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L. Rossi (ed.), Ensi firent li ancessor. Melanges de philologie medievale offerts a Marc-Rene Jung. Alessandria, Edizioni dell'Orso, 1996, t. 1, PP· 371-385 CONJOINTURES APOCRYPHES LA FONTAINE SOUS LE PIN D'YVAIN 1 Emstpeter Ruhe (Universite de Wurtzbourg) «Coudre avec du fil de roman» 2 , voila l'art dans Iequel Chretien de Troyes est passe l'un des ma!tres incontestes du moyen age. Face aux toiles du monde arthurien qu'il a tissees, ses lecteurs professionnels d'aujourd'hui ont toujours autant de fil a retordre, soit qu'ils essaient de demonter ]es savantes textures a Ja recherche de Ja trame et de sa senefiance, soit qu'ils s'efforcent de cemer les sens possibles de l'ensemble finement brode. Et surprise par la richesse de ce qu' eile decouvre, Ja critique arrive parfois a se demander tout bas, non sans inquietude: «Why are there so many interpretations of Chretien? » 3 Rien que de plus encourageant que cela. «Pour charmer un esprit ouvert a Ja comprehension multiple» 4 , Chretien de Troyes a foit miroiter dans ses romans, tout comme Stephane Mailarme dans ses poesies, !es reflets et les retlexions d'une poetique hautement sophistiquee. Si Je lecteur, malgre !es lumieres deja captees avant lui, s'expose ouvertement a ces feux d'artifices, il se verra tente d'enrichir a son tour les interpretations du grand romancier. Yoici quelques suggestions. Pu isque les sentiers de la creation romanesque nous font deboucher chez Chretien sur tant de bifurcations, il est utile de choisir un bon guide. Michel Butor se prete a ce röle. A Ja fin de son analyse des textes alchimiques, crypto- grammes qui de par leur langage code risquent de rebuter tous ceux qui veulent les approcher, il conclut ainsi: Ce sont des labyrinlhes bardes de serrurcs, mais qui doivent donner lcurs pro- pres cles. Le lecteur presse apercevra bien, par des entrouverturcs, d'admirables 1 L'arlicle qui suit resume trcs brievement les resultats de recherches qui scronl cxposes en detail dans une monographie (a paraitre en 1998). 2 Furetiere, Le roman bourgeois, ed. A. Adam. Romanciers d11 XV/le Paris 1958, Bibliotheque de la Pleiade, p. 1025. -' Cf. l'article de M.T. Bruckncr. «An lnterprcter's Dilemma: Why Are Thcrc so Many Interpretations of Chretien's Chevalier de la Charrette?», Romance Philologv 40 ( 1986-1987). pp. 159-180. ' S. Mailarme. Poemes en prose: La declaration foraine, cd. H. Mondor - G. Jean-Aubry. Stephane Mailarme, Oeuvres complercs. Paris, Bibliotheque de la Pleiade. 1945, p.

Alessandria, Edizioni dell'Orso, 1996, 1, PP· 371-385 ... · bono habitu et bona specic, omnia haec relinqucntcs in cam inlcndunt et apeno orc conspiciunt, c1 cnm cligun1 magis quam

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Page 1: Alessandria, Edizioni dell'Orso, 1996, 1, PP· 371-385 ... · bono habitu et bona specic, omnia haec relinqucntcs in cam inlcndunt et apeno orc conspiciunt, c1 cnm cligun1 magis quam

L. Rossi (ed.), Ensi firent li ancessor. Melanges de philologie medievale offerts a Marc-Rene Jung. Alessandria, Edizioni dell'Orso, 1996, t. 1, PP· 371-385

CONJOINTURES APOCRYPHES LA FONTAINE SOUS LE PIN D'YVAIN 1

Emstpeter Ruhe (Universite de Wurtzbourg)

«Coudre avec du fil de roman» 2, voila l'art dans Iequel Chretien de Troyes est passe l'un des ma!tres incontestes du moyen age. Face aux toiles du monde arthurien qu'il a tissees, ses lecteurs professionnels d'aujourd'hui ont toujours autant de fil a retordre, soit qu'ils essaient de demonter ]es savantes textures a Ja recherche de Ja trame et de sa senefiance, soit qu'ils s'efforcent de cemer les sens possibles de l'ensemble finement brode. Et surprise par la richesse de ce qu' eile decouvre, Ja critique arrive parfois a se demander tout bas, non sans inquietude: «Why are there so many interpretations of Chretien?»3

Rien que de plus encourageant que cela. «Pour charmer un esprit ouvert a Ja comprehension multiple» 4

, Chretien de Troyes a foit miroiter dans ses romans, tout comme Stephane Mailarme dans ses poesies, !es reflets et les retlexions d'une poetique hautement sophistiquee. Si Je lecteur, malgre !es lumieres deja captees avant lui, s'expose ouvertement a ces feux d'artifices, il se verra tente d'enrichir a son tour les interpretations du grand romancier. Yoici quelques suggestions.

Pu isque les sentiers de la creation romanesque nous font deboucher chez Chretien sur tant de bifurcations, il est utile de choisir un bon guide. Michel Butor se prete a ce röle. A Ja fin de son analyse des textes alchimiques, crypto­grammes qui de par leur langage code risquent de rebuter tous ceux qui veulent les approcher, il conclut ainsi:

Ce sont des labyrinlhes bardes de serrurcs, mais qui doivent donner lcurs pro­pres cles. Le lecteur presse apercevra bien, par des entrouverturcs, d 'admirables

1 L'arlicle qui suit resume trcs brievement les resultats de recherches qui scronl cxposes en detail dans une monographie (a paraitre en 1998).

2 Furetiere, Le roman bourgeois, ed. A. Adam. Romanciers d11 XV/le .~ieclc. Paris 1958, Bibliotheque de la Pleiade, p. 1025.

-' Cf. l'article de M.T. Bruckncr. «An lnterprcter's Dilemma : Why Are Thcrc so Many Interpretations of Chretien's Chevalier de la Charrette?», Romance Philologv 40 ( 1986-1987). pp. 159-180.

' S. Mailarme. Poemes en prose: La declaration foraine, cd. H. Mondor - G. Jean-Aubry. Stephane Mailarme, Oeuvres complercs. Paris, Bibliotheque de la Pleiade. 1945, p. 28~.

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372 Ernslpclcr Ruhe

jardins, mais I'cp:.iisseur des murs lc rcbutera, Cl il n'aura pas la paticncc de chcr­cher Lout autour de la porte les instruments qui lui permcttraient de l'ouvrir. Au conLraire, celui chez qui se sera eveillc un veritable dcsir de penetrer, y parvicndra au bout d'un peu de rechcrche et de tcmps5.

Ce qui est vrai pour les enigmes de l'ecriture alchimiste, pourrait etre va­lable aussi pour certains textes litteraires. Le roman d' Yvain de Chretien de Troyes va nous servir de terrain d'essai. Cherchons d'abord pres de la porte les cles, qui nous permettront de penetrer dans !es admirables jardins du roi Artus.

Si la recherche actuelle s' occupe avec un tel engagement du debut d' Yvain, c'est que l'entree en mutiere de ce roman pose probleme; eile perturbe le jeu des prologues 'reguliers' auquel l'auteur nous a habitues dans ses autres oeuvres0 • Aller medias in res, interrompre un premier narrateur qui vient a peine de commencer son recit «de honte», faire passer ensuite son röle a un autre personnage et generer ainsi !'action a partir de faits rapportes et d'un rapport sur le rapport - des la scene d'ouverture, tout est oriente vers l'oralite, et le dialogue restera predominantjusqu'a la sequence finale du roman7 •

Un mot amene l'autre. Et il en cache un autre, comme l'explique le «devious narrator» Calogrenant~. avant d'entamer son recit pour de bon, en glo­sant sur les sens et le Sens. Le lecteur qui veut bien ouvrir «Cuer et oroeilles» ( v. 150)9 pour se laisser penetrer par la voix afin d' «entendre» ce qu' eile dit, fait bien de suivre Je conseil de Calogrenant a la lettre et de l'appliquer a Ja Situation du recitant lui-meme. Car qui ecoute bien ce que raconte Chretien sur Artus et Calogrenant, qui va raconter a son tour, entendra une autre histoire. Ce qui lui ouvrira «voie et dois» (v. 165) a une comprehension multiple.

Les pages de Darius . - Le roi a reuni ses sujets pour une grande fete. Apres le repas, il se retire dans sa chambre a coucher et fait la sieste. Devant la porte, quelques membres de sa cour sont reunis et conversent.

Pourquoi rappeler le debut d' Yvain pourtant «troppo noto perche occorra

~ M. Butor. «L'ail:himie et son langagc», dans M.B „ Rc;11ertoire. Paris, Lcs Editions de MinuiL, pp. 12-19. en particulier pp. 16-17 .

• er. R. Dragonell i, «Le vent de l'avenLurc dans Y1•ai11 Oll le Che1 ·a/ier (//1 Lio11 de Chrclien de Troycs». Muye11 Agt• 46 ( 1990). pp. 435-462. cn paniculier p. 436 sq. - J.T. Grirnbert . «Ün 1hc Prologuc or Chrclicn' t'vui11: Opcning Functions of Kcu 's Quarrcl„. Plrilulogit:c1/ Q11art11rly 64 (1 985), pp. 391 -398. - B.N. Sargent-Baur, With Cntlikc Trend: «Thc Bcginning or Chrcticn' . C/u:w1/iar m1 Limr». clans S. Burch Norlh (ed.). S111dies i11 Mt!di 1·C1/ Fre11c/1 Languugl! a111/ Literaturi: prr:semcd to llritm Wuleclgc, Gcnevc, Droz, 1988, pp. 163-173.

1 Poor lc problemc de l'orali te. cf. W.-D. Stempel, «La 'modcrnite ' des dcbuts; La rhetori· que de l'oralite chcz Chretien de Troyes». dans M. Selig, B. Frank, J. Hartmann (edd.), Le passa· ge ir /'t!crir des /w1g11es romanes, Tübingen, Narr, 1993, pp. 275-298.

x K.D . Uiui, «Narrative and Commcntary: Chretien's Devious Narrator in Yvain», Romance P/iilolog1· 33 (1979). pp. 160-167.

' Lc texte csL citc tJ ' arrcs l'cdition de David F. HulL, Chretie11 de Truyes. Le Clrev{l/ier a11 lion 011 Le ronwn d' Yvai11 , Paris, Le livre de poche, 1994.

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Conjointurcs arocryphcs. Li lontainc SOUS \c rin d'Yvain 373

riassumerlo» 111'.1 Pour Ja raison que ce nouveau conte que Chretien commence

ainsi etait pour Je XII' siecle une histoire deji1 tres :.mcienne. L'Ancicn Tcsta111ent contenait a cette epoque encore un texte dit Le troisieme livre d'Esdras que Ja Reforme, suivie a Ja fin du siecle par J'Eglise cathoJique, allait ecarter de la Bible pour Je compter desormais parmi les ecrits «apocryphes» 11 • Si J' on considere I' ensemble des neuf chapitres, composes presque entierement de fragments que l'on retrouve dans !es chroniques (Paralipomenon II; Esdros I, II), le recit sui­vant (chap. 3-4), qui n'a pas d'equivalent ailleurs dans la Bible. detonne 1 ~:

Rex Darius fecit cenam magnam omnibus vcrnaculis suis cl omnibus magi­stratibus Mediae et Pcrsis et omnibus purpuratis cl practoribus et consulibus et praefcctis sub ilJo, ab India usquc Acthiopiam ccntum viginti scptcm provinciis. Et cum manducasscnt et bibissent et satiati revertebantur, tune Darius rex asccndit in cubiculo suo et dormivit et cxpergcfactus cst.

Tune illi trcs iuvencs, corporis custodcs qui eustodicbant corpus regis, dixcrunl alter altero : Dicnmus unusquisquc nostrum scrmoncm. qui pracccJlat ; et cuiuscum­que apparuerit scrmo sapientior alterius, dabit illi Darius rex dona magna et epini­cia magna, purpurn cooperiri et in auro bibcrc et super aurum dormire et currum aurco freno et cidarim byssinam et torquem circa collum, et sccundo loco sedcbit a Dario proptcr sapientiam suam et cognatus Darii vocahitur.

Tune scribcntes singuli suum vcrbum signavcrunt et posucrunl suhtus ccrvi­cal Darii regis. Et dixcrunl: Cum surrcxerit rcx, dahunt illi scripta sua: cl quod­cu111quc iudicavcrit rcx cl trcs magistratus Pcrsidis . quoniam vcrhum cius sapicn­tiu s cst, ipsi dahilur victoria sicut scriptum cst . Unus scripsit: Fortius csl vinum. Alius scripsit: Fortior cst rex. Tertius autem scripsil: Fortiorcs sunl rnulicrc s. surcr onrnia autcrn vincit vcritas.

Et cum surrcxissct rcx, acccpcrunt scripta sua et dedcrunl illi et legit. Et mit­tcns vocavit omnes magistratus Pcrsarurn et Mcdorum et purpuratos et praetores et pracfcctos. Et scderunt in consilio et lccta sunt scriptn corarn ipsis. Et dixit: Vocate adulesccntcs, et ipsi indicabunt vcrba sua.

Suivcnt alors \es discours dans \csquels \es pagcs dcfendcnt lcurs thcscs. dans \'ordre indique initialemcnt. Apres !es concurrcnts qui ont parlc du vin et du roi. Zorobabcl. avcc plus d'cloquence cncorc, decrit le pouvoir des f'cmmes ainsi:

Viri, non rnagnus rex et multi homines? Ncc vinum pracccllit' 1 Quis cst ergo

10 M. Bonafin, «Millanterie dissimulalc. Chreticn de Troyes e Waller i\fop" . Medioel'O Ro111a11w 18 ( 1993), pp. 83-89, en particulier p. 84.

11 Dcpuis \'editio Clementina de ln Vulgaie ( 1592) Es1lrcu III!\ loujours etc imprimc cn appendicc, comme ctant extra seriem ca11011icom111 libromm. er. Theologische Realc11:rklopädie, 1. 3, Berlin/New York, Walter de Gruyicr. 1978. p. 293. Ln rcchcrchc qui s'intcressc i1 \'innuencc de Ja Bib\c sur \'oeuvre de Chrctien pan toujours de \a Blhk cl'nujourd 'hui cl ouhlie I~ prcsencc des tex1cs apocryphcs dans la Bible mcdievale, er. r. ex. A.M. Rau!!ci. „L:1 bihhin ncll' opcra di Chretien de Troyes», ACME 26 ( 1973), pp. 205-245.

11 Le texte est citc d'aprcs \'edition suivanle: Biblia .rncra i11x1a rnlf!aW111 1·nsione111, Stuttgart , Württembergische Bibelanstalt. l. 2. Appendix, pp. 1914-1917 . Une tr;1duc1ion cn rran\:tis moderne n'cxiste pas.

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374 Ernslpelcr Ruhe

qui t.!ominaLur corurn ? Nonne muliercs'? Gcnucrunt regem et omncm populum, qui dominantur mari Cl tcrrae. Et ex illi · nati sunt. et ipsac cducaverunl cos qui planlave­runt vineas, ex quihüs vinum fit. Et ipsac ra iunt stohis Omnium hom\num, Cl ipsae faciunl gloriam hominibus. et non possunt homincs separari a mulicribus. Si congre­gavcrint aurum cl argenlum et omnem rem speciosam, et viderinl mulierem unam bono habitu et bona specic, omnia haec relinqucntcs in cam inlcndunt et apeno orc conspiciunt , c1 cnm cligun1 magis quam aurum et argcnlum et omncm rcm spccio­sam. Homo suum patrem dcrclinquit, qui enutriit cum. Cl suam rcgioncm. c1 nd mulicrcm suam coniungit sc. Et cum mulierc rcmiuit nnimam. cl nequc pntrem mcminit ncque ma1rcm ncquc rcgionem. Et hin<: oportcl vos scirc, quoniam muliercs dominantur ves1ri . Nonric dole1is c1 lnboratis, c1 omnia mulicribus conrcrtis ct datis? Et accipil homo gladium suum et vadit in via, furta faccre et homicidia et mare navi­garc et flumina, cl leonem vidct et in tencbris ingreditur. Et cum funum feceril et fraudes et rapinas, amabili suae adfert. Et iterum diligit homo suam uxorem magis quam patrcm aut matrcm. Et multi dementes facli sunt proptcr suas uxores, et servi facti sunt proptcr illas. Et multi perierunt et iugulati sunt et pcccaverunl propter mulieres. „ .

Le roi el sa cour sonl impressionnes, et lorsquc Zorobabel a chante Jcs lou­angcs de Ja verile qui est en Dieu, Je peuple entier est unanime pour dire que le prix Jui rcvient. Cette victoirc, arrachee par un Juif, a lcs consequences )es plus imporlantcs pour le peuple du vainqueur. Lc roi laissc a Zorobabel le choix de ce qu'il veul avoir pour rccompense, el Zorobabel oblienl de Darius hl permission de reconstruire le temple a Jerusalem. Ce qui fut immcdiatemcnt mis en oeuvre, cl le peuple d' !sracl pul cnfin revcnir dans sa ville sainte.

Si Luther ecartait les livres Esdras III et IV de la Bible parce que «so gar nichts drinnen ist, das man nicht viel besser in Esopo, oder noch geringem Büchern kan finden» 1

\ il devait surtout penser a ce petit conte oriental. inter­cale pour des raisons evidentes. L'ecrivain frarn;:ais du XII" siecle reagit tout autrernent. II y trouva tout pour en faire un roman .

La Femme et la Vfrite. - La reecriture de Chrecien suit les regles de l'am­plification narrative 14

. II se sert surtout de la multiplication et nous presente p. ex. six chevaliers au lieu des trois pages bibliques: mais ils ne seront egalement que trois a agir dans la scene d'ouverture (Calogrenant, Keu et Yvain). Les mots se doublent d'actes : la discussion degenere en dispute et finit par provo­quer une serie de duels. Les theses des trois pages contiennent les gennes de l 'action que developpera Chretien . Le pouvoir du roi est exalte des les premiers vers, et par la suite, Artus fera exactement ce qu'avait dit Je second page («Il se

IJ Vorrede a11f den Bamc/1. c:ile cl' apres Theologische Realenzyklopädie (cf. nole 11 ). p. 294.

"Cf'. G. Genette , Palimpsestes. La li111!rat11re au second dei;re, Paris, Seuil, 1982, p. 309 sqq.

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Conjoinlures apocryphcs. La fontainc sous le pin d'Yvain 375

meta table, il boit et il se repose»), ce discours resumant ce que venait de faire Darius. L'emprise du vin est evoquee par Keu pour ridiculiser Yvain 1).

La these du r6le dominant de la femme sera defendue par Yvain, et taut comme Zorobabel dans Esdras III, il sortira vainqueur de l'epreuve. Mais avant d'y parvenir, il subira ce que Je page de Darius avait predit: l'admiration qui lais­se J'homme bauche bee devant Ja femme; la soumission totale; le depart a 1' aven­ture, l'epee a la main; la confrontation avec le lion; Ja folie. Chretien developpe ces themes dans une action qui prend son point de depart a une autre source, a la fontaine de Barenton decrite par Wace. Ace point nodal du roman. dont l'impor­tunce va en 'amplifiant au fiJ des ver (deux descriptions, trois duels), Chretien a indiqae en filigrane, non sans un clin d'oeil amuse en direction du lecteur, d'ou venait son inspiration, en mellanl cöte a cöte le puits merveilleux et la chapelle, la source bretonne et Ja source chreti.enne. Tl reprend a son campte la di rnncia­tion sceptique de Wace («Au revenir pour fol me ting», v. 576), et il tient aussi a bien marquer la distance entre le recit biblique et sa reecriture romanesque: une «petite chapelle» prend la place du temple de Jerusalem dans Esdras, et au lieu de raconter le moment crucial dans l'histoire du peuple elu qui peut enfin recon­struire son sanctuaire dans la ville sainte, gräce a la victoire du page Zorobabel, Chretien nous parlera du sort d'un individu qui viendra se sacrifier sur l'autel d'une dame qui fait la pluie et le beau temps.

La quatrieme these de la verite e t prise en charge par lc Cousin d'Yvuin. Calogrenant qui insiste sur le fait qu'il ne parlera «Ne de fab le, ne de men­chonge„. Ains conterai ehe que je vi» ( 172- 174), theme sur lequel le roman revient 11 plusieur reprises et dans son demier vers encore. II sous-tend aussi les grands moments de l'action , dans Jesquels Chretien fuit comprendre de quelles ru. es il fau t se servir quelquefois pour detromper certains proragonistes (Laudine) et leur faire apparaitre leur propre verite; prestidigitations quc Lunete, l'astuce incamee. ramene a la fin a leur denominateur commun : «AU

jeu de. verite l'a prinse„.» (v. 6624). La femme est finalement vaincue par ce qui e l encore plus fort, conclusion qui rejoint exactement celle du livre d' Esdras .

Vetera et Nova. - Chretien s'est servi du petit conte oriental d'Esdras III du debut jusqu' a Ja fin de Ja joute oratoire et en a fait Je canevas de son roman. Mais il ne serait pas cet auteur exceptionnel qu'il est s'il n'avait pas enrichi sa source d'inspiration d'un nouveau niveau de sens.

Dans Esdras III, le discours de Zorobabel sur Ja verite parvient ü son apogee avec la louange de Dieu. Pour le romancier, Ja verite ne reside pas dans un ailleurs de Ja foi, mais est inscrite dans son texte qui se double d'un arriere-

ll er. v. 590 sqq.: "Plus a parolcs en plain pol De vin qu'en .i. muy de chcrvoisc . Ondit que chat saous s'envoise; „. ", et vv. 2181-85: "Ay, qu'est ore devenuz Yvains„. Qui s~ vanta aprcz mengicr. . ? Bien pcrt que ce ru aprcz vin 1"

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376 Ernstpctcr Ruhe

fond hermeneutique . Au lecteur de le decrypter. C'est ce theme qui ouvre et sous-tend l'histoire d'Yvain, que l'absence d'un d separe a toutjamais de l'his­toire divine.

Dans l'introduction de son recit , Calogrenant developpe le probleme de 1' «o"ir e1 bicn eniendre» a partir d'une citation du Nou veau Testament (Mr 13, 13-5) qui a ete identifiee depuis longtemps. Ce qui peut echapper fac ilernent a la vigilance du lecreur, c'es! que ce theme e1ai1 inscrit implicitemem dan le texte des le depart du roman, ou Chretien indiquait, comme en pas an!, la date exac te a laquell e l' action du roman avait pri s son point de depart: <de Penthecouste» (v. 6). C'est ici. tout pres de la porte, que nou · 1rouveron · la cle prornise par Butor.

Lorsque dans !es Acres des Apotres (1 2) nous est conte comrnent a la Pentec6te le Saint E ·prit e t de cendu sur !es douze disciples, Je recit evoque d'abord lcs liln gues oe feu; e lement que Chretien parodie 16 lorsqu'il raconte comrnenc dans le cercle de six chevaliers reunis devant la ponc du roi la lan­gue de Keu cornmence a cracher du feu, quand Guenevievre «Vinl sour aus» (v. 64) . La suit·e est bien plus importante pour notre roman : les Juifs ne compren· nent pas ce qui se passe (Q11id11am vulr hoc esse?); certa ins pensent que les apo­tre · sont ivres (musto ple11i .l'Ullt isri) 11

• C'est Saint Pierre qui viendra a leur secours en pronorn;ant un sermon, et les Juifs alors vont se convertir.

Voir et entendre et ne pas cornprendre, bien ecouter et enfin saisir le sens -tel est le sujet inscrit des l' ouverture dans la simple datation du roman. La suite ne fern que le developper et l'approfondir: la question de savoir Quidnam vu!r hoc esse? irrite les chevaliers lorsqu' ils constatent quelques vers plus loin (v. 42 sqq.) que le roi se retire de la fete pour se coucher. Calogrenant revient a ce probleme dans Je 'prologue' de son recit et le developpe sur la base d'une cita­tion tiree de saint Matthieu.

Le choix de cette auctoritas renforce le sujet initial. I1 suffit, la aussi, de ne pas se satisfaire d' identifier les versets correspondants (Mt 13, 13-15), mais de bien regarder le contexte de la Bible. Jesus parle au peuple par paraboles 18

, ce qui amene les disciples a demander: Quare in parabolis loqueri.1· eis? ( 10). II leur explique que c'e st Quia vobis datll111 est nasse 111ysteria regni Cl1eloru111, illis aurem 11 0 11 esr darum ( 11 ); apres avoir cornmente les paraboles dans le detai 1, il contröle s' i 1 a ete bien compris (Jnre/lexistis lwec omnia?, 51 ).

Chretien ne reprend de ce long sermon que !es versets d 'Isa'1'e ci tes par Jesu s pour souligner sa reflexion de depart (ideo in parabolis loquor eis, quia

10 Hull (cl'. note 9), pp . 14-J5 fait allusion a cel aspecl el voit dans "Ja scene d'ouverture elle-meme - les chevalie rs fideles reunis a Ia cour -" une "rcplique parodique il cclle des apötres lors de Ja felc de Ja Pen1ec6te ... ",

17 Ce thcmc, introduil sur Je 1on de la moqucric (irride111es diceba111. 13), est egalement eher a Keu , nous J'avons dej 11 constate, cf. Je rcprochc d'ivrcsse qu'il foil il Yvain (note 15).

"C'cst avcc des allusions a In prcmicrc parabole du scmeur (Mt 13, 4-9, en p~rticuJier 5-8) que Chreticn commcnccra Lc conu: du Graal.

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Conjointurcs apocryphcs. La fontainc sous lc pin d'Yvain 377

vide11te.1· 11011 l'ident et a11die11tes 11011 a11di11111 neque i11teflig11111. 13): voir et entendre et ne pas comprendre, cette reflexion rend explicite ce qui etait impli­citement contenu dans le recit des evenements de Pentec6te deja analyse.

Chretien est avare de ses allusions. Au lecteur de les completcr et de prou­ver ainsi qu'il a compris le message. «Qui veut, si m'oie», citera l'auteur de nouveau d'apres le sermon de Jesus (v. 145 J ), un imperatif qui implique aussi cet autre reserve a ceux q11ib11s datwn est: «Qui peut, si m'oie».

Dans Jeurs sermons, Jesus et saint Pierre se fondent sur des citations de I' Ancien Testament. Chretien imite ses modeles jusque dans ce procede et fonde son roman sur un extrait du livre III d' Esdras. C'est ainsi que Ja reflexion avec laquelle Jesus avait termine son discours reyoit un sens tout nouveau: omnis scriba doctus in regno caelorum similis esr homini patrifamilias, qui pro­fert de thesauro suo nova et vetera (52). Chretien puise dans ses tresors d'inspi­ration et en retire des textes du Nouveau et de I 'Ancien Testament. Avec ces choses anciennes, i l cree quelque chose de si totalement nouveau que !es lec­teurs n'ont ose s'imaginer jusqu'a quel point il puisait a des sources, et meme aux plus sacrees.

Intelleximus haec omnia? - La verite des Sermons de Jesus et de saint Pierre est dite par !es predicateurs eux-memes, taut comme Zorobabel ramene son discours finalement a la seule verite possible, a Dieu. Chretien laisse son message dans l'ombre, et au lieu de Ja Verite. chaque Jecteur trouvcra la sienne et devra accepter <da comprehension multiple» des autres.

La comparaison avec Jes sources bibliques accentue ce qui a deja ete souli­gne dans Ja recherche: comme les modeles du Nouveau Testament, Chretien nous raconte l'histoire d'un enseignement qui aboutit a une conversion. Une serie de dures epreuves amene Je heros impetueux a bien ecouter et 11 bien regarder et a atteindre ainsi, grace a Ja comprehension. la maturite.

Si Je roman reste donc, quant a son contenu, proche de Ja ligne generale des deux discours bibliques, il s'en ecarte completement quant a sa forme. Ce changement est beaucoup plus profond que ne Je laisse soupyonner le passage de Ja prose nu vers. C'est dans son esthetique que cette oeuvre d'art trouve la veri te qui lui est propre et qui procure le plaisir du texte que Ja Bible ignore. Chretien ne pouvait pas mieux le faire comprendre qu'en restant, avec la struc­ture de son roman, tres pres du modele sacre.

Ars praedicandi et l'art du roman. - Taut commence au moment ou quelqu'un "ot commenchie .i. conte" (v. 59). L'oralite est un des traits marquants du roman d' Yvain. Et apres avoir pris connaissance des sourccs bibliqucs, nous pouvons constater que le meme phenomene caracterise egalement ces textes (Esdras III; Mt 13; Act I 2). Ce qui relie en particulier !es deux chapitres du Nouveau Testament auxquels Chretien fait allusion, ce n'est pas seulement leur

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3 7 8 Ernstrctcr Ruhe

contenu (la prob lematique de bien regarder et ecouler), mai s auss i leur f"o nne: ils presemenl Jes.us et saint Pierre en tant que predicateurs.

Dt; lu il penser que Chretien n' a pas hesitc 11 sui vre se modeles jusque dan leur aspect generique, il n'y a qu'un pas . II sera franchi ic i d' autant plu ·alle­gremenl que ce rn pprochement permellra de mieux co mprendre la tructure deviante de l'entree en matiere, qui , i\ la urprise des lecteurs, con·espond si peu a un proJogue 'regulier' .

Les artes praedicandi recommandaient au predicateur de commencer par le thema, c'est-a-dire par Je passage de Ja Bible qui devait faire le sujet du ser­mon1 9. Fi(ll principium res11me11do rhema: Chretien , avec son sens lud ique habi­tueJ, prend la regle au pied de la lettre et resume son sujet le plus brievement po sible, en un seul mot ("Penthecouste").

Dans l'i 111rod11ctio qu'il fa ll ait entamer ensu.ite, avan1 de parl er de la divisio, reperi deber pri11111m 1hemc1: Chretien suit fidelement ce conse il et laisse Calogrenant repeter le sujet «pentecostah· dans l' introduction de SOil recit. En le developpant, le cheva lier-narrateur fa it comprendre queJ modele de divisio serait d'abord uivi: la divisio i111ra, c'est-a-dire la technique selon laquelle la citation biblique est commentee a partir d'elle-meme; Chretien varie ce procede en ceci qu' il fa it appel a un autre passage de 1 Ecrirure (M1 13, 13- l 5) qui traite le merne sujet.

La di visio qui devait termin er l' introduction avait deux buts: enri chir l'exegese et la structurer. Chretien n'explique pas ses principes de divisio, rnai il est faci le de lc. retrou ver dans son texte. Apres avoir utili se la divisio i111ra -methode recommandee pour le se rrnon aux clercs -, il fai r suivre la divi ·io exrro qui convenait mieux aux laYcs, car cn introdu isant "de l 'ex terieur ' une matiere. le predicateur les aida it a mieux comprendre le sen du theme. Chretien fa it intervenir ce materiou nouveau avcc le reci l que fai t Ca l0grenant de on CJVent u­re malheureuse.

Quant a la Slmcture de l'exegese, les traites proposa ienl de lu diviser en deux part ies, lesqoeJle 0 devaient etre subd ivisees plus Oll moins fi nement SUi­

vant !es besoins. II n'es t pas necessaire, apres le analyses de Kellermann , Köhler el uutres, d' illustrer jusqu ' ä quel point le roman d' Yva i11 , dans sa bipart i­tion et SOil Organisation en sequences Se COnforme U cette regle.

L exegese deva it toujours se baser sur une aucroritas; Jesus et saint Pierre en avaienl fait la demonstration, en se basant sur une citation de I' Ancien Testament. Fidele a ces grands predecesseurs, Je moyen age recommandait de choisir de preference \ 'm1ctoritas dans cette partie de la Bib\e. Dans son traite

" er. pour les refcrences aux ar1es praedicandi dans ce qui suit E. Ruhe, «Praedicatio est translatio. Das Elucidarium in der altfranzösischen Predigt», dnns E. Ruhe (ed.), Elucidarium und Lucidaires. Zur Rezeption des Werks vo11 Honorius A11gus1od1111e11sis in der Romania und in England, Wiesbaden, Dr. Ludwig Reichert, 1993, pp. 9-30.

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Conjointurcs apocryphcs. La fontainc sous le pin t.l'Yvain 379

Quo ordine sermo fleri debeal (XII' s.), Guibert de Nogent explique qucl est l'avantage de telles autorites: «elles sonnent plus nouveau»; s11n1 grnriosioro quanro minus auditoribus usitata20

• Chretien se pi ie a cette exigence, mais I' in­terprete a sa fa~on: il choisit dans les livres des chroniques (Esdrns III) cc qui convenait a son genre specifique de senno (l'histoire des trois pages de Darius), et fait de ce passage moins frequente un emploi tellement inusite que ceux de son auditoire quibus darum est nasse mysteria nc pouvaient pas ne pas trouver hautement plaisant ce jeu de transfert et de transformation.

Le sens de l'esthetique. - Comparaison devient seulement raison quand eile reussit a faire ressortir le propre de la reecriture romanesque. L' identite des structures ne peut pas faire de doute, mais au niveau des fonctions les differen­ces entre s·ermon et roman apparaissent en meme temps de fa~on on ne peut plus nette. En se reflechissant dans le modele homiletique, le roman le met sens dessus dessous. Ce que Je predicateur doit dire le plus ouvertement possible pour convaincre son public, est ce que Chretien cache le plus: le sens. Voila pourquoi il occulte par la divisio intra son travail sur Jes reperes bibliques qui pourraient mettre sur la voie. Ce qu'il expose par contre Je plus largement pos­sible, c'est ce qui sert uniquement de support d'exegese au pretre, l' idee surajoutee, la divisio extra, l'histoire des trois pages Calogrenant, Keu et Yvain .

Pour le romancier, 1' illustration devient le sens demier de son travail-fjt+i ­est un travail non d'exegete, mais d'esthete. «Qui veut, si m'oie»: si le lecteur a bien re~u ce message, il a compris ce que lui suggerait l'auteur par Calogrenant interpose. Si la Pentec6te arthurienne "tant couste" d'analyses au lecteur, eile Je gratifie aussi d'un gain non negligeable . Et s'il est pret a faire encore un demier pas, !es recompenses qu'il recevra ne devront rien a celles de Zorobabel.

Le roman d' Yvain pivote autour de Ja fontaine de Broceliande; c'esl Calogrenant qui le premier declenche l'action en repandant l'eau sur le perron. Pourquoi Chretien a-t-il choisi justement ce point de depart, dont les reappari­tions rythment le roman? Une question qui doit rester sans reponse, comme nous a prevenus Auerbach depuis longtemps21

, puisque nous sommes dans !es terres feeriques des contes bretons ou tout est possible et ou le sens moral ou symbolique "ist nur selten mit einiger Sicherheit zu ermitteln." S'il se demande donc au sujet de Calogrenant : "Hat das Abenteuer an der Zauberquelle irgen­deinen verborgenen Sinn?", il ne peut, pour taute reponse, que renvoyer au halo mysterieux des mythes celtes.

211 Liber qua ordine sermo fteri debeat, PL 156, col. 30 A. Je dois la connaissancc t.lc cc texte a Peter von Moos («L'exemplum et !es exempla des precheurs»; article sous presse) .

" «Der Auszug des höfischen Ritters» , in E. Auerbach , Mimesis. Darges1el/1c Wirklichk1'il i11 der abe11dlä11disclre11 Li1erat11r, Bern/München, Franckc, J 1964, pp. 120-138, cn particulicr p. 127.

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La sourcc clc l'ecriturc. - Et si lc symbolisme vcnait cJ'ailleurs, non pas de la litterature orale disparue ~t tout jnmais. fourre-tout facile pour tout ce qui ne s'explique pas, mais de la culture ecrite, de l'intertextualite? Les modeles de Chretien dont on vient de parler suggerent ceci: en partant d'une source (Esdras III), Chretien raconte une histoire dans laquelle quelqu'un raconte une histoire qui lui est arrivee pres d'une fontaine, qui nmene un autre ü revivre la meme histoire pour mieux faire. Ce qui se passe chez Artus et entre les cousins Calogrenant et Yvain, est une copie narrativement conforme de ce qui se passe entre les auteurs Esdras et Wace d'un c6te et Chretien de Troyes de l'autre: nous assistons a 1' invention d' une oeuvre, faite d' imitatio et d 'aemulatio.

La fontaine serait-t-elle alors le /orns ombitios11s du ressourcement meta­textuel du rornan? Cette idee est renforcee par ce qui se dresse au-dessus du puits: l'arbre rnngnifique. Les artes praedicandi aimaient resumer \es reg\es suivant lesquelles il fallait structurer le sermon dnns cette formule heureuse: Praedicare est arhorisare.

Nous osons avancer la these suivante: ce qui a lieu aupres de la fontaine est l'archiscene de la crention artistique. L'oeuvre parfaite sert de cndre a l'evoca­tion; «li plus binus pins Qui onqucs sor tere creüst», cite au debut (vv. 412-413) et a Ja fin («S'en estoil li arbres plus biuus», v. 462)~!. est de cette espece qui ne perd jamais ses feuilles. metaphore qui adapte au contexte botanique Je aere perennius d'Horace. A cet arbre est attache Je «bacin»; lu chalne est juste assez longue pour arriver a In fontaine et pour perrnettre de verser l'eau qu'on y a puisee sur le perron. Ainsi sont relies les trois elements qui constituent l'acte d'ecrire, Ja source des inspirations, Je lieu de leur trnnsforrnation et Je fruit de cet effort. Trois etnpes que le texte presente d'abord dnns leur hierarchie, en superposant de bns en huut la source. le perron et l'arbre qui se dresse au-dessus des deux -, avant d'nnimer la miniature et d'en faire Ja scene de Ja creation.

En commenpnt son travail novateur, l'auteur puise dans Ja source ou jaillit une eau particulierernent vive. Ce geste qui symbolise le lien insoluble qui unit l'imitatio et /'innovatio muterialise l'acte de proferrc que Jesus avait defini ainsi a la fin de son sermon sur les paraboles: omnis scriha doctus in reRno cae­lnnrm similis est homini patri(amilias. q11i profert de thesauro s110 nova et vete­ra (Mt 13. 52). Allegee de son uspect religieux (in reRno caelorum), cette defi­nition de lu predication devait uppuraltre au scriho doctus Chretien de Troyes comme la definition parfaite de son art.

Avec l'etalage des materiaux sur la table de travail, autrernent dit en versanl l'eau sur Je perron, presente comrne une table precieuse, commence un travail qui perturbe et angoisse I 'auteur. Les elements se dechalnent, ciel et terre sont remues: Ja creation reorchestre la Creation. Dans cette scene, Chretien nous in-

n Lc vi\ain avait cmployc lc memc supcrla1ir dans sa c.Jescription: «li plus hiaus arhrcs C'onqucs pcüsl faire Naturen (' v, :l~IO-:l8 I)

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Conjointurc> aponyrhcs. La J'ontainc sous le pin d'Yvain 381

vite a son jeu favori, le coup double . Car s' il evoque ainsi leji1ror poericus, il se refere en meme temps encore une fois a la scene «pentecostale» dans laquelle un bruit comme celui d'un vent impetueux accompagnait l'apparition des langues de feu: er factus esr repenre de caelo so1ws ranquam adveniemis spirit11s vehe­mentis (Act 2, 2). Le moment ou le Saint Esprit «remplissait» les ap6tres (repleti sunt onmes Spiri111 sancto), est pour le poete le moment de l'inspiration .

Lcs joies de la crcalion. - Une foi~ l'uc tc de la creut ion art is tique termine - la nature se calme, la serenite du beau temps se reinstalle - , l' arbre en tant que symbole de l' oet1v re accomplie a completement change. IJ e t rellement couven d'oiseaux «Qu ' il n'i paroit brunche ne fu ell e)) (v. 460); c'est- a-dire que la forme parfa ite de 1 oeuvre fait disparait rc le travui l de structu ra ti on sur lequel l'ars praedicandi, cn montan! du 1ronc oux branche les plu · fines du sermon, aimai t tant insis ter. Le romancier, quont a lui . a tellement poli et time son texte qu ' il se presente, tel ((un pin>>, comme un bei objet unique aux contollrs lisse , sans faille. La forme exterieure, etagee et pyramidale laisse presupposer pour l' inrerieur la meme regulari te.

D'apres l'ars praedicandi, !es branches du sermon doivent se couvrir fina­lement de fleurs et de fruits qui sont !es recompenses que promettent la foi et l'obeissance a Dieu. Chretien varie la metaphore et parseme son arbre d'oi­seaux: ce ne sont pas Je salut des firnes et l' utilite d' une vi e saintement menee qui l'interessent, mais Ja legerete et l'elegance de la forme esthetique . L'image des oiseaux renvoie a l'outil de travail qui, use par l'ecriture et remplace tant de fois pendant Ja redaction de l' oeuvre, a permis de produire ces effets artistiques, c'est-a-dire a la plume de l'auteur.

Polyphonies . - Au plaisir des yeux s' ajoutent Jes joies acoustiques - le theme «pentecostal» de 'bien regarder et de bien ecouter' structure le roman jusque dans ses plus fines ramifications -: tous les oi seaux chantent, «Mais divers chans chantoit chascuns, C'onques ehe qu e canto it li uns A l'autre canter n'i o't'l> (vv. 465-467) . Chretien leur inspire cc que !e Saint Esprit avait insuffle aux ap6tres le jour de la Pentec6te, loqui \'(/riis li11 g11is, prour Spiritus so11c1us dabar eloqui illis (Acr 2, 4). Et comme les langues de feu pennirent aux disci­ples du Christ de se faire comprendre par toul un chacun dans sa propre langue et de retrouver ainsi la bonne entente linguistique qui avait regne entre !es hom­mes avant la construction de la Tour de Babel, le chant polyphonique des oiseaux est si bien orchestre qu'il cree une harmonie parfaite: «trestuit s'entr ' a­cordoientil (v. 464). Ce qui dans ce concert est realise a la perfection , est donne a entendre dans le roman par un auteur-compositeur qui sait tirer profit de la musicalite de la langue et qui de l'agencement des phrases foit naltre un phrase qui accorde les parties et arrange les rythme s di versen un tout harmonieux .

De l'oeuvre parfaite s'eleve un chant jubilatoire qui se communique imme-

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diatement il son createur et le transporte de joie: «De lor joie me resjo't'. .. Ains mais n'oY si bele joie» (vv. 468, 471). Huit siec[es plus tard, J'art poetique d'avant-garde definit de nouveau de la meme fac;on son but dernier. En deve­loppant «l'arbre gene-analogique» de chaque mot, Francis Ponge veut arriver dans ses textes a «Une espece de transmutation, alors vraiment heureuse, jubi­lante» qu'il appelle <d'objoie»2.i.

Chretien est encore loin de cette conception 'tautologique' de l'art, mais il fait un premier pas en direction d'une ecriture qui s'ablme dans l'autoreflexi­vite. Elle implique chez lui une constante distance autocritique. Puisqu'avoir une oreille suffisamment experte pour goßter les finesses de l'art 11011 est darum 011111ib11s, Chretien sait que rares seront ceux qui pourront jouir de l'oeuvre accomplie («Ne mais ne cuit que nus hom l'oie, Seil ne va ofr chelui», vv. 472-473), comme seront rares ceux qui pourront vraiment «o'i'r» ce que dit ce passa­ge. Mais le romancier ne serait pas l'auteur ironique et retors qu'il est s'il ne mettait pas tout de suite la presomption elitiste a sa place: au comble de l'enthousiasme face a Ja beaute du spectacle, Calogrenant craint de perdre la raison («tant me pleut et enbeli Que je me dui pour fol tenir», vv. 474-475). Aussit6t pense, aussit6t verifie: le chevalier de la fontaine arrive, le fait brutale­ment descendre des cieux SUf Je dur SO[ de ia realite, en Je jetant a bas de SOil

Pegase dans une posture ridicule («du cheval. .. Me mist a le tere tout plat. .. »,

vv. 537-539), et emporte sa monture.

Le pcrron ablmc. - L'acte de creation qui a lieu aupres de la fontaine est centre sur une merveille. Le vilain qui, dans son ignorance, ne connalt pas les termes appropries pour l'arbre et le meta! dont est fait le «bacin», est bien plus embarrasse lorsqu' il veut parler du perron, car cet objet ne ressemble a rien de ce qui l'entoure dans la nature: «Un perron tel com tu venras, Mais jene te sai dire quel, Que je n'en vi onques nul tel„ .. » (vv. 388-390). En tant qu'homme informe de choses rares, Calogrenant identifie sans peine la composition pre­cieuse de l'objet («Li perrons fu d'une esmeraude Perchie aussi come une bouz, S'avoit .iiii. rubins desous, ... », vv. 422-424). Mais il passe tellement vite sur Ja construction du perron «creve» qu'elle est restee enigmatique pour les cher­cheurs. Foerster et Reid ont avoue ne pas comprendre. Est-ce que l'emeraude est trouee de fac;on a former une table assise sur quatre pieds faits de rubis? Ou est-ce que la table, comme le pensait Sheldon, serait trouee de haut en bas et que l'eau s'ecoulerait a travers les quatre rubis24?

i.i Entreriem de Francis Pnnge al'ec Philippc So/lers . Paris, Gallimar<l/Scuil , 1970, en parti­culier pp. 170 et 190.

~J Dans son Co111111e111aire rnr Yvain ( Le Chel'lllicr m1 lio11) de Chretie11 de Troycs, B. Woledge rapportc les positions de Focrstcr. Rcid et Sheldon sans sc prononcer lui-memc (Gencvc. Droz. 1986, t . 1. p. 81 ). - E. Bauingartner («La l'ontainc au pin», dans J. Dufournel (ed.). Le chel'a­lier au /i<m. At'f'l'Ochcs d '1111 c/1~{-d 'oe111•rc. Paris/Gcncvc. Champion-Slatkinc, 1988, pp. 31-46, cn particulier p. 40. note 20) scmblc plutöt pcnchcr pour unc solution comme celle qu'a proposec Shcldon: «„. Je pcrron cros1; ... signil'ic "cviuC". "percC'" (pour rcccvoir \'cau?)".

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Conjoinlures apocryphcs. L~ fontnine sous lc pin d'Yvain 383

Le probleme, si marginal et purement philologique qu'il puisse paniltre, est peut-etre de taille; these que Je lecteur doit d'autant moins exclure que les refe­rences bibliques du roman l'ont prevenu qu'il est courant d'etre parmi ceux qui «en voyant ne voient point».

Laissons-nous guider par un contemporain de Chretien qui a lu Je roman avec une attention particuliere. Hartmann von Aue qui, dans son adaptation en moyen haut allemand, modifie souvent son modele franc;:ais semble avoir com­pris que Je perron est une pierre percee de haut en bas par des trous 2~. Ce qui donnerait une table de travail peu adaptee aux besoins de l'ecriture et endom­magerait bien l'objet central de taute lecture metatextuelle. Ou est-ce que Chretien a sciemment dresse un obstacle supplementaire a cet endroit du texte, pour en reserver Ja comprehension aux seuls inities? A y regarder de suffisam­ment pres, on peut constater en effet que nous avons affaire dans ces vers a une superposition de metaphores, qu'au creux d'une premiere se dessinent !es con­tours d'une seconde.

Chymice. - La solution est gravee dans le perron. Calogrenant reconnalt sans peine qu'il s'agit d'une emeraude, mais ensuite, quand il en decrit la pre­sentation sous forme de table, il Je fait si grossierement que l'on voit bien qu'il n'a pas compris a quelle sorte de table il avait affaire. Vide11s non 11idi1: en iant que chevalier il n'avait pas acces aux secrets de l' alc himie et il ne pouvait donc pas savoir que l'un des traites les plus important de cet art, at tribue au plu grand maitre de cous, Hermes Trismegistus, s' inticu laic Tabul.n smc1mgdina26•

Afosi nou e. 1 confirme de nouveau au coeur d.e la scene capi tale ceue fois, que Michel Butor avai t raison: la cle de l'enigme se trouve pres de Ja porte, dans le titre d'un autre texte pris au pied de la leure. Si Chretien de Troyes a recours au raffinement du cryptogramme, c'e ·c qu'il obeit aux Jois strictes qui reglenl la sc ience secrete des alchimiste. et la formu lacion de leurs textes chiffres:

L'alchimistc considere cettc difficultc d'acccs commc essentielle, car il s'agit de transformer la mentalite du lecteur afin de le rcndrc capable de pcrccvoir lc scns des actes dccrits . (p. 17)

La transformation est reussie du moment que le lecteur, en adaptant ses outils d' interpretation allegorique, arrive a decrypter le sensus chymicus. Ce qu i n'est pas chose facile: «Le chiffre employe n'est pas conventionnel, mais il

ii Cf. S. Grosse, «Die ErzählperspekLive der gcsrnffelLen Wiederholung. Kulogrenanls även­tiure in Hartmanns 'lwein'», in R. Schnell (ed .), Gores 1111d der ~ver/de hulde. Li1era111r in Mi11ela/1er und Neuzeir. Fesrsclrrijr frir H. R11pp v1111 70. Geb11rrstag. Bern 1989, pp. 82-96, en particulier p. 90.

i• Cf. pour ce traite J. Teile, «Alchemie», dans Tlreologisclre Realen~yklopädie. Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1978, pp. 195-227. en parLiculier p. 202, el W. Gunzenmüllcr, Die Alchemie i111 Mi11elalter, Paderborn, Verlag der Bonifacius-Druckerci, 1938, cn particulier pp. 44-46.

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decoule naturellement de la verite qu'il cache.» \p. 17) Le perron de Chrctien en e_t une preuve eclatantc . Et c'es t encorc une foi.s But0r qui a prevu la voie d'ucces qui a ete suivic ici pour arriver au decryptage de ce chiffre: «Le lec teur qui veut comprendre l'emploi d' un seu l mot dnn. un pa sage precis, ne peut y parvenir qu'en reconsti tuant peu i1 peu une architecture mentale anciennc.)) (p. 19)

Valchimic du Verbe. - Cette reconstitution faite, allons rcvi sitcr, clavis chymicus en main , l'architecture en pierrcs pr~cieuses que Chtetien a construite sou le pin27

• Trouee au milieu «comme un ronneau», la tnlmla smarogdina cor­respond u l'oppareil ~1 sublimation (vasf1111de11di) des a!chimi tes dans lequel, a l'aide d ' une pelle (pala), il s versaient les ingredients necessaires au Grand Oeuvre. Pour arriver a transformer des elements naturels ofin de leur donner les nouvelles qualites requises - faire de l'or avec du mercure ou du cuivre, trouver l'elixir de vie -, il fallait faire ferrnenter a travers !es etapes de s11hli111a1io,fixio, calcinatio et solutio pour arriver finalement a la coagulatio. Pour reussir cette transmutation , la substancc appelee lapis philosophorum etait de la plus haute importance.

Les paralleles avec la scene que vit Calogrenant a la fontaine sans com­prendre ce qu' il subit sont trop evidents pour qu' il soit necessaire d' insister. Le jeu de la 1ra11sla1io en tnnt qu'acte (trnnsfert d'eau de source) et metaphore (alchimiq11c)2~. qui passe pnr une tran smuli\tion pour arriver il unc trunsfigurn­tion (la jubilation de r oe.uvre1V et de cclu i qui sai t «.a luer In beaule» 111

) , 11 ll l'

livre en un raccourci d'ort poet ique la scene secrete de la creation arti. tique . San decryptage permet de jeter. en pa ·sant , une nouvelle lu micrc sur une mure enigme que Chretien pose a la critique. L'acte central de l'alchimie que des traites de l'epoque aimaient evoquer dans leur titre, SOUS forme de metaphore matrimoniale (Liba co11j11gii). s'appelle co11j1111crio. Comment llC pas penser a la «molt bele conjointure» d'Erec et Enide que Chretien dit avoir «tret d'un conte d' aventure»? C' est dans Yvain qu' i 1 nous 1 i vrerait la cle de I 'association d'idees 31

. Car l'operation qu'il a fait subir dans son premier roman au conte

~ 1 Lcs analyscs 'alchimiques' de l'ueuvrc de Chretien de Troyes sonl rares et Ja plupart du temps conccn1rccs sur Le Cnnre d11 Graal. Les lectures subtiles que Charles Mcl;1 a proposees dans ses prcfnt:cs au Cli[il!s (Paris. Lc livre de poche. 1994) et au La11celor (Paris. Lc livrc de poche. 1992) mnrqucnt trn 11ou\'e;1u point de dcpart.

!•La mctaphorc CSI l'un des pr0<.:cdcs d'o/Jsrnritm lcs plu s utiliscs dans lcs lraitcs des alchi­mistes, cf. Teile (note 26). p. 210 sqq.

2'1 Lc chant polyphonique des oiseaux incl un autrc aspcct de l'alchimic en scenc: 11111sica elail une des appellations ancicnnes de l'alchimic.

'" A. Rimbaud, Alchi111ie d11 1•erbe. ccJ . R. de Renevillc - J. Mouquct. Arthur Ri111batl{I, Oe111'res compleres. Paris. Bibliolheque de la Pleiade, Paris 1954. p. 238.

' 1 Pour les interpretations de «conjointure» proposecs jusqu'a maintcnant. er. l'e tucJc impor­tante de D. Kelly dans son livre The Art n{ Medie1•al Fren ch Ro111a11ce, Madison. The University of Wisconsin Press. 1992, Pfl · 15·3 I.

Page 15: Alessandria, Edizioni dell'Orso, 1996, 1, PP· 371-385 ... · bono habitu et bona specic, omnia haec relinqucntcs in cam inlcndunt et apeno orc conspiciunt, c1 cnm cligun1 magis quam

ConJointun:s apm:ryphcs. L:1 f(ln1:1111.: saus h.: pin tl' Yv:un 385

malmene par les conteurs professionnels, poursuit le mcme but que la 1rnnsmu-1a1ion alchimiquc: purificr et cxalter des matiercs moins nobles .

Ceuc fin demierc fai1 apparaitre dans 1ou1 son ec lat la conscience de soi quc Chrctien de Troyes avuit en tant que createur et qu'il nous donne a decryp­ter clrymice dans la scenc de !'Oeuvre. Car ce qui est vrai pour les alchimistes, est vrai pour l'arliste: c'est par son travuil d'affinement quc l'homme perfec­tionne le monde, qu'il transforme un simple pin en une apparition feeriquc. Conjointurc passe nature. Et comme l'elixir de vie, clle gurantit l ' immortal ite.