissant des interprétationsexactes. Ces interprétations s’imposent à toutesles autorités administratives et juridictionnellesdans l’État concerné ».

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En conséquence de ce qui précède, un Étatmembre dont les juridictions ne respectent pasl’obligation de recourir au mécanisme du re-cours préjudiciel pourrait se voir rappeler à l’or-dre ou condamner pour manquement à sesobligations sur poursuites initiées par la Com-mission.

Il existe cependant des dispenses par rapport àl’obligation d’utiliser le mécanisme du recourspréjudiciel. Il en est ainsi dans le cas de ce queles théoriciens du droit ont appelé « la théoriede l’acte clair ».

En effet, pour les Cours nationales, l’obligationd’utiliser le mécanisme du recours préjudiciel dis-paraît au cas où l’application correcte du droitcommunautaire peut s’imposer avec une évidencetelle qu’elle ne laisse aucun doute raisonnable surla manière de résoudre la question posée.

La CJCE dans une affaire CILFIT du 6-10-1982,Affaire 283/81- Recueil page 314, a égale-ment posé les bases d’une autre dispense enjugeant en ces termes « le juge national est dis-pensé de l’obligation de saisir la Cour d’unequestion matériellement identique à une ques-tion ayant déjà fait l’objet d’une décision à titrepréjudiciel3».

B. L’obligation pour les cours nationales derespecter le contenu des arrêts rendus surrenvoi préjudiciel

Cette obligation se manifeste à travers la forceobligatoire et la portée générale de l’arrêtrendu sur renvoi préjudiciel.

La force obligatoire signifie que la décision dela Cour de Justice donne une réponse obliga-toire à la question qui lui a été posée dans lecadre du litige principal et que la juridiction na-tionale est liée par la réponse donnée par laCour de Justice.

La Cour de Justice des Communautés Euro-péennes a précisé cette force obligatoire desdécisions préjudicielles en disposant que l’arrêtpréjudiciel lie le juge national pour la solutiondu litige au principal, et a l’autorité de la chosejugée (CJCE ord.5 mars 1986 Aff. Wunsche.69/85 Rec. 947).

Cependant le juge national peut toujours réinter-roger la Cour de Justice avant de trancher le litigelorsqu’il se heurte à des difficultés de compréhen-sion ou d’application de l’arrêt ; lorsqu’il pose àla Cour une nouvelle question de droit ou lorsqu’illui soumet de nouveaux éléments d’appréciationsusceptibles de conduire la Cour à répondre dif-féremment à une question déjà posée.

La portée générale signifie que l’arrêt préjudi-ciel a des effets, au-delà des juridictions natio-nales saisies du litige principal, à l’égard desparties à d’autres litiges similaires devant n’im-porte quelle juridiction de l’ensemble des Étatsmembres de l’Union.

Par exemple l’interprétation donnée par la Courde Justice dans un arrêt préjudiciel s’impose àl’ensemble des juridictions des États membresqui doivent l’appliquer scrupuleusement à l’en-semble des affaires dans lesquelles le texteconcerné est invoqué.

Si la Cour de Justice déclare invalide un acte,l’arrêt en appréciation de validité va avoir uneportée générale parce que tous les juges desÉtats membres auront l’obligation de refuserd’en faire application à chaque fois qu’une ex-ception d’illégalité est soulevée.

Aux termes de l’article 13 du Protocole Addi-tionnel n° 1, « les interprétations formulées parla Cour de Justice dans le cadre de la procé-dure de recours préjudiciel, s’imposent à toutesles autorités administratives et juridictionnellesdans l’ensemble des États membres. L’inobser-vation de ces interprétations peut donner lieu àun recours en manquement. »

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C. Le mécanisme d’exécution des arrêts dela Cour de Justice de l’UEMOA

Dans le cadre de la mise en œuvre des normescommunautaires UEMOA, il était absolument né-cessaire d’accorder une place importante à l’exé-cution effective des arrêts rendus par la Cour deJustice à l’encontre des auteurs de violations. Eneffet, l’inexécution de ces arrêts peut rendre ledroit communautaire inopérant et illusoire au pré-judice des objectifs de la communauté et partant,de l’économie des États membres.

Le législateur UEMOA a plus ou moins fait decette question, une préoccupation majeure. La so-lution qu’il a proposée n’écarte pas cependantles possibilités d’interprétation.

En effet, si les arrêts de la Cour de Justice sontobligatoires en vertu des articles 20 du Protocoleadditionnel n° 1 et 57 du Règlement de procé-dures4, la question se pose de savoir si ces dispo-sitions suffisent à permettre leur exécution dans lesÉtats membres sans la formalité de l’exéquatur.

L’occasion n’a pas encore est donnée à la Courde Justice de se prononcer sur la question. Maisnous pensons que l’intervention du principe deprimauté du droit communautaire sur le droit na-tional des États permet d’aller dans le sens del’exécution sans exéquatur et par applicationdes procédures nationales.

La pertinence juridique de cette position s’ap-puie également sur l’article 46 du Traité qui pré-cise que les décisions du Conseil des Ministresou de la Commission de l’UEMOA qui compor-tent, à la charge des personnes autres que lesÉtats, une obligation pécuniaire forment titreexécutoire, et qui ajoute que :

- si l’exécution forcée de ces titres est régie par lesrègles de procédure civile en vigueur dans l'Étatsur le territoire duquel elle a lieu, la formule exé-cutoire est apposée, sans autre contrôle que celuide la vérification de l'authenticité du titre, par l'au-

torité nationale que le Gouvernement de chacundes États membres désignera à cet effet ;

- après l'accomplissement de ces formalités,l'exécution forcée peut être poursuivie en saisis-sant directement l'organe compétent selon la lé-gislation nationale ;

- l'exécution forcée ne peut être suspenduequ'en vertu d'une décision de la Cour de Justicede l’UEMOA et non de l’État membre dans le-quel elle a lieu...

Il résulte de ce qui précède que dans ce do-maine, les Cours nationales n’ont aucun moyende contrôler la régularité des titres exécutoiresd’origine communautaire et doivent tout simple-ment en assurer l’exécution effective selon lesprocédures nationales.

Il s’y ajoute, pour le cas particulier de l’exécu-tion des arrêts rendus sur recours en manque-ment5 qui constatent qu'un État membre amanqué à une des obligations qui lui incom-bent en vertu du Traité de l'Union, cet État esttenu de prendre les mesures que comportel'exécution des arrêts de la Cour.

Cela veut dire que tous les organes de l'État mem-bre concerné, y compris les Cours nationales, ontl'obligation d'assurer, dans les domaines de leurspouvoirs respectifs, l'exécution desdits arrêts caraucun État membre ne peut se retrancher derrièrel’indépendance de sa Justice.

Conclusion

Malgré tout ce qui précède, il y’a lieu d’insistersur l’absence de rapport hiérarchique, au sensde ce que l’on peut trouver dans une organisa-tion judiciaire interne, entre les Cours nationaleset la Cour de Justice de l’UEMOA.

Mais la mise en œuvre du principe de primautéimplique pour le juge national, l’obligationd’écarter sa propre loi nationale au profit de la

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norme communautaire chaque fois qu’elle estcontraire à cette dernière ou qu’elle empêcheson invocation par un justiciable.

Il en résulte que « Le juge national chargé d’ap-pliquer, dans le cadre de sa compétence, lesdispositions du droit communautaire, a l’obliga-tion d’assurer le plein effet de ces normes, enlaissant au besoin inappliquée, de sa propreautorité, toute disposition contraire de la légis-lation nationale, même postérieure, sans qu’ilait à demander ou à attendre l’élimination préa-lable de celle-ci par voie législative ou par toutautre procédé constitutionnel6 ».

Cette obligation, au-delà du fait qu’elle s’inscritdans la nécessité d’assurer la pérennité aux Ins-titutions d’intégration, explique toute la questionde l’autorité juridictionnelle exprimée plus hautentre les Cours nationales qui, en tant que jugesde droit commun du droit communautaire doi-vent s’en référer, dans l’objectif de recueillirl’exacte interprétation de ce droit, à la Courcommunautaire et cette dernière dont la missionest d’assurer le respect du droit dans l’interpré-tation et l’application du Traité.

Les méthodes de saisine des tribunaux internationauxMadame Andrésia Vaz, Juge à la Chambred’appel commune au Tribunal pénal interna-tional pour le Rwanda et au Tribunal pénalinternational pour l’ex-Yougoslavie

I. Juridiction internationalepénale

Pour respecter le temps qui m’est imparti, mon pro-pos portera sur la saisine d’instances internatio-nales pénales, soit les deux tribunauxinternationaux pénaux ad hoc des Nations Unies(ci-après « TPI ») et la Cour pénale internationale

et leur interaction avec les juridictions nationales.Par ailleurs, il est difficile de parler de saisine sansintroduire les différentes compétences de ces juri-dictions; aussi vais-je les présenter brièvementpour une meilleure compréhension du cadre nor-matif de l’exercice de la saisine en matière de jus-tice pénale internationale.

A. Juridiction ad hoc : Les TPI

1. Les compétences

a. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

Le Conseil de sécurité des Nations Unies (ci-après « Conseil de sécurité ») a adopté le 25mai 1993, en vertu du Chapitre VII de la Chartedes Nations Unies, le Statut du Tribunal pénal in-ternational pour l’ex-Yougoslavie (ci-après « TPIY») par résolution 8277. Ainsi la saisine du TPIY,qui provient initialement du Conseil de sécurité,est mise en œuvre par le Statut du TPIY. Ilconvient de rappeler que la seule personne ha-bilitée à engager des poursuites devant le TPIYest le Procureur. Ni la victime, ni une organisa-tion non gouvernementale, ni un gouvernementn’ont qualité pour les déclencher8.

Le TPIY est habilité à juger les personnes phy-siques présumées responsables de violationsgraves du droit international humanitaire com-mises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie9. Sescompétences ratione loci et ratione temporiss’étendent au territoire de l’ex-Yougoslavie pourles crimes qui ont été commis depuis 199110.

Le TPIY a compétence ratione personae sur lespersonnes physiques seulement11. Ainsi, le TPIYpeut juger toute personne, quelle que soit sa na-tionalité, pour des crimes commis sur le territoirede l’ex-Yougoslavie. En outre, cette compétencen’est pas limitée à juger des personnes d’uneposition hiérarchique spécifique. En effet, uncertain nombre d’accusés de grades inférieurs

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au sein soit de l’armée, soit de la police ou quin’avaient pas de position officielle ont été pour-suivis et condamnés par le Tribunal12.

La compétence ratione materiae du TPIY se li-mite aux crimes suivants: infractions graves auxConventions de Genève de 194913, violationsdes lois ou coutumes de la guerre14 , géno-cide15 et crimes contre l’humanité16 .

b. Le Tribunal pénal international pour leRwanda

Le Conseil de sécurité a décidé la création duTribunal pénal international pour le Rwanda (ci-après « TPIR ») et de son Statut par résolution95517 du 8 novembre 1994. À l’instar du TPIY,la saisine du TPIR vient du Conseil de sécuritéet seul le Procureur du TPIR peut mener des en-quêtes et saisir le Tribunal; les victimes, institu-tions ou gouvernements ne peuvent donc pasintroduire un recours devant le TPIR.

Comparativement au TPIY, le Statut du TPIR ha-bilite le Tribunal à juger : a) les personnes pré-sumées responsables de violations graves dudroit international humanitaire commises sur leterritoire du Rwanda ainsi que, b) les citoyensrwandais présumés responsables de telles vio-lations commises sur le territoire d’États voi-sins18. Comme au TPIY, la compétence rationepersonae du TPIR s’applique à l’égard des per-sonnes physiques seulement19.

La compétence du TPIR, pour les crimes commisau Rwanda, s’apparente à celle du TPIY, bienqu’elle soit plus large en incluant les crimescommis sur le territoire des États voisins, en cequ’elle s’applique à toute personne présuméecoupable de crimes commis dans cet État,quelle que soit sa nationalité20. En effet, dansl’affaire Georges Ruggiu, l’accusé, un journa-liste de nationalité italienne et belge, a été dé-claré coupable d’incitation directe et publique

à commettre le génocide et de crime contrel’humanité au Rwanda, pour lesquels il a étécondamné à 12 ans de prison après avoirplaidé coupable21.

Toutefois, la compétence ratione temporis estplus restreinte que celle prévue au TPIY car ellese limite à une année : du 1er janvier au 31 dé-cembre 199422. La Chambre d’appel, dansl’affaire Nahimana et al., a d’ailleurs confirmécette compétence temporelle23.

Enfin, le TPIR a compétence ratione materiaesur les crimes suivants : génocide24, crimescontre l’humanité25 et violations de l’article 3commun aux Conventions de Genève et du Pro-tocole additionnel II26.

À la différence des crimes perpétrés sur le territoirede l’ex-Yougoslavie, ceux commis au Rwandal’ont été dans le cadre d’un conflit interne unique-ment ; d’où l’absence des termes « crimes deguerre » parmi les faits répréhensibles énumérésdans les trois libellés des crimes précités27. Ce quiexplique également pourquoi le Statut du TPIRcontient une disposition sur l’application de « l’Ar-ticle 3 commun aux Conventions de Genève etdu Protocole additionnel II28 » plutôt que sur les «Conventions de Genève de 1949 »29 commec’est le cas pour le Statut du TPIY.

2. L’acte d’accusation aux TPI

a. La confirmation de l’acte d’accusation

Lorsque le Procureur décide d’engager des pour-suites, il établit un acte d’accusation « dans lequelil expose succinctement les faits et le crime ou lescrimes qui sont reprochés à l’accusé»30.

L’acte d’accusation est ensuite transmis à unjuge de la Chambre de première instance31 quil’examinera32.

Le juge saisi de l’acte d’accusation examinechacun des chefs d’accusation et tout élément

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que le Procureur pourrait présenter à l’appui deces chefs, afin de décider si un dossier peut êtreétabli contre le suspect33. Plus spécifiquement,il pourra alors demander au Procureur de pré-senter des éléments supplémentaires, confirmerl’acte d’accusation, le rejeter, ou enfin surseoirà l’examen afin de permettre au Procureur demodifier l’acte d’accusation34.

Si le juge rejette l’acte d’accusation, le Procu-reur pourra toujours soumettre ultérieurement unnouvel acte modifié35. Lorsque le juge choisitde confirmer l’acte d’accusation, il peut délivrerun mandat d’arrêt et par conséquent le suspectacquiert le statut d’accusé36. Sous réserve decirconstances exceptionnelles justifiant la non-divulgation publique37, l’acte d’accusation estrendu public après sa confirmation38.

Par ailleurs, tant que le juge n’a pas confirmél’acte d’accusation, le Procureur peut le modi-fier39 ou le retirer40 et ce, sans autorisationpréalable.

b. La signification de l’acte d’accusation et lapurge de vices affectant l’acte d’accusation

L’acte d’accusation est ensuite signifié à l’ac-cusé en personne lorsqu’il est placé sous lagarde du Tribunal41 sinon le plus tôt possible ul-térieurement42 ou dans un délai aussi raisonna-ble que possible43. Les différents chefsd’accusation et les faits matériels sur lesquelssont fondés lesdits chefs doivent être détaillésafin que l’accusé soit suffisamment informé desfaits allégués. En effet, la Chambre d’appel aprécisé que « [l]es accusations portées et lesfaits essentiels qui les sous-tendent doivent êtreexposés de manière suffisamment précise dansl’acte d’accusation pour informer l’accusé descharges qui pèsent contre lui »44.

De fait, le manque de précision d’un acte d’ac-cusation le vicie. Cependant, ce vice peut être

purgé si le Procureur communique à l’accuséen temps voulu des informations claires et co-hérentes qui détaillent les faits matériels sur les-quels reposent les accusations portées contrel’accusé45. Par exemple, une déclaration de té-moin, associée à des « informations non am-biguës » contenues dans un mémoire préalableau procès du Procureur et dans ses annexespeuvent suffire à couvrir le vice qui entachaitl’acte d’accusation46.

c. La modification de l’acte d’accusationaprès sa confirmation

Au TPIY, le Procureur peut encore modifier l’acted’accusation après sa confirmation mais avantl’affectation de l’affaire à une chambre de pre-mière instance. Dans ce cas de figure, toutemodification de l’acte d’accusation requiertl’autorisation du juge l’ayant confirmé ou, d’unjuge désigné par le Président47. Après l’affecta-tion de l’affaire, la modification de l’acte sefera sur autorisation de la Chambre48.

Au TPIR, le Procureur peut également modifierl’acte d’accusation après sa confirmation maisavant la comparution de l’accusé devant uneChambre de première instance. Toute modifica-tion requiert l’autorisation du juge l’ayantconfirmé ou, dans des circonstances exception-nelles, celle d’un juge désigné par le Prési-dent49. Au moment de la comparution initialeou par la suite, l’acte d’accusation ne pourraêtre modifié que sur autorisation d’une Cham-bre de première instance50.

Si l’accusé a déjà comparu et que l’acte d’ac-cusation modifié comporte de nouveaux chefsd’accusation, une nouvelle comparution auralieu dès que possible pour permettre à l’accuséd’indiquer son plaidoyer au vu des nouveauxchefs51.

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d. Comparution de l’accusé, le plaidoyer del’accusé et l’accord sur le plaidoyer

Après son transfert à l’un des TPI, l’accusé com-paraît sans délai devant une Chambre de pre-mière instance ou un juge et est officiellementmis en accusation52.

Au moment de la comparution, la procédure dela communication du plaidoyer diffère légère-ment entre le TPIR et le TPIY. Au TPIR, la Cham-bre de première instance ou le juge désignéinvite, entre autres, l’accusé à plaider coupableou non coupable53 sur chaque chef d’accusa-tion et, si l’accusé ne se prononce pas, il estmentionné au dossier qu’il a plaidé non coupa-ble . Au TPIY, la Chambre de première instanceou le juge désigné informe que, dans les trentejours suivant sa comparution54 initiale, il devraindiquer son plaidoyer pour chacun des chefsd’accusation, mais il peut également plaidercoupable ou non coupable dès le moment desa comparution . À l’instar du TPIR, lorsqu’unaccusé décide de ne pas plaider, un plaidoyerde non culpabilité sera indiqué au dossier55.

Lorsque l’accusé plaide coupable, la Chambredoit s’assurer que l’aveu est fait : (i) librement etvolontairement ou délibérément; (ii) en connais-sance de cause; (iii) sans équivoque; et (iv) re-pose sur des faits suffisants pour établir le crimeet la participation de l’accusé à sa commissioncompte tenu soit d’indices objectifs ou indépen-dants, soit de l’absence de tout sérieux désac-cord entre le Procureur et l’accusé sur les faitsde la cause56.

Dans le cas d’accord sur un plaidoyer de cul-pabilité pour tous ou l’un des chefs d’accusa-tion, le Procureur et la Défense peuvent convenirensemble que le Procureur peut demander à laChambre de première instance l’autorisation demodifier l’acte d’accusation en conséquence,proposer une peine déterminée ou une four-chette de peines qu’il estime appropriées ou

peut ne pas s’opposer à la fourchette de peinesproposées par la Défense57. Bien que la Cham-bre de première instance ne soit pas tenue par untel accord 58, la Chambre d’appel a soulignéque dans le cadre d’un jugement portant condam-nation rendu à la suite d’un accord sur le plai-doyer, […] la Chambre de première instance doittenir compte comme il convient de la peine re-commandée par les parties et que si elle s’enécarte nettement, elle doit s’en expliquer. L’exposéde ces motifs et le respect par la Chambre de pre-mière instance de l’obligation que lui impose l’ar-ticle 23 2) du Statut de motiver par écrit sesdécisions permettent tant à la personne déclaréecoupable d’exercer effectivement son droit de re-cours qu’à la Chambre d’appel de comprendre et[…] évaluer les constatations de la Chambre depremière instance59.

Enfin, la Chambre de première instance de-mande la divulgation de l’accord60 et peut parla suite déclarer l’accusé coupable et instruire leGreffier de fixer la date de l’audience consa-crée au prononcé de la peine61.

3. Le mode d’exercice de la compétenceconcurrente des TPI : la primauté

Le TPIY et les juridictions nationales sont concur-remment compétents pour poursuivre les auteursprésumés des violations graves du droit interna-tional humanitaire commises en ex-Yougosla-vie62. Toutefois, le Statut souligne la primautédu TPIY sur les tribunaux nationaux en ce sensqu’il peut, à tout moment, demander à ces der-niers de se dessaisir en sa faveur d’une enquêteou d’une procédure63.

À l’instar de ce qui se passe au TPIY, le TPIR aprééminence sur les juridictions nationales detous les États64.

Les demandes de dessaisissement65 d’une af-faire d’une juridiction interne en faveur des TPIpeuvent être présentées tant avant qu’après laconfirmation de l’acte d’accusation relative à

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cette demande. Celle-ci ne dépend pas nonplus du transfert de l’accusé au Tribunal.

a. Exemples de procédure de dessaisissementd’une affaire relevant d’une juridiction interneau profit des TPI

i. Le TPIY

Ainsi à titre d’exemples, la Chambre de pre-mière instance a fait droit, le 8 novembre1994, à une demande du Procureur aux finsde dessaisissement de l’Allemagne des pour-suites en cours contre Dusko Tadi en faveur duTribunal66. Le 16 mai 1995, la Bosnie-Herzé-govine a dû faire de même pour les poursuitesconcernant Radovan Karadži , Ratko Mladi etMi o Staniši67. Le 4 octobre 2002, la Cham-bre a également accueilli partiellement la re-quête du Procureur demandant à la Républiquede Macédoine de se dessaisir de cinq affairesconcernant les crimes qui auraient été commisen Macédoine en 2001 par l’Armée de libéra-tion nationale et les forces macédoniennes68.L’une de ces affaires sur l’enquête des faits sur-venus à Ljuboten a donné lieu à l’arrestation etla poursuite de Ljube Boškoski69 et JohanTar ulovski70.

ii. Le TPIR

La procédure de dessaisissement au TPIR71 estsimilaire à celle prévue au Règlement du TPIY.

Ainsi le 17 mai 1996, la Chambre de pre-mière instance a donné une suite favorable à lademande du Procureur aux fins de dessaisisse-ment de la Belgique des enquêtes et poursuitespénales en cours contre Théoneste Bagosoraen faveur du TPIR72.

Enfin, comme corollaire à cette primauté, les TPIpossèdent aussi le pouvoir de restaurer la com-

pétence de la juridiction nationale au moyend’une procédure de renvoi d’un acte d’accusa-tion devant cette instance.

b. Exemples de procédure de renvoi de l’acted’accusation devant une autre juridictionconformément à l’article 11 bis des Règle-ments des TPI

L’article 11 bis A) du Règlement du TPIY permetle renvoi d’une affaire du Tribunal devant n’im-porte quel État dans le monde; cependant, au-cune affaire du TPIY n’a été renvoyée ailleursque dans la région de l’ex-Yougoslavie73.

Il en va autrement pour le TPIR. En effet, le 20novembre 2007, la Chambre de première ins-tance a fait droit à la demande de renvoi duProcureur des affaires Wenceslas Munyeshyakaet Laurent Bucyibaruta aux autorités fran-çaises74. La Chambre de première instance aégalement accordé le renvoi de l’affaire MichelBagaragaza devant les autorités judiciaires desPays-Bas75. Cependant, après avoir été offi-ciellement informée par lesdites autoritésqu’elles n’avaient pas de compétence rationemateriae sur les crimes reprochés à M. Bagara-gaza, la Chambre précitée a révoqué le renvoide cette affaire le 17 août 200776 et elle ademandé aux autorités néerlandaises de sedessaisir de l’affaire en faveur du TPIR77.

i. Le TPIY

La Chambre de première instance saisie d’unetelle demande tient compte de deux critères ju-ridiques qui vont militer ou non en faveur d’unrenvoi : la gravité des crimes reprochés et laposition hiérarchique de l’accusé78. Ces deuxcritères peuvent être évalués de façon séparéeou ensemble. La Chambre peut égalementprendre en compte d’autres circonstances per-tinentes79. Ainsi dans l’affaire Milorad Trbi , le

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renvoi a été accordé au motif que l’accuséavait une autorité limitée malgré l’allégation duProcureur selon laquelle l’accusé était impliquédans le génocide de Srebrenica80.

En outre, le renvoi de l’affaire Radovan Stan-kovi devant les autorités judiciaires de la Bos-nie-Herzégovine a été ordonné le 17 mai2005 au motif que la gravité des crimes repro-chés à l’accusé en vertu de l’Acte d’accusationet son degré de responsabilité militaient en fa-veur de cette conclusion. La Chambre de pre-mière instance s’est également assuré quel’accusé bénéficierait d’un procès équitable etque la peine capitale ne lui serait pas impo-sée81. La Chambre d’appel de la Cour de laBosnie-Herzégovine a confirmé le prononcé deculpabilité mais a porté la peine à 20 ans deprison au lieu des 16 ans fixés par la Chambrede première instance82.

Depuis cette affaire, huit autres impliquant 14accusés83 ont été renvoyées devant la Courd’État de la Bosnie-Herzégovine, les autoritésjudiciaires de la République de Serbie et le Tri-bunal de district de Zagreb.

Néanmoins, le renvoi n’a pas été accordédans six affaires impliquant neuf accusés. Entreautres, dans l’affaire Milan Luki et SredojeLuki , la Chambre d’appel, saisie de l’appel deMilan Luki , a annulé le renvoi ordonné par laChambre de première instance84 car cettedernière avait commis une erreur en sous-esti-mant le degré de responsabilité allégué de l’ac-cusé. En effet, la Chambre d’appel a considéréqu’il était un des plus importants chefs parami-litaires . Par conséquent, le critère de la gravitépris isolément ne pouvait à lui seul trancher laquestion; les crimes allégués reprochés à MilanLuki combinés à son rôle de chef paramili-taire85 rendaient l’affaire trop importante pourêtre renvoyée devant la juridiction de la Bosnie-Herzégovine86.

La Chambre de première instance a égalementrefusé le renvoi des affaires Dragomir Miloševiet Rasim Deli en raison de la position hiérar-chique du premier accusé dans la campagnede tirs isolés et de bombardements de la popu-lation civile de Sarajevo87 ; quant au secondaccusé à celle qu’il avait au sein de l’armée dela République de la Bosnie-Herzégovine88.

ii. Le TPIR

Concernant le TPIR, la situation des demandesde renvoi diffère de celle au TPIY. En vertu duRèglement et de la jurisprudence du TPIR, laChambre de première instance peut renvoyerune affaire pour jugement devant une juridictionnationale compétente si elle est convaincue quel’accusé y bénéficiera d’un procès équitable etqu’il ne sera pas condamné à la peine capi-tale, ni exécuté89. Pour déterminer si un Étatest compétent ou non au sens de l’article 11bis du Règlement, la Chambre de première ins-tance doit rechercher si l’État en question estdoté d’un système juridique qui criminalise laconduite alléguée de l’accusé et offre une grilledes peines adéquate90.

Cependant, jusqu’à présent, la Chambre depremière instance a refusé les demandes derenvoi au Rwanda91. Par exemple, dans l’af-faire Yussuf Munyakazi, la Chambre d’appel arejeté l’appel du Procureur contre la Décisionde la Chambre de première instance refusant lerenvoi. Bien que la Chambre d’appel ait concluque la Chambre de première instance avait faitune erreur, elle a estimé que cette erreur n’inva-lidait pas la conclusion de la Chambre de pre-mière instance selon laquelle le droit del’accusé d’obtenir la comparution et l’interroga-toire des témoins à décharge dans les mêmesconditions que les témoins à charge ne seraitpas garanti, en ce moment au Rwanda92, alorsmême que celui-ci a aboli la peine de mort.

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B. Juridiction pénale permanente : La Courpénale internationale

1. Les compétences

La Cour pénale internationale (ci-après « CPI »)a été créée entre les États Membres par traité in-ternational, soit le Statut de Rome, qui en faitune instance judiciaire permanente93 ; les ÉtatsMembres ont donc décidé du cadre normatifde sa saisine tel que prévu dans le Statut deRome.

Une des grandes innovations du Statut et du Rè-glement de la CPI est l’ensemble des droits ac-cordés aux victimes. En effet, c’est la premièrefois que la justice pénale internationale permetaux victimes de présenter leurs observations etleurs arguments à la Cour. Cette participation94

peut intervenir à différentes phases de la procé-dure et selon diverses modalités, bien qu’il re-vienne aux Juges d’encadrer le moment et laforme de celle-ci95. Les victimes peuvent aussiobtenir, le cas échéant, une certaine forme deréparation, qui comprend la restitution, l’indem-nisation et la réhabilitation96. La CPI peut ordon-ner que cette réparation soit versée parl’intermédiaire du Fonds en faveur des vic-times97 ; cette réparation peut être individuelleou collective, ou les deux98.

Enfin, pour obtenir réparation, les victimes doi-vent déposer auprès du Greffe une demandecontenant un certain nombre d’éléments fixéspar le Règlement de la CPI99.

La compétence ratione temporis de la Cour selimite uniquement aux événements survenus de-puis le 1er juillet 2002; elle n’a donc pas decompétence rétroactive. En outre, si après l’en-trée en vigueur du Statut, un État devient Partie,la CPI n’a compétence pour cet État qu’à comp-ter de cette date. Ce dernier peut néanmoinsaccepter la compétence de celle-ci pour la pé-riode précédente100.

La CPI a compétence ratione materiae pour lescrimes de génocide101 , les crimes contre l’hu-manité102 et les crimes de guerre tant pour lesconflits internes qu’internationaux103 ainsi quele crime d’agression104. Suite à la conférencede révision du Statut de Rome à Kampala du31 mai au 11 juin dernier, les États Membresont adopté un projet de résolution venant amen-der l’article 8 du Statut sur la définition et l’exer-cice de la compétence de la Cour à l’égard dece crime105. L’article 8 amendé définit désor-mais le crime d’agression comme suit : « la pla-nification, la préparation, le lancement oul’exécution par une personne effectivement enmesure de contrôler ou de diriger l’action poli-tique ou militaire d’un État, d’un acte d’agres-sion qui, par sa nature, sa gravité et sonampleur, constitue une violation manifeste de laCharte des Nations Unies »106 . Par ailleurs, unacte d’agression est entendu par « l’emploi parun État de la force armée contre la souverai-neté, l’intégrité territoriale ou l’indépendancepolitique d’un autre État, ou de toute autre ma-nière incompatible avec la Charte des NationsUnies »107.

Ce n’est qu’après le 1er janvier 2017 que laCour exercera sa compétence à l’égard d’uncrime d’agression108 commis par un État partieà moins que celui-ci ait préalablement déclaréne pas accepter une telle compétence109.Lorsque le Conseil de sécurité constate un acted’agression, il le réfère au Procureur qui pourramener une enquête sur ce crime110. Enfin, si untel constat n’est pas fait dans les six mois suivantla date de l’avis du Procureur au Secrétaire gé-néral des Nations Unies, celui-ci peut menerune enquête pour crime d’agression, à condi-tion que la Chambre préliminaire ait autorisél’ouverture d’une enquête pour ce crime111.

La CPI a compétence ratione personae et ra-tione loci à l’égard des personnes physiques112

âgées de plus de 18 ans113. La Cour peut exer-

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cer sa compétence lorsque le crime a été com-mis dans un État Partie114 ou par un nationald’un État Partie . Si l’État où le crime a été com-mis ou l’État dont l’accusé est un national n’estpas Partie au Statut, il peut, par déclaration,consentir à ce que la CPI exerce sa compé-tence à l’égard du crime en question115.

2. Le mode d’exercice de la compétence : lacomplémentarité

Contrairement aux TPI, la CPI, en tant qu’insti-tution permanente, est complémentaire des juri-dictions pénales nationales116 et peut exercersa compétence selon trois formes de saisine117.

Tout d’abord, la CPI peut être saisie lorsqu’unesituation dans laquelle un ou plusieurs crimesparaissent avoir été commis est déférée au Pro-cureur par un État Partie118.

Comme exemple récent, dans l’affaire Jean-Pierre Bemba Gombo (ci-après « Bemba »), legouvernement de la République centrafricainea saisi la CPI le 21 décembre 2004 pour lescrimes commis sur son territoire après le 1er juil-let 2002 afin de déférer cette situation au Pro-cureur119. Le 15 juin 2009, la Chambrepréliminaire a confirmé les chefs d’accusationde crimes contre l’humanité et de crime deguerre120 contre M. Bemba en tant que chef mi-litaire.

Deuxièmement, le Conseil de sécurité peut dé-férer au Procureur, en vertu du chapitre VII de laCharte de Nations Unies, toute situation danslaquelle l’un des crimes prévus au Statut paraîtavoir été commis, quel que soit la nationalitéde l’accusé ou le lieu de perpétration ducrime121.

Ainsi, le Conseil de sécurité a, par résolution1593 du 31 mars 2005, déféré au Procureurla situation au Darfour depuis le 1er juillet2002122. Le 4 mars 2009, la Chambre préli-

minaire a confirmé les chefs d’accusation, decrimes contre l’humanité et de crimes de guerrecontre le Président soudanais M. Omar Al Bas-hir123. La majorité124 a cependant estimé qu’iln’y avait pas de motifs raisonnables concernantle crime de génocide125. La Chambre d’appela conclu, le 3 février 2010, que la Chambrepréliminaire avait commis une erreur de droitdans son examen concernant le crime de gé-nocide et elle lui a demandé de statuer à nou-veau sur la question de savoir si cette chargedevrait être prise en compte126.

La CPI peut également être saisie lorsque le Pro-cureur décide d’ouvrir une enquête, de sa pro-pre initiative sur un crime donné127. Ainsi, le 31mars dernier, la Chambre préliminaire, à la ma-jorité, a fait droit à la requête du Procureur auxfins d’ouverture d’une enquête sur les crimescontre l’humanité qui auraient été commis sur leterritoire de la République du Kenya concernantles violences qui ont suivi les élections de2007-2008128.

Enfin, même si la CPI est compétente, ellen’agira pas nécessairement. En effet, le prin-cipe de complémentarité prévoit que certainesaffaires ne seront pas recevables même si laCPI est compétente129.

II. Conclusion

La justice pénale internationale, en dépit des ef-forts déployés, est un processus dynamique enpleine évolution mais avec certaines limites, no-tamment, l’absence d’une police assignée à sesinstitutions : l’exercice de leur saisine et la miseen œuvre effective des mandats d’arrêts des TPIet de la CPI reposent donc essentiellement surla bonne coopération des États. En outre, l’exé-cution des peines dans des prisons nationaleset l’accueil des personnes acquittées dans despays constituent un défi de taille pour les deuxTPI et dans le futur pour la CPI.

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Cependant malgré cet obstacle et le scepti-cisme manifesté au début à l’égard des TPIquant à leur capacité à contribuer véritablementau rétablissement et au maintien de la paix me-nant à la réconciliation, ces Tribunaux ont ac-compli des progrès indiscutables. En effet, leurviabilité a permis de paver la voie d’une vérita-ble justice pénale internationale en choisissantde juger les hauts responsables de violationsgraves du droit humanitaire afin de mettre unterme à l’impunité et de dissuader de potentielscandidats à ces violences.

Enfin, leur réalisation a servi également de trem-plin pour la création de la CPI qui présentel’avantage d’être permanente, pas axée sur unerégion ou une situation déterminée130 et capa-ble de fonctionner de manière parallèle aux ins-tances nationales, permettant ainsi deconsolider le rôle du droit pénal international.

L’effet et l’exécution des décisions internationalesMonsieur Amady BA, Chef de la Sectionde la coopération internationale, Bureaudu Procureur, Cour Pénale Internationale

Le terme « exécution » est employé comme unterme générique pour signifier la traduction d’unerègle ou d’une décision juridictionnelle dans laréalité sociale. Elle est qualifiée spontanée ou vo-lontaire lorsque le destinataire de la norme ou dela décision accepte, sans réticence, d’en réaliserles prescriptions. L’exécution est forcée lorsqu’elles’impose par la coercition au sujet de droit réfrac-taire à son application. La critique fondamentaleadressée au droit international public consiste jus-tement à dénoncer « la faiblesse de ses méca-nismes d’exécution ».

Les décisions des juridictions internationalessont elles obligatoires ?

Les États exécutent-ils spontanément ces décisions ?

Comment les y contraindre en cas de nécessité ?

Quel est l'impact des décisions internationalessur des autres différends ?

Y a-t-il un effet préventif ?

Ce sont quelques-unes des questions auxquellesil sera répondu au long de cette étude.

Le thème qui est été proposé est très vaste, l’ex-pression « décisions internationales » englobe-rait toutes les décisions des juridictionsinternationales. Il inclut les décisions de la CourInternationale de Justice, des tribunaux spé-ciaux, ad hoc de Yougoslavie et du Rwanda,des tribunaux internationalisés (les tribunauxspéciaux pour la Sierra Léone, des Khmersrouges, pour le Liban), des chambres spécialespour le « Timor Oriental », pour les crimes deguerre de Bosnie-Herzégovine, ou de pour-suites au Kosovo, également, des tribunaux in-ternes au nom de la compétence universelle etenfin celle de la cour pénale internationale. Ilpourrait également concerner d’autres juridic-tions compétentes pour connaître des questionsciviles, commerciales, maritimes etc. Ou bienmême, dans le domaine de l’arbitrage interna-tional.

Tout d’abord, notre propos va se limiter à l’exa-men de l’effet et l’exécution des décisions de laCour Pénale Internationale. Nous allons notam-ment mettre l'accent sur les activités du Bureaudu Procureur (BdP).

Création de la Cour Pénale Internationale

L’idée de punir les responsables de violationsdu droit de la guerre n'est pas apparue soudai-nement : les juridictions pénales contempo-raines s'inscrivent dans un courant de penséeancien et marchent sur la voie tracée par les tri-bunaux de Nuremberg et de Tokyo.

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L’histoire de la justice pénale internationale acommencé en 1872131. Cependant, les tenta-tives successives d’établissement de tribunauxinternationaux n’ont cessé de se heurter à unimpératif prévalent à l’époque de l’État-Nation :la souveraineté Étatique.

Il faut donc attendre Nuremberg pour que leconcept de justice pénale internationale réappa-raisse et prenne corps. Après l'ampleur descrimes perpétrés par le régime nazi lors de la se-conde guerre mondiale, et les exactions massivescommises à cette même époque par les forcesjaponaises, les deux tribunaux de Nuremberg etTokyo furent mis en place pour juger les respon-sables de ces crimes de guerre et crimes contrel'humanité. Ils ont, pour la première fois, concré-tisé une implication concrète de plusieurs Étatsdans la répression pénale des crimes commis etont constitué une véritable impulsion.

Ce n’est qu’en décembre 1989 que l'Assem-blée générale prie la Commission du droit inter-national (CDI) de reprendre ses travaux sur lacréation d'une cour criminelle internationale. En1993132 et en 1994133, le Conseil de Sécuritéde l’ONU établit deux tribunaux ad hoc pourréprimer les crimes contre l’humanité, crimes deguerre et génocides des conflits en ex-Yougo-slavie et au Rwanda.

En 1994, la CDI a remis à l'Assemblée géné-rale un projet de statut et a recommandé à l’As-semblée générale de convoquer uneconférence afin de négocier un traité établissantla cour pénale internationale. Enfin, c'est laconférence diplomatique de plénipotentiairesdes Nations Unies réunie a Rome du 15 juinau 17 juillet 1998 qui a finalement adopté,par 120 voix pour, 7 contre, et 21 abstentions,le statut portant création d'une Cour pénale in-ternationale. Le 1er juillet 2002, le Statut deRome de la Cour Pénale Internationale (CPI) estratifié par 60 États et, est entré en vigueur. LaCPI est devenue opérationnelle au mois de Juil-

let 2003. A ce jour, 111 États se sont obligésenvers la CPI en ratifiant le Statut de Rome134.

Comment la problématique de l’exécutiondes décisions se manifeste dans le cadre dela CPI ?

La CPI, en tant que juge de la violation du droithumanitaire international, a rendu de nom-breuses décisions (I), mais elle ne dispose pasde moyens pour assurer elle même, où par lerecours à la puissance publique, à l’exécutionde ces décisions (II). Cependant, pour donnerune plus grande efficacité à la justice internatio-nale, à la lumière des techniques exécutivesmises en place dans le cadre de certaines juri-dictions135, la CPI a élaboré toute une stratégie,dans le domaine de la coopération internatio-nale, en vue de donner force et effets à ces dé-cisions et d'accroître l'impact de ses travaux (III).

Voilà le contenu de cette contribution à vos tra-vaux auxquels le BdP est très honoré de partici-per.

I. La Cour pénale internationale (CPI), juge de la violation du droit humanitaire international

A. Les principes du statut et l’organisationde la CPI

La CPI est une institution judiciaire, créée pourprévenir et gérer la violence à grande échelle.Le système de Rome a été conçu à partir duconstat d’échec des moyens utilisés par lepassé pour faire cesser la violence et les conflits(amnisties ou exils dorés pour les dictateurs, par-tage du pouvoir avec des criminels de masse).Le but était de mettre fin à l’impunité pour cescrimes qui, nous en étions convaincus, ne de-vaient jamais se reproduire, mais qui se répè-tent encore et encore. En vertu du Statut deRome, ces crimes sont considérés comme des

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menaces pour la paix et la sécurité dans le mondeet la phrase « plus jamais ça » qui répondait àune obligation morale envers les victimes est dés-ormais devenue une obligation juridique.

Nous avons établi un ensemble de règles quiaméliorent la « calculabilité136», avec un nou-veau cadre légal, transparent et prévisible, quigarantit avec certitude que les crimes les plusgraves qui touchent l’ensemble de la commu-nauté internationale seront punis. C’est leconcept de base, la pierre angulaire du sys-tème pénal international : la primauté du droitcomme gage de protection. Les États partiessont sous la protection du Statut de Rome.

La CPI est plus qu’une cour ; c’est un système dejustice pénale international complet auquel 111États ont souscrit à ce jour.

Avec le Statut de Rome, le droit positif a été co-difié en un texte détaillé. Les États ont réaffirméle devoir qui leur incombait de poursuivre lespires criminels, indépendamment de leur qualitéofficielle ; une cour indépendante, impartiale etpermanente a été créée et investie de l’autoritéd’intervenir chaque fois qu'un État refuse d’en-tamer de véritables poursuites tout en incitantchaque État à assumer ses propres responsabi-lités au nom de la justice internationale.

De plus, les rédacteurs du Statut de Rome ontclairement reconnu le lien intrinsèque entre jus-tice et paix. Comme indiqué dans le préam-bule, en mettant un terme à l'impunité desauteurs des crimes les plus graves, la Cour sedote des moyens nécessaires à la préventionde tels crimes, ayant ainsi un effet dissuasif.

Deux principes se dégagent du Statut : le principede la complémentarité et celui de la coopération.

Les États parties au Statut de Rome se sont en-gagés d’une part, à mener des enquêtes et àengager des poursuites à propos des crimes demasse relevant de leur compétence et d’autre

part, à prévenir la commission de tels crimes. Ilsont accepté que la CPI prenne l’initiative de sesubstituer à eux s’ils ne parvenaient pas àmener des enquêtes et à engager des pour-suites en bonne et due forme.

Telle est la définition du principe de la com-plémentarité.

Les États parties se sont aussi engagés à coopéreravec la Cour, dès lors qu’elle décide d’interveniret quel que soit le lieu de l’intervention. La Courpeut donc compter sur la coopération de la policedes 111 États parties pour faire appliquer ses dé-cisions. Ce principe de coopération avec la Courn’est d’ailleurs pas un vain mot. Il est véritablementmis en pratique, comme en témoigne la remisepar la République démocratique du Congo detrois de ses ressortissants à la Cour ou encorel’exécution en une journée du mandat d’arrêtcontre Jean-Pierre Bemba, l’ancien vice-présidentde la RDC, par la police belge.

La CPI, « permanente et indépendante reliée ausystème des Nations Unies », est composée de18 juges, répartis en trois chambres (la cham-bre préliminaire, la chambre de première ins-tance et la chambre d’appel), leur personnel,un Bureau du Procureur où travaillent 300 per-sonnes et le Greffe qui compte aussi 500 per-sonnes de 80 nationalités différentes. Son siègeest à La Haye (Pays-Bas).

Le BdP, dirigé par le Procureur, Luis Moreno-Ocampo, qui a pris ses fonctions le 16 juin2003, a pour mandat de enquêter en toute in-dépendance sur les crimes relevant de la com-pétence de la Cour, c’est-à-dire le crime degénocide, les crimes contre l’humanité et lescrimes de guerre, et à poursuivre en justice lesauteurs de ceux-ci, sur la base d’une politiquepénale bien élaborée. En menant des enquêteset des poursuites, le BdP contribue à la réalisa-tion de l’objectif général de la Cour, à savoirmettre fin à l’impunité dont jouissent les auteurs

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de ces crimes qui sont les plus graves, et contri-bue ainsi à la prévention desdits crimes.

En raison de son mandat, le BdP comprendtrois divisions. La Division des enquêtes est prin-cipalement chargée de procéder aux examenspréliminaires et à l’instruction des enquêtes. Acet égard, le Statut exige du BdP qu’il étendel’enquête pour pouvoir couvrir à la fois les faitsà charge et les faits à décharge, insistant sursa responsabilité consistant à s’efforcer d’établirla vérité dans chacune des affaires. Le rôle dela Division des Poursuites consiste à représenterle BdP lors des affaires portées devant les diffé-rentes Chambres de la Cour. La Division de lacompétence, de la complémentarité et de lacoopération analyse les situations déferrées etautres informations soumises à l’attention du Pro-cureur et s’occupe également d’obtenir les ac-cords de coopération nécessaires pour labonne conduite des activités du Bureau.

Compétence de la CPI

La compétence rationae materiae de la Courenglobe catégories de crimes, considéréscomme les « crimes les plus graves qui touchentl’ensemble de la communauté internationale »(Art. 5) : le crime de génocide, les crimescontre l’humanité, les crimes de guerre. Pour lecrime d’agression la Cour n’exercera sa com-pétence à l’égard de ce crime que lorsque sadéfinition aura été donnée conformément auxArticles 121 et 123137.

Rationae temporis, seules les infractions commisesaprès l’entrée en vigueur du statut, le 1er juillet2002, ou plus tard si un État est devenu partie auStatut après son entrée en vigueur (Art. 11 et 24).

Rationae personae, encore, mais aussi ratio-nae loci, la Cour ne peut exercer sa compé-tence que si le crime a été perpétré sur leterritoire d’un État partie (ou au bord d’un navire

ou d’un aéronef immatriculé dans un tel État) ousi la personne accusée du crime est un ressor-tissant d’un État partie (Art. 12). Toutefois,comme une exception, un État qui n’est pas Par-tie au présent Statut peut aussi, par déclarationdéposée auprès du Greffier, consentir à ce quela Cour exerce sa compétence à l’égard ducrime dont il s’agit (Art. 12(3). En outre, la limi-tation de compétence est écartée lorsque lecrime est déféré au Procureur par le Conseil deSécurité de l’ONU (Art. 13(b) - pour un premierexemple, v. la Résolution 1593 du Conseil, du31 mars 2005, au sujet de crimes de guerrecommis au Darfour, Soudan).

Enfin, comme indiqué, dans tous les cas, lacompétence de la Cour n’est que subsidiaire :fondée sur le préambule qui stipule que laCourt est « complémentaire des juridictions pé-nales nationales », la Cour n’est pas compé-tente lorsqu’une « affaire fait l’objet d’uneenquête ou de poursuites de la part d’un Étatayant compétence en l’espèce, à moins que cetÉtat n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapa-cité de mener véritablement à bien l’enquête oules poursuites » (Art. 17).

La nature complémentaire de la CPI, en effet,l’efficacité de la CPI ne devrait pas se mesurerau nombre d’affaires présentées devant laCour, mais plutôt à l’absence de procès devantelle, qui est la conséquence du fonctionnementefficace des systèmes nationaux et marque sonprincipal succès.

Le principe de complémentarité représente lavolonté expresse des États Parties de créer uneinstitution dont le champ d’action est global touten respectant la souveraineté première des Étatsen matière de compétence pénale. Par ailleurs,ce principe répond à un souci d’efficacité etd’efficience, dans la mesure où les États ont, engénéral, plus facilement accès aux éléments depreuve et aux témoins.

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Ici, il convient de noter que le concept de com-plémentarité comporte deux dimensionsconnexes :

1) le critère de recevabilité, conformément àl'article 17. Il s’agit d’un aspect purement judi-ciaire qui ne relève que du juge. L’évaluationde la recevabilité concerne l’attribution d’uneaffaire à une cour donnée. Il s’agit notammentde vérifier si un État a engagé de véritables pro-cédures à propos des crimes les plus graves re-levant de la compétence de la Cour et àl’encontre des personnes portant la plus lourdepart de responsabilité.

L’examen de la recevabilité d’une affaire ne re-vient pas à évaluer la qualité d'un système judi-ciaire national dans son ensemble. Commeprévu par l'article 17 du Statut de Rome, le Bu-reau doit vérifier si les affaires retenues ou sus-ceptibles de l’être ont fait ou font l’objet d’uneenquête ou de poursuites par l’État concerné.

Le Bureau s’attèle d’abord à déterminer si l’af-faire en question a fait l’objet d’une enquête oude poursuites à l’échelle nationale et, le caséchéant, il tente d’établir si les procédures en-gagées par l’État en question sont entachéesde nullité du fait de l’absence de volonté ou del’incapacité de cet État à mener véritablement àbien l’enquête ou les poursuites. Si les procé-dures nationales ne concernent que des auteursde crimes dont la responsabilité est minime ouse focalisent sur les crimes de façon isolée endehors du contexte dans lequel ils ont été com-mis, le Bureau ne les considèrera pas commedes obstacles à une intervention de sa part.

2) L’approche positive de la complémentarité,l’une des politiques du Bureau du Procureur, estl’un des quatre principes fondamentaux de laStratégie en matière de poursuites138. Elle

trouve son fondement juridique notamment dansles objectifs affichés dans le préambule et à l’ar-ticle 93-10 du Statut et vise à encourager acti-vement la mise en place de procéduresnationales qui s’appuieraient sur des réseauxnationaux et internationaux tout en participant àun système de coopération internationale.

Il ne s’agit pas de donner à la Cour ou au Bureaula mission d’évaluer ou de réformer des systèmesjudiciaires nationaux. Ce travail incombe en effetà d’autres instances judiciaires. Il s’agirait plutôt,selon les termes du Professeur Carsten Stahn d’une« répartition des tâches139» dans un objectif com-mun : l’ouverture de poursuites à propos descrimes commis à grande échelle.

Étant donné l'éventail des responsabilités incom-bant au Procureur en vertu du Statut, lesquellesexigent une interaction précoce et plurielle avecles États et la société civile, le Bureau apparaîtcomme le principal vecteur de la mise enœuvre d’une complémentarité positive. Il s’agitnotamment pour lui de rendre publiques ses ac-tivités comme prévu par l’article 15 afin de fa-voriser la tenue de procédures nationales et lacoopération conformément à l’article 93-10, etde mobiliser des « réseaux de ressource ex-ternes » (au sein desquels le Bureau joue le rôled’« intermédiaire »). Aucune de ces actions nenécessite de gros moyens. Le Bureau ne doitpas donner directement des avis juridiques,dans la mesure où cela pourrait compromettredes procédures ultérieures engagées par laCPI, ou accorder une aide directe au renforce-ment des capacités, puisqu’il n’est pas uneagence de développement.

II. Les procédures devant la Cour et l'approche du Bureau du Procureur

La Cour peut exercer sa compétence à l’égardd’un crime visé à l’Article 5, conformément auxdispositions du présent Statut :

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- si une situation dans laquelle des crimes pa-raissent avoir été commis est déférée au Procu-reur par un État Partie ;

- si une situation dans laquelle des crimes pa-raissent avoir été commis est déférée au Procu-reur par le Conseil de sécurité agissant en vertudu chapitre VII de la Charte des NationsUnies ; ou

- si le Procureur a ouvert une enquête sur lecrime en question en vertu de l’Article 15.

Dans les deux premiers cas, le Procureur examineles renseignements disponibles et, à moins deconclure qu’il n’y a pas de base raisonnable pourle faire, il ouvre une enquête. Avant d’ouvrir uneenquête de sa propre initiative, il reçoit et analysedes renseignements fournis par diverses sourcesdignes de foi. S’il conclut qu’il y a une base rai-sonnable pour ouvrir une enquête, il demande àla chambre préliminaire de l’y autoriser. D’autrepart, un État qui n’est pas partie au Statut peut dé-poser une déclaration en vertu de laquelle il ac-cepte la compétence de la Cour dans une affairedonnée. Ce type de déclaration prévu par l’article12-3 n’entraîne pas automatiquement l’exercicede la compétence de la Cour mais il constitue lefondement juridique nécessaire à l’ouverture d’uneenquête par le Procureur conformément à l'article15 ou au renvoi d’une affaire par un État Partie.

Les enquêtes du Procureur s’étendent à tous lesfaits et éléments de preuve pertinents pour éva-luer la responsabilité pénale. Le Procureur en-quête tant à charge qu’à décharge et respectepleinement les droits de l’accusé.

Pendant une enquête, chaque situation est assi-gnée à une chambre préliminaire. Celle-ci estresponsable des aspects judiciaires de la pro-cédure. Entre autres fonctions, elle peut, à lademande du Procureur, délivrer un mandat d’ar-rêt ou une citation à comparaître s’il y a unebase raisonnable pour croire qu’une personnea commis un crime relevant de la compétence

de la Cour. Une fois que la personne recher-chée a été remise à la Cour ou s’est présentéevolontairement devant la Cour, la chambre pré-liminaire tient une audience de confirmation descharges sur lesquelles reposera le procès.

Après la confirmation des charges, l’affaire estassignée à une chambre de première instancecomposée de trois juges. Cette chambre est res-ponsable de la conduite d’une procédure équi-table et diligente dans le plein respect desdroits de l’accusé. L’accusé est présumé inno-cent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établieau-delà de tout doute raisonnable par le Procu-reur. Il a le droit de se défendre lui-même ou dese faire assister par un conseil de son choix. Lesvictimes peuvent également participer à la pro-cédure directement ou par l’intermédiaire deleurs représentants légaux.

À l’issue de la procédure, la chambre de pre-mière instance rend son jugement, en acquittantou en condamnant l’accusé. Si l’accusé est dé-claré coupable, la chambre prononce unepeine pouvant aller jusqu’à 30 ans d’emprison-nement ou, si l’extrême gravité du crime et lasituation personnelle du condamné le justifient,la réclusion à perpétuité. La chambre de pre-mière instance peut également ordonner l’octroide réparations aux victimes.

A. Un rôle unique pour les victimes

Le Bureau du Procureur est convaincu que lesvictimes apportent un éclairage unique et indis-pensable aux activités de la CPI et qu’ellescontribuent à l’équité et à l’efficacité des pro-cès. Les victimes ont joué un rôle déterminantdans la création de la Cour et lui donnent au-jourd’hui encore une véritable impulsion.Contrairement à ce qui se passe dans les autrestribunaux pénaux internationaux, les victimes nesont pas les objets passifs de la justice interna-tionale mais plutôt des intervenants actifs au re-

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gard du Statut de Rome qui reconnaît leur par-ticipation comme un droit et non un privilègeaccordé au cas par cas.

La participation des victimes est une des poli-tiques défendues par le Bureau dès lors quetoutes les conditions posées par le Statut sontremplies. Les questions d’ordre administratif oumatériel (telles que le nombre de victimes) exi-gent des solutions pratiques et ne constituentpas en soi un obstacle à la participation.

Le rôle des victimes revêt différentes formes auregard du Statut, à commencer par le dépôt derenseignements à propos de crimes conformé-ment à l’article 15 et l’envoi de représentationsécrites défendant leurs intérêts. Le Bureau favo-rise une interaction directe avec les victimes etles associations de victimes à toutes les étapesde ses activités et de façon continue duranttoute la procédure : de l’examen préliminaire,en passant par l’enquête, la phase préliminaire,le procès jusqu'à la phase des réparations.

Pour les besoins de la participation à la procé-dure conformément à l’article 68-3, le Bureauaccepte les demandes dès lors que les critèrespertinents sont respectés. Ces critères compren-nent la définition du statut de victime au sensde l'article 85 ; la preuve que le demandeur aun intérêt personnel dans la procédure en ques-tion ; la pertinence de la participation des vic-times à ce stade précis de la procédure ; etl’assurance que les conditions de cette partici-pation ne seraient ni préjudiciables ni contrairesaux exigences d’un procès équitable et auxdroits de la défense. Il faut noter, en outre, quele Bureau a adopté une définition extensive desvictimes incluant les personnes qui sont directe-ment ou indirectement les victimes de crimes.

Lors de la phase préliminaire et de celle du pro-cès dans une affaire donnée, le préjudice dé-noncé par le demandeur doit être lié auxaccusations alléguées. En revanche, au stade

des réparations, le Bureau accepte les de-mandes de personnes ou d’entités qui ne sontpas liées aux accusations pour lesquelles les ac-cusés seront finalement condamnés.

S’agissant des modalités de participation autitre de l’article 68-3, qu’il faille procéder à uneévaluation au cas par cas, le Bureau estimequ'il conviendrait de présenter, dans la mesuredu possible, une synthèse des modalités géné-rales en la matière afin d'écarter toute incerti-tude et de garantir une certaine cohérence pourles victimes elles-mêmes.

Tout au long des phases préliminaires et de pre-mière instance, l’accusé, le Procureur ou l’Étatconcerné peuvent interjeter appel de décisionsrendues par les chambres, comme le prévoit leStatut. Celui-ci prévoit également que le Procu-reur et l’accusé peuvent interjeter appel du juge-ment ou de la peine prononcée par la chambrede première instance. Les représentants légauxdes victimes, la personne condamnée ou lespropriétaires de bonne foi de biens affectés pardes ordonnances de réparation peuvent aussiformer des recours contre ces ordonnances.Tous les appels sont tranchés par la Chambred’appel, composée de cinq juges.

La CPI a mis en place une procédure adaptéeet des concepts juridiques innovants pour pré-server l’intérêt supérieur de la justice, garantirles intérêts des victimes et lutter contre l’impunitédes auteurs des crimes les plus graves.

B. Des enquêtes et des poursuites ciblées

La Stratégie en matière de poursuites du Bureaudu Procureur repose sur le principe d’enquêteset de poursuites ciblées, à partir d’un nombrerestreint d’événements. Cela permet au Bureaude mener efficacement ses enquêtes, de limiterle nombre de personnes menacées en raisonde leurs liens avec le Bureau et de proposer des

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procès rapides tout en cherchant à couvrir toutle spectre de la criminalité. En principe, les évé-nements seront choisis de manière à offrir unéchantillon représentatif des faits les plus graveset des principaux types de poursuites. Cette ma-nière de sélectionner les événements et les ac-cusations en cause constitue l’une des mesuresprises pour faire face aux enjeux de la sécurité.

Lorsque le Bureau ne procède ni à des en-quêtes ni à des poursuites dans une affaire don-née, cela ne signifie pas pour autant quel’impunité est de mise. Comme il a été expliquéprécédemment, la CPI vient soutenir les effortsnationaux et plaide constamment pour l’adop-tion de mécanismes nationaux visant à enrayerl’impunité. De même, conformément à cette po-litique de complémentarité « positive », le Bu-reau défend une approche globale de la luttecontre l'impunité alliant ses propres actionsquant aux crimes les plus graves et aux per-sonnes qui en portent la responsabilité la pluslourde, et des poursuites nationales à l’encontredes autres responsables présumés. Dans cetteoptique, il œuvre de concert avec la commu-nauté internationale pour s’assurer que des mé-canismes favorisant la manifestation de la véritéet la réconciliation voient le jour et contribuentaussi à prévenir une reprise de la violence.Comme indiqué dans le préambule du Statut,l’objectif final consiste à mettre en place un sys-tème international garantissant l’exécution de lajustice pénale pour les crimes les plus gravesqui touchent l’ensemble de la communauté inter-nationale, reposant sur l’action conjuguée desautorités nationales et internationales et à préve-nir ainsi la commission de nouveaux crimes.

III. Enquêtes préliminaires, situations en courset décisions rendues

A. Les analyses préliminaires en cours auBureau du Procureur

L’analyse préliminaire constitue la premièrephase de l’action du Bureau du Procureurmenée en vue de déterminer si une enquête de-vrait être ouverte. C’est la meilleure occasion,ou en tout cas la première, dont dispose le Bu-reau pour encourager l’ouverture de procéduresnationales dans la mesure où le Procureurexerce un pouvoir discrétionnaire quant auchoix des situations justifiant l’ouverture d’uneenquête. Il s’agit d’une phase au cours de la-quelle le Bureau détermine si les critères poséspar le Statut sont réunis pour qu’une enquêtesoit ouverte. Premièrement, la compétence : ilconvient de déterminer si la Cour peut exercersa compétence dans une situation donnée et sides crimes relevant de sa compétence ont étécommis. Deuxièmement, la recevabilité : ilconvient d’établir si de véritables procéduresont été ou sont engagées par les autorités na-tionales à l’égard de ces crimes tout en tenantcompte de leur gravité. Et troisièmement, ilconvient de déterminer si l’ouverture d’une en-quête n’irait pas à l’encontre des intérêts de lajustice (à ne pas confondre avec l’intérêt de lapaix, qui relève d’autres institutions politiques,notamment du Conseil de sécurité de l’ONU).

Nous déterminons s’il y a une base raisonna-ble pour ouvrir une enquête à partir de cestrois éléments, indépendamment de la manièredont les enquêtes ont été déclenchées. Le ren-voi d’une situation par un État Partie ou par leConseil de sécurité n’oblige pas le Procureur àouvrir une enquête.

Lors de cette phase, le Bureau évalue active-ment toutes les informations émanant de sourcesmultiples concernant les crimes présumés, ycompris les “communications” fournies par des

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personnes ou des parties concernées, commele prévoit l’article 15 du Statut. Le déclenche-ment d’un examen préliminaire ne signifie pasqu’il débouchera automatiquement sur l’ouver-ture d’une enquête. Le BdP a analysé la situa-tion au Venezuela et les activités desressortissants de 25 États membres actifs enIrak. Dans ces cas précis, le Bureau a finale-ment décidé de ne pas ouvrir d’enquête. Pourl’instant, le Bureau procède à des examens pré-liminaires à propos de situations en Colombie,en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, en Géorgie,en Palestine et en Guinée.

3. Afghanistan

Le Bureau a annoncé officiellement qu’il analy-sait cette situation en 2007, examen qui portesur des crimes présumés relevant de la compé-tence de la Cour qu’auraient perpétrés tous lesacteurs concernés. Le Bureau a rencontré desresponsables afghans en dehors du pays, demême que des représentants de diverses orga-nisations. Il a envoyé plusieurs demandes derenseignements au Gouvernement afghan, maisn’a pas encore reçu de réponse à ce jour.

a. Colombie

Le Bureau a annoncé officiellement qu’il analy-sait cette situation en 2006, examen qui portesur des crimes allégués relevant de la compé-tence de la Cour et sur des enquêtes et despoursuites menées en Colombie à l’encontredes auteurs présumés des crimes les plusgraves, de chefs paramilitaires, de femmes etd’hommes politiques, de chefs de guérilla et demembres des forces armées. Le Bureau s’inté-resse également à des allégations faisant étatde réseaux internationaux qui viennent en aideaux groupes armés auteurs de crimes en Co-lombie.

b. Géorgie

Le Bureau a annoncé officiellement qu’il analy-sait cette situation le 14 août 2008, Le MinistreGéorgien de Justice a effectué une visite au Bu-reau du Procureur, tandis que la Russie, qui n’estpas partie au Statut, lui a fait parvenir 3817communications. Le 27 août 2008, le Procu-reur a sollicité des gouvernements Russe etGéorgien qu’ils lui communiquent certaines in-formations, ce qu’ils ont tous deux fait. Des re-présentants du Bureau se sont rendus enGéorgie en novembre 2008 et en Russie enmars 2010.

c. Palestine

Le 22 janvier 2009, l’Autorité nationale pales-tinienne a déposé auprès du Greffier une dé-claration au titre de l’Article 12(3) du Statut deRome qui autorise les États non parties à accep-ter la compétence de la Cour. Le Bureau du Pro-cureur analyse actuellement les éléments enrapport avec sa compétence, notamment lesquestions de savoir tout d’abord si la déclara-tion d’acceptation de la compétence de laCour répond aux prescriptions du Statut, ensuitesi des crimes relevant de la compétence de laCour ont été commis et enfin si des procéduresnationales sont menées à l’égard des crimesprésumés. Une délégation de l’Autorité natio-nale palestinienne ainsi que des représentantsde la Ligue des États Arabes se sont rendus à laCour les 15 et 16 octobre 2009 afin de dépo-ser un rapport présentant des arguments en fa-veur de la capacité de l’Autorité palestinienneà déléguer sa compétence à la CPI. Le 11 jan-vier, en réponse à une demande de l’ONU, leBdP lui a adressé une lettre sur ses activités ré-centes dans le cadre des suites données au rap-port Goldstone. Le 3 mai, il a publié un «Résumé des observations visant à déterminer sila déclaration déposée par l’Autorité nationale

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palestinienne répond aux prescriptions du Statutde Rome ». Aucune décision n’a encore étéprise sur la question.

d. Côte d’Ivoire

La Cour a compétence à l’égard de la situationen Côte d’Ivoire en vertu d’une déclaration quele Gouvernement ivoirien a déposé le 1 er oc-tobre 2003 au titre de l’Article 12(3) et par la-quelle il accepte la compétence de la Cour àcompter du 19 septembre 2002. Les crimes lesplus graves, y compris des cas présumés de vio-lences sexuelles à grande échelle, ont ‘té com-mis entre 2002 et 2005. Les 17 et 18 juillet2009, de hauts représentants du Bureau duProcureur se sont rendus à Abidjan.

e. Guinée

Le 14 octobre 2009, le Bureau a confirmé quela situation en Guinée faisait l’objet d’un exa-men préliminaire. La Guinée est un État partieau Statut de Rome depuis le 14 juillet 2003. Enconséquence, la Cour Pénale Internationale acompétence à l’égard des crimes de guerre,des crimes contre l’humanité ou du crime de gé-nocide pouvant être commis sur le territoire dela Guinée ou par ses ressortissants, y comprisles meurtres de civils et les violences sexuelles.Conformément à l’article 15 du Statut de Rome,le Bureau du Procureur a pris connaissanced’allégations graves concernant les événementssurvenus le 28 septembre 2009 à Conakry. Les12 , 13 et 15 janvier 2010, de hauts représen-tants du Bureau se sont entretenus avec le Pré-sident Compaoré du Burkina Faso, médiateurpour le groupe de contact sur la Guinée, et lePrésident Wade du Sénégal afin de veiller à ceque ces derniers soient pleinement informés dela progression des activités du Bureau. Du 15au 19 février 2010, le Bureau a envoyé en

Guinée une mission dirigée par la Procureureadjointe, dans le contexte de ses activités liéesà l’examen préliminaire de la situation. Du 19au 21 mai, des représentants du BdP se sontrendus à Conakry, afin de discuter des avan-cées réalisées depuis la dernière mission. Lesautorités guinéennes ont assuré le Cour de leurentière coopération.

B. Les situations devant les juges

Au cours des cinq dernières années le BdP aouvert des enquêtes à propos de cinq situations- la République Démocratique du Congo, leNord de l’Ouganda, le Darfour au Soudan, laRépublique Centrafricaine, et plus récemmentla République du Kenya, conformément aux cri-tères mentionnés par le Statut comme indiquéci-dessus.

1. Situation en République démocratique duCongo (RDC)

Cette situation a fait l’objet d’un renvoi de lapart des autorités de la RDC en avril 2004. LeBureau du Procureur a ouvert son enquête enjuin de la même année en se concentrant surl’Ituri, où les principaux groupes armés avaientcommis les crimes les plus graves.

Quatre mandats d’arrêt ont été délivrés, à l’en-contre des dirigeants de l’UPC Thomas Lu-banga Dyilo et Bosco Ntaganda, et de ceuxdu FNI et de la FRPI Germain Katanga et Ma-thieu Ngudjolo Chui. Le procès contre ThomasLubanga Dyilo s’est ouvert le 26 janvier 2009.L’ouverture du procès de MM. Katanga etNgudjolo Chui a eu lieu le 24 novembre2009. Bosco Ntaganda est toujours en fuite.En septembre 2008, le BdP a annoncé l’ouver-ture d’une enquête dans les deux provinces duKivu.

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2. Situation en Ouganda

Cette situation a fait l’objet d’un renvoi de la partdes autorités ougandaises en janvier 2004. Lebureau du Procureur a ouvert son enquête en juil-let de la même année. Cinq mandats d’arrêtsont été délivrés à l’encontre des plus hauts diri-geants de l’Armée de résistance du Seigneur(ARS) : Joseph Kony, Vincent Otti (qui aurait ététué en 2007 sur les ordres de Joseph Kony),Okot Odhiambo, Raska Lukwiya (tué le 12 août2006 et dont le mandat d’arrêt a de ce fait, étélevé) et Dominic Ongwen. Ces mandats n’ontpas encore été exécutés. Depuis 2008, l’ARSaurait tué plus de 1500 personnes, en aurait en-levé plus de 2 250 et en aurait contraint bienplus de 300 000 à se déplacer rien qu’en RDC.En outre, au cours de l’année écoulée, l’ARS adéplacé plus de 80 000 personnes et en a tuéprès de 250 dans le Sud du Soudan et en Ré-publique Centrafricaine.

3. Situation au Darfour (Soudan)

Cette situation a fait l’objet d’un renvoi de lapart du Conseil de Sécurité de l’ONU en mars2005. Le Bureau du Procureur a ouvert son en-quête en juin de la même année. Trois mandatsd’arrêts et une citation à comparaître ont étédélivrés, à l’encontre d’Ahmad Harun et Ali Kus-hayb, d’Omar Al Bashir et de Bahar Idriss AbuGarda. Les trois mandats d’arrêts n’ont pas en-core été exécutés.

L’Accusation a fait appel de la décision rejetantles accusations de génocide contre le PrésidentAl Bashir rendue par la Chambre à la majorité.Le 3 février, la Chambre d’appel a jugé que lerejet des chefs de génocide contre le PrésidentAl Bashir constituait une erreur de droit.

M. Abu Garda a comparu de son plein gré de-vant la Cour en exécution de la citation à com-paraître qui lui avait été adressée140. Il a été

autorisé à quitter les Pays Bas à l’issue de sacomparution initiale qui a eu lieu le 18 mai2009. L’audience de confirmation des chargesdes charges a eu lieu du 19 au 30 octobre2009. Le 8 février 2010, la Chambre Prélimi-naire a rendu une décision par laquelle elle re-jetait les charges. Le 15 mars, le BdP a déposéune demande d’autorisation d’interjeter appelde cette décision, que la Chambre préliminairea rejetée le 23 avril. Le BdP entend présenterdes éléments de preuve supplémentaires.

4. Situation en République centrafricaine (RCA)

Cette situation a fait l’objet d’un renvoi de la partdes autorités centrafricaines en décembre 2004.Le Bureau du Procureur a ouvert son enquête enmai 2007. Un mandat d’arrêt a été délivré à l’en-contre de Jean-Pierre Bemba Gombo pour descrimes commis en 2002 et 2003. L’audience deconfirmation des charges a eu lieu du 12 au 15janvier 2009. Le 15 juin de la même année, laChambre préliminaire II a rendu sa décision rela-tive à la confirmation des charges. Le 18 septem-bre, l’affaire a été renvoyée devant la Chambrede première instance III. L’ouverture du procès estprévue pour le 5 juillet 2010. Les 27 et 28 avril,la Chambre de première instance a tenu une au-dience sur l’admissibilité. Dans le même temps, leBureau continue de s’intéresser de près aux allé-gations de crimes commis depuis la fin 2005.

5. Situation au Kenya

En février 2008, le Bureau a annoncé officiel-lement qu’il analysait les violences postélecto-rales de décembre 2007 et janvier 2008. Le09 juillet, le Groupe d’éminentes personnalitésde l’Union Africaine a annoncé qu’il allait re-mettre au Bureau du Procureur une enveloppesous scellés contenant une liste de personnesqui seraient impliquées et des pièces justifica-

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tives que son Président Kofi Anan, avait lui-m6eme reçues de la Commission Waki. Le 5novembre, le Procureur a informé le PrésidentKibaki et le Premier Ministre Odinga que selonlui, des crimes contre l’humanité avaient étécommis et leur a rappelé son devoir d’interveniren l’absence de procédures nationales.

Le Président, tout comme le Premier Ministre,se sont engagés à coopérer avec la Cour. Le26 novembre, le Procureur a demandé à laChambre préliminaire II l’autorisation d’ouvrirune enquête insistant sur le fait que 1220personnes avaient été tuées que des cen-taines avaient été violées, que des milliers deviols avaient été commis, que 350 000 per-sonnes avaient été déplacées de force et que3561 avaient été blessés dans le cadred’une attaque généralisé ou systématique lan-cée contre la population civile. Le 31 mars,la Chambre préliminaire a autorisé le Procu-reur à ouvrir une enquête sur les crimes contrel’humanité qui auraient été commis lors desévénements survenus entre le 1er juin 2005et le 26 novembre 2009. Pour la premièrefois depuis le début de l’enquête, le Procureurs’est rendu au Kenya du 8 au 12 mai.

C. Les décisions rendues par la CPI

La Cour pourra prononcer des peines que leStatut fixe lui-même : un emprisonnement de «trente ans au plus » ou un emprisonnement àperpétuité « si l’extrême gravité du crime et la si-tuation personnelle du condamné le justifient »(Art. 77(1)) ; peuvent s’y ajouter une amendefixée selon les critères prévus par le règlementde procédure et de preuve et la confiscationdes profits et des biens tirés du crime (Art. 77(2)- sur les modalités de la fixation des peines, v.aussi Art. 77, 78 et 110 du Statut et les règles145, 146, 223 et 224 du règlement de pro-cédure et de preuve (RPP)).

La cour n’a pas encore rendu des décisions surle fond, pour le moment, dans aucune des situa-tions ci-dessus évoquées. Cependant elle arendu de multiples décisions conservatoires ouprovisoires et des mandats d’arrêts141. Au total2736142 décisions ont été rendues dont 2566par les chambres et 170 par la présidence.

Parmi les 2566 décisions des chambres, 1377sont publiques, 921 sont confidentielles et 98sont sous-scellées et parmi les 170 décisionsde la présidence, 103 sont publiques et 67confidentielles. Dans ce nombre de décisionsdes Chambres, il faut compter les 13 mandatsd’arrêts - dont huit n’ont toujours pas été exécu-tés - et 3 mandats de comparution.)

La CPI ne dispose pas de moyens pourassurer elle-même, où par le recours à lapuissance publique, à l’exécution de cedécisions

A la différence des systèmes judiciaires natio-naux ou des Tribunaux militaires de Nuremberget de Tokyo, la CPI n’a pas été dotée par sonStatut d’un appareil coercitif lui permettant demettre en œuvre ses décisions sur le territoiredes États. Qu’il s’agisse de l’arrestation et dutransfert d’individus, d’enquête ou de saisie, laCPI dépend entièrement de la coopération desÉtats, des organisations internationales et régio-nales ainsi que de la société civile internatio-nale. La force du système de Rome repose doncsur la possibilité d’un partage des responsabili-tés et d’une action conjuguée entre la Cour etles juridictions nationales. Ceci est d’autant plusvrai que le Bureau ne poursuit que les per-sonnes portant la plus lourde responsabilitédans la commission de crimes internationaux.

Les décisions présentement rendues par la Courpeuvent être classées en quatre catégories143 ;

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- les décisions de pure administration, notam-ment celles prises par la Présidence

- les décisions de pure procédure, elles préparentet organisent les procédures, veillent à la mise enétat et au respect des droits des parties au procès

- les mandats d’arrêts et les mandats de com-parution

- les mesures conservatoires et provisoires.

Les première et deuxième catégories de déci-sions ne présentent pas un intérêt majeur dansla cadre de cette étude comme, l’exécution estassurée par la Cour, dans la cadre des mesuresde pure administration, ou bien, par les partiesau procès, dans le cadre des mesures de pureprocédure édictées prises par les juges, pourassurer la mise en état des affaires et le respectdes droits des participants.

En revanche, comment sont exécutés les déci-sions portant mandats d’arrêts ou de comparu-tion ainsi que les mesures conservatoires ?

Mais nous pensons qu’avant cela, il ya un inté-rêt théorique majeur, même si la Cour n’a pasencore rendu de décision sur le fond, dans lesens d’une condamnation, de voir, comment se-raient exécutées les peines d’emprisonnementqu’elle serait amenée, à prononcer.

A. L’exécution des peines d’emprisonnement

Cette étude sur les peines d’emprisonnement,noyau dur des jugements de condamnation, enl’absence d’une pratique de la CPI ne peut avoirqu’un caractère exploratoire. Le sujet de l’exécu-tion des jugements prononcés par la CPI a cecide particulier, qu’il s’inscrit clairement dans lecadre du droit international, en raison de la natureinternationale de la juridiction.

Il emprunte également des spécificités liées à lamatière en cause, le droit pénal, et au fait que le

jugement n’est pas rendu entre États, ni d’ailleursentre un État et un individu.

“Ce sont les États qui fournissent l’oxygène dontle Tribunal a besoin.”

Le Statut de Rome a détaillé le régime de l’exécu-tion, auquel le chapitre X (Articles 103 à 111) estexclusivement consacré. Le régime de l’exécutionreprésente bel et bien une modalité de la coopé-ration des États avec la CPI. En effet, la distinctionopérée par les auteurs du Statut entre ces deuxchapitres s’explique en raison du souci des au-teurs de définir un régime de l’exécution moinscontraignant, moins “vertical”.

Ici, il importe de préciser le cadre général desjugements (A), avant de considérer le principede l’acceptation par les États de se porter vo-lontaires (B).

1. Considérations sur l’autorité des décisionsde la CPI

Sur le fond, les effets des décisions prises parla CPI dépendent de la qualification de l’acteen cause. Il semble peu douteux que les déci-sions sont des actes juridictionnels internatio-naux : les juges tranchent un différend, àsavoir la question de culpabilité ou non d’unindividu soupçonné de crimes internationaux,par application du droit international, et selonune décision revêtue du caractère obligatoireet définitive. Les travaux préparatoires du Sta-tut de Rome, de même que les documents in-ternes adoptés pour la coopération avec laCPI confirment que cette qualité n’a jamais étédiscutée par les délégations étatiques.

Deux questions classiques et récurrentesconcernent la problématique des effets des ar-rêts internationaux, celle ayant trait à la recon-naissance de l’autorité de chose jugée d’unepart, celle d’autre part relative à la force exé-cutoire du jugement.

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a. L’obligation de reconnaître et d’exécuter lesjugements de la CPI

Lors de la rédaction du Statut de Rome plusieursformules ont ensuite été proposées, mais finale-ment les délégations ont considéré que l’Article105 (I) du Statut, stipulant que sous réserve desconditions qu’un État a éventuellement formu-lées comme le prévoit l’Article 103(1)(b), lapeine d’emprisonnement est exécutoire pour lesÉtats parties, qui ne peuvent en aucun cas lamodifier, était suffisante.

L’acte de reconnaissance ne saurait avoir aucuneffet constitutive, car le jugement a dès son pro-noncé, au regard de l’ordre juridique des Étatsayant reconnu la compétence de la CPI, soit enadhérent au Statut (Art. 12.1) - autorité de chosejugée, celle-ci étant la conséquence du caractèrejuridictionnel de l’acte en cause. La reconnais-sance est automatique; les décisions sont effi-caces de plein droit dans les ordres internes. Onrejoint ainsi la distinction entre reconnaissance etexécution connue dans le cadre du régimeconventionnel des effets des jugements étrangers,mais ce qui est exceptionnel vis-à vis des juge-ments étrangers - l’effet automatique de chosejugée indépendamment de l’exequatur - est larègle pour les jugements internationaux.

Automatique, l’autorité relative de chose jugéede tels jugements, implique leur caractère défi-nitif. Il est intéressant de constater que beau-coup d’États ont désigné une autorité spécifiquechargée de l’exécution des peines et interlocu-trice du tribunal international (souvent le minis-tère de la Justice ou le ministère des AffairesÉtrangères), alors que le Statut de Rome n’impo-sait une telle obligation formelle que dans lecadre des demandes de coopération interna-tionale et d’assistance judiciaire du chapitre IXdu Statut. Cette formalité devrait éviter uneinexécution ou mauvaise exécution de l’arrêt(notamment des retards) en raison des diffé-rentes autorités qui pourraient ou devraient inter-

venir, législatives, exécutives, judiciaires, ou, surun autre plan, fédérales et fédérées.

L’immutabilité du jugement implique égalementqu’il ne peut être remis en cause que par lesvoies légalement ouvertes, à savoir la voied’appel admise pour la CPI et le recours plusclassique en révision dans les conditions stricte-ment définies. Le caractère définitif de l’arrêtempêche tout État de recommencer le procèssur ce qui a été jugé. Enfin, le jugement a éga-lement per se valeur probante.

b. La force exécutoire des jugements de laCPI

En vue de l’exécution forcée, les jugements dela CPI doivent-ils être soumis à une procédured’exequatur au même titre que les jugementsétrangers (allant jusqu’à vérifier la compétencedu tribunal international), ou à une procédureallégée d’exécution quasi-automatique se limi-tant à un contrôle formel du jugement.

Dans le cadre d’un jugement international, la sen-tence est rendue au nom d’une entité internationalede laquelle l’État d’exécution n’est pas étranger.Cette différence fondamentale justifie, à notre avis,que l’on admette que les jugements internationauxsont revêtus de l’exequatur automatiquement.

Le refus de l’apposition de la formule exécutoiren’entraînerait pas une violation par l’État del’obligation d’exécuter le jugement et l’engage-ment de sa responsabilité internationale.

B. L’acceptation de l’exécution des jugements : un régime largement favorable aux États

Le régime de la CPI est fondé sur le principe du dou-ble consentement de l’État. En fait, les États peuvent,dans des limites assez larges dans le cadre du Statutde Rome, poser des conditions à leur acceptation.

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1. Le principe du double consentement

Le principe est que les États sont libres de faireconnaître leur disponibilité, en général, puis aucas par cas lorsqu’ils sont saisis d’une telle de-mande par la Cour; la ratification du Statut deRome ne vaut pas acceptation automatiqued’être État d’exécution, contrairement au régimeretenu pour les peines d’amende et les mesuresde confiscation, et en dépit d’une propositioninitiale en ce sens, tant les obligations imposéessemblent lourdes.

L’Article 200(5) RPP de la CPI prévoit la possi-bilité pour les États de signer des accords bila-téraux «en vue d’établir un cadre pour laréception des personnes qu’elle a condam-nées», en précisant que « ces arrangementssont conformes au Statut144 » . Ce principe dudouble consentement, d’autant que l’État n’apas à motiver le refus au cas par cas d’être dé-signé, a été jugé comme une disposition essen-tielle par les autorités nationales.

En contrepartie, la Cour choisit l’État chargé del’exécution (parmi les États ayant fait la décla-ration de principe de leur disponibilité), et peut,dans le cadre du Statut de Rome modifier libre-ment l’État d’exécution pour le transfert decondamné vers un autre État; cette liberté dechoix est tout de même assez limitée, puisquela Cour doit tenir compte des principes de ré-partition équitable, ce qui semble vérifié en pra-tique de la réaction de l’État suggéré (qui peutdécliner l’offre), et de l’avis de l’individu.

Il est pertinent de relever que le condamné n’ aeffectivement pas été oublié dans cette procé-dure, ce qui est important compte tenu desconditions d’emprisonnement très variables d’unétat à un autre; un tel droit paraît légitime sur lefondement de l’égalité de traitement face àl’exécution de la peine, mais il ne garantira pasà lui seul, une telle égalité. La Règle 203 RPPpour la CPI prévoit la possibilité d’observations

du condamné quant aux choix de l’État d’exé-cution, avec le droit à un interprète et le droit de« disposer des délais et des moyens nécessairespour préparer la présentation de ses observa-tions ». Ajoutons que l’Article 104(2) du Statutde Rome lui confère la faculté de demander àtout moment le changement de l’État d’exécu-tion. De même, selon la Règle 210 RPP relativeà la « Procédure applicable en cas de change-ment d’État chargé de l’exécution », « 1. Avantde décider de designer un autre État chargé del’exécution, la Présidence peut (…) b) examinerles observations écrites ou orales du condamnéet du Procureur ». Il est certain que le condamnéaura tendance à choisir l’État d’exécution leplus favorable pour l’exécution de sa peine -celui qui accordera par exemple des remisesde peine plus facilement - ou surtout celui aveclequel il a le plus de liens.

2. Un double consentement conditionné parl’État

Il n’est donc pas surprenant que la possibilitépour l’État de conditionner son accord ait étéexpressément inscrite dans le Statut de Rome :l’Article 103(1)(b) énonce que « lorsqu’il dé-clare qu’il est disposé à recevoir des condam-nés, un État peut assortir son acceptation deconditions ». L’idée était d’encourager les Étatsà héberger des prisonniers, sans avoir parexemple à modifier leur constitution (en pré-voyant par exemple le libre exercice du droitde grâce), et plus généralement de ménagerleurs susceptibilités. Ce même Article 103(1)(b)ajoute que ces conditions « doivent êtreconformes aux dispositions du présent chapitre», ce qui devrait être négocié au moment del’accord bilatéral. La Règle 200(2) RPP permetau Président de la Cour de ne pas inscrire unÉtat « sur la liste visée au paragraphe 1 a) del’Article 103, si elle n’approuve pas les condi-tions dont cet État assortit son acceptation. » De

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même, la Règle 200 (3) RPP stipule que si l’Étatpeut modifier à tout moment les conditions deson acceptation, « toute modification ou toutajout doivent être confirmés par la Présidence ».La Règle 200(5) RPP CPI réitère le principe deconformité des accords bilatéraux avec le Sta-tut. Cependant, la CPI, dans sa composition dejugement n’aura pas en principe à statuer sur lalégalité des conditions posées par un État,puisqu’il n’a pas à connaître des questions liéesà l’exécution de la peine.

Cas particulier de l’exécution des mandats d’arrêts et des mesures conservatoires

A. État des lieux

Comme montré par le résumé des situations,jusqu’à ce jour, 3 demandes d’arrestation et deremise émises par la Cour ont été exécutées, ettrois personnes ont donné suite à une citation àcomparaître145.

En revanche, 8 mandats d’arrêt et les de-mandes respectives en cours n’ont pas encoreété exécutés146 :

- 4 pour la situation en Ouganda,

- 3 pour le Darfour, Soudan,

- 1 pour la République Démocratique duCongo.

La Cour dépend des États pour l’arrestation et laremise de ces suspects. Elle a émis des requêtespour la coopération dans l’arrestation et la remisede ces individus. Ces requêtes obligent les ÉtatsParties au Statut de Rome. En parallèle, la Courrenforce sa coopération avec les États, les Na-tions Unies et les autres acteurs afin de s’assurerde tous les soutiens nécessaires. Malgré tous cesefforts, les 8 mandats d’arrêts n’ont pas encorejusqu’à ce jour été exécutés.

Conformément à son mandat qui consiste à mo-

biliser les efforts en vue des arrestations, le BdPa développé une stratégie vers et des recom-mandations à l’usage des États et organisationsinternationales. Ce sera expliqué plus en détailà la troisième partie.

En ce qui concerne les mesures conservatoiresportant en particulier sur le gel et saisies desavoirs des inculpés ont en général été exécu-tées147 par les États.

Le chapitre IX du Statut de Rome définit le cadrejuridique des différentes formes de coopérationinternationale et d’entraide judiciaire. Pourtant,depuis que la Cour est devenue opérationnelle,les défis nés de la coopération se sont multipliéset représentent l’un des enjeux fondamentauxdes activités de la Cour.

B. Obligation de coopérer

Conformément à l’Article 86 du Statut deRome, les États Parties coopèrent pleinementavec la Cour dans les enquêtes et poursuitesqu’elle mène pour les crimes relevant de sacompétence. De plus, la Cour peut inviter toutÉtat Non Partie au Statut à prêter son assistanceau titre du chapitre IX sur la base d’un arrange-ment ad hoc ou d’un accord conclu avec cetÉtat ou sur toute autre base appropriée (Art.87(5)(a)).

Si un État Partie n’accède pas à une de-mande de coopération émanant de la Cour,d’après l’Article 87(7) du Statut, la Cour peuten prendre acte et en référer à l’Assembléedes États Parties ou au Conseil de sécuritélorsque c’est celui-ci qui l’a saisie. Également,si un État Non Partie au Statut de Rome, maisayant conclu avec la Cour un arrangementad hoc ou un accord, n’apporte pas l’assis-tance qui lui est demandée en vertu de cetarrangement ou de cet accord, suivant l’Arti-cle 87(5) (b), la Cour peut en informer l’As-

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semblée des États Parties, ou le Conseil desécurité lorsque c’est celui-ci qui l’a saisie.

C. Importance de la coopération judiciairepour le BdP

Dans le cadre de ses activités d’enquête et depoursuite, l’assistance judiciaire est essentiellepour le BdP. Jusqu’à ce jour, il a présenté 588demandes d’entraide judiciaire à 37 États Par-ties et 10 États Non Parties au Statut de Rome.

En ce qui concerne en particulier les demandesconcernant l’aspect financier des enquêtes, no-tamment les avoirs, depuis 2008 jusqu’à cejour le BdP de Procureur a fait en tout 27 de-mandes d’entraide judiciaire à 11 États diffé-rents, par lesquelles les États ont été requisd’adopter des mesures coercitives dans ce do-maine.

Les objets de ces demandes d’entraide sont di-verses, notamment la transmission des docu-ments bancaires, l’identification et audition despersonnes travaillant pour certaines sociétés/banques, le gel des biens et des avoirs, l’iden-tification, perquisitions et de saisies des biens etles informations de la télécommunication148.

IV. Cas particulier de l’exécution par un étatnon partie au Statut et la question desimmunités

Le Statut n’impose aucune obligation de prin-cipe aux États Non Parties en matière de coo-pération. Pour autant, plusieurs dispositionsdans le Statut peuvent être considérées commeinvitant ces États à coopérer.

Comme indiqué, l’Article 12(3) par exemple in-dique qu’un État non partie au Statut peut ac-cepter la compétence de la Cour à l’égardd’une situation spécifique149.

De même, les États Non Parties au Statut ont la

possibilité de coopérer sur la base de toutebase appropriée avec la Cour. L’Article 87(5)prévoit ainsi que la Cour « peut inviter tout Étatnon partie à prêter son assistance au titre duprésent chapitre sur la base d’un arrangementad hoc ou d’un accord conclu avec cet État ousur toute autre base appropriée ». Lorsqu’un telarrangement est conclu, l’État s’engage à coo-pérer pleinement avec la Cour selon les termesde l’accord.

Qu’en est-il de l’exécution des décisions dela CPI au sein d’un État Non Partie, et qui n’apas signé un tel arrangement ou accord avecla Cour et à défaut de toute autre base ap-propriée ?

L’Article 27 du Statut de Rome stipule que leStatut s’applique à tous de manière égale, sansaucune distinction fondée sur la qualité offi-cielle. En particulier, la qualité officielle de chefd’État ou de gouvernement, de membre d’ungouvernement ou d’un parlement, de représen-tant élu ou d’agent d’un État, n’exonère enaucun cas de la responsabilité pénale au re-gard du présent Statut, pas plus qu’elle neconstitue en tant que telle un motif de réductionde la peine.

La question a été soulevée par le mandat d’ar-rêt récemment délivré à l’encontre du PrésidentSoudanais Al Bashir : 150

Des ce cas particulier, la Cour est compé-tente en vertu de la résolution 1593 duConseil de sécurité (2005), adoptée confor-mément au Chapitre VII de la Charte des Na-tions Unies, qui a déféré la situation auDarfour (Soudan) à la CPI et conformément àl’Article 13(b) du Statut de Rome. Par consé-quent, la Cour est compétente.

L’Article 27 ne fait aucune distinction entre lerenvoi d’un État ou du Conseil de sécurité oules communications de personnes, ni entre lessituations concernant les États Parties ou les

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États Non Parties - il s’applique lorsque la Courest compétente. Ainsi, l’Article 27 s’applique àla situation au Darfour.

L’Article 98(1), qui stipule que « la Cour ne peutpoursuivre l'exécution d'une demande de re-mise ou d'assistance qui contraindrait l'État re-quis à agir de façon incompatible avec lesobligations qui lui incombent en droit interna-tional en matière d'immunité des États ou d'im-munité diplomatique d'une personne ou debiens d'un État tiers, à moins d'obtenir au préa-lable la coopération de cet État tiers en vue dela levée de l'immunité », ne s’applique pasdans le cas particulier.

En vertu des travaux préparatoires qui ontabouti à la rédaction du Statut, la Cour n’estpas tenue d’obtenir une levée de l’immunitépour qu'un État Partie lui remette un chef d’Étatou de gouvernement ou encore un diplomated’un autre État Partie. Cette interprétation de lalevée de l’immunité s’applique de la même ma-nière lorsque la Cour exerce les pouvoirs quelui confère une résolution du Conseil de sécuritéadoptée en vertu du Chapitre VII de la Chartedes Nations Unies, qui impose que tout Étatnon partie coopère pleinement avec la CPI.

Étant donné que l’article 27 est applicable en l’oc-currence, le Président Al Bashir ne bénéficie d'au-cune immunité. Il n'y a donc pas d'obligationsconflictuelles au regard du droit international.

V. Les techniques et des stratégies du BdPdestinées à garantir la mise en œuvre de cesdécisions et l’impact du travail de la CPI

A.Difficultés rencontrées dans la pratique

Comme indiqué, qu’il s’agisse de l’exécutiondes décisions, en particulier l’arrestation d’indi-vidus, la CPI dépend entièrement de la coopé-ration des États et des organisationsinternationales et régionales.

En outre, si le Statut prévoit une obligation gé-nérale de coopérer, des difficultés d’ordre poli-tique et logistique se posent dans la pratique.

A titre d’exemple, trente pays africains ont rati-fié le Statut de Rome, faisant de l'Afrique la ré-gion la plus représentée à l'Assemblée des Étatsparties avec 23% des ratifications.

La coopération avec l’Union africaine et les Étatsd’Afrique est particulièrement importante aux yeuxde la Cour, puisque toutes les situations dont elleest saisie concernent des États d’Afrique.

De ce fait, il ya eu une perception selon la-quelle l’Afrique est devenue le « laboratoire »de la CPI et du droit international, répandue ausein des milieux académiques, militants et juri-diques africains, perception amplifiée par lepolitique, suite à la requête du Procureur auxjuges, dans la situation au Darfour, de lancerun mandat d’arrêt contre Président Al Bashir. Leschefs d'État et de gouvernement des Étatsd'Afrique, Caraïbe et Pacifique (ACP), la LigueArabe et l’Union Africaine ont officiellement ap-pelé à la suspension des actions de la Cour pé-nale internationale contre le Président, pourlaisser les efforts politiques et diplomatiques ré-soudre la situation au Darfour. Ils demandentque soit appliqué l’Article 16 du Statut auxtermes duquel enquêtes et poursuites peuventêtre suspendues pendant une année dans uneaffaire, si le Conseil de Sécurité fait une de-mande en ce sens à la Cour en vertu du Cha-pitre VII de la Charte des Nations Unies.

De la même manière, suite au lancement demandats d’arrêt contre Ahmad Harun et Ali Kus-hayb dans la même situation, l’Ambassadeurdu Soudan aux Nations Unies avait déclaréque le Procureur avait pour objectif d’« anéantirle processus de paix » au Darfour en décidantde poursuivre un officiel du Gouvernement deKhartoum :151. La communauté internationale,après avoir appelé de ses vœux l’examen de la

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situation au Darfour par la CPI, semble faireécho aux propos de l’Ambassadeur en négli-geant de coopérer pleinement à l’arrestation etau transfert d’Ahmad Harun et d’Ali Kushayb,craignant qu’un tel transfert ne fasse avorter lesnégociations visant à un déploiement d’uneforce de sécurité de l’ONU.

Le 25 mai 2010 la Chambre préliminaire arendu sa décision informant le Conseil de sécu-rité de l’ONU de l’absence de coopération dela part de la République du Soudan. Dans sadécision publique, la Chambre a considéré «que l’obligation qu’a la République du Soudande coopérer avec la Cour découl[ait] directe-ment des dispositions de la Charte des NationsUnies et de la résolution 1593 […] », et que «toutes les mesures possibles [avaient été prises]pour obtenir la coopération de la Républiquedu Soudan ». La Chambre a conclu que « laRépublique du Soudan n’a[vait] pas rempli sesobligations de coopération découlant de la ré-solution 1593 quant à l’exécution des mandatsd’arrêt délivrés par la Chambre à l’encontred’Ahmad Harun et d’Ali Kushayb », et préciséque « cette décision [était] sans préjudice desautres décisions et mesures qu’elle pourraitprendre dans le cadre d’autres affaires se rap-portant au Darfour », avant d’ordonner au Gref-fier de communiquer « la[dite] décision auConseil de sécurité par l’intermédiaire du Se-crétaire général de l’ONU afin que le Conseilprenne toute mesure qu’il juge appropriée152 ».

B. Les stratégies du BdP pour inviter à unemeilleure coopération des états

Comme indiqué, le Statut de Rome a créé plusqu’une Cour. Il a créé un système d’échangesentre les États, la société civile, les organisa-tions internationales et cette Cour, fondé sur unprincipe central: la coopération.

Le Chapitre IX du Statut de Rome impose à ses

États parties l’obligation de coopérer pleine-ment avec la Cour dans les enquêtes et pour-suites qu’elle mène. Pour autant, le Procureur nepeut ordonner la coopération mais simplementla solliciter153 .

Selon l’Article 86 du Statut, « les États Partiescoopèrent pleinement avec la Cour dans les en-quêtes et poursuites qu’elle mène pour les crimesrelevant de sa compétence ».

Lorsqu’une situation est déférée à la Cour par unÉtat dans lequel un crime a été commis, la Coura l’avantage de savoir que l’État a la volonté po-litique de coopérer sur son territoire tel qu’exigépar le Statut. Puisque l’État, de son propre gré,a fait appel à la compétence de la Cour, le Pro-cureur peut être confiant sur le fait que les auto-rités nationales aideront à l’enquête etaccorderont les privilèges et les immunités néces-saires, et qu’il fera bénéficier de la protection né-cessaire aux enquêteurs et aux témoins. De lamême manière, si un renvoi est effectué par unÉtat tiers qui n’est pas impliqué dans les crimesprésumés, le renvoi indique un soutien, de la partde cet État, à l’égard de l’implication de la Cour.

La coopération est l’un des cinq objectifs majeursidentifiés dans la Stratégie en matière de pour-suites du Bureau du Procureur pour la période2009-2012.

Il convient de noter ici, que le Bureau cherchera,tout comme les autres organes de la Cour, à ga-rantir la bonne mise en œuvre des recomman-dations relatives à la coopération figurant dansles rapports et les résolutions de l’Assemblée desÉtats parties, et notamment dans le Rapport duBureau sur la coopération adopté en décembre2007154.

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C. Lois d’application

En collaboration avec le Greffe, des ONG etd’autres intervenants, le BdP encouragera l’adop-tion de telles lois, de manière à ce que les Étatsparties puissent eux mêmes engager des pour-suites pour les crimes relevant du Statut de Romeet coopérer avec le Bureau et l’ensemble des or-ganes de la Cour. En règle générale, le BdP necherche pas à conclure d’accords de coopéra-tion judiciaire avec les États et s’en remet au Statutde Rome et à la législation nationale.

D. Appui diplomatique et soutien du public

La priorité du BdP dans toutes les situations serade veiller à ce que les États et les organisationsinternationales soutiennent son action spécifiquedans le cadre d’une politique à mettre en œuvredans les ministères et les différentes directions(justice, affaires étrangères, défense, développe-ment, relations avec l’ONU et autres représenta-tions multilatérales, etc.) depuis la phase desurveillance d’une situation jusqu’à l’arrestationd’individus faisant l’objet d’un mandat d’arrêt dela Cour. Les questions liées à cette dernière de-vront être intégrées aux activités des États et desorganisations.

Le BdP a désigné en son sein des points focauxchargés de renforcer les voies de transmissionavec des organisations internationales et spécia-lisées. Le BdP organisera régulièrement des réu-nions de travail et des réunions de hautsresponsables avec ces organisations et enverrades délégations sur place afin de mieux fairecomprendre son action et de s’assurer que sesactivités sont davantage prévisibles. Il s’appuierapour ce faire sur le travail réalisé par les bureauxde liaison à New York et à Addis Abeba.

E. Mobilisation des efforts déployés en vuede l’arrestation et de la remise des personnes visées par les mandats d’arrêtou des citations à comparaître

Conformément à son mandat qui consiste à mo-biliser les efforts en vue des arrestations, le BdPa défini des recommandations à l’usage desÉtats, à savoir :

a) Éviter tout contact qui ne serait pas essentielavec les personnes qui tombent sous le coupd’un mandat d’arrêt décerné par la Cour, etlorsque de tels contacts s’avèrent nécessaires,d’abord tenter de passer par des personnesnon recherchées par la Cour ;

b) Lors de réunions bilatérales ou multilatérales,militer activement en faveur de l’application desdécisions de la Cour, prôner la coopérationavec celle ci et exiger, le cas échéant, l’arrêtimmédiat des crimes commis ;

c) Contribuer à la marginalisation des fugitifs etprendre des mesures visant à empêcher que del’aide humanitaire ou des fonds destinées auxpourparlers de paix soient détournés au profitde personnes tombant sous le coup d’un man-dat d’arrêt ; et

d) S’efforcer de collaborer à la planification età l’exécution de l’arrestation de personnes fai-sant l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par laCour, notamment en fournissant un appui opé-rationnel ou financier aux pays désireux demener de telles opérations mais n’en ayant pasles moyens.

Le BdP donnera suite à ces lignes directrices etapprofondira le dialogue qu’il entretient avec lesmédiateurs chargés de pourparlers de paix,comme cela fut le cas au Kenya, en Républiquecentrafricaine et au Soudan. L’objectif de ce dia-logue est de veiller à ce que ces derniers intè-grent dans leurs activités le mandat indépendantde la CPI, excluent des accords de paix et des

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accords politiques toute amnistie pour les auteursde crimes visés par le Statut de Rome et garantis-sent la bonne exécution des décisions des cham-bres de la Cour, ce qui conduira à l’isolement età l’appréhension des individus qu’elle recherche.

F. Coopération et assistance renforcées dela part des États

Le BdP continuera à développer ses voies decommunication avec les États parties ou non,afin de renforcer toute forme de coopération etd’assistance judiciaire, comme le prévoit le cha-pitre IX du Statut de Rome. Une base de don-nées relative aux demandes d’assistancepermet au BdP de suivre l’évolution de la situa-tion en la matière.

Le BdP s’efforcera en priorité de faire aboutirrapidement ses demandes de visa présentéesen urgence pour des témoins ou des tiers afinde procéder à des entretiens préliminaires oude recueillir des dépositions et ses demandesd’informations de nature financière.

G. L'influence de la Cour

Les spécialistes et les professionnels du droitpénal tendent à focaliser leur analyse sur lesjugements définitifs, l’équité de la procédureet les arguments juridiques de la Cour. Cesont certes des éléments importants. La CPIdoit en effet se montrer exemplaire dans tousces domaines. Le respect total des droits detoutes les parties concernées est la pierre an-gulaire de la crédibilité de la Cour. Ainsi lesjuges ont-ils ordonné la suspension de la pro-cédure dans l’affaire Lubanga. Le Procureuravait informé les parties que certains docu-ments en sa possession pouvaient être déter-minants pour la Défense, mais qu’ils nepouvaient pas être divulgués parce qu’ilsavaient été obtenus sous le sceau de la confi-

dentialité. Le Procureur a alors proposé d’au-tres options. Finalement, une solution a ététrouvée et le procès a pu reprendre. Ce qu’ilfaut retenir ici, c’est que les juges étaientprêts à mettre un terme au premier procès in-tenté par la Cour et à libérer M. Lubanga plu-tôt que de transiger sur l’équité du procès etque le Procureur était prêt à perdre sa pre-mière affaire plutôt que de renoncer à sesobligations de transparence vis-à-vis de laDéfense et à son devoir de confidentialité àl’égard de ses informateurs.

Cependant, la qualité irréprochable etl’équité des procédures ne suffiront pas. L’ef-ficacité de la Cour réside dans son rayonne-ment mondial. Seul un nombre restreintd’affaires pourra être porté devant notre Courau fil des ans, mais ces affaires et les juge-ments qui seront rendus auront un retentisse-ment au moins dans les 111 États parties auStatut de Rome, voire même dans des Étatsnon parties. C’est ce que nous appelons l’«influence » de la Cour, en référence à un ar-ticle écrit il y a trente ans par Mnookin etKornhauser intitulé Bargaining in the Shadowof the Law155. Utilisé d’abord dans lecontexte du droit de la famille et des affairesde divorces, ce concept de l’influence ex-plique comment une décision de justice ren-due dans une affaire donnée peut avoir desrépercussions sur d’autres affaires. Cela setraduit par la négociation d’accords et le rè-glement de différends sans qu’il soit néces-saire d’intervenir judiciairement par la suite :les affaires sont alors résolues « sous l’in-fluence de la loi ». On pourrait considérer detels changements d’attitude comme la princi-pale influence exercée par la Cour.

Dans le contexte de la CPI, les premiers effetsde cette influence se font ressentir petit à petit.En Colombie, les procureurs, les tribunaux, lesparlementaires et les responsables de l’exécutif,

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craignant que la CPI ne puisse exercer sa com-pétence, ont fait des choix politiques en faisantappliquer la loi « Justice et Paix » visant à pour-suivre les principaux auteurs de crimes.

Avant même qu’un jugement ne soit rendu dansl’affaire Lubanga, la question du recrutementdes enfants a déclenché des débats dans despays éloignés comme la Colombie, un État Par-tie, ou encore le Sri Lanka et le Népal, deuxÉtats non parties. Radhika Coomaraswamy, laReprésentante spéciale du Secrétaire généralde l’ONU pour les enfants et les conflits armésa expliqué lors de son témoignage en tantqu’expert dans l’affaire Lubanga, à quel pointelle comptait sur cette tribune pour mener sacampagne partout dans le monde et obtenir lalibération d’un plus grand nombre d’enfants156.C’est un pas en avant. Alors que le champ géo-graphique de la Cour est déjà très large, la vi-tesse de propagation et l’ampleur de soninfluence dépendront d’autres acteurs et de l’in-tégration de leurs efforts dans une stratégie glo-bale en faveur de la justice internationale. Danscette perspective, les chefs politiques et mili-taires, les diplomates, les médiateurs, les orga-nisations non gouvernementales, les victimes etles citoyens ordinaires ont tous un rôle à jouer.

Les dirigeants politiques sont de plus en plus en-clins à ostraciser les personnes recherchées parla Cour. Le Président Al Bashir est devenu un fu-gitif : il ne peut voyager librement dans les Étatsparties de la CPI. Ainsi, l’Afrique du Sud a in-formé le Président Al Bashir qu’il était invité à lacérémonie d’investiture du Président Zuma maisqu’il serait arrêté dès son arrivée dans le pays.L'Ouganda, le Nigéria et le Venezuela ont prisdes mesures du même ordre. M. Lula, le Prési-dent du Brésil et M. Kirchner, le Président del’Argentine, ont refusé de côtoyer le PrésidentAl Bashir lors d’un sommet Amérique du Sud-Pays arabes. Le président Sarkozy a repousséet déplacé un important sommet France-Afrique

plutôt que de courir le risque de le rencontrerdans un couloir. La Turquie, un État non partie apris soin d’annuler sa participation lors d’uneréunion de l’Organisation de la Conférence is-lamique à Ankara. De même, en ce quiconcerne la situation en Guinée, le Maroc a re-fusé de garder le Président Dadis Camara surson territoire parce qu’il ne voulait pas abriterun suspect potentiel de la CPI. Le Président duBurkina Faso, Blaise Compaoré, a contacténotre Bureau pour vérifier si un mandat d’arrêtavait été lancé contre Dadis Camara avantd’accepter de le recevoir.

Partout dans le monde, les armées revoientleurs normes opérationnelles, leurs modesd’entraînement et leurs règles d’engagementpour les adapter au Statut de Rome. C’est decette façon que l’on parviendra à éradiquerla violence. La loi fait la différence entre unsoldat et un terroriste. En même temps, les mi-litaires doivent aider la Cour en s'engageantà arrêter les personnes qui menacent la sécu-rité régionale. Dans le cas de Joseph Konypar exemple, son arrestation pourrait êtreplus efficace qu’une campagne militaireconventionnelle contre l’ARS.

Les conciliateurs et les médiateurs doivent aussiadapter leurs méthodes et leurs moyens d’ac-tion en respectant les limites prescrites par laloi. Les médiateurs doivent désormais prendreen compte les faits dévoilés par la preuve judi-ciaire et respecter le nouveau cadre légal. LeSecrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon aémis en avril 2009 des consignes très strictesexhortant tous les médiateurs à toujours respec-ter l’action de la CPI. Une telle position ne limitepas le champ d’action des médiateurs ; aucontraire, elle leur donne la possibilité de mettreau point de nouvelles stratégies plus sophisti-quées pour mener à bien des négociations. Ildoit exister une solution médiane entre le bom-bardement des responsables de crimes à

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grande échelle et la politique de la main ten-due à leur égard.

Le rôle des victimes dans l’établissement du pro-jet de la CPI a été déterminant. Notre Cour estla leur. Elles participent à ses activités de plu-sieurs façons. Certaines l’ont saisie, d’autres ontaccepté de témoigner. Leur douleur et leurs souf-frances constituent autant de preuves contre lesaccusés. Chacune d’elles a son rôle à jouerpour mettre un terme à l’impunité des crimes demasse et pour renforcer la légitimité du systèmedans son ensemble.

Enfin, les citoyens et les institutions de la sociétécivile qui, à travers le monde, ont joué un rôleclé dans l’adoption du Statut de Rome en1998, gardent une place de choix dans samise en œuvre. La Coalition pour la Cour pé-nale internationale sert de plateforme à de nom-breuses organisations de la société civile enfaveur de la justice internationale, comme entémoigne 'ONG Invisible Children, qui a menéavec succès une campagne auprès du Congrèsaméricain en faveur de la Loi sur le désarme-ment de l’ARS et la reprise du nord de l’Ou-ganda de 2009. La campagne « Justice pourle Darfour », qui a rallié à elle plusieurs ONG,est un autre exemple de l’influence que peuventexercer les citoyens.

Tous les acteurs susmentionnés contribuent àl’élargissement de l’influence exercée par laCour et son ampleur dépend des actions qu’ilsentreprennent.

VI. Conclusion générale

Après sept années d’exercice, le système deRome est en mouvement. Les analyses et les en-quêtes avancent, les procès débutent et les pers-pectives de développements institutionnels etjudiciaires se multiplient. Le nombre de ratifica-tions augmentent de manière constante et régu-

lière. De nouveaux États font confiance et légiti-ment ainsi davantage l’existence de la Cour.

Pour autant les difficultés liées à l’exécution deces décisions, notamment des mandats d’arrêtsauxquelles fait face la CPI sont réelles. Il faut,dans tous les cas, renforcer la coopération desÉtats en matière d’exécution des mandats d’arrêt.

En tant que magistrats, nous savons que seul lerespect de la loi assoira l’autorité et la légitimitéde la Cour. La Cour peut contribuer à mobiliserles efforts déployés à l'échelle internationale etappuyer les coalitions qui regroupent les parti-sans de telles arrestations, mais ce sera en fin decompte aux États parties, qu'il reviendra de pren-dre la décision d'appliquer la loi.

Les rapports entre juridictions nationaleset tribunaux arbitraux internationauxMaître Frédéric BACHAND, Professeur àla Faculté de droit de l'Université McGill

Étudier l’arbitrage international dans un congrèsconsacré à l’internationalisation du droit à etl’internationalisation de la justice allait de soi.En plus de devenir, en quelques décennies seu-lement, le mode normal de résolution des litigesdu commerce international que les parties n’ontpas réussi à résoudre à l’amiable157, cette ins-titution est devenue un système de justice vérita-blement international, en ce sens que l’instancearbitrale est aujourd’hui très largement déta-chée des ordres juridiques nationaux et surtoutassujettie à quelques principes généraux trans-nationaux - j’entends par là des principes gé-néraux faisant l’objet d’un important consensusau sein de la communauté internationale, telsles principes donnant aux parties le libre choixdes arbitres158, de la procédure applicable159

et du droit applicable au fond160, le principede la compétence-compétence161, le principe

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d’impartialité des arbitre162, le principe de l’im-munité des arbitres163 ainsi que le principe ducontrôle a posteriori de la légalité de la dé-marche arbitrale164. Certains vont mêmejusqu’à soutenir que l’arbitrage international esten réalité rattaché à un ordre juridique auto-nome, transnational - parfois appelé « arbitral »,pour reprendre l’expression privilégiée par leProfesseur Emmanuel Gaillard dans son récentet magistral ouvrage sur les aspects philoso-phiques du droit de l’arbitrage international165.

Ce phénomène d’internationalisation de l’arbi-trage n’est évidemment pas le fruit du hasard.Au contraire, il découle d’un effort concerté dela communauté internationale, qui s’est mised’accord - au lendemain de la Seconde GuerreMondiale - sur trois idées capitales : d’abord,la pacification des relations internationalespasse notamment par la libéralisation deséchanges commerciaux internationaux166 ; en-suite, afin de libéraliser ces échanges, les opé-rateurs du commerce international doivent avoiraccès à un système d’arbitrage leur permettantde résoudre leurs litiges de manière efficace167 ;enfin, l’efficacité de l’arbitrage international dé-pend de son internationalisation, qui - commeon vient de le souligner - implique notammentl’affranchissement de l’instance arbitrale faceaux particularismes juridiques locaux. L’idéed’internationalisation de la justice est donc aucœur même de tout le système.

Si on se penche plus particulièrement sur lesrapports qu’entretiennent juridictions natio-nales et juridictions arbitrales, il faut d’abordrappeler que ces rapports existent toujours :malgré ce phénomène d’internationalisationque je viens d’évoquer, l’arbitrage internatio-nal - comme chacun le sait - ne se déroulepas totalement en marge de la justice éta-tique. En raison du caractère privé de l’arbi-trage et du fait que l’arbitre - juge privé - estdépourvu d’imperium168, il existe de nom-

breux points de contact entre la justice arbi-trale et la justice étatique. Et comme cespoints de contact touchent notamment à desquestions fondamentales, telles l’exécution dela convention d’arbitrage et l’exécution de lasentence arbitrale, il n’est pas exagéré d’af-firmer que l’efficacité de l’arbitrage interna-tional est en très grande partie tributaire de lacollaboration des juges nationaux. Cette si-tuation perdurera tant et aussi longtemps quela communauté internationale ne s’entendrapas sur la nécessité de créer une juridictioninternationale chargée de prêter assistanceaux arbitrages internationaux et de contrôlerleur légalité - comme ce fut fait dans le cadredu système, très original et très innovateur, del’arbitrage OHADA169.

Si le phénomène d’internationalisation de l’arbi-trage n’a pas encore conduit à une rupture desliens entre juridictions étatiques et juridictions ar-bitrales, il exerce néanmoins une influence in-déniable et grandissante sur le cadre juridiquede l’intervention du juge. On peut y voir uncomplément logique à un autre phénomène surlequel il convient de s’arrêter dans un premiertemps : la transformation des finalités de l’inter-vention judiciaire dans ce domaine.

I. Transformation des finalités de l’interven-tion judiciaire

Les dernières décennies ont été marquées parune transformation très importante des finalitésde l’intervention judiciaire en matière d’arbi-trage international, transformation qui est liée àun changement d’attitude des droits nationauxface à la justice privée en général, et à la jus-tice arbitrale internationale en particulier.

À une époque qui n’est pas si lointaine - c’estnotamment vrai au Canada -, l’attitude des juri-dictions étatiques face à la justice arbitrale re-flétait la méfiance, voire le mépris qu’éprouvait

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l’ordre juridique étatique envers celle-ci. L’arbitreétait pratiquement sous la tutelle d’un juge quivoyait généralement la justice arbitrale d’unbien mauvais œil. Cette attitude conduisait,par exemple, les juges de common law àfaire généreusement usage du pouvoir discré-tionnaire dont ils disposaient de refuser dedonner effet à une convention d’arbitrage parailleurs parfaitement valide et applicable auplan contractuel170, et à exercer un contrôleassez étendu du fond des sentences - notam-ment à propos de questions de droit171. Elleconduisait aussi les juges civilistes à interpré-ter les conventions d’arbitrage de manièrestricte, en privilégiant - en présence de lamoindre ambiguïté - le recours aux juridic-tions de droit commun172, ou encore, dansles pires cas, à considérer la clause compro-missoire contraire à l’ordre public173.

L’attitude des juridictions nationales a ensuiteévolué, tout comme d’ailleurs le cadre juridiquerégissant l’arbitrage. On est passé de l’époquede la méfiance à l’époque de la tolérance : lajustice arbitrale n’était alors plus méprisée, maison ne pouvait cependant aller jusqu’à direqu’elle était réellement encouragée. L’attitudedu juge en est plutôt devenue une de neutralitéface à la convention d’arbitrage et à la sen-tence arbitrale, et c’est ce changement de pa-radigme qui a rendu possibles d’importantsdéveloppements en vertu desquels les juridic-tions étatiques ont, par exemple, accepté dedonner pleinement effet à la convention d’arbi-trage qu’une partie méconnait en intentant uneaction judiciaire174, renoncé à l’interprétationstricte des conventions d’arbitrage au profit desrègles de droit commun d’interprétation descontrats175, cessé de contrôler le fond des sen-tences arbitrales176, et contribué à l’expansiondu domaine des matières arbitrables177.

L’époque de la tolérance a elle aussi fait sontemps; nous voici maintenant dans une troi-

sième époque : celle du soutien. Il s’agitd’abord et avant tout d’un soutien de l’ensem-ble des modes extrajudiciaires de résolution dedifférends, qu’ils soient juridictionnels ou non,auxquels l’État accepte aujourd’hui de consa-crer d’importantes ressources. Vient immédiate-ment à l’esprit, du moins à celui d’un juristecanadien, la médiation judiciaire - la médiationpar les juges -, qui constitue un exemple parti-culièrement éloquent de ce phénomène178. Enmatière d’arbitrage international, et s’agissantplus précisément du rôle joué par les juridictionsnationales, les répercussions sont majeures etclairement reflétées dans le cadre juridique ap-plicable. En effet, aujourd’hui, on ne s’attendplus seulement des juges à ce qu’ils rendent l’ar-bitrage international possible en donnant effet àla convention d’arbitrage et en respectant la fi-nalité de la sentence arbitrale; il leur incombeégalement de rendre l’arbitrage international ef-ficace. D’ailleurs, les conditions de l’interventionjudiciaire prévues dans les lois modernes surl’arbitrage international révèlent que désormais,le juge intervient d’abord et avant tout afin deservir les intérêts des usagers de la justice arbi-trale internationale; autrement dit, le juge éta-tique est désormais principalement perçucomme un partenaire de l’arbitre dans cettequête de l’efficacité de l’arbitrage international.

C’est dans cet esprit que l’on permet aux par-ties d’exiger du juge qu’il prenne des mesuresdestinées à assurer la constitution du tribunal ar-bitral179 et qu’il prenne des mesures procédu-rales visant à pallier l’absence d’imperium del’arbitre - telles des mesures provisoires etconservatoires180 et des mesures d’administra-tion des preuves181. C’est aussi ce souci d’effi-cacité qui sous-tend plusieurs règles destinéesà assurer l’autonomie de l’instance, commecelle s’opposant au contrôle judiciaire des or-donnances de procédure rendues par les arbi-tres182, ainsi que les règles donnant ouverture

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au contrôle judiciaire direct de la compétencedu tribunal arbitral et de la régularité de la pro-cédure arbitrale183. C’est également dans cetesprit que dans plusieurs pays - y compris laFrance, la Suisse et la Tunisie -, on a choisi deconcentrer le contentieux relatif aux arbitragesinternationaux devant une cour donnée ou en-core un groupe relativement restreint de juges,l’idée étant d’assurer que ces affaires aboutirontdevant des juges expérimentés dans ce do-maine et donc mieux à même d’assurer la qua-lité et la cohérence de la jurisprudence184.

Cela étant, on aurait tort de croire que lejuge est uniquement un auxiliaire de la justicearbitrale. Son intervention sert aussi à veillerau respect de certains intérêts publics, pro-pres à l’ordre juridique national au nom du-quel il exerce d’abord et avant tout sonpouvoir juridictionnel. On pense notammentau contrôle judiciaire de l’arbitrabilité du li-tige, qui est toujours fait à la lumière de rè-gles proprement internes185, ainsi qu’aucontrôle de la conformité de la sentence àl’ordre public - un ordre public non pas trans-national, mais bien local, ancré dans l’ordrejuridique national, quoique possiblement ou-vert à des normes étrangères186. Mais il estindéniable que cette seconde finalité de l’in-tervention judiciaire en matière d’arbitrage in-ternational est aujourd’hui en net recul.

II. L’internationalisation du cadre juridique del’intervention judiciaire

Le souci d’assurer l’efficacité de l’arbitrage inter-national n’a pas seulement entrainé une trans-formation fondamentale des finalités del’intervention judiciaire. Il explique égalementun autre phénomène ayant marqué l’évolutiondes rapports entre justice arbitrale et justice éta-tique au cours des dernières décennies: l’inter-nationalisation du cadre juridique applicable.

Ce ne sont donc pas seulement les règles appli-cables à l’arbitre qui revêtent désormais un ca-ractère transnational. Ce sont aussi cellesapplicables au juge appelé à intervenir enmarge d’un arbitrage international, juge qui estainsi spécialement atteint par le phénomèneplus large de perméabilité croissante des ordresjuridiques étatiques à des normes transnatio-nales qui retient beaucoup l’attention ces temps-ci187.

On assiste d’abord à une internationalisationdu cadre législatif de l'intervention du juge enmatière d’arbitrage international, qui est princi-palement due au succès spectaculaire qu’aconnu la Convention de New York de 1958.Non moins de cent quarante-cinq pays188, in-cluant la grande majorité des pays représentésau sein de l’AHJUCAF, sont aujourd’hui partiesà ce traité international ayant vocation à régirde manière uniforme les deux aspects les plusimportants du processus arbitral : d’une part,l’effet des conventions d’arbitrage - qui, auterme de l’article II, sont en principe valides etobligatoires, tant pour les parties que pour lesjuges nationaux189 ; d’autre part, l’effet des sen-tences arbitrales, qui, au terme de l’article III,doivent être reconnues et exécutées par lesjuges nationaux sauf en présence de circons-tances exceptionnelles énumérées de manièreexhaustive à l’article V190.

L’internationalisation du cadre législatif de l’in-tervention judiciaire en matière d’arbitrage inter-national est aussi due au succès qu’a connu laLoi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commer-cial international, qui a vu le jour le 21 juin1985 et qui célèbre donc son vingt-cinquièmeanniversaire aujourd’hui même. La Loi type vabeaucoup plus loin que la Convention de NewYork, car elle a notamment pour vocation de ré-glementer de manière exhaustive191 les condi-tions de l’intervention judiciaire s’y rapportant.Elle ne s’intéresse donc pas seulement à l’exé-

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cution des conventions d’arbitrage et des sen-tences, mais aussi aux mesures provisoires etconservatoires, à l’intervention judiciaire dansla constitution du tribunal arbitral, au contrôlejudiciaire de la compétence arbitrale, à l’assis-tance judiciaire dans l’obtention de preuves etau recours en annulation d’une sentence arbi-trale. Bel exemple du potentiel et de l’utilité deslois modèles, dont la plus grande souplesse enfait parfois des instruments d’internationalisationet d’harmonisation du droit plus efficaces queles traités internationaux, la Loi type a été adop-tée dans plus de soixante pays, répartis sur tousles continents et représentant près de la moitiéde la population mondiale192. Et c’est sanscompter les nombreux pays où, sans qu’elle aitété adoptée à proprement parler, la Loi type futl’une des principales sources d’inspiration desparlementaires chargés de réformer le droit del’arbitrage; un exemple bien connu est l’Angle-terre et sa loi sur l’arbitrage de 1996193.

Ces développements survenus sur le terrain lé-gislatif témoignent d’un consensus parmi les ac-teurs politiques autour de l’idée selon laquellel’efficacité de l’arbitrage international passenon seulement par l’internationalisation de l’ins-tance arbitrale, mais aussi par l’harmonisationdes principales conditions de l’intervention ju-diciaire s’y rapportant. Cela dit, ces acteurs po-litiques ne sont pas les seuls à contribuer àl’internationalisation du cadre juridique appli-cable. Désormais, certains juges emboitent eux-mêmes le pas, en adoptant - en présenced’ambiguïtés dans les textes applicables - desméthodes d’interprétation législative reflétant lecaractère proprement international du système.Ces juges choisissent ainsi de participer à l’ef-fort d’internationalisation du système en faisantpreuve d’une ouverture au droit comparé mêmelorsque celle-ci n’est pas formellement exigéepar le Législateur. Ils n’hésiteront pas à vérifier,par exemple, si la question à laquelle ils sont

confrontés a été abordée dans des instrumentsinternationaux, dans la loi ou la jurisprudenced’autres États, ou encore si - parmi les réponsespossibles - l’une d’entre elles fait l’objet d’un cer-tain consensus, favorable ou défavorable, ausein de la communauté des États accordant leursoutien à l’arbitrage international.

Ce phénomène est de plus en plus visible dansla jurisprudence canadienne, nos juges n’hési-tant plus à faire expressément référence, dansleurs jugements, aux résultats d’incursions endroit comparé susceptibles d’éclaircir des ambi-guïtés décelées dans les dispositions législativesrelatives à l’arbitrage. On en trouve un excellentexemple dans l’arrêt rendu le 22 juillet 2005par la Cour suprême du Canada dans l’affaireGreCon194. La Cour s’est notamment penchéesur l’efficacité d’une clause compromissoire in-voquée dans le contexte d’un appel en garan-tie. La règle consacrant l’effet négatif de laconvention d’arbitrage, qui militait en faveur durenvoi de l’appel en garantie à l’arbitrage,s’opposait à la règle générale selon laquelle lacompétence du tribunal judiciaire à l’égard del’action principale s’étend à l’appel en garan-tie. La Cour souligna qu’en présence d’uneclause d’arbitrage insérée dans un contrat inter-national, et donc visée par la Convention deNew York, les dispositions pertinentes devaientêtre interprétées de manière à assurer le respectpar le Canada des obligations lui incombantau terme de la Convention. Et surtout, la Couraccorda beaucoup d’importance à la jurispru-dence étrangère retenant qu’on ne peut refuserde donner effet à une convention d’arbitragevisée par la Convention de New York au seulmotif qu’elle est invoquée dans le contexte d’unappel en garantie.

Ce souci d’interpréter la Convention de NewYork de manière conforme aux consensus se dé-gageant de la pratique internationale est éga-lement au cœur de la décision rendue

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récemment par cette même Cour suprême dansl’affaire Yugraneft195. Se posait notamment laquestion de savoir si la Convention de NewYork s’intéresse à la prescription applicable auxdemandes de reconnaissance et exécution desentences étrangères faites en vertu de celle-ci.Ici aussi, la Cour prit soin d’interpréter laConvention en adoptant une perspective inter-nationale, ce qui la conduit notamment à tenircompte de la pratique des États membres dé-montrant un large consensus à l’effet que ceux-ci pouvaient déterminer librement la durée de laprescription applicable.

Ce phénomène d’ouverture croissante à la mé-thode comparative semble témoigner d’unetransformation de la perception qu’ont cesjuges de leur propre statut. Ils ne se perçoiventplus exclusivement comme des juges œuvrantdans un espace juridique local ou national, ilsse situent aussi - voire surtout - dans un espacejuridique dont les frontières dépassent large-ment celles de l’État auquel ils sont d’abord etavant tout rattachés, et qui est doté de règlesd’interprétation lui étant propres. Ils semblentcesser momentanément d’être des acteurs situésà l’extérieur du système d’arbitrage internatio-nal, agissant plutôt comme des acteurs situés àl’intérieur même de ce système - au même titreque les arbitres. On pourrait même pousser l’au-dace jusqu’à suggérer que, du coup, ces jugesse rattachent - quoique seulement partiellementet temporairement - à un ordre juridique transna-tional, cet ordre juridique « arbitral » évoqué enintroduction196.

Doit-on s’inquiéter de ce phénomène ? S’agit-ild’une transformation du statut du juge qu’onpourrait taxer d’antidémocratique et illégitime,à l’instar de ceux et celles qui s’insurgent contrele recours au droit comparé dans l’interprétationde textes constitutionnels197 ? Certainement pas.En principe, cette transformation du statut dujuge ne soulève aucun problème de légitimité,

puisque la recherche de la cohérence des solu-tions à l’échelle internationale est une consé-quence parfaitement logique - et donc tout àfait souhaitable - de la politique favorable à l’ar-bitrage international à laquelle adhèrent trèsclairement la grande majorité des États, et duconsensus autour de l’idée selon laquelle l’inter-vention judiciaire en la matière a principale-ment pour finalité d’assurer l’efficacité de lajustice arbitrale aux yeux des ses usagers.

Si le recours au droit comparé par les juridic-tions nationales appelées à intervenir en marged’arbitrages internationaux doit donc assuré-ment être encouragé, il faut néanmoins recon-naître que le passage de la théorie à lapratique peut parfois s’avérer des plus ardus.Les juges nationaux qui possèdent une expertiseen droit comparé de l’arbitrage international nesont évidemment pas légion. Il est vrai que l’ac-cès aux textes normatifs étrangers et internatio-naux est aujourd’hui facilité par des traductionsdiffusées dans des publications telles la Revuede l’arbitrage, qui est éditée par le Comité fran-çais de l’arbitrage, et l’International Handbookon Commercial Arbitration, qui est éditée parl’International Council for Commercial Arbitra-tion. Cependant, la consultation de ces textesest souvent insuffisante pour résoudre les pro-blèmes d’interprétation qui se présentent, et l’ac-cès à la jurisprudence étrangère ainsi quel’analyse de celle-ci nécessitent des ressourcesdont la plupart des juridictions étatiques ne bé-néficient pas.

Une solution envisageable est de permettre l’in-tervention d’experts afin d’informer la cour ducontexte international susceptible d’influer surles sens des dispositions législatives litigieuses.Cette pratique a commencé à être adoptée auCanada. Dans une affaire relative à un arbi-trage se déroulant à Montréal et opposant AirFrance à la Libyan Arab Airlines, la Cour supé-rieure du Québec a reçu des témoignages

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d’experts engagés par les parties198 et portantnotamment sur les règles de la Loi type de laCNUDCI relatives à l’intervention judiciaire du-rant le déroulant de l’instance arbitrale199. Plusrécemment, cette même Cour a accepté d’en-tendre plusieurs experts dont l’intervention visaità assurer que des demandes d’annulation desentences CCI rendues à Montréal soient ju-gées conformément aux principes généraux del’arbitrage international200. Évidemment, comptetenu des coûts importants qu’engendrera inva-riablement l’intervention d’experts, cette solutionne saurait être envisagée que dans les affairesles plus importantes.

Une autre solution consiste à permettre à desinstitutions œuvrant dans le domaine de l’arbi-trage international ou s’intéressant au dévelop-pement du droit de l’arbitrage internationald’intervenir de manière désintéressée auprèsdes juridictions nationales afin de faire des re-présentations sur le contexte international perti-nent. L’expérience américaine et canadiennemontre que dans les affaires les plus impor-tantes, les institutions d’arbitrage - même étran-gères - seront souvent prêtes à mettre leurexpertise à la disposition des juridictions éta-tiques, et ce, bénévolement201.

Cela dit, la circulation à l’échelle internatio-nale des solutions proposées ou retenuesdans les pays prêtant leur concours au sys-tème d’arbitrage international passe d'abordet avant tout par le développement d'infra-structures de recherche adéquates et la réali-sation d'études comparatives adaptées auxbesoins des juridictions nationales. Les com-paratistes s'intéressant à l'arbitrage internatio-nal ont donc un rôle de premier plan à jouerafin de rendre possible ce dialogue interjuri-dictionnel et interjurisprudentiel qui permettraau phénomène d'internationalisation de l'ar-bitrage de franchir une nouvelle étape.

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Atelier IILes rapports entre les coursnationales

Président de séance :Monsieur Papa Oumar SAKHOPremier président de la Cour suprême duSénéga

Les approches des systèmes de droitinternational privé et les conventionsinternationalesMonsieur Jean Gabriel Castel, Professeur émérite, Osgoode Hall LawSchool, Université York, Toronto

Avec la mondialisation et le développement ducommerce international qui en a résulté, il s’agitd’un sujet d’importance capitale pour tous les ju-ristes qu’ils soient juges, praticiens ou enseignants.

Avant d’analyser et d’apprécier les critiques del’approche conflictuelle traditionnelle de résolutiondes conflits de lois qui a été appliquée de façonconstante par la législation et la jurisprudencedans la plupart des systèmes de droit internationalprivé aussi bien en droit civil qu’en common law,je traiterai en premier lieu de l’objet du droit inter-national privé, particulièrement des conflits de loisqui sont au cœur de cette matière.

L’analyse de l’approche conflictuelle tradition-nelle et de ses imperfections me permettra deme pencher sur plusieurs de ses variantes dontchacune est censée la corriger voire même lasupplanter. J’examinerai ensuite très brièvementles conventions d’unification des règles de droitinternational privé afin de déterminer si leurs rè-gles sont compatibles avec les approches dessystèmes de droit international privé en vigueurdans le monde et si elles tiennent compte descritiques adressées à l’approche conflictuelletraditionnelle .

Je conclurai par quelques observations personnelles

I. L’objet du Droit international privé

Chaque État possède son propre système de

droit international privé dont les règles doivent

être appliquées par ses tribunaux. Cependant,

leur application dépend de l’approche adop-

tée par le législateur ou en son absence par les

tribunaux, car il s’agit essentiellement d’une

question de choix entre plusieurs rattachements

possibles qui débouchent sur l’application soit

de la loi interne du for, soit d’une loi interne

étrangère.

Le choix des rattachements par le législateur ou

par les tribunaux sera influencé par l’objet du

droit international privé tel qu’ils le conçoivent.

Malheureusement, l’unanimité n’existe pas quant

à la nature de cet objet qui en réalité est multiple.

Ainsi, on pourrait plutôt parler d’objectifs au plu-

riel. A titre d’exemple, je citerai la coordination

ou harmonisation des systèmes juridiques en pré-

sence, quelque soit le for saisi de l’affaire afin

d’éviter le forum shopping. Il s’agit de l’objectif le

plus souvent cité en faveur de l’approche tradi-

tionnelle (conflicts justice). D’autres objectifs sont

l’uniformité des solutions qui est proche de la

coordination ou harmonisation des systèmes juri-

diques, la protection des espérances justifiées des

parties y compris la certitude et la prévisibilité des

résultats qui sont des objectifs particulièrement im-

portants dans le domaine des obligations

contractuelles car il ne faut pas décevoir l’attente

des parties en cause.

La recherche d’une solution juste est aussi un

autre objectif majeur qui est souvent cité par

ceux qui critiquent l’approche conflictuelle tradi-

tionnelle. Naturellement, ces objectifs ne sont

pas mutuellement exclusifs.

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II. L’approche conflictuelle traditionnelle et sacritique

A. L’approche conflictuelle traditionnelle

Chaque fois qu’un tribunal a à connaître d’un li-tige comportant un élément d’extranéité suscepti-ble de se rattacher à deux ou plusieurs États ouprovinces, il doit consulter son propre système dedroit international privé et déterminer la loi appli-cable par référence à celui-ci. Il s’agit de choisirune unité juridique dont la loi a vocation à s’ap-pliquer (jurisdiction selective approach).

En premier lieu le tribunal devra déterminer lanature juridique du problème engendré par lesfaits matériels de la cause contenant un ou plu-sieurs éléments d’extranéité. Pour ce faire, il luifaudra analyser ces faits matériels, c’est à direles qualifier, afin d’en extraire les aspects juri-diques et les classer dans des catégories lé-gales déterminées qui sont connues du for. Parexemple, s’agit-il d’un problème de successionaux meubles du défunt? Si c’est le cas, le tribu-nal appliquera la règle appropriée de rattache-ment du for qui est l’élément local de fait ( parex. résidence) ou de droit (par ex. nationalité)qui rattache le problème juridique à la loi d’uneunité juridique distincte qui peut-être sa propreloi ou celle d’une autre unité juridique. Cettemarche à suivre permet au tribunal de découvrirla loi applicable et d’arriver à une solution pra-tique du problème.

L’approche traditionnelle a sa source dans l’œu-vre de Savigny. Selon ce grand juriste, lorsqu’unerelation de droit privé dépasse le cadre de la vieintime d’un pays, il faut la soumettre aux disposi-tions internes de l’un des pays avec lesquels ellese trouve en contact. Par exemple, la loi applica-ble aux divers rapports de droit d’une personnesera déterminée en recherchant : “pour chaquerapport de droit, le domaine du droit auquel cerapport appartient de par sa nature (où ce rap-port de droit a son siège).”202 Il est nécessaire de

localiser chaque rapport de droit pour lui appli-quer la loi de ce lieu.

Cette approche analytique doit permettre autribunal de prendre en considération des élé-ments ou facteurs de rattachement très variéspour déterminer le ressort qui convient à une loid’après la nature de la situation juridiquequ’elle réglemente.

B. Critiques de l’approche conflictuelletraditionnelle

Il en résulte que l’approche conflictuelle tradition-nelle se présente sous la forme d’un ensembleharmonieux constitué de règles très générales ettrès abstraites qui, en principe, devraient permet-tre de donner dans chaque cas d’espèce la so-lution la mieux adaptée. Pourtant, depuis unecinquantaine d’années, cette approche conflic-tuelle qui pendant longtemps a été appliquéequasiment universellement, a fait l’objet de biendes critiques, particulièrement aux États-Unis oùdes approches concurrentes jugées préférablesont été proposées par la doctrine et entérinéespar certains tribunaux afin de parvenir danschaque cas d’ espèce à une décision conformeà une justice matérielle ou substantielle (result se-lective approach to achieve material or substan-tial justice in the individual case ), ce qui n’ estpas toujours le cas lorsqu’on utilise l’ approcheconflictuelle traditionnelle.

Les principales critiques de l’approche tradition-nelle se basent en premier lieu sur sa rigiditéexcessive et son dogmatisme illustrés par l’ap-plication de principes juridiques à priori, la gé-néralisation excessive du contenu des règles dedroit international privé et son manque d’orien-tation vers la solution juste. Ceci est du au faitqu’elle est fondée sur un raisonnement syllogis-tique dont les deux prémisses sont les catégo-ries de rattachement et la qualification. Ainsi lestribunaux sont prisonniers de la rigueur du syllo-

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gisme. Lorsque les prémisses ont été posées, laconclusion est inéluctable. La solution est automa-tique. La loi applicable est toujours la même dansun domaine donné. Par exemple, la loi du domi-cile du défunt s’applique toujours à sa successionmobilière. Le tribunal ne peut éviter son applica-tion s’il estime que la règle de conflit qu’il doit ap-pliquer n’est pas adaptée au cas concret qu’ildoit résoudre et aboutit à une solution qui n’estpas juste dans les circonstances de l’affaire qu’ila à juger. C’est aussi le cas du rattachementfondé sur le lieu du délit qui peut ne pas être per-tinent dans le cas du transport bénévole lorsquece lieu est purement fortuit et que la justice exigel’application d’une autre loi. Cependant, afind’éviter des solutions absurdes ou d’appliquerdes règles dépassées, il est possible d’avoir re-cours à des échappatoires telles que la requalifi-cation de l’objet du litige, le renvoi, et l’ordrepublic international. Ainsi, au Québec, l’article3082 du Code civil permet d’éviter une décisioninjuste en appliquant le principe de proximitéprôné par la proper law.203

L’approche traditionnelle peut aussi engendrerdes inconvénients au plan de l’unification du droitinternational privé car les catégories de rattache-ment sont déterminées en fonction des catégoriesdu droit interne. Il en va de même pour les qua-lifications qui se font selon la loi du for. Si l’est dudroit interne qui peuvent varier d’un système juri-dique à un autre, l’unité des solutions ne peut exis-ter que si les catégories et leur contenu sontidentiques. Par exemple, le consentement des pa-rents au mariage de leurs enfants mineurs peutêtre qualifié comme se rapportant à la formedans un système juridique et à la capacité dansun autre système juridique. Dans les deux sys-tèmes la forme est régie par la règle locus regitactum et la capacité par la loi du domicile. Ce-pendant, l’uniformité des solutions ne peut êtreobtenue vu la différence des qualifications. Parconséquent, l’approche traditionnelle fondée en

grande partie sur l’analyse du droit interne nepeut conduire à une véritable uniformisation dessystèmes de droit international privé que si lesdroits internes sont identiques.

Enfin, certains soutiennent que l’approche tra-ditionnelle est trop complexe, trop difficile à ap-pliquer pour les non initiés. Dans les États ouentités juridiques où le droit international privéest non codifié, l’incertitude et l’imprévisibilitéprévalent souvent et la solution d’un litige peutrésulter d’une règle jurisprudentielle qui n’ estpas bien assise. Cette critique n’est pas propreà l’approche traditionnelle. Elle peut aussi êtreadressée à d’autres approches conflictuelles.Cependant, il faut bien reconnaître qu’en gé-néral l’approche traditionnelle permet la coordi-nation et l’harmonisation des systèmesjuridiques en présence (conflicts justice) et favo-rise la certitude et la prévisibilité des résultatspuisque, pour un problème donné on arrive tou-jours au même résultat.

C. Variantes de l’approche conflictuelletraditionnelle : l’impressionnisme juridique.La recherche de la proper law ou principede proximité

Comme nous venons de le voir dans l’approcheconflictuelle traditionnelle, il n’est nullementquestion de se livrer à une analyse du contenudes lois en présence ou des intérêts gouverne-mentaux des systèmes juridiques où ces lois sonten vigueur. Il en résulte que le tribunal peut êtreamené à appliquer une loi n’ayant pas grandtitre à régir la cause qui lui est soumise. C’estpourquoi certains juristes ont proposé d’avoirrecours à une analyse fonctionnelle pour arriverà la meilleure solution dans chaque cas d’es-pèce en utilisant des directives fondées soit surla finalité qui doit être poursuivie par le tribunal,soit sur des techniques de personnalisation.

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1. Recherche d’une solution juste

Le professeur Cavers204 rejette l’approche tradi-tionnelle, car il estime que pour rendre justiceaux parties dans chaque cas d’espèce, le tri-bunal doit examiner le contenu matériel ou subs-tantiel des lois en conflit. Il doit choisir une loiparticulière et non une unité juridique particu-lière dont le droit est généralement applicable.Il ne doit y avoir aucun compartiment étancheentre les règles déterminant la loi applicable etles règles matérielles ou substantielles de cetteloi. Le choix d’ une loi n’est définitif que si lasolution qu’elle offre satisfait aux exigences dela justice et aux objectifs sociaux en cause . End’autres termes, les règles de conflit ne peuventpas être impersonnelles; elles doivent corres-pondre aux faits particuliers de chaque casd’espèce. Il conclut qu’il est impossible de for-muler des règles définitives de conflit et qu’il fautsimplement se servir de principes de préfé-rence. A vrai dire, ces principes de préférencesont des pseudo-règles de conflit de lois, ce quisemble indiquer que le professeur Cavers,après avoir rejeté un système de règles deconflit déjà formulées, en reconnaît ensuite lanécessité, tout au moins pour certaines règles .Sans revenir à l’approche traditionnelle, il tentede démontrer que son approche n’aboutit pasuniquement à des décisions ad hoc.

2. Groupement des points de contact.La proper law - principe de proximité.Recherche du rapport le plus significatif

Le Restatement of the Law, Second 205 aadopté une approche qui est plus flexible quecelle préconisée par le premier Restatement206qui était empreint de dogmatisme Ainsi, le légis-lateur et les tribunaux lorsqu’ils doivent formulerou interpréter les règles de conflit de lois, doi-vent être guidées par des considérations de po-litique législative. Tout dépend des objectifs que

le législateur et les tribunaux désirent atteindre,car les règles de droit international privé ne doi-vent pas être déduites de principes générauxposés à l’ avance. Le Restatement Second tientcompte d’ un nombre de facteurs pour arriver àune approche flexible qui veut que les droits etobligations relatifs à une question particulièresoient déterminés par les dispositions maté-rielles de la loi de l’État qui, concernant cettequestion, a le rapport le plus significatif avecles faits de la cause et les parties. L’énumérationdes facteurs et des politiques devant guider lechoix de la loi applicable n’est pas exhaustive.L’Article 6 du Restatement Second résume cetteapproche :

1) Un tribunal, sous réserve des restrictionsconstitutionnelles, doit suivre la règle de conflit de son propre État.

2) Lorsqu’il n’existe pas de règle pourle guider, les facteurs se rapportant au choix dela loi applicable comprennent :

a) Les besoins des systèmes interétatiqueset internationaux.

b) Les politiques législatives du for.

c) Les politiques législatives pertinentes des au-tres États intéressés ainsi que les intérêts relatifsde ces États quant à la solution du problèmeparticulier soumis au tribunal.

d) La protection des espérances justifiées.

e) Les politiques législatives fondamentales serapportant à ce domaine du droit.

f) La certitude, la prévisibilité et l’uniformité dessolutions.

g) La facilité dans la détermination et l’applica-tion de la loi pertinente.

Cette manière de procéder permet toute libertéquant à la solution à apporter à des problèmesspécifiques. L’approche traditionnelle n’est pasabandonnée, elle est simplement modifiée pour

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tenir compte de certains objectifs. Les pro-blèmes de conflit de lois sont résolus d’une ma-nière empirique sans dogmatisme et sans nierl’existence des règles de conflit.

La proper law qui à son origine dans les tra-vaux du professeur Morris207 pour résoudre lesconflits de lois en matière contractuelle et extra-contractuelle, fait aussi partie dans une certainemesure de l’ approche adoptée par le Restate-ment Second. Pour arriver à une solution juste,il est nécessaire de grouper les points decontact, c’est à dire les facteurs de rattache-ment possibles, par exemple, en matière de dé-lits, le lieu de l’ accident, le lieu du dommage,la résidence de la victime, etc., ce qui permetau tribunal de désigner la loi de l’État vers le-quel la convergence est la plus forte et dont,par conséquent, la loi doit s’ appliquer. Il n’estpas question de compter ou d’additionner cespoints de contact mais d’évaluer leur impor-tance dans le contexte considéré. Cette tech-nique de localisation objective dans certainsdomaines du droit international privé fait partiede l’approche traditionnelle. Elle ne semble pasavoir de portée générale quoique elle pourraitéventuellement éclipser l’approche traditionnelleet remplacer toutes les règles de conflits de loispar une seule règle, à savoir que le tribunal doitappliquer à chaque cas d’espèce la loi qui luiest le plus intimement liée.

Il nous semble que la proper law (ou principede proximité qui permet d’ écarter la loi norma-lement désignée par la règle de conflitlorsqu’elle n’a qu’un lien éloigné avec la situa-tion en cause - au Québec art. 3082 C.Civ. :clause échappatoire) ne devrait être qu’ un pro-cédé subsidiaire ou complémentaire afin desuppléer à la carence de l’approche tradition-nelle lorsqu’elle peut aboutir à une solution quichoque la conscience, car elle laisse trop de li-berté au tribunal et d’ incertitudes pour permet-tre de découvrir la solution de n’importe quel

problème de conflit de lois. En tant qu’ap-proche générale, elle va à l’encontre de plu-sieurs objectifs du droit international privé. Il fautreconnaître que le mérite de la proper law estde permettre au tribunal de donner des solu-tions mieux adaptées à chaque cas d’espèce.Cependant, le tribunal peut être enclin à appli-quer la lex fori qu’il connait mieux ou encore laloi qui est la plus favorable à l’une des partiessurtout si celle-ci est la plus faible.

La difficulté est que pour arriver à une solutionjuste dans chaque décision, il y a souvent confu-sion entre les problèmes de conflits de lois et lesproblèmes de fond. La règle de conflit se doit derester neutre autant que possible. La justice, elle,dépend non de cette règle mais du contenu de laloi désignée. En matière contentieuse, le dangercausé par la proper law est de retirer toute sécu-rité aux parties en cause. En matière non conten-tieuse, le danger est plus grave encore car, pourtransiger, les parties doivent pouvoir prévoir lessolutions possibles, ce qui n’est pas toujours facilelorsque dans un cas particulier difficile (borderline cases), plusieurs règles de solution des conflitsde lois peuvent s’appliquer. En conclusion, il sem-blerait que le recours à la proper law ne peutqu’encourager les litiges.

3. Rattachements multiples : alternatifs etcumulatifs

Pour assouplir l’approche conflictuelle tradition-nelle qui favorise un rattachement unique dési-gnant objectivement la loi de l’État qui doitrésoudre le problème et répondre à ses cri-tiques, il nous semble que la solution estd’adopter dans certains domaines du droit inter-national privé des règles de conflit à rattache-ments multiples, soit alternatifs, soit cumulatifs.C’est ce qui s’est passé dans plusieurs pays,notamment au Québec208 et en Suisse209. Lapluralité des facteurs de rattachement permet

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d’atteindre une solution plus juste qui répond àl’attente des parties sans violer l’approche tradi-tionnelle. Cependant, le recours au principe deproximité ne devrait pas jouer lorsque la règlede conflit prévoit un nombre assez élevé de rat-tachements dont l’un d’entre eux a les liens lesplus étroits avec la situation.

III. Les intérêts gouvernementaux. Notion devrai ou faux conflit

L’approche traditionnelle a aussi été rejetée parle professeur Currie210 qui désire faire tablerase des règles de droit international privé. Ilpropose une nouvelle approche basée sur uneanalyse des politiques législatives et des intérêtsgouvernementaux des États dont les lois pour-raient s’appliquer. Une règle de droit matérielou substantiel exprime la politique d’un Étatdans un domaine particulier et chaque État a,en raison de ses liens avec la question en litige,un intérêt légitime à voir sa loi matérielle appli-quée. Il pose la règle suivante :

a ) Lorsqu’un tribunal est appelé à appli-quer la loi d’un État étranger différente dela loi du for, il doit rechercher les poli-tiques exprimées par les lois respectives et établir les circonstances qui permet-traient raisonnablement à chacun des Étatsconcernés de faire valoir un intérêt à l’application de ces politiques. Ce faisant,le tribunal doit employer le procédé ordi-naire de construction et d’interprétationdes lois. b ) Si le tribunal constate qu’un seul État aintérêt à ce que sa politique législative soitappliquée dans les circonstances de lacause et que l’autre État n’en a pas, il doitappliquer la loi du seul État intéressé.c ) Si le tribunal constate qu’il existe unconflit évident entre les intérêts des deuxÉtats, il doit procéder à un nouvel exa-

men. Une interprétation plus modérée etmesurée de la politique ou de l’intérêt del’un ou l’autre État peut éviter le conflit.d ) Si, après réexamen, le tribunalconstate qu’un conflit entre les intérêts légitimes des deux États est inévitable, il doit appliquer la loi du for.e ) Si le for est désintéressé à régir le li-tige, mais qu’un conflit inévitable existeentre les lois de deux autres États qui pour-raient s’appliquer, et si le tribunal ne peuten toute justice refuser de juger, il doit ap-pliquer la loi du for, jusqu’à ce quequelqu’un trouve une meilleure solution !

L’intérêt gouvernemental inhérent à chaque règlematérielle ou substantielle de droit détermine lechamp d’application de cette loi. Le professeurCurrie opère sur le plan du droit matériel ou subs-tantiel et non sur celui des règles de conflits delois. Chaque règle de droit matériel ou substantielest conditionnée dans l’espace, c’est à direqu’elle délimite elle-même son champ d’applica-tion. C’est pourquoi le tribunal appelé à tenircompte des intérêts gouvernementaux doit exa-miner le contenu et les politiques fondamentalessous-jacentes des lois des États virtuellement inté-ressés au litige. Cette approche évite au tribunall’application d’une loi d’un État qui n’a aucun in-térêt au litige. La question qui se pose c’est desavoir si un État a un intérêt réel à ce que sa lois’applique dans un rapport de droit privé inter-national. Il me semble que la notion d’intérêt gou-vernemental est trop politique dans le domainedes relations privées.

La plupart des facteurs de rattachement qui fontpartie des règles traditionnelles des conflits delois doivent permettre de déterminer quel État aintérêt à ce que sa loi et sa politique législativesoient appliquées. Une règle de conflit a pourbut d’indiquer au tribunal la voie à suivre.Lorsque le même facteur est utilisé pour définirun intérêt gouvernemental, le tribunal ne s’oc-

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cupe pas de ce qu’il doit faire mais cherche àpromouvoir l’intérêt d’un État particulier. Un in-térêt gouvernemental fait naître un conflit, il nele résout pas. Le tribunal doit en premier lieu, re-chercher les États qui ont un intérêt gouverne-mental à faire valoir. Il s’agit d’un processusquasi automatique de construction et d’interpré-tation qui n’a rien à voir avec les conflits delois. A l’étape suivante, le tribunal doit appli-quer la loi de l’État étranger qui s’intéresse aurapport litigieux. Si plusieurs États, y compriscelui du for, sont intéressés, c’est la loi du forqui prévaut même si elle n’est pas celle de l’Étatdont l’intérêt est prédominant, parce que le forn’a pas à peser les intérêts des États impliqués.En d’autres termes, l’intérêt du for prévaut endépit de toutes autres considérations. Cette ap-proche encourage le forum shopping et em-pêche l’uniformité des résultats. Dans les causesoù deux lois étrangères sont en conflit alors quela loi du for est désintéressée à régir le litige, leprofesseur Currie, n’ayant pas pu trouver unesolution satisfaisante à ses yeux, se déclare enfaveur de l’application de la loi du for. Parcontre, le professeur Baxter211 est d’avis quedans ce cas, le tribunal devra appliquer la loide l’État dont les intérêts seraient les plus atteintssi sa loi n’était pas appliquée.

On peut douter que le processus habituel deconstruction et d’interprétation des lois permetteau tribunal de découvrir une politique législativepertinente pour chaque loi soumise à son exa-men. Il y a aussi danger que le for exagère sonpropre intérêt et minimise l’importance des fac-teurs qui ne sont pas reflétés dans ou par lespolitiques internes des lois qui se trouvent enconflit. Le professeur Currie donne priorité auxintérêts gouvernementaux au détriment de la jus-tice qui est due aux plaideurs. Cependant, il aeu le mérite d’avoir dégagé la notion de fauxconflit ou faux problème qui fait partie inté-grante de sa méthode de solution des conflits

de lois. Par exemple, il existe un faux conflit ouun faux problème lorsque les dispositions maté-rielles ou substantielles des lois pertinentes desÉtats qui ont un titre à régir un point particulier dedroit privé à caractère international sont lesmêmes ou sont compatibles, ou sont différentesmais aboutissent toutes à un résultat identique, ouencore sont différentes mais un seul État a intérêtà appliquer sa propre loi. Il en est de mêmelorsqu’aucun des États n’a d’intérêt à appliquersa propre loi. Par contre, la difficulté se présentelorsqu’il existe un vrai conflit, c’est à dire lorsqueles lois en présence sont différentes ou, si sem-blables, n’aboutissent pas à un résultat identiqueet chaque État a intérêt à appliquer sa propre loi.L’approche du professeur Currie et sa notion defaux conflit ne présentent pas un grand intérêtpour les États qui ont codifiés les règles de droitinternational privé. En l’absence de règles codi-fiées, les tribunaux pourraient suivre son ap-proche pour éviter les dispositions matérielles ousubstantielles d’une loi d’un État qui n’a pas vrai-ment d’intérêt gouvernemental à protéger. Cepen-dant, il donne trop d’importance aux intérêtsgouvernementaux qui sont souvent difficiles à dé-couvrir. Comment le tribunal saisi peut-il détermi-ner le véritable intérêt gouvernemental étrangerd’une loi adoptée il y a plus d’un siècle et déci-der quel est l’intérêt le plus important lorsque deuxÉtats sont poussés par des considérations diffé-rentes dans leurs politiques législatives ? La notiond’intérêt gouvernemental est trop polyvalente pourguider les tribunaux. Un intérêt gouvernementaldoit être tempéré par les valeurs sociales et parles intérêts légitimes des plaideurs.

IV. Règles matérielles ou substantiellesinternationales uniformes principalement parvoie de conventions internationales

Une autre approche est de règlementer les re-lations internationales par l’élaboration de rè-gles matérielles ou substantielles uniformes qui

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régissent le fond du droit. Ces règles sont sup-posées concourir à l’unification du droit et a évi-ter tout recours au droit international privé. Ilexiste des règles matérielles ou substantiellesd’origine internationale qui s’appliquent seule-ment dans les relations internationales et quilaissent subsister dans les relations internes leparticularisme des législations nationales, parexemple la Convention de Vienne de 1980 surles contrats de vente internationale de marchan-dises.212 Par contre, certaines règles matériellesou substantielles sont aussi applicables à la foisdans les relations internationales et dans les re-lations internes, par exemple les Conventionsde Genève de 1930213 et 1931214 sur les ef-fets de commerce et le chèque. Dans ce cas, ilexiste une unification totale puisque le texte dela convention est incorporé dans le droit dechacun des États signataires et régit indistincte-ment les opérations internes et les opérations in-ternationales. Ces conventions réduisent lechamp d’application de l’approche conflic-tuelle traditionnelle mais ne l’éliminent pas caril reste à déterminer le domaine de la règle ma-térielle ou substantielle et son interprétation.

Il existe aussi des règles matérielles ou substan-tielles nationales d’origine soit législative, soitjurisprudentielle, qui règlent directement laforme et le fond des situations conflictuelles sanssouci d’uniformité. Ces règles sont plutôt rareset ne s’appliquent que par l’intermédiaire de larègle de conflit.

En général, les règles matérielles ou substantiellesde droit international ne se sont développées quedans les matières concernant le commerce inter-national. Elles contribuent à l’essor de la lex mer-catoria mais ne mettent pas en questionl’approche traditionnelle. Cet essor est souhaitépar ceux qui s’opposent à l’emprise du droit éta-tique et qui veulent lui substituer un droit matérielou substantiel du commerce international.

V. Les conventions internationales de droitinternational privé

Depuis plus d’un siècle, on assiste à une aug-mentation énorme du nombre des conventionsinternationales destinées à uniformiser les règlesde droit international privé qui sont surtout l’œu-vre de la Conférence de la Haye de droit inter-national privé et de l’Union européenne. Nousnous contenterons de citer ici à titre d’exemple,la Convention de Varsovie de 1929215 dans ledomaine du droit aérien, la Convention deNew York de 1958 pour la reconnaissance etl’exécution des sentences arbitrales étran-gères,216 la Convention de La Haye de 1980sur les aspects civils de l’enlèvement internatio-nal d’enfants, la Convention de La Haye de1985 relative à la loi applicable au trust et àsa reconnaissance, la Convention de La Hayede 1971 sur la loi applicable en matière d’ ac-cidents d’automobile, la Convention de LaHaye de 1973 sur la loi applicable à la res-ponsabilité du fait des produits, la Conventionde La Haye de 1978 sur la loi applicable auxrégimes matrimoniaux,217 et la Convention deRome de 1980 sur la loi applicable aux obli-gations contractuelles.218

A l’échelon mondial on est encore loin d’uneunification complète des règles de droit interna-tional privé par voie conventionnelle. En l’ab-sence d’une Cour internationale suprême qui,en appel, donne une interprétation uniformedes dispositions de ces conventions, une vérita-ble unification sera toujours illusoire.

VI. La reconnaissance. Une approche limitée.L’approche de la reconnaissance des actesjuridiques étrangers.

Cette approche a pour caractéristique de sepasser dune règle de conflit. Il s’agit de recon-naître et de donner effet à un acte juridiqueétranger qui a été constaté par l’autorité pu-

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blique étrangère du lieu où il a été passé, cequi le rend exécutoire au lieu d’origine mêmes’il n’a pas donné lieu à une décision de justicedans ce lieu. Ainsi, la validité et les effets decet acte juridique ne sont pas soumis à la règlede conflit applicable aux décisions étrangèresdu lieu où ils sont invoqués. Cette approche àdimension unilatérale, basée sur les droits ac-quis, reconnait l’efficacité d’une situation cris-tallisée par un organe non juridictionnel àlaquelle la loi matérielle ou substantielle appli-cable attache des effets d’opposabilité.219 Larègle de conflit du for cède devant les droits ac-quis à l’étranger. C’est surtout dans le domainede la reconnaissance de l’état des personnesque cette approche est utilisée. Par exemple, lavalidité d’un mariage entre homosexuels serareconnue si ce mariage est conforme aux condi-tions de fond et de forme du lieu de célébra-tion. La reconnaissance porte sur une situationconfigurée par des règles matérielles ou subs-tantielles étrangères qui ne sont pas désignéespar la règle de conflit du for. Il s’agit de conti-nuité transfrontière de situations individuelles ac-quises selon l’ordre juridique étranger à lasource qui est prioritaire. Cette approche n’apas vocation universelle.

VII. Conclusion

Ce rapide examen des approches possiblespour solutionner les conflits de lois générale-ment axées sur les localisations fondamentalesfait ressortir l’éventail restreint des solutions quipeuvent être envisagées par le législateur et lestribunaux. La considération des objectifs à at-teindre, particulièrement la protection des espé-rances justifiées et raisonnables des parties encause, la prévisibilité des résultats du litige, lajustice dans chaque décision, le souci de l’uni-formité des résultats lorsque plusieurs tribunauxpeuvent être saisis d’un même litige de droitprivé à caractère international, l’harmonie, la

coordination et le respect des systèmes juri-diques en présence, servent à la fois l’intérêtdes parties et celui de l’État et de la société in-ternationale car ils corrigent les insuffisances duraisonnement inductif et d’une localisation tropobjective des relations internationales de droitprivé qui peuvent en résulter. Enfin, les règlesde droit international privé doivent être simpleset faciles à appliquer afin d’éviter la méfiancedes justiciables et de promouvoir la justice.C’est pourquoi, dans un bon nombre de pays,le législateur a eu recours au système de choixmultiple des facteurs de rattachement qui s’ ap-pliquent à telle ou telle catégorie juridique.

Cependant, si l’on doit rejeter le recours à desprincipes généraux pour rechercher danschaque cas d’espèce la loi applicable selonl’approche conflictuelle traditionnelle, mêmemodifiée, comme c’ est toujours le cas dans lamajorité des pays, il est essentiel de limiter lacapacité des tribunaux à juger uniquementselon un sentiment d’ équité. Il ne faut pas selancer à bride abattue dans un impressionnismejuridique sous le couvert d’un réalisme juridiquedestiné à arriver à une solution juste dans lescirconstances du litige. La théorie des conflitsde lois ne doit pas devenir un procédé arbi-traire entre les mains des tribunaux.

Les conventions internationales de droit interna-tional privé ne sont qu’une solution intermé-diaire. Le seul moyen efficace de rendrecompte de la spécificité des rapports internatio-naux est d’adopter un droit matériel ou substan-tiel appelé à les régir. On en est encore loin!Aujourd’hui, le droit international privé continuesa vocation à appréhender les rapports interna-tionaux de droit privé quelque soit l’approcheadoptée. Le pluralisme des approches dontl’approche conflictuelle traditionnelle demeurela toile de fond, renforce l’intérêt du droit inter-national privé et nécessite une utilisation de plusen plus importante du droit comparé afin de sur-

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monter les divergences d’interprétation mêmedans le cas de conventions internationales quirèglent un aspect du droit international privé.

Le subjectivisme judiciaire qui aboutit à la per-sonnalisation des solutions pour atteindre un ré-sultat sélectif peut s’avérer dangereux dans ledomaine du commerce international où la pré-visibilité des résultats est très importante.Comme je l’ai déjà indiqué, la proper law en-courage les litiges, c’ est pourquoi elle ne de-vrait pas devenir une règle générale. Son rôledoit être limité afin de corriger les excès de l’ap-proche conflictuelle traditionnelle.220

Le recours au groupement des points de contactet aux intérêts gouvernementaux, la recherche ducentre de gravité, le principe de proximité, quisont les caractéristiques de l’impressionnisme juri-dique dont le but est de permettre d’atteindre unesolution satisfaisante dans chaque litige pris indi-viduellement abandonne totalement les conflits delois à l’arbitraire du tribunal et ne devraient être uti-lisés que rarement. Il me semble donc que le légis-lateur et les tribunaux devraient continuer à avoirrecours à l’approche traditionnelle pour résoudreles conflits de lois en utilisant des rattachements al-ternatifs et une clause échappatoire. Cependant,ces techniques ne devraient jouer qu’un rôle res-treint pour corriger une solution injuste. En fin decompte, il s’agit d’arriver à un compromis entre lesélectivisme et le substantivisme en utilisant une ap-proche traditionnelle améliorée par des rattache-ments multiples et n’avoir recours au principe deproximité que pour corriger les excès de cette ap-proche. C’est, comme nous venons de le voir, lecas du Québec, ce qui aboutit à une coopérationaccrue avec les autres États et répond aussi auxcritiques adressées à l’approche traditionnellesans avoir à bouleverser l’application du droit in-ternational privé et menacer sa survie car l’unifica-tion internationale du droit substantiel n’est pasencore pour demain.

Projections du juge national a l’extérieur desa juridiction saisine effet de jugementsdans des situations transnationales le refusd’agir du juge les dessaisissementsvolontaires ou la règle de forum nonconveniens l’exemple de l’Ile MauriceMonsieur Yeung Kam John YEUNG SIKYUEN, Juge en Chef de la Cour Suprêmede l’Ile Maurice

L’auteur ne peut présenter son article sans faire uneintroduction historique de sa juridiction qui en estune de véritable carrefour de droit comparé.

L’histoire juridique de l’île Maurice découle de sonhistoire politique avec l’occupation par les puis-sances françaises et anglaises avant sa décoloni-sation en 1968. Son système de droit puise doncsa source dans le droit français comme dans leCommon Law. L’île Maurice, jadis Isle de France,bascule dans l’Empire Britannique en 1810 aprèsun peu plus de 100 ans d’occupation française.L’acte de capitulation de l’île aux Anglais suivantle Traité de Paris garantissait pourtant le maintiende trois privilèges à la population qui était enplace : les us et coutumes, les lois existantes(donc françaises), et la religion (le catholicisme).

Le droit mauricien est donc fondé sur le droit fran-çais, avec ses codes qui étaient en place en1810, mais aussi sur le Common Law britan-nique qui a été introduit dans des domainesassez spécifiques comme le droit administratif.L’influence du Common Law est expliquée du faitque, malgré les garanties du Traité de Paris, laprésence, pendant plus de 150 ans, des JugesAnglais ait pu faire pencher la balance. Il fautajouter à cela la décision du nouveau pouvoircolonial de réserver l’anglais comme uniquelangue du prétoire à partir du 16 juillet 1847.221

En somme, si une démarcation approximativeétait exigée, on conclurait que le fondement dudroit privé de l’Ile Maurice se retrouve dans ledroit français et celui du droit public dans la com-mon law anglaise.

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L’indépendance en 1968 nous apporta uneConstitution écrite qui proclama l’île Mauricecomme un état souverain et démocratique où lesdroits civils et politiques existent et sont respectés.

L’histoire juridique de l’île Maurice qui est doncun amalgame des lois, peut, à ce titre, être qua-lifiée d’internationaliste. Elle peut être parfoisconfuse et incertaine car les approches des dif-férents systèmes de droits formant partie du sys-tème mauricien sont parfois intrinsèquementopposées poussant à des résultats tout à faitcontraires.222

Mais le souci du Juge Mauricien, exposé à toutun foisonnement de droits, reste celui de rendrejustice. Il est simplement exposé à plusieurs cou-rants de droits et à un large éventail de jurispru-dences transnationales d’où il arrive à puiser laquintessence du droit mauricien. Tout commeMonsieur Jourdain qui ne sût qu’il parlait enprose, le Juge Mauricien est celui qui appliquele droit comparé à toute heure sans s’en réaliser.

Il faut mentionner que dans la sphère du droitcommercial il existe une coexistence des socié-tés commerciales du type Code de CommerceFrançais et des “Companies” et “Partnerships”du type britannique. Le droit mauricien est doncau départ, un amalgame des droits français etanglais, quoique, pour les réformes des lois ap-portées plus récemment, le législateur mauricienait puisé dans des principes venus d’ailleurs.Ainsi, le principe d’abus de droit qui existedans l’article 17 du Code Civil du Québec aété adopté à l’île Maurice dans son article 16.Les nouvelles lois comme le “Companies Act2001” et le “Insolvency Act 2009” sont d’ins-piration néo-zélandaise. Ces lois ont été consi-dérées plus modernes et aptes à servir lesintérêts de l’île Maurice dans son positionne-ment comme jeune centre financier qui arrive àtrouver un créneau de développement fondé surdes avantages de coût comparatif de la main-d’œuvre et d’une fiscalité légère pour gagner

une petite part de marché sur les 5000 mil-liards de dollars de capitaux qui franchissentles frontières des pays les plus nantis à la re-cherche de la rentabilité la plus élevée par rap-port au retour sur l’investissement.223

Le sujet de cet article peut être traité en deuxparties distinctes - la première, s’agissant dessituations où le Juge National accepte de sta-tuer sur le fond des situations transnationalesmais impliquant aussi sa propre juridiction et,la seconde, où le Juge refuse d’agir et se des-saisit volontairement d’un litige placé devant sajuridiction dans une situation donnée.

I. Projection du juge national a l’extérieur de sajuridiction - saisine et effet de jugements dansdes situations transnationales

A. Principe de territorialité et nationalité

L’Ile Maurice est multiraciale, multiculturelle,multi-religieuse, multilingue. Par sa Constitution,elle est un état laïc consacrant la règle et la pri-mauté du droit. Donc, la compétence de sescours de justice est circonscrite par le conceptde «nation-state» impliquant territorialité et na-tionalité comme critères de base pour toute sai-sine de juridiction.

Saisine

C’est ainsi que l’article 1 du Code Civil Mau-ricien prévoit que « Les lois sont exécutoiresdans tout le territoire mauricien.”

Par contre, l’article 2 est moins formelle dans lamesure où il laisse sous entendre au droit privéune certaine liberté de circonscrire l’étendu desa compétence:

“Les lois de police et de sûreté obligent tousceux qui habitent le territoire.”

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Projections juridictionnelles

Ainsi donc, si en principe tout ce qui est trans-national ne tomberait pas sous la juridiction duJuge national, en réalité il lui est permis selonl’espèce de se projeter hors de sa compétenceconventionnelle. Le Code Civil Mauricien enfait le lui permet dans des situations assez spé-cifiques mais qu’il peut interpréter assez large-ment: le cas des étrangers ayant des liensmauriciens ou celui des décisions ayant des ef-fets extraterritoriaux. Par exemple, Article 3 : «Les immeubles, même ceux possédés par desétrangers, sont régis par la loi mauricienne. Leslois concernant l’état et la capacité des per-sonnes régissent les mauriciens même résidanten pays étranger ».

Article 4 : « Le juge qui refusera de jugersous prétexte du silence, de l’obscurité oude l’insuffisance de la loi, pourra êtrepoursuivi comme coupable de déni de jus-tice. »Article 13 : « L’étranger jouira à Mauricedes mêmes droits civils que ceux qui sontou seront accordés aux Mauriciens par lestraités de la nation à laquelle cet étrangerappartiendra. »L’objectif d’une saisine est donc nonseulement de donner accès à la justicemais aussi de rendre la Justice. Le Jugemauricien se sert du Code Civil aussi bienque de la common law pour le faire.

B. Le Code civil : Accès à la justice

Il est intéressant de noter que l’article 4 duCode Civil Mauricien est le même que celui duCode civil français à une virgule prête. Il dis-pose que: « Le Juge qui refusera de juger sousprétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuf-fisance de la loi, pourra être poursuivi, commecoupable de déni de justice. »

Le texte français contient effectivement une vir-gule après le mot « juger », ce qui n’est pas lecas dans le texte mauricien. Aucune décisiond’une juridiction mauricienne sur l’article 4 duCode Civil n’est rapportée au titre qu’un jugeaurait refusé de juger. La question reste poséesi cette constatation ne repose sur un nombrede facteurs tels que la compétence des jugeset magistrats mauriciens qui ont tous une forma-tion légale, la coterie découlant de la proximitédes gens de robe, ou alors le système hybridequi prévaut dans la loi mauricienne qui ap-plique en parfaite symbiose le Code Civil et leCommon Law.

En somme, donc, la règle de la compétenceest de rendre la justice et de ne pas la refuser.Quant même, il est pertinent que le Juge prenneen ligne de compte l’Article 5 et 6 du CodeCivil d’après quoi :

“Article 5 : Il est défendu aux juges depronocer par voie de disposition généraleet réglementaire sur les causes qui leursont soumises ».« Article 6 : On ne peut déroger par desconventions particulières aux lois qui inté-ressent l’ordre public et les bonnesmœurs ».

C. La Common Law : Accès à la justice

Le Code Civil n’est pas le seul texte dans notre droitqui dote le Juge mauricien de la faculté de rendrejustice là où il le faut dans un contexte transnational.Le droit mauricien puise son droit où il le trouve quece soit dans la doctrine ou la jurisprudence fran-çaise, la common law ou les décisions des pays duCommonwealth, y compris le Canada.

On peut signaler ici l’existence au niveau pro-cédural d’un choix qui est ouvert au Juge Mau-ricien et qui provient du Common Law, entre le

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prononcé d’un « non-suit » et d’un « dismissal ».Cette liberté accordée au Juge lui permet de sub-juguer le principe posé par l’article 4 du CodeCivil dans une large mesure. Lorsqu’une demandeest fondée dans son principe, mais que des élé-ments de preuve manqueraient au procès, le jugepeut, au lieu de rejeter (dismiss) la demande, choi-sir de prononcer un «non-suit », un genre de non-lieu en matière civile. L’avantage du«non-suit »permet au demandeur d’agencer unenouvelle demande contrairement à un «dismissal»qui met fin à la demande. En effet, le principe de«res judicata » prohibe à la partie dont la de-mande a été rejetée (dismissal) d’initier une nou-velle procédure fondée sur les mêmes faits.

Il n’est donc pas permis, en principe, d’interjeterun appel suivant un «non-suit ». Par contre, il estloisible à un plaideur dont la demande s’est sol-dée par un «non-suit » de demander que le«non-suit » soit converti en «dismissal » afin de luipermettre de contester la décision devant la Courd’Appel. Cette coexistence d’une procédure de«non-suit » découlant du Common Law dans notresystème de droit substantiel français peut ainsi ser-vir à tempérer la rigueur du droit français. En vou-lant éviter un déni de justice causé par un jugequi refuserait de statuer, l’article 4 du Code Civilpourrait effectivement être tributaire lui-même d’in-justice. En pratique, le Juge prononcera un «non-suit » au lieu d’un « dismissal » dans descirconstances où le principe d’équité le requiert.Ainsi un demandeur qui se trouve soudainementlâché par son avocat par son absence au tribu-nal le jour du procès, une affaire qui est mal dili-gentée par des conseils inexpérimentéspourraient bénéficier d’un prononcé de « non-suit » au lieu d’un « dismissal » qui lui serait fatal.

D. L’internationalisation de la Justice

Une des séquelles de la globalisation est lephénomène de l’internationalisation de la jus-

tice. Bien des procès débordent le cadre pure-ment national ou « paroissial » et le Juge Natio-nal se trouve confronté de plus en plus à dessituations qui ont des portées régionales sinoninternationales qu’il doit gérer. Je ne cite ici quequelques textes de lois récents :

a) Civil Aviation (High Jacking and OtherOffences),b) Convention on the Civil Aspects of International Child Abduction,c) International Arbitration Act,d) Extradition Act,e) Mutual Legal Assistance in Criminaland Related Matters Act.

En matière procédurale, on citerait les loissuivantes :a) Convention Abolishing the Require-ments of Legalisation for Foreign PublicDocuments Act,b) Deposit of Powers of Attorney Act,c) Foreign Judgment Reciprocal Enforce-ment Act ,d) Investment Disputes (Enforcement ofAwards),e) Reciprocal Enforcement of Judgments Act.

E. Juridiction par interprétation du juge

Pour ce qui est de l’interprétation des ces lois,on peut dire sans le risque de contradiction queles cours de justice mauriciennes n’hésitent pasà faire siennes les décisions d’autres juridictionsdémocratiques, surtout les décisions de la CourEuropéenne de Justice et celles de la Cour Eu-ropéenne des Droits de L’Homme. Sur les autrescontinents, on peut mentionner des instancescomme la Cour Interaméricaine des Droits deL’Homme qui a un rayonnement sur les étatsmembres de l’Organisation des États Améri-cains (OEA), la Commission Africaine des

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Droits de l’Homme et des Peuples et la CourAfricaine des Droits de l’Homme et des Peuples(2004), le Tribunal de la SADC (Communautéde Développement de l’Afrique Australe), le Tri-bunal de la COMESA (Marché Commund’Afrique Orientale et Australe). Au niveau desNations Unies, les décisions des divers comitésmis en place pour faire respecter les différentsChartes ou Pactes Internationaux influent sinon surla jurisprudence nationale ou locale, du moins surla pensée juridique des Juges Nationaux.

Il est un fait que les pays signataires desconventions internationales sont tenus d’implé-menter et de respecter les exigences des obliga-tions s’y rapportant. L’applicabilité et le respectde ces exigences de facto imposent une res-ponsabilité imminente au Juge National, s’il estsaisi de trancher ou de se prononcer sur des li-tiges ayant trait au non-respect de ces conven-tions. Il est donc impératif pour le Juge Nationald’avoir l’encadrement, la formation et l’expé-rience nécessaires pour répondre à ces situa-tions à caractère transnational.

Il est opportun de mentionner ici l’affaire ShirinAumeeruddy-Cziffra & 19 Autres Femmes Mau-riciennes contre Maurice - Communication No.35/1978. Le Comité des Droits Humains a es-timé que l’Immigration (Amendment) Act de1977 et la Deportation (Amendment) Act de1977 étaient discriminatoires dans leurs effetsà l’égard des auteurs de la communication ma-riés à des ressortissants étrangers et que les dis-positions des deux lois ont entraîné, parconséquent, des violations des articles 2 par.1, 3 et 26 du Pacte International relatif auxdroits civils et politiques. Le Comité ayant ex-primé l’avis que Maurice, en tant qu’État partieau Pacte, devrait adapter les dispositions deces lois afin de remédier à la situation, les deuxlois furent modifiées en 1983 (Loi No. 5 et LoiNo. 6) afin d’éliminer les effets discriminatoiresde ces lois pour des raisons de sexe.Il faut sa-

luer ici la décision du législateur Mauricien vuque le Pacte International, quoique souscrit parMaurice, n’a pas force de loi sur son territoire,Maurice suivant le régime du dualisme. Il estvrai que les principaux articles du Pacte setrouve aussi dans la Constitution de l’île Mau-rice de 1968 et qu’à ce titre, tous ces droits hu-mains sont protégés par la Constitution. Laparticularité mauricienne veut qu’en 1978,date de la communication Aumeeruddy-Cziffra,l’article de la Constitution ayant trait à la non-discrimination ne mentionnait pas le sexecomme une discrimination proscrite.

F. Acceptation de saisine

En principe, le Juge qui est saisi d’un procèsayant des incidences transnationales doit accep-ter la saisine du moment qu’existent des élémentssuffisants se rattachant à sa juridiction. Une illus-tration intéressante est l’affaire Shand v. Peninsu-lar & Oriental (P & O) Steam Navigation Co.1836 MR 6. Cette ancienne décision de la CourSuprême de l’île Maurice évoque un intéressantproblème de droit international privé.

Le plaignant, l’honorable Farquhar Shand, étaitalors Juge en Chef de l’île Maurice. Nommé àce poste en octobre 1860, l’honorable Shandet sa famille embarquèrent à Southampton àdestination de l’île Maurice. Un des 21 colisn’arriva pas à destination. Le ticket de voyagecontenait une clause d’exonération de respon-sabilité du transporteur et celui-ci déclina touteresponsabilité.

Dans sa demande devant la Cour Suprême del’île Maurice, l’honorable Shand avança que :

I. le contrat, dont l’exécution avait com-mencé en Angleterre devait être complétéeà l’île Maurice. Ainsi, il était régi par la loide l’île Maurice, c.-à-d. le droit français;II. la clause d’exonération contenue dans le

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ticket était nulle et non-avenue car elle allaità l’encontre du principe de l’article 103du Code de Commerce Mauricien(Français) qui stipule que “ le voiturier estgarant de la perte des objets à transporter,hors le cas de la force majeure”;

III. le même principe est articulé dans leCode Civil concernant la responsabilitédu voiturier pour la perte et les avaries deschoses qui leur sont confiées224 ;

IV. toute déclaration du voiturier de ne pasvouloir garantir la livraison ou laconservation des choses confiées est nulleparce que « nul ne peut stipuler qu’il nerépondra pas de ses fautes225 »

V. il ne suffisait pas d’alléguer l’excuse dela force majeure; la présomption étaittoujours en faveur de la responsabilité, etla force majeure n’est qu’une exceptionque le voiturier doit prouver.

Le défendeur avait à l’origine plaidé que laCour Mauricienne n’avait point juridiction etque le contrat entre les parties était régi par ledroit anglais et que la juridiction appropriéeétait la juridiction anglaise. Par la suite, le dé-fendeur n’insista pas sur sa défense préliminaireet accepta de plaider sur le fond. Le défendeuravait campé sur sa position que, suivant l’article1134, «les conventions légalement forméestiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » etque la juridiction mauricienne, quoique saisie,devrait appliquer le droit anglais régissant lecontrat passé en Angleterre. La Cour Suprêmedonna gain de cause au demandeur mais ledéfendeur, P & O, fit appel au Conseil Privé.

P & O est mieux connu comme propriétaire duTitanic. Mais c’est la position de l’honorableShand qui fit naufrage à Londres. Dans le pro-cès en appel à Londres226, le Conseil Privé dé-cida que le contrat était bel et bien régi par laloi anglaise car il était passé en Angleterre etque les parties avaient clairement l’intention quele contrat soit régi par la loi anglaise. Le prin-

cipe “lex loci contractus” devrait donc s’appli-quer. Il était incontestable qu’il était permissibleaux voituriers sous le Common Law de formulerdes contrats spéciaux qui limiteraient, voire exo-nèreraient leur responsabilité. Quoique l’affaireShand ne concerne pas véritablement une si-tuation transnationale, le Privy Council étanttechniquement la Cour d’Appel finale mauri-cienne, les faits découlant de l’affaire peuventêtre transposés sans difficulté comme issusd’une telle situation.

Le Juge National est aussi appelé à se projeter,dans un certain sens, à l’extérieur de sa juridictiondans des situations données. S’agissant de cer-tains crimes particulièrement honnis (génocides,crimes contre l’humanité, etc.) où le Tribunal PénalInternational a juridiction en vertu du Statut deRome, des tribunaux de certains États ont aussi as-sumé juridiction à l’échelle nationale du momentque les prévenus se trouvaient devant leur juridic-tion. Il en est de même pour des délits de pirateriecommis en haute mer où les tribunaux de certainspays comme le Kenya et les Seychelles ont ac-cepté de juger des prévenus capturés en hautemer lors de leurs forfaits par des puissances qui nesont pas nécessairement riveraines.

Aussi, les tribunaux des États signataires de la« Convention Internationale pour la Répressiondu Financement du Terrorisme » sont nécessai-rement impliqués, dans leurs décisions, à dé-passer le cadre national. Si le financement duterrorisme est reconnu comme un crime par laloi nationale d’un État signataire imbriquant lestermes de la Convention, toute condamnationpeut emmener au gel et à la confiscation desavoirs des terroristes. De plus, l’auteur du crimeest aussi susceptible d’extradition vers un autrepays signataire de la Convention. Les exemplesprécités sont loin d’être exhaustifs.

C’est ainsi que la Prevention of Terrorism Act2002 non seulement vise à incorporer dansnotre loi les provisions de la Convention Interna-

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tionale contre le terrorisme mais aussi crée unejuridiction extraterritoriale pour le terrorisme.L’article 30 de cette loi se lit ainsi :

“30. Extra-territorial jurisdiction A Mauritian Court shall have jurisdiction totry an offence and inflict the penalties spe-cified in this Act where the act constitutingthe offence under sections 3, 4, 5, 6, 7,12, and 15, has been done or completedoutside Mauritius and

a) the victim is a citizen of the Republic ofMauritius or has an effective link withMauritius or is dealing with or on behalfof the Government of Mauritius; b) the alleged offender is in Mauritius; or c) the alleged offender is in Mauritius, andMauritius does not extradite him.”

De la même façon, la « Prevention of Terrorism(International Obligations) Act 2008 » incorporedirectement quelques Conventions internationalesdotant ainsi le juge mauricien d’une compétenceextraterritoriale pour ce qui est du terrorisme inter-national. Ce sont: (i) the Vienna Convention onthe Physical Protection of Nuclear Material1980; (ii) the Montreal Convention on the Mar-king of Plastic Explosives for the Purpose of Detec-tion 1991 and (iii) the New York InternationalConvention for the Suppression of Acts of Nu-clear Terrorism 2005. D’après l’article 3 de la loimauricienne de 2008, ces Conventions ont forcede loi à Maurice.

“3. Conventions to have force of law in Mauritius

Notwithstanding any other enactment, theConventions shall have force of law in Mauritius.

Any word in this Act which is defined in one ofthe Conventions shall have the same meaningas in that Convention.”

G. Exequatur

Pour ce qui est de l’exécution des décisionsd’une juridiction à l’autre, il existe le procédéde l’exequatur qui part du principe qu’une dé-cision d’une juridiction étrangère en matière ci-vile peut être reconnue et rendue exécutoire surle ressort national sur la base de réciprocité. AMaurice, suivant la Loi 35 de 1961, ForeignJudgments (Reciprocal Enforcement) Act, qui futamendé par la Loi 48 de 1991, il incombe auPrésident de la République d’identifier les Étatsqui offriraient cette réciprocité. Il s’agit par lasuite pour la partie détentrice d’un jugementd’une juridiction étrangère qui lui est favorablede formuler une demande d’enregistrement auGreffe de la Cour Suprême.

H. Reciprocal Enforcement Judgment Act

L’article 6(1)(a)(v) permet toutefois qu’un jugementd’une juridiction étrangère, quoique enregistrépréalablement, soit annulé lorsque le défendeurarrive à établir que l’exécution du jugement va àl’encontre de l’ordre publique (public policy) del’île Maurice. Cette loi est greffée sur une autre loiplus ancienne, notamment le Reciprocal Enfor-cement of Judgment Act de 1923 - loi del’époque coloniale - qui stipule qu’un jugementobtenu au Royaume Uni pouvait être exécuté àl’île Maurice et vice versa.

Il est à noter que l’article 546 du Code de Pro-cédure Civile de l’île Maurice qui a été héritéde l’époque coloniale française (1715 - 1810)est toujours applicable. Il se lit toujours avec uneaberration : « Les jugements rendus par les tribu-naux étrangers, et les actes reçus par les offi-ciers étrangers, ne seront susceptiblesd’exécution en France, que de la manière etdans les cas prévus par les (anciens) articles2123 et 2128 du Code Civil. »

Il s’agit de lire « à l’île Maurice » au lieu de « en

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France » dans le texte cité. Ce texte toutefois per-mettait à la juridiction mauricienne de ratisser pluslarge que les provisions restrictives du «ForeignJudgments (Reciprocal Enforcement) Act » et du« Reciprocal Enforcement Judgment Act ».

Ainsi, une décision rendue par une juridictionétrangère prononçant le divorce par consente-ment mutuel peut être rendue exécutoire à l’îleMaurice malgré le fait que le divorce parconsentement mutuel ne soit pas reconnu par lalégislation nationale mauricienne. La Cour Su-prême a statué que le divorce par consente-ment mutuel prononcé par la juridictionétrangère, n’était point contraire à l’ordre publicmauricien ni aux bonnes mœurs et devrait êtrereconnu et rendu exécutoire à Maurice. - (Car-rim v. Carrim 1976 MR 251). De même, un di-vorce prononcé par une juridiction étrangère« pour comportement déraisonnable » - (Lochuncontre Lochun 1998 SCJ 40) sera rendu exécu-toire malgré le fait que cette raison de divorceinconnu à Maurice soit considérée « vague »par la juridiction mauricienne.

Dans l’arrêt Beegun v. Josgray26, la Cour Su-prême a aussi statué, que «les jugements renduspar un tribunal étranger relativement à l’état età la capacité des personnes produisent leurs ef-fets à l’île Maurice indépendamment de toutedéclaration d’exequatur, sauf le cas où ces ju-gements doivent donner lieu à des actes d’exé-cution matérielle sur les personnes ou decoercition sur les biens » rejoignant ainsi la po-sition française.

Conclusion de la première partie

Il ne serait pas déraisonnable de conclure que,en ce qui concerne le principe de l’acceptationet l’exercice de compétence dans des affairesà caractère transnational, le juge mauricien estproactif et non réactif. Son souci principal seraitde donner accès à la justice et de rendre la jus-

tice comme le requiert sa vocation sans pourautant violer les principes de base de la règledu droit. Ce sont les limites sur lesquelles nousallons nous pencher dans la deuxième partie.

II. Le refus d’agir du juge, les dessaisissementsvolontaires (la règle du forum non-conveniens)

D’après notre système démocratique qui reposesur le principe de la primauté du droit, toutecompétence doit trouver sa source dans untexte de loi. La juridiction d’une cour de justiceest d’ordre public.

L’Article 10 de notre Constitution insiste sur lefait que, afin qu’il y ait un «fair hearing» ou «unprocès équitable», il est impératif que le tribunalsoit «established by law.» Un juge mauriciendonc déclinerait la saisine d’une affaire dansl’absence d’une loi qui lui confèrerait le droitde s’en saisir. Et la constitution de forme de sonaudience et la matière de sa compétence doi-vent être conformes à la loi.

A. Forum Non-Conveniens

Dans le domaine de la compétence matérielle, lajurisprudence sur la règle du Forum Non-Conve-niens [FNC] serait un aspect pour lui important àtrancher. Cette règle permet aux Juges, dans lespays du Common Law de décliner leur compé-tence à l’égard d’un litige qui relève pourtant deleur pouvoir juridictionnel. Cette discrétion est ap-pliqué du fait que le Juge estime qu’il est plus op-portun que le litige soit tranché par un for étrangerégalement compétent mais qui est mieux placépour se prononcer.228

Dans son sens large, le terme “forum non-conveniens” qui est un terme latin pour “forinapproprié”, inclurait non seulement le pro-blème des juridictions concurrentes se situantdans des états différents mais aussi des juridic-tions concurrentes se situant dans le même état.

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La Cour Suprême de l’île Maurice, par exem-ple, a juridiction pour toutes les affaires civiles,commerciales et pénales. Pourtant, en matièrepénale, elle ne jugera que les crimes les plus sé-rieux qui sont déférés aux Assises, qui est la sec-tion pénale de la Cour Suprême. De même,pour les affaires civiles, elle n’écoutera que lesréclamations dépassant un certain palier, lais-sant les juridictions inférieures (Cours de Districtet Cours Intermédiaires) le soin de juger les ré-clamations moins importantes.

Un des problèmes soulevé est le ”shopping ju-ridictionnel” afin d’obtenir un avantage sur sonadversaire. L’agencement d’un procès devantune juridiction donnée est plus souvent une af-faire de routine si tous les éléments de l’affairese trouvent dans la juridiction territoriale de laCour. Si une ou plusieurs parties résident dansun état autre que celui de la Cour, ou, si deséléments existent qui rendraient un autre for plusapproprié, la question de juridiction devrait êtrerésolue.

Parmi les éléments classiques qui peuvent influersur le for qui serait le plus approprié, on peut citerle domicile, le lieu habituel de résidence, la na-tionalité, le lieu où le contrat fut souscrit, où le délita été commis, où l’obligation doit être exécuté, lajuridiction choisie suivant le libre consentementdes parties pour régler tout litige, etc.

Il semblerait qu’il y ait aussi des éléments sub-jectifs qui pourraient influer sur la décision duJuge tels que le nombre des demandeurs quidevraient se déplacer ou le manque de moyensà apporter une réponse à toute action entaméedevant le for étranger.

Ainsi, dans l’affaire Lubbe contre Cape PLC229,une société multinationale anglaise était miseen cause par des milliers de demandeursd’Afrique du Sud, notamment des travailleursainsi que des conjoints et des enfants vivant àproximité des usines et qui se plaignaient de

graves troubles de santé, voire de décès, dû àleur exposition à l’amiante. Quoique la venuede ces nombreux demandeurs ferait pencher labalance juridictionnelle en faveur de l’Afriquedu Sud, le manque de moyens en Afrique duSud pour apporter une réponse à l’action enta-mée par les demandeurs constitue une raisondéterminante pour refuser que la procédurecommencée en Angleterre ne soit suspendue.

Il faut, toutefois, signaler la limitation réelle decette doctrine de FNC en Angleterre suite à sonadhésion à la Convention de Bruxelles. Ceciest apparent dans la décision de la Cour Euro-péenne de Justice dans l’affaire Owusu v/sJackson et Autres230. Mr Owusu, citoyen bri-tannique habitant en Grande Bretagne, s’étaitgrièvement blessé durant des vacances passésen Jamaïque . Il avait poursuivi Mons. Jackson,un ressortissant britannique qui lui avait loué savilla en Jamaïque, et aussi plusieurs défendeursjamaïcains. Mons. Jackson et trois des défen-deurs jamaïcains avaient demandé à la HauteCour de Sheffield de déclarer que la Cour de-vrait surseoir à juger vu que l’affaire avait desliens plus étroits avec la Jamaïque et que la ju-ridiction jamaïcaine était la plus appropriée. LaCour Européenne de Justice fut éventuellementappelée à se prononcer sur la portée de l’arti-cle 2 de la Convention de Bruxelles quant àl’arrêt éventuel suivant le principe de FNC d’unprocès entamé contre un défendeur domiciliédans un État partie à la Convention. La CourEuropéenne décida que la Convention deBruxelles prohibe qu’une Cour d’un État partieà la Convention de Bruxelles puisse décliner lajuridiction conférée pour l’article 2 au motifqu’une Cour d’un État non-partie à la Conven-tion aurait une juridiction plus appropriée.

La FNC qui est d’origine écossaise connaît tou-jours un essor considérable dans d’autres paysdu Common Law. En Australie, la FNC a connuune variante. Dans deux décisions de 1988 et

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1990231, la Haute Cour australienne esquivala formule du “for le plus approprié” pour adop-ter une formule bien à elle, notamment le “forclairement inapproprié”. Il est maintenantpresque impossible pour un défendeur austra-lien d’obtenir d’une Cour australienne l’appli-cation du FNC. D’ailleurs, dans une décisionde 2002232, la Haute Cour australienne, touten confirmant la formule de “for clairementinapproprié”, déclara que même si une Couraustralienne devrait appliquer une loi étrangèrepour décider une affaire, elle ne serait pas “unfor clairement inapproprié”.

L’approche des Cours canadiennes est plusclassique. Le FNC sera appliqué quand un forautre que le for national est “clairement plus ap-proprié”. Il découle de cette approche que, siles deux fors sont également appropriés, c’est lefor national qui va prévaloir.

La convenance d’un for par rapport à un autrefor se mesure par un test qui prend en comptede multiples éléments, tells que le rapport entrele demandeur et le for, le rapport entre le défen-deur et le for, préjudice que subirait le défen-deur devant le for choisi par le demandeur,préjudice que subirait le demandeur devant unfor différent proposé par le défendeur, les im-plications pour les autres parties au procès, in-cluant les déplacements éventuels des témoins,les incidences de réciprocité et le standardd’adjudication du for étranger.

Hors les pays du Common Law, la règle duFNC n’a pas connu de percée véritable, lespays du Code Civil préférant le principe de li-tispendance. Dans ces pays, la règle de basedu for approprié est celui de résidence habi-tuelle du défendeur. Mais des exceptions exis-tent et il est loisible pour les parties à un contratd’arrêter un choix sur un for prédéterminé encas de litige. Malgré l’approche différente, il ya en pratique souvent convergence entre larègle du FNC et celle de litispendance.

Lorsqu’un for constate qu’il y a un procès simi-laire déjà engagé devant un for différent [litis-pendance], le respect, sinon l’instinctinstitutionnel, dictera également l’application dela règle du FNC.

Ceci ressort clairement dans l’arrêt Nawoorcontre Nawoor 2001 MR 192. Le demandeuravait insisté que sa demande de divorce soitprononcé par la juridiction Mauriciennequoique le divorce avait déjà été prononcé aubénéfice du défendeur dans une autre procé-dure entamée devant une Cour Britannique. Lemotif avancé était que la demande mauricienneétait antérieure à la demande britannique. LeJuge Mauricien refusa de statuer au motif qu’iln’était pas approprié d’assumer juridiction à lalumière du jugement britannique qui avait déjàdissous le mariage. Le Juge adopta la positionfrançaise en droit international privé et citaavec approbation Droit International Privé,Battifol, 6e édition, Tome II -

« 739 - . Si nécessaire que soit la constatationqu’un jugement étranger ne saurait avoir forceexécutoire en France sans octroi de l’exequatur,le droit positif n’a pu méconnaitre le fait qu’unjugement étranger existe même quand il n’apas reçu l’exequatur : l’indépendance des sys-tèmes juridiques nationaux n’est que relative etne peut faire abstraction de l’existence des au-tres systèmes, qui est la raison d’être du droitinternational privé ».

Un autre cas connu dans les annales du judi-ciaire Mauricien sur la règle du FNC est celuide Jordan contre Jordan. En fait, il s’agit d’unesérie de huit affaires qui occupèrent la juridic-tion mauricienne de 1999 à 2008. En paral-lèle avec ces huit affaires devant la juridictionmauricienne, il faut mentionner aussi des procèsintentés aux États Unis pour l’une des parties.

Les faits saillants sont les suivants:-

Monsieur Jordan, ressortissant américain

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épousa Madame, une Mauricienne, en 1993.Après le mariage, le couple vécut aux ÉtatsUnis où deux enfants sont nés en 1997 et1998. La famille Jordan vint à l’île Maurice enseptembre 1998 pour des vacances. MonsieurJordan retourna aux États Unis fin septembre etil était convenu que Madame et les enfants re-tourneraient après. Madame Jordan décida parla suite de rester à l’île Maurice car le mariage,d’après elle, avait échoué.

Le premier procès intenté, une demande d’in-jonction, fut logé par Madame le 22 janvier1999 afin de prohiber que les enfants quittentl’île Maurice avec leur père qui était venu à l’îleMaurice quelques jours plus tôt. Une demandeconnexe pour obtenir la garde des enfants futloge le 3 février 1999 par Madame.

Monsieur Jordan plaida que la juridiction ap-propriée était celle de son pays mais le Jugemauricien trouva qu’il avait pleine juridiction vuque Madame Jordan était Mauricienne, que lemariage avait été célébré à Maurice et que lesenfants avaient aussi la nationalité mauricienne.L’exception de FNC n’avait donc pas abouti.

En réplique, Monsieur Jordan fit une demandesous la Convention de La Haye sur les aspectscivils de l’enlèvement international d’enfants” ré-clamant que les enfants étaient victimes d’enlè-vement et devraient être retournés aux ÉtatsUnis. Cette demande connut des rebondisse-ments mais ne nous concerne pas.

Le 4 février 1999, la Cour Civile de la Caro-line du Sud fut saisie d’une demande pour lagarde des enfants par Monsieur Jordan. Suivi-rent aussi des demandes contradictoires de di-vorce devant la Juridiction Mauricienne et laJuridiction Américaine.

Les demandes de Madame pour une injonctionet pour la garde des enfants devant la Juridic-tion Mauricienne furent accordées le 17 février1999 mais Monsieur Jordan interjeta appel.

Le 22 mars 1999 la Cour de la Caroline duSud accorda la garde des enfants à Monsieur- décision qui va directement à l’encontre decelle prononcée antérieurement par la Juridic-tion Mauricienne le 17 février 1999.

Le 8 mai, Monsieur réclame l’exécution du juge-ment étranger du 22 mars. Le Tribunal Mauri-cien statua que l’existence d’un jugementmauricien portant sur le même objet, entre lesmêmes parties, faisait obstacle à la reconnais-sance comme à l’exécution d’une décisionétrangère qui allait en contresens. Le Tribunalcita avec approbation une décision de laChambre civile française233 et procéda à la vé-rification de la régularité du jugement étranger,condition précédente avant d’accorder toutedemande d’exequatur, notamment :

- la compétence du tribunal étranger ;

- la loi appliquée sur le fond ;

- le respect de l’ordre public au sens du droitinternational privé ;

- l’absence de fraude à la loi.

Le Tribunal Mauricien observa qu’à la lecturedu jugement de son confrère Américain, il n’ap-paraissait pas que celui-ci avait été informé dela procédure entamée par Madame devant lajuridiction mauricienne. Monsieur avait doncagi à l’encontre du principe de litispendance.Il ne pouvait donc faire du “shopping” juridic-tionnel en réclamant réparation devant uneautre juridiction portant sur le même objet.

Aussi la décision du tribunal étranger allait àl’encontre de l’ordre public mauricien qui re-quiert dans l’art.261 de son Code civil que “lagarde des enfants de moins de cinq ans doittoujours être attribuée à la mère sans réservede circonstances exceptionnelles de nature àcompromettre la sécurité de ceux-ci”. Vu que leTribunal Mauricien suit les règles du droit fran-çais s’agissant du droit international privé234, il

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était contraire à l’ordre public mauricien d’exé-cuter un jugement étranger qui accorderait lagarde des deux enfants de 3 et 2 ans au pèretandis que des litiges étaient toujours pendantsdevant les juridictions mauriciennes. L’exequaturdu jugement étranger pour la garde des enfantsétait donc refusé.

Par contre, le Juge mauricien refusa de statuersur la demande de divorce de Madame vuqu’une demande similaire faite antérieurementpar Monsieur avait été déjà prononcée en fa-veur de Monsieur par le for Américain.

Conclusion

Dans un monde qui se précipite vers la globa-lisation, les barrières des juridictions territorialestombent à grands pas. Il est vraisemblabled’imaginer que dans les cours de demain, niles affaires, ni les clients, ni leurs représentantsne seront de la localité.

La projection du Juge National à l’extérieur desa juridiction et la saisine des jugements dansdes situations transnationales deviennent deplus en plus une réalité quotidienne. Ce qu’il in-combe au Juges de faire dans ce développe-ment incontournable c’est de s’assurer qu’ilsrendent la justice plus effective et moins contra-dictoire. Il ne s’agit pas de nationalisme béatou, moins encore, d’activisme judiciaire. Danscette nouvelle réalité, il incombe au Juge des’assurer que les éléments se rattachant à sa ju-ridiction existent. Il décidera alors s’il peut oudoit assumer juridiction dans des situations oùexistent également des éléments se rattachantà un for transnational. Une fois que les élémentssont réunis et pesés dans la balance, le Juged’expérience saura sûrement s’il doit ou non tra-verser le Rubicon.

Accepter la saisine n’est que la première étapedans la démarche de rendre la justice. Ladeuxième serait de veiller a ce que la justice

une fois prononcée soit effective et sans risquede contradiction. C’est dans ce contexte quede telle règle comme le FNC qui s’apprécieclairement dans le milieu du Common Law oùle Juge a un immense pouvoir discrétionnairede dire et de prononcer ce qu’est la loi devientutile. C’est ainsi que tout le chapitre sur la res-ponsabilité délictuelle en Angleterre a été crééepar les Juges. Du moment que le prononcé duCommon Law est imbu de bon sens et sert vé-ritablement à rendre justice, tous les usagers de-vront s’en tirer à bon compte.

La greffe juridique en droit comparéMaître Catherine VALCKE, professeure à lafaculté de droit de l’Université de Toronto

Longtemps considérés comme l’archétype duphénomène national, le droit et la justice ont,au cours des dernières décennies, pris uneforme résolument transnationale. Les initiativesd’uniformisation des droits nationaux se multi-plient ; la désignation du droit étranger commedroit applicable dans le cadre de conventionsprivées est désormais pratique courante ; les tri-bunaux à juridiction internationale prolifèrentsans pour autant se désengorger ; l’arbitrageinternational n’a jamais été aussi prisé, par lesgouvernements comme par les entreprises et lesparticuliers. Les transformations récentes subiespar l’enseignement du droit dans tous les paystémoignent de façon particulièrement éloquentede cette tendance. Plusieurs cours de droit do-mestique sont maintenant enseignés dans uneperspective de droit comparé ; un large éven-tail d’options à saveur internationale ou compa-rée s’offre aux étudiants ; les échangesd’étudiants ou de professeurs, les projets de re-cherche, les tribunaux-écoles, les conférencesà dimension internationale abondent.

Les moyens par lesquels s’accomplit ce phéno-mène d’internationalisation varient dans leur

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degré de formalité. Alors que la désignationpar des parties privées d’un droit étrangercomme droit applicable à leur conventioncontribue à cette internationalisation de façonspontanée (de la même façon qu’une pratiquegénéralisée contribue à l’émergence d’une cou-tume), l’entérinement de cette désignation parun tribunal domestique y contribue de façonplus formelle. Plus formelle encore est la contri-bution judiciaire qui résulte du recours direct àla règle de droit étranger dans le cadre d’un li-tige par ailleurs strictement domestique. Le re-cours direct de fait a pour effet - à tout le moinsdans les systèmes de common law - d’intégrerla règle étrangère au droit domestique, de sorteque cette règle fait dès lors partie d’au moinsdeux systèmes juridiques différents. Le droit pré-torien étant formellement considéré source dedroit en common law,235 le juge y détient enprincipe236 non seulement le pouvoir d’appli-quer ou d’expliciter la règle de droit, mais éga-lement celui de la créer de toute pièce. Parconséquent, toute nouvelle règle énoncée parun juge au soutien de ses conclusions à un li-tige,237 peu importe la provenance ou lecontenu de la règle en question, est de ce faitmême automatiquement enchâssée dans ledroit local. On assiste ainsi à ce que les juristesAnglo-Saxons qualifient de « greffe juri-dique »238 —par référence calculée à l’interven-tion chirurgicale ou botanique puisque la règleétrangère est littéralement « greffée » au droitlocal.

On pourrait cependant douter de ce que cettemême expression demeure opportune lorsquetransposée dans le cadre de systèmes juridiquesde souche civiliste. Les classiques du droit com-paré enseignent en effet que le juge civiliste,contrairement à son homologue de common law,n’est que la « bouche » de la loi, selon la célèbreexpression de Montesquieu.239 C’est donc direque le pouvoir du juge civiliste se limiterait à l’ap-

plication du droit ; il ne s’étendrait pas à sa créa-tion proprement dite. (À tout le moins, c’est ceque le dogme classique voudrait nous laissercroire.) Or, si le juge de droit civil ne fait qu’ap-pliquer le droit, la règle de droit étranger ne peutintervenir, dans le jugement de droit civil, qu’àtitre de source d’inspiration, d’inspiration quant àl’éventail des possibilités pour ce qui est de lafaçon d’appliquer telle ou telle autre règle dedroit local. Si c’est le cas, il est plus difficile deparler de « greffe » proprement dite en droit civil ;il y aurait davantage lieu de parler de « sugges-tion », d’« illustration », ou en effet de seule « ins-piration ».240

Mais au-delà des différences formelles, on peutdifficilement nier qu’en droit civil comme encommon law le recours au droit étranger,lorsqu’il est déployé, fait partie intégrante duraisonnement judiciaire : dans l’un et l’autre deces deux systèmes, il constitue à tout le moinsune raison, une justification permettant au jugede conclure comme il le fait. Or, il est possibled’affirmer que, dans tout système juridique quelqu’il soit, ce ne sont pas tant les conclusions ap-portées aux litiges que le raisonnement qui sous-tend ces conclusions qui constituent le droit. Detoute évidence, on en appelle ici d’épineusesquestions théoriques concernant les fondementsdu droit, lesquelles il n’est heureusement pas op-portun d’approfondir ici. Profitant de l’adageselon lequel on ne saurait réinventer la rouechaque fois qu’on l’utilise, il sera donc simple-ment présumé, pour les fins de la présentecontribution, que le raisonnement, l’argumenta-tion participent de l’essentiel du droit, de l’es-sentiel de tout droit, qu’il soit civiliste, decommon law, ou autre. Si c’est le cas, et si lerecours au droit étranger s’intègre effectivementdans le raisonnement du juge, alors il y a lieude décrire ce recours comme constituant une« greffe juridique» proprement dite, en droit civilcomme en common law.

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Tant en droit civil qu’en common law, donc, lesjuges ont de plus en plus souvent recours à ceque l’on peut proprement qualifier de « greffejuridique » lorsqu’il s’agit de régler des diffé-rends par ailleurs entièrement domestiques. Quiplus est, dans l’un et l’autre de ces deux sys-tèmes, ce recours s’effectue d’habitude defaçon plus ou moins automatique, sans beau-coup de réflexion sur les conséquences possi-bles de ce que la règle invoquée provienteffectivement d’un système étranger. On pour-rait difficilement reprocher aux juges ce peu deréflexion : le cadre judiciaire se prête mal à detelles élucubrations. Le cadre plus académiquede la présente collection s’y prêtant mieux, c’estcette réflexion que nous nous proposons depoursuivre dans les lignes qui suivent. Plus pré-cisément, nous nous proposons d’explorer, nonpas sans un certain œil critique, ce que le droitcomparé a à dire sur la question de la « greffejuridique » - sur la question de la possibilité etde l’opportunité de recourir à des règles, desinstitutions, des concepts de droit étranger dansle cadre de la résolution de litiges domestiques.

À prime abord, il importe de souligner qu’il se-rait faux de croire que le droit comparé chanteici à l’unisson. Comme toute discipline acadé-mique, celle-ci regroupe en fait plusieurs écolesde pensées. Les enseignements du droit com-paré sur la question qui nous occupe, commesur la plupart des questions, sont donc pluriels,souvent divergents, voire même à l’occasioncontradictoires. Étant donné que pour compren-dre réellement quoi que ce soit il est nécessairede l’opposer à ce qu’il n’est pas, nous nous pro-posons ici de brosser un tableau général desdifférentes écoles de pensée du droit comparéen ce qui concerne la possibilité et surtout l’op-portunité pour les juges de procéder à desgreffes juridiques inter-juridictionnelles. Lescontraintes d’espace étant ce qu’elles sont, cetableau devra nécessairement demeurer très gé-

néral. Nous osons cependant espérer qu’il seranéanmoins utile, voire essentiel, dans la mesureoù il permettra au lecteur de situer les différentesécoles les unes par rapport aux autres.

Dans un premier temps, donc, nous examineronsce qu’il conviendra d’appeler l’école des « anti-greffes ». Nous passerons ensuite, dans un se-cond temps, à l’école que nous appellerons, parsouci bien cartésien de symétrie, celle des « pro-greffes ». Enfin, la troisième et dernière partie denotre exposé sera consacrée à un examen plusapprofondi d’une école se situant à mi-cheminentre les deux premières, laquelle s’accommode-rait sans doute de l’épithète « de la greffe modé-rée », mais sera plus judicieusement désignée« de la greffe prudente et parcimonieuse ». Ils’agira alors d’examiner, en particulier, la mé-thode comparative préconisée par cette dernièreécole - la méthode dite « fonctionnaliste » - et d’enrecenser les nombreux bénéfices.

I. L’école des anti-greffes

Comme son vocable l’indique, l’école des anti-greffes, regroupe ceux qui s’opposent à touteforme de greffes, ou même de tentatives degreffes, entre juridictions. On pense ici à desauteurs tels que Pierre Legrand, connu principa-lement pour son ardente opposition au projetd’unification du droit privé européen.241 Selonles anti-greffes, il serait vain de vouloir grefferdu droit étranger sur le droit national parce quede telles greffes sont en fait impossibles - ellesne « prennent » pas ; le nouvel organe ne par-vient pas à « s’enraciner » dans le nouveaucorps - et il y a donc greffe en apparence seu-lement. Ou alors, si les greffes juridiques nesont pas impossibles à proprement parler, à toutle moins sont-elles malsaines - le nouvel organene peut fonctionner convenablement au sein dunouveau corps ; il ne peut fonctionner en har-monie avec le reste du nouveau corps ; ou alors

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son fonctionnement n’est tout simplement pascelui qui était escompté, qui était espéré, parles greffeurs.

Les anti-greffes dénoncent haut et fort, en parti-culier, les nombreuses initiatives des pays occi-dentaux pour aider certains pays d’Asie,d’Afrique, d’Amérique latine, ou de ce qui étaità l’époque le Bloc de l’Est à se doter de nou-velles constitutions, de nouveaux codes civils,ou de nouveaux systèmes financiers, modeléssur les institutions occidentales correspon-dantes.242 Et il est vrai que, trop souvent, cegenre d’initiatives, quoiqu’au départ fort bienintentionnées, se heurte au problème de lagreffe qui ne « prend » pas.243 De nombreusesétudes rapportent en effet que de déraciner uneconstitution d’un cadre politique, administratif,et judiciaire particulier pour ensuite la transpo-ser dans un cadre différent s’accompagne iné-vitablement de nombreux effets négatifs pour lecadre de destination. De même lorsqu’un codecivil est transplanté d’une juridiction à une autresans tenir compte des différences politiques,constitutionnelles, et surtout, culturelles et so-ciales entre les juridictions d’origine et de des-tination.244 Dans le même esprit, il serait pour lemoins hasardeux d’implanter un nouveau sys-tème de réglementation du marché boursier - telque des universitaires américains ont tenté de lefaire dans certains pays de l’Est245—sans sesoucier de ce que la nouvelle structure cadreou non avec le droit privé déjà en place.(Quelle ne fut pas leur surprise de constater quele droit local en matière propriété, de souche ci-viliste, était en fait très différent du propertylaw Anglo-Saxon !)

Une foule d’autres exemples pourraient ici êtredonnés—s’il faut en croire au moins un historiendu droit, la plupart du droit existant aujourd’huide par le monde entier proviendrait d’une quel-conque forme de greffe juridique246. Un dernierexemple suffira néanmoins, celui-ci tiré du droit

privé. Il s’agit de la fiducie (« trust »), institutionanglaise par excellence s’il en est une, maisque l’on a par ailleurs récemment entrepris d’in-tégrer au sein du droit civil des obligations, qué-bécois et français. Quoique le stade del’implantation formelle, législative, soit engrande partie complété, les débats sont loind’être clos.247 Comme on le sait, ce n’est quelorsque les règles formelles sont mises en appli-cation que les problèmes commencent réelle-ment à faire surface. Par conséquent, ce sontles juges qui sont au premier rang lorsqu’ils’agit d’observer, et surtout de démêler, les pro-blèmes causés par les greffes hâtives ou irréflé-chies. Il faudra donc un certain temps avant depouvoir conclure si la fiducie « prendra », si ellepourra réellement fonctionner dans un cadre ci-viliste, qui ne connaît par ailleurs de la pro-priété que sa conception romaniste unitaire,bien loin de la typologie bipartite « Law » et« Equity » du droit anglais.

À l’occasion de chacune des instances degreffe juridique, donc, les anti-greffes se sontélevés pour manifester leur opposition, arguantde ce que la greffe en question était ou bienvaine, ou bien malséante. Mais les raisons évo-quées au soutien de cette opposition, quant àelles, varient. Un premier groupe d’anti-greffesconsidère toute tentative de greffe juridiquevouée à l’échec parce que le droit, en tant quephénomène essentiellement culturel, serait insé-parable de son contexte culturel d’origine.Cette conception, qu’on pourrait appeler laconception « organique » du droit, s’apparenteà celle de l’école romantique allemande, selonlaquelle chaque société aurait une âme propre- la célèbre Volksgeist que Goethe et sescontemporains se sont acharnés à reconstruire,et dont le droit et la culture, entre autres phéno-mènes sociaux, ne seraient que le reflet.248 Quela greffe juridique puisse être honnie n’a, dansune telle conception du droit, rien de surprenant

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puisqu’elle implique effectivement de déracinerla règle, l’institution juridique de son terreau cul-turel propre pour la replanter ailleurs : elle n’im-plique ni plus ni moins que de vider la règle,l’institution de son âme propre.

Un second groupe - les anti-greffes « rationa-listes » - conçoit plutôt le droit comme étant en faitrelativement autonome face à la culture. Le droitserait selon eux une création intellectuelle délibé-rée, le fruit d’une réflexion, d’une délibération ra-tionnelle, menée par des individus intelligents etéclairés (à tout le moins en aspiration), capablesde faire des choix libres, donc des choix qui nesont pas automatiquement déterminés par, entreautres caractéristiques subjectives, leurs goûts,leurs intérêts particuliers, et leurs attaches cultu-relles. Selon cette conception plus individualiste,le droit, en tant que produit d’une délibération ra-tionnelle, affiche donc un certain degré249 d’au-tonomie face à son contexte culturel. Il estégalement relativement cohérent, puisque les in-dividus qui l’ont créé, étant eux-mêmes rationnels,n’ont pu le vouloir incohérent, souillé de contra-dictions internes. C’est donc dire que si le droitest calculé, intentionnel, rationnel, il est naturelle-ment soumis aux règles qui s’appliquent à la rai-son elle-même, notamment, celle del’indépendance intellectuelle, qui dicte le déta-chement de toute considération subjective contin-gente, et celle de la cohérence, qui proscrit toutecontradiction interne.

De toute évidence, la conception rationnelleque nous venons de décrire, comme la concep-tion organique décrite plus haut, relève del’idéal : personne n’oserait prétendre que ledroit puisse, dans les faits, reproduire parfaite-ment la Volksgeist de la société auquel il est rat-taché, ou qu’il puisse, à l’opposé, êtreparfaitement rationnel, cohérent à l’interne, etlibre de toute attache culturelle. Le débat a plu-tôt trait à la détermination de l’idéal vers lequelil doit tendre. Dans la conception organique,

le droit s’améliore dans la mesure où il se rap-proche de son identité culturelle propre, alorsque dans la conception rationnelle, il s’amélioreen devenant davantage cohérent et davantageautonome face à son contexte socioculturel.

Mais en admettant même que le droit puisseêtre, tel que les rationalistes le soutiennent, co-hérent et autonome en aspiration, il reste à dé-terminer pourquoi et en quoi la greffe juridiquepourrait être considérée problématique dansune telle conception. Le problème se situeraitcette fois au niveau du système receveur, en cesens que ce ne serait pas tant le déracinementde la règle étrangère que son implantationdans le système local qui poserait problème.Plus particulièrement, le problème pour le sys-tème receveur serait que cette nouvelle implan-tation ne peut que bouleverser l’équilibreintellectuel préexistant, l’équilibre de cohérence(déjà passablement précaire) qui liait les diverséléments du système les uns aux autres avantl’implantation. C’est du moins ce que semblepenser, entre autres anti-greffes notoires, le jugeScalia de la Cour suprême des États-Unis.251 Ensomme, alors que le problème pour les anti-greffes d’allégeance culturelle est que la greffeimplique de déraciner la règle étrangère de sonsystème d’origine, pour les anti-greffes d’allé-geance rationnelle, c’est l’effet perturbateur dela greffe sur l’équilibre intellectuel interne du sys-tème receveur qui dérange.

En bref, la première école de pensée du droitcomparé en ce qui concerne la greffe juridique- l’école des anti-greffes - se divise en deux cou-rants, soit, celui des culturalistes, selon lequelon ne peut ou ne doit détacher la règle de soncontexte culturel propre, et celui des rationa-listes, selon lequel on ne saurait incorporer unerègle étrangère à un système de droit sans bou-leverser l’équilibre interne de ce dernier.

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II. L’école des pro-greffes

Se situant aux antipodes intellectuels de la pre-mière école, la seconde a pour porte-paroleprincipal l’auteur américain Alan Watson, déjàévoqué.50 Celui-ci n’a pas moins que misé sacarrière sur la thèse selon laquelle la greffe se-rait la première source de développement juri-dique à travers le monde. En effet, selon leProfesseur Watson, le droit n’est autre qu’untissu de greffes multiples, accumulées au fil dutemps, qu’il revient au droit comparé d’identifieret de répertorier. Le recours au droit étranger fe-rait donc partie intégrante du développementjuridique, en ce qu’il serait effectué par le légis-lateur, certes, mais également par l’avocat,dans sa plaidoirie, et par le juge, dans son ju-gement. Et, corollairement, le comparatiste dudroit serait d’abord et avant tout historien,puisque sa tâche principale serait de repérer etd’analyser les différentes greffes à l’origine dudroit aujourd’hui en existence à travers lemonde, d’identifier la source initiale de cesgreffes et le moment exact de leur intervention,et de relater les divers ajustements qu’elles ontchaque fois provoqué au sein des systèmes re-ceveurs.252

Tel que Watson l’explique lui-même,253 le pointde mire de l’analyse pro-greffe est la règle oul’institution de droit positif, conçue indépendam-ment de tout contexte autre qu’historique, doncde tout contexte géopolitique, culturel, social,ou même moral. De toute évidence, cetteconception implique nécessairement qu’unetelle distinction, entre le droit (positif) d’une part,et son contexte d’autre part, puisse au départêtre établie. En effet, s’il n’était pas possible dedistinguer le droit de son environnement culturelet social, si donc cet environnement devait êtreconsidéré comme faisant partie intégrante dudroit lui-même, il ne serait tout simplement paspossible de transposer le droit d’une culture àune autre puisque la différence d’environnement

interviendrait comme un obstacle incontourna-ble à une telle transposition. La possibilité d’unedistinction droit/culture est donc nécessaire-ment présupposée par l’analyse pro-greffe.

On ne se surprendra guère de ce que la thèsede Watson selon laquelle le droit n’est qu’unamalgame de greffes ait su s’attirer l’appui despositivistes convaincus. En effet, le positivismeprésuppose lui aussi la possibilité de considérerla règle de droit en faisant abstraction des va-leurs -économiques, morales, et autres - qui lasous-tendent.254 Mais la thèse de Watsoncompte la plupart de ses adeptes parmi ceuxqui, positivistes ou non,255 conçoivent le droit,les différents droits existant de par le monde,comme partageant un fondement philoso-phique universel. Pour certains, ce fondementuniversel est moral—c’est ce que préconisaitl’école du droit naturel des XVIIe et XVIIIe siè-cles.256 Pour d’autres, ce fondement est plutôtprudentiel ou instrumental - c’est la positionavancée, par exemple, par l’école plus contem-poraine de l’analyse économique du droit.257

Plusieurs des initiatives de greffe juridique dé-crites ci-dessus - en particulier celle concernantl’implantation d’un système financier à l’améri-caine dans les pays du Bloc de l’Est - ont defait été entreprises à l’aune de l’impératif de l’ef-ficacité économique, présenté comme univer-sel,258 alors que certaines autres - notammenten ce qui concerne l’unification du droit euro-péen - sont le fait de certains grands penseursde l’école (contemporaine) de droit naturel. Onpense ici, entre autres, aux principes d’UNI-DROIT259 et aux remarquables travaux de JamesGordley260. En somme, s’il y a divergenced’opinion au sein des pro-greffes universalistesquant à la nature et au contenu du socle univer-sel qui unit les systèmes de droit du monde en-tier, on semble être d’accord de ce qu’un telsocle à tout le moins existe.

Deux écoles de pensée radicalement opposées

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l’une à l’autre, en somme : d’un côté les anti-greffes, qui soutiennent qu’il importe de préser-ver l’intégrité culturelle et/ou la cohérenceintellectuelle de chaque système de droit, et quela greffe juridique contrevient à cet impératif.De l’autre, les pro-greffes, qui affirment aucontraire que le droit n’est autre qu’une accumu-lation de greffes juridiques, avec pour résultatqu’on ne peut proscrire la greffe sans dénigrerla nature profonde du droit, et qu’il vaut dès lorsmieux se concentrer sur l’analyse des ajuste-ments qui doivent être apportés aux systèmesreceveurs pour que les diverses greffes en courspuissent s’accomplir sans heurts. S’il n’est paspossible d’entraver le processus, autant travail-ler à le faciliter.

Entre ces deux extrêmes s’étale, on s’en doute,toute une panoplie de variations, de positionsde compromis, qui empruntent à l’une et à l’au-tre de ces deux extrêmes quelques uns de leurséléments caractéristiques. C’est l’une de ces po-sitions intermédiaires que nous nous proposonsde défendre dans la prochaine et dernière sec-tion de notre exposé.

III. L’école de la greffe prudente etparcimonieuse

Telle que nous la concevons, cette école en-seigne qu’il est opportun de recourir à la greffeseulement de façon ponctuelle, lorsque les troisconditions suivantes sont établies : (1) le droitlocal est silencieux sur une question particu-lière ; (2) le droit étranger a une solution à offrirconcernant cette même question ; et (3) il estpossible de greffer la solution étrangère sur lesystème local sans y créer trop de remous, c’est-à-dire, sans enfreindre outre mesure à la lo-gique juridique ou à la culture plus générale dece système. Cette école intermédiaire partagedonc le souci des anti-greffes en ce quiconcerne l’importance de préserver l’intégrité

culturelle et/ou intellectuelle du système local.Le point de départ - et point de mire constant -de l’analyse n’est jamais autre que le systèmelocal : c’est seulement dans la mesure où il yaurait un manque à combler, une brèche à col-mater dans le système local que la greffe estenvisagée. Mais cette école diffère de celledes anti-greffes en ce qu’elle refuse de présumerque de colmater les brèches avec du droitétranger porte nécessairement atteinte à l’inté-grité du système local : on se dit au contraireque le colmatage fait partie intégrante du tra-vail quotidien des juges, et qu’importe qu’ilspuissent s’acquitter de cette tâche en s’inspirantde classiques littéraires, de sources spirituelles -bibliques, pourquoi pas ? - de droits étrangers,ou de quelque autre source ! L’important est quele matériau utilisé pour colmater la brèche soitadapté à celle-ci.

Le succès de l’entreprise dépend donc de ceque l’on puisse identifier, avec exactitude et pré-cision, en l’occurrence au sein du droit étran-ger, un matériau approprié pour colmater labrèche locale. Or voilà précisément, à notreavis, le talon d’Achille de la greffe juridique :comment s’assurer que les règles de droit étran-ger qui s’offrent au juge - qu’elles aient été iden-tifiées par les plaideurs, par le juge même, parson assistant de recherche, ou par un quel-conque professeur d’université - sont adaptéesà la brèche identifiée dans le système local?Sur ce point, l’école de la greffe prudente etparcimonieuse rejoint l’école des pro-greffes,puisque la méthode qui est utilisée pour s’assu-rer d’une certaine correspondance entre larègle étrangère et la brèche locale est la mé-thode dite « fonctionnaliste », laquelle fut misede l’avant par les célèbres comparatistes alle-mands Konrad Zweigert et Heinz Kötz261 et ef-fectivement vite adoptée par la grande majoritédes pro-greffes.262

La méthode fonctionnaliste s’appuie d’abord et

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avant tout sur une prise de conscience. L’expé-rience du droit comparé a en effet révélé qu’il esthasardeux d’utiliser un vocable ou un domainedu droit comme point de départ à une comparai-son inter-juridictionnelle. De fait, les étiquettes at-tachées aux diverses règles, institutions, et notionsde droit (« hypothèque », « proportionnalité », « fi-ducie », « liberté d’expression », « cause contrac-tuelle ») et lesclassifications analytiques (« le droitdes contrats », « le droit de la propriété », « laresponsabilité civile », « le droit constitutionnel »)ne sont pas déterminées par une quelconque ins-tance internationale, chargée de standardiserl’étiquetage et l’emballage d’un système à l’au-tre. Elles sont plutôt déterminées localement, parles acteurs juridiques en présence dans chaquesystème, avec pour résultat que la même éti-quette ou catégorie peut désigner ou engloberdes institutions différentes - et qu’une étiquetteou catégorie différente peut désigner ou englo-ber des institutions similaires - dans des sys-tèmes juridiques différents.263 Par conséquent,il serait inopportun pour un juge qui chercheraità régler un problème, disons, contractuel de li-miter son étude du droit étranger à ce qui estdésigné comme « droit des obligations contrac-tuelles » dans le système étranger, pour la sim-ple et bonne raison que certaines institutionsconsidérées comme « contractuelles » dans lesystème étranger pourraient très bien ne pasl’être dans le système local, et vice versa. Il esttout à fait possible qu’un même problème puisseêtre considéré « contractuel » dans un système et« délictuel » dans un autre, par exemple. En l’oc-currence, il faudrait, pour obtenir une idée justede la solution du droit étranger, étudier les règlesde ce droit afférentes à la responsabilité civile enplus de celles afférentes au droit des obligationscontractuelles. La seule considération du droit dé-signé comme contractuel dans le système étran-ger donnerait au juge une vision tronquée de lasolution apportée au problème dans ce système.

Le génie de Zweigert et Kötz a été donc,d’abord de prendre conscience de ce pro-blème, inhérent à toute étude comparative dudroit, et ensuite de proposer une solution. Seloneux, ce n’est pas l’étiquette assignée aux rè-gles, aux institutions, aux catégories du droit quidoit servir de point de départ à la comparaison- de tertium comparationis264 - mais bien plutôtla fonction desservie par ces étiquettes. En effet,si les étiquettes varient, les fonctions quant àelles demeurent constantes. C’est en tout cas cequ’avancent Zweigert et Kötz.265 Le point dedépart de toute comparaison doit donc être,non pas une règle ou un ensemble de règles,mais bien un problème particulier, une situationde fait, qui appelle au déploiement des règlesjuridiques pertinentes, quelles que puissent êtreleurs étiquettes et domaines d’appartenance,dans les divers systèmes de droit sous étude.

Par exemple, dans la mesure où on considèreque tous les systèmes de droits font face à desproblèmes de fraude dans la conclusion decontrats entre parties privées, et que tous se sontdotés de règles visant à contrer ce problème, leproblème de la fraude contractuelle - ou la fonc-tion correspondante, « limiter la fraude contrac-tuelle » - serait un bon point de départ pour unecomparaison éclairée et impartiale des sys-tèmes de droit. On découvrirait alors que si,dans les systèmes de common law, on tente delimiter la fraude contractuelle en grande partiepar l’entremise de la notion de « considera-tion », selon laquelle seules les promesses bila-térales, les promesses données en échanged’une quelconque contrepartie, sont sanction-nées en droit,266 dans les systèmes civilistes onutilise davantage le droit de la preuve pour ar-river au même résultat. De fait, les systèmes ci-vilistes sont beaucoup moins récalcitrants àsanctionner les promesses unilatérales, donnéessans aucune contrepartie,267 mais ils requièrentpar ailleurs que celles-ci soient notariées.268 Un

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juge anglais qui aurait limité son étude du droitfrançais en matière de fraude contractuelle àce que ce système qualifie de « droit descontrats » (à l’exclusion de ce qui y est qualifiéde « droit de la preuve ») aurait très bien puconclure, erronément, que le droit français nese préoccupe pas de questions de fraude dansla conclusion des contrats (voire même, que lescontractants français n’adoptent jamais de com-portements frauduleux !) D’une façon ou de l’au-tre, l’usage par le juge de la catégorie « droitdes contrats » ou de l’institution « cause contrac-tuelle » (ou « consideration » en common lawanglaise), plutôt que de la fonction « limiter lafraude contractuelle », l’aurait amené à se mé-prendre sur l’état de la question dans le droitétranger.269

Quoiqu’une foule d’autres exemples du mêmeressort pourraient ici être donnés, un dernier suf-fira, lequel sera tiré du droit constitutionnel, plusprécisément du droit en matière de liberté d’ex-pression. On ne pourrait entreprendre de com-parer, valablement, les différentes conceptionsde la liberté d’expression de par le monde in-dépendamment des différentes conceptions durecours en diffamation, puisqu’on peut naturel-lement s’attendre à ce que l’étendue de la li-berté d’expression soit inversementproportionnelle à l’étendue du recours en diffa-mation ! (Une étude statistique de la questionserait nécessaire pour déterminer si cette attentes’avère dans les faits.) Une bonne compréhen-sion du recours en violation de la liberté d’ex-pression impliquerait naturellement que les deuxrecours soient étudiés en tandem en dépit dufait que ceux-ci appartiennent a priori à des do-maines du droit très différents, notamment, ledroit public et le droit privé. Ici encore, une si-tuation de fait, mettant en cause une quel-conque violation de liberté d’expression, ou lafonction y correspondant (« protéger ou baliserla liberté d’expression »), constituerait un bien

meilleur point de départ pour la comparaisonque l’un ou l’autre des vocables « diffamation »ou « liberté d’expression », ou même que l’unou l’autre des domaines « droit de la diffama-tion » ou « droit de la liberté d’expression »,puisque ce point de départ mènerait naturelle-ment à l’étude de toutes les règles pertinentessur la question dans chaque système de droitpeu importe leur étiquette ou leur domained’appartenance.

Enfin, il peut arriver que le recours à la fonction,plutôt qu’à l’étiquette ou au domaine du droitcomme tertium comparationis, nous amène àtranscender, non seulement les vocables et clas-sifications juridiques locales, mais également ledroit lui-même. Dans certains cas en effet, il ar-rive qu’une fonction particulière soit desserviepar des instruments proprement juridiques dansune société mais que cette même fonction soitdesservie par des instruments sociaux, poli-tiques, ou culturels dans une autre société.Zweigert et Kötz donnent l’exemple de l’enre-gistrement des titres de propriétés, institution ap-paremment sinon inexistante en droit américain,à tout le moins bien plus limitée que ce qu’elleest en droit européen. Est-ce à dire que la so-ciété américaine a trouvé le moyen de fonction-ner sans enregistrer ses titres de propriétés ?L’affirmative serait pour le moins surprenante. Eteffectivement, la différence se situe plutôt en ceque, aux États-Unis, cette fonction est assuméeen grande partie par le marché privé plutôt quepar l’État : ce sont les compagnies d’assurancesqui s’en chargent, avec pour corollaire que l’ons’en remet aux lois de la concurrence, plutôtqu’à la sanction étatique, pour garantir la fiabi-lité des données. Dans un tel cas, le recours àla fonction aura pour effet bénéfique de forcerle comparatiste à élargir le contexte d’étude,non seulement au-delà des vocables ou des do-maines du droit, mais également au-delà dudroit même, puisque c’est dès lors le rôle de

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certains mécanismes économiques et sociauxqu’il conviendra d’explorer - un élargissementabsolument essentiel si la comparaison doit de-meurer équilibrée270.

Si les règles des différents systèmes de droit varientgrandement, les fonctions qu’elles desservent seressemblent souvent.271 La fonction des règles dedroit, davantage que leur étiquette ou leur do-maine d’appartenance, constitue donc le filon àsaisir lorsqu’il s’agit d’identifier la contrepartieétrangère d’une règle ou d’un ensemble de règleslocales. Non seulement cette fonction permettra-t-elle de faire le lien entre la brèche locale et le ma-tériau étranger, mais elle permettra également dedéterminer les risques que poserait un colmatageéventuel pour l’intégrité culturelle et l’équilibre in-terne du système local. En effet, la perspectivefonctionnelle favorise une vision plus globale de larègle dans son contexte juridique et social, la-quelle est essentielle afin d’évaluer les risques enquestion. La méthode fonctionnaliste paraît dèslors tout indiquée pour ce qui est de déterminer siles trois conditions établies par l’école de la greffeprudente et parcimonieuse—l’existence d’unebrèche locale, l’existence d’une solution étran-gère, et la possibilité d’un colmatage sans heurt in-tellectuel ou culturel substantiel - sont effectivementsatisfaites. Elle rend ainsi possible une certaineconciliation entre les objectifs des pro-greffes etles objections des anti-greffes : il s’agit de greffer,certes, mais avec prudence et parcimonie.

La réception des décisions étrangèresMonsieur Fabrice Hourquebie, Professeuragrégé de droit public, UniversitéMontesquieu-Bordeaux IV, GRECCAP

A propos de la controverse sur le contrôle deconstitutionnalité des lois de révision constitu-tionnelle, Georges Vedel avait clairement dé-noncé la référence faite par une partie de ladoctrine notamment à une décision de la Coursuprême d’Inde : « Il faut se défaire de l’idéeque telle ou telle théorie, telle ou telle pratiqueadoptée par une Cour constitutionnelle étran-gère dans une démocratie parfois juvénile s’im-pose comme le dernier cri de la mode fémininelancé dans les collections de printemps ».

Le recours au précédent étranger est certaine-ment la manifestation la plus aboutie du dia-logue transnational des juges et de l’ouverture(de la porosité diront certains) des systèmes ju-ridiques. Bien connue en common law, car fina-lement plutôt consubstantielle à la traditiond’ouverture et à la culture judiciaire des droitsressortissants à cette famille notamment en rai-son d’un mode de production du droit essentiel-lement jurisprudentiel et donc, à ce titre, plusréceptif à la diversité des méthodes d’interpré-tation272, son utilisation est plus récente dans lessystèmes de droit continental davantage mar-qués par les identités nationales. De ce pointde vue là, l’espace francophone est à la croi-sée des chemins et des cultures. Car le champfrancophone est d’une part, et par nature, unespace de coexistence de droits nationauxissus, affiliés ou émancipés des deux grandsmodèles type. Et parce que, d’autre part, cha-cun des ordres juridiques nationaux est porteurd’un métissage d’autant plus complexequ’adossé à un système de référence, il reposeaussi sur des éléments de droit coutumier, musul-man, autochtone etc.) Mais les risques ou blo-cages que peut induire cette diversité des droitset dans le droit sont à la mesure du défi de la

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globalisation juridique qu’incarne, dans unecertaine mesure, l’échange des arguments dedroit étranger, et particulièrement de décisionsde justice entre les juges nationaux. A ce titre,le mimétisme constitutionnel et le suivisme juri-dique (et judiciaire) sont autant d’écueils déjàbien connus en Francophonie que le processusde réception des décisions étrangères doit évi-ter. La (re)contextualisation de l’argument dedroit jurisprudentiel étranger est de ce point devue là indispensable (comme d’ailleurs dans lecadre de n’importe quel processus d’import/ex-port juridique ou dès lors que la technique del’emprunt est envisagée).

Quels sont donc les enjeux dans la recherche etla réception des précédents judiciaires ? Cepropos va tenter d’établir les principes direc-teurs d’une « bonne réception » des décisionsétrangères.

I. Les raisons de la réception

Réceptionner les décisions des juridictions étran-gères relève d’une double justification. D’abordsur le terrain de la légitimité du juge : à l’heurede la juris-globalisation (F. Hourquebie) il im-porte que les juges nationaux ne donnent pasle signal d’un isolement qui les conduirait à êtreen dehors du dialogue juridictionnel transnatio-nal émergent (A). Mais en dehors de cette vi-sion systémique, le phénomène d’importationdes décisions étrangères peut correspondre ausouhait de diversifier les méthodes d’interpréta-tion dont dispose le juge pour avoir une vueplus compréhensive du problème juridique posé(bien souvent sur le terrain des droits fondamen-taux d’ailleurs) (B). Dans les deux cas, la solu-tion jurisprudentielle devient la résultante d’unprocédé d’énonciation concurrentielle, c’est-à-dire comparée, du sens de la norme.

A. Le recours aux précédents comme outilde légitimation

Les Cours qui font de la réception des décisionsétrangères un moyen de légitimation tant deleur statut que de leur office peuvent se classeren deux grandes familles (qui parfois se recou-pent d’ailleurs).

Première famille : celle des jeunes Cours su-prêmes ou constitutionnelles ou les Cours en pé-riodes de transition politique. Le contexte politiqueet juridique les oblige à rentrer dans une dé-marche de quête de légitimité et de reconnais-sance internationale à travers la réception desdécisions étrangères. L’objectif recherché est alorsdouble : il tient tant au souci d’amarrer la Cour àun certain consensus de valeurs qui émerge dansla communauté internationale, qu’à une volontéd’intégrer la jurisprudence de la Cour dans l’en-vironnement de celles des autres Cours suprêmes.L’importation des décisions étrangères permetainsi de donner à la communauté internationaleun gage d’ouverture réelle, mais aussi d’inscrirela nouvelle société en construction dans une lo-gique de mise en conformité avec les exigencesuniverselles en matière de suprématie (constitu-tionnelle) et de garantie des droits fondamentaux.Le droit jurisprudentiel étranger constitue, aumoins au début, une sorte de « balise constitu-tionnelle », une matrice de principes de réfé-rences, auréolés de la crédibilité internationale etparés des habits du constitutionnalisme moderne.

L’espace francophone fourmille d’exemples.Ainsi en allait-il des juridictions (notammentconstitutionnelles) des pays d’Europe centrale etorientale dans le tournant des années quatre-vingt dix au moment de la rupture avec le ré-gime communiste. Cela semble un peu moinsavéré aujourd’hui, au vu des réponses au ques-tionnaire de la République tchèque, de la Rou-manie, de la Moldavie ou encore de laPologne. Cela se vérifie en revanche toujourspour les juridictions de l’espace francophone

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africain (Mali, Madagascar, Tchad…) surtouten période de sortie de crise et de reconstruc-tion de l’État de droit.

Cette circonstance temporelle (transition, sortiede crise) induit clairement une réception des dé-cisions étrangères plutôt lorsque le juge doit sta-tuer sur des questions liées aux droitsfondamentaux et aux libertés. C’est un pointparticulièrement typique des régimes de transi-tion (la problématique francophone sur cettequestion permet de vérifier cette hypothèse).Car en dépit du potentiel légitimant que peutreprésenter l’invocation des droits de l’Homme,on s’aperçoit malgré tout que le concept est unconcept vide ; il ne peut en effet reposer sur au-cune définition du contenu de ces droits, dansla mesure où ceux-ci n’existaient pas sous le ré-gime antérieur et où la jurisprudence et la pra-tique en la matière ne sont pas encoresuffisantes. Donc si les droits de l’Homme sont« inhérents » au nouvel État de droit, ce carac-tère intrinsèque doit nécessairement conduire lejuge à progressivement remplir ces « coquillesvides », de façon à définir ces droits et libertésnon seulement de manière formelle mais aussi,et surtout, de manière substantielle ; les jurispru-dences étrangères remplissent cet office.273

Deuxième grande famille : les Cours membresde systèmes d’intégration ou de coopérationsrégionales ; le recours aux précédents étrangerssemble y être plus poussé. Plus qu’une faculté,la réception des décisions étrangères devien-drait presque une nécessité tant l’objectif deconvergence juridique et jurisprudentielle est aucœur des processus d’harmonisation secto-rielles par le droit. La notion de dialogue desjuges prend tout son sens.

Ainsi, au sein de l’Union européenne, les Coursconstitutionnelles qui ont à vérifier la constitu-tionnalité des traités d’intégration recherchentquasi systématiquement ce qui a pu être jugéantérieurement par une autre cour. Au sein de

l’espace francophone, il existe des espace ré-gionaux et sous-régionaux de justice (Organi-sation pour l’harmonisation en Afrique du droitdes affaires ; Union économique et monétaireouest africaine, Communauté économique etmonétaire de l’Afrique centrale notamment) quisont autant de lieux d’échanges et de dialogueentre les juges des cours suprêmes, via diffé-rentes procédures (comme le renvoi préjudiciel)mais aussi, de manière plus informelle, via l’im-portation des décisions des juridictions des au-tres pays membres en vue de s’en inspirer pouraller vers un « droit commun ». Car les risquesde tensions entre les cours nationales et lesCour communes (d’arbitrage pour l’OHADApar exemple) ne sont pas à écarter. Un demoyens pour les surmonter est de prendre enconsidération les solutions jurisprudentielles desCours du même ensemble régional.274

Reste que pour les Cours installées, qui ne sontpas dans des contextes de ruptures de la dé-mocratie ou de reconstruction de l’État, la fonc-tion légitimante du recours aux précédentsétrangers ne joue pas ; ou à tout le moins nejoue pas de la même façon. Elle cède la placeà une fonction plus justificatrice du raisonne-ment du juge : la réception des décisions étran-gères participe d’une méthode d’interprétationrenouvelée.

B. Le recours aux précédents comme méthode d’interprétation

La réception des décisions étrangères peuts’analyser comme un processus interprétatif.275

Pour Häberle : La comparaison juridique de-vrait être considérée comme une cinquième mé-thode d’interprétation en plus des quatreméthodes décrites par Savigny en 1840 (gram-maticale, logique historique et systématique). Etde poursuivre : « L’ouverture de contenu et dedimension des droits fondamentaux vers l’exté-

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rieur sont la conséquence de l’évolution vers unÉtat constitutionnel coopératif. Se crée alors unecommunauté des interprètes (…). La société ou-verte des interprètes devient internationale, dif-férenciée cependant en fonction des pactesrégionaux (…) et de l’appartenance culturelle,par exemple dans l’espace européen ou latino-américain ou aussi africain (…) ».

Dans un sens opposé, le juge américain Scaliaestime que les emprunts ne peuvent valoir qu’enmatière d’élaboration de la constitution, et nonpour l’interprétation des autres normes . Parcette position, il s’inscrit dans un courant inter-prétatif extrêmement peu favorable à des ap-ports extérieurs. Ainsi « l’originalisme » (ou lesintentions premières des Pères fondateurs) prôneune interprétation au plus près du texte originelqui exclut la réception des précédents jurispru-dentiels en tant qu’ils expriment une idéologiedynamique et ouverte276. Dans l’espace franco-phone, la Cour suprême du Canada peut four-nir un excellent exemple de cette interprétationouverte et dynamique du droit, notamment à tra-vers l’exemple de la comparaison de la Chartedes droits et libertés de 1982 au Bill of Rightsde la constitution américaine. Marie-Claire Pon-thoreau relevait qu’après avoir souligné le rôlepionnier des États-Unis en matière de protectiondes droits fondamentaux, la juge, Claire L’Heu-reux-Dubé, précisait : « Nous n’avons pas tou-jours suivi l’approche américaine. […]Cependant, examiner et prendre en considéra-tion la jurisprudence américaine nous a permisde tirer profit d’une compétence en matière d’in-terprétation constitutionnelle acquise depuisdeux cent ans ». Ce que confirme la réponseapportée au questionnaire et que nous relayonsen partie ici avec les références jurispruden-tielles précises auxquelles elle renvoie277. Plu-sieurs arrêts en matière de droits fondamentauxrendus depuis l’adoption de la Charte cana-dienne des droits et libertés en 1982 font expli-

citement référence aux traités internationaux ouà la jurisprudence internationale278, et ce,même si le texte en question n’est pas en vi-gueur au Canada. Dans l’arrêt Baker c. Ca-nada279, la Cour a considéré la portée de laConvention relative aux droits de l’enfant, quiavait été ratifiée par le Canada mais qui n’étaitpas en vigueur. Bien que la Cour ait reconnuque cette Convention n’avait aucune applica-tion directe au Canada, elle a souligné l’impor-tance de son rôle dans l’interprétation du droitinterne. La Cour a souligné en effet que « [l]esvaleurs exprimées dans le droit international desdroits de la personne peuvent [...] être prisesen compte dans l’approche contextuelle de l’in-terprétation des lois et en matière de contrôle ju-diciaire » (par. 70). Également dans Mugeserac. Canada280, au par. 178, la Cour a déclaréque l’interprétation et l’application des disposi-tions du Code criminel canadien sur les crimescontre l’humanité devaient s’harmoniser avec ledroit international. Dans son analyse, elle aainsi tenu compte de la jurisprudence du Tribu-nal pénal international pour le Rwanda et duTribunal pénal international pour l’ex-Yougosla-vie. Enfin, puisque le texte de la Charte reflètecelui d’autres instruments internationaux, laCour s’est inspirée d’approches préconiséespar la Commission et la Cour européenne desDroits de l’Homme pour développer le cadreanalytique permettant aux tribunaux de détermi-ner, entre autres, si des violations à des droitsgarantis par la Charte sont « justifiables dansle cadre d’une société libre et démocratique281

». Le droit international se révèle ainsi sourced’inspiration importante pour la Cour, du moinsen matière de droit public. De surcroît le phéno-mène n’est pas nouveau : Miller et autre c. LaReine282. Le droit étranger a aussi valeur heuris-tique et persuasive en droit privé, notammenten raison des origines de ce droit au Canada(le Code Napoléon pour le Québec et la com-mon law d’Angleterre dans les autres pro-

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vinces). Pour interpréter les dispositions duCode civil du Québec, par exemple, la Courn’hésite pas à recourir aux théories civilistes dé-veloppées par la doctrine française283. Il en estde même pour les concepts de common law -le célèbre arrêt Donoghue v. Stevenson284, parexemple, forme toujours la base du droit de laresponsabilité civile dans ces provinces ».

Cette approche « moderne » de l’interprétationvaut aussi - au Canada - en matière constitution-nelle. La Cour a reconnu que l’un des principesles plus fondamentaux d’interprétation de laconstitution canadienne est que cette dernièredoit être comprise comme « un arbre vivant qui,grâce à une interprétation progressiste,s’adapte et répond aux réalités de la vie mo-derne ».285

Dans les cas précédents, la réception des déci-sions étrangères a alors une vocation justifica-trice du raisonnement judiciaire : se référer auxprécédents permet de combler un vide juridiqueou de surmonter une difficulté sérieuse. Les ré-ponses au questionnaire le font clairement ap-paraître pour les Cours de l’espace africainfrancophone comme le Mali, le Tchad, le Séné-gal, le Niger…

Le recours aux décisions étrangères comme mé-thode d’interprétation est d’ailleurs parfois formel-lement consacré dans certaines constitutions (quin’appartiennent pas au monde francophone ; latendance à l’institutionnalisation de cette méthodeapparaît plutôt dans les constitutions irriguées enpartie par la common law et son pragma-tisme)286. Dans ce cas, la légitimité du recours àla solution étrangère ne se pose pas puisqu’elleest actée dans le texte fondamental.

L’exemple typique se trouve en Afrique du sud.La constitution intérimaire, dans sa section35(1), et la constitution définitive dans sa sec-tion 39(1)(a),(b),(c), recommande aux juridic-tions d’interpréter les dispositions du Bill of

Rights en s’inspirant, au besoin, des principes dudroit international public et du droit jurisprudentielcomparé. En soi, cette disposition est un belexemple d’importation des valeurs du constitution-nalisme occidental dans le texte fondamental sud-africain. Mais au-delà de la seule référenceformelle, la section 35(1) est le canal principalpar lequel les décisions des juridictions étran-gères et les principes d’autres systèmes juridiquesvont parvenir dans le droit sud-africain. La section35(1) fixe moins une possibilité (« may have re-gard ») qu’une certaine impérativité, comme c’estle cas pour la référence au droit international pu-blic (« a court have regard »). Cette distinctionpréfigure bien celle, plus appuyée, de la section39(1) de la constitution définitive, au terme de la-quelle le juge sud-africain interprétant la charteconstitutionnelle des droits devra tenir compte (ouprendre en considération) du droit internationalet pourra tenir compte (prendre en considération)les précédents jurisprudentiels et le droit positifétranger.

Cet argument du droit comparé est très fré-quemment invoqué dans la décision du 6 juin1995 Makwanyane sur la peine de mort287. Etil le sera encore très largement dans la décisiondu 9 juin 1995, S. v. Williams and others288,dans laquelle la Cour considère les châtimentscorporels contraires aux sections 10 (dignité hu-maine) et 11 (traitement inhumains et dégra-dants) de la constitution.

Si le principe de la réception peut se justifier, lapertinence de la démarche repose également -et peut-être avant tout - sur la nature des choixopérés. Les modalités de la réception condition-nent alors largement la légitimité du recours.

II. Les modalités de la réception

Invoquer un précédent étranger repose, pour lejuge, sur un travail d’importation qui ne peutlaisser trop de place à la subjectivité. Si le re-

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cours à la décision étrangère peut s’apparenterà une méthode d’interprétation, le processus quiconduit lui-même à sélectionner le précédentpour l’utiliser par la suite doit aussi répondre àun certain nombre d’exigences logiques. Aussila réception des décisions étrangères s’inscrit-elle dans un système de contraintes qui doit per-mettre d’identifier le précédent significatif (A)dont l’autorité, bien que forcément variable,devra être la moins contestable (B).

A. Un précédent significatif

Quels sont les principes directeurs qui guident larecherche de précédents judiciaires et quellessont les contraintes qui pèsent sur cette re-cherche ? C’est à ces questions que nous allonstenter d’apporter quelques éléments de réponse.

D’abord sur les principes directeurs de la re-cherche. Comment choisir le précédent signifi-catif c’est-à-dire le plus apte à remplir savocation justificatrice dans l’élaboration de ladécision judiciaire ? Ce n’est plus ici une ques-tion de légitimité (v. supra I-A) mais bien unequestion d’opportunité.

Plusieurs indices guident le juge dans son choix.L’argument culturel en est un. Le choix de récep-tionner une décision de justice est lié à la culturejudiciaire et est donc largement tributaire del’appartenance à l’un ou l’autre des deuxgrands systèmes de droit. Ainsi les juridictionsde common law s’inspirent plus facilement desprécédents étrangers ; en droit continental, lesspécificités juridiques et les identités nationalessont plus fortes et constituent autant de facteursde résistance à l’importation. En découle un in-dice qui serait lié au style judiciaire : un style ju-diciaire discursif, narratif et analytique qui, biensouvent et de surcroît, autorise la pratique desopinions individuelles est davantage propice aurecours au droit jurisprudentiel étranger car ilpermet d’objectiver le processus d’échange des

arguments et de révéler le sens des interpréta-tions. La pratique corrobore ce constat carseules les cours pratiquant les opinions dissi-dentes ou/et concurrentes font référence de ma-nière explicite et réitérée à « l’argument de droitcomparé ». La proximité textuelle ensuite : letexte à interpréter est de même nature juri-dique ; ou le texte servant de référence à l’inter-prétation est similaire. La proximité contentieuseest un autre indice. Le cas soumis est-il identiqueà celui traité par une autre juridiction ? L’affaireest-elle similaire en fait et/ou en droit ? La ré-ponse du Mali au questionnaire est, à ce titreéclairante : « Les juridictions nationales peuvents’inspirer dans le processus décisionnel de l’Étatdu droit dans d’autres pays de règles issuesd’un droit étranger lorsqu’il y a identité de laquestion traitée et dans la mesure où le droit oules règles issues d’un droit étranger, par la pu-blication, font autorité ». La réponse du Tchadva dans le même sens : « Les juridictions natio-nales s’inspirent profondément de la jurispru-dence étrangère en adoptant leur raisonnementjuridique dans une affaire similaire dont ellesont la charge ». Il appartient bien, en tous cas,au « juge-importateur » de vérifier si le précé-dent étranger concerne un cas d’espèce ou estune solution de principe ; sa portée devra êtreen conséquence nuancée et son autorité dansle nouvel espace juridique potentiellement rela-tivisée (v. infra II-B). Dernier indice, peut-être,mais non des moindres : l’appartenance à unensemble régional qui forme une communautéde valeurs (OHADA, UEMOA notamment dansl’espace francophone ; mais aussi système dela convention européenne des droits del’homme dans l’espace européen). La commu-nauté de valeur peut se déduire aussi non pasde l’appartenance à un système d’intégrationou d’harmonisation régionale par le droit maisà une histoire commune. Cela est particulière-ment vrai ici pour l’espace francophone. Lespays « de succession française » ont hérité d’un

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même modèle historique de référence (v. les ré-ponses données au questionnaire par le Mali,le Sénégal, le Niger, le Tchad…) ; c’est ce queJean de Gaudusson a pu appeler le « para-digme de la dépendance 289» Le dialogue juri-dictionnel et jurisprudentiel nord sud qui s’ensuitn’a pas de symétrie. Il trouvera plutôt un échodans un dialogue sud-sud au sein de l’espacefrancophone, c’est-à-dire à l’intérieur des sous-ensembles régionaux dans les systèmes de coo-pérations régionales ou sectorielles. Leproblème qui découle de la multiplication deces coopérations est alors le risque de chevau-chements institutionnels et donc décisionnels.Alors n’est ce pas là remettre en cause l’idéemême de dialogue si les arguments ne circulentque dans un sens ou de manière univoque ? Undes moyens de prévenir les risques de ce dia-logue « à sens unique » peut résider dans laconnaissance des décisions des cours « de lamême famille », c’est-à-dire des cours nationalesregroupées dans des ensembles infrarégionaux.L’appartenance à un de ces systèmes de coopé-ration intégrée pèse donc de manière détermi-nante sur la réception des décisions des « courssœurs ». La diversité juridique n’interdit pas lesconvergences jurisprudentielles dans certainssecteurs du droit. Il en va de l’attractivité dudroit et, partant, de sa performance.290

Un certain nombre de contraintes pèsent aussisur la recherche. Le juge doit en être conscientet les intégrer dans sa démarche. D’abord laformation des juges. Il est facile de comprendreque juges formés aux États-Unis se tournent plusfacilement vers la Cour suprême ; par opposi-tion aux juges formés en Allemagne qui s’inspi-rent davantage du droit continental291 c’est àla lumière de cet argument que l’on peut mesu-rer importance des programmes de coopéra-tion dans la formation des juges ; et les actionsmenées par la Délégation à la paix, à la démo-cratie et aux droits de l’homme sur le terrain de

la coopération juridique et judiciaire vont tout àfait dans ce sens292. Ensuite, et c’est le prolonge-ment, la nécessité de formations spécialisées audroit étranger ou/et à la comparaison des droits.Cet axe est essentiel car il participe d’une ouver-ture sur l’extérieur293. En pratique, les juges desjeunes cours de l’est ont bien souvent été formésen Europe de l’ouest et s’en sont approprié lesvaleurs. « Un juge ayant séjourné à l’étranger,formé au droit étranger et évoluant dans un milieuouvert aux apports extérieurs sera probablementplus naturellement amené à examiner les solutionsétrangères » et à introduire dans son raisonne-ment justificatif un tel argument294.

Derrière cette problématique de la formation etde l’ouverture aux droits étrangers c’est en réa-lité, par ricochet, la question de la traductiondes décisions de justice qui est posée. Une dé-cision exportable, c’est-à-dire utilisable, est unedécision traduite. Beaucoup de Cours font déjàl’effort de la traduction (et un certain nombre deCours suprêmes et constitutionnelles font appa-raître sur leurs sites les « grands arrêts » ou« grandes décisions » traduites en plusieurslangues, dont avant tout l’anglais). Il convientde relever, là encore, l’importance des pro-grammes d’appui de l’OIF à la traduction et àla mise en ligne. C’est ici un autre enjeu del’aide à la diffusion du droit à travers laconstruction de bases de données des déci-sions (un exemple très réussi en francophonieest donné par la base de données jurispruden-tielles JURICAF, http://www.juricaf.org), ou l’ins-titutionnalisation d’un réseau francophone dediffusion du droit (RF2D, http://www.rf2d.org).

En toutes hypothèses, la réception des solutionsétrangère repose, en dernière instance, sur unedémarche finaliste. Il faut que le recours au pré-cédent apporte une valeur ajoutée à la déci-sion ; ce qui pose la question de l’autoritéjuridique du précédent étranger.

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B. Une autorité variable

Quelle est l’incidence de la réception d’un pré-cédent étranger ? A-t-elle une fonction essentiel-lement rhétorique ou une fonction véritablementargumentative ? En quoi des précédents perti-nents peuvent-ils aider à l’élaboration de la dé-cision nationale ? Ce qui induit, inévitablementet comme nous avons pu l’indiquer, des interro-gations de fond sur les méthodes de raisonne-ment. En d’autres termes, jusqu’à quel point lejuge national peut-il s’inspirer du précédentétranger ? Recourir à une décision étrangèreest moyen de forger sa propre opinion mais né-cessairement sous la réserve de la recontextua-lisation du précédent. Réfléchir à la force duprécédent importé et donc à son autorité poseen filigrane la question de l’étendue de l’officedu juge et de l’autonomie de son interprétation.

Didier Maus l’a bien montré295, plusieurs ni-veaux d’autorité sont à distinguer (qui dépen-dent aussi du moment au cours duquel l’appelau précédent étranger est fait). On en identi-fiera trois.

D’abord, premier palier d’effet, un effet informatif.Les décisions étrangères sont utilisées pour prépa-rer la décision nationale à travers la constitution dedossiers documentaires, d’études de droit com-paré etc. Mais le précédent n’est pas formellementcité dans la décision. Le recours à la décisionétrangère se fait ici dans le processus d’élabora-tion de la décision en amont de la délibération. LaCour de cassation française est un exemple ty-pique comme le montre la réponse fournie auquestionnaire. « La Cour de cassation, en particu-lier la chambre criminelle et la chambre commer-ciale, sont susceptibles d’être intéressées par lesdécisions jurisprudentielles étrangères. Toute la dif-ficulté consiste alors à réunir dans des délais ac-ceptables les éléments d’information nécessaires.L’interlocuteur habituel est le service des affairesétrangères et internationales du ministère de la jus-tice qui peut mobiliser les magistrats de liaison en

poste dans certaines capitales étrangères ou quidispose déjà d’un certain nombre d’études dedroit comparé. D’autres voies de recherches peu-vent être utilisées, comme les instituts universitairesde droit comparé (avec le même problème dedurée de traitement des affaires), ou les sites inter-net dont l’inconvénient majeur est la difficulté d’ap-précier la portée des décisions disponibles, sansconnaissance du système juridique dans lequelelles interviennent ». En d’autres termes, l’utilité pourla Cour de cassation des recherches de droit com-paré reste relativement limitée : elle permet à la ju-ridiction d’élargir le champ de sa réflexion maisne peut être directement exploitable pour la solu-tion des pourvois. Une pratique identique pourraitêtre identifiée au Conseil constitutionnel français àtravers le travail de préparation des dossiers docu-mentaires. au Conseil constitutionnel français (pré-paration de dossiers documentaires).296

Deuxième niveau d’autorité : le précédent aune autorité de persuasion (un effet persuasif).La Cour suprême du Canada fournit une bonneillustration. Il apparaît dans la réponse au ques-tionnaire que « si les arrêts de la Cour suprêmedu Canada font voir une démarche interpréta-tive ouverte au droit étranger297. A cet égard,Gianluca Gentili faisait référence à la notionde « cosmopolitisme juridique » développéepar le juge La Forest pour justifier cet empruntétranger et son autorité. Plus nuancé et prudent,le juge Wilson indiquait que « la Cour a tou-jours dit que même si elle peut bénéficier pourses décisions de nature constitutionnelle de l’ex-périence des États-Unis et des autres pays, ellen’est d’aucune manière liée par leur expérienceou leur jurisprudence ».

Qu’est ce qui, alors, confère l’effet persuasif àun précédent judiciaire ? La réitération par lesCours d’une solution convergente induit-elle lavaleur du précédent et partant justifie-t-elle sonimportation ? Ou doit-on estimer qu’il y a là uneinterprétation autonome ? De nouveau selon la

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tradition juridique, la réponse varie. Mais c’esten tous cas c’est bien cet effet persuasif du pré-cédent qui est le plus fréquent, car finalement lemeilleur compromis entre l’effet simplement dé-claratif et l’effet purement normatif, au moinspour les juridictions de common law ou de sys-tèmes mixtes (voir la Cour suprême de l’Indepar exemple).

Par conséquent, troisième et dernier niveaud’autorité : l’autorité du précédent peut êtrecontraignante. On est ici dans un contexte juri-dique bien particulier : celui des systèmes d’in-tégration ou de coopération. Une Cournationale qui s’écarterai d’un précédent issu dela Cour « commune » (Cour européenne desdroits de l’homme, Cour d’arbitrage pourl’OHADA, Cour interaméricaine ; Common-wealth etc.) prend le risque d’être censurée.Cette situation se distingue de l’effet simplementpersuasif par le fait que le précédent judiciaires’impose obligatoirement, il est subi ; alors quedans les autres hypothèses, la réception du pré-cédent est choisie. Le dialogue transnationaldes juges laisse la place à un dialogue en ré-seau. Et la réception de la décision étrangèren’a dès lors plus la même signification. Elle estune conséquence mécanique de l’apparte-nance à un système intégré de coopération ;elle n’est plus en tous cas un acte de volonté liéà un processus interprétatif spécifique.

III. Conclusion

La réception des décisions étrangères interrogeen tous cas du point de vue de ce que l’onpourrait appeler le « nationalisme constitution-nel ». Les juges sont toujours en tension et enéquilibre. D’un côté, une juridiction qui ne s’ou-vrirait pas sur l’extérieur via le droit comparécourt le risque de l’isolement. Dans un systèmede « judicial globalization » c’est ici un véritabledanger. Ainsi importer les décisions étrangères

permet de rendre visible aux yeux de tous le faitque je juge s’insère dans un dialogue institution-nel transnational. D’un autre côté, recourir àl’excès aux précédents étrangers peut aussi af-faiblir le juge en mettant en cause l’authenticitéde son interprétation aux yeux de l’opinion298.

Finalement la situation optimale est celle d’une cul-ture constitutionnelle et judiciaire favorable aux ap-ports extérieurs qui a en même temps consciencedes limites de l’approche comparative et des dif-ficultés méthodologiques et pratiques liées à l’im-portation des précédents étrange.

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Atelier IIILa réception du droitinternational par les droitsnationaux

Président de séance :Monsieur Jean DU BOIS DE GAUDUSSONProfesseur agrégé en droit public,président honoraire de l'Agence universitaire de la Francophonie

Méthodes d’intégration du droitinternational en droits internesMadame Bérangère TAXIL, Professeur dedroit international à l’Université d’Angers,Chercheur au CERDIN-Paris 1-Panthéon-Sorbonne.

La « méthode » est un « ensemble ordonné demanière logique de principes, de règles,d’étapes permettant de parvenir à un résul-tat »299 : en ce sens, il n’est pas certain que l’onpuisse réellement identifier de méthodes cohé-rentes et catégorisées en matière d’intégrationpar les États du droit international dans leur pro-pre système. La diversité et le pragmatisme rè-gnent. En effet, le droit international n’imposeaucune obligation (ni méthode) en la matièreaux États, si ce n’est celle d’exécuter leurs enga-gements de bonne foi : celle-ci peut alors defait conduire à l’insertion ou la transposition desnormes internationales dans l’ordre juridique in-terne, notamment lorsque les individus sontconcernés par la règle internationale. Celaétant, la grande diversité n’empêche nullementde parcourir les différentes techniques dites «d’intégration », destinées à faire produire deseffets juridiques complets à une norme interna-tionale dans un ordre juridique étatique. Pourcela, les étapes consistent à suivre le cheminde cette norme jusqu’à sa destination ultime : ilne suffit pas de constater que la ratification rendun traité obligatoire dans ses relations réci-

proques avec les autres États parties ; encorefaut-il qu’il s’applique de manière réelle, effec-tive, au sein de l’État, car tel est le résultat re-cherché par « l’intégration ». Celle-ci consisteen effet non seulement à faire entrer une norme(internationale) dans un ensemble (interne), maiségalement à lui donner pleinement effet. La sé-mantique illustre bien ce constat de la variétédes choix étatiques, puisqu’il est courant d’utili-ser de manière quasi-indifférente les termes d’in-tégration, incorporation, exécution, application,ou encore adaptation.

Une analyse complète de la question nécessitede cumuler au moins deux démarches métho-dologiques, consistant à débuter le chemin auxcôtés du droit international, puis à le poursuivreen droit interne. En premier lieu, il faut procéderà une étude par catégories de sources du droitinternational : traités, coutumes et actes unilaté-raux internationaux ne sont pas incorporésselon les mêmes voies (on ne ratifie pas la cou-tume !). En second lieu, une intégration com-plète du droit international s’effectue enplusieurs étapes de franchissement de l’écrande la souveraineté étatique : la validité et la va-leur de la norme internationale dépendent deschoix constitutionnels, mais également de ceuxdu législateur, et enfin des juges.

D’abord, les règles constitutionnelles posent lesoptions générales, présentées classiquement àtravers l’opposition entre monisme et dualisme :cela sous-entend qu’il y aurait deux grandesméthodes. En réalité, non. Si les logiques derapports de systèmes diffèrent, les effets du droitinternational peuvent finalement être sembla-bles, qu’il s’agisse d’une simple « insertion »(méthode moniste) ou d’une « réception » avecadoption de mesures internes complémentaires(méthode dualiste). Ainsi, quelque soit le sys-tème, les autorités politiques (législatives, régle-mentaires, ou même administratives),interviennent ensuite pour promulguer, exécuter,

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transposer, ou compléter, en bref pour rendreapplicables les règles internationales. Enfin, lerôle du juge, en tant qu’autorité d’applicationdu droit, ne doit pas être sous-estimé : il inter-prète le sens et la valeur du droit international,surtout dans l’hypothèse ou les pouvoirs précé-dents ne sont pas intervenus. Son rôle d’intégra-tion du droit international est d’autant plusimportant lorsqu’il appartient à une famille decommon law.

Les méthodes d’intégration des normes interna-tionales en droit interne contribuent-elles à l’in-ternationalisation du droit interne de manièreprogressive ? La réponse est indéniablement po-sitive : depuis le début des années 1990, auregard des règles comme des pratiques, lesgrandes évolutions des rapports de systèmespermettent de le constater. Ainsi, l’étude compa-rée des droits constitutionnels révèle une évolu-tion frappante vers une prise en compte accruedu droit international. Les États disposent quasi-ment tous aujourd'hui de règles constitutionnellesdéterminant la place de ce droit, avec davan-tage de précision qu’auparavant300 (I). Cepen-dant, les résistances des États à la pression dudroit international persistent : la « nationalisation» du droit international, autrefois spécifique audualisme, tend à se généraliser. Ainsi, quelleque soit la règle constitutionnelle, loin des doc-trines systémiques, la pratique est à la retrans-cription législative du droit international, parfoisde manière tardive et/ou partielle (II). En effet,le rôle du pouvoir législatif est de légitimer au-tant que légaliser une norme produite par desautorités extérieures. Dès lors, l’intégration dudroit international relève bien plus de l’opportu-nité politique que de logiques juridiques. Enfin,l’effort judiciaire d’application et d’interprétationdu droit international, plus ou moins contraint, il-lustre encore l’absence d’une véritable métho-dologie, au profit d’une approche casuistiquecomplexe mais probablement inévitable (III).

I. L’internationalisation croissante des principes directeurs : méthodesconstitutionnelles d’intégration

Le vaste mouvement de réformes constitutionnellesdepuis le début des années 1990 appartientpleinement à la mondialisation juridique : les fron-tières entre ordres juridiques nationaux et ordreinternational sont davantage perméables. Plu-sieurs facteurs l’expliquent : d’une part, la fin dubloc communiste et les transitions démocratiques(en Amérique Latine et en Europe de l’Est, surtout)ont entrainé une attitude plus réceptive de nom-breux États à l’égard du droit international. D’au-tre part, les processus d’intégration régionale etl’apparition de nouvelles organisations internatio-nales accentuent la présence de normes supra-nationales pesant sur le droit interne. Enfin, lenombre croissant de vastes conventions multilaté-rales ayant des effets sur les individus imposentdes modifications internes conséquentes (que l’onsonge à la Convention d’Ottawa sur les minesanti-personnel en 1997, ou au traité établissantla Cour pénale internationale (CPI) en 1998, ouencore la Convention sur les disparitions forcéesen 2006).

Deux constats peuvent être effectués à la lecturedes constitutions révisées : celui d’une immensedisparité des méthodes constitutionnelles d’inté-gration du droit international (A), mais aussicelui d’une plus grande précision (B).

A. Disparité des méthodes selon les sourcesde droit international

Les règles constitutionnelles déterminent tant lavalidité interne que la valeur hiérarchique desdifférentes normes internationales. Elles font unelarge part aux traités, compte tenu des exi-gences habituelles de ratification (1). La cou-tume est plus souvent négligée, surtout par lesÉtats de tradition civiliste privilégiant le droitécrit (2). Quant aux actes unilatéraux internatio-

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naux, leur mention dans les textes fondamen-taux commence à apparaître de manière plussignificative (3).

1. Insertion ou réception des traités :monisme et dualisme

Au stade de cette première étape constitution-nelle, il faut distinguer les systèmes monistes etdualistes.

Dans les premiers, la méthode est celle de l’in-sertion dite « automatique » : plusieurs modalitésformelles existent, tenant compte de la réparti-tion interne des compétences internationales.Ici, les clauses constitutionnelles courantes affir-ment que le droit international appartient à l’or-dre juridique interne et lui confèrent souvent uneprimauté, relative, avec un rang généralementsupra-légal. Ces deux mentions peuvent figurerde manière implicite dans un seul article, ouplus expressément dans plusieurs articles consti-tutionnels. Les modalités procédurales, quant àelle, impliquent la ratification ou signature dutraité par les autorités politiques compétentes,puis sa publication : alors, le traité devient va-lide et opposable aux autorités dans l’ordre ju-ridique interne301. La ratification des traités lesplus importants doit souvent être autorisée par lepouvoir législatif, comme en France302. Plus ré-cemment, une tendance (encore rare) est à laprécision des conditions d’application des trai-tés : certaines constitutions affirment une pré-somption d’applicabilité directe des traitéset/ou confèrent compétence aux juges natio-naux pour connaître des réclamations fondéessur des traités303.

Dans les systèmes dualistes, en revanche, latechnique employée est celle de la réception,terme employé par la doctrine depuis Anzilotti.Elle implique l’adoption de mesures internesd’exécution, voire de transformation, dutraité304. En l’absence de procédure simplifiée

d’insertion automatique, plusieurs techniquesd’intégration du traité coexistent, selon les cas.On distingue alors l’engagement international del’État (par la ratification) et la validité interne dutraité, qui lui est généralement conférée par lepouvoir législatif. Le traité ne produit pas d’effetsinternes avant d’avoir été repris par une loi. Lesclauses constitutionnelles dualistes relatives auxtraités sont, la plupart du temps, sommaires etpeu claires. Il peut être mentionné que les traitésentrent en vigueur par le biais d’un acte législatifou réglementaire, sans préciser quel est l’objetet le contenu de la règle interne305. Beaucoupplus rarement, il peut être clairement énoncéqu’aucun accord international ne fait partie dudroit interne sans intervention parlementaire306.Dans tous les cas, l’organe législatif doit donnerson aval démocratique à un traité conclu par lepouvoir exécutif. Si ce n’est lors de la ratificationdu traité, ce sera lors de son incorporation audroit interne307. Cela conduit à distinguer autori-sation de ratification et approbation interne dutraité. Les textes constitutionnels ne précisant alorspas quel doit être le contenu de la loi ou des «mesures de mise en œuvre nécessaires »308, c’estau législateur que revient le soin de préciser lesdifférentes techniques.

Par ailleurs, on peut constater que de nombreuxÉtats pratiquent les méthodes dualistes sans quela Constitution ne leur impose : dans des paysde tradition de common law, il revient souventau juge de déterminer certaines règles fonda-mentales, dont la place du droit international,comme tel est le cas au Canada309. Il s’agitalors davantage d’une pratique constitutionnelleque d’une exigence textuelle.

La différence essentielle entre les deux typesde techniques réside dans la valeur hiérar-chique qui sera conférée au traité : lorsquecelui-ci est intégré par la voie dualiste, il ac-quiert la valeur de l’acte interne de réception,le plus souvent une loi.

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2. La coutume internationale dans lesdispositions constitutionnelles

Le droit international non écrit fait l’objet d’unnombre réduit de méthodes constitutionnellesd’intégration, de par sa nature même. Auxcôtés d’une immense majorité silencieuse (lespays de tradition écrite), on peut néanmoins re-lever quelques dispositions. La distinction entremonisme et dualisme est largement inopéranteici, dès lors que la coutume ne se prête guèreaux techniques dualistes de transposition. Dèslors, de nombreux États adoptent une approchedualiste des traités, mais moniste à l’égard dela coutume (elle acquiert donc une validité au-tomatique et peut parfois bénéficier d’une pri-mauté relative) : tel est le cas pour l’Italie, oul’Allemagne310. En revanche, ici les oppositionsentre pays de common law et de civil law sontpertinentes. En effet, la règle traditionnelle decommon law affirmant que « international lawis part of the law of our land » s’applique. Ce-pendant, si de nombreux États s’engagent à res-pecter la coutume, sa place en droit interne estambiguë. Néanmoins on peut distinguer troisattitudes générales à son égard, de la plus res-trictive à la plus réceptive.

Le premier type de dispositions est aussi le pluselliptique : il consiste simplement en un engage-ment de principe à respecter les règles de droitinternational généralement reconnues dans lesseules relations extérieures de l’État311. Celan’implique pas sa validité interne.

Le second type de clauses n’est guère plus pré-cis : il mentionne que l’ordre juridique interne seconforme aux règles de droit international géné-ral, sans indication quant à sa valeur (hiérar-chique, surtout)312.

Certains États sont monistes à l’égard de toutesles sources de droit international et les assimi-lent : Portugal et Russie, par exemple313. Denombreux États, parfois dualistes pour les trai-

tés, sont expressément monistes pour la cou-tume, et mentionnent sa validité automatique :tel est le cas en Autriche314. Plus exceptionnel-lement, la Constitution prévoit même la pri-mauté de la coutume : ainsi en va-t-il del’Allemagne, de la Grèce315. Les mêmes prin-cipes sont également pratiqués, même en l’ab-sence de texte constitutionnel, dans un certainnombre d’autres États, comme au Canada.

3. Les actes unilatéraux internationaux dansles dispositions constitutionnelles

Source de droit international la plus récente,l’acte unilatéral n’est mentionné dans les consti-tutions que depuis le début des années 1990,sous l’influence conjuguée du droit dérivé desorganisations internationales et des résolutionscontraignantes du Conseil de sécurité del’ONU. Rarement prévues, l’insertion et l’appli-cation de ce droit unilatéral sont plus que ja-mais marquées par le pragmatisme le plus total.

En Europe, on souligne fréquemment le carac-tère unique de la Constitution des Pays-Bas, nonseulement en ce qu’elle envisage l’applicabilitédirecte des traités, mais aussi des actes unilaté-raux internationaux316. D’autres textes, d’inspira-tion plutôt moniste, assimilent largement lesactes unilatéraux aux traités : ils ne sont pas ra-tifiés, bien sûr, mais insérés directement dansl’ordre interne, lorsque cela résulte de la lo-gique de l’organisation internationale elle-même317. En revanche, aucun texte dualisten’envisage la situation interne des actes unilaté-raux. Même la très moderne Constitutiond’Afrique du Sud de 1996 les ignore, alorsmême qu’elle est très précise sur les traités318.

Dès lors, pour cette source de droit internatio-nal, ce n’est pas dans la norme constitutionnelleque se situe la réponse à la question de l’inté-gration, mais dans la pratique législative et ju-diciaire.

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B. Précision accrue quant à la validité et lavaleur du droit international

Au sein d’une même catégorie de source dedroit international, il existe certaines distinctionsdont tiennent parfois compte les États. Ainsi, lestraités ne sont pas tous destinés à produire lesmêmes effets en droit interne (1). De même, lesactes de plus en plus nombreux qui émanentd’organisations régionales d’intégration possè-dent une nature spécifique (2).

1. Particularités de certains traités

En premier lieu, les traités relatifs aux droits del'homme bénéficient parfois d’un traitementconstitutionnel particulier. C’est le cas dans plu-sieurs États d’Amérique latine, probablementsous l’influence de la Constitution espagnole.Ainsi, les règles relatives aux droits fondamen-taux doivent être interprétées conformément auxaccords internationaux portant sur les mêmesmatières319. La valeur supra-légale des traitéspeut n’être accordée qu’à cette catégorie320.Certains États confèrent même un rang para-constitutionnel à ces traités321. Cette attitude faitparfois l’objet de critiques doctrinales. En effet,malgré l'ouverture importante et récente de cesÉtats au droit international, la majorité desnormes internationales conventionnelles est lar-gement mésestimée. On peut alors déplorerune telle situation : “sur le plan politique, laplace prestigieuse accordée aux traités sur lesdroits de l'homme dans les constitutions de cer-tains États nouvellement démocratiques est jus-tifiable et compréhensible…Cependant, lesrépercussions juridiques de cette idée politique-ment méritoire sont hélas plutôt négatives” carelle entraîne une “dégradation relative de la po-sition constitutionnelle des autres traités”322.

En second lieu, plusieurs textes fondamentauxmentionnent les traités auto-exécutoires, c'est-à-dire ne nécessitant pas de mesures nationales

d’application : seuls ceux-ci bénéficieront de laprimauté sur la loi . Ici, la difficulté réside biensur dans l’interprétation de ce caractère auto-exécutoire, qui n’est jamais mentionné par letraité lui-même : c’est à la loi et aux juges querevient cette mission. Les trois acteurs de l’inté-gration du droit international, constituant, légis-lateur, juge, doivent ainsi être associés.

2. Particularités du droit dérivé desorganisations internationales régionales

On peut souligner les difficultés de certains sys-tèmes dualistes face à l’accroissement quantita-tif du nombre d’actes unilatéraux émanantd’organisations d’intégration, reposant sur unelogique moniste de primauté et d’effet direct :Italie et Royaume-Uni, par exemple, ont connuplus de difficultés que d’autres États européensà s’adapter au droit communautaire émanantde l’Union européenne et au droit de laConvention européenne des droits de l’homme.Des législations spéciales ont du être adoptées,sans pour autant modifier les règles constitution-nelles. D’autres États, en revanche, choisissentde faire évoluer leur loi fondamentale pour tenircompte de ce phénomène en pleine extension.

Deux types de clauses constitutionnelles doiventêtre mentionnés ici. Il s’agit d’abord du phéno-mène récent des dispositions relatives aux trans-ferts de compétences souveraines auxinstitutions internationales. Implicitement, ellesdéterminent l’application du droit dérivé éma-nant de ces organisations. Courantes en Eu-rope en raison de l’intégration communautaire,elles apparaissent également sur d’autres conti-nents, en Amérique latine par exemple. Il s’agitensuite, plus rarement, d’une mention expresseaffirmant la validité automatique, voire la pri-mauté des actes émanant des organisations in-ternationales d’intégration, lorsque le traitéconstitutif le prévoit324. Cela nécessite alors une

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lecture et une interprétation combinées des rè-gles constitutionnelles nationales et du traité éta-blissant l’organisation internationale. C’est ainsique sont directement applicables les règles is-sues de l’OHADA et de l’UEMOA sur le conti-nent africain325. La méthode d’intégration estalors des plus automatiques, et ne nécessiteparfois même pas de publication interne de ladécision, dès lors qu’elle est publiée par l’orga-nisation elle-même.

Cependant, pour toutes ces sources de droit in-ternational, les principes affirmés par les consti-tutions sont parfois atténués voire contredits parla pratique. Même lorsque la règle constitution-nelle permet une intégration directe de la normeinternationale, celle-ci est néanmoins largementtransposée et renationalisée par les législateurs.

II. L’internationalisation mesurée dela pratique étatique : méthodes législativesde transposition

Le législateur dispose d’une grande marge demanœuvre dans l’application des principesconstitutionnels à l’égard du droit internatio-nal326. La transposition législative prend desformes très variables, mais finalement compa-rables d’un système à l’autre. Son objet est mul-tiple : il s’agit de légitimer politiquement unenorme (presque) étrangère, négociée et adop-tée par le pouvoir exécutif, la plupart du temps; de respecter l’obligation étatique d’exécutionde ses engagements internationaux ; il s’agitsurtout d’adapter l’ordre juridique interne à unenorme nouvelle, qui s’inscrit parfois en contra-diction avec certaines traditions juridiques natio-nales. Plus un traité international intervient dansun domaine politiquement sensible, plus les mo-difications de l’ordre juridique interne seront ef-fectuées à minima. La différence réside surtoutdans le fait que la méthode de nationalisationest imposée dans les systèmes dualistes, tandis

qu’elle est choisie dans les systèmes monistes(A). On peut certainement constater une pro-gression des pratiques de transposition, qui faitl’objet de commentaires divergentes. Quoiqu’ilen soit, le résultat produit est similaire : l’inté-gration du droit international est souvent tardiveet partielle (B).

A. Méthodes imposées dans les systèmesdualistes, méthodes choisies dans lessystèmes monistes

Plusieurs techniques de transposition existent,qu’il s’agisse de lois de réception, de transpo-sition ou d’adaptation (1). Cependant, on peutconstater l’absence de règles déterminant lechoix d’une technique en particulier, car cechoix dépend largement de motifs d’opportu-nité politique (2).

1. Différentes techniques : lois de réception,d’exécution et d’adaptation

L’opération de « nationalisation » ou transforma-tion de la norme internationale en norme interneutilise plusieurs techniques. Imposées par la lo-gique dualiste, celles-ci sont habituelles auRoyaume-Uni ou en Italie. Elles sont néanmoinségalement courantes dans certains États mo-nistes, de par la volonté du législateur : celui-ciinterprète la règle internationale, dont le faibledegré de précision rend parfois nécessaire etinévitable un complément national, aux finsd’exécution. Qu’il s’agisse d’un traité ou d’unacte unilatéral, le droit international écrit subitlargement le même traitement.

La première méthode, la plus simple, consiste àvoter une loi qui renvoie au texte international etle déclare applicable ; ledit texte est alors re-produit en annexe de la loi. C’est la techniquedualiste de « l’ordre d’exécution », qui en réaliténe fait que réceptionner l’acte international pour

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le rendre valide au niveau interne. Cette simpleréférence au texte du traité ressemble, en pra-tique, à l’autorisation parlementaire préalablede ratification. Ainsi, la loi française autorisantle Président de la République à ratifier le statutde la CPI contient un article unique : « est auto-risée la ratification de la Convention…et dont letexte est annexé à la présente loi »327. La chro-nologie est différente : l’autorisation parlemen-taire relève de la procédure de conclusion dutraité, antérieure à son entrée en vigueur pourl’État. En revanche, la doctrine souligne souventla double fonction de la loi dualiste qui récep-tionne le traité : elle est à la fois procédure deconclusion et procédure d’exécution dutraité328.

La seconde méthode, en revanche, consiste àreprendre dans la loi la substance normative dutraité ou de l’acte unilatéral international, entout ou en partie. Le terme d’exécution est fortdélicat car c’est lui qui prête à confusion.Comme Joe Verhoeven l’explique de façon lim-pide, “par "mesure d’exécution", il y a lieu d’en-tendre des interventions législatives,réglementaires ou administratives destinées àdonner concrètement effet à la règle internatio-nale et non des interventions dont le seul objetest d’"introduire" celle-ci dans l’ordre interne del’autorité saisie, conformément aux exigencespropres de son droit constitutionnel”329. Ce pro-cédé doit à son tour être dissocié, selon que laloi mentionne expressément le texte internatio-nal, ou non. On peut alors opérer une distinc-tion en fonction de la nature de l’obligationdécoulant du traité. En effet, un traité peut men-tionner que l’État doit « prendre toutes les me-sures législatives nécessaires » à sonexécution330. Dès lors, l’intervention législativefera expressément mention du contenu du traité.Cependant, il peut arriver que le traité ne pré-cise pas cette obligation : il sera alors plutôtquestion d’une adaptation volontaire du droit

national à des obligations substantielles decomportement découlant indirectement dutraité, comme tel est fréquemment le cas endroit international pénal. Dans ces deux cas,exécution du traité ou adaptation du droit in-terne, cette nationalisation du droit internationalpeut conduire à transformer le sens de la normeinternationale, ou à ne reprendre qu’une partiedes obligations internationales de l’État.

2. Absence de règle déterminant le choixde la méthode

La pratique est au cas par cas, selon le contenuplus ou moins précis du traité ou de l’acte uni-latéral, selon l’état d’adaptation du droit in-terne, selon les velléités de nationalismejuridique du législateur. Quelle que soit la règleconstitutionnelle d’intégration, les procéduresd’exécution du droit international écrit se rap-prochent : elles peuvent répondre à un motifd’ordre juridique ou à une raison plutôt poli-tique.

Juridiquement, si le législateur considère que lanorme internationale est suffisamment précise(donc d’effet direct), le monisme se satisfera del’autorisation de ratification, tandis que le dua-lisme utilisera le simple ordre d’exécution. Si letexte n’est pas considéré comme d’applicationdirecte, c'est-à-dire qu’il ne se suffise pas à lui-même, des mesures complémentaires d’exécu-tion peuvent alors apparaître nécessaire. Dansles deux cas, le problème est le même : identi-fier le caractère directement applicable (qui re-lève principalement de la fonction judiciaire).En effet, les traités sont souvent formulés entermes plutôt vagues et généraux : leur absencede précision ou leur caractère conditionnel peutdéstabiliser certains États habitués à une norma-tivité des plus précises331. Par nécessité juri-dique, ils doivent donc faire l’objet decompléments.

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Un second motif peut inciter le législateur àadopter des mesures nationales complémen-taires, indépendamment du débat sur la natureprécise et complète de la norme internationale: celui de l’opportunité politique. Lorsqu’un traitéporte sur un domaine politique sensible pour lasouveraineté nationale (défense, sécurité, justicepénale), il peut heurter les traditions et principesinternes. Tel est le cas lorsque le droit internatio-nal incite, voire impose aux États de passeroutre les immunités des chefs d’État pour répri-mer des crimes graves de droit international.Dès lors, le législateur va se réapproprier lecontenu du traité pour l’adapter au contexte na-tional, quitte à ne pas en respecter fidèlementle texte. On peut ainsi évoquer un âpre débatau sein même du pouvoir législatif français,quant à l’existence d’une obligation d’exécuterle statut de la CPI, dans le cadre de l’adoptionen août 2010 d’une loi d’adaptation du droitpénal français332. Ainsi, les députés et séna-teurs ayant préparé le projet de loi n’ont eu decesse de souligner qu’il ne s’agissait pas d’unetransposition imposée, mais d’une adaptationvolontaire répondant à une obligation moralede la France : à l’Assemblée nationale, il a étédéclaré que « l’adaptation autorise une certainesouplesse d’interprétation du statut, d’autantque la terminologie anglo-saxonne est parfoisbien éloignée de la nôtre et que certainsconcepts juridiques contenus dans le statut sontmême inconnus de notre droit. Mes chers col-lègues, j’insiste sur ce point : il n’est nullementdemandé au législateur d’adopter un texte enconformité stricte avec les terminologies rete-nues par le statut de Rome »333.

Finalement, les pratiques de transposition etd’adaptation sont de plus en plus courantes,qu’elles soient véritablement nécessaires ounon. Ainsi, les résolutions du Conseil de sécuritésont ainsi de plus en plus reprises dans des loisnationales, notamment dans le cadre récent de

la lutte internationale contre le terrorisme. Demême, les traités produisant potentiellement deseffets sur les individus font l’objet de mesuresd’adaptation du droit national. En France, auxÉtats-Unis, dont la logique constitutionnelle estpourtant moniste, la tendance récente privilégieainsi les lois d’application plutôt que de misersur l’applicabilité directe du traité, quitte à trans-former le contenu et le sens de celui-ci334.

B. Résultat similaire : intégration souventtardive et partielle du droit international

Les raisons conduisant à une intégration tardiveet partielle du droit international peuvent être ré-sumées ainsi : ratification tardive des traités,avec parfois l’émission de réserves relatives àl’application interne de ceux-ci ; adoption delois d’exécution ne reprenant qu’une partie dutraité ou de l’acte international ; adoption delois d’adaptation redéfinissant les normes inter-nationales sans en respecter le texte. Ces motifsrévèlent souvent de grandes réticences de lapart des législateurs nationaux à l’égard dudroit international, adoptant ainsi des attitudesdualistes contestables. Tel n’est pas toujours lecas, la critique devant être relativisée. De nom-breuses normes internationales sont intégréessans délai par des procédures de réception sim-ple, ne dénaturant pas les obligations internatio-nales. Ainsi, en Allemagne, une seule loi adonné approbation à tous les règlements del’OMS335. De même, la loi allemande d’adap-tation au statut de Rome est considérée comme« un modèle de référence », notamment parceque la définition des crimes internationaux re-prend textuellement l’intégralité du traité interna-tional336. En France, certains traités sontintégrés avant même leur entrée en vigueur, letexte étant repris sans modification337.

Cependant, plusieurs moyens conduisent à li-miter les effets des engagements internationaux

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des États, lorsque ceux-ci sont intégrés en droitinterne. Les exemples du droit international desdroits de l'homme, du droit international huma-nitaire et du droit international pénal l’illustrentavec acuité. Ils concernent tous les domainesimpliquant les relations entre l’État et ses ressor-tissants ou résidents.

D’abord, en droit international des droits del'homme, on connaît le cas de la ratification duPacte international sur les droits civils et poli-tiques (PIDCP) de 1966 par les États-Unis : in-tervenue tardivement (1992), elle fut assortied’une déclaration le rendant inapplicable etineffectif en droit interne . On peut égalementciter le Human Rights Act britannique de 1998: destiné à donner effet à la Convention euro-péenne des droits de l’homme (ConvEDH), ilrenvoie en introduction aux articles de laConvention et en reprend le texte en annexe.Dans ce cas, les normes issues du traité ne sontpas reformulées, mais citées in extenso. Toute-fois, certains articles ne sont pas transposés, carils ne figurent ni dans la loi, ni dans ses annexes: tel est le cas pour l’article 13 de la ConvEDH,relatif au droit à un recours effectif, pour le non-respect duquel le Royaume-Uni a pourtant étécondamné par la CourEDH. L’intégration dudroit international est alors partielle. Ce type detransposition incomplète semble pratique cou-rante dans les États dualistes : ils n'insèrent pasles dispositions du traité s'ils estiment que leurcontenu est déjà respecté par le droit interne.Cette pratique paraît néanmoins contestable.Elle peut conduire à porter atteinte à l’intégritédu traité. Par ailleurs, elle peut également poserdes problèmes d'interprétation du traité, dontles articles forment un ensemble et doivent êtrelus les uns par rapport aux autres.

Ensuite, quant au droit international humani-taire, l’application interne des Conventions deGenève de 1949 pose régulièrement degrandes difficultés. Tel fut le cas en France au

sujet des crimes de guerre commis en ex-You-goslavie et au Rwanda ; plus récemment, auxÉtats-Unis, le statut des prisonniers de Guanta-namo a également révélé les hésitations surl’application des Convention en droit interne.Elles sont généralement interprétées par la doc-trine internationaliste comme suffisamment pré-cises et contraignantes pour ne pas nécessiterde mesures complémentaires d’exécution. Ce-pendant, au niveau des autorités politiques na-tionales, l’avis est généralement inverse. EnFrance, elles n’ont jamais fait l’objet (jusqu’àprésent) de mesures nationales d’exécution ;aux États-Unis, le War Crimes Act de 1996 lesmettait en œuvre de façon souvent contestableet limitée. De ce fait, et compte tenu de l’atti-tude des juges, refusant leur invocabilité pourdéfaut d’effet direct, elles n’ont donc aucune ef-ficacité339. Plus récemment, la loi françaised’adaptation au statut de la CPI, qui envisage(enfin) les crimes de guerre commis en violationde ces traités, fait l’objet de critiques abon-dantes : parmi celles-ci, on peut mentionner quela définition des crimes n’est pas identique àcelle des conventions340.

Enfin, le droit international pénal, avec le statutde la CPI, est actuellement le meilleur exempled’intégration limitée : il s’agit là d’un traité àportée universelle, récent, très politique, impli-quant de très nombreuses réformes du droitpénal matériel et procédural, au sein de la plu-part des États l’ayant ratifié. Étroitement associéaux conventions humanitaires, il pénalise lesviolations de celles-ci. Entre adhésions tardiveset transpositions partielles, c’est néanmoins ledomaine le plus marquant de l’internationalisa-tion du droit interne. Que ce soit en France, auRoyaume-Uni, en Allemagne, en Italie, au Ca-nada, plusieurs lois « d’adaptation » ont été ju-gées nécessaires par chaque État341. Ellesreprennent, en les redéfinissant, les normes ma-térielles contenues dans le traité. Les incrimina-

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tions diffèrent, notamment au Royaume-Uni342.Les compétences pénales des juges internes,fréquemment prévues par les traités internatio-naux du domaine, sont restreintes pour êtreadaptées à certains principes de droit interneincontournables, tel que celui de l’opportunitédes poursuites, de la compétence pénale terri-toriale, ou du monopole de poursuite du minis-tère public.

Quelle que soit la méthode d'insertion et d'appli-cation des traités internationaux, les critiques fu-sent. On estime que les méthodes dualistes detransformation et d’adaptation ne respectent pastoujours l'intégrité des traités, ni dans la lettre, nidans l'esprit. Cependant, l'absence de mesuresd'adaptation est également (mal) perçue commeune indifférence du législateur à l’égard du droitinternational. Quant au système moniste, s'ilprend de telles mesures, on considèrera que leParlement protège son pouvoir normatif et quecela ne s'imposait pas. Le bilan dressé par A.Cassese sur les conventions humanitaires est desplus cinglants ; aucun État n'est épargné : “parexemple, aux États-Unis…on a délibérémentignoré la partie la plus avancée des Conventionsde Genève. Dans un autre pays, le Maroc, l'onratifie des traités et puis l'on "oublie" de les publierdans le journal officiel. En Italie, …l'appareil éta-tique est sourd aux exigences internationales…Enréalité, dans la plupart des États, soit on ne ratifiepas les Conventions, soit on ratifie les Conven-tions mais sans édicter de lois d'harmonisa-tion”343.

Aux ratifications tardives, aux transpositions in-fidèles, on peut ajouter de nombreux obstaclesprocéduraux et judiciaires à l’application effec-tive du droit international à des situationsconcrètes. Cela étant, chacune des étapes del’intégration des normes internationales démon-tre une plus faible résistance des États à la pres-sion du droit international.

III. L’intégration complétée : l’effort judiciaired’application et d’interprétation du droitinternational

Lorsque les constitutions sont demeurées silen-cieuses sur les méthodes d’intégration des normesinternationales, lorsque le législateur n’est pas in-tervenu, c’est alors au seul juge de déterminer lesconditions dans lesquelles s’appliquent lesnormes internationales. Lorsque Constitution et loisexistent, le pouvoir judiciaire remplit cependantun rôle identique, à titre complémentaire. Il para-chève alors le processus d’intégration. Dans lessystèmes de common law, les juges jouent un rôled’autant plus primordial pour déterminer les effetsdu droit international.

Dans le cadre de cette étude restreinte, il est im-possible de restituer le rôle de chaque juge natio-nal dans l’intégration du droit international.Cependant, quelques grandes lignes peuventêtre tracées : elles montrent un effort judiciairecroissant (plus ou moins contraint) d’ouverture audroit international, malgré encore bien des résis-tances. Il incombe en effet au juge d’identifier lavalidité interne et la valeur hiérarchique du droitinternational (A). Il intervient également, et surtout,dans l’analyse de l’effet direct et de l’invocabilitéde ce droit (B). A chaque étape, on peut relevercertaines hésitations ou réticences judiciaires àl’égard de la réception du droit international. Ce-pendant, le juge est partout confronté à une ex-tension des recours fondés sur des normesinternationales. Cela contribue certainement à cequ’il développe une approche plus familière etplus ouverte à leur égard.

A. Les juges et la validité et valeur du droitinternational

Les juges interprètent les dispositions constitu-tionnelles, ou comblent leurs lacunes afin de dé-terminer ces deux conditions.

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En ce qui concerne la valeur hiérarchique destraités, on retrouve ainsi couramment, parmi lesprincipes dégagés par la jurisprudence, l’ap-plication du principe lex posterior derogatpriori, lorsque les traités sont intégrés au mêmerang que les lois344. Ce principe, assez peu fa-vorable à la primauté des traités, est cependantnuancé par l’utilisation du principe d’interpréta-tion conforme, qui implique que les lois natio-nales soient interprétées dans le sens du respectdes engagements internationaux. Au sein denombreux États européens, comme en Alle-magne ou en France, ce sont les juges qui ontdéterminé que leur Constitution nationale devaiten tous cas primer sur les traités internationaux.

Il en va de même pour la place de la coutume in-ternationale : en France, en Belgique, ce sont lesseuls juges qui ont déterminé la validité internede la coutume internationale, sans pour autantclairement trancher sa place au sein de la hiérar-chie des normes345. Par ailleurs, les juges internesse contredisent entre eux, parfois346. Les difficultésrencontrées par les juges de tradition civiliste faceà la norme coutumière définissant le crime contrel’humanité sont légion : est-elle applicable ? Peut-elle fonder une compétence pénale du juge ? Làencore, c’est en matière pénale que les résis-tances sont les plus fortes. Si les juges canadiensse montrent ouverts à l’insertion et l’applicationde la coutume en la matière depuis l’affaire Mu-gesera347, les juges américains et français le sontnettement moins, considérant que le principe nul-lum crimen, nulla poena sine lege, exige vérita-blement une loi et non une norme internationalenon écrite.

La jurisprudence ne permet donc guère de déga-ger de véritable « méthode » d’intégration dudroit international, par conséquent des plus aléa-toires lorsqu’on passe d’une juridiction à l’autre.Il en va de même lorsqu’il s’agit du pouvoir dedéterminer l’applicabilité directe et donc l’invo-cabilité des normes internationales.

B. Les juges et l’applicabilité directe dudroit international

Le concept même d’applicabilité directe dudroit international fait l’objet d’explications etd’analyse fort variable, la sémantique étant desplus confuses. L’objectif de l’analyse est simi-laire : il s’agit de savoir dans quelles conditionsun juge va accepter d’utiliser une norme interna-tionale invoquée dans un recours qui lui est sou-mis. Cependant, les langages francophones etanglophones ne correspondent guère, demême que les critères employés par lesjuges348. Dès lors, sur une même norme inter-nationale, les réponses des juges peuvent êtreopposées, l’un reconnaissant son applicabilitédirecte, l’autre non.

Il est notable que les juges possèdent tous unecompétence d’interprétation des règles interna-tionales349. Pour ce faire, ils ont de plus en plusrecours aux règles internationales d’interpréta-tion issues de la Convention de Vienne de1969 sur le droit des traités, même lorsquecelle-ci n’a pas été ratifiée par leur État. Lesjuges anglais et irlandais n’hésitent plus à se ré-férer directement au texte du traité plutôt qu’àcelui de la loi de transposition350. Le juge amé-ricain, en revanche, se fie encore davantageau Restatement 3rd (instrument de codificationaméricaine du droit international) plutôt qu’à laConvention de Vienne351. En Europe, la théma-tique récente du « dialogue des juges », entrejuge national, juge régional et juge internatio-nal, illustre le fait que, sous la pression desjuges internationaux en matière de droits del'homme et de droit communautaire, les jugesnationaux ont largement contribué à une meil-leure intégration du droit international352.

Il n’existe pas non plus de méthode harmoniséedéterminant l’effet direct et l’invocabilité internedes normes internationales. Cependant, de ma-nière générale, les juges tiennent compte,comme pour toute norme, de son degré de pré-

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cision ainsi que de son objet : la norme a-t-ellepour vocation de créer des droits pour les par-ticuliers ? Si l’évolution générale est en faveurd’une plus grande reconnaissance de l’effet di-rect du droit international (sans présomption ence sens, cependant), les résistances judiciairessont encore très fortes : le juge peut refuser dese considérer compétent pour connaître de lanorme internationale (comme souvent en ma-tière pénale). Il peut la cantonner aux frontièresde l’État en rejetant son applicabilité directe (lesexemples sont légion en droits de l'homme,droit humanitaire, et droit des Nations unies, ausujet des résolutions du Conseil de sécurité). L’at-titude d’autolimitation des juges, la méconnais-sance parfois du droit international, la crainted’empiéter sur le pouvoir des autorités politiqueset la doctrine de l’acte de gouvernement, sontautant de raisons bien connues, qui semblenten recul353.

En fin de compte, l'interprétation des normes in-ternationales par les juges internes peut paraî-tre, à première vue, quelque peu anarchique.Certains auteurs, après avoir admiré la har-diesse croissante des juridictions internes àl'égard du droit international, constatent quecela donne naissance à “un droit savant,opaque, imprévisible et souvent aléatoire”351

en raison d'une approche parcellaire de la partde juridictions qui n'ont pas les mêmes compé-tences. Mais ils incitent aussitôt à ne pas exa-gérer l'inconvénient que cela représente car“globalement les jurisprudences convergent, etconvergent au profit d'une plus grande applica-bilité des normes d'origine internationale”355.Le problème réside davantage dans l'absenced'une conceptualisation et d'une systématisationde l'interprétation de ces différentes normes in-ternationales, qui devraient avant tout être leproduit des auteurs du traité plus que des juges.

Pour conclure, on ne peut que constater que lesméthodes d’intégration du droit international va-

rient d’un État à l’autre, et d’une autorité natio-nale (constitutionnelle, législative, exécutive, ju-diciaire) à l’autre. Ces divergences sontinhérentes au pluralisme juridique qui préservela spécificité de chaque système ; toutefois,elles n’empêchent nullement de constater éga-lement une harmonisation (très) progressive desordres juridiques internes sous l’influence dudroit international, notamment en matière dedroits de l’homme, de droit humanitaire, et dedroit pénal.

L’émergence du droit humanitaire et dudroit pénal internationalMonsieur Etienne Goethals, président de section à la Cour de cassation de Belgique

« Il y a des lois non écrites et inébranlables desdieux, ne datant pas d’aujourd’hui ni d’hier,mais qui sont en vigueur depuis toujours et dontnul ne sait quand elles sont apparues ». Anti-gone de Sophocle

Le concept même d’un « droit pénal international »contient une antinomie entre le droit pénal, qui ren-voie au droit interne d’un État, et le droit internatio-nal, qui concerne les rapports, non entre l’État et sesressortissants, mais entre États entre eux.

- Le droit pénal émane du pouvoir souveraind’un État, et s’adresse aux individus ressortissantde cet État. Il réfère à l’idée de transgression,de justice et d’expiation à l’intérieur d’unemême communauté. Dans une communauté, lasolidarité entre les membres est forte et de typeaffectif, chacun partageant les mêmes valeursdans le cadre de croyances partagées. Le droitcorrespondant est dès lors un droit fortementteinté de morale, voire de religion, qui est dé-signé comme un droit répressif, un droit connupar tous les membres de la communauté sans

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qu’il soit besoin de le formaliser. Lorsqu’un mem-bre de cette communauté a commis une faute,rompant ainsi le principe de solidarité qui relieles membres de cette communauté, il est normalqu’il soit sanctionné.

Le droit de punir est un attribut fondamental del’État souverain garant de la sécurité des per-sonnes et de leurs biens dans l’espace nationaloù il assume pleinement et souverainement sesfonctions régaliennes. Le souverain lui-même,par définition, est immunisé pénalement et nepeut être poursuivi. Vouloir juger pénalement leshommes agissant pour le compte du souverain,c’est remettre en cause la clé de voute del’État : l’injusticiabilité de la souveraineté.

- Le droit international par contre ne connaît queles États comme sujets et acteurs du droit, et re-pose sur un principe de société dans laquelleles souverainetés indépendantes sont coordon-nées. La solidarité entre les États n’est pas es-sentiellement fondée sur des valeurs oucroyances partagées, mais s’appuie plutôt surdes intérêts réciproques bien compris, chacundépendant de l’autre. Dès lors, les infractionsrelevant du droit international concernent lesactes et les faits commis dans l’espace decontact entre deux ou plusieurs souverainetés(p.ex. la piraterie en haute mer, la traite des es-claves, le trafic de stupéfiants, le détournementd’avion, le terrorisme). La répression de cesactes a pour but de préserver l’ordre internatio-nal, c’est-à-dire les intérêts communs des États,contrairement au droit pénal (interne) qui visela protection des valeurs communes. Le principede non-ingérence dans les affaires intérieuresdes États et de l’immunité des chefs d’État ouautres représentants en exercice, y comprispour les faits qui leur sont reprochés à titre per-sonnel, correspondent à cet ordre d’idées.

En ce qui concerne le droit pénal interne, il estfacile d’en connaître le contenu : il suffit d’ouvrirle code pénal ou de consulter la loi particulière

afin de s’informer de la nature des délits et despeines applicables.

Il n’existe, au contraire, pas de code de droit in-ternational pénal. Il faut nécessairement s’en ré-férer aux sources générales du droitinternational, traités ou conventions entre Étatsainsi que, dans une moindre mesure, la cou-tume de droit international.

Il se peut que l’on trouve dans le traité une défini-tion de l’acte répréhensible ; concernant la peineapplicable, celle-ci sera laissée à l’initiative du lé-gislateur national, pour des raisons évidentes :

- la difficulté de définir une peine applicablepour tous les États en raison des différencesentre les divers systèmes juridiques concernés ;

- plus fondamentalement : en matière pénale,l’objet du droit international tend à la répressiond’actes répréhensibles commis par des per-sonnes physiques ou morales. Dès lors le prin-cipe de la légalité, qui veut que pour qu’unenorme pénale puisse être appliquée, celle-cidoit préalablement être clairement déterminéepar la loi, conserve toute sa valeur. En l’ab-sence d’un législateur international, cela nepeuvent être que les différents parlements natio-naux qui déterminent la peine et qui précisentles délits à caractère international auxquels cespeines seront applicables.

D’autres conventions, n’ayant pas pour objet di-rect la définition de délits à caractère internatio-nal, peuvent néanmoins influencer leur répression.

Un exemple des difficultés qui peuvent surgirlors de l’application du droit international pénalen raison soit de l’absence d’un traité, soit del’existence d’autres normes internationalescontraignantes, soit de la combinaison desdeux, nous est fourni par un arrêt récent de laCour Européenne des Droits de l’Homme, sié-geant à Strasbourg (France), en matière de tra-fic international de stupéfiants356.

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Le cargo dénommé le Winner, soupçonné detransporter une importante cargaison dedrogue, se fait arraisonné par un navire deguerre français au large des îles du Cap Vert,à plusieurs milliers de kilomètres de la France.Les membres de l’équipage sont emmenés deforce en France où ils seront condamnés à di-verses peines d’emprisonnement.

Ils contestent la légalité de leur arrestation de-vant la Cour européenne des droits del’Homme de Strasbourg, prétendant avoir étévictime d’une privation arbitraire de libertéaprès l’arraisonnement du navire par les autori-tés françaises. Ils invoquent plus particulière-ment l’article 5, § 1, de la Conventioneuropéenne des droits de l’homme qui prévoitque : “nul ne peut être privé de sa liberté, saufdans les cas suivants et selon les voies légales.”

Ils estiment que l’arraisonnement du Winner nepeut trouver de base légale ni dans les conven-tions internationales auxquelles le Cambodge,État-pavillon du navire, n’est pas partie, ni dansla note verbale du ministère des Affaires étran-gères du Cambodge du 7 juin 2002, autori-sant explicitement les autorités françaises àintercepter le navire.

Par une majorité de dix voix contre sept, laCour admet que l’on ne saurait accorder la va-leur d’une “loi” au sens de l’article 5, § 1 de laConvention, à ladite autorisation, celle-ci ne ré-pondant pas aux exigences en matière d’arres-tation d’une norme clairement et préalablementétablie au sens de la jurisprudence de la Cour.

Concernant l’exigence d'une norme préalable,la Cour souligne le caractère ad hoc de l’auto-risation donnée par le Cambodge et le carac-tère ponctuel de la mesure de coopérationadoptée en l’espèce, rendant ainsi “imprévisi-ble” l’intervention des autorités françaises. LaCour souligne qu’en tout état de cause, “le ca-ractère prévisible, pour un délinquant, de pour-

suites pour trafic de stupéfiants ne saurait seconfondre avec la prévisibilité de la norme lé-gale fondant l’intervention. Dans le cas contraire,toute activité susceptible d’être qualifiée d’infra-ction par le droit interne dispenserait les États del’obligation qui pèse sur eux d’adopter desnormes ayant les qualités requises, en particulierau regard de l’article 5 § 1 de la Conventionet, partant, ce dernier serait vidé de substance.”

L’assimilation d’un échange de notes verbalesconstatant un consentement entre les autoritésconcernées à un traité ou un accord et formantdès lors une source de droit international ne peutdès lors, selon la Cour, suffire comme base légaleà défaut de prévisibilité suffisante357-358.

Cette jurisprudence est importante dans la me-sure où le Statut de Rome dispose que les prin-cipes des diverses conventions régionales desdroits de l'Homme, dont la Convention Euro-péenne des Droits de l'Homme, sont égalementapplicables aux affaires soumise à la Cour Pé-nale Internationale.

A partir de la fin de la Seconde Guerre mondialeune nouvelle catégorie de crimes, hybride parceque relevant à la fois de la sphère nationale et in-ternationale, a vu le jour avec la création du Tri-bunal militaire international de Nuremberg et leTribunal militaire international de Tokyo. L’idéeétait que la seule victoire militaire n’est pas une ré-ponse suffisante aux crimes de masse qui regar-dent la communauté internationale dans sonensemble en raison de leur monstruosité. Le Tri-bunal de Nuremberg se vit ainsi attribuer compé-tence en matière de crimes contre la paix,réprimant la guerre d’agression, de crimes deguerre, réprimant les violations des lois et cou-tumes de la guerre, ainsi que les crimes contrel’humanité définis comme l’assassinat, l’extermi-nation, la réduction en esclavage, la déportationou tout autre acte inhumain commis contre toutespopulations civiles en liaison avec un crimecontre la paix ou un crime de guerre.

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L’idée d’une justice pénale internationale reprendà la fin de la guerre froide, suite aux événementsdramatiques dans les Balkans en Europe et danscertains pays en Afrique, en particulier le géno-cide des Tutsis rwandais. Des tribunaux internatio-naux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et pour leRwanda sont institués, tandis que l’adoption duTraité de Rome du 17 juillet 1998 portant créa-tion de la Cour pénale internationale, entrée ef-fectivement en fonction le 11 avril 2002 et dontle siège se situe à La Haye, ont rendu irréversiblel’aboutissement d’une juridiction pénale suprana-tionale et permanente.

Parallèlement à la création de juridictions inter-nationales, l’idée de la nécessité d’une répres-sion des crimes contre l’humanité pénétraitégalement dans les divers systèmes nationaux.

A cet égard, rarement une loi aura causé autantde tumultes politiques, judiciaires et diploma-tiques que la loi belge du 16 juin 1993 sur larépression des violations graves du droit interna-tional humanitaire (modifiée par la loi du 10 fé-vrier 1999) dite de compétence universelle.Cette loi octroyait au juge belge une compé-tence universelle « absolue » pour connaître descrimes de guerre, des crimes contre l’humanité(loi de 1993) et des crimes de génocide (loide 1999), quels que soient la nationalité del’auteur, des victimes ou le lieu de l’infraction.Elle présentait en outre cette double singularité- qui en faisait tout son attrait - de permettre ledéclenchement de l’action publique par laseule constitution de partie civile entre les mainsd’un juge d’instruction, même en l’absence despersonnes poursuivies sur le territoire belge, etd’exclure l’éventuelle immunité attachée à lafonction de ces personnes.

La mise en œuvre de la loi belge de compé-tence universelle n’a pas manqué de susciterdes controverses et des problèmes juridiques etpolitiques.

Difficultés juridiques d’abord : la Cour interna-tionale de justice condamna la Belgique pouravoir décerné un mandat d’arrêt à l’encontred’un ministre des Affaires étrangères en exer-cice, pour crimes de guerre et crimes contrel’humanité, en violation de l’immunité de juridic-tion pénale et de l’inviolabilité dont le ministrejouissait en vertu de droit international.

Dans « l’affaire du mandat d’arrêt du 11 avril2000 » opposant la Belgique à la RépubliqueDémocratique du Congo, cette dernière avait -parmi d’autres arguments - en premier lieucontesté la validité d’une compétence univer-selle in absentia des juridictions belges. Dansson arrêt du 14 février 2002, la Cour interna-tionale de justice examine toutefois d’emblée leproblème de l’immunité du ministre des Affairesétrangères en exercice, l’objection de la com-pétence universelle des tribunaux belges n’étantfinalement plus soulevée par le requérant.

Cela n’empêche toutefois pas la Cour de sou-ligner qu’il convient de distinguer soigneuse-ment les règles gouvernant les compétences destribunaux nationaux et celles régissant les immu-nités. La compétence n’implique pas l’absenced’immunité et l’absence d’immunité n’impliquepas la compétence. C’est ainsi que, si diversesconventions internationales tendant à la préven-tion et à la répression de certains crimes gravesont mis à la charge des États des obligationsde poursuite ou d’extradition, et leur ont fait parsuite l’obligation d’étendre leur compétence dejuridiction, cette extension de compétence neporte en rien atteinte aux immunités des minis-tres des affaires étrangères. Celles-ci demeurentopposables devant les tribunaux d’un État étran-ger, même lorsque ces tribunaux exercent unetelle compétence sur la base de ses conven-tions359.

La Cour souligne toutefois que l’immunité de ju-ridiction dont bénéficie un ministre des affairesétrangères en exercice ne signifie pas qu’il bé-

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néficie d’une impunité au titre de crimes qu’ilaurait pu commettre, quelle que soit leur gra-vité. Immunité de juridiction pénale et respon-sabilité pénale individuelle sont des conceptsnettement distincts. Alors que l’immunité de juri-diction revêt un caractère procédural, la respon-sabilité pénale touche au fond du droit.L’immunité de juridiction peut certes faire obsta-cle aux poursuites pendant un certain temps ouà l’égard de certaines infractions ; elle ne sau-rait exonérer la personne qui en bénéficie detoute responsabilité pénale. Ainsi, dès lorsqu’une personne a cessé d’occuper la fonctionde ministre des affaires étrangères, elle ne bé-néficie plus de la totalité des immunités de juri-diction que lui accordait le droit internationaldans les autres États. A condition d’être compé-tent selon le droit international, un tribunal d’unÉtat peut juger un ancien ministre des affairesétrangères d’un autre État au titre d’actes ac-complis avant ou après la période pendant la-quelle il a occupé ces fonctions, ainsi qu’à titred’actes qui, bien qu’accomplis durant cette pé-riode, l’ont été à titre privé.

Était ainsi condamnée la disposition de la loibelge du 10 juin 1993 qui excluait semblableimmunité.

Ce sont toutefois principalement les difficultéspolitiques et diplomatiques consécutives augrand nombre de plaintes dirigées contre dehauts dignitaires étrangers et dont furent saisisles tribunaux belges, plaintes dirigées contredes anciens présidents d’États ou de ministres,dirigeants en exercice, de hauts militaires étran-gers ou encore des sociétés multinationales, quimenèrent à l’abrogation de la loi dite de com-pétence universelle.

Ainsi, la Belgique fût l’objet de critiques extrê-mement virulentes dans l’affaire Sharon. Elle nerésistera pas aux pressions de plus en plus pres-santes des États-Unis qui, à la suite de dépôtsde plaintes contre un haut responsable militaire

ainsi qu'un ancien président des États-Unis, me-nacent de faire déménager le siège de l’OTAN

Le gouvernement s’attèle alors à modifier la loide manière à introduire des critères de rattache-ment avec la Belgique, à prévoir un système defiltrage des plaintes déposées pour des crimesde droit international devant les juridictionsbelges et à tenir compte de l’arrêt de la Courinternationale de justice et du statut de la Courpénale internationale.

Finalement, le 5 août 2003, la loi du 16 juin1993 est abrogée et la compétence des tribu-naux belges pour connaître des crimes de droitinternational commis à l’étranger complètementréaménagée. La poursuite des infractionsgraves au droit international humanitaire est tou-jours possible, mais en l’absence de liens derattachement rendant les juridictions belgescompétentes pour en connaître, la plainte n’estrecevable que si une règle de droit internatio-nal, de source conventionnelle ou coutumière,liant la Belgique, lui impose de poursuivre lesauteurs des infractions visées. La compétenceuniverselle in absentia ne peut plus être exercéeet un important système de filtrage est prévu.Pour les plaintes déposées avant l’adoption dela nouvelle loi, des dispositions transitoires vi-sant a permettre le dessaisissement des juridic-tions belges des plaintes ne présentant aucunlien de rattachement est prévu. En dix ans, onest donc passé d’une compétence universelleétendue dans son sens le plus large à une com-pétence extraterritoriale sélective.

Les raisons de cet échec ne sont point tellementjuridiques : en soit, une compétence universellepour les crimes les plus graves envers la per-sonne humaine, sur base d’un principe de res-ponsabilité, en raison des valeurs mises endanger et indépendamment de tout dommage,est parfaitement défendable.

La comparaison peut se faire avec le délit

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d’omission de porter secours à personne en dan-ger réprimé par le droit pénal interne : l’infractionrepose sur un devoir d’humanité qui commandede porter secours lorsqu’autrui est en danger. Lanotion d’omission d’agir a intégré le champ dudroit pénal pour des raisons de solidarité : ilexiste une maxime morale qui interdit qu’un mem-bre d’une communauté soit totalement indifférentà l’égard du danger pressant que court un autremembre de sa communauté.

A une échelle plus large, en raison de l’essencemême de la personne humaine, l’on peut consi-dérer que nous avons à l’égard des autres genset peuples aussi des devoirs d’humanité du mêmegenre mais sans doute d’un degré différent queceux qui sont sanctionnés par l’infraction de nonassistance de personne en danger.

Le concept pratique de souveraineté d’un Étatinclut la protection des peuples qui composentcet État. L’État n’est souverain qu’autant qu’il neprocède pas à l’anéantissement ou la violationgrave des droits du peuple ou d’une partie dupeuple qui le compose. Le fait que la souverai-neté d’un État, du point de vue de droit interna-tional, ne puisse justifier un génocide ou uncrime contre l’humanité vient de ce que les gensqui peuplent cet État partagent une communehumanité avec nous. Nous avons donc tous unecommunauté d’intérêts à défendre, qui est cellede notre commune humanité360.

L’exercice de la compétence universelle par lesjuridictions d’un État manifeste ainsi une espèced’intéressement spécifique à l’égard des souf-frances subies par un peuple, intéressement quiengage la responsabilité de cet État à l’égardde ce peuple361.

La justification en droit d’une compétence uni-verselle ne doit toutefois pas nous faire oublierles limites pratiques d’une telle compétence.

Une justice internationale qui se veut universelle,hors du temps et de l’espace, qui veut dire le

droit au nom de l’humanité dans son ensembleen transcendant à l’occasion tout ce qui diffé-rencie les peuples, devrait pouvoir reposer surde normes universellement reconnues. Or c’estloin d’être le cas.

Les contraintes politiques internationales, aunom de la raison d’État, sont loin d’être négli-geable, ainsi que la Belgique en a fait l’amèreexpérience. Il est utopiste de vouloir une justiceuniverselle qui anticipe sur un monde en com-mun qui n’existe pas encore, et dont on n’a pasles moyens pour l’exercer.

Néanmoins, la création de Cours pénales in-ternationales constitue un progrès indéniable.

Ainsi, la Cour pénale internationale, fondée envertu d’un traité signé par 111 États, est une courindépendante permanente devant laquelle sontjugées les personnes accusées des crimes les plusgraves qui touchent la communauté internatio-nale, à savoir les crimes de génocide, les crimescontre l’humanité et les crimes de guerre.

Le concept repose sur un principe de responsa-bilité partagée. Ainsi, la Cour n’est saisie qu’endernier recours. Elle n’intervient pas lorsqu’uneaffaire fait l’objet d’une enquête ou de pour-suites dans un système judiciaire national (prin-cipe de complémentarité), sauf si cesprocédures ne sont pas menées de bonne foi,par exemple si elles ont été engagées officiel-lement uniquement pour soustraire une personneà sa responsabilité pénale. Tout comme devantle Tribunal pénal international pour l’ex-Yougo-slavie et le Tribunal pénal international pour leRwanda, la Cour pénale internationale est com-pétente, contrairement aux États, pour juger undirigeant d’un État ou un ministre des affairesétrangères ou un ancien ministre des affairesétrangères.

Il y a toutefois aussi des réserves à faire.

Même si la Cour pénale internationale exerce

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en théorie une compétence universelle, en pra-tique ses compétences ne lient que les partiesqui ont souscrit au statut de cette Cour. Or plu-sieurs États, et non des moindres, ont refuséd’adhérer à cette convention.

Les pouvoirs du Conseil de Sécurité (pouvoird’initiative et d’intervention dans le cours judi-ciaire) sont à regretter, d’autant plus que celui-ci, organe politique, est constitué notammentd’États qui sont membres permanents mais quin’ont pas accédé aux nouvelles institutions judi-ciaires. Cela démontre de leur part une mé-fiance envers d’éventuelles poursuites quinuiraient à leurs intérêts, qui sont nombreux surle plan mondial.

Il ressort du rapport le plus récent de cette Courque ces activités se concentrent actuellementprincipalement sur la responsabilité de diri-geants de bandes armées dans des États afri-cains tel que la République démocratique duCongo ou de l’Uganda.

Au pont de vue judiciaire, le Statut et le règle-ment de procédure de la Cour combine deséléments provenant de divers systèmes juri-diques, tel que la common law et le système « romano-germanique » propre au continent eu-ropéen. Ainsi les témoins sont interrogés, nonpar le juge mais par les parties, selon le sys-tème de cross-examination, ce qui est indénia-blement un avantage comparé au systèmecontinental ou c’est le juge qui dirige l’interroga-toire. Par contre, tout en s’inspirant du systèmecontinental de recherche d’éléments tant àcharge qu’à décharge, c’est non un juge indé-pendant mais le procureur, donc la partie pour-suivante, qui est chargé de cette mission.

L’on peut regretter que la défense ne soit pasreprésentée par un ordre d’avocats attaché àla Cour et que les moyens qui lui sont octroyéssont de loin inférieurs aux moyens dont disposele bureau de Procureur.

Enfin, la Cour n’a pas de compétence enversles personnes morales. L’article 25 du Statut deRome limite en effet sa compétence aux per-sonnes physiques.

Or le principe de la responsabilité pénale despersonnes morales, introduit dans un bon nom-bre de législations nationales, pourrait consti-tuer un outil majeur dans la lutte internationalecontre les crimes les plus graves.

Il faut en effet constater que les responsabilitésles plus importantes, bien plus importantes quecelles des individus, si situent au niveau, sou-vent anonyme et secret, de sociétés, faisant par-tie de conglomérats plus importants et mêmesétatiques, vendant et mettant à disposition demilices et autres, les armes servant à la perpé-tration de crimes de guerre ou de génocide.

Il va sans dire que si la compétence de la Courétait complète et pouvait même toucher desÉtats, ceux-ci ainsi que les personnes moralesconcernées y réfléchiraient à deux fois avant des’engager dans de telles actions362.

Au niveau européen, l’on assiste en matière pé-nale depuis quelques années à un rapproche-ment des législations des pays membres desinstitutions européennes, créant ainsi une inter-nationalisation du droit pénal au départ des dif-férents droits nationaux.

- À partir d’une interprétation originale et exten-sive des divers droits fondamentaux, la Cour eu-ropéenne de droits de l’Homme de Strasbourgimpose de nouveaux critères aux 47 États mem-bres du Conseil de l’Europe, soit la quasi tota-lité du continent européen. Par sa jurisprudenceen matière de droits de l’Homme, la Cour im-pose souvent des changements fondamentauxdans les divers systèmes judiciaires des Étatsqui ont souscrit à la Convention. . Ainsi le droitdu prévenu à l’assistance d’un avocat dès lapremière audition par le juge, son droit à êtrereprésenté par un avocat, même en cas de dé-

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faut de sa part, l’obligation du jury de la courd’assises de motiver sa décision, la jurispru-dence en matière de délai raisonnable, etc.

En reconnaissant l’applicabilité directe des dis-positions de la Convention sur leur propre droitnational, tel qu’interprété par la Cour, un puis-sant mouvement d’unification est ainsi mis enœuvre entre les différents États membres.

- Plus directe encore est l’action de l’Union eu-ropéenne, regroupant actuellement 27 Étatsmembres. La transposition par ces États en leurdroit national de la décision-cadre du Conseilde l’Union européenne introduisant le mandatd’arrêt européen signifie un profond bouleverse-ment en matière du droit de l’extradition. Dansl’Union Européenne, ce ne sont dorénavant plusles responsables politiques mais les juridictionsdes États membres qui, moyennant un contrôleminimal, se prêtent une entraide substantielle en“remettant” endéans les plus brefs délais les per-sonnes établies sur leur territoire qui ont étécondamnées ou qui sont recherchées en vue depoursuites par un autre État membre de l’Union.

Au nom d’un principe de “confiance mutuelle”en les divers systèmes judiciaires nationaux desÉtats membres, les grands principes de l’extra-dition, jusqu’alors considérés comme étant in-touchables, tels que la non-extradition desnationaux, l’exigence de la double incrimina-tion ou encore le principe de la spécialité pourla personne qui ne consent à son extradition,sont supprimés ou fortement érodés. Les Étatsmembres s’obligent à exécuter tout mandatd’arrêt européen sur la base du principe deconfiance mutuelle, et cela non seulement àl’égard des personnes déjà jugées, mais aussià l’égard de celles qui sont recherchées dans lecadre d’une enquête. L’exigence de la doubleincrimination est partiellement supprimée : lemandat d’arrêt européen peut être exécuté,sans contrôle de la double incrimination, pourun certain nombre de faits passibles, dans l’État

d’émission, d’une peine d’un maximum d’aumoins trois ans d’emprisonnement. Chaque Étatmembre non seulement reconnaît, à travers ceprincipe, l’intégralité de la législation pénaledes autres États membres mais aussi accepted’assister ceux-ci pour la faire respecter.

Une certaine prudence reste toutefois de mise :assurance que les droits fondamentaux serontrespectés, qu’un nouveau procès équitable seragarantie, etc..

L’efficacité du nouveau système représente unecontribution fondamentale dans le combatcontre la criminalité et la création d’un véritableespace judiciaire unique Européen. La jurispru-dence, tant des diverses cours supérieures desÉtats membres que de la Cour de Justice deL’Union Européenne à Luxembourg, sont appe-lés à y jouer un rôle déterminant.

Conclusion

Suite à des mécanismes d’internationalisationtant au niveau du droit interne (compétence uni-verselle), du droit communautaire (rapproche-ment des législations) ou mondial (traités etconventions) un lent rapprochement se dessineentre le droit pénal international traditionnel etle droit pénal interne.

Des techniques de rapprochement363, tel quel’usage de décision-cadres n’impliquant pasune harmonisation progressive de diverses lé-gislations mais plutôt un système de reconnais-sance mutuelle de décisions judiciairesélaborées selon sa propre législation nationale,constitue à cet égard un apport utile. Un tel sys-tème repose toutefois sur une large confiancemutuelle des diverses législations étatiques et deleur application, et implique un stricte respectdes droits fondamentaux.

Néanmoins une institution judiciaire internatio-nale restera toujours indispensable afin de sanc-

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tionner ces agissements qui, par leur exception-nelle gravité, transcende les particularités d’unÉtat et nécessite la collaboration de tous lesÉtats membres de la communauté universelle.La diversité de la communauté internationaleforme toutefois le principal obstacle à son éla-boration, même si la création d’une juridictionpénale internationale représente un progrèssubstantiel. Ainsi que l’a souligné le présidentde cette Cour dans son dernier rapport, la miseen place d’une justice pénale internationaledoit encore être amélioré, et la responsabilitéen incombe en premier lieu aux États : élargirle système en parvenant à une ratification glo-bale du Statut de Rome, renforcement des ca-pacités et de la volonté des juridictionsnationales d’enquêter sur les crimes relevant dela Cour, à savoir le génocide, les crimes contrel’humanité et le crimes de guerre, et d’en pour-suivre les auteurs, amélioration de la coopéra-tion, en particulier la mise en œuvre par lesÉtats des décisions et ordonnances de la Cour.

Réception à l'Ambassade de France

Allocution de bienvenueSon Excellence Monsieur FrançoisDelattre, ambassadeur de Franceau Canada

Mesdames et Messieurs les juges en chef etpremiers présidents, Mesdames et Messieursles présidents, Mesdames et Messieurs les conseillers et juges, Mesdames et Messieurs les Procureurs généraux et membres du ministère public, Mesdames etMessieurs les professeurs, Maîtres, Chers délégués, Mesdames, Messieurs,

C’est un honneur et un plaisir tout particulierspour mon épouse Sophie, pour notre Magistratde Liaison Olivier Deparis et pour moi de vous

accueillir ce soir à l’Ambassade de France àl’occasion du troisième Congrès de l’Associa-tion des Hautes juridictions de cassation despays ayant en partage l’usage du français.

Cette ambassade, qui est une illustration remar-quable du style Arts Déco de la fin des années1930, est par elle-même un bel hommage à larelation qui unit la France et le Canada maisaussi à la francophonie canadienne.

Permettez-moi de reconnaître le Président de votreassociation, le Docteur Ghaleb Ghanem, Premierprésident de la Cour de Cassation du Liban ; sonSecrétaire Général Jean-Louis Gilet, Président dechambre honoraire à la Cour de Cassation ;ainsi que vos hôtes canadiens qui sont très bienreprésentés ce soir. Je souhaite en particulier labienvenue à l’honorable Marie Deschamps, àl’honorable Rosalie Abella, à l’honorable LouisLebel et à l’honorable Thomas Cromwell, Juges àla Cour Suprême du Canada.

Le thème de votre Congrès -« Internationalisa-tion de la justice - Internationalisation du droit »illustre l’ampleur et l’importance de votre mis-sion. Il souligne aussi le poids du monde fran-cophone comme l’un des acteurs-clés de cetteinternationalisation de la justice et du droit,dans laquelle ce sont également nos valeurs etnos intérêts qui sont en jeu.

La Francophonie, vous le savez, fêtera en octo-bre 2010, à l’occasion du Sommet de Mon-treux, son 40ème anniversaire. Depuis le Sommetde Dakar en 1989, la coopération francophonedans le domaine du droit et de la justice n’acessé de se développer, avec un accent particu-lier sur le renforcement des capacités judiciairesdans les pays francophones et sur l’indépen-dance de la justice, garante de l’État de droit.

C’est dire combien pour nous tous la Francopho-nie c’est la défense de la langue française, quiconstitue notre trésor commun, mais c’est aussi lapromotion de valeurs profondes, fondées sur le

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respect de l’autre et donc sur la promotion desdroits humains, civils et politiques.

Et c’est pourquoi le combat pour la Francopho-nie est inséparable de celui pour la diversité cul-turelle, chacun en est désormais convaincu,mais aussi de celui pour la diversité juridiqueque vous incarnez avec tant de force. Dans cetesprit, et vous le savez mieux que moi, les tra-ditions juridiques spécifiques, le droit continen-tal, la Common Law et les coutumes doiventbien s’appréhender dans une logique d’enri-chissement mutuel.

C’est précisément ce que vous faites, dans lecadre de votre association : la réflexion que vousavez engagée il y a un an sur la question de L’in-ternationalisation du droit et de la justice trouverason point culminant à l’occasion de ce congrès àOttawa. Et votre apport est fondamental.

En effet, d’un côté la multiplication de textes in-ternationaux et la création d’institutions de jus-tice internationales -ou communautaires-emportent des effets directs sur l’activité juridic-tionnelle des plus hautes juridictions nationales.

On peut le constater en France où l’ordre juri-dique a intégré et précisé des droits contenusnotamment dans la Convention européenne desauvegarde des droits de l’homme ou dans laDéclaration universelle des droits de l’homme.

D’un autre côté, l’augmentation exponentielletant des échanges commerciaux internationauxque de la circulation des personnes multiplie lesoccasions de litiges. Les juridictions nationalesdoivent déterminer le droit applicable aux li-tiges tout comme elles doivent résoudre lesquestions relatives à la reconnaissance ou àl’exécution d’un jugement rendu par une juridic-tion étrangère.

Dans ce contexte, en raison de la qualité émi-nente des membres qui la composent, votre as-sociation joue un rôle irremplaçable pour

promouvoir l’échange, le dialogue et la com-préhension qui peuvent in fine déboucher surune harmonisation des droits en empruntant desconcepts, des principes ou des règles d’ori-gines différentes.

Cette coopération, nous la vivons, à notreéchelle, au sein des ambassades. Ainsi la Francea-t-elle envoyé dans plusieurs de ses ambassadesdes magistrats français qui œuvrent pour unemeilleure coopération judiciaire tant en matièrecivile qu’en matière pénale. C’est le cas de notremagistrat de liaison, Olivier Deparis, que je re-mercie pour la qualité de son travail.

Je ne voudrais pas terminer mon propos sansévoquer le drame qui a frappé Haïti le 12 jan-vier dernier. L’intervention particulièrementémouvante qu’a faite devant vous tout à l’heurele Vice-président de la Cour de Cassationd’Haïti, Maître Georges Moïse, nous rappelleque la Francophonie c’est d’abord la solidaritéen faveur de ceux qui sont les plus durementéprouvés. Je forme donc avec Maître Moïsel’espoir que vos travaux tracent la voie d’uneaide efficace et opérationnelle pour la mise enœuvre d’un projet d’appui à la justice en Haïti.

Je vous remercie à nouveau de votre présence cesoir et je suis heureux de donner à présent la pa-role à Monsieur Alain Lacabarats, président de latroisième chambre civile de la Cour de Cassa-tion, qui représente comme vous le savez le Pré-sident Vincent Lamanda et que j’ai grand plaisirà accueillir dans cette maison où il est chez lui.

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Allocution prononcée à l’ambassade deFrance au Canada Monsieur Ghaleb GHANEM, premier président de la Cour de cassationdu Liban, président de l'AHJUCAF

Excellence,

Au nom de l’association que j’ai l’honneur deprésider,

Au nom de mes collègues, et en mon nom per-sonnel, je tiens à vous remercier chaleureuse-ment pour votre accueil, pour l’organisation decette belle réception, et, tout spécialement, pourvos nobles pensées vis-à-vis de l’AHJUCAF quine cesse de déployer ses efforts pour promou-voir une culture juridique qui répond à ses aspi-rations et aux attentes des milieux juridiquesinternationaux.

Excellence,

C’est avec une grande joie et beaucoup d’es-poir que nous sommes réunis pour renouvelernotre implication dans tout ce en quoi nouscroyons comme valeurs : les droits de l’homme,l’égalité devant la loi, la transparence, labonne justice, la démocratie, les libertés fonda-mentales, la nécessité de la communication ….Tous ces grands mots que nous désirons traduireen actions.

Cette réunion ne peut que consolider notre ac-tion commune. Elle reflète l’émergence de laFrancophonie dans le lancement des grandsprincipes juridiques et des valeurs humaines lesplus sublimes.

Notre congrès est organisé par l’un des réseauxinstitutionnels de la Francophonie : l’AHJUCAF.

La Francophonie est plus qu’une langue, elle estun langage. Langage de droit enraciné dansles plus solides traditions d’un système juridique,mais, en parallèle, portant les germes d’unegrande ouverture et d’une parfaite compréhen-sion de l’autre … Langage de liberté exem-

plaire qui mène une bataille acharnée pourfaire répandre une culture de liberté au mondeentier. Langage de démocratie basée sur troispôles complémentaires : les droits de l’homme,la primauté du droit, et la justice pour tous …une justice indépendante, intègre, compétente,et surtout efficace … une justice sans barrièreset sans frontières.

Excellence,

Nous voilà rassemblés, venus des quatre coinsdu monde, pour dire notre attachement à undroit au service de la justice, à une justice auservice de l’humanité. Notre présence à l’Am-bassade de France au Canada, au sein decette manifestation francophone, n’est qu’unepreuve et un témoignage à cet attachement.

Permettez moi de terminer par souhaiter, àtoutes et à tous, une excellente soirée et unebonne continuation des travaux prévus pour lelendemain.

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Mardi 22 juin 2010

Atelier IVLa coopération et les coursnationales

Président de séance :L'honorable Thomas A. CROMWELL,Juge à la Cour suprême du Canada

L’action de l’Organisation internationalede la Francophonie dans le monde judiciaireMadame Patricia Herdt, responsable deprojets à la Délégation à la paix, à la démocratie et aux droits de l’Homme,Organisation internationale de la Francophonie (OIF)

La Francophonie fonde sa communauté tout àla fois sur une langue commune, des valeurspartagées et le respect de la diversité culturelle.Au nombre de ces valeurs, l’approfondissementde la démocratie et la consolidation de l’Étatde droit, et dans ce cadre, l’appui à une justiceindépendante, efficace et accessible, consti-tuent des objectifs cardinaux.

Dans son discours d’ouverture de la IVèmeConférence des Ministres francophones de lajustice tenue à Paris en février 2008, S.E. Mon-sieur Abdou Diouf, Secrétaire général de laFrancophonie, rappelait ainsi l’enjeu majeur quiincombe à la justice : être efficace et de qualitépour que les individus aient confiance en elle etn’hésitent pas à la solliciter en vue d’apaiser lesconflits. Ainsi, « il ne suffit pas d’instituer desmécanismes juridictionnels spécifiques et effi-caces de protection de l’État de droit », ilconvient également de « contribuer à la diffu-sion d’une culture de la justice et des valeursd’éthique qui s’y rattachent ».

Il est proposé, dans ce contexte, de revenir surl’action menée depuis le début des années1990 dans le monde judiciaire, en rappelant

la place centrale de la justice dans laprogram-mation francophone de même qu’en précisantles contours et la portée de cette action.

I. Place centrale de la justice au sein des engagements francophones : principauxjalons de cette consécration

La résolution sur les droits fondamentaux adop-tée par le Sommet de la Francophonie tenu àDakar en 1989, a ouvert un nouveau champde coopération francophone, en faveur de lapromotion des droits de l’Homme et du déve-loppement de la coopération juridique et judi-ciaire. Le secteur de la justice devient alors unobjet de mobilisation prioritaire, qui s’appuierasur la tenue régulière d’une conférence ministé-rielle sectorielle.

La Conférence des Ministres francophones dela justice organisée au Caire en novembre1995 a constitué une étape majeure, en procé-dant à l’adoption d’une déclaration ainsi qued’un plan d’action quinquennal établi autour detrois axes principaux : une justice indépen-dante, accessible et efficace ; une justice, ga-rant de l’État de droit ; une justice, facteur dedéveloppement.

Les engagements souscrits, comme les actionsmenées au titre du programme de la coopéra-tion juridique et judiciaire, ont par la suite étépris en compte dans le corps de la Déclarationde Bamako, adoptée le 3 novembre 2000.Texte normatif et de référence de la Francopho-nie pour son action en faveur de la démocratie,des droits et des libertés, la Déclaration de Ba-mako a conféré une nouvelle dynamique à ladialectique État de droit/justice, considéréscomme deux éléments constitutifs de la démo-cratie. Les États et gouvernements francophonesse sont en effet engagés à Bamako en faveurde la « consolidation de l’État de droit » et, pource faire, « à renforcer les capacités des institu-

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tions de l’État de droit, classiques ou nouvelles,et œuvrer en vue de les faire bénéficier de toutel’indépendance nécessaire à l’exercice impar-tial de leur mission » ainsi qu’ « à assurer l’indé-pendance de la magistrature, la liberté duBarreau et la promotion d’une justice efficace etaccessible, garante de l’État de droit (…) ».

Ce dispositif a été conforté en 2006, avecl’adoption de la Déclaration de Saint-Bonifacesur la prévention des conflits et la sécurité hu-maine, puis l’adoption, le 14 février 2008, dela Déclaration de Paris à l’issue de la IVèmeConférence des Ministres francophones de laJustice. Dans le suivi des précédents engage-ments, la Déclaration de Paris distingue trois do-maines majeurs d’intervention : l’organisationet l’administration d’une justice indépendante etde qualité ; le renforcement de la justice commeélément de prévention de la fragilisation del’État et de préparation des sorties de crise ; lapromotion d’une justice et d’un droit facteursd’attractivité économique et de développementdes pays francophones.

Il y a là un socle d’engagements, de mêmequ’un mandat stimulant dont la portée se trouveaujourd’hui analysée à l’aune du bilan de lamise en œuvre de la Déclaration de Bamakodix ans après son adoption.

II. Atouts de l’action de l’OIF dans le mondejudiciaire

La mobilisation de l’OIF, en accompagnementde ses États et gouvernements membres, pré-sente un certain nombre de spécificités.

A. Une action qui s’appuie sur l’observationdes pratiques de la démocratie, des droits etdes libertés dans l’espace francophone

La fonction de collecte de l’information etd’analyse se présente comme nodale. Elle asso-

cie les différents partenaires institutionnels et dela société civile de l’OIF. L’objectif est de parta-ger la connaissance des situations, dans laperspective de progrès concertés, à partir despratiques utiles identifiées.

Conformément au chapitre 5 de la Déclarationde Bamako, l’observation et l’évaluation per-manentes des pratiques de la démocratie, desdroits et des libertés et, en particulier, de la si-tuation de la justice, constituent une activité cen-trale et structurante.

L’observation est menée à des fins de préven-tion des dysfonctionnements et d’ajustement dela coopération. Elle donne lieu notamment, auterme d’un processus qui associe les différentsréseaux institutionnels de la Francophonie, à lapublication, en amont du Sommet des Chefsd’État et de gouvernement francophones, duRapport sur « l’état des pratiques de la démo-cratie, des droits et des libertés dans l’espacefrancophone », étayé de recommandations ap-pelées à soutenir l’ajustement régulier de la pro-grammation francophone.

La logique de l’évaluation est ainsi placée aucœur de l’action francophone. Elle doit soutenirl’intervention en faveur d’une justice de qualité.Celle-ci, pour être approfondie, doit être mesu-rée de la façon la plus objective possible, afinde baliser l’accompagnement des réformes dela justice, d’identifier les dysfonctionnements etde contribuer à y remédier.

L’AHJUCAF, à l’instar de plusieurs réseaux ici re-présentés, apporte une contribution majeure àcette démarche (cf. travaux sur l’indépendancede la justice).

B. Une action qui s’appuie sur différentsleviers et partenariats

L’idée force, maintes fois rappelée par les Étatset gouvernements francophones, est que soit

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mise en exergue la spécificité multilatérale del’action francophone et sa plus value, c'est-à-direson caractère fédérateur, son aptitude à mutuali-ser les efforts de la communauté francophone età aider à la présence et à l’expression franco-phones dans les concertations internationales.

L’intensification des partenariats et le dévelop-pement de nouvelles synergies doivent conduireà des résultats toujours plus positifs, en termesde compréhension de l’action francophone,d’impact sur la situation réelle des citoyens fran-cophones, d’appropriation des droits et d’effec-tivité renforcée des principes.

La spécificité de l’action francophone dévelop-pée dans le monde judiciaire s’appuie toutd’abord sur la mobilisation des réseaux institu-tionnels et professionnels, rassemblant les insti-tutions de compétences similaires des différentspays francophones (hautes juridictions de cas-sation - AHJUCAF, hautes juridictions africaines- AAHJF, procureurs et poursuivants - AIPPF, coursdes comptes - AISCCUF, cours constitutionnelles- ACCPUF, barreaux- CIB …). C’est un dialoguepermanent qui est ainsi engagé avec les ac-teurs institutionnels. Les réseaux ont permis unmaillage étroit du paysage institutionnel desÉtats et gouvernements francophones. Ce par-tenariat, qui repose sur une logique multilaté-rale, reflète la diversité de l’espacefrancophone alors que l’OIF compte au-jourd’hui 70 États et gouvernements membres.

Dans un environnement marqué par une cer-taine concurrence entre les Organisations inter-nationales, le renforcement des capacités desréseaux, par le développement des logiques deconcertation et de collaboration entre profes-sionnels, s’avère déterminant.

La progression des réseaux francophonesconstitue une capacité originale de présence,de plaidoyer et d’influence de la Francophonie.Si les réseaux comptent parmi les partenaires

privilégiés de l’OIF, il s’agit bien toutefois, pourla Francophonie, de ne pas interférer dans leursdynamiques propres, ceci afin de préserver leurindépendance, condition de leur vitalité.

L’action francophone en Haïti, qui promeut trèsdirectement l’expertise des réseaux franco-phones, réseaux opérationnels, en est une illus-tration intéressante. Le document portantpropositions d’actions de la Francophonie pourla reconstruction en Haïti prévoit ainsi la mobili-sation de l’expertise des réseaux institutionnelsfrancophones en appui aux institutions haïtiennes.

Ces efforts, dans le cadre de groupes sectorielsassociant les représentants de différents réseauxméritent également d’être intensifiés.

La diversité des partenariats mis en œuvre seprolonge dans le cadre des coopérations tis-sées avec la société civile, à travers la Confé-rence francophone des OING ayant statutconsultatif auprès de la Francophonie, demême qu’avec l’Université (en liaison avecl’Agence universitaire de la Francophonie -AUF) sur la problématique du dialogue des cul-tures juridiques.

Une coopération multiforme a également étédéveloppée avec les autres organisations inter-nationales et régionales afin d’asseoir uneréelle complémentarité entre l’action des diffé-rentes organisations.

A titre d’illustration, le rapprochement avec leHaut Commissariat des Nations Unies auxDroits de l’Homme (HCDH) s’’est traduit parl’adoption d’un cadre d’action commun qui pré-voit, pour 2010 et 2011, de travailler à lamise en œuvre des instruments et mécanismesdes droits de l’Homme, à la promotion desdroits de l’Homme dans la prévention et le rè-glement des conflits ainsi que dans la consoli-dation de la paix, enfin à la promotion de ladiversité et de la lutte contre toutes les formes dediscriminations.

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La coopération polymorphe bâtie avec la Com-mission européenne mérite également d’être sou-lignée. L’OIF jouit d’une situation privilégiéevis-à-vis des Institutions européennes, concrétiséepar la signature d’un protocole d’accord avec laCommission européenne en août 2006.

Elle s’attache à mener une action d’informationsur les potentialités des réseaux institutionnelsde la Francophonie auprès de ses partenaireseuropéens.

L’OIF et la Commission européenne œuvrent eneffet sur des projets communs, à l’instar de la miseen œuvre du projet quadripartite d’appui à la jus-tice en Haïti, en partenariat avec les autorités haï-tiennes, en vertu d’un financement de l’Unioneuropéenne et du Canada (ACDI). Lancé en2006, le programme est actuellement dans sadernière année de déploiement. Ce projet a pourobjet d’aider au renforcement des capacités del’appareil judiciaire (ministère, juridictions et ac-teurs judiciaires) afin de rapprocher véritablementla justice des justiciables et de contribuer à la ren-dre plus rapide et indépendante.

Enfin, l’articulation avec les coopérations bilaté-rales des États membres de l’OIF mérite quantà elle d’être approfondie.

III. Répondre à l’ambition des engagements :éclairage sur les missions conduites dans lessecteurs du droit et de la justice

La Délégation à la paix, à la démocratie et auxdroits de l’Homme de l’OIF déploie cette acti-vité conformément à la nouvelle programmationquadriennale 2010-2013 autour de trois axesd’intervention, dont un axe « Droit et justice ».

A la lumière des défis auxquels les justices natio-nales sont confrontées, et qui revêtent à la foisune dimension internationale (ratification deconventions, développement des processus d’har-monisation du droit…) et une dimension nationale

(notamment à travers la problématique des ré-formes de la justice), quatre secteurs principauxd’intervention peuvent être distingués.

A. Procéder au renforcement des capacitésdes institutions judiciaires et des praticiensdu droit

Les récentes Journées des réseaux institutionnels(Paris, 18-19 mai 2010) ont souligné l’impor-tance de renforcer la coopération francophoneen s’appuyant sur l’expérience et le savoir fairedes réseaux institutionnels partenaires, aux finsde l’élaboration de programmes de formationcontinue adaptés aux besoins des magistrats etde l’ensemble des auxiliaires de justice et prin-cipaux partenaires de la justice.

Des recommandations des réseaux, et en parti-culier de l’AHJUCAF, ont ainsi été expriméespour appuyer les initiatives de formation sur desstructures pérennes, créer des contenus de for-mation disponibles et gratuits, encourager leséchanges entre les dispositifs de formation envue d’une concertation permanente sur les pra-tiques les plus performantes, mutualiser les ses-sions de formation.

L’OIF appuie dans ce sens les initiatives de for-mation initiale et continue, dans un cadre inter-national (cf. activités de formation proposéespar l’AHJUCAF), régional (Centre internationalde formation en Afrique des avocats franco-phones - CIFAF, Association africaine desHautes Juridictions francophones - AAHJF, Mai-son du droit vietnamo française basée àHanoï,…) - ainsi, si d’un point de vue géogra-phique l’Afrique est demeurée le pôle majeurde la coopération francophone, d’autres initia-tives se conjuguent à ces réalisations pour ledéveloppement des actions en Asie et en Eu-rope centrale et orientale -, pour la tenue de for-mations spécialisées (avocats, greffiers,notaires,...) et/ou sectorielles (droit de la pro-

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priété intellectuelle, droit OHADA, droits del’enfant, droit pénal international …).

La programmation francophone 2010-2013prévoit également de redynamiser le réseau desresponsables nationaux de la formation judi-ciaire afin, notamment, d’aider à la mise enplace de politiques nationales de formation.

B. Relever le défi de l’accès et de la diffusiondu droit

Ce deuxième projet vise :

- le renforcement de l’accès aux sources franco-phones de droit, grâce en particulier, aux tech-nologies de l’information et de lacommunication. Les efforts entrepris pour relan-cer le portail « droit francophone », créé en2003, appelé à référencer les sites juridiquesdes 70 pays membres de l’Organisation, demême que pour soutenir les structures nationalesde gestion et de diffusion du droit s’inscriventdans ce cadre. Les objectifs de ce site sont,d’une part, de réunir l’ensemble des donnéescollectées et gérées directement par l’OIF et,d’autre part, d’offrir un accès immédiat à l’en-semble des données juridiques gérées par desopérateurs nationaux ainsi que par les réseauxfrancophones ;

- en second lieu, il s’agit, en promouvant l’exper-tise francophone, d’accompagner la modernisa-tion des droits positifs nationaux. L’actionfrancophone présente l’utilité de pouvoir être miseen œuvre sur le terrain rapidement et avec sou-plesse, qualité fondamentale pour aider au dé-marrage d’un programme de modernisation enattendant le déploiement des autres partenaires.

A titre d’illustration, l’OIF a organisé avec leconcours des autorités togolaises, à Lomé enjuin 2009, un séminaire d’échange sur les ex-périences de mise en œuvre des plans de mo-dernisation de la justice dans différents pays

francophones (Bénin, Burkina Faso, Guinée,Mali, Niger, Tchad) à destination des praticiensdu droit togolais et des représentants de la com-munauté internationale présents sur place, afinde mutualiser les expériences et d’identifier lesécueils à éviter.

C. Promouvoir la diversité et le dialoguedes cultures juridiques

La Francophonie défend une vision des rela-tions internationale fondée sur le multilatéralismeen tant qu’il est le plus sûr vecteur de coopéra-tion et de paix et qu’il impose de veiller à laparticipation des pays francophones du Sudaux grandes négociations internationales.

Pour la Francophonie, la diversité juridique estun élément fondamental de la diversité cultu-relle. La diversité juridique renvoie dans cettelecture à l’idée d’un pluralisme utile des sys-tèmes juridiques, sans hiérarchisation entre eux.Cette vision se fonde aussi sur l’idée que la di-versité est synonyme de richesse, et donc d’ef-ficacité. Le respect des traditions juridiquesspécifiques doit ainsi s’appréhender dans unelogique d’enrichissement mutuel.

C’est à la Francophonie qu’il incombe, tout na-turellement, de mettre en exergue l’expertise juri-dique dans l’espace francophone et d’assurer sapromotion. Dans ce sens, l’action francophonesoutient la présence des réseaux et des expertsfrancophones dans les enceintes de négocia-tions internationales, de même que leur mobilisa-tion dans le cadre des forums internationaux, entant que force de proposition pour faire valoir lepatrimoine et la spécificité francophones auprèsdes organisations internationales et régionales.

L’OIF, conjointement avec le Groupement de re-cherches comparatives en droit constitutionnel,administratif et politique (GRECCAP) de l’Univer-sité Montesquieu-Bordeaux IV, a organisé en dé-

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cembre 2009, un séminaire restreint sur « la di-versité juridique dans l’espace francophone » enassociant universitaires et praticiens du droit.Cette rencontre a permis de produire des conclu-sions sur les enjeux de la diversité juridique. L’ac-tivité s’est prolongée dans l’élaboration d’unpremier annuaire des structures de recherche endroit comparé des pays francophones ainsi qued’un document identifiant les principaux travauxdes organisations internationales et régionalesintéressant la diversité juridique.

L’harmonisation du droit, et la simplification desrègles juridiques qui en découle, ne doivent pasêtre perçues comme antinomique de cette diver-sité. Elles permettent de répondre à des mutationsmajeures qui réclament des rapprochements entreles économies et entre les droits.

L’OIF a en particulier encouragé, dès ses débutsen 1993, les développements de l’Organisa-tion pour l’harmonisation en Afrique du droitdes affaires (OHADA) et elle soutient la forma-tion des praticiens du droit ainsi que la collectede la jurisprudence nationale OHADA.

D. Répondre au défi de la prévention descrises et des conflits et à l’accompagnementdes pays en situation de sortie de crise etde transition

Les précédents thèmes d’intervention évoquésse retrouvent dans l’assistance accordée auxÉtats en sortie de crise.

La contribution de l’OIF se réalise égalementaujourd’hui dans le cadre de la promotion dela gouvernance démocratique des réformes dessystèmes de sécurité. L’OIF entend en effet sou-ligner l’importance d’une approche globale etintégrée des diverses réformes engagées dansles secteurs de la défense, de la police et de lajustice, qui s’est imposée comme l’une des prin-cipales voies de promotion de la paix. En sou-

tenant ces réformes, l’OIF met en lumière lesliens étroits existants entre les enjeux de la dé-mocratie, de la sécurité et du développement.

La Francophonie se mobilise par ailleurs,conformément aux engagements francophones,en faveur de la lutte contre l’impunité. L’OIFcontribue en particulier à la tenue de séminairesrégionaux de formation et de sensibilisation desÉtats francophones sur la Cour pénale interna-tionale (CPI), qui constituent des moments dedialogue sur les enjeux de la justice pénale in-ternationale. Ils visent à renforcer les capacitésdes juristes et à améliorer la coopération entreles professionnels du droit des États et la CPI, enrenforçant et en harmonisant leurs connais-sances du fonctionnement de la CPI.

En participant, début juin 2010 à Kampala, àla première Conférence de révision du Statutde Rome, l’OIF a souhaité accompagner sesÉtats membres dans leur participation effectiveaux débats ; encourager la Cour dans l’affir-mation de sa compétence universelle dans lerespect de la souveraineté et de l’indépen-dance des droits positifs nationaux ; et réaffir-mer sa disponibilité pour aider ses Étatsmembres à adopter toutes les mesures néces-saires à la mise en œuvre effective de leurs en-gagements vis-à-vis du Statut de Rome.

En conclusion, l’OIF s’attache à mener une ac-tion plurielle valorisant ses modes d’action spé-cifiques. L’intensification des partenariats,notamment avec les réseaux institutionnels etparmi eux l’AHJUCAF, et la consolidation dessynergies déjà créées, constituent un enjeu per-manent pour l’efficacité et donc la pérennité del’action menée dans le secteur de la justice.

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L’expérience de l’Association Africainedes Hautes Juridictions Francophonesdans la circulation entre les hautes Institu-tions judiciairesMonsieur Victor ADOSSOU, secrétaire gé-néral de la Cour suprême du Bénin et del'Association africaine des Hautes juridic-tions francophones (AA-HJF)

C’est avec un réel plaisir qu’au nom de l’Asso-ciation Africaine des Hautes Juridictions Franco-phones (AA-HJF), je prends la parole à cemémorable congrès de l’AHJUCAF qui se tientici dans la belle cité d’Ottawa. La contributionqui est sollicitée de notre réseau vise le partageavec cet auguste assemblé, de l’expériencequ’il a capitalisée, depuis sa création, dans leprocessus d’internationalisation ou de circula-tion du droit et de la justice dans l’espace cou-vert par ses juridictions membres.

Je voudrais m’acquitter de cet agréable devoir,sous le contrôle bienveillant de Monsieur SaliouAboudou, Président de la Cour Suprême duBénin et Président du Conseil d’Administrationde l’AA-HJF et des éminents membres de sa dé-légation que sont Messieurs Jean BaptisteMonsi, Procureur Général près la Cour Su-prême du Bénin et Jacques Mayaba, Présidentde la Chambre Judiciaire de ladite Cour.

Mes propos, pour essayer de tenir dans le cré-neau horaire fixé par les organisateurs, s’articu-leront autour des grands points ci-après :

I. Présentation sommaire du réseau AA-HJF, un outil d’intégration juridique et judi-ciaire au service de la consolidation del’État de droit en Afrique.II. Les moyens d’internationalisation ou decirculation du droit et de la justice parl’AA-HJF.III. Les difficultés rencontrées par le réseauet les perspectives d’avenir.

Je voudrais espérer que la démarche méthodo-logique ainsi proposée, me permettra de répon-dre aux attentes des organisateurs et deshonorables participants au présent Congrès.

I. L’AA-HJF, un outil d’intégration juridique etjudiciaire au service de l’État de droit enAfrique

A. Contexte et justification

Les années 1980 ont vu le souci des droits del’homme prendre sur le plan international, unessor sans précédent. L’écroulement du mur deBerlin a favorisé l’émergence d’une gouver-nance nouvelle fondée sur les règles démocra-tiques.

Les États africains ne sont pas restés en marge decette dynamique. La faillite des régimes de pen-sée unique et de dictature militaro-marxiste léni-niste a accéléré les mutations profondes qui sesont opérées au sein des sociétés africaines etdont les caractéristiques essentielles sont l’émer-gence de l’État de droit, de la démocratie et d’undéveloppement basé sur l’initiative privée.

Ces nouvelles donnes politiques, économiqueset sociales ont projeté les pays Africains devantles défis majeurs de notre époque en mêmetemps qu’elles annonçaient les signes d’une en-trée dans le troisième millénaire où l’exigencede démocratie et de développement durablesera au dessus de toute transaction.

C’est ce qui explique qu’en procédant à partirdes années 1990, à la redéfinition des grandesoptions politiques et de développement de leurspeuples, les pays de l’espace africain franco-phone aient jeté les bases de l’édification de ré-gimes de démocratie pluraliste.

Les nouvelles constitutions adoptées par cespays à la faveur du renouveau démocratique,vont rendre compte de la volonté des peuplesafricains francophones, de construire des ré-

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gimes de démocratie basés sur l’État de droit,perçu comme représentant la soumission desgouvernants et des gouvernés à la Constitutioncentrée sur la personne humaine, sur l’individuen tant que sujet de droit, un État fondé essen-tiellement sur la reconnaissance et le respect dela dignité et de la liberté de la personne hu-maine impliquant que l’homme est la fin pre-mière de la société.

Ces lois fondamentales inspirées des normes in-ternationales universellement partagées, vontconsacrer dans tout l’espace AA-HJF, le principede la séparation des pouvoirs avec l’affirmationclaire de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

La primauté du droit étant une caractéristiqueessentielle de l’État de droit, celui-ci ne sera àl’évidence réalisable que soutenu par un sys-tème qui, au quotidien, assure cette primauté.

Cette fonction essentielle de régulation dans unÉtat de droit, est confiée aux Hautes Juridictionsnotamment constituées par les Cours Suprêmes,les Cours de Cassation, les Cours ou ConseilsConstitutionnels, les Conseils d’État, les Coursdes Comptes, les Hautes Cours de Justice.

Il apparait ainsi que dans le processus deconstruction et de consolidation de l’État de droit,les garanties offertes par les Constitutions issuesdu renouveau constitutionnel en Afrique Franco-phone, sont essentiellement juridictionnelles.

C’est conscient de ces enjeux, du rôle et de laplace du droit et de la justice dans cette nou-velle Afrique que des responsables de hautesjuridictions africaines Francophones ont décidéde la création d’un cadre de concertation de-vant favoriser les échanges d’expériences et dejurisprudences entre les juges africains.

B. De la création de l’AA-HJF

Le 10 novembre 1998 neuf Chefs et représen-tants de hautes juridictions se sont retrouvés à

Cotonou où après avoir affirmé l’attachementdes hautes juridictions à la construction de l’Étatde droit comme seul gage de développementet d’épanouissement dans la paix, des peuplesafricains et leur engagement pour l’enracine-ment d’une justice indépendante forte et effi-cace, prévisible et impartiale, ont décidé deporter sur les fonds baptismaux, un creuset dé-nommé "Association Ouest Africaine desHautes Juridictions Francophones (AOA-HJF)".

Très vite, le jeune réseau s’est agrandi et posi-tionné comme un véritable outil d’intégration ju-ridique et judiciaire à l’échelle du continent.

Le 14 juillet 2004 lors de ses 6èmes assisesstatutaires, l’Association fit le constat de cequ’elle avait franchi les frontières Ouest Afri-caines et décida par conséquent de prendre ladénomination de "Association Africaine desHautes Juridictions Francophones (AA-HJF)".

De neuf membres à sa création, l’Associationest aujourd’hui forte de trente deux juridictions.

De caractère pluridisciplinaire, elle regroupe enson sein des Institutions nationales relevant desdifférents ordres de juridiction et compte aussicinq juridictions communautaires.

On y retrouve en effet des Cours Suprêmes, desCours de Cassation, des Conseils d’États, desConseils ou Cours Constitutionnels, des Coursdes Comptes, des Hautes Cours de Justice, laCour de Justice et la Cour des Comptes de l’UE-MOA, la Cour Commune de Justice et d’Arbi-trage de l’OHADA, la Cour de Justice de laCEDEAO et la Cour de Justice de la CEMAC.

Il importe de signaler par ailleurs que toutes lesjuridictions de cassation que compte le réseau,sont également membres de l’AHJUCAF.

L’Association a le statut d’observation auprèsde l’AHJUCAF et participe aux réunions deson bureau.

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C. Les objectifs de l’AA-HJF

L’Association Africaines des Hautes JuridictionsFrancophones a pour objectifs de :

- Favoriser la coopération, l’entraide, leséchanges d’idées et d’expériences sur les ques-tions soumises à ses juridictions ou intéressantleur organisation et leur fonctionnement ;

- Promouvoir le rôle de ses juridictions dans l’uni-formisation du Droit au sein des États membres ;

- Contribuer plus efficacement au renforcementdu Droit et de la Sécurité Juridique et Judiciaireen Afrique en vue de la promotion et de la conso-lidation de la Démocratie et de l’État de Droit.

Pour atteindre ses objectifs, l’Associationpeut :

- Susciter, encourager, réaliser ou faire réaliserdes études ;

- Diffuser ou contribuer à diffuser en directionde ses membres et, le cas échéant, de toutepersonne intéressée, des informations utiles surl’Organisation et son fonctionnement, la juris-prudence de ses juridictions membres ;

- Éditer tous documents conformes à son objet ;

- Créer un ou des Centres de Documentation misà la disposition de ses membres ou du public etpublier un bulletin de droit et d’information.

Le siège de l’Association est fixé à Cotonou auBénin et peut être transféré dans tout autre paysde ses juridictions membres.

Depuis bientôt 12 ans, le réseau s’attèle à at-teindre les objectifs ci-dessus fixés par le dé-ploiement d’un certain nombre d’actions. Dansle cadre de la présente communication, l’ac-cent sera naturellement mis sur le volet circula-tion, internationalisation du droit et de la justiceentre ses juridictions.

II. La circulation ou l’internationalisation dudroit et de la justice par l’AA-HJF

L’Association Africaine des Hautes JuridictionsFrancophones aura incontestablement enregis-tré des avancées significatives dans le domainede la coopération juridique et judiciaire entreses juridictions membres.

Depuis 1998, année de sa création, l’Afriquede l’Ouest Francophone d’abord, puis toute larégion africaine francophone ensuite, n’aurontjamais enregistré autant de rencontres judi-ciaires initiées par les africains praticiens dudroit sur des thématiques touchant directementà l’office du juge africain ou intéressant le fonc-tionnement de sa juridiction.

L’AA-HJF aura initié deux catégories d’échangesinter judiciaires qui ont constitué de véritablesoccasions de partage d’expériences, d’idéeset de jurisprudences.

Il s’agit des colloques internationaux organiséschaque année, autour de thématiques d’actualitéet depuis 2006, de sessions de formation ou deremise à niveau des magistrats des juridictionsmembres de l’Association dont les conclusionssont publiées dans les bulletins du réseau.

A. L’expérience des rencontres thématiquesentre magistrats des juridictions membresdu réseau

Au regard de la mission dévolue à la justice engénéral et aux hautes juridictions en particulier,les responsables du réseau AA-HJF ont très tôtjugé de la nécessité d’initier des rencontres de-vant permettre les échanges d’expériences etde jurisprudences entre les magistrats deshautes juridictions africaines francophones.

Ces rencontres sont organisées autour de thé-matiques appropriées touchant aussi bien à l’or-ganisation et au fonctionnement des hautesjuridictions africaines francophones qu’à l’office

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du juge africain et intégrant la vision d’une justiceafricaine résolument mise au diapason des exi-gences de l’État de droit.

C’est ainsi que de 1998 à 2009, avec le sou-tien technique et financier de l’Organisation Inter-nationale de la Francophonie, du Gouvernementdu Bénin, pays siège et des autres États qui ontabrité ses assises, notre réseau a organisé d’im-portants colloques scientifiques internationauxdont les retombées sont notables sur la vie juri-dique et judiciaire de la sous région.

Au total douze thématiques les unes aussi perti-nentes que les autres, ont fait l’objet de réflexionpar des magistrats des juridictions membres, aucours de colloques réunissant chaque année, en-viron une centaine de participants.

Ces rencontres sont des occasions privilégiéesd’échanges nourris entre juges qui se partagentainsi les pratiques positives en cours dans les dif-férentes juridictions.

A ces réunions d’échanges inter judiciaires, sontassociés des membres des juridictions sœurs eu-ropéennes notamment françaises (Cour de Cas-sation, Conseil d’État, Cour des Comptes) etd’universitaires aussi bien européens qu’africains.

L’expertise avérée qu’apportent ainsi les parte-naires du Nord et les théoriciens du droit à cesrencontres thématiques, met en relief, l’universalitédu droit et le régime de responsabilité qui doitêtre celui du juge dans la construction de sociétéshumaines modernes basées sur la force du droitet de la justice.

Un rapide survol du tableau synoptique de cesrencontres thématiques joint en annexe au textede cette communication, permet d’indiquerqu’elles se sont tenues autour de la récurrentequestion de l’indépendance du pouvoir judi-ciaire, de la forme d’organisation des hautes ju-ridictions africaines, de l’application du droitinternational dans l’ordre juridique interne des

États africains, des contrariétés de décisions entreles hautes juridictions judiciaires, administrativeset constitutionnelles, du coût et du rendement duservice public de la justice, de l’exécution desdécisions de justice, de l’expérience des juridic-tions communautaires africaines notamment laCour Commune de Justice et d’Arbitrage del’OHADA pour ne citer que ces thématiques là.

A l’occasion de la célébration, le 15 janvier2004 à Cotonou, du cinquième anniversaire desa création, le réseau, procédant au bilan cri-tique de ses actions notamment dans le domainedes échanges inter judiciaires, a décidé del’adoption d’un plan d’action qui intègre l’élabo-ration d’une planification de la formation continuedes animateurs de ses juridictions membres.

B. De la tenue des sessions de formation

Les résultats encourageants auxquels le réseau estparvenu avec l’organisation chaque année decolloques scientifiques, ont décidé ses responsa-bles à envisager la formation continue des ani-mateurs des hautes juridictions africaines.

L’État de droit ne peut se construire en effet sansune justice forte, efficace et indépendante.

C’est ainsi que l’Assemblée générale du réseauréunie à Lomé le 6 juin 2006, a adopté un plande formation commun à toutes les juridictionsmembres.

Le plan de formation s’est proposé d’apporter etde partager une réponse à la nécessité de faireacquérir de nouvelles connaissances aux anima-teurs des hautes juridictions membres afin de leurpermettre de s’adapter aux exigences de l’évolu-tion du droit et des différentes réformes en coursau niveau des États et au plan communautaire etinternational.

Le premier plan de formation qui couvre une pé-riode de cinq ans allant de 2006 à 2010, a étéconçu autour de la vision qu’en 2010, l’Associa-

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tion sera composée de juridictions animées pardes magistrats plus outillés au regard de l’évolutiondes normes nationales et internationales et capa-bles de s’adapter aux exigences de l’État de droit.

La mise en œuvre de ce plan de formation aaussitôt démarré avec le soutien technique et fi-nancier de l’Organisation Internationale de laFrancophonie.

En effet, la première session de formation de jugesde l’Association, s’est tenue du 18 au 22 décem-bre 2006 à l’École Régionale Supérieure de laMagistrature à Porto-Novo (Bénin) et a regroupéplus de cent magistrats venus de toutes les juridic-tions membres du réseau, qu’il s’agisse des CoursSuprêmes, des Cours de Cassation, des Conseilsd’État, des Cours des Comptes, des Cours ouConseils Constitutionnels ou des Juridictions Com-munautaires des espaces UEMOA et OHADA.

L’évaluation critique faite par les participants àcette première session, a permis de se rendrecompte de l’atteinte des objectifs poursuivis et deprocéder aux réajustements jugés nécessaires auplan pédagogique et technique.

C’est à l’aune des riches enseignements tirés decette première expérience qu’une seconde sessiona été organisée du 10 au 14 septembre 2007concomitamment à l’École Régionale Supérieurede la Magistrature à Porto-Novo et à l’hôtelAlédjo de Cotonou.

Cette deuxième session a pris l’option d’une ap-proche plus pratique en privilégiant les échangesen atelier selon les divers ordres de juridiction réu-nis au sein de l’Association.

L’originalité de cette deuxième session de forma-tion aura résidé dans la participation de magistratsdes juridictions du fond (Procureurs de la Répu-blique, juges d’instruction et des chambres d’accu-sation) conviés aux travaux de cette session.

Conformément au plan de formation adopté, unetroisième session de formation a été organisée à

l’École Régionale Supérieure de la Magistrature àPorto-Novo du 22 au 24 septembre 2008 et aregroupé comme les deux premières, des repré-sentants de la quasi-totalité des juridictions mem-bres de l’Association.

La quatrième session a été organisée au profit desjuges du fond sur la thématique de la protectionjudiciaire des droits des enfants.

Il convient d’indiquer que la Cour de Cassation,le Conseil d’État et la Cour des Comptes deFrance appuient le réseau dans la tenue de sessessions de formation en mettant à sa disposition,des magistrats qui entretiennent les participants surdes thématiques déterminées. Des professeursd’Université sont également associés à l’animationpédagogique de ces sessions de formation. Laformation se déroule en deux phases. Les sessionsplénières regroupent les magistrats de tous les or-dres de juridiction autour des sujets de portée plusgénérale mais relatifs à l’office du juge tels que ledélai raisonnable, la réception en droit interne desnormes internationales, l’œuvre prétorienne deshautes juridictions, le rôle du ministère public prèsune haute juridiction etc. A la suite des séancesplénières, les participants rejoignent les ateliersplus spécifiques à chaque ordre de juridiction.

La tenue des 10e assises de l’Association a offertl’occasion d’une évaluation critique de ces pre-mières sessions de formation au regard des objec-tifs poursuivis.

L’expérience a été jugée positive et des recomman-dations ont été formulées aux fins de poursuite decette initiative qui vise le renforcement des capaci-tés d’intervention des magistrats des hautes juridic-tions membres de l’AA-HJF par l’appropriation despratiques positives et des normes internationales.

C. De la diffusion du droit et des actes desrencontres scientifiques de l’AA-HJF

Conformément aux dispositions de l’article 5 de

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ses statuts, l’AA-HJF s’efforce depuis sa création,de diffuser en direction de ses membres et de toutepersonne intéressée, des informations utiles sur l’As-sociation et son fonctionnement et la jurisprudencedes juridictions membres.

Deux organes de publication permettent à l’AA-HJF de diffuser le droit.

Il s’agit d’abord de la La Voix de l’Intégration Juri-dique et Judiciaire Africaine (VIJJA) qui est la revuesemestrielle de droit et d’information du réseau.

L’Association en est à sa huitième publication.

Cette revue dirigée par son directeur de publica-tion qui est le Président de la Cour Suprême duBénin, Président du Bureau du Conseil d’Adminis-tration de l’AA-HJF, est animée par un comité scien-tifique composé des Présidents des hautesjuridictions membres du conseil d’administration del’Association et de professeurs agrégés de l’Uni-versité de St Louis au Sénégal, de l’Université deOuagadougou au Burkina Faso, de l’Université deCocody en Côte d’Ivoire et de l’Université d’Abo-mey-Calavi au Bénin.

"La Voix de l’Intégration Juridique et Judiciaire" estl’organe par lequel la jurisprudence des juridictionsmembres de l’AA-HJF est diffusée ainsi que des ar-ticles de doctrine sur des sujets de droit de préoc-cupation majeure en Afrique francophone.

Le deuxième organe du réseau est dénommé "LesCahiers de l’AA-HJF". Il est de parution annuelle.

Par cet organe, le réseau publie les actes des col-loques et autres sessions de formation qu’il orga-nise chaque année.

Ces deux organes de diffusion du droit et de la ju-risprudence sont placés auprès de toutes les juridic-tions membres du réseau aux fins d’acquisition parles magistrats et les autres animateurs du pouvoirjudiciaire de l’espace couvert par l’Association.

Les deux bulletins sont également disponibles dansdes librairies de certaines capitales africaines ainsi

que dans des bibliothèques universitaires. Cer-taines Universités européennes ont souscrit desabonnements s’agissant surtout de la "VIJJA".

Depuis quelques années, ces bulletins qui se veu-lent des instruments de liaison et de diffusion dudroit, de la jurisprudence et de la législation pourune intégration juridique et judiciaire africaine auservice du développement socio-économique, sontpubliés en version électronique.

En appui à ces efforts de diffusion, le réseau s’estdoté d’un site web aux fins de constituer un fondsd’archives numériques et de s’ouvrir ainsi sur lereste du monde en assurant la visibilité de la pro-duction judiciaire de ses juridictions membres.

Du fait d’un certain nombre de difficultés, ce site nefonctionne pas aujourd’hui à la hauteur des ambi-tions du réseau.

Il a besoin d’être repensé aux fins de sa dynami-sation.

La diffusion du droit dans l’espace AA-HJF reste entout cas, une problématique, un défi que se doit derelever le réseau s’il tient à jouer son rôle d’outilprécieux au service de l’intégration juridique et ju-diciaire de l’Afrique francophone.

III. Des difficultés et des perspectives

A. Des difficultés rencontrées par le réseaudans la circulation de l’information juridiqueet judiciaire

S’il est indéniable que les échanges inter judi-ciaires, qu’ils se déroulent sous la forme de col-loques scientifiques ou de sessions de formationqu’organise le réseau AA-HJF, constituent des occa-sions privilégiées de partage de pratiques judi-ciaires et de diffusion de la jurisprudence africaine,il n’en demeure pas moins vrai que cette expé-rience a des limites eu égard au nombre restreintdes praticiens du droit et des autres participantsqui y prennent part.

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Les deux bulletins de diffusion du réseau, du faitdes difficultés de leur placement et de leur écou-lement, ne contribuent pas comme cela est sou-haité, à l’objectif de diffusion, à l’échelle ducontinent, du droit et de la jurisprudence que s’estassignée l’Association.

Or, la concrétisation de l’État de droit suppose oucommande que le droit à travers toutes ses sources,la loi, le règlement, la jurisprudence et la doctrinesoit diffusé de façon permanente et efficace.

Le site web de l’Association n’a pas répondu auxattentes des responsables du réseau. De nom-breuses difficultés techniques liées à son héberge-ment et à son animation, ont hypothéqué la misede cet instrument au service de la diffusion du droitdans l’espace africain francophone.

A ces difficultés techniques, il convient d’ajouterque l’outil informatique s’est diversement installédans les hautes juridictions africaines franco-phones. Pendant qu’il intègre de façon notable lesmœurs de certaines juridictions, il est quasimentabsent dans bien d’autres.

Mais face aux enjeux et aux exigences de l’État dedroit, le réseau a décidé de se doter d’un outil plusefficace de diffusion du droit.

B. Les perspectives d’avenir

Les objectifs qui sont ceux de l’Association Africainedes Hautes Juridictions Francophones ne peuventêtre atteints sans un support technique appropriéde diffusion qui réponde aux exigences des tech-nologies de l’information et des communications.

Aussi le réseau a-t-il réfléchi à la création d’unebanque de données législatives et jurisprudentiellesà la hauteur de ses légitimes ambitions.

Il s’agira de créer une base documentaire alimen-tée par la transmission des principaux textes légis-latifs de tous les pays de l’espace AA-HJF (loisfondamentales, loi d’organisation judiciaire, loi or-

ganisant les hautes juridictions, les différents codesde procédures, etc.) et des décisions rendues parles hautes juridictions membres de l’Association.

Ces textes et décisions pourront être consultés surinternet par les magistrats des juridictions membres.

Grâce au soutien de l’un de ses partenaires, l’Orga-nisation Non Gouvernementale, Open Society Initia-tive for West Africa (OSIWA), le réseau a procédéau recrutement d’un cabinet d’expertise à la suited’un appel à candidature. C’est le cabinet "SolutionInformatique Durable" (SOLID) du SENEGAL qui aréalisé l’étude de faisabilité de ce projet.

L’expert s’est largement inspiré dans ses proposi-tions, du projet JURICAF que pilote à la satisfactiongénérale, l’AHJUCAF.

Afin d’éviter les perturbations dues à l’hébergementdu site internet de l’Association et de garantir lenom du domaine du site, il est envisagé, sur lesconseils techniques de l’AHJUCAF, de le faire hé-berger sur les serveurs de l’Organisation Internatio-nale de la Francophonie (OIF).

La création de la banque de données législativeset jurisprudentielles donnera plus de visibilité auxactions de l’AA-HJF et permettra de garantir la flui-dité des échanges entre les juridictions membres.

Aussi les responsables du réseau s’emploient-ils àrechercher et mobiliser, le financement nécessaireà la création de cette banque de données.

La participation de notre réseau aux présentes as-sises de l’AHJUCAF offre à ses représentants, uneoccasion privilégiée d’écoute et d’imprégnationdes expériences diverses qui s’expriment depuishier ici.

Nous en tirerons les meilleurs enseignements pournourrir davantage le combat que le réseau AA-HJFmène en Afrique pour une intégration juridique etjudiciaire au service de l’universalité du droit et dela justice.

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

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IV. Tableaux synoptiques des rencontres thématiques de l’AA-HJF depuis sa création (1/2)

N° Thème du Colloque Date Lieu Partenaires associés

1Le contentieux électoral

et l’État de droit

11 - 12nov

1998

Cotonou(Benin)

Organisation Internationalede la Francophonie (OIF)

État béninois

2Le contrôle juridictionnelde la décentralisation

3 - 4avril

2000

Cotonou(Benin)

Organisation Internationalede la Francophonie (OIF)

État béninois

3

La problématique del’indépendance du pouvoir

judiciaire en Afrique del’Ouest

18 - 19nov

2000

Niamey(Niger)

Organisation Internationalede la Francophonie (OIF)

État Nigérien

4Le juge suprême et la

gestion du contentieux desélections locales

5

L’opportunité del’éclatement ou non des

Cours suprêmes en plusieursjuridictions distinctes.

13 - 16mai

2002

Cotonou(Benin)

Organisation Internationalede la Francophonie (OIF)

État Béninois

6

L’application du droitinternational dans l’ordrejuridique interne des Étatsde l’Afrique francophone

24 - 26juin

2003

Ouagadougou(Burkina FASO)

Organisation International dela Francophonie (OIF)

État burkinabèM

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N° Thème du Colloque Date Lieu Partenaires associés

7L’État de droit et la

séparation des pouvoirs

13 - 15janvier2004

Cotonou(Benin)

Organisation Internationalede la Francophonie (OIF)

Fondation Internationale desSystèmes Électoraux (IFES)

État béninois

8

Les contrariétésde décisions

entre les hautes juridictionsconstitutionnelles,

administratives,judiciaires etdes comptes

15 - 17juillet2004

Bamako(Mali)

Organisation Internationalede la Francophonie (OIF)

État malien

9

Les rapports entre lesjuridictions de cassation

nationales et la CourCommune de Justice et

d’Arbitrage de l’OHADA :Bilan et perspectives

d’avenir

7 - 9juin

2006

Lomé(Togo)

Organisation Internationalede la Francophonie (OIF)

État togolais

10Coût et rendement du

service public de la Justicedans l’espace AA-HJF

1 - 3nov

2007

Bissau(Guinée)

Organisation Internationalede la Francophonie (OIF)

État Bissau guinéen

11L’exécution des décisionsde justice dans l’espace

AA-HJF

10 - 18nov

2008

N’djamena(Tchad)

Organisation Internationalede la Francophonie (OIF)

État tchadien

12La protection des droits de

l’enfant par les jugesafricains francophones

17 - 19déc

2009

Cotonou(Benin)

Organisation Internationalede la Francophonie (OIF)

État béninois

IV. Tableaux synoptiques des rencontres thématiques de l’AA-HJF depuis sa création (2/2)

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Droit francophone et droit continentalMonsieur Jean du Bois de Gaudusson,professeur agrégé en droit public,président honoraire de l'AgenceUniversitaire de la Francophonie

Il faut avouer un certain embarras pour traiterle sujet qui nous a été proposé tant on est tentéde douter de sa pertinence … Nous noussommes demandé si sa seule justification n’étaitpas d’ordre institutionnel et … personnel, liéeà notre parcours et aux liens que nous avons :d’une part avec la francophonie,[dont nousavons présidé un des opérateurs, l’A.U.F., et oùnous exerçons des activités juridiques, voire ju-ridictionnelles et constitutionnelles dans les paysfrancophones ….. d’autre part, avec la Fonda-tion pour le droit continental, au Conseil scien-tifique de laquelle nous somme un des troisprofesseurs français à siéger ….

Nous pourrions, pour échapper au piège queconstitue ce sujet, évoquer longuement les acti-vités de l’une et de l’autre en ce qu’elles concer-nent les pays francophones et leurs droits. Onpréfèrera renvoyer à leur site internet (www.fon-dation-droitcontinental.org; http://droit.fran-cophonie.org) et à leurs publications. Reste quede par nos appartenances et engagements nospropos ne seront pas neutres ; mais, on leverra, ces deux appellations et l’usage que l’onen fait explique aussi que le sujet ne puisse êtretraité aussi scientifiquement qu’il conviendraitpour un universitaire.

Un autre embarras tient au lieu où nous nous trou-vons : Ottawa et le Canada qui abritent des uni-versités et des Facultés de droit où exercent desuniversitaires très savants sur le sujet, n’hésitantpas à aborder le droit continental en anglais et àétudier le droit Common Law en français … Maisil est vrai et c’est une source d’ un autre encoreplus sérieuse, ni les uns ni les autres ne font réfé-rence à un quelconque « droit francophone » etrarement au « droit continental » auquel il est pré-

féré « droit civil » ou « Civil Law ». Cette hésitationsur les appellations est un indice de la difficultéqu’il y a à donner une définition de ces deux «droits » satisfaisant aux exigences du compara-tisme et de la science juridique ; toute l’ambigüitédu sujet en découle.

I. Des « droits » introuvables ?

C’est par cette interrogation qu’il convient de com-mencer : n’est-on pas en présence de « droits » in-trouvables dans la mesure où ils échappent àtoute conceptualisation et ne désignent aucuneréalité précise ou unanimement admise ?

La question se pose d’abord et surtout pour le «droit francophone », qui apparaît comme unobjet non identifié, non identifiable et sans per-tinence scientifique …

Plusieurs arguments, ou simples constats, vontdans ce sens.

Un premier obstacle à l’identification d’un «droit francophone » tient à une construction ter-minologique qui emprunte à la fois à la sciencejuridique (droit) et à la linguistique (franco-phone). Il y eût historiquement une tendance àinsister sur l’intensité des liens entre le françaiset le droit ; et l’on avait coutume de dire quel’on raisonne le droit en français ; mais, aumoins à l’époque actuelle, il s’agit plus d’unespéculation intellectuelle ou d’un projet politique(on y reviendra) que d’une réalité avérée. Pourbeaucoup de juristes , la langue française seraitaujourd’hui encore supérieure à d’autres ; elleest jugée plus adaptée, plus précise que, parexemple, l’anglais, la preuve apportée en étantla nécessité d’insérer dans les contrats interna-tionaux réalisés en anglais d’un lexique ou d’unglossaire définissant des mots et des expres-sions juridiques utilisés. L’argument est loind’être dénué de pertinence, mais il pourraitconcerner d’autres langues (l’allemand …) et il

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faut bien admettre que le droit se conjugue end’autres langues que le français …

Une observation rapide du monde contempo-rain montre, en outre ,qu’il n’existe pas un droitcommun aux États francophones, quelle quesoit la définition donnée de l’ensemble formépar les États francophones, que ce soit ceuxayant la langue française comme langue offi-cielle, nationale ou principale, ou ceux appar-tenant à la communauté institutionnelle etpolitique que constitue la Francophonie au-jourd’hui principalement incarnée par l’Organi-sation Internationale de la Francophonie.

Il est certes visible qu’à des exceptions prés … (larestriction est évidemment majeure…), le mondefrancophone présente une relative unité juridiquerésultant de l’influence prépondérante du droitfrançais c’est-à-dire du droit continental, du CivilLaw avec ce que cela signifie de rôle de l’écrit etde la place occupée pour la codification. Unesérie de grandes théories et constructions com-munes ont été effectivement reprises en droit fran-çais, conséquence de la politique coloniale etétrangère de la France et de la diffusion de sondroit ; le droit français est la matrice de la plupartdes droits de l’espace francophone, en mêmetemps que le vecteur de l’expansion du droit ro-mano-germanique. Cette influence est incontesta-ble ; mais elle n’autorise pas à confondre droitsde la Francophonie et droit français, et en toutcas, elle ne permet pas d’identifier un « droit fran-cophone » sauf à considérer, comme le laissent àpenser certains affichages parfois utilisés pour pré-senter des filières universitaires, que le droit fran-cophone serait le droit français tel qu’appliqué enFrance et dans quelques pays marqués plus qued’autres par l’influence française. On voit les li-mites d’une telle acception à la fois particulière-ment réductrice et infidèle à la réalité juridique despays en question.

Est-il encore utile d’insister sur la caractéristiqued’un « espace francophone » se partageant en

effet en plusieurs grandes familles de droit, ro-mano germanique, common law, musulman, ettraversé par d’autres clivages, soulignés par lescomparatistes (Raymond Legeais), par exempleentre droits européens et extra - européen ? Ausein d’un même État, coexistent des droits ap-partenant à des systèmes juridiques différents.Et se construisent des mosaïques de systèmesjuridiques qui se démultiplient encore selon lescitoyens et les rapports qu’ils entretiennent avecle droit. Les juges de l’espace francophone sontles mieux placés pour mesurer les combinaisonset les interactions. On a quelque fois écrit «osez le pluralisme juridique » et judiciaire(Etienne Leroy) ; mais les juges plus que d’autressavent que celui-ci existe et qu’il faut bien enassurer la gestion.

La cause est entendue ; il n’existe pas un sys-tème de droit francophone, ni même une famillede droit francophone, avec ce que cela signified’unité, de cohérence, de techniques propreset d’autonomie.

Si l’on en juge par les évolutions contempo-raines des systèmes juridiques et les opinonsdoctrinales qui les accompagnent et les nourris-sent, le « droit continental » n’est pas à l’abrid’une interrogation existentielle, comparable,même si les termes en sont différents.

Qu’il soit romano- germanique pour reprendrel’épithète de René David ou droit civil / CivilLaw comme l’on dit couramment, le droit conti-nental semble lui aussi échapper à toute défi-nition précise. Nombre de comparatistesrenoncent à y voir une catégorie homogène, di-visée qu’elle est en sous-groupes, en différentesversions, européennes (allemande, française,italienne) ou extra européennes. Le propos vautpour les pays du sud, de succession françaisedont les systèmes juridiques ne sont pas la du-plication du droit français ; l’OHADA, ce lieugéométrique du droit romano germanique et dela francophonie, en offre un bon exemple.

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Les métissages et échanges rendent les fron-tières incertaines et brouillent les classifications.Les juristes s’accordent sur la difficulté d’identi-fier les uns et les autres, quand il s’agit de ren-dre compte du fond du droit, des règles etsolutions communes. Le professeur Joseph Issa-Sayeg a ainsi pu en faire la démonstration pourle droit des obligations qui « subit le contre-coup du développement jurisprudentiel de nom-breuses de ses parties et de la confrontationavec les autres systèmes juridiques que les rela-tions internationales de droit privé lui imposentau point que les pays européens, sont, au-jourd’hui, à la recherche d’une standardisationde leurs normes à cet égard. La proposition delois modèles et l’établissement de principe juri-diques communs, soit à l’échelle régionale oucontinentale, voire mondiale, tendent à altérerune spécificité du droit français dont la doctrineet le législateur se réclamaient ».

On se gardera de prolonger cette interrogation ;la science peut hésiter … mais, en revanche etaprès tout, comme l’a relevé le Doyen Paul Gé-rard Pougoué, de l’Université de Yaoundé , luiaussi confronté à l’identification du droit franco-phone, mais le propos vaut aussi pour le droitcontinental « la règle normative marque le droit.Ce serait donc une erreur épistémologique graveque de prétendre étudier le droit avec une objec-tivité scientifique ». Cette affirmation revêt sapleine vérité dans une situation à laquelle sontconfrontés, plus que jamais aujourd’hui des sys-tèmes juridiques en compétition, voire en rivalitédans le monde. C’est précisément ce contexte etcette posture qui donnent son sens, tout son sens,à l’un comme à l’autre de ces « droits ».

II. Et pourtant ils existent …

Et nous les avons rencontrés, approchés diffé-remment, non plus dans une perspective pure-ment juridique et positive mais plus politique et

stratégique. Ces deux « droits » se situent à unniveau institutionnel et organique et trouvent leurfondement dans les usages que les institutionsen font. Il s’agit principalement, dans un cascomme dans l’autre, mais à des degrés diverset selon des raisonnements qui ne coïncidentpas- de donner un sens sur le plan du droit à unengagement … qui veut influencer une réalité,d’abord juridique.

Au moment où les comparatistes modernes sontsaisis par le doute et s’interrogent sur la perti-nence de la taxinomie héritée de l’histoire, cesappellations sont utilisées et, sont au centred’enjeux considérés comme stratégiques, tantet si bien qu’il devient difficile de n’y voir quedeux coquilles creuses, se vidant peu à peu ouimpossibles à remplir.

La protection, la promotion et la défense desréalités juridiques qu’elles désignent constituentpour une série d’acteurs un des défis essentielsdans le monde dont on ne peut faire abstrac-tion. Aujourd’hui, plus que jamais, s’est créé unvéritable marché du droit animé par ce qu’ilfaut bien appeler une « concurrence entre lessystèmes juridiques » ; marché où se mesure l’at-tractivité économique comparative des uns etdes autres, ainsi que la capacité , à protégerdes droits de l’homme et les libertés publiques; une concurrence qui se transforme parfois enaffrontement ; une concurrence qui est aussi àl’origine de réactions face aux mouvements demondialisation, faits d’échanges économiques,d’harmonisation des systèmes juridiques maisaussi d’expansion d’un droit, d’une langue etd’une économie.

C’est dans un tel contexte, ceci expliquant cela,qu’apparaissent et prennent un sens les expres-sions « droit francophone » et « droit continental »,correspondant à l’émergence de projets, poli-tiques, de défense d’un certain nombre de va-leurs, principes et normes juridiques, liés, à unhéritage, à des histoires et des cultures. Dans un

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monde de concurrence inéluctable, et vécuecomme telle, et pas seulement sur le plan juri-dique il s’agit de défendre tel ou tel système ju-ridique ou un certain nombre d’éléments d’unsystème juridique mais aussi de les construire àpartir de traits caractéristiques qui en font - ouen feraient à certains égards- la spécificité etleur donnent une réalité.

C’est l’ambition plus ou moins explicite de vo-lontés portées par des institutions qui s’attachentà donner une identité à un corpus plus ou moinsélaboré, plus ou moins homogène, considérécomme essentiel tant par les valeurs qu’il est ap-pelé à porter que par le rôle qui lui est impartidans le monde.

Ce projet est particulièrement net pour le droitcontinental dont les pays qui s’y rattachent s’or-ganisent dans ce sens. La Fondation pour ledroit continental en est un exemple, à touségards topique : née dans un contexte interna-tional marqué par une progression du droit duCommon Law, et à certains égards une offen-sive de milieux juridiques et économiques d’ins-piration anglo-américaine, dont un dessymboles est la publication depuis 2004 du fa-meux rapport Doing business. La Fondation réu-nissant juristes et économistes s’attache àpromouvoir l’influence de la tradition civiliste età mettre en exergue ses atouts, tout particulière-ment dans son application économique.Comme le font d’autres institutions, pour d’au-tres droits (voir par exemple les initiatives dubarreau américain ou l’international financialservices foundation britannique), la Fondationse livre à une véritable politique de communica-tion et de lobbying mettant en valeur, au-delàdes diversités réelles, les caractéristiques dudroit continental qui sont présentées, à juste titre, comme autant d’atouts pour la protection descitoyens, et l’accueil et la sécurité des entre-prises. Les travaux de la Fondation pour le droitcontinental et d’autres institutions telles l’asso-

ciation H. Capitant sont trop connus pour quel’on développe ce fonds commun de règles fai-sant la force du droit continental : plus acces-sible, car largement synthétisé sous forme decode, axé sur la prévention des litiges et la sé-curité juridique des échanges, soucieux del’équilibre entre les parties du contrat , plus ou-vert à toutes les sources du droit, moins coûteux,plus réceptif aux valeurs de justice sociale enlesquelles on voit la finalité du droit,…

Du côté de la Francophonie, la démarche estdifférente, ne serait-ce qu’en raison de l’impos-sibilité de se référer à un droit francophone.Tout au plus peut-on considérer qu’il existe uneculture juridique francophone que la Francopho-nie et ses institutions (OIF, ses opérateurs et sesréseaux professionnels dont l’AHJUCAF oul’ACCPUF sont de bons exemples) se sont assi-gnés comme objectif de forger et de diffuser ausein de l’espace francophone mais aussi à l’ex-térieur. Dans ce sens, malgré la diversité desdroits de ses membres, la Francophonie déve-loppe une approche commune du droit ; un défiqu’elle s’est lancé est d’être un espace de droit ;non pas dans le sens habituel d’espace juridiqueunifié mais plutôt de communauté animée parl’idée et l’idéal de droit. Elle érige en but à atten-dre et, en principe, en obligation pour ses mem-bres le respect du droit et des valeurs que celui-ciexprime et qu’il doit désormais exprimer.

En définitive, c’est toute une culture juridiqueque développe et entretient la francophoniefaite de priorité à la régulation juridique, au res-pect de la hiérarchie des normes , au caractèredémocratique des systèmes juridiques, à la pro-motion du pluralisme juridique et de la diversité,à la recherche systématique du consensus dansles processus de prise de décision…, qui sontau cœur des actions des institutions et des opé-rateurs de la Francophonie.

Par le jeu des relations complexes qui se nouentau sein de la Francophonie entre gouvernants,

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acteurs du droit et de la société, il se dégage desprincipes juridiques communs, des orientations,des « objectifs juridiques », des pratiques, alimen-tant la réflexion des jurislateurs rapprochant lesproductions normatives, harmonisant les droits envigueur. Ces mouvements sont de portée varia-ble, selon les domaines, selon les systèmes juri-diques, dont plusieurs ont partie historiquementliée ; ils s’effectuent aussi dans des aires à surfacevariable et à des niveaux différenciés de la hié-rarchie des normes juridiques. A défaut de pro-mouvoir un impossible ordre juridique commun etuniforme, la Francophonie peut se prévaloird’une méthodologie et d’un processus de valeursqui lui donne une originalité.

A cet égard, par ses vertus et ses avantages, ledroit continental - auquel la plus grande partiedes membres de la Francophonie appartient oupuise son inspiration- est un atout précieux pouratteindre ces objectifs : accès au droit, accès aujuge …, et donner un contenu aux valeurs de so-lidarité, de justice sociale assignée aux États.C’est là l’utilité de reconnaître sinon un droit fran-cophone dont on est loin ….du moins, un droitde la francophonie, une culture juridique diffuséepar la francophonie dont c’est un élément majeurdu projet politique qu’elle promeut ?

On pourra juger excessive la valorisation dudroit continental et radicale l’opposition parfoisfaite avec le droit Common Law; de même laconstruction sinon d’un droit francophone ou dumoins d’un droit (d’une culture) de l’espace fran-cophone, au-delà de la diversité de ses droitsà paraîtra à beaucoup très volontariste et poli-tique. Mais dans les deux cas, en recherchantune identité et une unité, il s’agit d’atteindre unmême objectif, désormais clairement proclamé,celui de faire respecter, d’assurer et de promou-voir la diversité juridique dans le monde, de dé-fendre cette « juri-diversité », complémentairedes autres composantes de la diversité. Ces ré-férences et les institutions et projets auxquels ils

correspondent se présentent comme des mar-queurs dans un monde traversé de tendanceshégémoniques, parlant d’autres langues que lefrançais, utilisant d’autres droits que le droitcontinental, civil, romano-germanique et où seconstruit, nolens volens, le droit de la mondiali-sation ou plus exactement de la globalisation.Un des motifs de la défense du droit continentalet du droit francophone est la préservation dela diversité sous ses différentes formes juridiquesmais aussi culturelles, linguistiques, sociales….On pourra certes s’interroger sur une valorisa-tion de la diversité en laquelle on voit un facteurde progrès et d’innovation et que l’on a ten-dance aujourd’hui, à transformer en fin en soi etmême en dogme. Quelque soient les fonctionsqu’elle remplit, et qu’on lui attribue, il en est unequi est de justifier et légitimer le combat menépour la promotion du français et la défense dudroit continental ; ainsi que l’affiche la Fonda-tion éponyme « la richesse, l’évolution et l’ap-plication d’un droit diversité est nécessaire etpasse par la mise en situation de compétitiondes différents systèmes de droit » et d’ajouter «c’est dans ce contexte que la Fondation pour ledroit continental a été créé pour renforcer lerayonnement du droit continental et contribueà l’équilibre juridique mondial ».

Et les juges ? Les juges du monde francophone,tels qu’ils sont représentés aujourd’hui par l’AH-JUCAF, qu’il faut remercier d’avoir choisi unthème de colloque qui alimentera le fameux -et … contesté- dialogue des juges ? Le rôle quiincombe aux juges, francophones, qu’ils soientde pays de droit continental, quelle qu’en soitla version, ou de droit de Common Law est dese livrer à ce délicat arbitrage entre des sourcesde droit diverses et à résoudre les affrontementsjuridiques et les conflits juridico - linguistiquesqui leur sont soumis. C’est à eux aussi qu’il re-vient de donner une réalité, une consistance etune attractivité à ces deux univers si distants

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mais aussi proches, symbolisés, incarnés pardes appellations que les spécialistes compara-tistes nous pardonneront de justifier et ,au moinspour l’un d’entre eux, d’utiliser malgré tout ,mais à certaines conditions …

La réforme des systèmes de sécurité dansl’espace francophoneMadame Niagalé BAGAYOKO-PE-NONE, chercheur spécialisée en Sécuritéet Développement (Université du Sussex -Royaume-Uni)

La notion de « Réforme des Systèmes de Sécurité» (RSS) s’est développée et diffusée depuis la findes années 90 et s’est imposée comme l’une desactivités vouées à prévenir les conflits et consoli-der la paix dans les États en proie à l’instabilité.Cette diffusion des politiques et des pratiques deRSS a donné lieu ces dernières années à des ef-forts d’élaboration de stratégies globales et deprincipes directeurs, parmi lesquels notammentles manuels du Comité d’Aide au Développement(CAD) de l’OCDE ou les papiers de positionne-ment de l’Union Européenne et de l’ONU.

Réforme politique par essence, la RSS a poureffet de modifier les équilibres existant entre lesacteurs du système de sécurité. Le système de sé-curité et sa réforme sont en effet au cœur de lasouveraineté des États et de leurs peuples. Ils tou-chent aussi bien à des fonctions régaliennesqu’aux droits les plus élémentaires des popula-tions. L’approche globale qui prévaut en matièrede RSS a notamment pour conséquence d’exigerune coopération et une coordination étroites à lafois entre les différents acteurs qui composent lessystèmes de sécurité nationaux et entre les parte-naires de la communauté internationale qui cher-chent à appuyer leurs efforts de réforme.

L’expertise francophone en matière de RSS estencore insuffisante. Il est aujourd’hui urgent ded’approfondir et de capitaliser les expériences,en vue de faire du monde francophone un es-pace de gouvernance démocratique des sys-tèmes de sécurité. Les dispositions adoptées parla Francophonie à la faveur des Déclarationsde Bamako et de Saint-Boniface, complétéespar celle de la Déclaration de Québec, offrentun cadre pertinent pour encadrer les éventuellesinterventions de l’OIF en matière d’appui a lareforme des systèmes de sécurité.

Les réseaux institutionnels de la Francophonie,particulièrement les réseaux à vocation judi-caire peuvent apporter une contribution ma-jeure à cet immense chantier, dont les dernierscoups de force survenus dans un certain nom-bre d’États francophones, notamment africains,démontrent non seulement l’importance maisaussi l’urgence.

I. Définition du concept de « reforme du sys-tème de sécurité »

A. Définition du système de sécurité

Les institutions sécuritaires et judiciaires peu-vent provoquer des crises violentes lorsqu’ellestransgressent les droits de l’Homme, échap-pent au contrôle démocratique ou pratiquentla discrimination. Un système de sécurité dé-faillant est source d’instabilité et freine enconséquence le développement. A l’inverse,un système de sécurité voué à assurer le res-pect de l’État de droit, ayant pour vocation degarantir les droits et les libertés de chaque ci-toyen et se conformant à l’obligation de ren-dre des comptes, contribue à la fois à ancrerla démocratie et à prévenir les risques deconflits.

Bien que les définitions du système de sécuritévarient, il existe aujourd’hui un large consensus

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reconnaissant l’importance d’adopter une défi-nition holistique, qui inclut les éléments suivants :

- Les acteurs et institutions étatiques assurant lasécurité de manière opérationnelle, telles lesforces armées (y compris les gardes présiden-tielles) et de gendarmerie, les forces de police,les services de renseignements et de sécuritécivils et militaires, les forces paramilitairestelles les services des douanes ou des eaux etforets, les services des gardes cotes et degardes frontières, les unités de réserve ou lesunités locales de sécurité (service de protectioncivile, gardes nationaux) ;

- Les organes de gestion de la sécurité, les ins-tances de contrôle et les instances d’informa-tion et d’influence auprès de l’opinionpublique. Les organes de gestion comprennentle chef de l’État et les organes consultatifs na-tionaux sur la sécurité, les ministères en chargede la sécurité (Défense, Intérieur, Affaires étran-gères), les organismes en charge de la gestionfinancière (ministère des Finances, services dubudget, Trésor), les services d’inspection et lesautorités indépendantes (médiateur, commis-sion des droits de l’Homme).Les instances decontrôle incluent le Parlement et ses différentescommissions (commissions de défense, de lasécurité intérieure, des finances, d’enquêtesparlementaires) et les organes de contrôle bud-gétaire (Cour des comptes). Les instances d’in-formation et d’influence auprès de l’opinionpublique incluent les medias et les organismesde la société civile organisée (associations,ONG) ;

- Les institutions judiciaires, qui comprennent leMinistère de la Justice, les magistrats, les tribu-naux, les parquets, les barreaux, l’administra-tion pénitentiaire, les commissions de défensedes droits de l’Homme, les représentants de lajustice coutumière et traditionnelle ;

- Les acteurs de sécurité non-étatiques parmi les-

quels figurent les sociétés de sécurité privées,les armées de libération et les guérillas, les mi-lices des partis politiques, les groupements ci-toyens d’auto-défense et de vigilance ;

Enfin, de manière croissante, est soulignéel’importance de tenir compte de l’environne-ment de sécurité, qui renvoie à la fois à l’exis-tence éventuelle de conflits dans les paysvoisins (camps de refugies pouvant être utiliséscomme base de soutien par un groupe armé),au niveau de circulation des armes légères etde petit calibre, mais aussi à l’état des infra-structures, particulièrement des voies de com-munication qui conditionnent souvent lescapacités de contrôle des territoires nationaux.

Cette définition élargie du système de sécuritéest fondée sur le constat qu’aucune institutionde sécurité ne fonctionne en vase clos.

B. Définition de la reforme du système desécurité (RSS)

A la définition large du système de sécurité ré-pond une approche globale des réformes à en-treprendre pour améliorer son fonctionnement :l’expérience démontre en effet qu’il convientd’adopter une approche stratégique, qui arti-cule l’ensemble des réformes engagées dansles différents secteurs.

La réforme des systèmes de sécurité vise à amé-liorer la capacité des pays partenaires à pourvoirà la sécurité de l’État comme de ses populations.Elle a ainsi pour vocation de répondre à l’éventaildes besoins de sécurité d’une société donnée,dans le respect de l’État de droit, de la démocra-tie et des droits de l’Homme, grâce à la promo-tion d’une gouvernance responsable,transparente et efficace des acteurs qui contri-buent à façonner l’environnement sécuritaire d’unÉtat et de sa population.

La RSS contribue directement à l’ancrage d’une

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gouvernance fondée sur la démocratie et le res-pect de droits de l’Homme. De par la restaura-tion de la confiance qu’elle engendre, ellefavorise l’instauration d’un climat favorable à lareconstruction et en conséquence propice audéveloppement. C’est en ce sens que la RSSest un processus politique et non pas une simpleactivité technique. Le soutien à la réforme desappareils de sécurité excède donc largementle seul cadre des activités de coopération plustraditionnelles, centrées sur la défense, la po-lice, le renseignement ou la justice. La RSS im-plique de dépasser l’approche sectorielletraditionnellement retenue afin de développerune approche concertée et holistique quiprenne en considération les interactions et lesinterdépendances existant entre les différentssecteurs d’un système de sécurité. Il est ainsi im-portant de distinguer l’assistance visant à ren-forcer l’efficacité et les moyens opérationnelsdes forces de défense et de sécurité de l’assis-tance vouée à améliorer la gouvernance du sys-tème de sécurité, bien que toutes deuxparticipent de la RSS.

Un certain nombre d’État et d’organisations in-ternationales ont d’ores et déjà adopté uncadre conceptuel définissant leur approche dela RSS. Le comite d’aide au développement(CAD) de l’OCDE (Organisation de coopéra-tion et de développement économiques) adonné une impulsion dès avril 2004 en propo-sant un cadre de référence international définis-sant les principes clés de la RSS, dans le cadredes lignes directrices « Réformes des systèmesde sécurité et gouvernance : principes etbonnes pratiques ». Ce premier document a étécomplété ultérieurement par le Manuel de miseen œuvre intitulé « Soutenir la sécurité et la jus-tice », qui propose des modalités d’actionconcrètes pour les pays partenaires mais aussipour les bailleurs. Le Conseil de sécurité desNations Unies a présenté le 12 juillet 2005 la

RSS comme un volet essentiel des processus deconsolidation de la paix dans les environne-ments post-conflits. En réponse à la demandeexprimée par le Conseil de sécurité et par leComite spécial des opérations de maintien dela paix de l’Assemblée générale, le Secrétairegénéral de l’ONU a remis le 23 janvier 2008un rapport sur l’approche des Nations Unies enmatière de RSS : « assurer la paix et le dévelop-pement : le rôle des Nations Unies dans l’appuià la réforme du secteur de sécurité ». Ce rap-port, dont le Conseil de sécurité a pris note le12 mai 2008, souligne notamment l’impor-tance d’un partenariat avec les organisationsrégionales. La Commission de consolidation dela paix place également la RSS au centre deson action tandis que le PNUD multiplie les pro-grammes de développement comportant une di-mension RSS. Dans le cadre de l’Unioneuropéenne (UE), la Commission a publié enmai 2006 une communication intitulée « Ré-flexion sur l’appui apporté par la Commission eu-ropéenne à la reforme du secteur de sécurité »tandis que le Comite politique et de sécurité(COPS) a adopté en juillet 2006 le « Concept del’Union européenne pour un soutien à la RSS enmatière de politique étrangère et de sécurité com-mune (PESC) ». Les organisations régionales afri-caines, aussi au niveau continental (Unionafricaine) que dans celui des organisations sous-régionales (CEDEAO ; CEEAC notamment) sonten train d’élaborer leurs propres documents dedoctrine en matière de RSS. Enfin, à la suite duRoyaume-Uni, la France vient de rédiger sa pro-pre doctrine en matière de RSS.

La RSS implique des réformes structurelles et delong terme afin de stabiliser durablement le sys-tème sécuritaire d’un pays. La synthèse des dif-férentes doctrines énumérées ci-dessus permetd’identifier comme suit les objectifs poursuivisdans le cadre de la RSS:

- Établir une gouvernance démocratique et

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transparente du secteur de sécurité dans le res-pect des droits de l’Homme et de l’État de droit;

- Améliorer les capacités des institutions de sé-curité et de justice et la qualité des servicesqu’elles fournissent grâce au renforcement duprofessionnalisme, de la compétence et del’éthique des forces de leurs agents ;

- Répondre aux besoins de sécurité de l’Étatcomme des populations ;

- Assurer l’appropriation locale des reformes ;

- Développer des stratégies plurisectorielles sup-posant à la fois la coordination des réformesengagées dans chacun des secteurs du systèmede sécurité et la coordination étroite de l’aideapportée par les bailleurs internationaux .

Un processus RSS ne peut être engagé sans l’ac-cord explicite des autorités de l’État concerné. LaRSS est un processus inclusif qui impose à la foisl’appropriation par les autorités nationales et parles autres acteurs du système de sécurité (Parle-mentaires, société civile organisée, …).

II. Contribution de l’OIF à la RSS

L’existence de systèmes de sécurité dont les ac-teurs développent des pratiques éthiques, pro-fessionnelles et transparentes concourt àl’évidence à la démocratie, à la prévention desconflits, au soutien de l’État de droit et au res-pect des droits de l’Homme que la Charte dela Francophonie se fixe comme objectif priori-taire d’aider à instaurer et à développer. Les Dé-clarations de Bamako et de Saint-Bonifacecomportent quant à elles un certain nombre dedispositions de nature à offrir un cadre à l’in-vestissement de l’OIF dans les questions rela-tives à la RSS.

A. La Déclaration de Bamako

La réforme des systèmes de sécurité peut parti-ciper à la consolidation de l’État de droit, à lagestion d’une vie politique apaisée, à l’intério-risation de la culture démocratique et au pleinrespect des droits de l’Homme que la Déclara-tion de Bamako s’est fixé comme objectif depromouvoir.

1. RSS et démocratie

Le constat établi par le Chapitre I de la Décla-ration de Bamako sur le caractère mitigé dubilan en matière de démocratie et de respectdes droits de l’Homme dans l’espace franco-phone se révèle particulièrement valable en cequi concerne les systèmes de sécurité. En effet,le bilan des pratiques des systèmes de sécuritédes États francophone comporte indéniable-ment des acquis : consécration constitutionnellede la répartition des compétences entre l’exécu-tif et le législatif, mise en place d’organes decontrôle des institutions de défense et de sécu-rité, extension des pouvoirs des Parlements enmatière de défense, émergence d’organisationsde la société civile exerçant un droit de regardsur les questions de sécurité , traitement pluslibre par les medias des questions de défenseet de sécurité, décentralisation de la prise dedécision.

Force est pourtant de constater que ce bilanreste en demi-teinte et contraint à s’intéresseraux nombreuses lacunes qui perdurent : nonrespect des dispositions prévues par les Consti-tutions et autres lois fondamentales en matièrede répartition des compétences entre les diffé-rentes institutions, coups d’état ou tentatives desmilitaires de renverser les gouvernements civilsélus démocratiquement, mutineries, violationsdes droits de l’Homme par les forces de dé-fense comme par les forces de sécurité, immix-tion des forces armées dans la sécurité

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intérieure au détriment des forces de police, ab-sence de respect de la procédure pénale, arres-tations arbitraires ou à caractère politique,crainte inspirée aux populations par les forcesarmées et de police.

La séparation des pouvoirs, la soumission à laloi de l’ensemble des institutions et acteurs encharge de la sécurité ainsi que le respect dulibre exercice des libertés, mis en avant par leChapitre II de la Déclaration (alinéa 2), consti-tuent les fondements élémentaires et indispen-sables d’un système de sécurité démocratique.

L’alinéa 1 du Chapitre III de la Déclarationplaide pour que l’engagement démocratiquede la Francophonie se traduise par des propo-sitions et des réalisations concrètes : le soutienau fonctionnement démocratique des appareilsde sécurité peut permettre de décliner cet en-gagement dans un domaine spécifique et ainsicontribuer à approfondir l’ambition de favoriserune progression constante vers la démocratiedans le monde francophone.

Le constat établi par la Déclaration de Bamakoselon lequel « la démocratie et le développe-ment sont indissociables » (Chapitre III, alinéa3) correspond très clairement au diagnostic éta-bli par les lignes directrices du CAD del’OCDE, qui considère que « la sécurité est fon-damentale pour faire reculer la pauvreté et as-surer la réalisation des objectifs du Millénairepour le développement (OMD) ». (cf. ChapitreII lignes directrices OCDE).

En outre, dans la mesure où la démocratie sejuge avant tout à l’aune du respect scrupuleuxet de la pleine jouissance par les citoyens detous leurs droits civils et politiques, écono-miques, sociaux et culturels, les acteurs du sys-tème de sécurité (principalement les forces depolice et les magistrats) doivent avoir pour pre-mière mission de veiller à ce que les citoyenspuissent jouir de ces droits en toute liberté.

Enfin, l’alinéa 5 du point 3 de la Déclarationde Bamako condamne sans équivoque lescoups d’État et autres tentatives de prise de pou-voir par les armes ou quelque autre moyens il-légal. L’une des vocations de la RSS est dedévelopper la soumission et la loyauté desforces armées au pouvoir civil et démocratique-ment élu.

2. RSS et État de droit

Le soutien de la Francophonie à la RSS peuts’inscrire très clairement dans le droit fil des en-gagements pris par la Francophonie en matièrede consolidation de l’État de droit, tels queconsignés dans le Chapitre IV de la Déclara-tion. Chacun des six principes énoncés dans lepoint A.IV trouve en effet une application dansle domaine de la RSS :

- La définition d’un cadre institutionnel clair pourencadrer les missions des forces de défense etde sécurité, mettant particulièrement l’accent surla séparation des pouvoirs et sur la préémi-nence des civils, participe du renforcement dela capacité et de l’indépendance des institu-tions de l’État de droit (alinéa A.1) ;

- Il revient aux institutions parlementaires d’assu-rer le contrôle démocratique et la supervisiondes forces de défense et de sécurité. Travaillerà garantir l’exercice par les parlementaires deleurs prérogatives en la matière et développerles moyens dont ils disposent pour ce faire peutcontribuer à soutenir le renouveau de l’institutionparlementaire, énoncé à l’alinéa A.2 ;

- l’indépendance de la magistrature et la pro-motion d’une justice efficace et accessible, misen relief à l’alinéa A.3 de la Déclaration serontconfortées par les reformes du secteur judiciairevisant à mettre sur pied une justice impartiale etresponsable, de services de poursuite efficaces,de procédures d’instruction transparentes ;

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- L’abandon de la culture du secret (qui supposeune gestion opaque) au profit de celle de laconfidentialité (qui suppose une gestion asso-ciant certains organes de contrôle) constitueégalement un axe majeur des processus de ré-forme du système de sécurité. Le soutien à cetaxe relève à l’évidence de la mise en œuvredu principe de transparence consigné à l’ali-néa A.4 de la Déclaration ;

- la transparence budgétaire et l’obligation derendre compte de l’utilisation des créditsconsentis aux forces de défense et de sécuritéconstituent le fondement d’une gestion saine dusystème de sécurité et renvoie à la généralisa-tion et à l’accroissement du contrôle exercéspar des institutions impartiales (telles les coursdes comptes) sur tous les organes et institutionsmaniant des fonds publics, que l’aliéna A.5 dela Déclaration appelle de ses vœux ;

- Enfin, un certain nombre de programmes RSSsont impulsés par des organisations régionaleset sous-régionales, en vue de développer la ca-pacité des acteurs de sécurité à faire face àdes conflits ou à des phénomènes sécuritairesqui tendent à s’étendre hors des frontières. Lesoutien à ces programmes régionaux s’inscritdans la volonté de la Francophonie d’appuyerl’action des institutions mises en place dans lecadre de l’intégration et de la coopération ré-gionale, consignée dans l’alinéa A.6.

3. RSS et vie politique apaisée

Un axe important de la RSS consiste à améliorerles capacités de la société civile à surveiller lespolitiques et les pratiques sécuritaires et judiciairesdu gouvernement, notamment en renforçant lecadre réglementaire dans lequel la société civileopère mais aussi en développant des relationsde confiance entre les acteurs de sécurité et cettesociété civile. La construction de larges groupescivils de soutien à la RSS est en accord avec la

recommandation de l’alinéa C.17 du ChapitreIV qui incite à faciliter l’affirmation de la sociétécivile, y compris les ONG, les medias et les au-torités morales traditionnelles, comme acteurs àpart entière d’une vie politique apaisée. La ga-rantie de la liberté de la presse et des medias àtraiter des questions ressortissant à la sécurité ainsique l’amélioration de la couverture médiatiquede ces questions, participent aussi de la promo-tion de la liberté de la presse, mise en avant àl’alinéa C.18.

4. RSS et promotion d’une culturedémocratique intériorisée et plein respect desdroits de l’Homme

Les processus de RSS visent à disposer deforces de défense et de sécurité à la fois com-pétentes et professionnelles : cet objectif est loinde supposer uniquement la maitrise de savoir-faire techniques mais implique également quel’action des forces soit guidée par les exigenceséthiques de respect de la démocratie. L’ensei-gnement traditionnel des Conventions de Ge-nève et du droit international humanitaire dansles écoles militaires doit être complété par desformations sur la sécurité humaine et les droitsde l’Homme. Une telle instruction participe dela promotion au sein des forces armées et depolice de la culture démocratique intérioriséepar le biais de l’éducation et de la formation,ainsi que le préconise le point D du Chapitre IVde la Déclaration. Des forces de défense et desécurité professionnelles doivent également êtreexemptes de toute accusation mettant en doutela probité de leur comportement : les manque-ments au respect des droits de l’Homme et touteexaction commise par des militaires, gen-darmes, policiers, agents de renseignement,douaniers doit entrainer l’adoption systématiquede sanctions exemplaires, qui se situent dans ledroit fil de la lutte contre l’impunité préconiséeau point D.22 du Chapitre IV de la Déclara-

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tion, conformément aux poursuites prévues parles instruments juridiques internationaux, au pre-mier rand desquels le Statut de Rome.

La lutte contre les appareils de sécurité mono-ethnique et l’encouragement au respect de ladiversité ethnique et religieuse dans le recrute-ment des effectifs des forces de défense et desécurité, garantes du fonctionnement pluralistedu système de sécurité, est en accord avec l’en-gagement de la Francophonie d’œuvrer en fa-veur des membres des groupes minoritaires,notamment ethniques et religieux (point D.24du Chapitre IV).

B. La Déclaration de Saint-Boniface

La RSS est un instrument qui vise à instaurer unearchitecture sécuritaire rénovée. La RSS s’étendsur un large spectre et a vocation à être mise enœuvre dans les pays relativement stables toutcomme dans les pays en situation de post-conflit. La RSS apparaît donc comme un volet es-sentiel de la prévention des crises comme de lasortie des conflits. En ce sens, il s’agit d’un pro-cessus qui s’inscrit dans l’agenda adopté dans lecadre de la Déclaration de Saint-Boniface qui af-firme la détermination à « concrétiser l’ambitiond’une Francophonie qui, au cours de la décennie2005-2014, entend valoriser son approche etses acquis au service de la prévention et du règle-ment des conflits tout en accompagnant résolu-ment les efforts de la communauté internationalevisant à construire un système international plusefficace, rénové dans ses structures, ses méca-nismes et ses normes ».

Par le point 41 de la Déclaration de Saint-Bo-niface, l’OIF a ainsi pris l’engagement de par-ticiper activement aux débats en cours dans lesenceintes internationales et régionales sur laprévention des conflits, le maintien et la conso-lidation de la paix ainsi que sur la sécurité hu-maine : la RSS est aujourd’hui un concept

discutée et promu dans l’ensemble des en-ceintes internationales impliquées dans les ques-tions de sécurité.

1. RSS et sécurité humaine

Le concept de RSS est fondé sur une définitionélargie de la sécurité, selon laquelle celle-ci nerenvoie pas uniquement à la préservation del’intégrité territoriale et de la souveraineté del’État et moins encore à la défense de la stabi-lité du régime en place. Elle englobe égalementla sécurité physique et le bien-être matériel despopulations, assurées de vivre a l’abri de lapeur comme de la faim. La vocation premièrede la RSS est ainsi d’œuvrer à ce que les sys-tèmes de sécurité soient centrés sur l’être hu-main. Dans un esprit comparable, laDéclaration de Saint-Boniface engage l’OIF àsauvegarder la sécurité humaine (point 13) tan-dis que le point 43 réaffirme l’intérêt des no-tions et des normes relatives à la sécuritéhumaine et à la responsabilité de protéger. Ladéfinition de la sécurité qui sous-tend la RSS re-joint donc largement celle que met en avant laDéclaration de Saint-Boniface qui, tout en sou-lignant dans ses points 1, 2 et 3 l’attachementde la Francophonie au respect de l’intégrité ter-ritoriale, de l’indépendance politique, de lasouveraineté des États et du principe de non-in-gérence dans les affaires intérieures, insiste surla responsabilité qui incombe à chaque État deprotéger les civils sur son territoire ou à la com-munauté internationale d’y pourvoir lorsque lesautorités nationales se révèlent défaillantes oucomplices.

2. RSS et prévention des conflits

Un système de sécurité non-respectueux desprincipes démocratiques et des droits del’Homme porte en germe des risques de

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conflits : la détection en amont des pratiquesabusives des forces de défense et de sécurité etle soutien à des mesures visant à les corrigerpeut permettre de limiter leur potentiel belligène.Les points 4, 5 et 6 de la Déclaration de Saint-Boniface insistent sur la volonté de conforterl’action préventive de la Francophonie initiéepar la Déclaration de Bamako tandis que lepoint 8 invite l’OIF à consolider ses capacitésd’analyse en s’appuyant sur les réseaux d’infor-mation et de concertation ainsi que sur les ré-seaux de l’Agence universitaire de laFrancophonie, afin de poursuivre les réflexionssur les causes et les facteurs de conflictualité.De telles dispositions sont tout à fait en accordavec l’approche de la RSS consistant à menerune démarche exploratoire afin de détecter enamont les pratiques des acteurs et institutions sé-curitaires susceptibles d’attiser les tensions ausein d’une société donnée.

3. RSS et consolidation de la paix

Le point 10 de la Déclaration met l’accent surla volonté de l’OIF de mettre à profit son expé-rience en matière d’accompagnement des pro-cessus de sortie de crise et de transition etl’appelle à systématiser sa démarche dans cedomaine. Si la RSS a avant tout une vocationpréventive, elle trouve bien entendu sa princi-pale application dans les environnements post-conflictuels.

L’OIF affirme aux points 13 et 15 sa volonté detravailler de manière concertée avec la Com-mission de consolidation de la paix de l’ONU: or, celle-ci est appelée à s’investir sans cessedavantage dans les processus de RSS - commeelle le fait déjà au Burundi, en Sierra Leone eten Guinée Bissau - en coopération avec leDOMP et le PNUD. Dans ces cadres, la RSSparticipe très clairement des processus de ré-conciliation nationale. Les pays qui émergent

de conflits ont souvent pour priorité la mise enplace de nouvelles institutions sécuritaires et ju-diciaires : en effet, dans les situations post-conflit, l’urgence immédiate impose d’assurer lasécurité physique des populations. Les accordsde paix, lorsqu’ils comportent des mesures rela-tives à la RSS, facilitent l’émergence d’un es-pace politique dans lequel seront mises enœuvre les décisions difficiles de la réforme,telles la restructuration des forces armées, l’inté-gration en leur sein des anciens combattants re-belles démobilisés ou encore la mise en placed’une justice transitionnelle. A plus long terme,la construction d’une paix durable passe parune approche stratégique qui appréhende laRSS comme une partie intégrante de la planifi-cation des programmes de stabilisation, vouésà favoriser le développement.

Les points 16 et 17 de la Déclaration réitèrentla volonté exprimée par la décision d’Antana-rivo visant à assurer la participation des paysfrancophones aux opérations de maintien de lapaix (OMP). Le développement des capacitésdes appareils de défense à mener des opéra-tions de maintien de la paix fait partie des me-sures de restructuration envisagées dans lecadre de la RSS, particulièrement lorsque cesprocessus sont menés en lien avec les organi-sations régionales et sous-régionales qui s’in-vestissent dans le maintien de la paix (Unionafricaine, CEDEAO, CEMAC, CEEAC parexemple). La formation des armées mais aussides forces de police et de gendarmerie auxOMP constitue ainsi un axe important de laRSS dans un certain nombre de pays. Ils’avère également que certains pays disposantd’un appareil de sécurité professionnel (aussibien terme d’opérationnalité que d’éthique ducomportement) ont largement développé lescompétences de leurs forces de défense et desécurité au maintien de la paix : la formationau maintien de la paix fait donc figure d’élé-

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ment stabilisateur des forces armées. Les for-mations au respect des droits de l’Homme et àla sécurité humaine dispensées dans le cadredu programme français RECAMP et du pro-gramme canadien PAIM ont largement contri-bué à la diffusion de ces principes auprès desforces armées africaines. Les formations aumaintien de la paix, qui mettent particulière-ment l’accent sur la nécessité de protéger lescivils, particulièrement les femmes contre lesabus sexuels, contribuent à améliorer le com-portement des militaires et des policiers,conformément aux objectifs de la RSS. Le pro-gramme RECAMP quant à lui accorde désor-mais une part de plus en plus importante à laRSS dans le cadre des séminaires qu’il orga-nise. Enfin, les misions de paix de plus en plusintégrées mises en place par les Nations Uniescherchent a assurer la continuité entre la ges-tion à court terme des crises et la gestion àlong terme des programmes de développe-ment dont relève la RSS.

Il apparaît par ailleurs qu’un certain nombre deprocessus RSS menés dans des pays franco-phone se sont heurtés à un certain nombre dedifficultés du fait de l’absence de maitrise de lalangue française par les experts déployés. Leplus souvent, ces mêmes experts ne maitrisaientpas non plus les spécificités propres aux sys-tèmes sécuritaires francophones, particulière-ment les particularités des forces degendarmeries et des systèmes juridiques de tra-dition romano-germanique. Conformément aupoint 19 de la Déclaration de Saint-Bonifacequi insiste sur l’importance de sensibiliser à lanécessité de maitriser la langue de communica-tion en usage dans le pays du déploiementd’une OMP, il convient également que l’OIFfasse valoir l’importance de déployer des per-sonnels maitrisant le français dans les processusRSS : l’identification et la mise sur pied d’un vi-vier d’experts francophone, aptes à être dé-

ployés dans des missions RSS sous l’égide del’ONU, de l’UE, de l’UA ou d’une organisationsous-régionale, apparaît comme nécessaire.

La Déclaration de Saint-Boniface en son point22 affirme également son appui au Programmed’action pour prévenir, combattre et éradiquerle commerce illicite des armes légères et depetit calibre (APLC) et appelle les États membresde la Francophonie à renforcer leur coopéra-tion en la matière. Le point 34 engage la Fran-cophonie à faciliter les processus DDR(Désarmement, démobilisation, réinsertion) dansles pays sortant de conflit, particulièrement lesprogrammes visant à la réintégration des en-fants soldats dont l’enrôlement est condamné aupoint 32. La plupart des programmes decontrôle des APLC ainsi que les programmesDDR impliquent la collaboration avec les diffé-rents acteurs des systèmes de sécurité : les pro-grammes ALPC et DDR sont des pointsd’ancrage potentiels importants pour la RSS etvice versa. La synchronisation des programmesde réduction du nombre d’armes, souvent eux-mêmes liés aux programmes de DDR, avec laréforme de chacun des secteurs de sécurité etde défense est cruciale pour la réussite d’unprocessus SSR.

4. RSS et participation de la société civile

L’apport des femmes est conçue comme indis-pensable pour le succès des processus RSS.L’approche RSS est ainsi particulièrement atten-tive au rôle des femmes aussi bien à leur parti-cipation sur une base d’égalité à la gestion età la mise en œuvre des politiques de défenseet de sécurité qu’ à leur contribution à la super-vision de ces politiques, notamment dans lecadre des activités déployées en ce sens parla société civile organisée. Cette importanceaccordée par la RSS au rôle des femmes esttout à fait en accord avec les points 35, 36 et

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37 de la Déclaration de Saint-Boniface qui met-tent l’accent sur le rôle et la participation desfemmes dans les mécanismes de prévention, degestion et de règlement des conflits.

Le point 38 de la Déclaration affirme, toutcomme la Déclaration de Bamako, le rôle cen-tral que les medias, acteurs très importants dansles mécanismes de contrôle des forces de dé-fense et de sécurité, sont appelés à jouer dansla prévention des conflits, notamment dans lesprocessus de d’observation, d’évaluation,d’alerte précoce et de réconciliation.

C. La Déclaration de Québec

La Déclaration de Québec adoptée en octobre2008, a très clairement engagé les Chefs d’Étatet de gouvernement de la Francophonie à « s’im-pliquer dans les débats relatifs à la RSS », confir-mant ainsi le rôle majeur que la Francophonie estappelée à jouer. Afin de donner corps à ce man-dat, l’OIF a élaboré sa propre doctrine qui situerésolument l’intervention de l’Organisation commeune contribution à la « gouvernance démocratiquedes systèmes de sécurité ».

L’OIF a par ailleurs réfléchi aux moyens de mo-biliser les compétences et expertises de ses 14réseaux institutionnels en vue de promouvoir lagouvernance démocratique dans les différentssecteurs qui composent les systèmes de sécurité.

FRANCOPOL (réseau francophone internatio-nal de formation policière) pour soutenir les pro-cessus de réforme des forces de police, dont lerôle doit devenir de plus en plus important sil’on entend mettre en terme à la militarisationde la gestion de l’ordre publique, qui caracté-rise encore aujourd’hui nombre de pays afri-cains francophones ;

L’AISCCUF (Association des institutions supé-rieures de contrôle ayant en partage l’usage dufrançais) peut contribuer à favoriser la transpa-

rence dans la gestion des finances publiquesqui doit caractériser le système de sécurité aumême titre que les autres secteurs.

Le REFRAM (Réseau francophone des régula-teurs des medias) peut contribuer à accroitre lecontrôle public et le professionnalisme dans letraitement des questions de sécurité ;

L’AOMF (Association des Médiateurs et Om-budsmans de la Francophonie) peut aider à ré-fléchir aux moyens d’assurer la médiation desdemandes sociales exprimées par les person-nels des forces de défense et de sécurité ;

L’AFCNDH (Association francophone des Com-missions nationales de promotion et de protec-tion des Droits de l’Homme) peut apporter sonconcours aux actions de sensibilisation desforces armées et de sécurité aux Droits del’Homme.

Il convient ici d’insister particulièrement sur lacontribution qui peut être faite par les réseaux ins-titutionnels francophone à vocation juridique : l’im-plication de réseaux institutionnels tels l’ACCPUF(Association francophone des Autorités de protec-tion des données personnelles) ; AHJUCAF (Asso-ciation des hautes juridictions de cassation ayanten partage l’usage du français) ; AAHJF (associa-tion africaine des hautes juridictions franco-phones), Section francophone de l’AIPP(association internationale des procureurs et pour-suivants ; CIB (Conférence internationale des bar-reaux de tradition juridique commune) ; RF2D(Réseau francophone de diffusion du droit) ou l’As-sociation du notariat francophone, permettra decréer les liens indispensable entre la réforme dessystèmes de sécurité et la réforme de la justice.

Il est en effet de plus en plus unanimement reconnuque la gouvernance démocratique des systèmesde sécurité exige l’existence d’un système juri-dique et judiciaire impartial, indépendant et res-ponsable ainsi que des services de poursuiteefficaces.

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Il est cependant très important de veiller à nepas fondre de manière intégrale les processusde réforme de la justice dans les processus deréforme du système de sécurité. Il faut cesser decroire que l’approche RSS peut intégrer tous lesaspects de la réforme de la justice. Il est en re-vanche important de mener de manière étroite-ment coordonnée la réforme d’un certainnombre de volets qui relèvent à la fois du sec-teur de sécurité et du secteur de justice. En lienavec la réforme des autres secteurs qui compo-sent les systèmes de sécurité, la réforme du sec-teur de justice doit ainsi en priorité viser :

- l’amélioration du fonctionnement de la justicepénale (services de police et le système péniten-tiaire). Il est nécessaire d’améliorer le profes-sionnalisme de certains agents de sécurité enl’occurrence les policiers et les gendarmes quiconstituent un levier important de la justice autitre de leur qualité d’auxiliaires de justice no-tamment en matière pénale ;

- le renforcement du rôle des institutions juri-diques et judiciaires dans le contrôle des insti-tutions sécuritaires (particulièrement en ce quiconcerne l’utilisation du pouvoir coercitif del’État selon les limites appelés par le respect deslibertés individuelles et des droits de l’Homme) ;

- l’amélioration de la gestion et de l’administrationdu système judiciaire, y compris celui péniten-tiaire. De ce point de vue, il est important d’œu-vrer en faveur de la réduction de l'incarcérationet de la simplification de la procédure civile ;

- la promotion de la sécurité juridique, liée auxquestions de droit de propriété (notamment fon-cière) qui non seulement sont fondamentauxpour la protection des Droits de l’Homme etdont les violations sont en outre à l’origine d’ungrand nombre de conflits. De ce point de vue,le rôle du notariat apparait particulièrement im-portant l’harmonisation des pratiques tradition-nelles avec le système juridique et judiciaire

formel dans certains pays de l’espace franco-phone, notamment en Afrique.

Il convient de ne pas réduire les processus deréforme du secteur de justice (RSJ) à ces seulsaspects fondamentaux certes, mais d’avoir bienconscience que ceux-ci qui ne constituent que l’undes volets des processus de réforme de la justice.Il convient en effet d’être extrêmement vigilant pourque l’étroit et indispensable lien existant entre ré-forme des systèmes de sécurité et réforme de lajustice ne se traduise pas par la sécurisation pureet simple de cette dernière, qui se traduirait sinonpar l’abandon, du moins par la marginalisationde réformes judiciaires essentielles sans lien avecle secteur de sécurité mais néanmoins essentiellespour assurer l’indépendance de la magistrature etun accès équitable à la justice.

L’Institut national de la magistrature et lacoopération internationaleL'honorable Brian W. LENNOX, directeurde l'Institut national de la magistrature(INM)

Monsieur le Président,

Je vais vous parler ce matin de la Coopérationinternationale dans le domaine de la formationjudicaire vu à travers la lentille de l’Institut natio-nal de la magistrature canadien.

L’INM est une institution indépendante, nongouvernementale, à but non lucratif, créé en1988 : Cette création était l’initiative du trèshonorable Brian Dickson, juge en chef de laCour Suprême du Canada, qui voulait doter leCanada d’un institut national responsable enmajeure partie de la formation permanente desjuges à une époque ou la formation des jugesmanquait d’organisation et de cohérence.

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I. La mission de l’INM

La Mission de l’INM est de renforcer la justiceen jouant le rôle de chef de file en matière deformation des juges.

Je vais ici ouvrir une parenthèse pour soulignerdans un premier temps le fait que le modèle denomination des juges au Canada est le modèlebritannique : il n’existe pas de carrière de jugedans le sens civiliste et les juges sont sélectionnésparmi les avocats qui ont exercé pendant un mi-nimum de dix ans : en réalité, la moyenne d’exer-cice se situe autour de 20 à 25 ans et l’âgemoyen de 50 ans au moment de la nomination.C’est pour cette raison que je traite uniquementde la formation permanente. (Actuellement, ilexiste au-delà de 2 000 juges canadiens.)

Au moment de la création de l’INM, la mé-thode d’enseignement utilisée dans la plupartdes cours de formation judiciaire était le dis-cours magistral en séance plénière et la forma-tion traitait surtout, sinon exclusivement, du droitsubstantiel. On mettait l’emphase sur l’enseigne-ment plutôt que l’apprentissage et la formationcontinue était peu prisée.

II. Valeurs

C’était dans ce contexte que l’INM était man-daté pour développer une formation de qualitésupérieure, développer des ressources à l’inten-tion des juges, promouvoir les valeurs de laCharte canadienne des droits et libertés et sou-tenir la primauté du droit et l’indépendance ju-diciaire.

Au début, le mandat n’était que national et selimitait aux juges canadiens. Mais en 2003,les documents d’incorporation de l’INM étaientamendés afin de lui permettre d’œuvrer à l’in-ternational. À l’extérieur du Canada, et cecipar le biais de son Groupe de la coopérationinternationale, l’INM s’attache à renforcer la

magistrature comme institution clé de gouver-nance démocratique et à soutenir le principede la primauté du droit. L’institut le fait surtoutpar le biais d’un renforcement des capacitésdes Institutions de formation judiciaire et par laformation des juges elle-même.

Mais l’INM ne travaille pas forcément là où ille veut. En l’absence de moyens de finance-ment indépendants, nous nous impliquons nor-malement dans des projets de développementfinancé par un organisme comme l’ACDI(l’Agence canadienne de développement inter-national), souvent dans le cadre d’un pro-gramme de réforme judiciaire.

Le soutien qui est apporté dans ces projets dela part de l’INM est principalement pédago-gique et est fourni par une équipe de juges ca-nadiens expérimentés. Le succès de laparticipation canadienne dépend d’un véritablepartenariat et nécessite une collaboration étroiteavec les juges et les tribunaux du pays hôte.

L’avantage principal de l’Institut national de lamagistrature réside dans le fait qu’il s’agit d’unorganisme dirigé par les juges et dont le travails’axe sur la fonction du juge, s’assurant ainsique ses programmes sont pertinents et pra-tiques. Les programmes nationaux sont conçus,élaborés, raffinés et présentés par des jugesdans un contexte canadien qui est celui d’unpays bilingue et bi juridique. Lorsque le Groupede la coopération internationale travaille àl’étranger, il bénéficie des avantages de cecadre et de cette expérience et profite surtoutde l’expertise et de l’expérience des juges ca-nadiens qui y participent.

L’INM travaille à l’international comme il le faitau Canada. Les programmes internationaux deformation permanente sont dirigés par desjuges et axés sur la fonction du juge, en utilisantles principes de l’apprentissage expérientiel.Pour s’assurer de la qualité des programmes,

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l’INM, aussi bien au Canada qu’à l’étranger,s’applique à la formation des formateurs et àleur l’utilisation.

Au cours des 25 dernières années, la formationpermanente au Canada a beaucoup évolué.Le discours magistral n’a plus qu’une valeur stra-tégique et limitée dans nos programmes. Cesprogrammes sont devenus tridimensionnels, etcontiennent trois éléments essentiels:

- le droit substantiel, qui de plus en plus se situeen arrière plan

- le perfectionnement des compétences

- le contexte social.

Bien qu’un programme particulier vise surtoutun de ses trois dimensions, il contient toujoursles deux autres éléments.

De ces trois dimensions, celle qui a révolutionnéla formation permanente des juges, et ceci de-puis 20 ans, est le contexte social. Si vous mepermettez d’ouvrir une autre parenthèse, on vaparler un peu de l’histoire du Canada. Lors despremières colonisations du Canada aux 17e et18e siècles, les immigrants venus au pays pro-venaient de deux sources principales : les Îlesbritanniques et la France. Au cours du 20e siè-cle, la population canadienne, était donc rela-tivement homogène. Au cours du 20e siècle, lesmodèles d’immigration traditionnels étaient rem-placés par une diversité d’origines jusqu’alorsinconnue au Canada. Des vagues successivesd’immigration de pays et de populations diversont créé au Canada, et surtout dans ses villes,une diversité de population exceptionnelle. Onprédit même qu’en 2017, au rythme actueld’immigration et de croissance, la soi-disant mi-norité visible deviendra majoritaire à Toronto età Vancouver, respectivement la première ville etla troisième ville du pays.

Cette diversité de population, de race, de reli-gion, de culture et de langue fait la force du

Canada et joue un rôle important dans sa crois-sance. Pour le système judiciaire, cette nouvellemosaïque canadienne et d’autres changementsde nature plus prosaïque, ont rendu le contexteentourant l’élaboration des jugements encoreplus complexe et ont nécessité un changementdans la méthode pédagogique utilisée pour laformation judiciaire. Il est facile de comprendrecette nécessité de changement. D’abord, lecontexte social s’apprend difficilement enséance plénière et ne s’apprête pas au discoursmagistral. D’ailleurs, à la fin des années 80, ily avait une pénurie sinon une absence presquetotale de lois et de jurisprudence canadiennequi traitait du contexte social, ce qui rendaitl’étude contextuelle par des méthodes clas-siques difficile. D’où la nécessité de nouvellestechniques d’enseignement variées, une nou-velle pédagogie et de nouvelles approches :dont, finalement, l’apprentissage expérientiel,méthode qui prend l’expérience du jugecomme point de départ de l’apprentissage.

L’INM et son Groupe de la coopération inter-nationale utilisent cette approche aussi biendans nos projets internationaux que dans nosprogrammes nationaux. Nous suivons lesmêmes principes, nous poursuivions les mêmesobjectifs et nous utilisons les mêmes méthodes,adaptées au pays. Nous commençons parl’établissement d’un Comité de planification,composé principalement de juges et procé-dons ensuite aux deux éléments les plus impor-tants : l’identification des besoins etl’établissement des objectifs. Ces étapes sontsuivies par la planification du programme,l’identification des membres de la faculté (jugeset non juges), développement des ressources,présentation du programme et évaluation.

Nous avons travaillé ainsi avec des juges et desInstituts de formation permanente au Ghana, auxPhilippines, au Rwanda, en Amérique latine, enChine, en Russie, en Ukraine, au Pakistan et en

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Éthiopie dans une série de programmes de coo-pération, de soutien, de développement et derenforcement. Nos programmes s’appellent di-versement : projet de renforcement des liens juri-diques, soutien aux initiatives de réformejudiciaire, programme de partenariat judicaire,projet de coopération judiciaire, et projet de ren-forcement institutionnel et de développement descapacités des services juridiques. Le travail sefait dans le respect des traditions et de la culturejuridique, sous le contrôle et à la demande despartenaires judiciaires. Les solutions sont des so-lutions nationales plutôt que canadiennes et nousavons énormément appris des nos partenaires etcollègues internationaux. Et l’INM et les jugescanadiens qui participent à la formation à l’inter-national se sentent privilégiés de pouvoir œuvrersur la scène internationale. Voilà qui complèteun bref aperçu du travail international de l’INM.

Nous ne sommes évidemment pas le seul orga-nisme de formation judiciaire à travailler àl’étranger et nous reconnaissons que noussommes loin d’être ou le premier ou le plus im-portant. Toutefois, par le biais des échangesavec d’autre pays et d’autres organismes de for-mation judiciaire, par des liens informels et parle travail de l’IOJT (l’Organisation internationaledes organismes de formation judiciaire), il y aune espèce de normalisation dans les pratiquesdans la formation judiciaire qui s’opère.

Ainsi, pour revenir au thème du congrès, bienqu’on ne puisse pas dire que la formation judi-ciaire mène à une internationalisation du droit,on peut toutefois parler d’une tendance internatio-naliste grandissante dans la formation judiciaire.

Présentation du Rapporteur généralMonsieur le Président Saliou Aboudou,Président de la Cour suprême du Bénin etde l’Association Africaine des Hautes Juridictions Francophones, etvice-président de l’AHJUCAF

L’honneur me revient de clôturer pratiquementnos travaux puisque, représentant le rapporteurgénéral de notre congrès, il a la lourde respon-sabilité de présenter la conclusion de cette réu-nion. Tout le monde connaît le ProfesseurRaymond Ranjeva. Il a une dimension nationaleet internationale impressionnante. MonsieurRanjeva est agrégé de droit, professeur. Il a euà présider la Cour Internationale de Justice dansune chambre qui a eu à connaître des diffé-rends entre le Bénin et le Niger. Voilà que jesuis Béninois et que le Président de cette cham-bre a eu l’audace d’empiéter le Bénin de 10000km². Je ne sais pas si c’est l’occasion dedemander une révision de ce procès, mais siles décisions de la Cour de justice ont l’autoritéde la chose jugée, je n’ai aucune chance defaire reprendre la procédure.

Monsieur le Professeur, en même temps juge, ades activités multiples au plan national et inter-national. Il est même conseiller juridique del’institution justice et paix du pontificat. Toutesses compétences avérées et les expériencesqu’il a eues dans tout son parcours, non seule-ment universitaires, mais aussi dans ses fonc-tions de juge, font de lui l’homme qu’il fallaitpour tirer les conclusions de cette réunion.

Monsieur le Professeur, j’ai l’honneur de vousinviter à prendre la parole et à nous présenter,dans un rapport certainement assez substantiel,le fruit de nos réflexions pendant ces quelquesjours. La problématique de la réunion avaitdéjà été posée par le doyen de l’université deMcGill. Par rapport à cette problématique, queretenons-nous, en nous quittant ?

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Rapport de synthèseMonsieur Raymond RANJEVA, vice-président honoraire de la Cour internationale de Justice

Merci Monsieur le Président.

Permettez-moi de vous exprimer toute ma recon-naissance pour la présentation chaleureuse etélogieuse que vous avez bien voulu me faire enme rappelant peut-être un des épisodes quiaura marqué les relations entre mon pays et levôtre : le problème de la délimitation terrestre,insulaire et fluviale entre le Bénin et le Niger.

Je voudrais vous assurer d’une chose, et là, dela part d’un juge de la Cour Internationale deJustice, c’était une satisfaction, non pas d’avoirdonné raison ou tort à l’une des deux parties,mais d’avoir amené les deux parties à retrouverles termes de leurs différends dans le cadred’un langage qui tient compte non seulementdes circonstances de fait, des circonstances dedroit, mais également des arguments exposéspar les uns et les autres. En toute conscience, jevous avouerai qu’on ne pouvait pas faire mieuxet je suis heureux d’apprendre qu’après l’arrêt,les deux parties ont célébré les retrouvailles.Chacune a estimé n’avoir pas perdu, je ne dispas avoir gagné mais n’avoir pas perdu. Ceciparaissait fondamental puisque cet arrêt, dansla jurisprudence de la Cour Internationale deJustice, s’inscrit dans une évolution de construc-tion juridique où les problèmes d’évolution terri-toriale en soi doivent être envisagés dans uncadre holistique, diraient d’autres parties, maisdans un cadre très particulier où les portes sontouvertes, rien n’est fermé. Si je peux formulerun souhait, c’est que cette décision favorise ledéveloppement de la fraternité, de la coopéra-tion entre les deux parties, car cette fraternité jel’ai vécue avec les deux parties, avec les deuxdélégations pendant la durée des audiences etla durée des affaires. Aussi, Monsieur le Prési-dent, suis-je reconnaissant à votre délicate at-

tention lorsque vous m’avez offert, en évoquantcette question, la possibilité de revenir sur undossier qui m’a tenu à cœur.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,vous serez surpris que, contrairement aux tradi-tions qui se sont instaurées au cours de ce col-loque, je vous appelle Mesdames et Messieurs.Tout simplement, à la Cour Internationale de Jus-tice, au moment où vous prenez vos fonctions,vous devez choisir votre langue officielle, lalangue dans laquelle vous travaillez et dans la-quelle on communique avec un juge. En choi-sissant le français, le protocole nous impose denous limiter à la seule appellation de « Mon-sieur », « Madame », « Monsieur frère du Roi »alors que les juges d’expression anglaise béné-ficient de la qualité de « His excellensy », ou «her excellensy judge ». Nous c’est « son excel-lence Monsieur » tout court et nous en sommesheureux. Aussi, si j’ai offensé votre dignité, j’aitenu à vous en donner la raison et l’explication,Mesdames et Messieurs.

Il fallut un calculateur et ce fut un danseur quil’opta. Je ne voudrais pas faire une allusion àune situation particulière, mais ces propos de Fi-garo me viennent à l’esprit et expriment à justetitre mes sentiments personnels lorsque j’ai eu àpréparer ce rapport général au terme de nosharassantes journées de travail sur le thème «Internationalisation du Droit, internationalisationde la Justice ».

Lorsque notre secrétaire général, le Président Jean-Louis Gillet, m’a fait le grand honneur de m’inviterà présenter le rapport général, j’étais à mille lieuesde penser que j’ai commis peut-être une grosseerreur, une grande et grave erreur, plus par incons-cience que pour toute autre raison. Je lui suis re-connaissant de m’avoir offert l’occasion deconnaître d’abord l’AHJUCAF dont j’ai beaucoupentendu parler grâce à mes fréquentations au seinde l’Organisation Internationale de la Francopho-nie et dans le monde judiciaire et juridique de la

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francophonie, mais également dans le cadre desrencontres que nous avons eues avec les profes-seurs de droit, d’expression française, qui ont àvotre égard le plus grand respect et la plus grandeestime. Ce privilège de vous avoir connus repré-sente pour nous une occasion unique de vivre lavie, les problèmes, de discuter et de partager desmoments chaleureux d’amitié et de fraternité avec,bien-sûr, ceux qui vivent le droit au quotidien, maissurtout avec ceux qui sont appelés par leurs fonc-tions, à définir une politique judiciaire et juridique.L’État moderne, l’État nouvellement indépendant,comme l’État tout court se doit d’avoir une penséepolitique et une pensée de politique sur le plan ju-ridique et sur le plan judiciaire. Merci Monsieur lePrésident pour ce privilège.

Seulement, je vous ai parlé d’inconscience,d’abord, parce que je ne suis que professeur.J’ai été juge mais dans des circonstances parti-culières et dans une juridiction particulière, maiscomme professeur - car c’est quand même mapremière nature - je me considère comme untiers extra penitus au sein de cette auguste as-semblée. Pendant ces journées et ces heures detravail, plus que jamais, j’ai eu l’occasion devérifier le bien fondé de la plaisanterie selon la-quelle, pour un professeur de droit, une déci-sion judiciaire n’a d’intérêt que pour autant qu’ilsoulève des problèmes. La joie du professeurest d’imaginer, de trouver des problèmes dansune décision judiciaire, quitte à ne se référerqu’au sommaire et aux commentaires ou auxrésumés publiés à caractère officiel, mais iltrouve des problèmes qui parfois surprennent lejuge qui lui a participé directement à la rédac-tion, ou à la conception, ou plus exactementau pilotage de la décision.

Pour un juge, une décision n’a de sens que s’ilclôt définitivement le différend entre les partieslitigantes, clôturer aussi bien les débats que lasolution à prescrire pour le règlement du litige.Or, nous nous retrouvons dans deux univers ab-

solument différents et vous permettrez qu’à laprésente occasion, ce soit le professeur quiparle et non votre collègue juge car commejuge, j’ai plus à apprendre de vous qu’à vousraconter des contes ou à vous enseigner cequ’est la fonction de juge.

Ensuite, je suis inconscient parce que je suisd’abord publiciste. Je ne suis que publiciste ausens de spécialiste un peu porté vers le Droit in-ternational public, alors que tout le débat, au-quel nous avons participé, s’intéresse à cequ’est le Droit international privé. Certes, on as-siste à un spectacle quelque peu surprenant,parce que vous demandez à suivre vos travauxsi le vrai Droit international n’est pas le Droit in-ternational privé, dans le sens où ce Droit inter-national privé affecte directement la vie descitoyens, à la limite sans passer par la média-tion ou l’intermédiaire de l’État. Alors que leDroit international public s’intéresse à deschoses généreuses, grandioses et il s’articulesur le credo même de l’ordre international rap-pelé à l’article 2 paragraphe 7 ou 7ème para-graphe de l’article 2 de la Charte desNations-Unies : la non-ingérence est le principede la souveraineté de l’État nation dans saconception westphalienne telle qu’elle a étéévoquée tout à l’heure.

Ce sentiment, je ne dirais pas d’exclusion maisd’extranéité par rapport aux travaux de ce pré-sent congrès, est si vrai que la Cour Internatio-nale de Justice, qui représente, me semble-t-il,dans l’ordre juridique, le principal organe judi-ciaire des Nations-Unies, et que la doctrineanglo-saxonne appelle la Cour mondiale, laCour du monde entier, the world Court, n’a étévisée que par deux fois tout au long de ces jour-nées, malgré les 81 printemps de la Cour.

Je suis amené à solliciter votre indulgence dansle cadre de ce rapport s’il y a discordance, di-chotomie ou tout simplement erreur de castingou d’aiguillage dans le cadre de la rédaction

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de ce travail, car je suis amené à solliciter l’in-dulgence de ceux qui rendent la justice pour lescitoyens face aux errements de votre serviteurqui avoue tout simplement sa méconnaissancede la matière.

Enfin, je crois que j’ai commis une erreur fonda-mentale, parce que tout compte fait, le sujet estimmense. C’est une donnée d’évidence lorsquevous parlez d’internationalisation, lorsque nousparlons d’internationalisation, voire de mondiali-sation, cette réalité recouvre toute la vie quoti-dienne et face à ce que j’appellerais cette visiontotalitaire de l’internationalisation, la tentation del’impuissance pour résoudre les problèmes ainsique l’isolement représentent des risques graves,des risques contre lesquels nous nous sommes re-trouvés ce soir, ce matin, pour examiner le pro-blème du Droit international dans ses relationsavec le droit et avec la justice.

Le point de départ de notre réflexion est uneconstatation de fait qui relève d’une donnéed’évidence et d’une vérité première : le déve-loppement de l’internationalisation qui est unedonnée immédiate à la conscience dans lemonde contemporain.

Dans la discipline que nous avions à examiner,l’internationalisation embrasse deux branches.D’une part, l’internationalisation du droit et l’in-ternationalisation de la justice. A juste titre, je lereconnais et j’apprécie la subtilité et l’habiletédes organisateurs et du comité scientifique decette rencontre, le congrès a articulé ses tra-vaux, ses recherches autour d’une approcheanalytique de développement de ces notions.On s’est attaché dans le cadre de ces diffé-rentes communications, du rapport introductif,des réponses aux questionnaires qui ont été dif-fusés auparavant, nous avons eu à examiner demanière exhaustive et satisfaisante le déploie-ment de l’internationalisation dans ces deuxbranches. Pour cette raison, il me paraît inutile,par respect pour l’auditoire, car si je commen-

çais à résumer ou même à faire la synthèse dece qui a été écrit, dit sur le plan technique, ceserait croire et faire croire que vous n’avez ni lu,ni suivi les travaux de ce colloque. A cette fin,nous utiliserons les nouvelles technologies et onrenverra les participants aux investigations, auxtravaux, à l’enquête sur les travaux qui serontpubliés dans la toile.

Pour ma part, je pense qu’il ne s’agira pas,dans le cadre de ce rapport, de faire un ré-sumé. Un résumé n’a strictement aucun sens austade actuel et compte tenu du niveau non seu-lement de compétences des participants, maisdu niveau de qualité des prestations et égale-ment du niveau des discussions. Il ne s’agirapas non plus de faire un exposé ayant un ca-ractère technique, parce que ce caractère tech-nique est tellement mystérieux, tellementinterrogatif qu’au fond, ce qui me paraît per-sonnellement utile dans le cadre de ce dialogueque nous pensons organiser à partir du col-loque, c’est l’approche et la maîtrise d’une pro-blématique qui nous permette non pas dedécrire ce qui est, mais qui nous permetted’avancer en ayant une vision prospective dansle cadre d’une pensée juridique évolutive, dansun univers de création perpétuelle qui vise avanttout l’efficacité et les performances dans lecadre de ces opérations.

C’est un choix, Mesdames et Messieurs, vouspourrez me le reprocher, mais ayez quandmême de la compassion pour le juriste, le publi-ciste qui sommeille en moi dans le cadre de cedifférent colloque. C’est pour cela qu’aprèsavoir entendu le rapport introductif, les exposésde ce matin, il serait présomptueux de vouloirajouter quelque chose. Tout a été dit et pour mapart, je pourrai m’arrêter à ce niveau et consi-dérer la question comme close.

Seulement, par delà une démarche analytique,il me paraît utile de nous engager sur une ap-proche fondée sur l’examen de l’interaction ré-

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ciproque qui existe entre internationalisation,droit et justice, voire notamment comment, par-delà les formules, les spectacles de prestidigita-tion et par respect pour les auteurs deprestations et pour les participants, on se rendcompte que le problème reste entier. En es-sayant prima facie de simplifier les termes duproblème, on a deux propositions qui seraientsusceptibles de décrire cette interrelation entreces trois notions : internationalisation, droit, jus-tice, juge.

D’abord, l’internationalisation du droit n’im-plique pas nécessairement l’internationalisationde la justice, tandis que l’internationalisation dela justice implique l’internationalisation néces-saire et préalable du droit. Arrêtons-nous un ins-tant sur ces deux propositions. Lorsque nousessayons d’examiner la validité de ces deuxpropositions, on se rend compte que le centrede gravité de toute la problématique est articuléautour de la personne et de la fonction du juge,et en particulier du juge national qui est chargéd’administrer et d’exécuter la justice.

Dans la première proposition, nous avons deuxpoints importants : d’abord, nous observonsque l’internationalisation du droit ne dépouillepas le juge de ses attributions en matière d’in-terprétation et d’application des règles de Droitinternational. Parfois même, le droit internatio-nal, notamment conventionnel, donne compé-tence directe et immédiate au juge pourappliquer sur le plan interne la règle de Droit in-ternational au profit des individus et des per-sonnes. C’est une tendance que nous relevonsdans la pratique aussi bien de Droit internatio-nal public que de Droit international privé.

Cette observation nous amène à relever quedans la mise en œuvre, il faut envisager systé-matiquement d’une part le destinataire de larègle de droit, vérifier à qui s’adresse la règlede Droit international : à l’individu ou à l’État,ou à un autre sujet de Droit international et en-

visager également le pouvoir et la compétencereconnus au juge dans le cadre de l’exercicede sa mission pour l’interprétation et l’applica-tion du Droit international. Ceci me paraît fon-damental, parce que sur ce plan, s’agit-il d’unequestion de formation, d’une interprétation po-litique de la fonction du juge par rapport aupouvoir exécutif ou tout simplement d’un pro-blème de définition des sphères d’applicationet d’identification d’espaces pour lesquels larègle de droit s’applique, et la règle de droitest destinée. Il me semble que ce qui est impor-tant, c’est moins d’envisager une question dedoctrine, un débat théorique, qu’une meilleureidentification pratique des implications directesde l’application de la règle de droit.

Cette observation résulte, me semble-t-il, d’unepratique que nous avons connue lorsque nousavions eu à examiner le problème des mesuresconservatoires en matière de condamnation àmort aux États-Unis d’Amérique devant la Courinternationale de justice. On s’est rendu compteque lorsque l’on demandait au gouvernementde faire le nécessaire pour que la décision fi-nale respectât les prescriptions de la conventioninternationale, le service minimum apparaissaitcomme étant de rigueur. Le service minimumconsistait alors à :

1. Décrire tout simplement une morale d’inten-tion, notifier la décision au dernier juge pourlui expliquer ce que la cour demandait.

2. Dans le cadre de cette opération, le gou-vernement fédéral ne se sentait pas responsa-ble de l’exécution effective des prescriptions dela convention.

La Cour a été alors amenée à deux reprises àinsister sur le fait qu’il ne s’agissait pas de se re-trancher derrière une morale d’intention, maisque la Cour était en droit d’exiger une moralede résultat avec un comportement pour que cequi fut droit fut respecté et effectif. Ceci impli-

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quait alors une reconnaissance dans le cadre del’autonomie du juge et de sa compétence et dansle respect de son indépendance reconnaissait unpouvoir d’interprétation qui fut un pouvoir auto-nome doté de la plénitude des attributions. Évi-demment, la difficulté tenait au fait que le pouvoirn’est pas comme on disait autrefois une pileWonder, le pouvoir, parfois, s’arrache car le pou-voir est celui que vous croyez détenir et que lesautres acceptent et vous l’octroient.

S’agissant maintenant de la seconde proposi-tion, on observera que l’internationalisation né-cessaire et préalable représente une conditionindispensable à l’internationalisation de la jus-tice et que cette dernière s’inscrit aussi biendans la forme et la procédure que dans le fonddu droit. La gamme des possibilités est ouverteet nous avons ici entendu les différentes tech-niques mises en œuvre et déployées dans lesdifférents systèmes et pratiques. Je pense quesur ce plan, on peut faire confiance à la fécon-dité de la créativité des juristes et des diplo-mates pour mettre en place des mécanismes dedroit conventionnel qui puissent satisfaire ceproblème.

Lorsque l’on examine ce phénomène d’interna-tionalisation de la justice, il faut avoirconscience, et me semble-t-il, l’occasion nousest offerte, de la nature véritable de la fonctionde juger et notamment au niveau des Cours su-prêmes. Directement, les juridictions, en fonc-tion directe de leur hiérarchie dans le systèmejudiciaire, participent à l’accomplissement parl’État de l’exercice de son pouvoir régalien. Jene sais pas comment traduire en anglais la no-tion de pouvoir régalien, mais on relève uneconclusion, c’est la place du souverainisme etde la souveraineté de l’État dans l’exercice in-ternational de la fonction de juge. Et c’est unedonnée dont il faut tenir compte, non seulementen termes de protection du système juridiquenational, l’État restant quand même la pierre an-

gulaire de la construction et de l’institution interna-tionale, mais aussi en termes de création parceque comme juge suprême, il vous revient d’assu-rer une fonction pédagogique à l’adresse des ins-titutions judiciaires, mais également à l’adressedes pouvoirs publics et des institutions de l’État.

En effet, si la séparation des pouvoirs se traduitpar la reconnaissance d’un pouvoir judiciaireautonome, il ne faut pas sous-estimer l’impor-tance du pouvoir judiciaire dans le fonctionne-ment même de l’État. Lorsque l’exécutif et lelégislatif aboutissent à une déliquescence dupouvoir, non pas par la disparition du pouvoir,non, c’est ce que je ne veux pas dire, lorsquele pouvoir se manifeste par des craquements etque le pouvoir de décider sombre dans lesétages inférieurs de l’exécutif, c'est-à-dire quec’est la bureaucratie et les bureaux qui détermi-nent ce qu’il y a à faire, la tentation est grandede s’adresser au juge pour combler ce vide. Cecise manifeste aussi bien dans le cadre d’un certainnombre de phénomènes qu’en sciences poli-tiques nous considérons comme très intéressantsavec la montée en puissance des petits juges etdes juges d’instruction dans l’opération mains-pro-pres mais également par le développement ducontentieux administratif lorsque la bureaucraties’érige en autorité de pouvoir politique.

On admet donc que la fonction de juger et àvotre niveau ne peut pas se dissocier de l’essencedu pouvoir de l’État, envisager moins commepouvoir de commandement que comme autoritéauctoritas dans le cadre de l’organisation des re-lations au sein de la société politique. Ceci ouvri-rait peut-être la voie à un débat de fond qui sepose, qui s’impose, parce que l’internationalisa-tion se traduit également par le partage de va-leurs communes, de nouvelles exigencesauxquelles la justice, de par sa fonction d’exécu-teur, d’exécutif chargé de mettre en œuvre la dé-cision de droit et chargée d’imprimer dans la viesociale et dans les relations sociales cette règle

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de droit, alors à ce moment-là, vous devenez desacteurs politiques au sens le plus large et l’inter-nationalisation ne vous permettra pas de vous ex-traire de ce processus.

Combien de fois entendons-nous dans le cadrede ces crises politiques « et la justice, où est saplace ? ». La justice, en participant à un mondeinternational de valeurs, peut-elle répondre en-core à cette question, à cette interpellation dansune société en plein désarroi ? A ce moment-là,ce problème se pose parce que parfois, je vousavoue une confidence : lorsqu’en 1972 nousavions connu à Madagascar la première crise,je me suis toujours posé la question « devant ladémission du parlement, la déliquescence dupouvoir exécutif, comment se fait-il que la justicen’ait pas répondu présente à l’appel » ? Elleétait absente et au nom d’un apolitisme de lajustice. Peut-être que si elle était présente de ma-nière active, on aurait eu à ce moment-là unprécédent qui aurait été utile.

Dans le cadre toujours de cette internationalisa-tion de la justice, vous avez alors à ce moment-là un autre aspect qui me paraît aussi utile àenvisager : c’est l’avènement d’une justice non-étatique, considérée soit dans le cadre d’une di-minutio capitis de la fonction de juger, soit d’unedélégation d’une fonction et nous nous trouvonsalors dans le cadre d’une remise en cause ducadre traditionnel. L’espace international et l’in-ternationalisation favorisent à ce moment-là cetavènement d’une justice non-étatique, à basetransactionnelle ou je dirais, une justice à baseconsensuelle de compétences.

Cette internationalisation pose aussi des pro-blèmes. Avec le foisonnement actuel, voire infla-tionniste des juridictions internationales, on a euaffaire, me semble-t-il, à des difficultés qui n’ontpas été évoquées au cours de ce congrès, or,qu’il faudrait peut-être soulever. Au fond, cettemultiplication et cette inflation ne risquent-ellespas de représenter une réponse bureaucratique

à une question de fond ? Je pose la question :la multiplication des juridictions internationalesrépond-elle à un besoin de bonne justice ou toutsimplement à un souhait des juges d’être pré-sents sur la scène et dans la scène internatio-nale ? C’est une question politique sur laquellej’attire votre attention parce que la tentation estgrande de penser aux guêpes d’Aristophane,les juristes étant les guêpes d’Aristophane et àce moment-là se manifestent dès que vous avezdu sucre et dès que vous avez une occasion dese manifester. Quand je pense comment auxnégociations de la troisième conférence desNations-Unies sur le Droit de la mer, on est ar-rivé à créer ce tribunal international du Droit dela mer, mais tout simplement parce qu’on voulaitcontester la Cour internationale de justice, la-quelle, par le jeu des règles de compétences,se déclarait incompétente pour statuer dans l’af-faire qui opposait l’Islande et le Royaume-Uni,l’Islande et la République Fédérale d’Alle-magne. Au niveau des diplomates, il était in-concevable d’admettre qu’une juridiction, laCour internationale de justice, put se déclarerincompétente devant une affaire importante.Ceci est un risque quand même inhérent à cettetendance, à ce souverainisme mais en mêmetemps ce volontarisme et à ce consensualismequi caractérisent les relations internationales.C’est une internationalisation de la justice dontil faut quand même tenir compte.

Lorsque vous envisagez cette internationalisa-tion et cette inflation de juridictions, beaucoupplus grave se pose le problème de l’administra-tion d’une justice équitable. Les contradictionsde jurisprudence inhérentes nécessairement auxcaractères consensuels de la base de compé-tences de ces différentes juridictions ne risquent-elles pas de remettre en cause non seulement lasécurité mais également la prévisibilité des dé-cisions juridiques ?

En définitive, l’internationalisation de la justice,

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mais dans un exemple très précis, nous amèneà penser que plusieurs questions restent ou-vertes et que ces questions requièrent une dé-marche réflexive. Cette démarche réflexive resteune des préoccupations fondamentales de votreserviteur en matière de rédaction de rapports.En effet, depuis hier, en particulier depuis cematin avant mon intervention, je crois que touta été dit. Il n’y a plus rien à ajouter. Et commequi dirait en malgache : « l’artisan menuisier n’aplus à rectifier le pied de la table car l’ouvrier aconnu et vécu ce qui est un angle droit ». La maî-trise de l’angle droit représente une révolution cul-turelle, technologique et aussi scientifique dans lavie des autres.

Seulement, à regarder de près, deux observa-tions : la première est que dans le cadre des dif-férentes communications, l’importance durapport introductif a été telle que par rapportaux documents déposés, une évolution a été en-registrée. Ceci implique que la contribution dudoyen Jutras représente un chef-d’œuvre sur leplan intellectuel et personnel parce qu’il a re-lancé le débat, et en le relançant, il a faitœuvre utile et positive dans la mesure où en in-terpellant les communications, les progrès doi-vent être enregistrés. La seconde observationest que dans le cadre de ce rapport introductifet dans le dialogue qui s’est noué dans les re-lations entre le rapporteur et les acteurs de com-munication, un certain nombre de questionsalors méritent, cette fois-ci de la part du rappor-teur général, d’être évoquées et débattues.

Dans le rapport de Monsieur le doyen Jutras,dont je salue l’œuvre et pour lequel je rends unhommage, une place très importante a été ac-cordée à l’intégration économique régionale.Cette dernière, qui représente son champ d’in-vestigations, a été choisie comme exemple leplus pertinent dans une perspective de mondia-lisation et de globalisation. Nous sommes tousd’accord : c’est au niveau de cette intégration

économique régionale que se vérifie par excel-lence la primauté du droit international sur ledroit national.

Ma question, compte tenu de cette observation,est simple : est-ce que on peut assurer la repli-cabilité du système de primauté du droit interna-tional et mondial sur les droits nationaux dansles autres branches du droit ?

Cette question est assez délicate, parce qu’enenvisageant les autres branches du droit, vien-nent à l’esprit des droits fondamentaux. Il s’agitdu droit humanitaire, du droit de l’Homme, maisque j’inclue dans le droit en général. La réponse,qui a été fournie s’inspire de la pratique descours de justice des communautés européenneset dans ce cadre, ou celui de la Cour de justicedes communautés intereuropéennes, on a assuréune interprétation globale du système commu-nautaire. L’innovation réside précisément danscette vision holistique communautaire du droit eu-ropéen et notamment du système des commu-nautés européennes assurant et garantissant laprimauté du droit communautaire sur le droit na-tional. Un professeur de droit international ta-quinera les professeurs de droit européen endisant que le droit européen est du faux droitinternational. Ce n’est pas du droit internationalau sens où nous l’envisageons, mais c’est undroit écrit, un droit administratif, en définitive,c’est un droit exceptionnel qui n’a de raisonsd’être que parce que l’Union Européenne atrouvé dans l’histoire politique, économique etsociale de l’Europe et des Européens ses basesmatérielles fondamentales. Si vous sortez de laCour de justice des communautés européennes,on invoquera alors, me semble-t-il, mais nouschoisirons l’exemple de la Cour pénale interna-tionale qui représente dans l’évolution du droitactuel comme étant le perfectionnement ou lesommet de la création et de l’affirmation de laprimauté du droit international pénal sur le droitnational.

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Je m’empresse de vous dire que pour ma part,je crois que le succès ou l’impact de la réussitede la Cour pénale internationale ne se mesurepas à une aune quantitative portant sur le nom-bre de condamnations prononcées, sur le nom-bre des actes à eux, mais sur ce quej’appellerai le développement du processus desaisine, de traitement des affaires devant laCour pénale internationale.

Il ne faut pas oublier non plus que le droit n’estpas nécessairement un ensemble de résultatsquantifiables. Le droit, c’est aussi l’engagementdans un processus irréversible, pour reprendrel’expression du Général ou du Maréchal Mont-gomery, paver la voie pour que les acquis nesoient pas remis en cause. Dans le cadre de laCour pénale internationale, même s’il y a des dif-ficultés, même s’il y a des oppositions, on setrouve alors à ce moment-là devant une créationqui fait son bonhomme de chemin et qui se veutêtre l’expression d’une solidarité internationale quiserait alors à ce moment-là les bases matériellesde cette internationalisation de la juridiction.

Sur ce plan, permettez-moi de vous dire maconviction : la Cour pénale internationaleconnaîtra également les mêmes affres, lesmêmes doutes, les mêmes difficultés, mais aussiles mêmes succès que la Cour internationale dejustice. A un moment donné, il est impossiblede faire fi du droit, de vouloir renoncer à l’ap-plication du droit international même du droitpénal international. Il faut accepter ces péripé-ties, mais c’est peut-être à ce prix que l’on arri-vera dans le cadre d’une approche raisonnéeet raisonnable des problèmes, c’est-à-dire qu’ondemandera à la Cour pénale internationale dejuger non pas des lampistes ni des petits pois-sons, mais les véritables responsables descrimes que l’on assurera sans triomphe et sanssuccès.

En définitive, si l’intégration économique régio-nale représente la preuve par excellence de la

primauté du droit international sur le droit interne,il ne faut pas raisonner en termes de replicabilité,en termes de résultats, mais raisonner suivant unedémarche franciscaine de Saint François d’As-sise selon laquelle l’approche doit avoir un ca-ractère vectoriel. La direction de la marche estassurée et déterminée et le caractère irréversibledoit être fixé et obtenu.

Le phénomène de la résistance à cette interna-tionalisation doit être apprécié à sa juste valeur,une résistance qui n’a pas lieu, me semble-t-il,de diaboliser, ni de dramatiser, qui, en termesthéoriques, car lorsque l’on examine ces phé-nomènes de résistance et que l’on est tenté parla brillance de la construction intellectuelle et labrillance théorique, on aboutira nécessairementà un échec. En revanche, c’est en termes depratique, de narration des opérations qui ontconvenu des succès, s’agissant du rappel à l’or-dre et de la condamnation par manquement,le rappel de ces narrations et de ces contes quel’on pourra alors à ce moment-là aboutir.

En effet, nous aboutissons, nous arrivons à ladeuxième question qui apparaît dans le rapportintroductif et qui a marqué les différentes inter-ventions ultérieures. Les dispositions stipulant laportée obligatoire des arrêts suffisent-elles pourpermettre leur exécution sans la formalité del’exequatur ?

Certes, c’est une question de principes, c’estune déclaration d’intentions, mais le dialogue,s’il est limité à un échange entre la juridiction in-ternationale et l’État ou la juridiction nationalede la partie aux différends, un tel dialogue a-t-il raisonnablement des chances de se déblo-quer ? Le réalisme juridique et politiquen’impose-t-il pas une distinction entre deux pro-blèmes différents : d’une part le problème del’exequatur, et d’autre part la portée ergaomnes de la décision obligatoire ?

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A ce titre, je me permets modestement et hum-blement de rappeler que les mécanismes d’exé-cution des décisions de la Cour internationalede justice, y compris les mesures conservatoireset la saisine du Conseil de sécurité ouverte àune partie qui se plaint de l’inexécution d’unedécision peut être utile, dans la mesure où cerappel de ce mécanisme ouvre des perspec-tives qui convient d’envisager. En effet, pour-quoi ne pas, dans le cadre de cette opération,faire montre de créativité, surtout lorsque l’on aprésente à l’esprit l’idée selon laquelle la basede compétences de la Cour internationale dejustice a un caractère consensuel, c’est-à-direest acceptée dans le cadre du consentement ju-ridictionnel de l’État.

Dans le cadre de cette base consensuelle decompétences, il n’est pas interdit de créer unvéritable système et un véritable mécanisme quipermettent de passer outre à la résistance àl’exécution des décisions de la juridiction inter-nationale.

Enfin, la dernière question, qui surgit dans lecadre du rapport introductif, est relative à l’obli-gation pour tous les organes de l’État, membresconcernés, y compris les Cours nationales d’as-surer l’exécution des arrêts. Il s’agit à ce mo-ment-là s’une source de difficultés lorsqu’il fautdéterminer le pouvoir d’instruction de la juridic-tion internationale à l’adresse notamment desjuridictions nationales, dans le cadre du respectde l’indépendance du juge au sein d’un État dedroit. Pour ma part, j’en ai déjà parlé, mais jepense que là-dessus, c’est plus dans le cadrede l’instauration de la confiance, dans le cadrede la pratique, de la coordination, dans uncadre macrosmatique que l’on pourra dépasserce problème.

Une fois ces trois questions résolues, nous noustrouvons devant la charnière de tout ce phéno-mène d’internationalisation, le juge qui est in-contournable, car il est peut-être un élément de

résistance et d’opposition pour le développe-ment uniforme du droit, mais il est aussi incon-tournable pour la mise en œuvre et pourl’exécution de ces décisions.

C’est dans ce sens que le problème du jugedoit être examiné, moins en termes théoriques,au nom d’une obstruction souverainiste ou d’unsuivisme internationaliste qui relève pour moi dela même nature fondamentale que, surtout, d’unproblème d’analyse de stratégie. Comment lejuge est amené à participer à cette action d’in-ternationalisation du droit et d’internationalisa-tion de la justice ?

En examinant et en écoutant les différentes inter-ventions à caractère technique et qui m’ont pa-rues aussi savante les unes que les autres, je mesuis posé la question si, en définitive, une stra-tégie oblique ou indirecte par contournementdes difficultés ne représente pas la méthode laplus pertinente. Il n’est pas exact de dire que lejuge et le système judiciaire national refusent laporosité au monde international.

Il me paraît aussi excessif de raisonner en termesd’affrontements directs des théories et il me paraîtirréaliste de raisonner en terme de guerre de po-sition, comme dans une situation de guerrefroide, et penser que le développement de l’inter-national se traduira par une perte de situation etune capitulation du juge national.

J’ai cru comprendre, dans les différentes inter-ventions, une préférence pour un cheminoblique et ce dernier consiste à déplacer la ten-sion pour que puisse se créer un espace où,sans trop de heurts, on puisse ancrer un ratta-chement à l’ordre juridique considéré. Recher-cher les éléments de solidarité impliquée par ledroit signifie d’abord : avant tout, respect et re-cherche de la vérité des faits matériels et lesoin, peut-être qu’au niveau d’une juridiction su-prême c’est trop tard, mais il me paraît indis-pensable que dans le cadre de cette création

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d’une internationalisation du droit et de la jus-tice, une priorité soit accordée au respect desfaits matériels dans toute leur dimension.

Quand on dit dans toute leur dimension, jepense à cette évolution que nous avons connueà la Cour internationale de justice, où, en plusdu respect et de l’application des catégorisa-tions traditionnelles auxquelles nous somme ha-bitués, la Cour a été amenée à inclure, dans lecadre de cette recherche des faits, les nouvellesdimensions de la connaissance scientifique ettechnique. Ceci s’appelle l’anthropologie juri-dique, la science politique et même la sociolo-gie. Je peux assurer, Monsieur le Président, quedans le cadre de la recherche des solutions desdifférends africains, si la Cour s’était limitée uni-quement aux catégories traditionnelles de droit,nous aurions été dans une situation impossible,car nous avions conscience des limites de cespropres catégories juridiques dans l’applicationet dans la recherche de solutions. Ceci a étévalable dans le cadre du différend Mali/Bur-kina-Faso, où la Chambre a été amenée à re-définir les termes de l’enjeu à partir des faits,mais des faits envisagés de manière croiséeavec l’application non seulement des considé-rations historiques et des considérations de droittraditionnel, mais avec l’intervention des élé-ments d’anthropologie, de sociologie et descience politique qui permettaient alors unemeilleure approche et une meilleur emprise decette réalité.

C’est dans ce sens qu’au fond, le droit estd’abord création. Au fur et à mesure que l’ons’élève dans la hiérarchie, on se retrouve de-vant l’affirmation de la thèse de celui qui a étémon Maître en Droit administratif Daniel Bar-donnet, le Tribunal des conflits juges du fond.L’affaire Rosé en Droit administratif. La requali-fication des faits suivant un regard croisé et mul-tidisciplinaire et transdisciplinaire nous amène àla conclusion que ce qui est vrai en droit doit

être aussi accepté comme vrai dans les autresdisciplines scientifiques, en Histoire, en anthro-pologie et en sciences politiques. Comme disaitle Général de Gaulle dans une de ses affirma-tions : « ce qui est vrai n’est pas sécable ni di-visible ». C’est vrai, un point c’est tout et c’estvrai dans les faits.

Cette recherche des faits et de la vérité et de lamatérialité des faits a une double vertu,d’abord, l’apaisement dans l’approche desproblèmes vécus. Cet apaisement signifie endéfinitive qu’au fond, ce qui est important, c’estd’administrer une bonne justice telle que cetteréalité l’exige. En même temps, elle permetd’identifier les vrais problèmes autour desquelss’articuleront la stratégie de décision et la défi-nition de ce qui peut être l’opération.

Voilà, Mesdames et Messieurs ce que je voulaisdire à propos de nos travaux, mais je ne seraipas satisfait si dans le cadre de ces travaux, etnotamment compte tenu des interventions de cematin, nous ne mettions pas l’accent sur la spé-cificité de la coopération dans le domaine judi-ciaire et juridique, compte tenu de ce que l’ona appelé la coopération dans l’internationalisa-tion du droit et de la justice.

On a beaucoup insisté sur l’imprégnation réci-proque dans l’inculturation, non seulement del’univers juridique étranger mais l’inculturationdans un univers aussi mondialisé et globalisé.En définitive, le colloque d’aujourd’hui amènela coopération juridique francophone à la croi-sée des chemins et à être interpelée sur le planpolitique, sur sa raison d’être et sur sa finalité.

Cette coopération a un double domaine d’inter-vention, aussi bien à usage externe, dans sesrelations avec le monde extérieur à l’universfrancophone, que dans un usage interne. Je di-rais même : le confort et l’accomplissement del’épanouissement des entités des membres del’organisation francophone dans la promotion

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et le respect de ce qu’il est convenu d’appelerla diversité culturelle dans toute sa dimension.C’est dans la réalisation de ce double aspectde coopération qu’on voit redéfinir la place del’univers francophone. Pour ce faire, il y a peut-être un préalable politique qui s’impose. Jeande Gaudusson l’a évoqué ce matin et je n’auraide cesse d’insister sur le fait que cet univers fran-cophone du monde juridique et judiciaire estsoumis à une véritable loi du marché de com-pétition, une compétition qui ne se limite pas àl’univers de la loi de l’offre et de la demande.S’il en était ainsi, cela aurait été plus simple ;mais une compétition que je qualifierais my-thique au sens du Mythe de Georges Sorel,c'est-à-dire une représentation subjective de cequi, sur le plan du droit et de la justice, assure-rait efficacement l’accès au monde de la mo-dernité, au monde mondialisé et globalisé.

La question est très simple : est-ce que l’universfrancophone assure cette entrée et est reconnusur le plan juridique et judiciaire comme répon-dant favorisant cet accès ? C’est un problèmequi se pose et le problème n’a de sens que sipar-delà les mécanismes plus ou moins bureau-cratiques et institutionnels, il y a une représenta-tion mythique et subjective de cet accès. Laréponse ne peut être que politique.

Dans cet élément de réponse, il y a undeuxième élément, c’est l’importance du rôlede la performance. Dans ce cadre politique,qui, sans aucun doute, est marqué par une op-tion préférentielle pour le positivisme et leconcret, dans une approche qui n’est pas loind’une vision financière et commerciale, l’universjuridique et judiciaire francophone est-il perfor-mant ? En d’autres termes : assure-t-il effective-ment et est-il perçu comme assuranteffectivement cette entrée dans ce monde quinous défie au titre du 21ème siècle ? A ce mo-ment-là, se pose le problème de l’expertise fran-cophone, une expertise individuelle associative

ou collective. Dans le cadre de cette expertise,c’est moins le confort des situations de rente quiest à évaluer, que le caractère offensif déter-miné et réaliste des projets de l’univers franco-phone sur le plan juridique et judiciaire.

Il en résulte, Mesdames et Messieurs, une ar-dente obligation d’identifier, de soutenir et dediffuser ces éléments d’expertise et de perfor-mance pour que l’univers francophone ait saplace en droit et en fait dans le monde contem-porain, mais ceci n’est possible que dans lecadre d’une mobilisation totale et générale detoutes les ressources de l’univers francophonepour que non seulement la performance et l’ex-pertise francophone aient un sens. En d’autrestermes, c’est moins en termes d’éradication ducomplexe de Fachoda que dans l’aptitude del‘univers francophone à définir un projet et unordre de marche dans la découverte de ses tré-sors et la libéralisation des initiatives. Elle im-plique une capitalisation aussi bien des échecsque des succès et la mission de l’AHJUCAFsera donc pour le secteur qu’elle couvre de fa-voriser cette véritable capitalisation dynamiquepour qu’enfin, on se retrouve vers nos propresvaleurs et nos propres ressources.

Pour terminer, cette mobilisation implique, sur leplan financier et budgétaire, un véritable effortpour que le financement de ces projets ne résulteplus d’une simple subvention, d’un subventionne-ment paternaliste ou même colonialiste - pour-quoi avoir peur d’utiliser le mot ? - mais d’unvéritable financement pluriannuel pour la péren-nisation d’une stratégie offensive qui impliquenon plus seulement de la part de l’organisationinternationale de la francophonie une simple dé-marche de quémandeurs auprès des gouverne-ments mais d’une véritable interpellation et miseen situation des institutions et partenaires finan-ciers et économiques, et des universitaires.

En d’autres termes, au terme de nos travaux, jeme suis demandé si la première bataille, dans

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le cadre de cette recherche de l’internationali-sation du droit et de la justice, n’est pas de bri-ser le sentiment d’impuissance face au défi decette internationalisation et en même temps, bri-ser les sentiments d’isolement qui sont à ce mo-ment-là les principales plaies qui nousinterdisent d’envisager avec foi et engagementet détermination le nouveau monde.

Je vous remercie.

Allocution de clôtureMonsieur Ghaleb GHANEM, Premier Président de la Cour de cassationdu Liban, Président de L’AHJUCAF

Chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

Nous arrivons au terme de notre congrès touten étant sûrs que ce n’est qu’un pas dans lalongue marche vers l’accomplissement de nosbuts nobles, ambitieux, et tellement importantspour le développement du droit et le bien de lasociété et de l’humanité.

Il est à avouer, à cette occasion, que nos tra-vaux n’auraient pas pu être couronnés de suc-cès sans l’aide généreuse et pertinente,l’amabilité et l’efficacité de nos collègues ca-nadiens. A eux toute notre sympathie et les meil-leurs vœux de progrès et de prospérité.

Personne ne peut ignorer l’impact de la mon-dialisation sur le droit. La mondialisation a,certes, ses deux faces, son envers et son revers.Si l’envers dénote parfois un envahissementatroce et douteux des traditions, des diversitéset des spécificités enrichissantes, le reversconnote la nécessité de changement et de dé-veloppement, d’ouverture et de complémenta-

rité … Il est, dans ce sens, porteur d’espoir.

Sur ce, nous devons, en tant que juristes, parlerun langage commun qui dépasse les barrièreset les frontières.

Les germes de la raison et les racines desgrandes valeurs sont à la base des familles et sys-tèmes juridiques connus dans le monde. Rienn’empêche donc un dialogue permanent, com-préhensif et fructueux pour plus d’intégration etde cohérence … la famille francophone ouvreles bras au dialogue pour permettre aux diversitésde se développer dans un milieu fédérateur.

L’impact de l’environnement sur notre quotidienet sur notre avenir est devenu évident. C’estpourquoi nous avons décidé d’intégrer le droitde l’environnement dans nos projets, aux cotésdes autres projets auxquels nous consacrerons,l’année prochaine et celles qui suivent, nos ef-forts.

Je suis confiant que, main dans la main, armésde la même foi, animés par le même courage.Poussés par la même volonté, nous ne pourronsqu’aboutir à une meilleure justice dans lemonde.

Dites moi, à quoi sert donc la justice, si ellen’est pas conçue, impliquée et généralisée auservice des justiciables, au service de l’homme.

Notre association s’est entièrement impliquéeet engagée dans ce sens.

Grand succès pour elle.

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Mots de clôtureLa très honorable Beverley McLachlin,juge en Chef du Canada

Mesdames et messieurs les juges,

Distingués invités,

Nous voici réunis dans ce hall spectaculairepour célébrer nos travaux et les amitiés renou-velées. Vous avez fait preuve de beaucoup deconcentration au cours de ce marathon de deuxjours et vous avez travaillé d’arrache-pied pouren venir aux conclusions de ce congrès. Je suistrès contente de voir que vos efforts ont portéfruit et vous en félicite. J’ose espérer que la ré-flexion amorcée ici vous aidera tous dans votretravail une fois rentrés chez vous.

Je ne parlerai pas longtemps, car je sais qu’unagréable repas nous attend. Mais de tels évé-nements ne sont possibles que grâce au dé-vouement de très nombreuses personnes. Mondéfi est donc de remercier adéquatement tousceux et celles qui ont contribué au succès dece congrès, car je risque d’oublier quelqu’un,mais je relève le défi avec confiance sachantque si d’aventure, je fais un oubli, on ne m’entiendra pas rigueur.

J’ai mentionné hier matin la dette que nous avonstous à l’égard du juge Louis LeBel qui a consacrébeaucoup d’énergie à ce congrès. Je le remercieen votre nom à tous. Je tiens à souligner l’apportdu doyen Jutras à l’aspect intellectuel des travaux,ainsi que celui de tous les intervenants, présidentsde séance et conférenciers.

De ce côté de l’Atlantique, l’élaboration du pro-gramme n’aurait pas été possible sans la contri-bution du comité local, dont la juge Deschampset le registraire de la Cour suprême du Ca-nada, Monsieur Roger Bilodeau faisaient par-tie. Pour la logistique, M. Michel Gallant,directeur du protocole à la Cour ainsi que MmeJudith Lamarche se sont dépensés sans compter,

assisté de Mme Chantal Corbeil. Je tiens à sou-ligner l’accueil de l’ambassadeur de France,M. François Delattre et Mme Sophie l'HeliasDelattre. Je remercie aussi sincèrement MmeLouise Poudrier-LeBel d’avoir accompagné lesconjointes avec son dynamisme habituel. Noshuissiers se sont aussi offerts pour faciliter letransport. Les bénévoles de la Cour nous ontaussi généreusement donné de leur temps.Quant à l’hôtel Ottawa Marriott, il a su nousassurer un accueil à la hauteur de l’événement.

De l’autre côté de l’Atlantique, avec l’appui deM. Gillet, le Secrétaire général de l’AHJUCAF,M. Guillaume Adreani a effectué un travail tita-nesque pour lequel il reçoit notre profonde re-connaissance. Par ailleurs, rien n’aurait étépossible sans l’appui de l’OIF, que nous saluonsici en la personne de Mme Patricia Herdt.

Finalement, il me reste à remercier tous les parti-cipants, juges en chef, présidents de cour, jugeset invités spéciaux, pour leur participation enthou-siaste au troisième congrès de l’AHJUCAF.

Je vous souhaite une agréable excursion de-main et j’espère que ce congrès restera dansnotre mémoire collective comme un moment pri-vilégié! A tous et à toutes, bon appétit.

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NOTES1 - Article 16

2 - Arrêt Costa contre ENEL, 1964.

3 - Elle a ainsi réaffirmé sa position prise dans l’arrêt DaCosta du 27 mars 1963.

4 - Article 20 du Protocole additionnel n° I : « les arrêtsde la Cour de Justice ont force exécutoire, conformémentaux dispositions de son règlement de procédures. Ils sontpubliés au Bulletin officiel, article 57 du Règlement n° 01/96/CM portant règlement de procédures, que « l’arrêta force obligatoire à compter du jour de son prononcé ».

5 - L’objectif du recours en manquement est de faire re-connaître par la Cour de Justice, à la demande de laCommission ou d’un autre État membre, qu’un État amanqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertudu Traité ou des normes dérivées.

6 - CJCE - 9 mars 1978 - Simmenthal ; 13 mars 1997 -Morellato / USR n°11 di Pordenone.

7 - S/RES/827 (1993), 25 mai 1993.

8 - Jean-Jacques Heintz et Hafida Lahiouel, Tribunal pénalinternational pour l’ex-Yougoslavie : des problèmes…uneréussite, Pouvoirs : revue trimestrielle 92 (2000), p. 139.

9 - Articles 1, 6 et 8 du Statut du TPIY.

10 - Le Procureur c/ Milan Milutinovi et al., affaire no IT-99-37-PT, Décision relative à l’exception préjudicielled’incompétence, 6 mai 2003, (ci-après « Décision Miluti-novi et al. sur l’exception préjudicielle d’incompé-tence »), par. 47.

11 - Article 6 du Statut du TPIY.

12 - Cf. Prosecutor v. Ljube Boškoski and JohanTar ulovski, Case No.IT-04-82-A, Judgement, 19 May2010, para. 52; Prosecutor v. Dražen Erdemovi , CaseNo. IT-96-22-T, Sentencing Judgement, 29 November1996, paras 92-95; Prosecutor v. Duško Tadi a.k.a.“Dule”, Case No. IT-94-1-T, Sentencing Judgement, 14July 1997, para. 60; Prosecutor v. Predrag Banovi ,Case No. IT-96-22-T, Sentencing Judgement, 28 October2003, paras 45 and 91; Prosecutor v. Ranko eši , CaseNo. IT-95-10/1-S, Sentencing Judgement, 11 March2004, para. 37; Prosecutor v. Darko Mr a, Case No. IT-02-59-S, Sentencing Judgement, 31 March 2004, para.53. Voir aussi le rapport du Secrétaire général établiconformément au paragraphe 2 de la résolution 808(1993) du Conseil de sécurité, U.N. Doc. S/25704,par. 54: « toutes les personnes qui participant à la planifi-cation, à la préparation ou à l’exécution de violationsgraves du droit international humanitaire dans l’ex-Yougo-slavie contribuent à commettre la violation et sont donc in-dividuellement responsables. »

13 - Article 2 du Statut du TPIY.

14 - Article 3 du Statut du TPIY.

15 - Article 4 du Statut du TPIY.

16 - Article 5 du Statut du TPIY.

17 - S/RES/955 (1994), 8 novembre 1994.

18 - Préambule et articles 1, 5 et 6 du Statut du TPIR.

19 - Article 5 du Statut du TPIR.

20 - Décision Milutinovi et al. sur l’exception préjudi-cielle d’incompétence, Opinion individuelle du Juge Pa-trick Robinson, par. 40.

21 - Le Procureur c/ Georges Ruggiu, affaire no ICTR-97-32-I, Jugement portant condamnation, 1er juin 2000.

22 - U.N. Doc. S/1995/134, Rapport présenté par leSecrétaire général en application du paragraphe 5 de larésolution 955 (1994) du Conseil de sécurité, 13 février1995, p. 4.

23 - La Chambre d’appel a statué que le crime pour le-quel la responsabilité de l’accusé est alléguée doit avoirété commis en 1994 et les actes ou omissions de l’ac-cusé qui fondent sa responsabilité et en vertu d’un modede responsabilité prévus à l’article 6 1) du Statut du TPIRdoivent avoir eu lieu en 1994, et l’accusé devait avoir aumoment de ces actes ou omissions l’intention requise pourêtre tenu responsable. (Nahimana et al. c/ Le Procureur,affaire no ICTR-99-52-A, Arrêt, 28 novembre 2007, par.313).

24 - Article 2 du Statut du TPIR.

25 - Article 3 du Statut du TPIR.

26 - Article 4 du Statut du TPIR.

27 - Mutoy Mubiala, Le tribunal international pour leRwanda : vraie ou fausse copie du tribunal pénal interna-tional pour l’ex-Yougoslavie?, Revue générale de droit in-ternational public, 1995 (ci-après « Article de MutoyMubiala sur le TPIR »), p. 945.

28 - Article 4 du Statut du TPIR.

29 - Article 2 du Statut du TPIY.

30 - Article 18 4) du Statut du TPIY et article 17 4) duStatut du TPIR.

31 - Article 17 4) du Statut du TPIR et article 18 4) duStatut du TPIY. Voir également article 28 A) du Règlementdu TPIY et article 28 du Règlement du TPIR.

32 - Articles 47 A) des Règlements du TPIY et du TPIR.

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33 - Article 47 E) des Règlements du TPIY et du TPIR.Voir également article 19 du Statut du TPIY et article 18du Statut du TPIR.

34 - Article 47 F) des Règlements du TPIY et du TPIR.

35 - Article 47 I) des Règlements du TPIY et du TPIR.

36 - Article 47 H) des Règlements du TPIY et du TPIR. Voirégalement l’article 55 des Règlements du TPIY et du TPIR.

37 - Article 53 A) des Règlements du TPIY et du TPIR.

38 - Article 52 des Règlements du TPIY et du TPIR.

39 - Article 50 A) i) des Règlements du TPIY et du TPIR.

40 - Article 51 A) i) du Règlement du TPIY et article 51 A)du Règlement du TPIR.

41 - Article 53 bis A) des Règlements du TPIY et du TPIR.

42 - Article 53 bis A) du Règlement du TPIR.

43 - Article 53 bis A) du Règlement du TPIY.

44 - Le Procureur c/ Athanase Seromba, affaire n° ICTR-2001-66-A, Arrêt, 12 mars 2008, par. 27 (ci-après «Arrêt Seromba »). Voir aussi, Tharcisse Muvunyi v. TheProsecutor, Case n° ICTR-2000-55A-A, Judgement, 29August 2008, para. 18 (ci-après « Arrêt Muvunyi »).

45 - Arrêt Muvunyi, par. 20; Arrêt Seromba, par. 100.

46 - Arrêt Muvunyi, par. 28; Mikaeli Muhimana c/ LeProcureur, affaire n° ICTR 95 1B A, Arrêt, 21 mai 2007,par. 82, 201, 223 citant Sylvestre Gacumbitsi v. The Pro-secutor, Case No. ICTR-2001-64-A, Judgement, 7 July2006, paras 57, 58. Voir également The Prosecutor v.Elizaphan Ntakirutimana and Gérard Ntakirutimana,Cases Nos. ICTR-96-10-A and ICTR-96-17-A, Judgement,13 December 2004, para. 48 (concluant que la décla-ration d’un témoin, lue à la lumière des « informationsclaires » contenues dans le mémoire préalable au procèsdu Procureur et ses annexes, peuvent suffire à purger unacte d’accusation vicié). Cette position cadre avec la ju-risprudence du TPIY (voir Le Procureur c/Mladen Naletili ,alias « TUTA » et Vinko Martinovi , alias « ŠTELA », affairen° IT-98-34-A, Arrêt, 3 mai 2006, par. 45).

47 - Article 50 A) i) b) du Règlement du TPIY.

48 - Article 50 A) i) c) du Règlement du TPIY.

49 - Article 50 A) i) du Règlement du TPIR.

50 - Article 50 A) i) du Règlement du TPIR. Voir égale-ment article 73 du Règlement du TPIR.

51 - Article 50 B) des Règlements du TPIR et du TPIY.

52 - Article 62 des Règlements du TPIY et TPIR.

53 - Article 62 A) iii) du Règlement du TPIR.

54 - Article 62 A) iii) du Règlement du TPIY.

55 - Article 62 A) iv) du Règlement du TPIY.

56 - Articles 62 vi) et 62 bis i) à iv) du Règlement du TPIYet article 62 B) i) à iv) du Règlement du TPIR. Voir égale-ment Prosecutor v. Milan Babi , Case No. IT-03-72-A,Judgement on Sentencing Appeal, 18 July 2005, para.18 (ci-après « Arrêt Babi »).

57 - Article 62 ter A) i) à iii) du Règlement du TPIY et arti-cle 62 bis A) i) à iii) du Règlement du TPIR.

58 - Article 62 ter B) du Règlement du TPIY et article 62bis B) du Règlement du TPIR. Voir également Arrêt Babi ,par. 30.

59 - Le Procureur c/ Dragan Nikoli , affaire n° IT-94-2-A,Arrêt relatif à la Sentence, 4 février 2005, par. 89.

60 - Article 62 bis C) du Règlement du TPIR et Article 62ter C) du Règlement du TPIY.

61 - Article 62 du Règlement du TPIR et Article 62 bis duRèglement du TPIY.

62 - Article 9 du Statut du TPIY.

63 - Article 9 2) du Statut du TPIY.

64 - Article 8 2) du Statut du TPIR.

65 - Concernant la procédure d’une demande de dessai-sissement, voir les articles 9 à 11 du Règlement du TPIYainsi que celui du TPIR.

66 - Concernant une proposition de requête officielle dedessaisissement en faveur du Tribunal, affaire no IT-94-1-D, Décision de la Chambre de première instance statuantsur la requête du Procureur aux fins de dessaisissement enfaveur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougosla-vie dans l’affaire Dusko Tadi , 8 novembre 1994.

67 - Concernant une proposition de demande officiellede dessaisissement en faveur du Tribunal adressée à laRépublique de Bosnie-Herzégovine concernant RadovanKaradži , Ratko Mladi et Mi o Staniši , affaire no IT-95-5-D, Décision, 16 mai 1995.

68 - In Re : La République de Macédoine, affaire no IT-02-55-MISC.6, Décision relative à la requête du Procu-reur aux fins de dessaisissement et à la demande dedélivrance d’une ordonnance adressée à l’ex-RépubliqueYougoslave de Macédoine, 4 octobre 2002, par. 42 à44, p. 21.

69 - Le 31 août 2004.

70 - Le 14 mars 2005.

71 - Article 9 du Règlement du TPIR.

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72 - Concernant une requête introduite par le Procureuraux fins d’obtenir une demande officielle de dessaisisse-ment du Royaume de Belgique, affaire concernant : Théo-neste Bagosora, affaire no ICTR-96-7-D, Décision de laChambre de première instance statuant sur la requête in-troduite par le Procureur aux fins d’obtenir une demandeofficielle de dessaisissement en faveur du Tribunal pénalinternational pour le Rwanda dans le cadre de l’affaireThéoneste Bagosora (conformément aux articles 9 et 10du Règlement de procédure et de preuve), 17 mai 1996.

73 - Tilman Blumenstock and Wayde Pittman, The trans-fer of Cases Before the International Criminal Tribunal forthe former Yugoslavia to Competent National Jurisdic-tions, 21 Journal of International Law of Peace andArmed Conflict 106, February 2008 (ci-après « Articlede Tilman Blumenstock et Wayde Pittman sur la procé-dure de renvoi d’affaires du TPIY devant les instances na-tionales »), p. 112.

74 - Le Procureur c/ Wenceslas Munyeshyaka, affaireno ICTR-2005-87-I, Décision relative à la requête du Pro-cureur aux fins de renvoi de l’Acte d’accusation contreWenceslas Munyeshyaka aux autorités françaises, 20 no-vembre 2007; Le Procureur c/ Laurent Bucyibaruta, af-faire no ICTR-2005-85-I, Décision relative à la requête duProcureur aux fins de renvoi de l’Acte d’accusation contreLaurent Bucyibaruta aux autorités françaises, 20 novem-bre 2007.

75 - Le Procureur c/ Michel Bagaragaza, affaire noICTR-2005-86-11bis, Décision relative à la requête duProcureur aux fins de renvoi de l’Acte d’accusation auxautorités du Royaume des Pays-Bas, 13 avril 2007, p.15.

76 - Le Procureur c/ Michel Bagaragaza, affaire noICTR-2005-86-11bis, Décision relative à la requête enextrême urgence du Procureur tendant à faire annuler ladécision de renvoi d’une affaire aux autorités duRoyaume des Pays-Bas en vertu des paragraphes F) et G)de l’article 11bis du Règlement, 17 août 2007, (ci-après« Décision annulant le renvoi de l’affaire Bagaragaza »).

77 - Décision annulant le renvoi de l’affaire Bagara-gaza, p. 6.

78 - Article 11 C) du Règlement du TPIY.

79 - Article de Tilman Blumenstock et Wayde Pittman surla procédure de renvoi d’affaires du TPIY devant les ins-tances nationales, p. 111.

80 - Prosecutor v. Milorad Trbi , Case No. IT-04-88/1-PT, Decision on Motion for Referral Under Rule 11bis withConfidential Annex, 27 April 2007, paras 17-23.

81 - Le Procureur c/ Radovan Stankovi , affaire no IT-96-23/2-PT, Décision portant renvoi de l’affaire en applica-tion de l’article 11bis du Règlement, 17 mai 2005(ci-après « Décision de renvoi de l’affaire Stankovi »),

par. 96. Cette décision a été confirmée en appel. VoirProsecutor v. Radovan Stankovi , Case No. IT-96-23/2-AR11bis.1, Decision on Rule 11bis Referral, 1 Septem-ber 2005, para. 59. Par ailleurs, le transfert de M.Stankovi a eu lieu le 29 septembre 2005.

82 - Prosecutor v. Radovan Stankovi , Case No. X-KR-05/70, Appeal Judgement of the Bosnia and Herzego-vina Court, 28 March 2007. Prosecutor v. RadovanStankovi , Case No. X-KR-05/70, Trial Judgement of theBosnia and Herzegovina Court, 14 November 2006. Le25 mai 2007, M. Stankovi s’est enfui de la prison où ilpurgeait sa peine (Article de Tilman Blumenstock etWayde Pittman sur la procédure de renvoi d’affaires duTPIY devant les instances nationales, p. 100). Il n’a pasété arrêté depuis.

83 - Article de Tilman Blumenstock et Wayde Pittman surla procédure de renvoi d’affaires du TPIY devant les ins-tances nationales, p. 100.

84 - Prosecutor v. Milan Luki and Sredoje Luki , CaseNo. IT-98-32/1-PT, Decision on Referral of Case Pursuantto Rule 11 bis with Confidential Annex A and Annex B, 5April 2007.

85 - Prosecutor v. Milan Luki and Sredoje Luki , CaseNo. IT-98-32/1-AR11bis.1, Decision on Milan Luki ’s Ap-peal Regarding Referral, 11 July 2007 (ci-après « Déci-sion d’appel de Milan Luki »), para. 22.

86 - Décision d’appel de Milan Luki , para. 25. La déci-sion de renvoi de Sredoje Luki a par la suite été révo-quée et il a été jugé conjointement avec Milan Luki(Prosecutor v. Milan Luki and Sredoje Luki , Case No. IT-98-32/1-PT, Decision on Prosecutor’s Request Pursuant toRule 11 bis F) with Regards to Sredoje Luki and Incorpo-rated Decision Vacating Scheduling Order, 20 July2007).

87 - Dragomir Miloševi n’était subordonné qu’à RatkoMladi et Radovan Karadzi . Prosecutor v. DragomirMiloševi , Case No. IT-98-29/1-PT, Decision on Referralof Case Pursuant to Rule 11bis, 8 July 2005, paras 21-24.

88 - Prosecutor v. Rasim Deli , Case No. IT-04-83-PT,Decision on Motion for Referral of Case Pursuant to Rule11bis, 9 July 2007 (ci-après « Décision sur la demandede renvoi de l’affaire Rasim Deli »), paras 24-26.

89 - The Prosecutor v. Ildephonse Hategekimana, CaseNo. ICTR-00-55B-R11bis, Decision on the Prosecution’sAppeal Against Decision on Referral under Rule 11bis, 4December 2008 (ci-après « Décision d’appel Hategeki-mana »), para, 4: The Prosecutor v. Gaspard Kanyaru-kiga, Case No. ICTR-2002-78-R11bis, Decision on theProsecution’s Appeal Against Decision on Referral underRule 11bis, 30 October 2008 (ci-après « Décision d’ap-

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21-23 juin 2010 C o u r S u p r ê m e d u C a n a d a O t t a w a

pel Kanyarukiga »), para. 4; Le Procureur c/ Yussuf Mu-nyakazi, affaire No. ICTR-97-36-R11bis, Décision rela-tive à l’appel interjeté par le Procureur contre la décisionportant rejet de la demande de renvoi en application del’article 11 bis du Règlement, 8 Octobre 2008 (ci-après« Décision d’appel Munyakazi »), par. 4.

90 - Décision d’appel Hategekimana, par. 4; Décisiond’appel Kanyarukiga, par. 4; Décision d’appel Munya-kazi, par. 4; Le Procureur c. Michel Bagaragaza, affaireNo. ICTR-05-AR11bis, Décision relative à l’appel interjetéen vertu de l’article 11 bis du Règlement, 30 août 2006,par. 9; The Prosecutor v. Zeljko Mejaki et al., Case No.IT-02-65-AR11bis.1, Decision on Joint Defence Appealagainst Decision on Referral under Rule 11bis, 7 April2006 (ci-après « Décision de renvoi de l’affaire Mejakiet al. »), para. 60.

91 - Ces refus ont d’ailleurs été confirmés en appel. VoirDécision d’appel Hategekimana, par. 41; Décision d’ap-pel Kanyarukiga, p. 15; Décision d’appel Munyakazi,par. 51.

92 - Décision d’appel Munyakazi, para. 50.

93 - A/CONF.183/9. Le Statut de Rome est entré en vi-gueur le 1er juillet 2002, après sa ratification par 60États Membres. En date du 24 mars 2010, 111 paysÉtats Parties ont adhéré au Statut de Rome. Voir égale-ment l’Accord relatif à la coopération entre la CPI et lesNations Unies : l’Accord négocié régissant les relationsentre la Cour pénale internationale et l’Organisation desNations Unies, ICC-ASP/3/Res.1, adopté le 4 octobre2004 et entré en vigueur le 22 juillet 2004.

94 - Règle 90 1) du Règlement de procédure et depreuve de la CPI.

95 - Règle 89 1) du Règlement de procédure et depreuve de la CPI.

96 - Article 75 du Statut de la CPI.

97 - Article 79 du Statut de la CPI et Règle 98 du Règle-ment de procédure et de preuve de la CPI. Le Fonds enfaveur des victimes a été établi par l’Assemblée des ÉtatsParties en septembre 2002.

98 - Règle 97 du Règlement de procédure et de preuvede la CPI.

99 -Règle 94 du Règlement de procédure et de preuvede la CPI.

100 - Article 11 du Statut de Rome.

101 - Article 6 du Statut de Rome.

102 - Article 7 du Statut de Rome.

103 -Article 8 du Statut de Rome. « »

104 -Article 5 d) du Statut de Rome.

105 -RC/Res.6, Le crime d’agression, 28 juin 2010 (Ad-vance version) (ci-après « Résolution sur le crime d’agres-sion »; Press Release, ICC-ASP-20100612-PR546,Review Conference of the Rome Statute concludes inKampala, 12 June 2010.

106 - Résolution sur le crime d’agression, Annexe I, par.2) article 8 bis 1).

107 - Résolution sur le crime d’agression, Annexe I, par.2) article 8 bis 2).

108 - Résolution sur le crime d’agression, Annexe I, par.3) article 15 bis 2).

109 - Résolution sur le crime d’agression, Annexe I, par.3) article 15 bis 4).

110 - Résolution sur le crime d’agression, Annexe I, par.3) article 15 bis 7).

111 - Résolution sur le crime d’agression, Annexe I, par.3) article 15 bis 8).

112 - Article 5 du Statut de Rome.

113 - Article 26 du Statut de Rome.

114 - Article 12 2) a) et b) du Statut de Rome.

115 - Article 12 3) du Statut de Rome. Ce qui fut le caspour la Côte d’Ivoire qui a consenti, par déclaration, àce que la CPI exerce sa compétence pour les crimescommis sur son territoire depuis les évènements du 19septembre 2002. Communiqué de presse, ICC-CPI-20050215-91, Le Greffe a confirmé que la Républiquede Côte d’Ivoire a accepté la compétence de la Cour,15 février 2002.

116 - Dixième alinéa du Préambule et article 1 du Statutde Rome.

117 - Article 13 du Statut de Rome.

118 - Article 13 a) du Statut de Rome.

119 - Communiqué de presse, Renvoi devant le Procureurde la situation en République centrafricaine, ICC-OTP-20050107-86, (2005). Le 10 juin 2008, la Chambrepréliminaire a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre deM. Bemba.

120 - - Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, af-faire no ICC-01/05-01/08, Décision rendue en appli-cation des alinéas a) et b) de l’article 61-7 du Statut deRome, relativement aux charges portées par le Procureurà l’encontre de Jean-Pierre Bemba Gombo, 15 juin2009, p. 195.

121 - Article 13 b) du Statut de Rome.

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122 - S/RES/1593 (2005), 31 mars 2005, par. 1.

123 - Pour les crimes commis peu après l’attaque d’avril2004 contre l’aéroport d’El Fasher et jusqu’au 14 juillet2009 au Darfour, Voir Le Procureur c/ Omar HassanAhmad Al Bashir (« Omar Al Bashir »), affaire No. ICC-02/05-01/09, Décision relative à la requête de l’Accu-sation aux fins de délivrance d’un mandat d’arrêt àl’encontre d’Omar Hassan Ahmad Al Bashir (version pu-blique expurgée), 4 mars 2009 (ci-après « DécsionOmar Al Bashir »), par. 78, 109 et p. 100. Voir égale-ment Le Procureur c/ Omar Hassan Ahmad Al Bashir («Omar Al Bashir »), affaire No. ICC-02/05-01/09,Mandat d’arrêt à l’encontre d’Omar Hassan Ahmad AlBashir, 4 mars 2009, p. 3 et 9.

124 - La Juge Anita Ušacka ayant émis une opinion dissi-dente.

125 - Décsion Omar Al Bashir, par. 206.

126 - The Prosecutor v. Omar Hassan Ahmad Al Bashir («Omar Al Bashir »), Case No. ICC-02/05-01/09-OA,Judgment on the Appeal of the Prosecutor Against the“Decision on the Prosecution’s Application for a Warrantof Arrest Against Hassan Ahmad Al Bashir”, 3 February2010, para. 39-42.

127 - Article 13 c) du Statut de Rome.

128 - La majorité, le Juge Kaul ayant émis une opiniondissidente, a estimé qu’il y avait une base raisonnablepour croire que ces crimes ont été commis dans cet Étatentre le 1er juin 2005 et le 26 novembre 2009. Voir Si-tuation in the Republic of Kenya, Case No. ICC-01/09,Decision Pursuant to Article 15 of the Rome Statute on theAuthorization of an Investigation into the Situation in theRepublic of Kenya, 31 March 2010, p. 83.

129 - Article 17 du Statut de Rome. En général, une af-faire sera irrecevable si elle a fait ou fait l’objet d’une en-quête ou de poursuites de la part d’un État ayantcompétence. Toutefois, elle peut être recevable si cet Étatn’a pas la volonté ou est dans l’incapacité de mener véri-tablement à bien cette enquête ou les poursuites (article17 1) a) du Statut de Rome). Par exemple, une affairesera recevable si des procédures nationales étaient enga-gées pour soustraire une personne à sa responsabilité pé-nale (article 17 1) b) du Statut de Rome). Par ailleurs, uneaffaire sera déclarée irrecevable si la personne concer-née a déjà été jugée pour l’acte reproché en vertu duprincipe ne bis in idem (article 17 1) c) du Statut deRome) ou si l’affaire n’est pas suffisamment grave pourqu’elle y donne suite (article 17 1) d) du Statut de Rome).

130 - Doc. A/Ac.244/1, Observations reçues en appli-cation du paragraphe 4 de la résolution 49/53 de l’As-semblée générale concernant la création d’une courcriminelle internationale, 20 mars 1995. Voir également,l’Article de Mutoy Mubiala sur le TPIR, p. 938 et 954.

131 - Gustave Moynier, Président et co-fondateur du Co-mité International de la Croix Rouge, propose la créationd’un tribunal d’arbitrage international destiné à pénaliserles violations des lois humanitaires internationales perpé-trées durant la guerre franco-prussienne de 1870-71. Laproposition se heurte alors à l’opposition des États, tropinquiets de voir l’un des attributs de leur souveraineté leuréchapper.

En 1919 les vainqueurs de Versailles envisagent la créa-tion d’un tribunal spécial chargé de poursuivre les crimescommis par leurs ennemis en violation des lois des conflitsarmés. L’article 227 du Traité de Versailles prévoyait ainsila traduction de l’Empereur Guillaume II devant une courinternationale composée de juges issus des pays desÉtats vainqueurs. Ce tribunal se confrontera aux refus decoopérer des pays de refuge des accusés et ne sera fina-lement pas mis en place.

En 1920, la Société des Nations demande au Comitédes juristes d’établir une juridiction internationale mais re-jette finalement le projet du Comité.

132 - Résolution 827 du Conseil de Sécurité

133 - Résolution 955 du Conseil de Sécurité

134 - Sur les 192 États Membres de l’Onu. Il est à rap-peler que trois membres du Conseil de Sécurité del’ONU à savoir la Chine, la Russie et les États-Unis, n’ontpas encore ratifié le Statut de Rome.

135 - Voir en Annexe 2.

136 - Max Weber est l’auteur d’une théorie à propos del’impératif de « calculabilité ».

137 - plusieurs égards, cependant, la compétence de laCPI subit des limitations (les critiques ne manquent pascontre ce compromis entre les partisans du « droit d’ur-gence »et les défenseurs de la souveraineté des États). Enapplication de l’article 5(2), la conférence de Révisionconvoquée par le Secrétaire des Nations Unies, à Kam-pala, en Ouganda, du 31 Mai au 11 janvier2010, aadopté à une définition du crime d’agression et les moda-lités de la mise en œuvre des poursuites.

138 - http://www.icc-cpi.int/Menus/ICC/Structure+of+the+Court/Office+of+the+Prosecutor/Policies+and+Strategies/.

139 - A tale of two notions, Carsten Stahn.

140 - Dans la même affaire, les sieurs Abdallah BandaAbaker Nourain et Saleh Mohamed Jerbo Jamus sont ladeuxième et la troisième personne, respectivement, àcomparaître volontairement devant la Cour le 17 juin2010, en réponse à la citation de la Cour. Laissés libresaprès leur comparution, ils sont invités à l’audience deconfirmation des charges du 22 Novembre 2010.

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141 - Seuls les mandats d’arrêts publics et les décisionspubliques seront exposés ici.

142 - Données du greffe le 27 Avril 2010.

143 - Nous ne connaissons pas le contenu de toutes lesdécisions du fait que certaines sont confidentielles, d’au-tres sous scellées, ce qui fait qu’il est impossible de don-ner le nombre exact dans chaque catégorie.

144 - Accords sur les privilèges et immunités, voir en An-nexe 3.

145 - Arrestation de Germain Katanga (RDC), arrestationde Mathieu Ngudjolo (RDC), arrestation de Jean-PierreBemba (RCA), comparution volontaire d’Abu Garda (Dar-four, Soudan).

146 - Pour la situation en Ouganda : M. Joseph Kony,M. Vincent Otti (peut-être assassiné en 2007 sur l’ordrede M. Kony), M. Okot Odhiambo et M. Dominic Ong-wen (depuis 2005).

Pour la situation du Darfour, Soudan : M. Omar Al-Bashir(depuis mars 2009), M. Ahmad Harun (depuis 2007) etM. Ali Kushayb (depuis 2007).Pour la situation en Répu-blique Démocratique du Congo : M. Bosco Ntaganda(depuis 2006).

147 - Sans que l’on puisse donner un pourcentage surl’état de l’exécution, notamment des réponses donnéespar les États, puisque celles sont en général confiden-tielles, mais les avoirs des personnes visées sont bloquésà la demande de la Cour.

148 - Voir en Annexe 1.

149 - Les situations de la Côte d’Ivoire et Palestine.

150 - Voir développements sur les situations pendantes auniveau de la CPI et Annexe 1.

151 - Ahmad Haroun est le Ministre d'État chargé des af-faires humanitaires au Soudan.

152 - Le Procureur a fait un discours au Conseil de Sécu-rité des Nations Unies le 11 Juin 2010 sur la CPI et l’af-faire du Soudan, voir en Annexe 4.

153 - Article 87 (a) du Statut de Rome: « La Cour est ha-bilitée à adresser des demandes de coopération auxÉtats Parties ».

154 - Ce rapport a décliné 66 recommandations de na-ture à faciliter la coopération avec les États, notammenten matière d’exécution des décisions de la Cour.

155 - Robert H. Mnookin & L. Kornhauser, Bargaining inthe Shadow of the Law: The Case of Divorce’ 88 YaleLaw Journal 950 (1979).

156 - Transcription de la CPI ICC-01/04-01/06-T-223-ENG ET WT 07-01-2010 1/77 NB T (7 janvier 2010).

157 - Voir notamment Philippe Fouchard, « Où va l’arbi-trage international », (1989) 34 R.D. McGill 435, à lap. 439.

158 - Voir par exemple l’article V(1)(d) de la Conventionpour la reconnaissance et l’exécution de sentences arbi-trales étrangères, 41e sess., Doc. N.U.A/CN.9/656/Add.1 (2008) [ci-après, la « Conventionde New York »], qui prévoit que dans le contexte d’unedemande de reconnaissance et exécution d’une sentencevisée par la Convention, la régularité de la constitution dutribunal arbitral s’apprécie à la lumière de la conventiondes parties. Voir aussi les articles 10(1), 11(2) et 13(1)de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercialinternational, Doc. N.U. A/40/17, ann. I (1985) [mod.Doc. N.U. A/61/17, ann. I (2006)] [ci-après, la « Loitype de la CNUDCI »], ainsi que l’article 5 de l’Acte uni-forme relatif au droit de l’arbitrage, J.O. OHADA, N° 08du 15 mai 1999, p. 2 [ci-après, l’« Acte uniformeOHADA »], qui consacrent la liberté des parties deconvenir du nombre d’arbitres, de la procédure de consti-tution du tribunal arbitral ainsi que de la procédure de ré-cusation d’un arbitre. (Sur l’influence de la Convention deNew York et de la Loi type, voir infra, aux n° 12 et 13.)

159 - Voir l’article V(1)(d) de la Convention de NewYork, l’article 19(1) de la Loi type de la CNUDCI, l’arti-cle 14 de l’Acte uniforme OHADA, ainsi que Gary B.Born, International Commercial Arbitration, vol. II (Kluwer:2009), aux pp. 1748 et suiv.

160 - Voir l’article 28(1) de la Loi type de la CNUDCI,l’article VII(1) de la Convention européenne sur l’arbitragecommercial international du 21 avril 1961 [ci-après, la «Convention européenne »], l’article 15 de l’Acte uniformeOHADA.

161 - Voir l’article 16(1) de la Loi type de la CNUDCI,l’article V(3) de la Convention européenne, l’article 11de l’Acte uniforme OHADA et Pierre Mayer, « L’autono-mie de l’arbitre dans l’appréciation de sa propre compé-tence », (1989) 217 R.C.A.D.I. 319.

162 - Voir l’article 12 de la Loi type de la CNUDCI, l’ar-ticle 6 de l’Acte uniforme OHADA et le General Stan-dard 1 des IBA Guidelines on Conflicts of Interest inInternational Arbitration (International Bar Association,2004).

163 - Voir Thomas Clay, L’arbitre (Dalloz: 2001), aux pp.451 et suiv.

164 - Voir notamment : Emmanuel Gaillard et John Sa-vage, dir., Fouchard Gaillard Goldman on InternationalCommercial Arbitration (Kluwer : 1999), aux pp. 102-103 (n° 189); Philippe Fouchard, « Les institutions perma-nentes d’arbitrage devant le juge étatique (À proposd’une jurisprudence récente) », Rev. arb. 1987.225, aux

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pp. 264 et suiv. (n° 49 et suiv.); Cour d’appel du Qué-bec, 31 mars 2003, Compagnie nationale Air France c.MBaye, [2000] R.J.Q. 717; Rev. arb. 2003.1365 (noteA. Prujiner).

165 - Emmanuel Gaillard, Aspects philosophiques dudroit de l’arbitrage international (Martinus Nijhoff :2008). Comme l’explique l’auteur, le premier à avoir uti-lisé l’expression semble être le Professeur Daniel Cohen(voir p. 65, n° 43),

166 - Voir par exemple la Résolution 2205 (XXI) de l’As-semblée Générale des Nations Unies adoptée le 17 dé-cembre 1966 et intitulée « Création de la Commissiondes Nations Unies pour le droit commercial international»; on y lit notamment que « […] la coopération entre lesÉtats en matière de commerce international peut beau-coup contribuer à favoriser les relations amicales et, parconséquent, le maintien de la paix et de la sécurité ».

167 - Ce lien fut souligné par le Secrétaire général desNations Unies à l’occasion du quarantième anniversairede la Convention de New York : Kofi Anna, « The 1958New York Convention as a Model for Subsequent Legisla-tive Texts on Arbitration », (1999) 15 Arb. Int. 319, à lap. 320.

168 - Sur cette notion, voir : Charles Jarrosson, « Ré-flexions sur l’imperium », dans Études Offertes à PierreBellet (Litec : 1999), p. 245.

169 - Sur l’arbitrage dans l’espace juridique OHADA,voir, de manière générale, Philippe Fouchard, dir.,L’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique(Bruxelles : 2000).

170 - Voir par exemple : Michael J. Mustill et Stewart C.Boyd, Commercial Arbitration, 2e éd. (London : 1989),aux pp. 475 et suiv.; Andrew Tweedale et Keren Twee-dale, A Practical Approach to Arbitration Law (London :1999), aux pp. 24 et suiv.; Richard H. McLaren et EarlE. Palmer, The Law and Practice of Commercial Arbitra-tion (Toronto : 1982), aux pp. 32 et suiv.

171 - Voir surtout M.J. Mustill et S.C. Boyd, supra note14, aux pp. 431 et suiv. (spécialement les pp. 448-451).

172 - Voir par exemple : Cour d’appel de Paris, 25 jan-vier 1972, Quijano Aguero c. Laporte, Rev. arb.1973.158 (note Ph. Fouchard); Cour d’appel du Qué-bec, 10 octobre 1989, Re/Max Ideal Inc. c. Des-champs, J.E. 89-1550.

172 - Voir par exemple l’arrêt de la Cour suprême du Ca-nada rendu le 16 décembre 1963 dans National Gyp-sum Co. v. Northern Sales Ltd., [1964] R.C.S. 144,concluant à l’invalidité de la clause compromissoire endroit québécois pour cause de contrariété à l’ordre public.

174 - Voir sur cette question l’article II(3) de la Conven-tion de New York, l’article 8(1) de la Loi type de laCNUDCI, l’article 13 de l’Acte uniforme OHADA, ainsique l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada le 22juillet 2005 dans GreCon Dimter inc. c. J.R. Normandinc., [2005] 2 R.C.S. 401; Rev. arb. 2005.1084 (noteF. Bachand).

175 - G.B. Born, supra note 3, vol. I, à la p. 1063 (« [i]tis almost uniformly held or assumed that generally-appli-cable rules of contract construction apply to the interpreta-tion of international arbitration agreements »).

176 - Notamment grâce à l’influence et au succès de laLoi type de la CNUDCI, qui exclut tout contrôle judiciairedu bien-fondé des sentences arbitrales : voir les articles34-36. Il est encore possible, dans certains pays, de por-ter en appel des sentences arbitrales internationales, maisla tendance est nettement vers l’abandon de l’appel. Deplus, un tel appel peut souvent être écarté conventionnel-lement par les parties, comme c’est le cas en Angleterre :voir l’article 69 de l’Arbitration Act, 1996, c. 23.

177 - Voir par exemple; Cour suprême du Canada, 21mars 2003, Desputeaux c. Éditions Chouette (1987)inc., [2003] 1 R.C.S. 178; Rev. arb. 2003.473 (note F.Bachand); Cour suprême des États-Unis, 2 juillet 1985,Mitsubishi Motors Corp. v. Soler Chrysler-Plymouth, Inc.,473 U.S. 614 (1985).

178 - On consultera avec intérêt Louise Otis et Éric H.Reiter, « Mediation by Judges: A New Phenomenon in theTransformation of Justice », (2006) 6 Pepp. Disp. Resol.L.J. 351.

179 - La plupart des lois modernes régissant l’arbitrageinternational prévoient l’intervention judiciaire visant à as-surer la constitution du tribunal arbitral; voir sur ce pointG.B. Born, supra note 3, aux 1417 et suiv.

180 - Voir Sébastien Besson, Arbitrage international etmesures provisoires (Zurich : 1998), aux pp. 147 et suiv.

181 - Voir à ce sujet G.B. Born, supra note 3, vol. II, auxpp. 1923 et suiv.

182 - Voir surtout Sigvard Jarvin, « To What Extent AreProcedural Decisions of Arbitrators Subject to Court Re-view ? », dans Albert Jan van den Berg (dir.), Improvingthe Efficiency of Arbitration Agreements and Awards : 40Years of Application of the New York Convention—ICCACongress Series No. 9 (Kluwer : 1999), p. 366.

183 - Le contrôle judiciaire de la compétence du tribunalarbitral et du respect des conditions minimales d’un pro-cès équitable est expressément prévu dans la Conventionde New York (voir les articles V(1)(c) et V(1)(b)) et reprisdans toutes les lois modernes régissant l’arbitrage interna-tional.

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184 - En France, les demandes relatives à la constitutiond’un tribunal arbitral international sont présentée au Prési-dent du Tribunal de grande instance de Paris (article1493 du Nouveau Code de procédure civile) et il estbien connu que les affaires d’arbitrage international sou-mises à la Cour d’appel de Paris sont jugées par ungroupe restreint de juges dont le membre le plus influentétait, jusqu’à récemment, Dominique Hascher, aujourd’huiPrésident de chambre à la Cour d’appel de Reims. EnSuisse, toute demande d’annulation d’une sentence arbi-trale internationale rendue en Suisse est présentée au Tri-bunal fédéral, l’autorité judiciaire suprême du pays : voirl’article 191 de la Loi sur le droit international privé de1987. En Tunisie, c’est devant la Cour d’appel de Tunisqu’est concentré le contentieux relatif à des arbitrages in-ternationaux et portant sur la constitution du tribunal, la ré-cusation d’un arbitre, le contrôle intérimaire de lacompétence du tribunal arbitral, l’exécution de mesuresprovisoires ou conservatoires octroyées par le tribunal ar-bitral, l’annulation des sentences arbitrales rendues en Tu-nisie ainsi que la reconnaissance et l’exécution dessentences arbitrales : voir les articles 47 et suiv. du Codede l’arbitrage de 1993.

185 - Voir Bernard Hanotiau, « L’arbitrabilité », (2002)296 R.C.A.D.I. 29, aux pp. 78 et suiv. (n° 82 et suiv.).

186 - Sur la notion d’ordre public dans le contrôle dessentences internationales, voir notamment Jean-BaptisteRacine, L’arbitrage commercial international et l’ordre pu-blic (Paris : 1999), aux pp. 443 et suiv. (n° 793 et suiv.).

187 - Sur ce phénomène, voir notamment : Julie Allard etAntoine Garapon, Les juges dans la mondialisation — Lanouvelle révolution du droit (Seuil : 2005); Tom Bingham,Widening Horizons—The Influence of Comparative Lawand International Law on Domestic Law (Cambridge :2010).

188 - On trouve une liste à jour des États parties à laConvention de New York à la page suivante du site inter-net de la CNUDCI :http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/arbi-tration/NYConvention_status.html.

189 - Sur le fait que l’article II(3) de la Convention deNew York exclut tout pouvoir discrétionnaire de refuser dedonner effet à une convention d’arbitrage qui est par ail-leurs valide et applicable au plan contractuel, voir l’arrêtde la Cour suprême du Canada dans l’affaire GreCon,supra note 18.

190 - Les exceptions prévues à l’article V concernent demanière générale la compétence du tribunal arbitral, larégularité de la procédure arbitrale et la conformité de lasentence à l’ordre public.

191 - En effet, l’article 5 de la Loi type prévoit que «[p]our toutes les questions régies par la présente Loi, lestribunaux ne peuvent intervenir que dans les cas où celle-ci le prévoit ». Sur la porté de cette disposition, voir Fré-

déric Bachand, L’intervention du juge canadien avant etdurant un arbitrage commercial international (Paris :2005), aux pp. 105 et suiv. (n° 159 et suiv.).

192 - pour une liste à jour des pays l’ayant adoptée, voirla page suivante du site internet de la CNUDCI :http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/arbi-tration/1985Model_arbitration_status.html.

Ainsi, selon M. Born, la loi de 1996 « compiled all priorEnglish legislative provisions relating to arbitration into asingle statute, based in large part on the UNCITRALModel Law, and introduced a modern ‘pro-arbitration’ le-gislative regime for international arbitration in England »(G.B. Born, supra note 3, vol. I, à la p. 129).

194 - Voir supra, note 18.

195 - Cour suprême du Canada, 20 mai 2010, Yugra-neft Corp. c. Rexx Management Corp., [2010] 1 R.C.S.649.

196 - Voir supra, au par. 1.

197 - Les États-Unis sont le théâtre d’une controverse parti-culièrement vive sur cette question depuis quelques an-nées : voir notamment l’arrêt de la Cour suprême desÉtats-Unis rendu le 26 juin 2003 dans l’affaire Lawrencec. Texas, 539 U.S. 558 (2003).

198 - La pratique au Québec a toujours été fortement in-fluencée sur cette question par la tradition de commonlaw, où le recours à l’expert engagé par les parties estbeaucoup plus fréquent que le recours à l’expert nommépar la cour qui est privilégié dans les pays civilistes.

199 - Cour d’appel du Québec, 31 mars 2003, Com-pagnie Nationale Air France c. MBaye, [2003] R.J.Q.1040; Rev. arb. 2003.1365 (note A. Prujiner).

200 - Cour supérieure du Québec, 8 décembre 2008,Holding Tusculum, b.v. c. Louis Dreyfus, s.a.s. (SA LouisDreyfus & Cie) et Louis Dreyfus, s.a.s. (SA Louis Dreyfus &Cie) c. Holding Tusculum, b.v., 2008 QCCS 5904(CanLII) et 2008 QCCS 5903 (CanLII). La décision surl’admissibilité des expertises, datée du 26 mai 2006, estHolding Tusculum B.V. c. S.A. Louis Dreyfus & Cie, 2006QCCS 2827 (CanLII).

201 - Par exemple, la Chambre de commerce internatio-nale est intervenue en Cour suprême des États-Unis dansla célèbre affaire Mitsubushi Motors Corp. v. Soler Chrys-ler-Plymouth, Inc., 473 U.S. 614 (décision du 2 juillet1985, commentée par J. Robert à Rev. arb. 1986.173).Au Canada, la Cour d’arbitrage international de Londresest intervenue devant la Cour suprême du Canada dansdeux affaires d’arbitrage afin d’éclairer les juges sur lecontexte international pertinent; voir : Dell ComputerCorp. c. Union des consommateurs, [2007] 2 R.C.S.801 (décision du 13 juillet 2007); Yugraneft Corp. c.Rexx Management Corp., supra.

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202 - System des heutigen Romanishen Rechts (1949) (Traité de droit romain , livre III, Ch,.1, trad. 1851).

203 - Article 3082:” A titre exceptionnel, la loi désignéepar le présent livre n’est pas applicable si, compte tenude l’ensemble des circonstances, il est manifeste que la si-tuation n’a qu’un lien éloigné avec cette loi et qu’elle setrouve en relation beaucoup plus étroite avec la loi d’unautre État. La présente disposition, n’est pas applicablelorsque la loi est designée dans un acte juridique.

204 - A Critique of the Choice of Law Process (1933),47 Harvard Law Review 173; The Choice of Law Pro-cess(1965).

205 - Restatement of the Law, Second, Conflict of Laws2d (1971).

206 - Restatement of the Law of Conflict of Laws (1934).

207 - The Proper Law of Tort (1951), 64 Harvard LawReview 881.

208 - Voir par ex. arts. 3088, 3091, 3109,3126,3128 du Code civil du Québec.

209 - Loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit in-ternational privé.

210 - Notes on Methods and Objectives in the Conflictof Laws, [1959] Duke Law Review 171; Selected Essayson the Conflict of Laws (1963).

211 - Choice of Law and the Federal System (1963), 16Stanford Law Review 1.

212 - 11 avril 1980, 1489 R.T.N.U. 3.

213 - 143 L.N.T.S.257.

214 - 143 L.N.T.S. 335.

215 - 137 L.N.T.S. 11.

216 - 330 R.T.N.U. 3.

217 - Voir Recueil des Conventions de La Haye 1951-1988.

218 - 19 juin 1980, J.O. n.l.-266 du 9 octobre 1980.

219 - Goldstein, La méthode de la reconnaissance, unenouvelle clé pour décoder les règles relatives à l’effet auQuébec d’une transaction internationale (2009), 68Revue du Barreau du Québec 279.

220 - Castel, The Uncertainty Factor in Canadian PrivateInternational Law (2007), 52 McGill Law Journal 555.

221 - Voir le livre de Me Raymond d’Unienville, QC - Cé-licourt Antelme et le Français en Cour Suprême” ou “l’his-toire de la nuit du 15 juillet 1847” accompagnée dumythe rappelant le dernier discours en français au prê-

toire - jusqu’à minuit, disait-on, avant que Cendrillon neparte dans sa carrosse.

222 - Voir l’approche de la Cour Suprême de l’île Mau-rice et celle du Privy Council dans les arrêts Shand v. P &O [1863 MR 6] et P & O v. Shand [1865 MR 161]

223 - Voir “Lettre ouverte de Monsieur Georges ChungTick Kan” à Madame Eva Joly” publiée dans l’édition du7 février 2010 de l’hebdomadaire Week End.

224 - art. 1784

225 - voir Pardessus - Droit Commercial 2. No. 542,Edition 1825

226 - P & O v. Shand 1865 MR 161

227 - 2010 SCJ 17

228 - Voir le jugement du House of Lords dans l’affaireSpiliada Maritime Corporation v/s Cansulex Ltd [1987]AC 460 à la page 476.

229 - Rev.Crit.2002.note Chalas

230 - EUE CJ/2005/C28102

231 - (a) Oceanic Sun Line Special Shipping Co. v/sFay (1988) 165 CLR 197

(b) Voth v/s Manildra Flour Mills (1990) 171 CLR 538

232 - Régie Nationale des Usines Renault SA v/s Zhang(2002) 210 CLR 491

233 - Civ. 15 mai 1963, J.C.P 1963.II.13365 noteMotulsky, Journ.Dr.Int.1963.1016, note Malaurie,Rev.Crit.1964.532, note Lagarde

234 - Austin v. Bailey 1962 MR 113

235 - John P. Dawson, The Oracles of the Law (1968) ;Raoul c. van Caenegem, Judges, Legislators and Profes-sors: Chapters in European Legal History (1987), pp. 67-69, 84-86, 108-09.

236 - Cette liste officielle des sources de droit a été forte-ment remise en question. Il a été suggéré notamment,qu’elle ne reflète pas la pratique juridique. Voir par exem-ple: Stefan Vogenauer, « Sources of Law and Legal Me-thod in Comparative Law », dans Mathias Reimann etReinhard Zimmermann, dir., The Oxford Handbook ofComparative Law 869 (Oxford University Press, 2006),pp. 877-885.

237 - A contrario, les propos des juges qui ne sont pas di-rectement liés à la résolution du litige ne sont pas considéréscréateurs de droit. Ayant été énoncés “en passant”—à titrede simple « obiter dicta »—ils sont considérés comme étantseulement « persuasifs ». Voir à cet effet: Stephen R. Perry, «Judicial Obligation, Precedent and the Common Law »,(1987) 7 Oxford J. of Legal Studies 215, pp. 239-45.

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238 - « Legal Transplants ». L’expression vient de: AlanWatson, Legal Transplants: An Approach to ComparativeLaw (2nd ed., 1993). Parmi les nombreuses autres méta-phores utilisées pour décrire le même phénomène, on re-trouve l’ « irritant juridique » (Gunter Teubner, « LegalIrritants : Good faith in British Law or How Unifying LawEnds up in New Divergences », (1998) 61 Modern LawReview 11) ; la « traduction juridique » (Maximo Langer, «From Legal Transplants to Legal Translations : the Globali-zation of Plea Bargaining and the Americanization Thesisin Criminal Procedure », (2004) 45 Harvard InternationalLaw Journal 1) ; la « transformation juridique » (ZhangrunXu, « Western Law in China: transplantation or transfor-mation - four cases and Liang Shuming’s responses »,(2004) 25 Social Sciences in China 3) ; la « transposi-tion juridique » (Esin Orücü, « Law as Transposition »,(2002) 51 International & Comparative Law Quarterly205); et l’ « adaptation sélective » (Pitman B. Potter, «Legal Reform in China: Institutions, Culture, and SelectiveAdaptation », (2004) 29 Law & Social Inquiry 465).

239 - C.-L. de Montesquieu, De l’esprit des lois; lesgrands thèmes, Livre 11, chapitre 6 (Paris: Gallimard,1970), p. 178. Voir en général : R.G. MacLean , « Judi-cial Discretion in the Civil Law » (1982) 43 La. L. Rev. 45at 46; F. Deak et M. Rheinstein, « The Development ofFrench and German Law » (1936) 24 Geo. L.J. 55.

240 - Pour une affirmation que ceci est également le casen common law, voir : Fairchild c. Glenhaven FuneralServices Ltd [2002] UKHL 22, paras. 156 et 168 ;[2003] 1 AC 32, pp. 113 et 118 (Lord Rodger).

241 - Pierre Legrand, « European Legal Systems Are NotConverging » (1996) 45 Int.’l & Comp. L. Q. at 52-81;Pierre Legrand, « The Impossibility of Legal Transplants »,(1997) 4 Maastricht J. European & Comparative Law111. Pour d’autres anti-greffes bien en vue, voir : WilliamEwald, « Comparative Jurisprudence II : The Logic ofLegal Transplants », (1995) 43 Am. J. Comp. Law. 489;Gunter Teubner, supra note 237.

242 - Pour un aperçu général de ces initiatives, voir : Ar-jani, Gianmaria, « By Chance and Prestige : Legal Trans-plants in Russia and Eastern Europe », (1995) 43 Am. J.Comp. L 93 ; Robert Sharlet, « Legal Transplants and Politi-cal Mutations : The Reception of Constitutional Law in Rus-sia and the Newly Independent States », (1998) EastEuropean Constitutional Rev. 59 ; James Dobbins et al.,America’s Role in Nation-Building : From Germany to Iraq(2003); Andras Sajo, dir., Judicial Integrity, (2004) ; Ran-dall Peerenboom, dir.., Asia Discourses of Rule of Law :Theories and Implementation of Rule of Law in Twelve AsianCountries, France and the US, (2004) ; John Gillespie etPip Nicholson, dirs., Asian Socialism and Legal Change :The Dynamics of Vietnamese and Chinese Reform (2005) ;Commission for Africa, Our Common Interest (2005)(http://www.commissionforafrica.org/english/report/intro-duction.html#report) ; Timothy Lindsey, dir., Law Reform inDeveloping and Transitional States (London: Routledge,2007).

243 - Les bilans de telles initiatives sont effectivement lar-gement négatifs. Voir par exemple : Stephen Holmes, «Back to the Drawing Board: An Argument for Constitutio-nal Postponement in Eastern Europe » (1993) 2 East Euro-pean Constitutional Review 21; Yves Dezalay and BryantG. Garth, The Internationalization of Palace Wars : La-wyers, Economists, and the Contest to Transform LatinAmerican States (Chicago: University of Chicago, 2002); Peter Evans, « Development as Institutional Change: ThePitfalls of Monocropping and the Potentials of Delibera-tion », (2003) 38 Studies in Comparative InternationalDevelopment 30 ; William Easterly, William, The WhiteMan’s Burden: Why the West’s Efforts to Aid the RestHave Done So Much Ill and So Little Good (New York:Penguin Press, 2006) ; Timothy Lindsay, dir., Law Reformin Developing and Transitional States (London : Rout-ledge, 2007).

244 - Sur les difficultés des échanges entre le droit civil etla common law à l’intérieur même du Canada, voir : Syl-vio Normand, « An Introduction to Quebec Civil Law »dans Aline Grenon et Louise Bélanger-Hardy, Elements ofQuebec Civil Law : A Comparison with the CommonLaw of Canada, 25 (Toronto, Thomson Carswell, 2008),aux p. 71 et suiv.

245 - Dobbins et al, supra note 241.

246 - Alan Watson, supra note 237.

247 - Voir à ce sujet, la récente conférence tenue à la Fa-culté de droit de l’Université McGill intitulée « The Worldsof the Trust/La fiducie dans tous ses États » :http://www.mcgill.ca/crdpcq/activities/trust.

248 - Sur l’école historique allemande, et son copinageavec les romantiques, voir: G. Del Vecchio Philosophiedu droit, (Paris : Dalloz, 1953), pp. 111 et suivantes.Parmi les piliers intellectuels de l’historicisme allemand fi-guraient, dans leurs domaines linguistique et juridique res-pectifs, Herder (J.G. Herder, Traité de l’origine dulangage (D. Modigliani, transl., Paris: PUF, 1992)) et Sa-vigny (F.K. von Savigny, Vom Beruf unserer Zeit für Ge-setzgebung une Rechtswissenschaft (New York, NY: ArnoPress, 1975)).

249 - Une autonomie complète requérrait que les créa-teurs de droit soient capables de n’écouter que leur rai-son, ce qui n’est pas le cas. Voir à cet effet : G.Frankenberg, « Critical Comparisons: Re-thinking Compa-rative Law » (1985) 26 Harv. Int. L. J. 411.

250 - Lawrence c. Texas, 539 US 558 (2003); Roper c.Simmons, 543 US 551 (2005).

251 - Supra note 237.

252 - Watson, supra note 237

253 - A. Watson, « Legal Change: Sources of Law andLegal Culture » (1983) 131 U. Penn. L. Rev. 1121, aux

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p. 1138-39; A. Watson, « Legal Transplants and Euro-pean Private Law » (2000) 4.4 Electronic J. of Comp.Law, http://www.ejcl.org/ejcl/44/44-2.html, section I,texte suivant la note 5.

254 - Parmi les grands classiques du positivisme, on re-trouve : Thomas Hobbes, Leviathan (1651) ; Jeremy Ben-tham, Of Laws in General (1970); John Austin, TheProvince of Jurisprudence Determined (1995); Hans Kel-sen, General Theory of Law and State (1961); Herbert L.A. Hart, The Concept of Law (1961).

255 - Plusieurs des positivistes notés ci-dessus (supra note253), notamment Hobbes et Bentham, considéraientqu’un fondement universel commun unit tous les systèmesjuridiques.

256 - Parmi les grands classiques de l’école du droit na-turel, on retrouve : Hugo Grotius, De iure Belli ac Pacis(1625); Pufendorf, De Iure Naturae et Gentium (1672);Thomas Aquinas, Summa Theologica (A. Pegis, ed.,1945); John Selden, Opera Omnia (D. Wilkins, ed.,1726); John Locke, Two Treatises of Government, PeterLaslett, ed. (Cambridge University Press, 1960) ; Jean-Jacques Rousseau, Discourse on the Origin and Founda-tions of Inequality among Men (Bush, Masters, Kelly &Marshall, transl., Hanover, NH: University Press of NewEngland, 1992).

257 - Le plus célèbre protagoniste de l’analyse écono-mique du droit est sans nul doute son fondateur : RichardA. Posner (Economic Analysis of Law (Boston : Little,Brown, 1972

258 - Voir par exemple : Daniel Berkowitz, et al., « Eco-nomic Development, Legality, and the Transplant Effect »,(2003) European Economic Review 47; Ronald J. Danielset Michael J. Trebilcock, « The Political Economy of Ruleof Law Reform in Developing Countries (2004)(http://www.wdi.bus.umich.edu/global_conf/papers/revised/Trebilcock_Michael.pdf).

259 - Institut international pour l’unification du droit privé,Les principes UNIDROIT (Rome, 2004)

260 - James Gordley, Foundations of Private Law : Pro-perty, Tort, Contract, Unjust Enrichment (Oxford, OxfordUniversity Press, 2006) ; James Gordley, dir., The Enfor-ceability of Promises in European Contract Law (NewYork : Cambridge University Press, 2001).

261 - Konrad Zweigert et Heinz Kötz, An Introduction toComparative Law, vol. 1 (Oxford: Oxford UniversityPress, 3ème éd., 1998), aux p. 28-45.

262 - Voir par exemple: Randall Peerenboom, dir., AsianDiscourses of Rule of Law in Asia: Theories and Implemen-tation of Rule of Law in Twelve Asian Countries, France,and the U.S (London: Routledge Curson, 2003).

263 - Les périls entourant les « faux amis » du droit com-

paré ont tout récemment été évoqués par la Cour d’appelfédérale américaine du 7ème Circuit dans le cadre d’uneaffaire mettant en cause une question d’interprétation descontrats en droit français. (Bodum USA c. La Cafetière,Inc. (No. 09-1892, 2 septembre 2010).) Alors que lejuge Posner s’oppose vigoureusement à ce que les jugesdu for recourent au témoignage d’experts étrangerslorsqu’il s’agit d’interpréter du droit étranger (aux p. 15 etsuivantes du jugement), le juge Wood, dans sa dissi-dence, conclut en faveur d’un tel recours, précisément enraison des risques posés par lesdits « faux amis » (aux p.31 et suivantes). Pour un aperçu général de la question,voir : Rodolfo Sacco, « Legal Formants: A Dynamic Ap-proach to Comparative Law », (1991) 39 Am. J. Comp.L. 1.

264 - Depuis Radbruch (« über die Methode der Rechts-vergleichung » 1905/06 II MKSR 423), la question dela détermination d’un tertium comparationis impartial, quin’a pas pour effet de favoriser dès le départ l’un ou l’au-tre des systèmes sous étude, ne cesse de hanter les com-paratistes du droit. Pour un aperçu de la question : HKötz, « Comparative Law in Germany Today » (1999)Revue internationale de droit comparé 753, aux p. 758et suiv.

265 - Zweigert & Kötz, supra note 260.

266 - White c. William Bluett (1853), 23 L.J. Ex. (N.S.)36 (Eng. Ex. Ct.); Thomas c. Thomas (1842) 2 Q.B.851; 114 E.R. 330 (Q.B.)

267 - Pour le Québec, par exemple, voir les arts. 1378et 1386 CCQ.

268 - Art. 1824 CCQ.

269 - De la même façon, le comparatiste qui entrepren-drait de comparer le traitement de l’erreur contractuelle endroit français et en droit anglais se surprendrait d’abordde ce que ce dernier semble n’accorder que très peud’attention à la question. La liste des erreurs officiellementreconnues en droit anglais comme donnant lieu à un quel-conque recours est en effet extrêmement limitée, certaine-ment en comparaison avec sa contrepartie civiliste. Onpourrait donc croire à prime abord que le droit anglaisest bien plus dur que le droit français envers les individusdont l’engagement contractuel est fondé sur une erreur.Une telle conclusion serait cependant prématuréepuisqu’un regard plus large sur le droit anglais révèle quebeaucoup des situations contractuelles qui, en droit fran-çais, sont considérées comme relevant du droit de l’erreurrelèvent, en droit anglais, du droit de l’interprétation. Pouravoir une idée juste du traitement de l’erreur contractuelleen droit anglais, il faut dès lors étudier, non seulement ceque le droit anglais considère comme étant le droit del’erreur contractuelle, mais également ce qu’il considèrecomme étant le droit de l’interprétation contractuelle. Unpoint de départ adéquat, menant à ce regard plus large,serait donc de se demander, non pas « Quelles sont lesrègles afférentes à l’ « erreur contractuelle » dans les deux

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21-23 juin 2010 C o u r S u p r ê m e d u C a n a d a O t t a w a

systèmes ? », mais plutôt « Quelles règles sont déployéesdans les deux systèmes en réponse à une situation oùdeux parties s’entendent pour vendre et acheter un objetX, mais l’acheteur croit erronément que cet objet possèdeune certaine qualité fondamentale sans laquelle il ne l’au-rait pas acheté ». Alors que la réponse à cette questionmènera au droit français de l’erreur, du côté anglais, ellemènera tout naturellement au droit de l’erreur et au droitde l’interprétation. Voir à cet effet: C. Valcke, « Diver-gence and Convergence among English, French, andGerman Conceptions of Contract » (2008) 16 EuropeanReview of Private Law, 29.

270 - Steven Vogenauer, « Sources of Law and Legal Me-thod in Comparative Law » dans Mathias Reimann &Reinhard Zimmermann, dirs., The Oxford Handbook ofComparative Law 869 (Oxford University Press, 2008),aux p. 872-73.

271 - Même si, tel que l’a souligné Geoffrey Samuel (“Epistemology and Comparative Law: Contributions fromthe Sciences and Social Sciences” dans Mark vanHoecke, dir., Epistemology and Methodology of

Comparative Law 36 (Portland: Hart Publishing, 2004),aux p. 38-43), ces functions sont loin d’être parfaitementuniformes, un certain degré d’uniformité suffit pour les finsde la méthode fonctionnaliste défendue ici. Sur l’épineusequestion de la presumption de similarité fonctionnelle desrègles de droit, voir : Michelle Graziadei, « The Functio-nalist Heritage » dans Pierre Legrand et Roderick Mun-day, Comparative Legal Studies: Traditions andTransitions 100 (Cambridge University Press, 2003).

272 - v. pour les États-Unis, R. Bismuth, L’utilisation dessources de droit étrangères dans la jurisprudence de laCours suprême des États-Unis, RIDC, n° 1, 2010, pp.pp. 105-133

273 - v. pour un très bon exemple en dehors de l’espacefrancophone le cas sud-africain à travers la décision du 6juin 1995 de la Cour constitutionnelle sur l’inconstitution-nalité de la peine de mort ; F. Hourquebie, La diffusiondu constitutionnalisme en Afrique du Sud : une analyse àtravers la décision de la Cour constitutionnelle du 6 juin1995 portant inconstitutionnalité de la peine de mort, Po-liteia, n°7, 2005, pp. 649-675

274 - cf infra sur l’autorité de ces décisions

275 - v. sur cette question M.-Cl. Ponthoreau, Le recoursà l’argument de droit comparé par le juge constitutionnel.Quelques problèmes théoriques et techniques, in F. Melin-Soucramanien (dir.), L’interprétation constitutionnelle, Dal-loz, 2005, pp. 167-184

276 - v. M.-Cl. Ponthoreau, préc.). Dans le même sens,la théorie du droit vivant élaborée par la Cour constitu-tionnelle italienne permet de justifier une interprétation ou-verte et évolutive des textes (v. G. Zagrebelsky, Ladoctrine du droit vivant et la question de constitutionnalité,

Constitutions, n°1, 2010, pp. 9-20

277 - « Les arrêts de la Cour suprême du Canada fontvoir une démarche interprétative ouverte au droit étranger(G.V. La Forest, « The Use of International and ForeignMaterial in the Supreme Court of Canada », Procee-dings, XVIIth Annual Conference, Canadian Council onInternational Law, 1988, p. 230-241; W.A. Schabas, «Twenty-Five Years of Public International Law at the Su-preme Court of Canada » (2000), 79 Canadian Bar Re-view 174) (…).

278 - par exemple : R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985]1 R.C.S. 295

279 - Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration,[1999] 2 R.C.S. 817

280 - Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100

281 - R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; voir aussiPeter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd.,2007, p. 112

282 - [1977] 2 R.C.S. 680; Re Treaty of Versailles, ReHours of Labour, [1925] S.C.R. 505

283 - voir, par ex., Dikranian c. Québec (Procureur géné-ral), 2005 CSC 73, [2005] 3 R.C.S. 530, qui portaitsur une question de « rétroactivité » des lois

284 - [1932] A.C. 562 (H.L.)

285 - Renvoi relatif au mariage entre personnes du mêmesexe, 2004 CSC 79, [2004] 3 R.C.S. 698, par. 22) (v.réponse à la question n° 16

286 - v. infra le lien entre recours aux précédents jurispru-dentiels et styles judiciaires

287 - v. notre référence supra

288 - CCT 20/94 ; 1995(3), SA 632(CC) ; 1995(7),BCLR 861(CC)

289 - J. du Bois de Gaudusson, La complexité de la parti-cipation des cours suprêmes des pays en voie de déve-loppement au dialogue des juges, LPA 4 juin 2008

290 - V. en ce sens les travaux de la Fondation pour ledroit continental en réponse aux Rapports de la Banquemondiale, Doing business ; http://www.fondation-droit-continental.org et http://francais.doingbusiness.org

291 - v. M-Cl. Ponthoreau, préc.

292 - (pour davantage de précisions voir les rapports2006, 2008 et 2010 sur l’état des pratiques de la dé-mocratie, des droits et des libertés dans l’espace franco-phone, http://democratie.francophonie.org

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293 - v. en ce sens le rôle des réseaux de la Francopho-nie sur ce terrain là

294 - M.-Cl. Ponthoreau, préc.

295 - D. Maus, Le recours aux précédents étrangers et ledialogue des cours constitutionnelles, RFDC n° 80,2009, pp. 675-696

296 - v. en ce sens, O. Dutheillet de Lamothe, le constitu-tionnalisme comparatif dans la pratique du Conseil consti-tutionnel,http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitution-nel/root/bank_mm/pdf/Conseil/comparatif.pdf

297 - G.V. La Forest, «The Use of International and Fo-reign Material in the Supreme Court of Canada », Pro-ceedings, XVIIth Annual Conference, Canadian Councilon International Law, 1988, p. 230-241; W.A. Scha-bas, « Twenty-Five Years of Public International Law at theSupreme Court of Canada » (2000), 79 Canadian BarReview 174), la Cour n’accordera au droit étrangerqu’un effet persuasif plutôt qu’un effet obligatoire (M. Ba-starache, «How Internationalization of the Law has Mate-rialized in Canada »

298 - F. Jacquelot, Le juge constitutionnel et le droit com-paré, LPA, 16 janvier 2007

299 - Selon le dictionnaire Larousse

300 - Pourtant, certaines exceptions demeurent, etquelques constitutions écrites restent largement silen-cieuses sur le thème du droit international : Australie(Constitution du 9 juillet 1900), Brésil (Constitution du 5octobre 1988), Canada (lois constitutionnelles de 1987et 1982), Chili (Décret suprême du 24 octobre 1980), Is-raël (ensemble de 11 lois fondamentales adoptées entre1958 et 2001), Japon - Constitution du 3 novembre1946- (et de nombreux pays d’Asie et du Moyen-Orient),Nouvelle-Zélande (non-codifiée, composée d’un ensem-ble de textes et principes). Lesdites constitutions ne fontque répartir la procédure de ratification des traités entreles pouvoirs nationaux, sans déterminer les règles de vali-dité interne du droit international. Ce sont généralementdes États de tradition dualiste, laissant de fait au législa-teur, si ce n’est au juge, la tache de délimiter les moyenset le degré d’intégration de ce droit.

301 - Pour une liste exemplative, on peut voir : Bulgarie(Constitution du 12 juillet 1991, article 5.4), Colombie(Constitution du 5 juillet 1991, articles 53 et 93 portantrespectivement sur les conventions internationales du tra-vail et les traités de protection des droits de l’homme),Equateur (Constitution du 10 août 1998, article 163), Es-pagne (Constitution du 27 décembre 1978, article 96),France - Constitution du 4 octobre 1958, article 55 - (etde nombreux pays d’Afrique francophone dotés de dispo-sitions similaires), Grèce (Constitution du 11 juin 1975,article 28), Macédoine (Constitution du 17 novembre1991, article 118), Pérou (Constitution du 31 décembre

1993, article 55), Portugal (Constitution du 2 avril1976, article 8.2), Roumanie (Constitution du 8 décem-bre 1991, article 11), Russie (Constitution du 12 décem-bre 1993, article 15.4).

302 - L’autorisation parlementaire préalable ne présenteaucun contenu normatif : n’étant qu’une simple autorisa-tion conférée à l’exécutif, elle n’emporte aucune consé-quence sur la validité ou le contenu du traité.

303 - Pour exemple, on peut mentionner les constitutionsdes Etats suivants : Albanie (Constitution du 4 août1998, article 126.1), Pays-Bas (Constitution du 17 fé-vrier 1983, article 93), Pologne (Constitution du 17 octo-bre 1997, article 91.1), Suisse (Constitution du 18 avril1999, article 189). L’article 6.2 de la Constitution améri-caine (des dispositions semblables figurent dans les textesdu Mexique et de l’Argentine) peut également être cité ici: l’obligation faite au juge d’appliquer les normes conven-tionnelles internationales n’implique pourtant pas, en réa-lité, qu’elles soient directement applicables (c'est-à-direinvocables par des particuliers). Voir infra, III.

304 - Parmi les Etats expressément dualistes pour l’inté-gration des traités, on peut classiquement mentionner l’Al-lemagne, l’Autriche, l’Irlande et le Royaume-Uni, ouencore les pays scandinaves.

305 - Finlande, Constitution du 11 juin 1999, article95.1: « The provision of treaties and other internationalobligations, in so far as they are of a legislative nature,are brought into force by an Act. Otherwise, internationalobligations are brought into force by a Decree issued bythe President of the Republic”.

306 - Irlande, Constitution du 1er juillet 1937, article29.6: « No international agreement shall be part of thedomestic law of the State save as may be determined bythe Oireachtas ».

307 - Par exemple, le système britannique ne connaît pasle mécanisme de l’autorisation parlementaire préalablede ratification.

308 - Autriche, Constitution du 1er juillet 1983, article16.1: « The States are bound to take measures which be-come necessary within their autonomous sphere of com-petence for the implementation of international treaties.(…) ».

309 - Une fois conclu et ratifié, le traité internationaln’aura d’effet dans l’ordre juridique interne que lors de samise en œuvre par un acte législatif (Francis c. TheQueen, [1956] R.C.S. 618, p. 621; Baker c. Canada(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999]2 R.C.S. 817, par. 69). Voir A. De Mestral et E. Fox-De-cent, «Rethinking the Relationship Between Internationaland Domestic Law » (2008) 53 R.D. McGill 57, p. 617-625. Les auteurs constatent le silence des règles constitu-tionnelles comme législatives guidant l’application dudroit international, tache laissée au juge. Ils proposent no-

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tamment qu’une loi sur les traités soit adoptée, détermi-nant des méthodes de mise en œuvre du droit internatio-nal.

310 - Allemagne, (loi fondamentale du 23 mai 1949,article 25 : « les règles générales du droit internationalpublic font partie intégrante du droit fédéral. Elles sont su-périeures aux lois et créent directement des droits et obli-gations pour les habitants du territoire fédéral »), Autriche(Constitution du 1er juillet 1983, article 9.1), Irlande(Constitution du 1er juillet 1937, article 29.3), Italie(Constitution du 27 décembre 1947, article 10).

311 - Irlande (article 29.3: « Ireland accepts the gene-rally recognised principles of international law as its ruleof conduct in its relations with other states ») et Roumanie(Constitution du 8 décembre 1991, article 10), parexemple.

312 - France, Italie, Pologne.

313 - Portugal, Constitution du 2 avril 1976 (révisée en1997), article 8.1. Russie, Constitution du 12 décembre1993, article 15.4 : « les principes et normes universelle-ment reconnus du droit international et les traités interna-tionaux de la fédération de Russie sont parties intégrantesde son système juridique ».

314 - Autriche, Constitution du 1er juillet 1983, article9.1 : « les règles de droit international généralement re-connues font partie intégrante du droit fédéral ».

315 - Grèce, Constitution du 11 juin 1975, article 28.L’article 25 de la loi fondamentale allemande est le plusexplicite : v.supra, note 310.

316 - Pays-Bas, Constitution du 17 février 1983, article93 : « les dispositions des traités et des décisions des or-ganisations de droit international public qui peuvent en-gager chacun par leur teneur ont force obligatoire aprèsleur publication ».

317 - Portugal (Constitution du 2 avril 1976, article 8.3 :« les normes émanant des organes compétents des orga-nisations internationales auxquelles le Portugal participeentrent directement dans l’ordre interne, dès lors que celafigure dans leur traité constitutif »), Pologne (article 91.3),Cap-Vert (Constitution du 4 septembre 1992, article11.3).

318 - Constitution d’Afrique du Sud du 8 mai 1996, arti-cles 231 à 233.

319 - Constitution espagnole, article 10.2 (“les normesrelatives aux droits fondamentaux et aux libertés que re-connaît la Constitution seront interprétées conformément àla Déclaration universelle des droits de l'homme et auxtraités et accords internationaux portant sur les mêmesmatières, ratifiés par l'Espagne”). On peut évoquer l’exis-tence de dispositions équivalentes au Perou, au Guate-mala, en Colombie, au Costa Rica. Pour l’Europe de

l’Est, en Roumanie (article 20.1) et Moldavie (article 4).

320 - Colombie (article 93), Guatemala (article 46), Rou-manie (article 20.2), Slovaquie (Constitution du 3 septem-bre 1992, article 7.5 : « Les traités internationaux relatifsaux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, lestraités internationaux dont l'application n'exige pas uneloi, et les traités internationaux qui directement confèrentdes droits ou imposent des obligations aux personnesphysiques ou morales, et qui sont ratifiés et promulguésselon la procédure fixée par la loi, ont la primauté sur leslois »).

321 - Argentine : Constitution du 22 août 1994, article75.22, qui présente une liste des différents traités qui en-trent en vigueur avec un rang constitutionnel. Venezuela :Constitution du 15 décembre 1999, article 23 : « lestraités, pactes et conventions relatifs aux droits del’homme qui ont été conclus et ratifiés par le Venezuelaont rang constitutionnel (…) ».

322 - J. Malenovski, “Dix ans après la chute du mur : lesrapports entre le droit international et le droit interne dansles constitutions des Pays d'Europe Centrale et Orientale(PECO)”, AFDI 1999, p. 46.

323 - Pays-Bas, article 94 de la Constitution. Les jugesbelges ont également décidé en ce sens : La Cour decassation, par un arrêt du 27 mai 1971, Fromageriefranco-suisse "Le ski", a déclaré que “lorsque que le conflitexiste entre une norme de droit interne et une norme dedroit international qui a des effets directs dans l'ordre juri-dique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir ;que la prééminence de celle-ci résulte de la nature dudroit international conventionnel”. Voir P.M. Eisemann(sous la dir de), L’intégration du droit international et com-munautaire dans l’ordre juridique national, étude de lapratique en Europe, La Haye, Kluwer Law international,1996, notamment p. 136.

324 - Ainsi, la Constitution du Venezuela du 15 décem-bre 1999 est très moderne sur ce point, prévoyant inté-gration directe et primauté des actes en question: sonarticle 153 dispose que “provisions adopted within theframework of integration agreements shall be regardedas an integral part of the legal order in force, and shallbe applicable directly and with priority over internal legis-lation”. En Europe, on peut mentionner l’existence detelles dispositions dans les constitutions du Portugal, de laPologne, et des Pays-Bas.

325 - Article 10 du Traité relatif à l’harmonisation en Afriquedu droit des affaires (OHADA) entré en vigueur en septembre1995 : « Les actes uniformes sont directement applicables etobligatoires dans les Etats Parties, nonobstant toute disposi-tion contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ».

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326 - Dès lors que la coutume ne fait pas l’objet de trans-position législative, les développements suivants concer-nent les traités et les actes unilatéraux internationaux.

327 - Loi N°2000-282 du 30 mars 2000, publiée auJ.O du 31 mars.

328 - Pour une explication claire de ces deux fonctions,qu'il ne faut pas assimiler, voir T. Treves et M.F di Rat-talma "Italie", in P.M.Eisemann (dir.), L’intégration du droitinternational et communautaire dans l’ordre juridique na-tional, op.cit., p. 373 : « Il faut souligner, en tout cas,que même si l’autorisation de ratification et l’acte par le-quel on donne exécution au traité sont presque toujourscontenus dans la même loi, leur nature juridique reste dis-tincte ; cela ressort, entre autres, du fait que, pour l’autori-sation de ratification, la loi est toujours nécessaire, alorsque pour l’exécution dans l’ordre juridique interne il estparfois suffisant d’avoir recours à des actes de niveau ré-glementaire” ».

329 - J. Verhoeven, “La notion d’applicabilité directe dudroit international”, Revue Belge de Droit International,1980-2, p. 243.

330 - On peut citer par exemple l’article 9 de la récenteConvention sur les armes à sous-munitions signée à Osloen décembre 2008 : « Chaque État partie prend toutesles mesures législatives, réglementaires et autres qui sontappropriées pour mettre en œuvre la présente Conven-tion, y compris l’imposition de sanctions pénales pourprévenir et réprimer toute activité interdite à un État partieen vertu de la présente Convention, qui serait menée pardes personnes, ou sur un territoire, sous sa juridiction ouson contrôle ».

331 - C’est ainsi qu’un auteur américain explique la pra-tique très courante des lois d’application aux Etats-Unis,en constatant l’immense différence dans la formulation dudroit international et des lois américaines. En effet, celles-ci « have tried to foresee all possible circumstances thatmay arise and to provide for them. They have sacrifiedstyle and simplicity. They have foregone brevity (…). Howdifferent is a treaty. It lays down general principles. It ex-presses its aims and purposes…but it lacks precision. Ituses word and phrases without defining what they mean.(…) It is the European way…», C. M. Vasquez, « TheFour Doctrines of Self-executing Treaties », AJIL 1995, p.498.

332 - Loi n 2010-930 du 9 août 2010 portant adapta-tion du droit pénal à l’institution de la CPI, publiée au J.Odu 10 août 2010. Pour un commentaire relatif à la dis-tinction entre exécution obligatoire et adaptation volon-taire du statut de Rome, voir Spyridon Aktypis, «Adaptation du droit pénal français au statut de la Courpénale internationale : état des lieux », Revue Droits Fon-damentaux, 2008-2009, no. 7, [www.droits-fondamen-taux.org].

333 - Propos tenus par le rapporteur Thierry Mariani lors

des débats à l’Assemblée nationale du 12 juillet 2010,consultables sur [http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2009-2010-extra/20101013.asp#P149_11267]. On peutconstater une affirmation équivalente de Patrice Gélard,rapporteur au Sénat : « Tout d’abord, ce projet de loin’est pas une transposition mot à mot, que justifierait, parexemple, la mise en œuvre d’une directive communau-taire en droit interne. Nous avons affaire à un traité, ré-digé dans une langue que j’appellerais « franglais ». Uncertain nombre de dispositions sont impossibles à transpo-ser dans notre droit interne » : débats du 10 juin 2008,consultables sur[http://www.senat.fr/seances/s200806/s20080610/s20080610_mono.html#Niv1_SOM6].

Les débats tenus dans ces deux assemblées montrent quetous n’étaient pas d’accord sur le terme d’adaptation, nimême sur la nécessité d’une loi. Certains (comme le dé-puté Jean-Jacques Urvoas) ont même répondu que « quiveut bien se donner la peine de lire le statut découvriraque ce texte n’a nul besoin d’être adapté ! Son écriturene relève pas de la traditionnelle prudence des textes di-plomatiques. Parce que la simplicité est gage d’efficacité,ses auteurs l’ont au contraire écrit de manière limpide, etles obligations qu’il contient sont directement applicablesen droit interne » (Ibid.).

334 - Tel était le constat déjà effectué notamment par J.Dhommeaux, « Monismes et dualismes en droit internatio-nal des droits de l’homme », AFDI 1995, p. 461.

335 - Voir J. A. Frowein, "Allemagne", in P.M.Eisemann(dir.), L’intégration du droit international et communautairedans l’ordre juridique national, op.cit., p. 90.

336 - S. Manacorda, G. Werle, « L'adaptation des sys-tèmes pénaux nationaux au Statut de Rome. Le para-digme du « Völkerstrafgesetzbuch » allemand », Revue descience criminelle et de droit pénal comparé, 2003, p.501. Les auteurs soulignent l’absence d’une obligationexacte de conformité entre le statut de Rome et le droit in-terne, la pluralité des formes de transposition pénale,ainsi que l’existence d’une large marge nationale d’ap-préciation.

337 - Pour l’exemple le plus récent, voir la loi no. 2010-819 du 20 juillet 2010 tendant à l’élimination des armesà sous-munitions publiée au J.O du 21 juillet 2010. LaConvention d’Oslo est entrée en vigueur au plan interna-tional le 1er août 2010.

338 - Les États-Unis ont déclaré que les articles 1 à 27du Pacte (c'est-à-dire toutes les normes matérielles de défi-nition des droits) ne seraient pas applicables dans l'ordreinterne, car celui-ci protège déjà les droits contenus dansle traité. Cette déclaration pourrait être qualifiée de ré-serve, dont la compatibilité avec l’objet du traité peut êtreremise en cause.

339 - Pour un rejet de leur applicabilité directe par le

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juge français, voir C.Cass, crim, 26 mars 1996, Javor etautres, RGDIP 1996, p. 1083, note M. Sastre. La cri-tique doctrinale peut être illustrée par B. Stern, “La com-pétence universelle en France : le cas des crimes commisen Ex-Yougoslavie et au Rwanda”, GYIL, 1998, pp. 280-299. En ce qui concerne les États-Unis, parmi les pre-miers commentaires doctrinaux relatif à l’applicabilité desConvention de Genève aux prisonniers de Guantanamo,voir J.J. Paust, « Judicial Power To Determine the Statusand Rights of Persons Detained Without Trial », HarvardInternational Law Journal, 2003-2, p. 515.

340 - L’ensemble des critiques juridiques émises sur cetteloi sont synthétisées sur le site de la Coalition françaisepour la CPI, [www.cfcpi.fr]. On peut mentionner notam-ment l’avis très négatif rendu par la Commission nationaleconsultative des droits de l’homme (CNCDH) en décem-bre 2008, soulignant que le projet de loi n’était nulle-ment conforme, ni au Statut de la CPI, ni aux Conventionsde Genève de 1949.

341 - E. Lambert-Abdelgawad, “Cour pénale internatio-nale et adaptations constitutionnelles comparées”, RevueInternationale de Droit Comparé, 2003-3, pp. 539-574.Pour les suites données à la loi canadienne de 2000 surles crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, voirH. Dumont, « La réception du droit international pénal endroit interne à la lumière de l'affaire Mugesera : le Ca-nada aurait-il deux faces de Janus ? », Revue de sciencecriminelle, 2007, p. 187.

342 - En effet, “la loi sur la CPI adopte une approcherestrictive dans la mesure où elle incorpore les crimes degénocide, les crimes contre l'humanité, et les crimes deguerre dans le droit national, mais seulement dans la me-sure où ces crimes sont commis au Royaume-Uni ou pardes ressortissants du Royaume-Uni…Ceci est regrettable”: J. Jones, “Droit anglais”, in A. Cassese, M. Delmas-Marty (ss la dir. de), Juridictions nationales et crimes inter-nationaux, Paris, PUF, 2002, p. 57.

343 - A. Cassese, “L'incidence du droit international surle droit interne”, in Juridictions nationales et crimes interna-tionaux, op.cit., p. 560.

344 - Cela fut énoncé par jurisprudence américaine dès1796 : voir A. Peyro Llopis, « La place du droit internatio-nal dans la jurisprudence récente de la Cour suprêmedes États-Unis », RGDIP 2005, p. 609 et s.

345 - En revanche la cour constitutionnelle italienne a af-firmé la primauté de la coutume internationale sur la loien 1979 : voir les différents rapports nationaux in P.M.Eisemann (sous la dir de), L’intégration du droit internatio-nal et communautaire dans l’ordre juridique national,étude de la pratique en Europe, op.cit, supra, note 323.

346 - Tel est fréquemment le cas entre le Conseil d’État et laCour de Cassation en France, cette dernière étant souvent plusaudacieuse dans la prise en compte du droit international (no-tamment quant à l’applicabilité des résolutions du Conseil de

sécurité) : M.P. Lanfranchi, “La valeur juridique en France des ré-solutions du Conseil de Sécurité”, AFDI, 1997, p. 43.

347 - H. Dumont, « la réception du droit internationalpénal en droit interne à la lumière de l’affaire Mugesera :le Canada aurait-il deux faces de Janus ? », revue desciences criminelles, 2007, pp. 187s.

348 - Dans le langage francophone, il est question d’ap-plicabilité immédiate, ou directe, ou encore d’effet (immé-diat ou direct), ou d’invocabilité. L’effet direct est unequalité intrinsèque de la norme : par son degré de nor-mativité, de précision, par son objet même, elle est apteà créer des droits et des obligations pour les particulierssitués dans l’ordre interne. Pour le juge, d’une part lanorme doit être applicable, c'est-à-dire valable, entrée envigueur et obligatoire dans l’ordre interne. D’autre part,cependant, il lui faut aussi analyser son caractère intrinsè-quement invocable, et donc l’effet direct de la norme in-ternationale. En résumé, aux fins de clarification, on peutconsidérer que l’applicabilité directe est composée dedeux étapes : l’applicabilité simple ou immédiate (dépen-dant des options constitutionnelles) et l’effet direct (dépen-dant de la qualité de la norme internationale,suffisamment précise pour se suffire à elle-même). Le voca-bulaire anglophone, quant à lui, utilise généralement unseul terme, celui de « self-executing », qui recouvre pour-tant des significations multiples, et ne permet guère dedistinguer les notions de réception, d’exécution, et d’ap-plication du droit. Pour une explication des divergencesde conception de la notion entre les différents juges amé-ricains, voir C.M. Vasquez, “The Four Doctrines of Self-executing Treaties”, AJIL, 1995, pp. 695-723.

349 - Depuis 1816 aux États-Unis, 1842 en Belgique,ou encore 1921 au Royaume-Uni. On mesure alors àquel point la position française de principe pouvait parai-tre archaïque sur ce point, puisque le juge administratiffrançais fut le dernier à se reconnaître compétent pour in-terpréter un traité, en 1990. Voir Études du Conseild’État, La norme internationale en droit français, La Docu-mentation française, 2000, p. 34.

350 - J. Dutheil de la Rochère, “Le droit international fait-ilpartie du droit anglais ?”, in Le droit international : unitéet diversité, Mélanges Reuter, Paris, Pedone, 1981, p.246.

351 - C. Kessedjian, « Le Restatement of the Foreign Lawof United States. Un nouveau traité de droit international? », JDI, 1990-1, p. 36.

352 - oir le numéro spécial Les petites affiches, consacréà la « Diversité des systèmes juridiques et inspiration réci-proque des juges », 2008, no. 112, disponible en lignevia www.lextenso.com

353 - Sur un même traité, les méthodes judiciaires enFrance et aux États-Unis peuvent varier et donner lieu àdes résultats opposés : v. B. Taxil, « L’applicabilité directedes traités internationaux aux États-Unis et en France »,

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Revue Internationale de Droit Comparé, 2007-1. Pourune attitude très critique de la doctrine américaine elle-même sur l’attitude d’autolimitation judiciaire, D. F.VAGTS, « The United States and its Treaties : observanceand breaches », AJIL 2001-2, vol. 95, p. 313.

354 - J. Combacau, S. Sur, Droit international public,op.cit., 6ème édition, 2004, p. 199.

355 - Ibid.

356 - C.E.D.H., 29 mars 2010, requête n° 3394/03,affaire Medvedyev et autres c. France.

357 - C.E.D.H, 29 mars 2010, requête n° 3394/03,affaire Medvedyev et autres c. France, § 99..

358 - Non entièrement à tort selon moi, l’opinion dissi-dente soulignait la distinction à faire entre les exigencesdu droit international et celle du droit pénal (interne)(supra, § 1) en considérant que “fondamentalement, il estnécessaire d’être réaliste dans des circonstances aussi ex-ceptionnelles. Le Cambodge n’était pas partie auxConventions de Montego Bay et de Vienne: mais rien nelui interdisait malgré cela, de conclure comme il l’a fait unaccord bilatéral avec la France, ainsi que le reconnaîtl’arrêt aux paragraphes 97 et 98. Par voie de consé-quence, et étant rappelé qu’en droit interne les infractionsdont étaient soupçonnés les requérants étaient légalementpunissables et qu’il n’est pas contesté qu’elles ont été pu-nies selon les voies légales, faut-il appliquer à la base lé-gale constituée par la note verbale des critères de la“régularité” qui s’appliquent à des hypothèses beaucoupmoins exceptionnelles ?”

359 - C.I.J., Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordon-nances, 2002, arrêt du 14 février 2002, “mandat d’ar-rêt du 11 avril 2000 ”, § 59.

360 - Selon les termes du Tribunal pénal internationalpour l’ex-Yougoslavie, “les crimes contre l’humanité trans-cendent aussi l’individu puisqu’en attaquant l’homme, estvisée, est niée, l’Humanité. C’est l’identité de la victime,l’Humanité, qui marque d’ailleurs la spécificité du crimecontre l’humanité. (Le Procureur c. Drazen Erdemovic, §28).

361 - Philippe COPPENS, Compétence universelle et jus-tice globale, Annales de Droit de Louvain, vol. 64,2004, n° 1-2, p. 27-30.

362 - J. Flamme, l’affaire Lubanga au stade préliminairedevant la Cour Pénale internationale : une primeur histo-rique, également pour les droits de l’homme et les droitsde la défense ?, p. 43.

363 - Ainsi que l’a souligné la Cour de justice des Com-munautés européennes (C-303/05, 3 mai 2007, Advo-caten voor de wereld, § 29), “la reconnaissance mutuelledes mandats d’arrêts émis dans les différents États mem-bres conformément au droit de l’État d’émission concerné

exige le rapprochement des dispositions législatives et ré-glementaires des États membres relatives à la coopérationjudiciaire en matière pénale et, plus spécifiquement, desrègles concernant les conditions, procédures et effets dela remise entre autorités nationales”.

364 - Débat sur « la notion de droit francophone a-t-elleun sens ? » juin 2008, publié à la Revue électroniqueAfrilex.u-bordeaux4.fr, CERDRADI, Université MontesquieuBordeaux IV

365 - Afrilex précité

366 - Sur cette approche, cf Existe-t-il une culture juri-dique francophone ? », publication des actes du colloquede Toulouse, avec notre rapport introductif,PU, LGDJ,2007

367 - http://www.fondation-droitcontinental.org

368 - La deuxième lettre du sigle RSS renvoie selon lescas au terme de « système » ou au terme de « réforme ».Tout comme l’OCDE et la France, le présent document re-tient le terme de « système », en considérant qu’un sys-tème de sécurité est composé de différents secteurs(secteur de défense, secteur de police, secteur de justice,…).

369 - En effet, l’ampleur des réformes nécessaires nepeut généralement pas être assumée par un unique parte-naire international.

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