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Mise au point Analyse factuelle du drainage abdominal prophylactique Evidence-based analysis of prophylactic abdominal drainage M.-V. Launay-Savary, K. Slim * Service de chirurgie générale et digestive, Hôtel-Dieu, boulevard Léon-Malfreyt, BP 69, 63058 Clermont-Ferrand, France Disponible sur internet le 05 décembre 2005 Résumé Le drainage abdominal prophylactique en chirurgie digestive était considéré jusquà une période récente comme un dogme. Mais, des essais randomisés publiés ont cependant remis en question lutilité du drainage systématique en chirurgie réglée. Le but de cette revue de la littérature était dévaluer lutilité du drainage selon le concept de la médecine factuelle en analysant les essais randomisés et les méta-analyses publiés. Les niveaux de preuves varient selon le type de chirurgie. On peut conclure : avec un bon niveau de preuves que le drainage prophylactique est inutile dans les cholécystectomies électives, les appendicectomies et les colectomies avec anastomose intrapéritonéale ; quil est probablement inutile (moindre niveau de preuves) dans la chirurgie gastroduodénale, les pancréatectomies, les splénectomies, et la chirurgie rectale ; et enfin quil garde probablement des indications dans la chirurgie œsophagienne et la chirurgie de la voie biliaire principale (très faible niveau de preuves). Linterprétation des données et les recommandations factuelles doivent néanmoins être considérées en tenant compte des limites des études publiées (série venant déquipes expertes, patients sélectionnés, effectifs limités, et chirurgie réglée). © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Abdominal prophylactic drainage in digestive surgery was considered until recently as a dogma. But randomised controlled trials have questioned the routine use of abdominal drain in elective surgery. The aim of this review was to assess the usefulness of abdominal prophylactic drainage according to the concept of evidence-based medicine by analysing published randomised trials and meta-analyses. Levels of evidence vary greatly according to the type of surgery. One can conclude: with a good level of evidence that abdominal drainage has no place following elective chole- cystectomy, appendicectomy and colectomy with intraperitoneal anastomosis; that it is perhaps unwarranted (lower level of evidence) following gastroduodenal surgery, pancreatectomy, splenectomy, and rectal surgery; and finally that could be indicated following oesophagectomy and com- mon bile duct surgery (very low level of evidence). Nevertheless, when interpreting these data and evidence-based guidelines we should be consider the limitations of published studies (series coming from very expert teams, selected patients, short series, and elective surgery). © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Drainage ; Chirurgie ; Médecine factuelle Keywords: Drainage; Surgery; Evidence-based medicine 1. Introduction Le drainage abdominal à titre prophylactique est encore considéré par un grand nombre de chirurgien comme un geste nécessaire et utile au terme des interventions abdominales. Par exemple : dans une enquête de la Société française de chirurgie digestive (SFCD) près de la moitié des chirurgiens digestifs laissent systématiquement un drain prophylactique au cours dune colectomie droite [1] alors que la SFCD avait recom- mandé le contraire [2]. Le drainage est devenu au fil du XX e siècle un véritable dogme en chirurgie digestive. Au même titre que les autres dogmes, celui nécessite une évaluation objective selon le concept de la médecine factuelle (Evidence-based me- dicine). Nous analyserons, après un très bref rappel historique, les indications du drainage prophylactique selon les meilleures données factuelles disponibles cest-à-dire, les méta-analyses et les essais randomisés. http://france.elsevier.com/direct/ANNCHI/ Annales de chirurgie 131 (2006) 302305 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (K. Slim). 0003-3944/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anchir.2005.11.010

Analyse factuelle du drainage abdominal prophylactique

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http://france.elsevier.com/direct/ANNCHI/

Annales de chirurgie 131 (2006) 302–305

Mise au point

* AuteAdre

0003-39doi:10.1

Analyse factuelle du drainage abdominal prophylactique

Evidence-based analysis of prophylactic abdominal drainage

M.-V. Launay-Savary, K. Slim *

Service de chirurgie générale et digestive, Hôtel-Dieu, boulevard Léon-Malfreyt, BP 69, 63058 Clermont-Ferrand, France

Disponible sur internet le 05 décembre 2005

Résumé

Le drainage abdominal prophylactique en chirurgie digestive était considéré jusqu’à une période récente comme un dogme. Mais, des essaisrandomisés publiés ont cependant remis en question l’utilité du drainage systématique en chirurgie réglée. Le but de cette revue de la littératureétait d’évaluer l’utilité du drainage selon le concept de la médecine factuelle en analysant les essais randomisés et les méta-analyses publiés. Lesniveaux de preuves varient selon le type de chirurgie. On peut conclure : avec un bon niveau de preuves que le drainage prophylactique estinutile dans les cholécystectomies électives, les appendicectomies et les colectomies avec anastomose intrapéritonéale ; qu’il est probablementinutile (moindre niveau de preuves) dans la chirurgie gastroduodénale, les pancréatectomies, les splénectomies, et la chirurgie rectale ; et enfinqu’il garde probablement des indications dans la chirurgie œsophagienne et la chirurgie de la voie biliaire principale (très faible niveau depreuves). L’interprétation des données et les recommandations factuelles doivent néanmoins être considérées en tenant compte des limites desétudes publiées (série venant d’équipes expertes, patients sélectionnés, effectifs limités, et chirurgie réglée).© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Abdominal prophylactic drainage in digestive surgery was considered until recently as a dogma. But randomised controlled trials have questionedthe routine use of abdominal drain in elective surgery. The aim of this review was to assess the usefulness of abdominal prophylactic drainageaccording to the concept of evidence-based medicine by analysing published randomised trials and meta-analyses. Levels of evidence vary greatlyaccording to the type of surgery. One can conclude: with a good level of evidence that abdominal drainage has no place following elective chole-cystectomy, appendicectomy and colectomy with intraperitoneal anastomosis; that it is perhaps unwarranted (lower level of evidence) followinggastroduodenal surgery, pancreatectomy, splenectomy, and rectal surgery; and finally that could be indicated following oesophagectomy and com-mon bile duct surgery (very low level of evidence). Nevertheless, when interpreting these data and evidence-based guidelines we should be considerthe limitations of published studies (series coming from very expert teams, selected patients, short series, and elective surgery).© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Drainage ; Chirurgie ; Médecine factuelle

Keywords: Drainage; Surgery; Evidence-based medicine

1. Introduction

Le drainage abdominal à titre prophylactique est encoreconsidéré par un grand nombre de chirurgien comme un gestenécessaire et utile au terme des interventions abdominales. Parexemple : dans une enquête de la Société française de chirurgiedigestive (SFCD) près de la moitié des chirurgiens digestifs

ur correspondant.sse e-mail : [email protected] (K. Slim).

44/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.016/j.anchir.2005.11.010

laissent systématiquement un drain prophylactique au coursd’une colectomie droite [1] alors que la SFCD avait recom-mandé le contraire [2]. Le drainage est devenu au fil du XXe

siècle un véritable dogme en chirurgie digestive. Au même titreque les autres dogmes, celui nécessite une évaluation objectiveselon le concept de la médecine factuelle (Evidence-based me-dicine). Nous analyserons, après un très bref rappel historique,les indications du drainage prophylactique selon les meilleuresdonnées factuelles disponibles c’est-à-dire, les méta-analyses etles essais randomisés.

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2. Brève histoire du drainage

Il ne s’agit pas ici de reprendre toute l’histoire du drainageen chirurgie mais de rapporter les prémices de l’analyse « objec-tive » de l’intérêt du drainage prophylactique en chirurgieabdominale. Jusqu’en 1890, aux États-Unis, l’utilisation dudrainage prophylactique était très répandue et se faisait essen-tiellement par des drains dits de Mickulicz. Mais les chirurgiensavaient déjà constaté que l’usage répandu du drainage avait en-traîné l’augmentation des complications septiques, pariétales àtype d’éventration et d’occlusion. Dès 1898 W. Halsteadécrivait : « No drainage at all, is better than the ignorant em-ployment of it » et en 1905 Yates affirmait après une étudeexpérimentale : « drainage of the peritoneal cavity is physicallyand physiologically impossible » [3]. En 1919, F. Hathawayconcluait : « Its day is past, and soon it will only be seen, whereit should be, in a museum » [4].

C’est dire que le principe du drainage prophylactique a étéremis en question depuis près d’un siècle. Mais malgré cettecontroverse naissante, peu d’études cliniques comparatives ontété publiées à la suite de ces travaux publiés au début du XXe

siècle et le drainage prophylactique s’est largement répanducomme si les chirurgiens appliquaient en routine le fameuxadage de L. Tait « When in doubt, drain ».

Le but de cette revue de la littérature factuelle est de faire lepoint sur ce dogme à la lumière de cinq revues systématiquesou méta-analyses [5–9] et des essais randomisés publiés, noninclus dans les méta-analyses et retrouvés dans les bases dedonnées factuelles (Medline®, Scopus®, Cochrane Library®).Les niveaux de preuves sont classés selon les critères du Centrefor Evidence-based Medicine d’Oxford publiés en mai 2001[10].

3. Hépatectomies

La revue systématique de Petrowsky et al. [8] a inclus troisessais randomisés parus entre 1993 et 2004. Ces trois étudescomparaient l’absence de drainage à un drainage par drain tu-bulaire en aspiration de durée variable de plus de trois jours àplus de cinq jours. La méta-analyse comportait en tout de 154patients drainés et 150 patients non drainés. Il n’y avait pas dedifférence statistiquement significative concernant tous les cri-tères de jugement : mortalité, morbidité, collection biliaire, ab-cès intrapéritonéaux, abcès de paroi, complications pulmonaireset réinterventions. Le rapport de cotes [IC95 %] (odds ratio)était de 1,15 [0,15–594] pour les collections biliaires postopé-ratoires et de 1,40 [0,73–2,68] pour les complications pulmo-naires. En revanche, les auteurs montraient une tendance en fa-veur de l’absence de drainage concernant les collectionsinfectées avec un rapport de cotes de 2,83 [0,82–9,71]. Aucunrésultat n’était en faveur du drainage, mais la méta-analyse n’apas comporté une analyse de sensibilité et d’hétérogénéité.

Un essai randomisé [11] a été publié après la méta-analysede Petrowski et al. Il a inclus des patients cirrhotiques ayantsubi une hépatectomie pour carcinome hépatocellulaire pourconclure à un bénéfice du drainage en termes du contrôle del’ascite et des complications locales. On peut conclure, avec

un niveau de preuve 1a, qu’il n’y a peut-être pas d’intérêt audrainage prophylactique au cours des hépatectomies, mais cetteaffirmation doit être nuancée car des questions restent encoresans réponses :

● peut-on extrapoler les résultats de la méta-analyse d’essaismenés par des équipes expertes en chirurgie hépatique à lapratique courante et à un « chirurgien non-expert » ?

● qu’en est il des sous-groupes « foie sain » et « foie cirrho-tique » ?

Une nouvelle une méta-analyse incluant les quatre essaisavec une analyse d’hétérogénéité et une analyse des sous-grou-pes foie sain et foie cirrhotique est donc nécessaire.

4. Chirurgie biliaire

En ce qui concerne la cholécystectomie pour lithiase vésicu-laire « simple » en dehors de l’urgence, huit essais randomiséscomparant le drainage et l’absence de drainage au cours descholécystectomies (par laparotomie ou par cœlioscopie) ontété publiés. Seuls deux essais ont été menés depuis « l’ère cœ-lioscopique » [12,13] nous ne différencierons pas les deux voiesd’abord. Nous retiendrons les trois essais [14–16] qui ont inclusle plus grand nombre de patients (du fait du risque d’erreur dedeuxième espèce dans les essais de faible effectif).

Les trois essais montraient soit aucune différence de morbi-dité, soit une augmentation significative de collection sous-hé-patique et de la morbidité globale dans le groupe drainé. On netrouve dans aucun essai une différence significative en faveurdu drainage prophylactique. C’est donc avec un niveau depreuve 1b que l’on conclut qu’il n’est pas nécessaire de drainerles cholécystectomies réalisées en dehors de l’urgence. Pour lescholécystites aiguës, nous ne disposons d’aucune étude rando-misée et aucune recommandation factuelle ne peut être faite. Ladécision de drainer ou de ne pas drainer obéit à l’expérience etl’appréciation du chirurgien.

Dans le même sens, Il n’y a aucun essai randomisé sur ledrainage prophylactique dans la chirurgie de la voie biliaireprincipale et notamment après cholédocotomie idéale. La SFCDrecommande un drainage abdominal prophylactique après chi-rurgie de la voie biliaire principale et surtout en l’absence dedrainage des voies biliaires (drain de Kehr ou prothèse) [2].Mais le niveau de preuve est simplement un « accord d’expert »,niveau 5.

5. Chirurgie œsogastroduodénale

Aucune étude prospective ni recommandation n’ont été pu-bliées pour les œsophagectomies avec anastomose œsogas-trique, œsojéjunale ou œsocolique.

Pour la chirurgie gastroduodénale, la recherche bibliogra-phique a permis de retrouver deux études comparatives : unesur la chirurgie des ulcères duodénaux perforés et une autresur les gastrectomies.

L’étude randomisée sur les gastrectomies partielles et totales[17] a inclus un nombre important de patients (n = 170) dont le

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Tableau 1Drainage après anastomose colique: rapports de cotes [IC95 %] concernant lesfistules anastomotiques cliniques après anastomose colique ou colorectale dansles quatre méta-analyses

Nombred’essais inclus

Fistules cliniques

Urbach et al. [6] 4 1,00 [1,47–3,06]Petrowski et al. [8] 8 1,38 [0,77–2,49]

Anastomoseintrapéritonéale

Anastomosesous-péritonéale

Jesus et al. [7] 6 1,44 [0,75–2,93] 0,85 [0,36–2,00]Bretagnol et al. [9] 3 1,30 [0,59–2,87]

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tiers environ a subi une gastrectomie totale. L’analyse des ré-sultats ne montrait aucune différence significative en termes demorbidité postopératoire dans les deux sous-groupes. Deux ab-cès intra-abdominaux (2,4 %) dans le groupe non-drainé ont ététraité électivement par voie percutanée. Cet essai montre, avecun niveau 2b de preuve que le drainage prophylactique gas-trique peut être omis dans les résections gastriques.

L’étude de Pai et al. [18] n’était pas randomisée et a inclus119 patients opérés d’un ulcère duodénal perforé et traités parsuture de l’ulcère avec épiplooplastie. Le mise en place (n = 75)ou non (n = 44) d’un drain passif était laissée au choix du chi-rurgien. L’analyse des deux groupes, drainé et non drainé n’apas montré d’augmentation de la morbidité postopératoire dufait de l’absence de drainage prophylactique. De plus, les au-teurs ont rapporté une morbidité spécifique du drainage (10,7 %de surinfection et 2,7 % d’occlusion intestinale). Les limites decette étude sont (du fait de l’absence de randomisation) l’inéga-lité des groupes et la possibilité de biais en rapport avec leschoix des chirurgiens. Néanmoins, cette étude suggère avec unniveau de preuves 3b que le drainage abdominal prophylactiqueest peut-être inutile après suture d’un ulcère duodénal perforé.

6. Pancréatectomies

L’essai randomisé de Conlon et al. [19] comparant le drai-nage aspiratif fermé à l’absence de drainage après 139 duodéno-pancréatectomies et 40 pancréatectomies distales n’a pas montréd’utilité au drainage dans une chirurgie où on peut penser quecelui-ci pourrait éviter des réinterventions en cas de fistule pan-créatique. Le taux de fistule (définie par la quantité et le tauxd’amylase du liquide de drainage) était de 11 % dans le groupedrainé. Dans le groupe non drainé (où les critères de fistule nesont pas ceux du groupe témoin) le taux de reprise chirurgicaleainsi que le taux de drainage radiologique de collections intra-abdominales étaient moins élevés que dans le groupe drainé.Dans une analyse de sous-groupe les auteurs ont montré que lenombre de patients ayant des collections intra-abdominales oudes fistules était significativement plus élevé après drainage(19 vs 8, p < 0,02). Treize patients ont subi un drainage percu-tané d’une collection intra-abdominale, la majorité (n = 8)avaient eu un drain. Cet essai suggère avec un niveau de preuves1b que le drainage prophylactique après résection pancréatiquen’a pas d’intérêt. Mais ces conclusions venant d’une équipemondialement connue, ne peuvent être extrapolés à la pratiquecourante et demandent à être confirmés par un autre essai sur ungrand nombre de patients avant que l’on recommande d’aban-donner le drainage dans les résections pancréatiques (notammentles duodénopancréatectomies céphaliques).

7. Appendicectomie

La méta-analyse de Petrowsky et al. [8] a inclus six essaisrandomisés sur le drainage dans les appendicectomies. Deuxessais concernaient les appendicites aiguës non compliquées(ou « simple ») et quatre les appendicites perforées ou gangre-neuses. Les deux essais sur l’appendicite non compliquée ontsuggéré que l’absence de drainage était suivie dans une étude

[20] de moins d’abcès de paroi et dans l’autre [21] d’autantd’abcès intra-abdominal.

La méta-analyse des quatre essais sur les appendicites com-pliquées (gangrenées ou perforées) montrait des rapports de co-tes de 1,43 [0,39–5,29] pour les abcès intra-abdominaux, et de1,78 [0,52–2,86] pour les abcès de paroi en faveur de l’absencede drainage (de manière non statistiquement significative), etsurtout de 12,4 [1,14–135] pour les fistules cæcales en faveurde l’absence de drainage, de manière significative mais avec unintervalle de confiance très large.

On peut donc conclure avec un niveau de preuve 1b que ledrainage prophylactique est inutile dans les appendicectomiespour appendicites non compliquées et pourrait être délétèredans les appendicites compliquées.

8. Chirurgie colorectale

Quatre méta-analyses [6–9] ayant inclus neuf essais rando-misés permettent d’évaluer le drainage prophylactique en chi-rurgie colorectale.

Pour la chirurgie colique ou les anastomoses intrapéritonéa-les, trois méta-anlyses permettent d’évaluer la place du drainageprophylactique en regard des anastomoses [6–8]. Aucun résultatn’était en faveur du drainage (critères de jugement : abcès deparoi, fistule anastomotique clinique, complications broncho-pulmonaires). Au contraire, le risque d’abcès de paroi semblaitplus élevé dans le groupe de patients ayant eu un drainage maissans atteindre la significativité statistique. Dans une méta-ana-lyse [6] le drainage ne permettait de faire le diagnostic de fistuleanastomotique que dans 5 % des cas. Le Tableau 1 résume lesrapports de cotes pour les fistules anastomotiques cliniques (is-sue de pus ou liquide fécal par le drain, abcès intra-abdominal,péritonite postopératoire, réintervention) dans les méta-analysespubliées. On peut donc conclure avec un niveau de preuve 1aqu’il n’y a pas d’intérêt à drainer les anastomoses coliques in-trapéritonéales.

Pour les anastomoses sous-péritonéales, on dispose de deuxméta-analyses [7,9] qui suggèrent que le drainage pourrait êtreinutile mais le nombre de patients dans ces méta-analyses estinsuffisant avec un risque d’erreur statistique de type 2. La der-nière méta-analyse a inclus 191 patient issus de trois essais(Tableau 1), mais le calcul du nombre de patients nécessairesa montré qu’il aurait fallu inclure au moins 300 patients pouréviter une erreur de type 2 [9]. On peut donc conclure avec unniveau de preuves 2a qu’il est peut-être peu utile de mettre un

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Tableau 2Analyse factuelle des indications du drainage prophylactique en chirurgie digestive. À noter que la colonne « oui » reste vide dans tous les domaines de la chirurgie.Seule persistent de rares indications avec un faible niveau de preuves du fait de l’absence d’études cliniques

Niveau de preuves Non Peut-être non Peut-être oui OuiHépatectomie 1a ✓

Cholécystectomie 1b ✓

Cholédocotomie 5 ✓

Œsophagectomie 5 ✓

Estomac–duodénum 2b–3b ✓

Pancréatectomies 1b ✓

Splénectomie 2b ✓

Appendicectomie 1b ✓

ACRa intrapéritonéale 1a ✓

ACRa sous-péritonéale 2a ✓a Anastomose colorectale.

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drainage prophylactique après anastomose colorectale (ou co-loanale) sous-péritonéale.

9. Splénectomie

Le drainage prophylactique après splénectomie a fait l’objetd’une seule étude randomisée de faible effectif (n = 78) [22].L’étude n’a montré aucune différence significative en termesd’abcès sous-phrénique postopératoire. Cependant, les seuls ab-cès observés étaient dans le groupe de patients ayant eu un drai-nage passif ouvert. Le drainage après splénectomie n’est proba-blement pas utile, mais si les circonstances opératoires amènentà préférer le drainage, il convient que celui-ci soit aspiratif surun circuit fermé (pour éviter la contamination de dehors en de-dans) (niveau de preuve 2b)

10. Conclusion

On peut résumer les indications de drainage prophylactiquede la cavité péritonéale par le Tableau 2. Comme on peut le liresur le Tableau 2, les indications du drainage abdominal prophy-lactique se réduisent au fur et à mesure de la publication desessais. Aucun essai récent n’est venu affirmer la nécessitéd’un drainage systématique. Mais il convient aussi d’interpréterles données factuelles en tenant compte de leurs limites : sériesvenant d’équipes expertes, patients sélectionnés, et parfois ef-fectifs limités. Les conclusions valent essentiellement pour lachirurgie réglée, aucune donnée factuelle n’est disponible dansla chirurgie d’urgence où les attitudes sont souvent intuitives oupragmatiques. Des études randomisées sont encore nécessairespour répondre définitivement à la question faut-il encore mettredes drains à titre prophylactique à la fin de nos interventions ?

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