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CHEVALIER DIGBY LA POUDRE DE SYMPATHIE 1 DISCOURS FAIT EN UNE CELEBRE ASSEMBLÉE, PAR CHANCELIER DE LA REINE GRANDE BRETAGNE, &C. TOUCHANT LA GUERISON des Plaies par la Poudre de Sympathie. A PARIS, Chez CHARLES OSMONT, dans la grande Salle du Palais, du côté de la Cour des Aydes, à l’Ecu de France. M.DC.IXXXI Avec privilège du Roi. 1

Alchimie Digby - La Poudre de Sympathie

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Alchimie

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  • CHEVALIER DIGBY LA POUDRE DE SYMPATHIE 1

    DISCOURS FAIT EN UNE CELEBRE ASSEMBLE,

    PAR

    CHANCELIER DE LA REINE GRANDE BRETAGNE, &C.

    TOUCHANT LA GUERISON

    des Plaies par la Poudre de Sympathie.

    A PARIS,

    Chez CHARLES OSMONT, dans la grande Salle du Palais, du ct de la Cour des Aydes, lEcu de France.

    M.DC.IXXXI

    Avec privilge du Roi.

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    INTRODUCTION

    Si nous consultons les modernes traits dart mdical, ils nous rpondront que la poudre de sympathie est une chimre dont on est revenu depuis longtemps et quil ne faut rien croire de ce qui a t dit et crit sur cette matire.

    Cette poudre, ajoutent les mmes traits, qui passait autrefois pour avoir la proprit de gurir les blessures mme distance, lorsquon la jetait sur le sang extra-vase du bless, ntait autre chose que du sulfate de cuivre (vitriol) pulvris.

    Nous ignorons quelles tudes se sont livrs sur la poudre de sympathie les auteurs des dits traits, et sur quelles preuves ils appuient la ngation de ses proprits, mais la dfinition quils en donnent nous montre elle seule quils ont pch par ignorance.

    Ainsi comprise, il est certain que la poudre de vitriol ne peut avoir aucune action curative sur lorganisme humain : ses proprits lui tant surtout donnes par les diffrentes oprations auxquelles on la soumettait et qui paraissent inconnues de nos auteurs.

    Ces oprations ont pourtant une importance considrable, puisque cest delles seules que dpend lefficacit du produit.

    Nous nignorons pas que les pratiques de ce mode opratoire sembleront puriles ou ridicules aux esprits superficiels et aux adeptes de lenseignement officiel.

    Aussi nest-ce point & eux que nous nous adressons. Cest seulement aux curieux, aux chercheurs, aux savants de bonne foi qui, dabord surpris par les thories de ces Ecoles dOccultisme dont limportance grandit chaque jour, malgr les railleries et les anathmes doit leur dbut a t accueilli, ont ensuite reconnu quil y a dans la nature autre chose que ce qui est enseign par les Acadmies ; quil se produit chaque instant des phnomnes inexplicables dont la cause dterminante doit tre des lois naturelles encore inconnues, et qui, dans la mesure de leur savoir et de leurs moyens, ont entrepris la recherche de ces lois. Laction de la poudre de sympathie agissant distance sur les plaies et les cicatrisant semble appartenir cet ordre de phnomnes.

    Nous avons personnellement entrepris de longues recherches sur ce sujet, nous avons tent de nombreuses expriences, et comme il sest justement produit ce tait que les affirmations des auteurs anciens se sont trouves en contradiction avec celles des auteurs modernes et que les premires ont t confirmes par le rsultat de nos expriences, nous avons rsolu de reproduire et de publier les deux plus curieux traits crits sur ce sujet. En les livrant au public nous justifions dabord notre uvre de vulgarisation ; nous donnons ensuite au lecteur curieux le moyen de contrler par lui-

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    mme nos expriences, et nous offrons lamateur de rarets bibliophiliques une uvre artistique, reproduction exacte de ldition possde par la Bibliothque Nationale.

    Pour la commodit de la lecture, nous avons seulement supprim les s longues, employes dans lancienne dition.

    Cette reproduction est divise en deux parties : la premire comprend le Discours fait en une clbre Assemble par le chevalier Digby, chancelier de la Reine de la Grande-Bretagne, touchant la gurison des plaies par la poudre de sympathie.

    A ct du sujet faisant le fonds de son discours, lauteur rapporte une foule de faits curieux, tablit lorigine de nombreuses lgendes et dictons courant encore nos campagnes et donne un aperu considrable des connaissances physiques et chimiques de son poque.

    La seconde, plus technique, est la Dissertation touchant la poudre de sympathie, traduite du latin du sieur Papin, docteur en mdecine de la ville de Blois, par le sieur Rault.

    A cette seconde partie, nous avons ajout les expriences qui nous sont personnelles, indiqu la marche que nous avons suivie pour la prparation de la Poudre et relat les gurisons que nous avons obtenues par son emploi.

    G. DEMAREST.

    NOTICE HISTORIQUE

    Sir KENELM DIGBY, philosophe et chimiste anglais, est n Gothurst, dans le comt de Duckingham, en 1603, et est mort en 1665.

    Devenu orphelin trois ans, il fut lev dans la foi prottante et dploya de bonne heure des capacits remarquables. En 1623, il fut nomm gentilhomme de la Chambre par le roi Charles Ier , qui professait pour lui une grande estime. En 1628, la tte dune escadre quipe ses propres frais, il alla combattre les Algriens et les Vnitiens, en guerre avec les Anglais et sacquit, par lheureuse russite de ses oprations, une grande rputation de courage et dhabilet. En 1636, il vint en France et se convertit la religion catholique. Lorsque clata la rvolution en Angleterre, Digby ayant embrass le parti du roi, fut emprisonn par ordre du Parlement. Mis en libert en 1643, sur lintercession de la reine de France, il migra dans ce dernier pays, y fut accueilli avec une bienveillance extrme et jouit de lamiti de Descartes et dautres savants franais. Aprs la Restauration, il retourna en Angleterre, fut fort en faveur auprs de Charles IL, mais parut peu la cour, et, jusqu sa mort, se consacra tout entier ses travaux philosophiques.

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    Digby avait pous la fille dEdouard Stanley, Venetia Anastasia, clbre par sa beaut vritablement extraordinaire. Pour lui conserver ses charmes, Digby, qui croyait aux thories alchimiques et qui avait mme engag Descartes chercher un moyen de prolonger indfiniment la vie, inventa des spcifiques et des cosmtiques de tout genre. On dit mme que, pendant un temps, il ne fit manger la belle Venetia que des chapons nourris avec des vipres, simaginant que ce genre de nourriture avait des vertus merveilleuses. Digby ne put apprcier la valeur de ses inventions, car Venetia Anastasia mourut la fleur de Page.

    Ses principaux ouvrages, dans lesquels il fait preuve dun savoir trs tendu, sont : Confrences avec une dame sur le choix dune Religion (1651); Trait sur la nature des corps (1644) ; Trait sur lme prouvant son immortalit (1644); Trait de lattachement Dieu ; Des gurisons des blessures par la poudre de sympathie (1658); Discours sur la vgtation des plantes (1661).

    DISCOURS TOUCHANT LA GUERISON DES PLAIES, PAR LA POUDRE DE SYMPATHIE.

    E CROIS MESSIEURS, que vous demeurerez tous daccord avec moi

    quil est ncessaire, pour bien pntrer et connatre un sujet, dmontrer en premier lieu sil est tel comme on le suppose ou quon se limagine :

    Car ne perdrait-on pas inutilement et son temps et sa peine de s^occuper rechercher les causes de ce, qui nest peut-tre quune chimre, sans aucun fondement de vrit.

    Il me semble avoir leu en quelque endroit de Plutarque quil propose cette Question, Pourquoi les chevaux qui pendant quils taient poulains, ont t poursuivis par le loup, et se sont sauvs force de bien courir, sont plus vites que les autres. A quoi il rpond quil se peut faire que lpouvante et la frayeur que le loup donne aune jeune bte, lui fait faire toutes sortes defforts pour se dlivrer du danger qui la presse : et ainsi la peur lui dnoue les jointures, lui tend les nerfs, et lui rend souples es ligaments et autres parties qui servent la course ; de telle sorte quil sen ressent tout le reste de sa vie; et en devient bon coureur. Ou peut-tre (dit-il) cest que les poulains qui sont naturellement vtes se sauvent en fuyant, au lieu que les autres qui ne le sont pas tant, sont attraps par le loup, et deviennent sa proie. Et ainsi, ce nest pas que pour avoir chapp du loup ils en soient plus vtes ; mais cest que leur vitesse naturelle les a sauvs du loup. Il en donne encore dautres raisons : et la fin il conclut, que peut-tre aussi la chose nest pas vritable.

    Je ne trouve pas redire, Messieurs, ce procd en des propos de table, o le principal dessein de la conversation est de se divertir doucement et agrablement, sans y mler la

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    svrit des raisonnements forts, qui tiennent les esprits bands et attentifs. Mais en une Assemble si clbre que celle-ci, o il y a des personnes si judicieuses et si profondment savantes, et qui en cette rencontre attendent de moi que je les paye de raisons solides : Je serais bien marri, quaprs avoir fait mes derniers efforts pour claircir comment la Poudre, quon appelle communment de Sympathie, gurit naturellement et sans magie, les plaies, sans quon y touche, et mme sans quon voie le bless ; lon rvoqut en doute, si telle gurison se fait effectivement ou non.

    En matire de fait, la dtermination de Inexistence et de la vrit, dpend du rapport que nos sens nous en font. Celle-ci est de cette nature : Car ceux qui en ont vu leffet et lexprience, et ont t soigneux den examiner toutes les circonstances requises, et se sont satisfaits aprs avoir reconnu quil ny a point de supercherie, ne doutent point que la chose ne soit vritable. Mais ceux qui nont point vu de semblable exprience, sen doivent rapporter au rcit et lautorit de ceux qui assurent les avoir vues. Jen pourrais produire plusieurs dont je suis tmoin oculaire, et mme, quarum pars magna fui. Mais comme un exemple certain et avr en laffirmatif, est convaincant pour dterminer la possibilit et vrit de quelque matire dont on doute ; je me contenterai, pour ne vous pas ennuyer prsentement, de vous en rapporter un seulement sur ce sujet; Mais ce sera lun des plus illustres, clatants, publics, et avrs, qui ait jamais t, ou qui puisse tre ; non seulement pour les circonstances remarquables qui sy trouvent ; mais aussi pour les mains bien au-dessus du commun, entre lesquelles toute laffaire sest passe. Car la gurison dune fcheuse blessure a t faite par cette Poudre de Sympathie en la personne dun homme qui tait illustre, tant pour ses belles lettres que pour son emploi : Toutes les circonstances ont t examines et pluches fond, par un des plus grands et des plus savants Rois de son temps, le Roi Jacques dAngleterre, qui avait un talent particulier, une industrie merveilleuse discuter les choses naturelles, et pntrer dans leur fond : Par son fils le dfunt Roi Charles :

    Par le dfunt Duc de Bouquingan, leur premier ministre : Et enfin le tout a t enregistr dans les mmoires du grand Chancelier Bacon, pour ajouter en forme dAppendice son histoire naturelle. Et je crois, Messieurs, que quand vous aurez entendu cette histoire, vous ne maccuserez pas de vanit, si je mattribue dtre lintroducteur en ces quartiers du monde, de cette faon de cure. Voici donc comment laffaire se passa.

    Monsieur Jacques Hovvel, secrtaire du Duc de Bouquingan (assez connu en France par ses crits, et particulirement par sa Dendrologie, traduite en Franois par M. Baudouin, ce me semble) survint un jour comme deux de ses meilleurs amis se battaient en duel. Il se mit aussitt en devoir de les sparer : Il se jette entre eux deux, et de sa main gauche saisit les gardes de lpe de lun des combattants, pendant que de sa droite nue il empoigne la lame de lautre. Eux, transports de furie chacun contre son ennemi, font

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    leurs efforts de se dfaire de lempchement que leur ami commun leur donnait de se tuer lun lautre ; Et lun tirant brusquement son pe, qui ne pouvait pas tre retenue par la lame, coupe jusqu los tous les nerfs, muscles et tendons du dedans de la main de M. Hovvel ; et mme temps lautre dgage sa garde, et porte un coup destramaon la tte de son adversaire, qui va fondre sur celle de son ami, lequel pour parer le coup, hausse la main dj blesse, qui par ce moyen fut coupe autant par le dehors, comme elle tait au dedans. Il semble quune trange constellation rgnait alors contre lui ; qui faisait rpandre son sang par les armes de ses meilleurs amis; qui en leur sens rassis auraient hasard tout le leur pour garantir celui de leur ami. Au moins cette effusion de sang involontaire, dtourna celle quils sefforaient de faire lun contre lautre : Car voyant le visage de Monsieur Hovvel tout couvert de sang tomb de sa main leve, ils accourent lui pour lassister, et aprs avoir visit ses blessures, ils les bandent de lune de ses jarretires, pour tenir closes les veines qui taient toutes coupes et saignaient abondamment. Ils le ramnent chez lui cherchant un Chirurgien, et le premier venu servit pour lui mettre le premier appareil. Pour le second, quand se vint ouvrir la plaie le lendemain, le Chirurgien du Roi y fut envoy par sa Majest qui affectionnait beaucoup ledit sieur Hovvel. Jtais log tout proche de lui. Et un matin comme je mhabillais, quatre ou cinq jours aprs cet accident, il vint en ma chambre pour me prier de lui donner quelque remde son mal ; dautant (dit-il) quil avait appris que jen avais de trs bons pour semblables occasions ; et que sa blessure tait en si mauvais tat, que les Chirurgiens apprhendaient que la gangrne ne sy mt : ce quarrivant, il lui fallait couper la main. En effet son visage tmoignait la douleur quil endurait, laquelle il disait tre insupportable, mais avec une inflammation extrme. Je lui rpondis, que je le servirais volontiers : mais que quand il saurait de quelle faon je pensais les blesss, sans avoir besoin de les toucher ou de les voir, peut-tre il ne le voudrait plus, parce quil croirait cette manire de gurir, ou superstitieuse, ou inefficace. Pour la dernire (dit-il) les grandes merveilles que plusieurs personnes mont racont de votre mdicament, ne me laissent point douter de son efficace : Et pour la premire, tout ce que jai dire est compris en ce proverbe Espagnol, haga se elmilagro, y hagalo Mahoma. Je lui demandai donc quelque pice dtoff ou de linge sur laquelle il y aurait du sang de ses plaies.

    Il envoya incontinent qurir la jarretire qui lui avait servi de premier bandage : Et cependant, je demandai un bassin deau, comme si je me voulais laver les mains, et prit une poigne de poudre de vitriol que je tenais en un cabinet sur ma table, et jy fis promptement dissoudre. Aussitt la jarretire me fut apporte, je la mis dans le bassin, remarquant bien ce que faisait cependant Monsieur Hovvel : Il parlait un Gentilhomme en un coin de ma chambre, sans prendre garde ce ce que faisais ; et tout lheure il tressaillit, et fit une action comme sil sentait en lui quelque grande motion : Je lui demandai ce quil avait, et ce quil sentait. Je ne sait (dit-il) ce que jai,

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    mais je sais bien que je ne sens plus de douleur : Il me semble qu^une fracheur agrable comme si ctait une serviette mouille et froide, spand sur ma main, ce qui ma t toute linflammation que je sentais. Puis donc, lui rpliquai-je que vous sentez un si bon effet de mon mdicament, je vous conseille dter tous vos empltres ; tenez seulement la plaie nette et en un tat modr et tempr de chaud et de froid. Ceci fut aussitt rapport Monsieur de Bouquingan, et peu aprs au Roi, qui furent tous deux fort curieux de savoir la suite de laffaire, qui fut, quaprs dner jtai la jarretire hors de leau et la mis scher un grand feu.

    A peine tait-elle bien sche (et pour cet effet, il fallait quelle et t premirement bien chauffe) que voil le laquais de Monsieur Hovvel qui me vint dire que son matre sentait depuis fort peu de temps autant de douleur que jamais, et encore plus grande, avec une douleur si extrme, comme si sa main et t parmi les charbons ardents. Je lui rpondis que quoi que cela ft arriv prsent, il ne laisserait pas de se bien porter dans fort peu de temps ; que je savais la cause de ce nouvel accident; et que jy donnerais ordre, et que son Matre serait dlivr de sa douleur et inflammation, avant quil pt tre de retour chez lui pour len assurer. Mais quen cas que cela ne ft pas, quil revnt men advenir, sinon quil navait que faire de retourner. Avec cela, il sen va, et linstant je remets la jarretire dans leau : sur quoi, encore quil ny et que deux pas chez son Matre, il le trouve tout fait sans douleur, et mme avant quil y arrivt, elle tait entirement cesse. Pour faire court, il neut plus de douleur, et dans cinq ou six jours sa plaie fut cicatrise et entirement gurie. Le Roi Jacques se faisait ponctuellement informer de tout ce qui se passait en cette cure : Et aprs quelle fut acheve et parfaite, il voulut savoir de moi comme elle stait faite, mayant premirement raill (ce quil faisait toujours de trs bonne grce) de Magicien et de Sorcier. Je lui rpondis que je serais toujours prt faire tout ce que sa Majest mordonnerait : Mais que je le suppliais trs humblement de me permettre avant que de passer outre, de lui dire ce que lAuteur de qui javais appris le secret dit au grand Duc de Toscane sur semblable occasion. Ctait un Religieux Carme nouvellement venu des Indes et de la Perse, Florence, et mme il avait t en la Chine ; qui ayant fait de merveilleuse cures avec sa poudre, depuis son arrive en Toscane, le Duc lui tmoigna quil serait bien aise de rapprendre de lui. Ctait le pre du grand Duc qui rgne aujourdhui. Le Religieux lui rpondit que ctait un secret quil avait appris en lOrient, et quil croyait quil ny avait que lui qui le st en Europe, et quil mritait quil ne ft pas divulgu. Ce qui ne se pourrait pas faire, si son Altesse se mlait de lexercer ; dautant quil ne le ferait point de ses mains : et que sil y employait son Chirurgien ou autre valet, il y aurait en peu de temps bien d^autres personnes qui le sauraient aussi bien que lui. Sur quoi son Altesse ne le voulut plus presser l-dessus. Mais quelque mois aprs, jeus le moyen de faire un trs important plaisir ce Religieux, ce qui fut cause quil ne me voulut pas refuser son secret : Et la mme anne il sen retourna en

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    Perse. De sorte que je crois tre maintenant le seul en toute lEurope qui sache ce secret. Le Roi me rpliqua que je napprhendasse point quil le divulgut, car il ne se fierait personne en faisant exprience de cette cure ; mais la ferait toujours de sa main propre, et que je lui donnerais de ma poudre. Ce que je fis, et linstruisis de toutes les circonstances, et sa Majest en fit plusieurs preuves, en toutes lesquelles elle eut une singulire satisfaction. Cependant, Monsieur de Mayerne son premier Mdecin, veillait pour dcouvrir ce quil pouvait de ce secret, et la fin il parvint savoir que le Roi se servait de Vitriol. Alors il maborde, et me dit quil navait os me demander mon secret parce quil avait su que javais fait difficult de le dire au Roi. Mais cette heure quil avait appris de quelle matire il se fallait servir, il esprait que je lui communiquerais toutes les circonstances de ce quil fallait faire. Je lui rpondis que non seulement cette heure, mais sil me let demand ds le commencement, je lui aurais franchement tout dit. Car entre ses mains il ny avait point de danger quun tel secret se prostitut. Et en suite je lui dis le tout. Peu aprs il sen alla en France pour voir une belle terre quil avait nouvellement achete proche de Genve, qui est la Baronie dAubonne. En ce voyage il alla voir Monsieur le Duc de Mayenne, qui depuis longtemps avait t son grand ami et Protecteur ; et lui enseigna ce secret. Le Duc en fit plusieurs expriences, qui en toutes autres mains que dun Prince si pieux et si Religieux auraient pass pour effets de Magie et dEnchantement. Aprs la mort du Duc (qui fut tu au sige de Montauban) son Chirurgien qui le servait faire cette cure, vendit ce secret plusieurs personnes de condition, qui lui en donnrent des sommes considrables ; de sorte quen peu de temps il devint riche par ce moyen. La chose tant ainsi tombe en plusieurs mains, ne demeura pas longtemps en termes de secret ; mais peu peu elle sest tellement divulgue, qu peine y a-t-il aujourdhui un barbier de village qui ne la sache.

    Voila donc, Messieurs, la Gnalogie de la Poudre de Sympathie en nos quartiers, et une histoire notable dune cure fuite par cette Poudre : Il est temps dsormais de venir la discussion, qui est de savoir comment cela se fait. Il faut avouer que cest une chose merveilleuse, que la plaie dune personne blesse puisse tre gurie, ou son inflammation et douleur augmente par lapplication dun remde appliqu un morceau de linge, ou une pe mme en grande distance. Et il ne faut pas douter que si aprs une longue et profonde spculation de toute lconomie et enchanement des causes naturelles qui peuvent tre juges capables de produire un tel effet, on tombe la fin sur les vritables ; il faut quelles aient des ressorts et des moyens dagir bien subtils et bien dlis : jusqu cette heure, elles ont t enveloppes des tnbres, et juges tellement inaccessibles que ceux qui se sont mls den parler ou den crire (au moins ceux que jai vu) se sont contents den dire quelques gentillesses ingnieuses, sans traiter la matire bien fonds, et plutt pour montrer la vivacit de leur esprit et la force de leur loquence, que pour satisfaire leurs Lecteurs ou auditeurs, en leur enseignant comment la chose se fait. Ils veulent que nous prenions pour argent contant, des termes

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    que nous nentendons point, et ne savons pas ce quils signifient. Ils nous payent de convenances, de ressemblances, de Sympathie, de vertus magntiques et de semblables paroles, sans nous expliquer ce que ces termes veulent dire. Ils croient avoir bien russi sils persuadent faiblement quelquun que la chose se peut faire par une voie naturelle, et sans avoir recours lintervention des dmons ou esprits : Et ils ne prtendent en aucune sorte avoir trouv des raisons convaincantes pour dmontrer comment cela se fait. Si je nesprais, Messieurs, pouvoir gagner autre chose sur vos esprits ; je veux dire, que si je ne croyais vous pouvoir persuader que par des paroles, je ne laurais pas entrepris. Je sais trop bien, Quid ferre rcusent, quid valeant humeri. Un tel dessein demande grand feu, vivacit et pointes de conceptions, volubilit de langage, proprit dexpressions, pour insinuer comme par surprise, ce quon ne saurait emporter de pied ferme, et par des raisons froides, quoi que solides. Un discours de cette nature ne se doit pas attendre dun tranger, qui se trouve oblig de dire ses sentiments en une langue ; en laquelle il a peine dexprimer ses conceptions ordinaires. Nanmoins, Messieurs, ces considrations ne mempcheront pas de me charger dune entreprise qui pourra sembler quelques-uns bien plus difficile que celle que je viens de dire ; savoir, de bien prouver et convaincre que cette gurison quon appelle de Sympathie, se peut faire naturellement ; et de vous montrer lil, et faire toucher au doigt, comment elle se fait. Vous savez, Messieurs, que les persuasions se font par des arguments ingnieux, qui tant exprims de bonne grce, chatouillent plutt limagination, quils ne satisfont lentendement. Mais les dmonstrations sont bties sur des principes certains et prouvs ; et quoi quelles soient grossirement nonces, nanmoins elles convainquent, et les conclusions en sont tires avec ncessit. Elles procdent comme une visse attache contre une porte pour labattre, ou sur une lame de mtal pour y imprimer la marque de la monnaie, chaque tour quelle fait, elle ne sapproche que de peu, et quasi insensiblement ; et ne fait gures de bruit, ni ne requiert pas une si grande force pour la tourner : mais son effort, quoi que lent, est si invisible, qu la fin elle abat la porte, et fait limpression profonde dans la plaque dor ou dargent : Au lieu que des coups de marteaux ou de barres (auxquels se peuvent comparer les discours ingnieux et conceptions fleuries des beaux Esprits) demandent des bras de Gants, font beaucoup de bruit, et au bout du conte, produisent peu deffet. Pour entrer donc en matire ; Je posera y premirement (selon la mthode des dmonstrations gomtriques) six ou sept principes comme pierres fondamentales, sur lesquelles je btirai mon difice : Mais aussi, je les tablirai si bien et si fermement, quon ne fera pas difficult de me les accorder. Ces principes, seront comme les roues de la machine dArchimde, par le moyen de laquelle un enfant tait capable dattirer sur la terre la grosse caraque du Roi Hieron, que cent paires de bufs avec toutes les cordes et chables de son Arsenal, ne pouvait pas faire seulement branler. Et par le moyen de ces principes, jespre de conduire ma conclusion bon port.

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    Le premier principe donc sera Que lorbe ou sphre de lair est rempli de lumire. Sil tait besoin de prouver en cet endroit que la lumire est une substance matrielle et corporelle, et non une qualit imaginaire et incomprhensible (comme plusieurs de lcole le prtendent) je le ferais avec assez dvidence. Je lai fait suffisamment en quel-quautre trait qui a t publi depuis quelques annes. Et ce nest pas une nouvelle opinion : Car plusieurs Philosophes des plus estims parmi les anciens lont avance et mme le grand Saint Augustin en sa troisime Eptre Volusien tmoigne quil est de ce sentiment. Mais pour notre affaire prsente, que la lumire soit lune ou lautre, cest assez dexpliquer son cours, et les voyages quelle fait, dont nos sens nous rendent tmoignage. Il est vident que sortant continuellement de sa source, qui est le Soleil, et slanant avec une merveilleuse vitesse de tous cots par lignes droites ; l, ou elle rencontre quelques obstacles en son chemin par lopposition de quelque corps dur et opaque, elle se rflchit, elle saute de l, ad angulos quale, et reprend un autre cours par une autre ligne droite, jusqu ce quelle ait bricol vers un autre ct par le choc dun autre solide; et ainsi elle continue faire de nouveaux bonds a et l, tant quenfin tant chasse de tous cots par les corps qui sopposent son passage, elle se lasse et steint. Tout de mme donc que nous voyons une balle en un jeu de paume, qui tant pousse par un puissant bras contre une des murailles, saute de l lopposite, tant que souvent elle fait le circuit de tout le jeu de paume, et achev son mouvement proche du lieu o elle lavait commenc. Nos yeux mmes sont tmoins de ce progrs de la lumire, quand par rflexion elle illumine quelque endroit obscur o elle ne peut pas parvenir directement : ou quand sortant immdiatement du Soleil et battant sur la Lune ou sur quelque autre des plantes, les rayons qui ny peuvent pas entrer rejaillissent jusqu notre terre (car sans cela nous ne les pourrions pas voir) et l est rflchie, rompue et brise par autant de corps comme elle en rencontre en ses rflexions diverses.

    Le second principe sera, Que la lumire frappant ainsi sur quelque corps, les rayons qui ny entrent pas bien avant, mais qui rebondissent de la superficie de ce corps, en dtachent et emportent avec soi quelques petites particules ou atomes, tout de mme que la balle dont nous venons de parler, emporterait avec elle quelque humidit des murailles contre lesquelles elle bricolerait, si le pltre qui les enduit, tait encore humide ; et comme elle emporte en effet quelque teinture du noir dont ces murailles sont colores. La raison de ceci est, que la lumire, ce feu si subtil et ratifi, venant avec une si merveilleuse vitesse (car ses dards sont dans nos yeux quasi aussitt que sa tte est leve dessus ntre Horizon ; faisant ainsi tant de milliers de lieues en une espace imperceptible de temps) et battant plomb sur le corps qui lui est oppos, elle ne peut pas manquer dy faire quelques petites incisions, proportionnes sa raret et subtilit : Et ces petits atomes dcoups et dtachs de leur tronc, tant composs des quatre Elments (comme tous les corps du monde le sont) le chaud de la lumire sattache et sincorpore avec les parties humides, visqueuses et gluantes desdits atomes, et elle les

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    emporte bien loin avec soi. Inexprience nous montre cette vrit, aussi bien que la raison. Quand on met quelque linge ou drap humide scher devant le feu, les rayons igns frappant l dessus, ceux qui ny trouvent point dentre, mais rflchissent hors de l, emportent avec eux des corpuscules humides, qui forment une espce de brouillas entre le linge et le feu. De mme, le Soleil illuminant son lever la terre, qui est humecte par la pluie ou par la rose de la nuit, ses rayons lvent un brouillas qui monte peu peu jusquaux sommets des collines ; et ce brouillas se rarfie mesure que le Soleil a plus de force de le tirer en haut, jusqu ce qu la fin nous le perdons de vue, et il devient partie de lair, qui cause de sa tnuit nous est invisible. Ces atomes donc, sont comme des Cavaliers monts sur des coursiers ails qui vont bien loin ; jusqu ce que le Soleil se couchant, retire leurs Pgases, et les laisse tous sans monture, et alors ils se prcipitent en foule vers la terre do ils taient attirs : la plus grande part et les plus pesants tombent la premire retraite du Soleil, et cest ce quon appelle le serein, lequel quoi quil soit trop subtil pour tre vu, on ne laisse pas pourtant de le sentir, comme une infinit de petits marteaux qui frappent nos testes et nos corps, principalement de ceux qui sont avancs en lge ; car les jeunes, cause du bouillonnement de leur sang et de la chaleur de leur complexion, poussent hors deux abondance desprits ; lesquels tant plus forts que ceux qui tombent du serein, les repoussent et les empchent dagir avec si grand effet sur les corps do ces esprits sortent, comme ils font sur ceux qui tant refroidis par lge, nen sont pas garantis par une si forte manation desprits qui sortent deux. Le vent qui souffle et qui est port de tous cts, nest autre chose quun grand fleuve de semblables atomes attirs de quelques corps solides qui sont sur la terre : et puis sont ballotts a et l, selon quils rencontrent des causes pour cet effet. Il me souvient davoir une fois vu oculairement comment le vent sengendre : Je passais le mont Cenis pour aller en Italie, sur le commencement de lt; et jtais dj la moiti de la montagne comme le Soleil se levait, beau et lumineux. Mais devant que de voir son corps (que les montagnes me cachaient encore) je remarquai ses rayons qui doraient le sommet du mont Viso, qui est une Pyramide de rocher, bien plus haute que le mont Cenis, et que toutes les montagnes qui lenvironnent. Plusieurs mmes sont dopinion que cest une des plus hautes montagnes du monde, aprs le Pic de Tnriffe dans la Canaries, et elle est toujours couverte de neige. Je remarquai donc, qu lendroit qui tait clair des rayons du Soleil, il se formait un brouillas, qui au commencement ne paraissait pas de plus grande tendue quune grosse poule : mais qui peu peu saugmenta tant qu la fin tout le sommet non seulement de cette montagne, mais aussi de celles qui sont autour, furent couvertes dune nue. Jtais dj arriv au plus haut du mont Cenis, et me trouvant en la ligne droite qui passait du Soleil au mont Viso, je marrtai pour le regarder, pendant que mes gens achevaient de monter : car ayant plus dhommes porter ma chaise quaucun deux, javais fait plus de diligence queux. Je ny fus pas longtemps que le

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    brouillas sembla sabaisser doucement vers le lieu o jtais, et je commenai sentir comme une petite fracheur qui me donnait sur le visage, lors que je le tenais tourn de ce ct-l. Quand tome ma troupe fut assemble autour de moi, nous allumes descendre de lautre ct du mont Cenis, vers Suze ; et mesure que nous descendions, nous sentions trs perceptiblement que le vent se roidissait notre dos, car le chemin nous obligeait daller vers le ct o le Soleil tait. Nous rencontrmes des passagers qui montaient par o nous descendions ; Ils nous dirent que plus bas le vent tait trs-imptueux et quil les avait fort incommods, leur soufflant au visage et dans les yeux ; mais qu mesure quils montaient, ils le trouvaient moins fcheux. Et de notre ct, quand nous arrivmes au lieu o ils nous avoient dit que le vent tait si violent, nous trouvmes comme une espce de tourmente : et il saugmentait toujours en descendant, jusqu ce que le Soleil stant avanc, ne lattirait plus par cette ligne l, mais causait le vent en un autre quartier. Les gens du pays massurrent que cela se faisait toujours ainsi, quand quelque accident extraordinaire et violent ne dtournait point son cours accoutum, qui est qu une certaine heure du jour le vent slever un certain rumb ; et quand le Soleil est parvenu un autre point, un autre vent se lev et ainsi de main en main il change de rumb jusquau Soleil couchant qui apporte toujours le calme, si le temps est beau ; et que le vent vient toujours de lendroit du mont Viso, oppos au Soleil. Et ils nous dirent aussi que le vent journalier est toujours plus fort vers le bas de la montagne, que vers le haut : dont la raison est vidente : cest que le mouvement naturel de tout corps (de mme que celui des choses pesantes) saugmente toujours en vitesse, mesure quil savance vers son centre : et ce, en nombre impair (comme Galile la ingnieusement dmontr ; je lai aussi fait en quelque autre trait) cest dire, si dans le premier moment il savance dune aune, dans le second il savancera de trois aunes, dans le troisime de cinq, dans le quatrime de sept, et ainsi toujours il continue saugmenter en la mme sorte: ce qui provient de la densit et de la figure du corps descendant, agissant sur la cessibilit du Mdium. Et ces corpuscules qui causent le vent du mont Viso, sont denses et terrestres ; caria neige tant compose dparties aquatiques et de parties terrestres unie ? ensemble par le froid, lors que la chaleur des rayons solaires les dsunit et les spare, les visqueuses senvolent avec eux, pendant que les terrestres (trop pesantes pour monter bien haut) tombent incontinent en bas, Ceci me fait souvenir dune chose assez remarquable, qui marriva pendant que jtais avec ma flotte dans le port de Scanderonne Alexandrette, lextrmit de la mer Mditerrane. Lon descend l pour aller Alep et Babylone. Javais dj fait ce que je mtais propos de faire en ces mers : jtais venu bout de tout mon dessein avec heureux succs, et il mimportait de revenir en Angleterre le plutt qu^il me serait possible ; et dautant plus, que tous mes Navires taient demeurs fracassez dun combat que javais eu depuis peu de jours en ce port, contre une puissance formidable, qui, bien que la victoire me ft enfin demeure, ne laissa pourtant pas dans une si furieuse dispute, de

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    mettre ma flotte en grand dsordre, et de remplir mes vaisseaux dhommes blesss. Pour aviser donc de la route la plus expdiente pour venir au plutt en un lieu o je pusse me rparer et tre en sret ; je fis assembler tous les Capitaines, les Pilotes et les Mariniers expriments de ma flotte : et leur ayant propos mon dessein, tous unanimement furent davis que le plus sr tait de descendre vers le Midi, et de ctoyer toute la Syrie, la Jude, lEgypte et lAfrique, et par ce moyen nous rendre lembouchure du dtroit de Gibraltar : et quallant ainsi proche de la terre, nous aurions rglement toutes les nuits un petit vent de terre (quils appelaient une brise) lequel nous ferait faire en peu de temps notre voyage ; et que nous ne serions pas en si grand danger de rencontrer la flotte de France ni celle dEspagne, car lAngleterre tait alors en guerre contre ces deux Royaumes, et nous avions avis que ces flottes nous attendaient en bon quipage sur les ctes, pour se venger de ce que nous avions fait au prjudice de ces deux nations, pendant seize mois que nous avions t les Matres en ces Mers.

    Ce que nous avions raison de tacher dviter (disaient-ils) puisque nous tions dsormais plutt en tat demployer ce qui nous restait de forces rechercher en diligence quelque bon port, o nous pussions en sret rparer nos dbris, que de nous hasarder de nouveaux combats ; car on pouvait bien dire que nous nen avions eu que trop en un si long voyage. Mon opinion tait toute contraire la leur. Je croyais que notre meilleur serait de monter vers le Septentrion et de cingler le long de la cte de la Cilicie, de la Pamphylie, la Lydie, la Natolie ou lAsie Mineure, traverser lembouchure de lArchipelague, laisser la Mer Adriatique droite, passer par la Sicile, lItalie, la Sardaigne, la Corsique, le Golfe de Lion, et ctoyer toute lEspagne : leur remontrant que ce nous serait une grande honte de nous dtourner de notre meilleur route, pour viter la rencontre de nos ennemis ; puis que nous restions venus en ces quartiers, que pour les chercher par tout o ils seraient : et que la protection dont Dieu par sa bont avait daign nous assister dans tant de combats en allante nous tait un sujet desprer avec joie une aussi bonne issue de ceux qui nous pourraient arriver en retournant. Quil ny avait point de doute que la route que je leur proposais ; considre simplement en soi, ne ft sans comparaison la meilleure et la plus expditive pour sortir de la Mer Mditerrane et gagner lOcan : dautant (leur disais-je) quencore que nous ayons des brises de la terre pendant que nous serons sur les ctes de Syrie et d^Egypte, nous nen aurons point du tout sur la cte de Lybie, o sont ces affreux sables quon appelle les Syrtes, qui sont dune trs-grande tendue : cette cte-l nayant aucune humidit (car il ny crot ni arbre ni herbe ; et il ny a que des sables mouvants, qui couvrirent et enterrrent autrefois tout coup la puissante Arme du grand Roi Cambises.) Or o il ny a point dhumidit, le Soleil ne peut rien attirer pour en former du vent. De sorte que nous ne trouverons jamais-l (principalement en t) dautre vent que le rgulier qui a son cours de lOccident, en rOrient, selon le cours du Soleil (le pre des vents) si ce nest quand il en vient dextraordinaire, ou de la terre dItalie, qui est vers le Nord, ou

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    du fonds de lEthiopie, o sont les montagnes de la Lune, et la source et les cataractes du Nil. Mais alors si nous tions proches des Syrtes, le vent dItalie nous ferait infailliblement faire naufrage. Je raisonnais ainsi selon les causes naturelles, pendant que ceux de mon Conseil de guerre se tenaient fermes leur exprience. Ce qui fut cause que je ne voulus rien faire contre le sentiment unanime de tous : car encore que la disposition et rsolution de toutes choses dpendt absolument de moi, il me semblait nanmoins quon me pourrait justement accuser dopinitret et de tmrit, si je voulais prfrer mon avis seul lavis commun de tous les autres.

    De sorte que nous prmes cette route-l, et allmes heureusement jusquaux Syrtes de Lybie. Mais en cet endroit, nos brises nous manqurent, et durant trente-sept jours nous nemes pour tout vent que quelques Zphyrs qui venaient du Ponant, o nous devions aller. Nous fmes contraints de nous tenir lAncre tout ce temps l, avec beaucoup dapprhension que le vent ne nous vint avec bourrasque du ct du Nord. Car cela arrivant, nous tions perdus; dautant que nos Ancres n*auraient pu tenir ferme dans ces sables mouvants ; car sous leau ils sont de mme nature que sur le sec ; et ainsi nous aurions t jets sur cette cte et y aurions fait naufrage. Mais Dieu qui a voulu que j^eusse lhonneur de vous entretenir aujourdhui, me dlivra de ce pril. Et au bout de trente sept jours nous remarqumes le cours des nues bien haut dans lair qui venait du Sud-Est, au commencement assez lentement, mais dheure en heure, il se htait et se pressait de plus en plus : de sorte quau bout de deux jours le vent qui stait form bien loin de l dans lEthiopie, arriva comme une grande tempte au lieu o nous tions ; et nous mena bientt au lieu o nous devions aller ; car moins de venir avec cette imptuosit et cette force, il se serait dissip et perdu, avant que darriver au bout dune si longue traite. De ce discours nous pouvons conclure que par tout o il y a du vent, il y a aussi des petits corpuscules, ou atomes qui ont t attirs des corps qui sont aux lieux do vient ce vent par la force du Soleil et de la lumire : et que ce vent nest en effet autre chose que de tels atomes agits et pousss quelque part avec imptuosit. Et ainsi les vents se ressentent toujours des lieux do ils viennent ; comme sils viennent du Midi, ils sont chauds ; sils sont Septentrionaux, ils sont froids ; si de la terre seule, secs; si de la marine, humides; si des lieux qui produisent des substances odorifrantes, ils sont odorifrants, sains et agrables ; comme lon dit de ceux qui viennent de lArabie heureuse qui produit les pies, les parfums et les gommes de bonne senteur; et comme celui qui vient de Fomenay et Vaugirard Paris en la saison des Ross, qui est tout parfum ; au contraire ceux qui viennent dendroits puants comme des lieux sulfureux de Pozzuolo, sentent mauvais ; et ceux qui viennent de lieux infects, portent la contagion avec eux.

    Mon troisime principe sera, que lair est plein partout de ces corpuscules ou atomes : ou plutt ce que nous appelions notre air, nest autre chose quun mlange et une

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    confusion de semblables atomes, o les parties ariennes dominent. Il est notoire quil ne se trouve point actuellement dans la nature aucun Elment pur et sans mlange des autres : car le feu externe, et la lumire agissants dun ct, et le feu interne de chaque corps poussant aussi de son ct, font ce merveilleux mlange de toutes choses en toutes choses. Dans cette grande tendue o nous plaons lair il y a un espace suffisant et une libert assez grande pour faire ce mlange. Lexprience aussi bien que la raison, nous le confirme. Jai vu des petits vipereaux, nouvellement sortis des ufs o ils taient engendrs, et qui navaient pas un pouce de longueur, qui aprs les avoir conservs dans une grande cucurbite couverte dun papier li lentour, afin que par nul accident ils ne pussent sortir, mais pleins de petits trous dpingle, afin que lair y peut entrer librement, se sont augments en substance et en quantit si prodigieusement en six, huit ou dix mois de temps, quil nest pas croyable : et plus sensiblement durant la saison des Equinoxes, lors que lair est plein de ces atomes thrs et balsamiques qui leur don-noient leur vertu balsamique et rajeunissante, quils attirent puissamment. De l vient que le Cosmopolite a eu raison de dire que, Est in are occultus vit cibus. Ces petits vipres navoient que lair seul pour se nourrir, et nanmoins avec cette viande subtile ils devinrent en moins dun an longs de plus dun pied, et gros, et pesants proportion. Le Vitriol, le Salptre, et quelques autres substances saugmentent de mme faon par lattraction de lair seulement. Il me souvient que pour quelque occasion il y a dix-sept ou dix-huit ans javais besoin dune livre ou deux de bonne huile de tartre ; ctait Paris, o je navais point alors de laboratoire ni dOprateur. Je priai donc Monsieur Ferrier (homme universellement connu par tous les curieux) de men faire, car il nen avait point alors de faite ; mais la devant faire exprs, et la calcination du tartre se faisant aussi facilement de vingt livres comme de deux, et sans presque augmenter la dpense, il en voulut faire en mme temps une plus grande quantit, afin den avoir pour lui mme. Quand il me rapporta, elle sentait si fort leau de ros, que je me plaignis de lui de ce quil y avait ml de celte eau, vu que je Pavais pri de la faire purement par dfaillance, ou exposition lair humide; car je croyais fermement quil eut dissout le sel de tartre dans leau de ros. Il me jura quil ny avait ml aucune liqueur, mais quil avait laiss le tartre calcin dans sa cave dissoudre de soi mme : ctait en la saison des ross, et il semble que lair tant plein des atomes qui se tirent des ross, et se changeant en eau par lattraction puissante du sel de tartre, leur odeur se rendait sensible au lieu o ils staient amassez ensemble ; comme les rayons du Soleil brlent, quand ils sont rassembls par un miroir ardent. Il arriva encore une autre merveille touchant cette huile de tartre, qui pourra servir prouver une proposition que nous navons pas encore touche; mais pour ne pas interrompre le fil de cette histoire, je vous la dirai ici par avance : cest que, comme la saison des ross se passait, Rdeur deau de ros svanouissait aussi de cette huile ;en sorte que dans trois ou quatre mois elle fut tout fait passe. Mais nous fmes bien surpris, quand lanne suivante la maison des ross,

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    elle retourna aussi forte quauparavant ; et puis vers lhiver elle se perdit encore ; et depuis elle a toujours gard le mme ordre. Cest pourquoi Monsieur Ferrier la garde comme raret singulire et je nai moi-mme sentie chez lui lt dernier. Nous avons Londres une malheureuse et fcheuse confirmation de cette doctrine, car lair y est plein de semblables* atomes. La matire dont on fait le feu en cette grande ville, est principalement de charbon de terre, quon fait venir de Neufcastel et dEcosse. Ce charbon contient en soi une grande quantit de sel volatile trs acre, qui tant emport avec la fume, se dissipe dans lair et len remplit tout. Il en est tellement charg, que quoi quon ne le voie pas, on saperoit de ses effets ; il gte les lits, les tapisseries, et les autres beaux meubles, sils sont de quelque couleur belle et clatante : cet air fuligineux la rend ternie en peu de temps : si on ferme une chambre sans y entrer durant quelques mois, et quon veuille ensuite faire nettoyer tout ce qui y est, on verra une folle farine noire, qui couvre tous ces meubles, comme on en voit une blanche dans les moulins et aux boutiques des boulangers, mme elle entre dans les coffres, et se voit bien apparemment sur le linge ou le papier, et sur semblables choses blanches qui y sont enfermes; caries rabats et les manchettes sy salissent plus en un jour, quen dix en la campagne hors de ltendue de cette fume ; et on voit dans cette ville au Printemps, quand les arbres sont fleuris, toutes les fleurs blanches salies dune suie noire. Or comme cet air est ce que les poumons de tous les habitants attirent pour se rafrachir, il fait que le flegme quon crache de la poitrine, est tout noir et fuligineux, et lcret du sel de cette suie y fait un effet trs-funeste ; car il rend tous les habitants de cette-ville forts sujets aux inflammations, et la fin lulcration des poumons. Il est si mordicant et corrosif, que si on met des jambons, ou du buf, ou autre chair, fumer dans le& chemines, il les sche tant et si-tt quil les gte. Ceux donc qui ont les poumons faibles, sen ressentent bientt, do vient que quasi la moiti de ceux qui meurent Londres, meurent poumoniques et phtisiques crachant le sang continuellement de leurs poumons ulcrs. Au commencement de cette maladie, la gurison est bien aise. Il ny a qu les envoyer en quelque lieu o il y ait un bon air. La plupart vont Paris, savoir ceux qui ont le moyen de faire la dpense du voyage ; et il recouvrent bientt leur sant parfaite.

    La mme chose, quoique moins fortement, arrive dans la Ville de Lige ou de mme qu Londres, le commun peuple ne brle que de ce charbon de terre, quon appelle de la houille. Paris mme, quoique lair du pays y soit trs excellent, nest pas tout fait libre de quelques incommodits semblables.

    Les boues excessives et puantes de cette vaste ville, mlent beaucoup de mauvais aloi la puret de son air, le remplissant par tout des atomes corrompus qui en sortent, lesquels pourtant ne sont pas si pernicieux que ceux de Londres. Lon y remarque que la vaisselle dargent la plus nette et la plus polie, expose lair, devient en peu de temps

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    livide et sale : ce qui ne provient dautre chose que de ces atomes noirs (vraie couleur de la putrfaction) qui sy attachent ; et plus le mtal est poli et luisant, plus ils sont visibles. Je connais une personne de condition (il est fort de mes amis) qui est log en un endroit, o dun ct de la maison est une petite rue qui nest habite que de pauvres mnages, et o il ne passe que trs-peu de charrettes et jamais de carrosses.

    Les voisins du derrire de sa maison ntant gures propres, vident leurs immondices au milieu de la rue, qui par ce moyen est toute charge de monceaux de boue. Aprs un longtemps, les tombereaux qui sont ordonns pour emports les boues par tout, viennent aussi l. Quand ils remuent ces ordures fermentes, vous ne pouvez vous imaginer quelle puanteur et quelle infection se fait sentir par tout. A linstant les gens de ce mien ami accourent pour couvrir dtoffe spongieuse et frise, de laine ou de coton, sa vaisselle dargent et ses chenets, que ses servantes tiennent fort propres et luisants : car sans cela, en un moment le tout serait noir, comme sil tait enduit dune peau dlicate dencre. Rien de cela toutefois ne se voit dedans lair ; mais ces expriences convainquent videmment quil est plein partout de semblables atomes. Je ne puis mempcher dajouter encore ici une autre exprience, qui est que nous voyons par les effets que les rayons de la Lune sont froids et humides. Il est certain que ce qui est lumineux de ces rayons vient du Soleil, la Lune nayant point de lumire en soi, comme en fait foi son Eclipse qui se fait lorsque la terre tant oppose entre elle et le Soleil, empche quil ne lclaire de sa lumire ; et alors elle est toute noire et obscure.

    Les rayons donc qui viennent de la Lune, sont ceux du Soleil, qui frappant sur elle, sont rflchis jusqu nous, et apportent des atomes de cet astre froid et humide, qui participent de la source do ils viennent. Si on leur expose donc un miroir concave ou un bassin poli qui les assemble, vous verrez quau lieu que ceux du Soleil brlent en semblable conjoncture) ceux ci tout au contraire rafrachissent et humectent notablement, et mme laissent sur le miroir une substance aquatique, visqueuse et gluante. Il semblerait que ce ft une chose vaine de se laver les mains dans un bassin dargent bien poly, o lon ne verrait point leau ni autre chose que la rflexion des rayons de la Lune : et nanmoins, si on continue faire cela quelque espace de temps, on se trouvera les mains toutes humides ; cest mme un remde infaillible pour faire tomber les porreaux des mains, quelque grand nombre quil y en ait, pourvu quon le ritre plusieurs fois. Concluons donc de tout ce discours, et de toutes ces expriences, que lair est plein ces atomes qui sattirent des corps par le moyen de la lumire qui en rflchit, ou qui en sortent par la chaleur naturelle et intrieure de ces mmes corps qui les chasse dehors. Il semblera peut-tre impossible quil puisse y avoir une si grande manation de corpuscules, qui soient tellement rpandus dans lair, et soient emports si loin par un flux continuel (pour le dire ainsi) sans que le plus souvent le corps do ils viennent, en souffre aucune diminution perceptible; car quelquefois elle est fort visible

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    comme dans lvaporation de lesprit de vin, du musqu, et de semblables substances volatiles. Mais cette objection sera nulle et les deux prcdents principes se rendront plus croyables, quand nous en aurons pos un quatrime, qui sera que tout corps pour petit quil soit est divisible jusqu linfini. Non pas quil ait actuellement des parties infinies (car le contraire de cela se peut dmontrer), mais quil se peut toujours diviser et subdiviser en nouvelles parties, sans jamais parvenir la fin de sa division. Et cest en ce sens que nos Matres nous enseignent que la quantit est infiniment divisible. Ceci est vident qui considrera profondment lessence et la raison formelle de la quantit, qui nest autre chose que divisibilit.

    Mais parce que cette spculation est fort subtile et Mtaphysique, je me servirai de quelques dmonstrations Gomtriques pour prouver cette vrit, car elles saccommodent mieux limagination. Euclide nous enseigne par la dixime proposition de son sixime livre, que si on prend une ligne courte et une autre longue, et que la longue soit divise en plusieurs parties gales entre elles, la petite peut tre divise en autant de parties aussi gales entre elles, et chacune de ces parties encore en autant dautres, et chacune de ces dernires en autant; et ainsi toujours, sans jamais parvenir ce qui ne peut plus tre divis. Mais supposons (quoi quil soit impossible) quon puisse tant diviser et subdiviser une ligne qu la fin on parvienne des indivisibles, et voyons ce qui en arrivera. Je dis donc que puisque la ligne se rsout en indivisibles, elle en doit tre compose. Voyons si cela se vrifie. Pour cet effet je prends trois indivisibles, lesquels pour les distinguer, soient A B et C, (car si trois millions dindivisibles font une longue ligne, trois indivisibles en composeront une courte.) Je les mets donc de rang. Premirement, voila A pos, puis je mets B auprs de lui, en sorte quils se touchent : je dis quil faut ncessairement que B occupe la mme place que A ou quil noccupe pas la mme. Sil occupe la mme place, les deux ensemble ne font point dextension : et par mme raison ni 3, ni 3000 nen feront point, mais tous ces indivisibles suniront ensemble et le rsultat de tout ne sera quun seul indivisible. Il faut donc que ntant pas tous deux en mme place, mais pourtant se touchant lun lautre une partie de B touche une partie de A et lautre partie ne le touche pas. Jy ajoute donc lindivisible C dont une partie touchera la partie de B qui ne touche point A, et par ce moyen B est le copulant ou mdiateur entre A et C pour faire extension. Pour faire ceci, vous voyez quil faut admettre des parties en B et aussi dans les deux autres, qui par voire supposition sont tous indivisibles. Ce qui tant absurde, la supposition est impossible. Mais pour rendre la chose encore plus claire, supposons que ces trois indivisibles font une extension et composent une ligne : la proposition dj cite dEuclide dmontre que cette ligne peut tre divise en trente parties gales, ou en autant quil vous plaira. De sorte quil faut accorder que chacun de ces trois indivisibles peut tre divis en dix parties ; ce qui est contre la nature et la dfinition dun indivisible. Mais sans la diviser en tant de parties, Euclide dmontre par la dixime

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    proposition de son premier lment, que toute ligne se peut partager en deux parties gales. Mais celle-ci tant compose dindivisibles de nombre impair, il faut que la partageant en deux, il y ait un indivisible, plus dun cot que de lautre; ou que celui du milieu soit partag en deux moitis. De sorte que celui qui nie que la quantit ne se puisse diviser linfini, sembarrasse en des absurdits et impossibilits incomprhensibles : et au contraire, celui qui laccorde ne trouvera point dimpossibilit, ni dinconvnient que les atomes de tous les corps qui sont dans lair, ne puissent tre diviss, tendus et ports une merveilleuse distance. Nos sens font foi en quelque faon. Il ny a aucun corps au monde (que nous sachions) si compacte, si pesant, et si solide que lor. Et nanmoins quelle trange tendue et division ne se peut-il point rduire? Prenons une once de ce mtal massif; ce ne sera quun bouton gros comme le bout dun de mes doigts. Un batteur dor fera mille feuilles ou davantage de cette seule once. La moiti dune de ces feuilles suffira dorer toute la surface dun lingot dargent de trois ou quatre onces ; donnons ce lingot dor ceux qui prparent le fil dor et dargent pour en faire du passement, et quils le mettent dans leurs filires pour le tirer la plus grande longueur et subtilit quils peuvent, ils pourront le rduire la grosseur dun cheveu ; et ainsi ce filet aura peut-tre un demi-quart de lieue distendue, et encore davantage. Et en toute cette longueur, il ny aura pas lespace dun atome dans la superficie qui ne soit couvert dor. Voil une trange et merveilleuse dilatation de cette demy-feuille. Faisons de mme de tout le reste de cet or battu. Il est constant que par ce moyen, ce petit bouton d^or peut tre tant tendu quil arrivera de cette ville de Montpellier Paris, et pourra mme passer au del. En combien de millions de millions datomes ne se pourrait point couper cette ligne dore, par des ciseaux dlis ? Or il est ais comprendre que cette extension et divisibilit faite par des instruments grossiers de marteaux, de filires, de ciseaux, nest pas comparable celle qui se fait par la lumire et par les rayons du Soleil. Car il est certain que si cet or peut tre tir une si grande longueur par des roues et par des filires de fer, quelques-unes de ces parties pourront aussi tre emportes par les coursiers ails dont nous avons parl tantt; jentend, par les rayons qui volent dans un moment depuis le Soleil jusqu la Terre. Si je napprhendais de vous ennuyer par ma longueur, je vous entretiendrais de ltrange subtilit des corpuscules qui sortent du corps vivant, par le moyen desquels nos chiens dAngleterre suivront lodorat, durant plusieurs lieues la piste dun homme ou dune bte qui aura pass par l quelques heures auparavant; et ainsi trouveront lhomme ou la bte quon cherche. Et non seulement cela, mais ils trouveront dans un grand monceau de pierres celle que cette personne aura touche de sa main. Il faut que dessus la terre et sur cette pierre il sattache quelques parties matrielles du corps qui y a touch, et nanmoins ce corps ne se diminue point sensiblement non plus que lambre gris et les peaux dEspagne qui envoient hors deux leur odeur cent ans durant, sans diminuer ni en quantit, ni en odeur. En notre pays, on a accoutum de semer toute une

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    campagne de mme sorte de grains, savoir une anne dorge, lanne suivante de froment, la troisime de fves, et la quatrime on laisse la terre en friche pour la fumer et pour la remettre en bon tat par lattraction quelle fait de lesprit vital qui est dans lair ; et puis lon recommence de nouveau par ce mme ordre. Or, lanne quelle est couverte de fves, ceux qui voyagent pendant quelles sont en fleur, les sentent dune fort grande distance, si le vent est favorable. Cest une odeur suave, mais fade, et la longue dplaisante et enttante. Mais Rdeur du Romarin qui vient de la cte dEspagne, va bien plus loin. Jai voyag par Mer le long de ces cotes trois ou quatre fois, et jai toujours remarqu que les mariniers savent quand ils sont trente ou quarante lieues de ce continent (je ne me souviens pas exactement de la distance), ils ont cette connaissance par lodeur vive de Romarin qui en vient. Je lai senti moi-mme aussi fort que si jeusse eu une branche de Romarin dans la main, et cela nous est arriv deux ou trois jours auparavant que nous pussions dcouvrir la terre : il est vrai que le vent tait contraire. Quelques histoires nous marquent que des vautours sont venus de deux ou trois cents lieues lodeur des charognes des corps morts qui taient rests sur la terre, aprs une sanglante bataille. Et lon savait que ces vautours taient venus de si loin, parce quil ny avait point de ce genre doiseaux plus prs. Ils ont lodorat trs-vif, et il faut que les atomes pourris et puants de ces corps morts, aient t emports dans lair aussi loin que cela ; et que ces oiseaux ayant une fois attrap cette odeur laient suivie jusqu sa source damant quelle est plus forte, mesure quelle est plus proche. Nous finirons ici ce que nous avions dire touchant la grande tendue des corpuscules qui sortants par le moyen du Soleil et de la lumire de tous les corps composs des quatre lments, remplissent lair et sont emports une distance merveilleuse du lieu et du corps dont ils ont leur source et leur origine. La preuve et lexplication desquelles choses a t jusquici le but et la vise de tout mon discours.

    Maintenant, Messieurs, il faut sil vous plait, que je vous fasse voir que ces corpuscules qui remplissent et composent lair, sont quelquefois attirs par une route tout fait diffrente de celle que leurs premires causes universelles leur dvoient faire tenir. Et ce sera notre cinquime Principe. On peut remarquer dans le cours et dans lconomie de la nature, plusieurs sortes dAttractions, comme celle qui se fait par Succion, par laquelle jai vu une balle de plomb au fond dun long fusil exactement travaill, suivre lair, quune personne suait lembouchure du canon, avec une telle imptuosit et roideur, quelle lui cassa les dents. Lattraction de leau ou du vin qui se fait par un Siphon, est semblable celle-ci : par son moyen on fait passer une liqueur dun vase dans un autre sans la troubler et sans en faire monter les fces. Il y a une autre sorte dattraction qui sappelle magntique, par laquelle laimant attire le fer. Une autre Electrique, quand le Carab, ou le Jayet attire la paille. Une autre de la flamme, quand la fume dune chandelle teinte attire la flamme dune brlante, et la fait descendre pour allumer celle qui est teinte. Une autre est de Filtration, quand un corps humide monte par un autre

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    corps sec, ou que le contraire se fait. Et enfin quand le feu ou quelque chose chaude attire lair et ce qui est ml avec lui.

    Nous parlerons seulement ici des deux dernires espces dattraction. Jai assez expliqu les autres en un autre lieu. La Filtration pourra sembler celui qui ne la considre pas assez attentivement, et qui nen examine pas toutes les circonstances, une merveille cache de la nature ; et une personne dun raisonnement mdiocre et limit, lattribuera quelque vertu et proprit occulte, et se persuadera que dans le filtre il y a une secrte sympathie qui fait monter leau contre sa nature : mais celui qui lexaminera comme il faut observant tout ce qui sy fait, sans omettre aucune circonstance, il verra quil ny a rien de plus naturel, et quil est impossible quil arrive autrement. Et il faut faire le mme jugement de tous les plus profonds mystres et des secrets les plus cachs de la Nature, si on prenait peine de les dcouvrir, et si on les examinait comme il faut. Voici donc comment la filtration se fait: on met une longue languette de drap ou de coton, ou de quelque matire spongieuse, dans une terrine deau ou dautre liqueur, laissant pendre par-dessus le bord de la terrine, une bonne partie de la languette. Et lon voit bien-tt monter leau par le drap, et passer par dessus le bord du vaisseau et dgoutter par le bout den bas de la languette, sur la terre ou dans quelque vaisseau.

    Et les jardiniers se servent mme de cette mthode, pour arroser en t peu peu leurs fleurs ou jeunes plantes ; comme aussi les Apothicaires et Chimistes, pour sparer les liqueurs de leurs fces ou rsidences. Pour comprendre les raisons de ce que leau monte ainsi, regardons de prs et en dtail tout ce qui sy fait. La partie du drap qui est dans leau, devient mouille, cest--dire reoit et imbibe leau parmi ses parties premirement sches et spongieuses. Ce drap senfle et se gonfle en recevant leau ; car deux corps joints ensemble, demandent plus dplace que ne ferait lun diceux sil tait seul. Considrons cette enflure et extension augmente dans le dernier filet de ceux qui touchent leau, savoir en celui qui est en superficie ; lequel, pour tre distingu des autres, soit marqu par les deux bout (comme une ligne) et soit A. B. et le filet qui suit immdiatement et est au-dessus de lui, soit C. D. et le suivant E. F. puis G. H. et ainsi jusqu lextrmit de la languette. Je dis donc que le filet A. B. se dilatant et grossissant par le moyen de leau qui entre dans ses fibres, sapproche peu peu du filet C. D. qui est encore sec, parce quil ne touche pas leau, Mais quand A. B. est tellement grossi et enfl par leau qui y entre, quil remplit tout le vide et toute la distance qui tait entre lui et C. D. et que mme il presse contre C. D. cause de son extension plus grande que ntait lespace comprise entre eux deux ; alors il mouille C. D. pour ce que le filet A. B. tant comprim, la partie extrieure de leau qui tait en lui venant tre pousse sur C. D. y cherche place, et entre dans ses fibres; et les mouille tout de mme comme au commencement sa partie extrieure et plus leve tait elle-mme devenue mouille. C. D. tant ainsi mouill, se dilatera comme a fait A. B. et par consquent

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    pressant contre E. F. il ne peut manquer de faire le mme effet en lui, qui lavait prcdemment reu en soi par lenflure et dilatation dA. B. et ainsi de main en main chaque fil mouille son voisin jusquau dernier filet de la languette. Et il ne faut point craindre que la continuit de leau se rompe en montant cette chelle de cordes, ny quelle recule en arrire, car ces chelons si aiss grimper, lui rendent la monte fort facile ; et les fibres laineuses de chaque fil semble quasi lui tendre la main chaque marche pour laider monter aisment. Et ainsi la facilit daller contremont jointe la fluidit de leau et la nature de la quantit qui tend toujours lunit des substances et des corps quelle revt, lorsque! ny a pas quelque cause plus puissante pour la rompre et diviser, fait que cette eau se tient tout dune pice, et passe par dessus le bord de la terrine : aprs quoi, son voyage est encore plus ais : car elle va son penchant naturel en descendant toujours en bas, et si le bout de la languette pend plus bas, hors de la terrine, que nest la superficie de leau dans la terrine, leau dgoutte en terre, ou dans quelque vaisseau soumis : comme nous voyons quune corde pesante tant pendue sur une poulie, le bout qui est le plus long et le plus pesant, tombe terre et enlev lautre plus court et plus lger, le faisant passer par dessus la poulie. Mais si le bout extrieur de la languette et qui est hors de la terrine, tait horizontal avec la superficie de leau, et ne pendait pas plus bas quicelle, leau se tiendrait immobile comme deux bassins dune balance o il y aurait gal poids en chacun deux. Et si lon vidait de leau qui est dans la terrine en telle sorte que sa superficie devint plus basse, que la pointe de la languette ; en ce cas-l leau montante tant devenue plus pesante que la descendente de lautre ct hors de la terrine, elle rappellerait celle qui tait dj sortie et preste tomber, et la ferait rebrousser chemin, et tourner en arrire sur ses pas, et rentrer dans la terrine pour se remler leau qui y est. Vous voyez donc tout ce mystre qui dabord tait si surprenant, d-ploy et rendu aussi familier et naturel que de voir une pierre tomber den haut ; il est vrai que pour en faire la dmonstration avec une rigueur exacte et complte, il y faudrait ajouter encore quelque autre circonstance ; ce que jai fait au long en quelque autre discours, o jai trait cette matire exprs. Mais ce que jen viens de dire, suffit en cette occasion, pour donner quelque teinture du moyen par lequel cette Attraction si clbre se fait.

    LAutre Attraction qui se fait par le feu, lequel attire lair ambiant, avec les corpuscules qui sont dans lair, va de cette sorte. Le feu agissant selon sa nature (qui est de pousser une continuelle rivire ou exhalaison de ses parties, du centre la circonfrence, et hors de sa source) emporte quant et soi lair qui lui est adjoint et attach aux cts ; comme leau dune rivire entrane avec soi de la terre du canal ou lit par lequel elle coule. Car lair tant humide, et le feu sec, ils ne peuvent moins faire que de sattacher et se coller lun lautre. Or il faut quun nouvel air vienne des lieux circonvoisins; pour remplir la place de celui qui est emport par le feu; car autrement il y aurait du vide en cet entre-deux ; ce que la nature abhorre. Ce nouvel air ne demeure gures en la place quil vient

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    remplir; car le feu qui est en un continuel courant et manation de ses parties, lemporte aussitt avec lui, et attire ce nouvel air : et ainsi il se forme un constant et continuel courant dair, tant que laction de feu continue. Nous voyons journellement lexprience de tout ceci. Car si on fait bon feu dans une chambre, il ai tire lair par la porte et par les fentres : lesquelles si lon ferme, mais que nant-moins il y ait quelque fente ou crevasse par o lair puisse entrer, en sapprochant dicelle, on entendra un bruit et sifflement que lair fait en se pressant pour y rentrer (qui est la mme cause qui produit le son des orgues et des flageolets) et qui se tiendrait entre ces fentes et le feu, il sentirait une imptuosit de ce vent artificiel qui le morfondrait et glerait du ct o il frappe. pendant quil se brlerait de lautre ct qui est devers le feu ; et une chandelle de cire tenue en ce courant de vent, se fonderait et se gterait par sa flamme souffle contre la cire, en un quart dheure, laquelle chandelle tant en lieu calme o sa flamme puisse monter tout droit, durerait quatre heures brler.

    Mais sil ny a point de passage par o lair puisse entrer dans la chambre, alors une partie de la vapeur du bois qui se devrait convertir en flamme et monter par la chemine, descend contre sa nature (pour suppler au dfaut de lair) dans cette chambre, et la remplit de fume ; et la fin le feu stouffe et steint faute dair. De l vient que les Chimistes ont raison de dire que lair est la vie du feu, aussi bien que des animaux. Mais si lon met un bassin ou sceau deau devant le feu sur le foyer, il ny aura point de fume dans la chambre, encore quelle soit si bien ferme, quil ny puisse point entrer dair. Car le feu attire des parties de cette eau (tant une substance liquide et aise mouvoir et remuer de sa place) lesquelles se rarfient en air et font par ce moyen la fonction de lair. Tout ceci se voit plus videmment, si la chambre est petite : car alors lair qui y est compris, est plutt enlev et emport. Et cest cause de cette attraction que lon fait de grands feux aux chambres o il y a eu ds meubles ou des gens pestifrs, pour les dsinfecter, car cette inondation d*air qui y est attir par le feu, balaye les murailles, le plancher, et tous les endroits de la chambre, et dtache les corpuscules pourris, actes, corrosifs et vnneux qui sont les infections qui sy tenaient attaches, et les attire dans le feu, o ils sont on partie brls, et en partie emports par la chemine, avec les atomes du mme feu, et de la fume qui en sort. Cest par ce moyen que le grand Hippocrate (qui pntrait si avant dans la Nature) dsinfecta et gurit de la peste une province ou rgion entire, y faisant faire par tout de grands feux.

    Or cette manire dAttraction se fait non seulement par le feu simple, mais aussi par ce qui en participe ; cest dire par les substances chaudes. Et ce qui est la raison et la cause de lune, lest aussi pareillement de lautre. Car les esprits ou parties ignes svaporant de telle substance ou corps chaud, emportent quant et eux lair adjacent, qui doit ncessairement tre nourri par un autre air, ou par quelque matire qui tienne lieu de lair comme nous avons dit du bassin ou sceau deau mis devant le feu pour

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    empcher la fume. Cest sur ce fondement que les Mdecins ordonnent lapplication chaude des pigeons, ou jeunes chiens, ou autres animaux chauds aux plantes des pieds, Ou pouls des mains, ou lestomac ou nombril de leurs malades, pour tirer hors de leurs corps des vents ou mauvaises vapeurs qui les infectent. Et en temps de peste et dinfection universelle de lair, on tue les pigeons, les chats, les chiens, et semblables animaux chauds, qui font continuellement une grande transpiration et vaporation desprits, parce que lair, par lattraction qui se fait, prenant la place des esprits qui sont sortis en cette vaporation, les atomes pestifrs et infects qui sont pars dans lair, et qui viennent avec lui, sattachent leurs plumes, leur poil, ou leurs fourrures. Et pour cette mme raison, nous voyons que le pain venant tout chaud du four, attire soit la mousse de la futaille (qui gte le vin) si on le met ainsi chaud sur le bondon ; et que les oignons et semblables corps fort chauds qui exhalent continuellement leurs parties ignes (ce qui se connat par la force de leur odeur) deviennent entachs de F infection de lair si on les y expose : qui est un des signes pour reconnatre si toute la masse de lair est universellement infecte. Et lon peut rduire ce chef, la grande attraction de lair qui se fait par les corps calcins, et particulirement par le tartre rendu tout ign par lextrme action du feu sur lui, qui sy amasse et se corporifie parmi son sel. Car jai remarqu quil attire soi neuf fois plus pesant dair, que ce quil pes lui-mme. Car si vous exposs lair une livre de sel de tartre bien calcin et brl, il vous rendra dix livres de bonne huile de tartre, attirant et corporisant ainsi lair qui lentoure, et ce qui est ml parmi lair : comme il arriva lhuile de tartre de Monsieur Ferrier, dont jai parl ci-devant. Mais il me semble que tout ceci est peu, au prix de lattraction de lair qui se faisait par le corps dune certaine Religieuse Rome, dont Petrus Servius, Mdecin du Pape Urbain huitime, fait mention dans un livre quil a publi touchant les accidents merveilleux quil a remarqus en son temps. A moins dun tel garant, je noserais pas produire cette histoire ; encore que la Religieuse me lait confirme elle-mme, et que bon nombre de Docteurs de la Facult de Mdecine de Rome me laient aussi assure. Ctait une Religieuse qui par excs de jeunes, de veilles et dOraisons mentales, stait tellement chauff le corps, quil semblait quelle ft toute en feu, et que ses os taient tous desschs et calcins. Cette chaleur donc, ce feu interne, attirant lair puissamment; cet air se corporifiait tout dans son corps, comme il fait dans le sel de tartre : et les passages y tant tous ouverts, il aboutis-soit de tous cts l o est lgout des srosits du corps, qui est la vessie, et de l elle le rendait en eau parles urines, et ce en une quantit incroyable : car elle rendit durant quelques semaines, plus de deux cens livres deau toutes les 24 heures. Avec cet illustre exemple je mettrai fin aux expriences que jai avances pour prouver et expliquer Fat-traction qui se fait de lair par les corps chauds et igns qui sont de la nature du feu.

    Mon sixime Principe sera, que quand le feu ou quelque corps chaud attire lair, et ce qui est dans lair ; sil arrive quil se trouve dans cet air des atomes disperss qui soient

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    de semblable nature au corps qui les attire, lattraction de tels atomes se fait bien plus puissamment que sil ny avait que des corps de diffrente nature : et ces atomes sarrtent, sattachent et se mlent volontiers avec ce corps : la raison de ceci est la ressemblance et convenance quils ont de lun avec lautre. Si je nexpliquais pas en quoi consiste, et ce que, veut dire cette ressemblance et convenance ; je mexposerais pareille censure et blme que celle dont jai tax au commencement de mon discours ceux qui parlent vulgairement et la lgre de la Poudre de Sympathie, et de semblables merveilles de la nature. Mais quand jaurai clairci ce que je veux dire par telle convenance et ressemblance, jespre que vous serez entirement satisfaits. Je pourrais vous faire voir quil se trouve plusieurs sortes de ressemblances, qui causent union parmi les corps : mais je me contenterai de parler ici seulement de trois des plus notables. La premire ressemblance sera touchant le poids, par laquelle les corps de mme degr de pesanteur sassemblent ensemble. La raison de cela est vidente ; car si un corps tait plus lger, il occuperait une situation plus haute que lautre moins lger ; comme au contraire si un corps tait plus pesant, Il descendrait plus bas quun moins pesant. Mais ayant mme degr de pesanteur, il se tiennent fort bien ensemble dans un mme quilibre, comme lon peut voir lil en cette gentille exprience que quelques curieux produisent, pour donner entendre comment les quatre Elments sont situs lun par dessus lautre selon leur poids ou pesanteur. Ils mettent dans une fiole de lesprit de vin teint de couleur rouge, pour reprsenter le feu ; de lesprit de trbenthine teint en bleu, pour lair : de leau commune teinte en vert, pour reprsenter llment de leau : et de lmail en poudre, ou de la limaille de quelque mtal solide, pour tenir lieu de la terre. Vous les voyez lun sur lautre, sans aucun mlange. Et si vous les brouills soudainement ensemble par quelque violente agitation, voil un vrai Chaos, une confusion telle quil semble quil ny ait aucuns des atomes de ces corps qui ne soient ple-mle sans aucun rang. Mais cesss cette agitation, et vous voyez incontinent aprs chacune de ces quatre substances aller en son lieu naturel, rappelant et unissant tous leurs atomes en une masse dun ordre fort distinct, de sorte que lon ny voit plus le moindre mlange possible.

    La seconde ressemblance des corps qui sentre attirent et sunissent, est de ceux qui sont de semblables degrs de raret et densit. La nature et leffet de la quantit, est de rduire lunit toutes les choses esquelles elle se trouve, si ce nest que quelque autre puissance plus forte (comme de diffrentes formes substantielles qui la multiplient), ne lempchent. Et la raison de cela est vidente : car lessence de la quantit est la divisibilit ou une capacit tre divise qui vaut autant comme qui dirait tre faite plusieurs; do il sen suit que delle-mme elle nest pas plusieurs : elle est donc delle-mme et de sa nature, une extension continue. Puis donc que la nature de la quantit en gnral tend unit et continuit ; il faut que les premires diffrences de la quantit, qui sont la raret et la densit, produisent un semblable effet dunit et de continuit es

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    corps qui conviennent en mme degr dicelles. Pour preuve de quoi, nous voyons que leau sunit et sincorpore aisment et fortement leau, lhuile lhuile, lesprit-de-vin lesprit-de-vin, le vif-argent au vif-argent ; mais difficilement lhuile et leau se peuvent-elles unir ; ni aussi le mercure lesprit de vin, et autre corps de dissemblable densit et tnuit. La troisime ressemblance des corps qui les unit et les fait se tenir fortement ensemble, est celle de la figure. Je ne veux pas ici me servir de lingnieuse pense de ce grand personnage, qui veut que la continuit des corps rsulte de quelques petits accrochements qui les tiennent ensemble, et qui sont diffrons aux corps de diffrente nature. Mais pour ne mtendre pas trop diffusment en chaque particularit (japprhende que je ne laie dj trop fait) je dirai seulement en gros comme chose vidente, que chaque sorte de corps affecte une figure particulire. Nous le voyons clairement parmi les diffrentes sortes de sel. Pilez-les sparment, dissolvez, coagulez et changez-les tant quil vous plaira, ils reviennent toujours aprs chaque dissolution et coagulation leur figure naturelle, et chaque atome du mme sel, affecte toujours la mme figure. Le sel commun se forme toujours en cubes faces quarres. Le sel nitre en colonnes six faces. Le sel ammoniac en hexagone six pointes, de mme que la neige est sexangulaire. Le sel durine en pentagone : quoi Monsieur Davisson attribue la figure pentagonaire de chacune des pierres qui se trouvrent en la Vessie de Monsieur Pelletier, au nombre de plus de quatre-vingt. Car la mme cause efficiente immdiate, qui est la Vessie, avait imprim son action et dans ces pierres et dans le sel de lurine. Et ainsi de plusieurs autres sels. Les Distillateurs ont remarqu que sils reversent sur la tte morte de quelque distillation, leau qui en a t distille, elle sy imbibe, et sy runit incontinent : au lieu que si vous y verss quelque autre eau, elle surnage, et a grande peine de sy incorporer. La raison est que cette eau distille, qui semble un corps homogne, est pourtant compos de corpuscules de diffrentes natures, et par consquent de diffrentes figures (comme les Chimistes le montrent lil) et ces atomes tant chassez par laction du feu hors de leurs chambres, et comme des lits qui leur taient appropris avec une trs exacte justesse, quand ils reviennent leurs anciennes habitations, cest dire ces portes quils ont laiss vides dans les ttes mortes, ils sy accommodent, en se joignant aimablement, et se commensurent ensemble. Et le mme arrive quand il pleut aprs une grande scheresse; car la terre boit incontinent cette eau qui en avait t attire par le Soleil : au lieu que toute autre liqueur trangre ny entrerait quavec difficult. Or qu^il y ait des pores de diffrentes figures dans des corps qui semblent tre homognes, Monsieur Gassendi laffirme, et tache de le prouver par la dissolution des sels de diffrentes figures dans leau commune. Quand (dit-il, ou cet effet) vous y aurez dissout du sel commun autant quelle en peut prendre, supposons par exemple une livre ; si vous y en mettez encore un scrupule seulement, elle le laissera entier au fond, comme si ctait du sable ou du pltre ; nanmoins elle dissoudra encore une bonne quantit de sel nitre. Et quand elle ne

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    touchera plus ce sel, elle dissoudra autant de sel ammoniac ; et ainsi dautres sels de diffrentes figures. Quoi que cen soit de la vrit de ce particulier (que jai examin en quelque autre endroit) nous voyons que par lconomie de la nature, les corps qui possdent semblables figures, se mlent plus facilement, et sunissent plus fortement. Qui est la raison pourquoi ceux qui font de la colle forte pour recoller les vases rompus de porcelaine, ou de cristal, ou semblables matires, mlent toujours parmi leur colle de la poudre de semblable corps quest celui quils veulent raccommoder. Et les Orfvres mmes quand ils veulent souder ensemble des pices dor ou dargent, mlent toujours semblables mtaux dans leurs soudures.

    Ayant ainsi parcouru les raisons et causes pourquoi les corps de semblable nature sattirent plus puissamment que les autres, et pourquoi ils sunissent plus promptement et plus fortement ensemble ; voyons selon notre Mthode, comment lexprience confirme mon raisonnement : car aux choses physiques, il se faut rapporter en dernier ressort Inexprience ; et tout discours qui nest pas soutenu par l, doit tre rpudi, ou au moins souponn pour illgitime. Cest une pratique ordinaire, que quand un homme sest brl, par exemple la main, il la tient quelque espace de temps au feu ; et par ce moyen, les corps ou atomes igns du feu de la main se mlant, et sattirants les uns les autres, et les plus forts (qui sont ceux du feu) remportant par dessus les autres, la main se trouve beaucoup soulage de linflammation quelle souffrait. Cest un remde ordinaire (quoi que fcheux mais pour un mal plus fcheux) que ceux qui ont lhaleine mauvaise tiennent la bouche ouverte lembouchure dun priv, le plus quils peuvent, et par la ritration de ce remde, ils se trouvent enfin guris, la grande puanteur du priv attirant soi et emportant la moindre, qui est celle de la bouche. Ceux qui ont t mordus ou piqus dun vipre ou dun scorpion, tiennent sur la piqre un scorpion, ou une tte de vipre crase, et par ce moyen le poison qui par une espce de filtration savanait pour gagner le cur, retourne en arrire sur ses pas, et revient sa principale source, o il y en a plus grande quantit, et laisse la partie blesse entirement dlivre de ce venin. En temps de peste lon porte autour de soi de la poudre des crapauds, ou mme un crapaud ou araigne vive (enferme en quelque vaisseau commode) ou de larsenic, ou quelque autre semblable substance venimeuse ; laquelle attire soi linfection de lair, qui autrement pourrait infecter la personne qui la porte. Et cette mme poudre de crapauds attire aussi soi tout le poison dun charbon pestilentiel. Le farcin est une humeur venimeuse et contagieuse dans le corps dun cheval ; pendez-lui un crapaud autour du col dans un sachet, et il sera guri infailliblement ; le crapaud qui est le plus grand venin attirant soi le venin qui est dans le cheval.

    Faites vaporer de leau dans une tuve ou autre chambre bien ferme ; sil ny a rien qui attire cette vapeur, elle sattachera partout aux murailles de ltuve, et mesure quelle se refroidit, se recondense l en eau : mais si vous mettez un bassin ou sceau

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    plein deau en quelque. endroit de ltuve, il attirera soi toute la vapeur qui remplissait la chambre, en sorte quaprs cela, on ny trouvera rien de mouill. Si vous distills du mercure (qui se rsolvant en fume, passe dans le rcipient) mettez-en un peu dans la rigole de la chape, et tout le Mercure de lalambic samassera l, et rien ne passera dans le rcipient. Si vous distills lesprit de sel ou de vitriol, ou le baume de souffre, et laisss le passage libre entre lesprit et la tte morte, do il est sorti les esprits retourneront la tte morte, qui tant fixe et ne pouvant monter, les attire soi. En notre pays (et je crois que cest le mme ici) lon fait provision pour toute lanne de pts de Cerfs et de Daims, en la saison que leur chair est meilleure et plus savoureuse, qui est durant le mois de Juillet, et Aot ; lon les cuit dans des pots de terre, ou crote dure de seigle, aprs les avoir bien assaisonns dpices et de sel ; et tant froids, on les couvre six doigts de hauts de beurre frais fondu, pour empcher que lair ne les entame. On remarque pourtant, toutes les diligences quon peut faire, que quand les btes vivantes qui sont de mme nature et espce sont en Rut, la chair qui est dans ces pots sen ressent puissamment, est grandement altre, et a le got fort, cause de ces esprits bouquains qui sortent en cette saison des btes vivantes, et sont attirs par la chair morte de leur mme nature. Et alors on a la peine dempcher que cette chair ne se gte. Mais cette saison tant passe, il ny a plus de danger pour tout le reste de lanne. Les marchands de vin remarquent en ce pays-ci et par tout o il y a du vin, quen la saison que les vignes sont en fleur, le vin qui est dans la cave fait une fermentation, et pousse une petite lie blanche (quil me semble quon appelle la mre) la superficie du vin ; lequel est en dsordre jusqu ce que les fleurs des vignes soient tombes ; et alors cette agitation ou fermentation stant apaise, tout le vin revient en ltat o il tait auparavant. Et ce nest pas daujourdhui seulement quon a fait cette remarque : car (pour ne rien dire de plusieurs autres qui en parlent) Saint-phrem le Syrien, dans son dernier Testament (il y a prs de treize cens ans) rapporte cette mme circonstance du vin, qui souffre une agitation et fermentation dans le tonneau mme temps que les vignes exhalent leurs esprits la campagne : et se sert ainsi dun pareil exemple des oignons secs qui germent dans le grenier, quand ceux qui sont sems dans le Jardin commencent sortir de la terre et embaumer lair de leurs esprits. Voulant indiquer par tels exemples connus de la nature, la communication qui est entre les personnes vivantes et les mes des morts. Cest que ces esprits vineux qui manent des fleurs remplissent lair de tous cts (comme les esprits du Romarin dEspagne dont nous. parlions tantt) ils sont attirs dans les tonneaux par le vin qui leur tient lieu de source, et qui a abondance de semblables esprits. Et ces nouveaux esprits volatiles survenants, excitent les esprits les plus fixes du vin, et y causent une fermentation, comme si on y versait du vin doux ou du vin nouveau. Car en toute fermentation il se fait une sparation des parties terrestres, et des parties huileuses