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Article original Aspects psychopathologiques des troubles envahissants du développement Psychopathological features in the pervasive developmental disorders P. Lenoir Service universitaire de pédopsychiatrie, CHRU de Tours, 2, boulevard Tonnellé, 37044 Tours cedex, France Reçu et accepté le 10 octobre 2006 Résumé Àlheure de la neurobiologie quelle place reste-t-il aux mécanismes psychopathologiques qui sous-tendent les troubles envahissants du développement ? Après avoir défini les différentes applications du terme « psychopathologie » nous passerons en revue les principaux modèles psychopathologiques utilisés dans les troubles envahissants du développement. Parmi ces derniers on peut retenir : les modèles du lien précoce, les modèles de la perception, les modèles cognitivistes de la communication, les modèles éclairés par les progrès de la génétique et de la biologie moléculaire. Nous donnerons une place particulière à la « psychopathologie du développement » qui tient compte des aspects dynamiques et évolutifs des différents secteurs du développement de lenfant : somatique, intellectuel, affectif, social. Nous évoquerons la psychopathologie du quotidien utile pour le travail avec les personnes autistes et leur famille. Nous conclurons par un certain nombre dinterrogations sur lobjectivité des analyses psychopathologiques, sur le degré dinterprétation incontournable et le recours au symbolisme pour les professionnels de lautisme. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract At time of neurobiology which place remains to the psychopathological mechanisms linked to the pervasive developmental disorders? First the term psychopathologymust be specified. Then we will review the main psychopathological theories known in the Pervasive Developmental Disorders. Among these: psychodynamic theory of the early bond, neurophysiologic theory of perception, cognitive patterns of communication, genetic models. A special position is given to the Psychopathology of the Developmentwhich takes account of the dynamic and evolutionary aspects in various areas as somatic, intellectual, emotional and social development. Psychopathology of every day life is also very important for autistic people and their family. We finish with interrogations on the objectivity of the psychopathological analyses, the degree of interpretation and the use of symbolism by professionals working in autism. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Autisme ; Psychopathologie ; Troubles envahissants du développement Keywords: Autism; Psychopathology; Pervasive developmental disorders 1. Introduction Entre des conceptions psychopathologiques proches de la pensée magique, voire paranormales ou pseudohumanistes du type, lautisme est un blocage plus ou moins traumatique quon peut lever par des méthodes de communication particulières (psychophanie) ou par lamour sans les parents [5] ou avec les parents (Kaufman), qui disqualifient les aspects psycholo- giques de lautisme, et des conceptions purement neurobiolo- giques qui les ignorent, quelle place reste-t-il aux mécanismes psychopathologiques qui sous-tendent les troubles envahissants du développement ? http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/ Neuropsychiatrie de lenfance et de ladolescence 54 (2006) 324335 Adresse e-mail : [email protected] (P. Lenoir). 0222-9617/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2006.10.008

Aspects psychopathologiques des troubles envahissants du développement

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http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 54 (2006) 324–335

Article original

Aspects psychopathologiques des troubles envahissants du développement

Psychopathological features in the pervasive developmental disorders

P. Lenoir

Service universitaire de pédopsychiatrie, CHRU de Tours, 2, boulevard Tonnellé, 37044 Tours cedex, France

Reçu et accepté le 10 octobre 2006

Résumé

À l’heure de la neurobiologie quelle place reste-t-il aux mécanismes psychopathologiques qui sous-tendent les troubles envahissants dudéveloppement ? Après avoir défini les différentes applications du terme « psychopathologie » nous passerons en revue les principaux modèlespsychopathologiques utilisés dans les troubles envahissants du développement. Parmi ces derniers on peut retenir : les modèles du lien précoce,les modèles de la perception, les modèles cognitivistes de la communication, les modèles éclairés par les progrès de la génétique et de la biologiemoléculaire. Nous donnerons une place particulière à la « psychopathologie du développement » qui tient compte des aspects dynamiques etévolutifs des différents secteurs du développement de l’enfant : somatique, intellectuel, affectif, social. Nous évoquerons la psychopathologie duquotidien utile pour le travail avec les personnes autistes et leur famille. Nous conclurons par un certain nombre d’interrogations sur l’objectivitédes analyses psychopathologiques, sur le degré d’interprétation incontournable et le recours au symbolisme pour les professionnels de l’autisme.© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

At time of neurobiology which place remains to the psychopathological mechanisms linked to the pervasive developmental disorders? Firstthe term “psychopathology” must be specified. Then we will review the main psychopathological theories known in the Pervasive DevelopmentalDisorders. Among these: psychodynamic theory of the early bond, neurophysiologic theory of perception, cognitive patterns of communication,genetic models. A special position is given to the “Psychopathology of the Development” which takes account of the dynamic and evolutionaryaspects in various areas as somatic, intellectual, emotional and social development. Psychopathology of every day life is also very important forautistic people and their family. We finish with interrogations on the objectivity of the psychopathological analyses, the degree of interpretationand the use of symbolism by professionals working in autism.© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Autisme ; Psychopathologie ; Troubles envahissants du développement

Keywords: Autism; Psychopathology; Pervasive developmental disorders

1. Introduction

Entre des conceptions psychopathologiques proches de lapensée magique, voire paranormales ou pseudohumanistes du

Adresse e-mail : [email protected] (P. Lenoir).

0222-9617/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservésdoi:10.1016/j.neurenf.2006.10.008

type, l’autisme est un blocage plus ou moins traumatique qu’onpeut lever par des méthodes de communication particulières(psychophanie) ou par l’amour sans les parents [5] ou avecles parents (Kaufman), qui disqualifient les aspects psycholo-giques de l’autisme, et des conceptions purement neurobiolo-giques qui les ignorent, quelle place reste-t-il aux mécanismespsychopathologiques qui sous-tendent les troubles envahissantsdu développement ?

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Peut-on en rester à une psychopathologie indépendante del’étiopathogénie pour une pathologie si invalidante alors quedans le domaine des troubles somatiques il y a en permanencedes allers-retours entre la physiopathologie et l’étiopathogénie.

2. Définition de la psychopathologie

Science des souffrances de l’esprit, considérée à la foiscomme une branche de la psychologie et comme une réflexionthéorique sur la clinique psychiatrique.

Les définitions sont multiples :

● branche de la psychologie générale = psychopathologie cli-nique comme la psychologie du « normal » ;

● synonyme de psychiatrie ;● correspondant de la physiopathologie.

Cette dernière définition ne peut totalement s’appliquer pourles phénomènes psychiques, mais a le mérite de centrer lesobjectifs de la psychopathologie sur la compréhension desmécanismes.

La psychopathologie est intermédiaire entre la sémiologiedescriptive et l’étiopathogénie, souvent confondue justementavec l’une ou l’autre car devant se raccrocher en amont ou enaval.

En effet, à l’inverse de la physiopathologie — dont C. Ber-nard a contribué à forger les bases en pathologie somatique —qui sert de trait d’union homogène entre les mécanismes ini-tiaux étiologiques et les symptômes, la psychopathologie n’estpas une donnée continue.

Les premiers textes de Freud faisaient référence à des modè-les analogiques neurophysiologiques dans « l’esquisse d’unepsychologie scientifique » qu’il a rapidement abandonnée auprofit d’un modèle psychopathologique psychodynamique« autonome ». Les nouveaux modèles vont abandonner pro-gressivement la hiérarchisation des niveaux étiologique, psy-chopathologique, symptomatique. L’exemple flagrant est celuide l’hystérie dont l’étiologie va passer du trauma réel autrauma fantasmé. Dans ce cas, c’est par la psychopathologieque l’on découvre l’origine de la conversion.

Ainsi la psychanalyse est un modèle de psychopathologieproche du niveau étiopathogénique avec les dangers d’un tropgrand déterminisme entre les causes et les effets alors que lesconceptions psychopathologiques comportementalistes dont lesnosographies psychiatriques anglo-saxonnes actuelles sont letémoin avec leurs listes de symptômes restent dans le domainedescriptif de manière trop souvent réductionniste.

L’origine de l’autisme et encore plus des « autismes » restemystérieuse et résiste aux progrès des neurosciences, ces der-nières ne révélant pour le moment que des évidences (visuali-sation par l’imagerie cérébrale des supports des troubles senso-riels, découverte en biologie moléculaire d’anomalies géniquesdiverses…). Toutes ces révélations apportent des preuves auxhypothèses fondées sur la clinique, mais n’apportent pasd’hypothèses nouvelles.

Le manque de pistes étiologiques fondamentales est enmême temps une chance pour la réflexion psychopathologiquequels que soient ses présupposés théoriques. Cependant, il nefaut jamais oublier les exigences scientifiques ou au moins unecertaine sagesse dans le raisonnement qui doit bien distinguer àchaque fois le niveau descriptif, sémiologique, interprétatif,étiologique, thérapeutique et aussi la position théorique et per-sonnelle de l’observateur–soignant.

3. Principaux modèles psychopathologiques

3.1. Modèles du lien précoce

3.1.1. Lien à sens unique

Ce modèle est le plus ancien et le plus discutable. Il met encause la mère dans ses interactions précoces avec son bébé, etsa fonction d’étayage et de protection. Il est né indirectementdes travaux des psychanalystes qui avaient étudié les relationsprécoces mère–bébé et la formation de la personnalité chez lenourrisson. Un des points communs à ces théories repose sur lefait que la mère ne peut assurer son travail d’interfacepsychique :

● filtrant les éléments « toxiques » β pour que l’enfant lesmétabolise en éléments α [6] ;

● protégeant l’enfant contre le démantèlement ou servant depare-excitation [36] ;

● l’étayant suffisamment par un bon holding pour éviterl’effondrement [51] ;

● lui permettant une séparation–individuation afin de sortir dela phase symbiotique [33].

On pourrait presque parler de rôle « placentaire psychique »par ces fonctions d’échanges, de circulation, de détoxication.

Bettelheim [5], avec son modèle de traumatisme originel, devécu de situation extrême du nourrisson a renforcé malheureu-sement la théorie d’une insuffisance maternelle et a surtoutconcrétisé ces hypothèses en retirant les enfants autistes deleur milieu familial selon lui néfaste à leur épanouissement(école orthogénique).

Comment ce modèle psychogénétique de la mère respon-sable de l’autisme de son enfant a-t-il pu se développer et per-sister dans certains esprits alors qu’on est en présence d’unepathologie très invalidante ? Il faut sans doute y voirl’influence de la notion de carence précoce.

Les carences précoces et graves ont été déclinées selon plu-sieurs modèles :

● carences graves de soins et de nursing ;

● carences de soins affectifs avec le modèle de la dépressionanaclitique de Spitz [45] ;

● déprivation sensorielle à un temps T étudiée en neurobiolo-gie chez un animal en développement.

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Toutes ces expériences dont certaines, historiques (parexemple les enfants sauvages) nous montrent qu’il existe effec-tivement des points communs sémiologiques entre des mani-festations de carence prolongée et sévère et des signes autisti-ques. Nous pouvons rencontrer malheureusement encore dessituations d’hospitalisme intrafamilial grave qui peuvent faireposer un diagnostic différentiel avec l’autisme. Certains casd’enfants issus d’orphelinats roumains et décrits par Rutter[44] montraient également des symptômes proches del’autisme.

Dans tous les cas, la carence est en général sévère et pro-longée. Elle est à la fois quantitative (nursing) et qualitative(maternage). Ces enfants sont abandonnés et livrés à eux-mêmes, voire victimes de mauvais traitements plus actifs.

Le rapprochement entre ces situations réelles de l’environ-nement de l’enfant et un état « d’abandon psychique » quiserait provoqué par la mère est plus qu’abusif.

Si l’on considère maintenant uniquement les aspects quali-tatifs des liens mère–bébé, on peut toujours imaginer une mèreincompétente dans l’interaction avec son enfant du fait d’unedépression, d’un trouble de personnalité quelconque. Or,aucune étude ne fait ressortir de tels facteurs psychologiquesdans les antécédents familiaux et le profil des parents. Kanner[28] avait bien décrit des parents froids et obsessionnels, maisil est revenu sur ses observations. De tels traits de caractèrepeuvent être secondaires aux troubles de l’empathie de leurenfant (confusion entre conséquence et cause) ou peuventêtre, dans certains cas, des traits de personnalité éventuellementtransmissibles (voir les endophénotypes).

Dans le travail avec les familles, nous rencontrons commedans toute pathologie chronique, épuisante et handicapante, desréactions et des adaptations variées selon l’histoire, le vécu etla personnalité des parents. Il ne faut pas confondre ces amé-nagements réactionnels favorisés certes par des traits de per-sonnalité préexistants avec des facteurs étiologiques. Nous étu-dierons plus précisément les difficultés rencontrées dans lecoping avec les parents.

Le maintien déplorable des jugements négatifs et accusa-teurs à l’encontre des mères et plus généralement des parentss’explique en partie par l’idée fondamentale que la mère estresponsable de toute façon du bien-être de son enfant et qu’elleest défaillante dans le grand principe de l’instinct maternel.

L’autisme du jeune enfant de par son caractère douloureuxet mystérieux renvoie des sentiments forts de culpabilité. Jesuis toujours très surpris quand je montre des vidéos de cascliniques à des observateurs même initiés de constater unefocalisation des commentaires sur l’adulte (parent ou théra-peute en charge de l’enfant) qui est soumis à des critiques luireprochant toujours un manque quelconque (« il ne faitpas… »), ou une attitude inadaptée. La propre culpabilité natu-relle de certaines mères exprimée lors d’entretiens avec desthérapeutes a sûrement contribué à l’élaboration ou à la confir-mation des théories les mettant en cause. Nous reparlerons plusen détail de la culpabilité.

3.1.2. Lien bidirectionnel (dyade) entre un nourrisson à risqueautistique et une mère plus ou moins compétente

Brazelton [9] disait que c’est le nourrisson qui forme lamère. Dans ce modèle développé plus récemment par l’Écolepsychanalytique française [11,12,19,25,26], il existe un équili-bre dynamique instable entre deux partenaires fragilisés quipeut basculer dans la pathologie.

Les interactions dynamiques mère–bébé font l’objet de tra-vaux psychanalytiques plus récents et moins théoriques que lemodèle à sens unique. Certains reposent sur des paradigmesexpérimentaux développés par les recherches sur l’attachement[1,8,47]. Stern [46] a lui-même détaillé le modèle de l’accor-dage affectif par le biais de la spirale interactionnelle étudiéeplus tard également par Mazet [35].

Le nourrisson à risque manifeste dans son attitude un évite-ment relationnel.

Les deux concepts nosographiques de « nourrisson à risquede troubles sévères du développement » ou « d’évolution dys-harmonique » figurent ainsi dans la classification françaiseCFTMEA 2000 [37] dans l’axe bébé (zéro–trois ans) complé-mentaire de l’axe I. Le problème vient de la définition et de lalimite des critères qui, pour certains, s’apparentent à des signesprécoces d’autisme, pour d’autres, à des particularités de tem-pérament. Les points communs sémiologiques avec la dépres-sion du nourrisson sont également nombreux.

Les relations entre une mère dépressive et son bébé ont faitl’objet d’études montrant un ajustement ou une déstabilisationdu nourrisson, mais jamais de signes d’autisme.

La notion de dépression du nourrisson vient encore compli-quer le repérage symptomatologique. Quelle différence peut-onfaire entre l’évitement relationnel, le retrait d’un nourrisson àrisque et celui d’un nourrisson déprimé ?

La conjonction d’une fragilité partagée et concomitantedans les compétences interactives entre la mère et son bébépourrait s’expliquer par un facteur génétique transmis (voirles endophénotypes).

3.2. Modèles de la perception

La perception est une fonction fondamentale et primaire quise développe dès la vie intra-utérine. Elle est donc sûrementimpliquée dans des troubles précoces du développementcomme l’autisme.

3.2.1. Perceptions élémentairesLe principal modèle neurophysiologique, reposant sur un

trouble des perceptions, a été initié par Ornitz [41] et déve-loppé par Lelord [31]. L’hypothèse centrale repose sur undéfaut de régulation des stimuli sensoriels à un niveau sous-cortical, puis sur une défaillance du traitement cognitif à unniveau cortical de ces mêmes afférences déjà modifiées. Lelordévoque un trouble de la modulation cérébrale. Ces mécanismestrès précoces expliqueraient les signes « primaires » commel’impression de surdité, le défaut de regard, les autostimula-tions sensorielles et, par leur retentissement sur les processus

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de communication et de compréhension du monde environ-nant, pourraient entraîner des signes « secondaires » commele retrait social et les troubles du langage.

Ce modèle est étayé par de nombreuses publications mon-trant des anomalies neurophysiologiques diverses (EEG, poten-tiels évoqués auditifs corticaux, potentiels évoqués cogni-tifs…). Il est corrélé plus récemment par des étudesd’imagerie cérébrale fonctionnelle et par les connaissancesactualisées sur la maturation cérébrale.

Les troubles de la perception sont plus évidents et plus faci-les à évaluer que les troubles de la relation. Ils sont d’ailleursmis en avant dans les témoignages écrits d’adultes autistes dehaut niveau [21]. Dans ces récits autobiographiques et quasiphénoménologiques, les auteurs insistent toujours sur le carac-tère étrange et douloureux de ces phénomènes perceptifs quiparasitent leur vie quotidienne.

3.2.2. Perceptions complexesQuand on passe du niveau sensoriel au niveau cognitif plu-

sieurs études montrent que l’enfant autiste perçoit de façonmorcelée. Le concept de déficit en « cohérence centrale » illus-tre bien le fait que ces enfants sont happés par les détails etindifférents à la structure globale des formes. Cette particularitépeut leur conférer des capacités extraordinaires de mémorisa-tion visuelle ou musicale.

La théorie de la Gestalt, développée par Wertheimer [50],s’appuie sur d’autres principes théoriques mais pourrait égale-ment s’appliquer à ces anomalies perceptives. Chez la personneautiste, l’ensemble perçu se confond avec la somme des par-ties. Chez la personne non autiste, l’ensemble ne se résume pasà la somme.

La notion d’affordance, introduite par James Gibson [18],décrit la relation réciproque entre un organisme et le milieuenvironnant. Une affordance est une ressource que le milieu« offre » à l’organisme qui possède les systèmes cognitifsappropriés pour s’en saisir. C’est une « invite » du milieu àêtre exploité dans une certaine direction. En gros, l’affordancedésigne ce qu’un objet ou un outil nous suggèrent « À quoipeut bien servir ce truc ? ». Par exemple, vous voyez unbanc, vous pourriez penser que ça sert à s’asseoir ou à se cou-cher dessus. Quelques portes sont munies d’un panneau dechaque côté. Si vous voyez le panneau, vous allez penser à lepousser ou à le tirer. Les psychologues de la perception utili-sent la phrase « affordance de l’objet » pour exprimer ce queles objets nous suggèrent. La notion a été reprise dans ledomaine de l’ergonomie cognitive, essentiellement par D. Nor-man [39], pour expliquer quelles sont les invites, les sugges-tions d’utilisation, à la base des interactions entre un artefactcognitif et ses utilisateurs. Tout artefact aura un certain nombred’affordances qui dépendent des intentions de l’auteur du pro-jet (dans ce cas, il s’agit d’un artefact cognitif projeté), etd’autres qui dépendent de la contingence historique et cultu-relle dans laquelle l’artefact a été construit (le matériau dontil est composé, sa forme physique, sa configuration abstraite).

On peut ainsi étendre le concept d’affordance aux relationsentre deux personnes : « affordance relationnelle ». Ce concept

fait le lit de la théorie de l’esprit, mais là encore on peut sup-poser différentes étapes, différents intermédiaires mystérieuxentre la perception et l’émotion partagée.

Sur un plan neurophysiologique, les travaux de Lelord ontmontré que l’enfant autiste percevait de manière unimodale etassociait mal les différentes composantes sensorielles (vue,audition, toucher…). De même, Lovaas [32] a montré l’hyper-sélectivité des stimuli de l’environnement.

Ces distorsions perceptives unanimement reconnues dansl’autisme font donc également partie de la grille de lecture etd’observation de la psychopathologie psychodynamique mêmesi le niveau d’interprétation est différent. La grille de repérageclinique des étapes évolutives de l’autisme infantile traité deHaag [22], issue des techniques d’observation du nourrissonde E. Bick, comprend plusieurs rubriques sur les anomaliesperceptives. À la différence de la psychopathologie neurophy-siologique, les troubles perceptifs sont considérés dans unedimension symbolique et relationnelle et sont plus une mani-festation, voire une conséquence, qu’une cause de l’enferme-ment (notion d’autoérotisme, d’autisme primaire…). Klein [29]pense que « le développement du sens du réel est lié au dépla-cement de l’autoérotisme vers les objets extérieurs non directe-ment sexuels. La libido investit les fonctions de perception ».

C’est dans ce vaste champ des troubles perceptifs que l’onpeut tenter le plus souvent des rapprochements entre différentespsychopathologies (voir Réflexions).

3.3. Modèles de la communication (pensée et émotion)

L’un des apports les plus importants des dernières annéesdans l’explication de l’autisme est le concept de « théorie del’esprit ». Présenté au départ par Frith [17], il a été décliné sousdifférentes formes par des auteurs comme Rogers et Penning-ton [43] et par Hobson [24]. Il a aussi été étudié dans ses pré-mices par l’école de Baron-Cohen [3], qui a mis en évidencedes indicateurs de communication non verbale chez le nourris-son de 18 mois (attention conjointe, pointage proto-impératif etsurtout protodéclaratif, orientation du regard vers l’objetpointé, jeu symbolique) (Tableau 1).

Cette théorie peut trouver des correspondances avec lanotion d’intersubjectivité et le concept d’identification projec-tive dans certaines limites.

Les prérequis de la théorie de l’esprit restent cependantmystérieux en amont ou en deçà de l’attention conjointe. Est-ce que l’imitation motrice suffit à former l’intentionnalité ?Qu’est-ce qui fait passer l’enfant de l’imitation automatique,instinctuelle à la valeur de partage et d’interactivité avec unautre que soi ? Comment se forme l’empathie : instinct naturelou processus complexe se construisant par étapes ?

La théorie de la simulation développée par Harris [23] etGordon [20] postule que l’attribution de pensée à l’autre seforge sur un savoir-faire, sur un entraînement à se projeterdans les situations que rencontre autrui. On commenceraitdonc par simuler ses propres réactions dans des situationsappartenant à autrui et apprendre à connaître celles de l’autrepour pouvoir ensuite les anticiper.

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Tableau 1

Théories Concepts AuteursThéorie de l'esprit Métareprésentation Baron-Cohen [3] ; Frith [17]Théorie de l'émotion Reconnaissance des émotions Hobson [24]Théorie de l'intersubjectivité Formation et coordination des représentations spécifiques soi-autrui Rogers et Pennington [43]

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On peut citer quelques résultats concernant la recherche dedétecteurs d’intentionnalité à la fois chez la personne normaleet autiste. Ces études portent sur la reconnaissance des visageset des émotions [49], sur la perception du mouvement [34] etsur l’imitation [38].

La découverte récente par Rizzolatti [42] de neuronesmiroirs chez le chimpanzé et sa correspondance probablechez l’homme a dynamisé le rôle de l’imitation dans l’inter-activité. On constate que les circuits neuronaux moteurs d’ungeste donné s’activent lorsque nous observons quelqu’un fairece geste alors que nous restons totalement immobiles.

Un chercheur comme H. Théoret [13] pense que les neuro-nes miroirs nous feraient non seulement reproduire mentale-ment ce que font les autres, mais joueraient également un rôlefondamental dans l’empathie en permettant d’éprouver ce queressentent les gens.

Des réflexions à la fois psychodynamiques (déjà formuléespar D. Winnicott), cognitivistes (J. Decety), voire immunologi-ques cherchent à étudier la différenciation du soi et du non-soichez l’enfant.

Plusieurs auteurs comme Berthoz [4] se sont intéressésrécemment à l’empathie. Decety [10], neurophysiologiste del’intentionnalité, pense que l’empathie repose sur troisprincipes :

● la résonance affective entre soi et autrui, qui nous évited’être antisociaux ;

● la flexibilité mentale pour pouvoir accepter le point de vued’autrui, sans laquelle nous serions égocentriques ;

● l’inhibition pour distinguer soi et autrui, qui nous empêched’être submergés par les sentiments des autres.

En outre, nous savons que les autismes légers de hautniveau du type Asperger [2] ont une bonne théorie de l’espritparfois même dans les degrés supérieurs. Le manque de théoriede l’esprit n’explique donc pas complètement le manqued’empathie qui est le noyau de l’autisme.

Il faut sans doute distinguer plusieurs niveaux dans l’inter-subjectivité. Comprendre l’autre n’est pas équivalent à se met-tre à la place de l’autre. On peut décrire une chaîne qui iraitd’une fonction élémentaire de perception à une fonction com-

plexe d’empathie, chaque étape pouvant correspondre à undegré de trouble du contact :

● premier niveau, la détection :○ percevoir ;○ avoir une attention suffisante ;○ percevoir l’autre comme un être animé ;

● deuxième niveau : s’intéresser à l’autre plus qu’aux objets ;● troisième niveau : distinguer l’autre du soi ;● quatrième niveau :

○ comprendre les signaux de communication de l’autre(regard, gestes, mimiques, parole) ;

○ comprendre ses émotions ;○ détecteurs d’intentionnalité ;○ comprendre les réactions de l’autre après contact et lesrègles d’interactivité ;

○ en tenir compte dans la relation, partager des idées, desintérêts, reconnaître sa souffrance, ce qui revient à de lasympathie ;

● cinquième niveau :○ pouvoir se mettre à la place de l’autre ;○ reconnaître l’autre comme un être de valeur ;○ partager, éprouver et intérioriser ce qu’il pense et ressent(empathie) ;

○ pouvoir répondre à la souffrance de l’autre, agir (com-passion).

On peut avoir de l’empathie pour quelqu’un avec lequel iln’y a pas de sympathie, et vice versa.

Les correspondances entre des modèles cognitivistes et psy-chanalytiques sont moins évidentes dans le domaine de la com-munication. Le phénomène général de l’intersubjectivité ausens phénoménologique du terme peut être un pont entre unethéorie de l’esprit et les mécanismes d’identification projective.

3.4. Modèle lié à la génétique

3.4.1. Définitions du phénotype comportementalLe terme de phénotype comportemental fut utilisé pour la

première fois par Nyhan en 1972 [40] pour décrire le compor-tement particulier et notamment les automutilations observées

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chez les enfants souffrant précisément du syndrome de Lesch-Nyhan. Plus récemment, en 1994, Flint et Yule [14] considè-rent le phénotype comportemental comme l’ensemble des trou-bles moteurs, cognitifs, langagiers et du comportement socialqui sont logiquement associés à une perturbation biologique.Cet ensemble peut constituer une maladie, un syndrome, ou,plus simplement, rester à l’état de regroupement symptoma-tique.

3.4.2. Limites du concept de phénotype comportementaldans les troubles du développement de l’enfant

Le phénotype comportemental ne peut être mis en parallèleavec le phénotype physique tout simplement parce qu’un com-portement ne dépend pas uniquement d’un ou plusieurs gènes.

3.4.2.1. Le concept de « pureté » d’un phénotype et la corres-pondance entre génotype et phénotype. L’idée d’un « cali-brage » exact de formes cliniques et d’une typologie parfaiten’existe pas dans la nature. La « pureté » et la stabilité d’untrouble du développement sont donc un concept artificiel dufait même de la dynamique développementale. Deux personnestrisomiques souffrant de la même « forme biologique » auniveau du chromosome 21 ne se ressemblent pas. De même,tous les épileptiques ne correspondent pas au type de person-nalité « glischroïdiques » décrits par F. Minkowska et tous lesporteurs de chromosome Y surnuméraire ne sont pas des meur-triers.

3.4.2.2. Spécificité et signification du phénotype comportemen-tal. Certains comportements sont trop souvent rattachés systé-matiquement et spécifiquement à une certaine catégorie detroubles du développement. Ainsi on décrit fréquemment lestrisomiques 21 comme des enfants affectueux, bons communi-cateurs, extravertis, enjoués. Or, plusieurs études mentionnentchez certains trisomiques 21 des troubles du contact et mêmedes syndromes autistiques [27]. En fin de compte, les compor-tements les plus susceptibles d’être liés à une anomalie biolo-gique et donc génique obéissent à différents critères :

● leur caractère systématique ;

● leur universalité (ils sont présents chez tous les malades) ;

● leur absence de signification fonctionnelle ou relationnelle ;

● leur évolution standardisée.

On peut citer l’exemple des stéréotypies pathognomoniquesdu syndrome de Rett.

3.4.2.3. Le rôle du retard mental dans l’expression phénoty-pique. D’une manière générale, le retard mental atténue,masque les spécificités d’un comportement. En effet, en rédui-sant les moyens d’exprimer et de comprendre un sentiment,une émotion, une pensée, un désir, le retard limite le champde la personnalité. Certains auteurs réfutent le concept de phé-notype comportemental car ils pensent que les troubles du

comportement associés à une pathologie génétique dépendentdu retard mental et sont proportionnels à son importance.

Il est vrai que des déficiences dans plusieurs domaines peu-vent expliquer des troubles du comportement. Ainsi les diffi-cultés de compréhension des règles sociales ou des interactionshumaines peuvent entraîner une impulsivité, une intolérance àla frustration. Le manque de moyens stratégiques d’adaptationpeut provoquer la peur, la passivité, l’inertie devant les problè-mes ou les difficultés.

On pourrait même considérer qu’il y a un phénotype stan-dard de base du retardé moyen constitué de traits caractériels,d’immaturité, de manque de logique. Qu’est-ce qui peut distin-guer les troubles du comportement secondaires au retard destroubles du comportement liés à un désordre mental plusspécifique ? Cette question se pose avec acuité pour l’autismeinfantile notamment dans sa symptomatologie précoce.

3.4.3. Le phénotype comportemental dans l’autismeLa conception en termes de phénotype a le mérite de faire

revisiter la clinique et la nosographie sous l’angle de compor-tements élémentaires, des regroupements syndromiques et desrecouvrements symptomatiques dans l’autisme.

3.4.3.1. Le concept de phénotype élargi. Dans leur étude de1977, Folstein et Rutter [15] se sont aperçus dans un secondtemps que les jumeaux monozygotes qui n’étaient pas concor-dants pour l’autisme, c’est-à-dire 64 % d’entre eux, l’étaient à82 % (y compris les autistes) pour des troubles appelés « trou-bles cognitifs et du fonctionnement social ».

La notion de « Broader phenotype » ou phénotype élargiétait née et avec elle l’hypothèse d’un continuum physiolo-gique à transmission génétique allant de formes légèrescomme des troubles modérés du langage ou des apprentissages,passant par des formes intermédiaires comme les dysphasies,pour aboutir à des formes graves comme les syndromes autis-tiques.

Le concept de « Lesser variant » ou formes atténuéesreprend le précédent en définissant cette fois ces troubles entermes d’appartenance sémiologique à l’autisme. Ces troublesincluent des troubles spécifiques du développement comme destroubles cognitifs ou des apprentissages, des troubles du lan-gage, mais aussi (ce qui est nouveau par rapport à l’étude dejumeaux de Folstein) des troubles du comportement social ou àcaractère obsessionnel d’intensité variable et plus ou moinsassociés.

Selon les auteurs travaillant sur ces concepts un phénotypeautistique étroit–strict (Narrow phenotype) correspondrait àl’association des trois composantes de la triade autistique(trouble du contact, trouble de la communication, activitésrépétitives et restreintes) alors qu’un phénotype élargi (Broaderphenotype) à la présence d’une seule de ces composantes.Entre les deux, les variantes sont nombreuses.

3.4.3.2. Le phénotype intermédiaire ou endophénotype. Ceconcept ne fait plus seulement référence à un aspect descriptif.Il évoque un mode de transmission génétique. Les endophéno-

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types correspondent pour plusieurs auteurs [30] à des traitsinfracliniques considérés comme non pathologiques mais appa-rentés aux symptômes d’une maladie, ici l’autisme. On peutpenser, en termes d’hérédité, qu’ils sont des phénotypes inter-médiaires et qu’ils font le lit des phénotypes complets et anor-maux. C’est la raison pour laquelle, on peut donc les retrouveravec une fréquence plus élevée chez les membres des famillesd’autistes que dans une population témoin. Il reste à déterminerla nature et la pertinence de ces endophénotypes.

Les phénotypes « élargis » semblent être, à l’heure actuelle,les meilleurs modèles cliniques d’endophénotypes puisqu’ilsparaissent participer au phénotype global. On peut égalementrechercher des phénotypes intermédiaires biologiques ou neu-ropsychologiques.

L’autre intérêt d’étudier des phénotypes intermédiaires« candidats » à l’autisme vient du fait qu’ils pourraient corres-pondre à des anomalies géniques plus simples ou plus isoléesque le phénotype strict qui lui dépend très probablement d’unsystème polygénique. En découvrant un ou quelques gènes res-ponsables d’un comportement élémentaire pour chaque phéno-type intermédiaire, peut-on imaginer pouvoir remonter etdécomposer le système polygénique à l’origine de l’autisme ?

3.4.4. Discussion

L’extension du concept de phénotype comportemental etl’importance qu’il prend tant dans les études scientifiques quedans la prise en charge thérapeutique des enfants ne sont passans soulever des critiques et des questions.

3.4.4.1. Le problème de la normalité. La considération de phé-notypes élargis ou d’endophénotypes comportementaux pose leproblème des limites de la normalité. Quels sont les critèrespour mesurer le degré pathologique ou anormal d’un trait depersonnalité ? Doit-on forcément faire le lien entre un trait depersonnalité chez un membre de la famille et un trouble dudéveloppement grave chez un enfant ou, formulé autrement,le concept de phénotype intermédiaire est-il pertinent ?

Le danger de l’eugénisme que nous ne développerons pasici.

3.4.4.2. Conséquences pour les parents. La connaissance d’unprofil comportemental particulier et les informations médicalesqu’ils reçoivent sur le caractère de leur enfant peuvent aider lesparents à mieux comprendre ce dernier, à mieux prévenir lesréactions inadaptées, à pouvoir anticiper ses difficultés ou sasouffrance.

Cependant, les parents risquent à l’inverse de s’attacher demanière trop réductrice et trop rigide à une image de phénotypecomportemental donné. Certains parents ne voient plus en leurenfant qu’un type spécifique de handicap avec ses particularitéset son évolution propre, la prise en charge devant obéir égale-ment à un modèle codifié et souvent lourd.

La notion d’une transmission familiale par le biais de phé-notype ou d’endophénotype n’est pas toujours négative pour lacellule familiale. Spontanément, certains parents comparent le

comportement de leur enfant à leurs propres traits de personna-lité. Ils font parfois des rapprochements avec leur enfance, leurvécu ou leurs antécédents. Ils peuvent évoquer, par exemple,leurs difficultés personnelles dans les contacts sociaux en dis-tinguant ce qui revient aux soucis engendrés par leur responsa-bilité d’avoir un enfant handicapé et ce qui revient à leur tem-pérament naturel. Ainsi, des processus d’identificationconstructeurs entre l’enfant autiste et ses parents peuvent com-penser l’aspect désorganisé et désorganisateur de cette patholo-gie.

4. Psychopathologie du développement

Même si l’on conçoit, dans une optique résolument organi-ciste, l’autisme comme une encéphalopathie particulière àmanifestations comportementales, il existe, malgré tout, uneplace primordiale pour une « psychologie médicale » liée àcette maladie. En admettant que la prise en charge de l’autismerevient peu à peu aux neuropédiatres, aux neuropsychologueset aux éducateurs, il n’en reste pas moins que le psychiatred’enfants demeurera un élément indispensable à l’interfaceenfants–parents et, de toute manière, sera le plus apte à com-prendre et à traiter ce qu’on pourrait appeler de manière pro-vocatrice « les conséquences psychologiques » de l’autismetant pour l’enfant que pour les parents.

La prise en compte du concept de développement au sensgénéral du terme peut concilier les aspects à la fois médicaux etpsychologiques de l’enfant autiste.

Il nous paraît intéressant de rappeler l’étymologie du motdévelopper. Ce terme vient du préfixe « des » et du nom dérivédu bas latin voloper qui signifiait « envelopper ». Primitive-ment, développer veut donc dire « enlever l’enveloppe »,c’est-à-dire défaire. Plus tard, il a pris le sens presque antino-mique de prendre de l’ampleur dans l’espace (se déployer) oudans le temps (découler, croître) comme si pour grandir, il fal-lait au préalable se débarrasser d’une enveloppe protectricemais restrictive, voire restreignante. L’extension du sens vajusqu’au concept de diffusion c’est-à-dire d’utilisation decette amplification dans un but communicatif (exemple déve-lopper ses arguments).

Ces différentes notions chronologiques, enlever une cara-pace limitante et handicapante pour permettre la croissancedans un sens d’épanouissement et sa diffusion dans un senscommunicatif, correspondent bien à la conception des soinssouhaités pour les autistes.

Une pédopsychiatrie du développement a-t-elle besoind’une théorie fondatrice ?

D’un point de vue personnel il nous semble qu’une tellepédopsychiatrie doit s’appuyer sur différentes théories mais àdes niveaux différents et bien identifiés. De même, elle doitsurveiller l’évolution des théories et les relations qui peuventexister entre elles car son critère principal réside dans l’adapta-tion dynamique à toutes les connaissances nouvelles validéesscientifiquement.

La pédopsychiatrie du développement s’appuie avant toutsur la pédiatrie du développement notamment sur les recher-

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ches dans les aspects neurobiologiques du système nerveuxcentral (neurophysiologie, génétique, biologie…). Ces voiesde recherche ont encore beaucoup de terres inexplorées à défri-cher.

Elle peut aussi utiliser certains aspects les plus reconnus etles plus pragmatiques des théories cognitivistes (en dehors desaspects expérimentaux) pour traduire à un deuxième niveau lesdysfonctionnements de la communication autistique. Le troi-sième niveau ne doit pas être oublié. C’est un niveau d’inter-vention psychologique. On a le choix entre une psychopatho-logie « humaniste » de bon sens et pratique adaptée auxsouffrances très diverses des enfants et des parents, et la psy-chopathologie psychanalytique ou d’inspiration psychanaly-tique. La première peut d’ailleurs s’inspirer de certains princi-pes devenus universels de la seconde.

Cependant, quelques pédopsychiatres refusent les rappro-chements théoriques et trouvent que les syncrétismes affaiblis-sent la réflexion et l’efficacité de méthodes spécifiques. Cer-tains aspects théoriques de la psychanalyse sont aussidifficilement compatibles avec les données médicales actuelles.

On peut, dans ce cadre, reprocher à la pédopsychiatrie dudéveloppement, au mieux, de ne pas avoir de support théoriqueunique, au pire, d’être une revue de presse ou de littératureneutre et prudente. Cette critique ne tient pas devant deux argu-ments, l’un étiopathogénique, l’autre thérapeutique :

● on sait (pour le moment) que l’autisme ne relève pas d’unecause unique mais probablement d’une origine multifacto-rielle à la fois sur le plan génétique et environnemental.Aucune théorie unique ne peut donc aujourd’hui expliquerà elle seule l’autisme. Toute orthodoxie et de surcroît toutdogmatisme dans un domaine est donc réducteur ;

● aucune thérapie exclusive n’a permis jusqu’alors de guérirl’autisme. C’est dans l’alliance de plusieurs moyens choisiset adaptés selon l’individu qu’est l’autiste, le moment deson développement, sa réceptivité que l’on gagne en épa-nouissement intellectuel et affectif pour le patient.

On pourrait presque métaphoriser l’attitude ouverte, multi-disciplinaire et multithéorique de la pédopsychiatrie du déve-loppement en utilisant plusieurs données tirées des hypothèsesneurophysiologiques ou cognitives actuelles. En effet, certainsauteurs pensent que l’autiste est enfermé sur lui-même car :

● il perçoit sur un mode exclusif monocanal ;

● il sélectionne trop les informations ;

● il ne peut se mettre à la place de l’autre.

Les pédopsychiatres ne doivent pas suivre ce modèle.

Enfin, le scepticisme scientifique de la pédopsychiatrie dudéveloppement ne doit pas être synonyme de passivité, d’indif-férence, de confort intellectuel, mais au contraire une remise enquestion permanente.

5. Une psychopathologie modeste : la psychopathologiedu quotidien avec un enfant–adolescent autiste ou retardé

5.1. Mécanismes d’adaptation des familles

Pour tout praticien en contact régulier avec les familles, lesréactions d’adaptation à cette maladie si déroutante qu’estl’autisme sont à la fois communes à toute maladie grave, chro-niques, handicapantes et en même temps singulières. Ces réac-tions dépendent bien sûr de beaucoup de facteurs : personnalitédu parent et son parcours de vie, son niveau de stress, antécé-dents familiaux, équilibre du couple, rang dans la fratrie del’enfant autiste, moment de l’autisme (annonce du handicap,période difficile, adolescence, séparations).

Un des points souvent débattus concerne le problème de laculpabilité.

En psychiatrie de l’enfant ou dans le cas de pathologiessomatiques graves, les parents se sentent souvent spontanémentcoupables et peuvent réagir en développant des comportementsdéfensifs. La tendance à culpabiliser dépend en plus du passéde chacun, de ses expériences, de sa culture, de son éducation,de sa religion. Cette culpabilité « naturelle » est particulière-ment menaçante dans l’autisme car le manque d’empathie d’unenfant reste une souffrance insupportable et la proie du juge-ment de la société et plus malheureusement de certains théra-peutes. Le terme « handicap » auquel tiennent parfois d’unemanière dogmatique certains parents renvoie bien à l’idéed’évacuer toute notion de cause à effet et de rester à un niveauuniquement descriptif ce qui n’est pas le cas du terme « mala-die ».

La culpabilité n’est pas encore enterrée car après la culpa-bilité relationnelle et éducative mettant en jeu les fonctionsmaternantes précoces des parents, vient d’apparaître la culpa-bilité « génétique » où c’est la fonction de transmission d’un« bon » matériel génique et non plus d’un « bon » nourrissageaffectif qui est en cause. Nous avons déjà vu que les parentspouvaient à nouveau se sentir mis sur la sellette avec le déve-loppement du concept de phénotypes élargis ou de lesservariant.

Les Tableaux 2 et 3 mettent en évidence les aspects positifset négatifs liés à deux types d’attitudes (l’évacuation ou aucontraire la reconnaissance des problèmes) bien connues desprofessionnels s’occupant du coping chez les patients porteursde maladies graves ou invalidantes. On peut s’inspirer de leurstravaux pour mieux comprendre les réactions des familles. Cesdeux types d’attitudes ne sont malgré tout pas toujours aussitranchés, peuvent coexister, se relayer ou évoluer par phases.

5.2. Les troubles du comportement

Ils conditionnent aussi souvent, par leur caractère déroutant,la vie quotidienne des familles. Les réponses sont souvent dif-ficiles à trouver et les recettes tant espérées sont rarement mira-culeuses. Les solutions nécessitent toujours une collaboration

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Tableau 2

Évacuation des problèmes (déni)Aspects positifs Aspects négatifs

Parent Évite la souffrance dépressive, la blessure narcissique « Réveil douloureux » à un moment difficile (épreuve de réalité)Enfant Valorisation de l’enfant dans ses aspects de normalité

Maintien et préservation d’une image de personnalité et des liensd’attachement

Évite le rejet familial de l’enfant

Reconnaissance tardive de l’autisme, du retard

Peu d’intérêt pour les évaluations

Négligence, refus de soins

Forcing, exigences trop élevées, trop normaliséesSoignant Aucun ? Équilibre difficile entre complaisance et sensibilisation pour maintenir

l'alliance

Tableau 3

Reconnaissance des problèmes (prise de conscience)Aspects positifs Aspects négatifs

Parent Extériorisation des conflits

Lutte active et constructive, responsabilisation, sublimation (associations)

Recherche d’informations, de formations

Épuisement (révolte et colère permanente)

Sentiment d’injustice (revendications répétées, parfois procédurières,persécution)

Maîtrise trop importante (isolement)Enfant Désir de bien connaître et comprendre son enfant

(intérêt pour les évaluations)

Recherche d’un idéal de soins

Démarches positives pour l’intégration

L’enfant devient un objet de lutte et de reconnaissance

Il est « autiste ou handicapé » avant d’être enfant

Implication et responsabilisation trop forte de la fratrie

Soignant Reconnaissance du rôle du soignant dans les évaluations

Possibilité de collaboration et partage

Complémentaire des rôles parents–soignants dans les thérapies

Disqualification des soignants (jugés manquant de compétence ou paropposition idéologique)

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étroite entre familles, soignants, éducateurs, instances adminis-tratives et tutélaires.

En effet, ces troubles du comportement sont :

● brutaux, violents donc difficiles à contenir ;

● sans facteurs déclenchants fixes ou connus donc difficiles àprévenir ;

● sans signification évidente donc difficiles à expliquer, àpenser ;

● souvent à caractère destructeur avec des conséquences cor-porelles ou matérielles, donc difficiles à panser ;

● ou à caractère cruel, effectués froidement sans affect, évo-quant parfois le sadisme de par l’excitation qu’ils peuventprovoquer chez l’autiste, donc difficiles à accepter ;

● sans autocritique, remord ou conscience des conséquences,donc difficiles à pardonner ;

● souvent répétitifs, compulsifs, échappant à toute interven-tion éducative, entraînant un épuisement et un sentimentd’impuissance sources de dépression chez les adultes.

En dehors des accès de violence, l’enfant n’a pas d’empa-thie et ne « compense » pas ces agressions par des manifesta-tions affectives, des câlins, des marques d’attachement. Ilsuscite difficilement la compassion, sauf si les crises s’accom-pagnent d’angoisse intense.

L’enfant autiste ne réagissant pas aux punitions éducativesou corporelles risque d’entraîner chez ses parents une suren-chère et un emballement dont ils n’ont plus consciencepuisqu’ils n’ont plus de feed-back de l’enfant. Certains parentspeuvent également interpréter cette indifférence comme de laprovocation.

Le handicap des enfants autistes au physique harmonieuxn’est pas visible par les autres adultes, et leurs troubles ducomportement en public sont souvent interprétés comme descaprices ou le résultat d’une mauvaise éducation parentale. Lahonte peut pousser alors les parents à sévir excessivement.

Les automutilations posent un problème éthique encore plusdifficile à résoudre. Jusqu’à quelle contention ou contraintefaut-il aller pour empêcher l’enfant de se faire du mal ?

Parfois l’opposition–provocation de l’enfant autiste est leseul mode de communication qui reste. Les parents sont parfoistentés d’entretenir ce type de rapport comme un « feu fragile »,au risque d’entrer dans un système vicieux de communicationpar le double lien ou l’injonction paradoxale plutôt que de réa-gir par l’indifférence qu’ils vivent au quotidien chez leurenfant.

5.3. L’aide au processus d’attachement

Là encore, l’approche psychanalytique si elle décide d’êtrel’alliée des parents peut apporter par l’analyse transgénération-nelle un sens, un degré de liberté et de libre arbitre à ces famil-les rendues impuissantes et potentiellement dépressives face audéterminisme de la transmission génétique.

Sans forcément avoir des difficultés à faire le deuil d’undescendant idéal, ils veulent entendre les médecins leur dépein-dre leur enfant avec des capacités d’empathie, de ressenti etd’évolution positive. Ils ont envie de voir des traits de person-nalité, des traits familiaux, des caractéristiques historiques etindividuelles chez leur enfant. Ils ont envie de voir les traitsautistiques comme des défauts de caractère et non pas commedes symptômes.

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6. Réflexions

6.1. Peut-on utiliser plusieurs modèles psychopathologiques ?

L’idée d’un syncrétisme paraît difficile à réaliser et peu por-teuse sur le plan théorique. En revanche, une polyphonie ouplutôt une polytonalité où chacun tient sa partie paraît plusadaptée au travail quotidien avec les enfants autistes.

Le Tableau 4 suivant relève quelques correspondances ouau moins comparaisons entre la psychopathologie psychodyna-mique et cognitiviste–neurobiologique.

6.2. Existe-t-il une psychopathologie objective ?

Foucault avait cette réflexion pessimiste : « Les scienceshumaines sont de fausses sciences, ce ne sont pas des sciencesdu tout ».

Dès 1927, Heisenberg montrait que l’on ne pouvait observerun électron sans créer une situation qui le modifie. Il en tira sonfameux « principe d’incertitude », qui le conduisit à réintro-duire le physicien dans l’expérience même de l’observationphysique. Il s’agit là de sciences dites « exactes » ; qu’en est-il alors des sciences humaines, dans lesquelles un humainobserve un autre humain ?

La théorie de la relativité d’Einstein peut toutefois (etjusqu’à présent) concilier des rapports d’influence réciproqueentre deux dimensions autrefois considérées comme indépen-dantes et objectives de l’espace et le temps. Cependant, la sub-jectivité humaine et les liens entre deux êtres « subjectifs »(définition mathématique de l’intersubjectivité) peuvent-ilsêtre mis en équation au même titre que la relativité généraled’Einstein ?

Tableau 4

PsychodynamiqueBleuler (1911) [7] a construit le mot autisme à partir de la suppression d'eros du teCette élaboration renvoie à la notion de perte mais aussi d'autosensualité et donc d'la sensorialité externe.Mahler [33] décrit une phase autistique normale dans le tout premier développemenourrisson n'a pas de système perceptif conscient. Il vit dans une espèce de vide haautosuffisant que Freud comparait à l'œuf d'oiseau entouré de sa coquille.L'enfant autiste paraît nous refuser l'accès à ses sensorialités quand Bettelheim (196sensations ».Dès 1920, Freud [16] émet l'hypothèse d'un envahissement par les stimulations danautistique de psychotiques adultes.Meltzer (1980) [36] explique la genèse de l'autisme en reprenant l'image freudiennface à un « bombardement de sensations ».Tustin (1977) [48] reprend le concept d'autisme primaire, période initiale où le nousensualité et où ses organes perceptifs fonctionnent de manière indépendante sans pl'association des informations sensorielles. Ainsi peut-il à certains moments se percune bouche.Meltzer (1980) [36] décrit le démantèlement comme un processus qui laisse les moopérer chacune pour leur compte, à la recherche de leur objet de satisfaction imméses capacités perceptuelles séparées réduisant l'appréhension du monde à des événeConcept d’identification projective normale [6]

Identification adhésive « autistique » [36]

Identification projective pathologique (psychotique)

Quant à l’observation, elle obéit au même principe. L’obser-vateur modifie le comportement de l’objet observé. En outre,chaque observateur examine les enfants avec un bagage cultu-rel et scientifique différent. Il utilise des grilles d’observationdifférentes.

Peut-on réduire les différences d’outils d’observation parune traduction et une correspondance des termes utilisés ? Pastout à fait, car les concepts théoriques ne sont pas les mêmes àla base. Par exemple, le narcissisme en usage psychanalytiquestrict ne peut être réduit à l’estime de soi. Pourtant, un desmoyens d’approcher l’objectivité est de comparer des résultatsd’expériences menées sur des bases méthodologiques différen-tes. Ainsi, les résultats obtenus avec l’imagerie cérébralepeuvent-ils conforter des données cognitives. Une des tendan-ces actuelles après des années d’affrontement stérile va dans lesens d’une confrontation ouverte entre des concepts psychana-lytiques et neurobiologiques souvent par l’intermédiaire de rai-sonnements cognitivistes.

6.3. Peut-on se passer de l’interprétation ?

L’interprétation est la base de l’analyse psychodynamique.Contrairement à l’explication qui met en évidence un processuscausal antécédent, l’interprétation donne une signification, unefin. L’interprétation saisit une unité au sein d’une multiplicité,ce qui fait sens. Elle reste du domaine de l’intuition et peutdonc se développer à l’infini contrairement à la compréhensionqui se soumet au sens une fois celui-ci établi. En revanche, elleéchappe à « l’objectivité » du raisonnement hypothéticodéduc-tif utilisé dans les sciences. L’interprétation fait très souventappel au symbole et à la métaphore dans l’autisme.

La compréhension du sens des comportements de l’enfantautiste est toujours une gageure tant pour les parents quepour les thérapeutes.

Cognitive et neurophysiologiquerme autoérotisme : aut (erot) isme.absence de dépendance par rapport à

Filtrage trop important des afférencessensorielles (hyporéactivité-anesthésiesensorielle)

nt de l'enfant. À cette phase, lellucinatoire, de monde clos,

9) [5] évoque « l'oblitération des

s ses observations du comportement Filtrage insuffisant des afférencessensorielles (hyperréactivitéintolérance)e et parle de mécanismes de défense

veau-né vit dans un état d'auto-ouvoir synthétiser et intégrerevoir tout entier comme une main ou

Perceptions

Unimodales

Cohérence centrale

Affordancesdalités sensorielles et perceptivesdiat. Le moi est alors démantelé etments unisensoriels multiples.

Reconnaissance des émotionssur les visages

Théorie de l’esprit

Neurone miroirs

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P. Lenoir / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 54 (2006) 324–335334

Le modèle psychodynamique permet de redonner une vierelationnelle à l’enfant avec ses désirs, ses pulsions. Il permetde déchiffrer les comportements ou les réactions les plus bizar-res et les plus déroutants en les ramenant à un sens partagé partoute la famille. Dans l’interprétation psychanalytique le parentse sent encore responsable, au bon sens du terme, de son enfantcar le travail se fait entre autres, sur le lien et l’attachement.Cependant, le risque de dépression des équipes ne doit pasjustifier le recours aux « délires imaginatifs » et aux interpré-tations « sauvages » à propos des comportements des enfants.La menace d’impuissance à comprendre les autistes ne doit pasnous conduire à des dérapages obscurantistes.

6.4. Symbolisme et autisme

La prédilection des thérapeutes et des théoriciens del’autisme à utiliser des métaphores et des figures symboliquesest remarquable dans une pathologie où justement l’inter-prétation et les capacités symboliques font défaut. Exemplesde titres d’ouvrages : La forteresse vide ; Autisme, la forteresseéclatée ; Mon enfant citadelle ; Le petit prince cannibale ; Lacécité mentale.

Pour les équipes soignantes, le modèle psychopathologiquepsychanalytique permet de symboliser ce qui n’est pas « sym-bolisable » justement dans la pathologie autistique et permetdes représentations vivantes et mobiles des enfants les plus enretrait.

Il nous semble cependant indispensable pour aider l’enfantautiste à faire des associations, à donner du sens à ses percep-tions et à ses actes, qu’il possède un minimum de moyensd’expression verbale ou graphique et des capacités de symbo-lisation. Faute de quoi le thérapeute risque d’interpréter selonsa propre symbolique et ses propres fantasmes des productionstrès rudimentaires sans signification particulière.

Bien sûr, certains diront que le sens naît de la reconnais-sance et du retour par l’autre d’un signifié, mais comment ima-giner chez un enfant autiste très handicapé par un trouble de lacommunication qu’il puisse se saisir, se nourrir de l’inter-prétation trop « personnelle » d’un adulte ?

7. Conclusion

Face au diktat des méthodologies de type hypothéticodéduc-tif et expérimental où il faut que le résultat soit prévisible ou entout cas postulé, la psychopathologie est écartée de la recher-che scientifique. Pourtant, elle mériterait d’être réhabilitée. Cemanque de reconnaissance et de validation scientifique poussetout un chacun à développer sa propre psychopathologie quirisque de devenir une « patapsychologie » personnelle. Sansrecherche et sans remise en question, la psychopathologiedevient la justification d’un présupposé théorique alors qu’elledevrait surtout soutenir de nouvelles théories. De cette manière,elle se confond avec le plan étiologique.

Le raisonnement hypothéticodéductif n’est pas toujours leplus productif même dans les sciences fondamentales. Hubble

lors de la construction du télescope géant (pour l’époque) dumont Paloma, en 1950, répondit à un détracteur qui lui deman-dait ce qu’il comptait découvrir : « si je le savais, je ne l’auraispas commandé ». Avec cette méthode empirique fondée surl’observation, il découvrit en effet un des plus grands principesde la cosmologie moderne, l’expansion de l’univers.

Le risque qui menace toute méthode d’observation reste lebiais d’interprétation. Nous prendrons à nouveau un exempleastronomique humoristique dans la découverte effrayante quepense avoir fait un astronome en apercevant un arachnide géantsur une planète à l’oculaire de son télescope alors qu’il s’agitsimplement d’une petite araignée pendant devant l’objectif del’appareil. Cependant, un être humain dénué d’interprétationn’est plus un homme libre.

L’avenir de la psychopathologie réside dans ses propriétés« d’intermédiaire » et donc de lien. Elle pourra toujours s’inter-caler entre des observations (anciennes ou nouvelles) et desthéories (anciennes ou nouvelles).

Sur un plan thérapeutique chez les enfants autistes, cettefonction d’intermédiaire se décline sur tous les registres deleurs difficultés. En effet, le thérapeute se doit d’être un inter-médiaire interactif à l’image d’un :

● médiateur pour les aider à communiquer ;● interprète pour les aider à décrypter le monde environnant ;● diplomate pour assouplir leur mode de pensée psychorigideet manichéen ;

● négociateur pour les aider à résoudre leurs conflits interneset leurs paradoxes ;

● messager pour pallier leur manque d’engagement et d’initia-tive dans la relation.

Dans ces conditions, de la même manière que la philosophierestera toujours un intermédiaire et une consolation entre lacondition humaine et le mystère de l’au-delà et des origines,la psychopathologie conservera son rôle de lien et de révélateurde sens entre la souffrance psychologique et les arcanes dufonctionnement psychique particulièrement énigmatiques dansl’autisme.

Références

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