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J Radiol 2007;88:541-7 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2007 Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés mise au point ostéo-articulaire Aspects radiographiques des lésions ostéo-articulaires et ligamentaires des entorses de pied et de cheville G Saliou (1), M Kocheida (1), J Vernois (2), B Bonnaire (3), P Lehmann (1), B Vanden Abeel (1), G Boulu (3), AF Le Blanche (3) et JN Vallée (1) a pathologie traumatique du pied et de la cheville est fréquente en prati- que quotidienne aux urgences et constitue un vrai problème de santé pu- blique avec environ 6 000 cas par jour en France. Elle y représente 30 % des admis- sions toutes pathologies traumatiques confondues. La cheville est l’articulation du corps la plus souvent lésée et les fractu- res de la cheville représentent la localisa- tion la plus couramment traitée en chi- rurgie orthopédique (1). Cette fréquence est sous estimée puisqu’elle ne tient pas compte des personnes n’ayant pas consul- té a la suite de l’accident, du fait de la bénignité des symptômes ressentis ou de leur évolution rapidement favorable. Dans une entorse de cheville, 85 % des lé- sions intéressent le ligament collatéral la- téral (2). De multiples autres atteintes beaucoup plus rares et aux conséquences thérapeutiques différentes, peuvent se voir. L’interprétation du bilan radiogra- phique standard initial est primordiale afin de faire le bilan lésionnel. Il est par- fois d’interprétation difficile du fait de la superposition des os, qui peuvent créer de fausses images lésionnelles. L’anatomie complexe est en rapport avec les diffé- rents impératifs biomécaniques de cette région. Le mécanisme des lésions, associé à la localisation douloureuse et le degré d’impotence fonctionnelle permettent de guider l’interprétation des clichés. L’objectif de cet article est de faire une mise au point sur l’ensemble des lésions ostéo-articulaires et ligamentaires ren- contrées dans une entorse de cheville ou de pied et ainsi de proposer une attitude de lecture systématique pour l’interpréta- tion des radiographies du pied et de la cheville en traumatologie aiguë. Nous présentons ici l’ensemble des lésions ra- diologiques, pouvant passer inaperçues, à rechercher lors de ces traumatismes. Rappels radio-anatomiques Depuis la publication de critères d’Ot- tawa (3), la prise en charge radiologique des traumatismes du pied et de la cheville est bien codifiée. Ces critères permettent de poser une indication objective au bilan radiographique qui est systématisé. Ainsi la réalisation de clichés radiographiques est indispensable si l’un des critères sui- vants est présent : sujet de moins de dix-huit ans ou de plus de soixante ans ; impossibilité de faire deux doubles pas, sans aide, dans l’heure suivant le trauma- tisme dans la salle d’urgence. Présence d’une douleur élective loca- lisée : soit du versant postérieur à la pointe d’une des malléoles faisant suspecter une atteinte talo-crurale et entraînant la réali- sation de radiographies de la cheville. soit au niveau du versant médial du na- viculaire ou à la base du cinquième méta- tarsien faisant suspecter une atteinte du tarse et entraînant la réalisation de radio- graphie du pied. Pour la cheville, en cas d’indication de clichés radiographiques, les incidences qui seront demandées systématiquement sont un cliché de cheville de face et de profil (comparatifs chez l’enfant), un cliché de face en rotation interne de 20 ° (incidence de mortaise) pour rechercher des lésions du dôme du talus et des interlignes mé- dial et latéral, et enfin un cliché en inci- dence oblique externe du tarse pour rechercher des lésions de la malléole laté- rale, du versant latéral du talus, du rostre du calcaneus, du cuboïde et de la base du cinquième métatarsien. Abstract Résumé Ankle and foot sprains: conventional radiography aspects J Radiol 2007;88:541-7 Emergency departments frequently encounter pathology resulting from injury to the foot and ankle, with approximately 6000 case per day in France. In an ankle sprain, 85% of the lesions involve the lateral colla- teral ligament. Many other, much rarer, types of lesion with different therapeutic consequences can present, however. Interpretation of the initial conventional radiographs is vital to establishing the type lesion and to proposing adapted and rapid treatment. The objective of this article is to review the various osteoarticular and ligament injuries encountered in the foot and the ankle. La pathologie traumatique du pied et de la cheville est fréquente en pratique quotidienne aux urgences avec environ 6 000 cas par jour en France. Dans une entorse de cheville, 85 % des lésions intéressent le ligament collatéral latéral. De multiples autres atteintes beaucoup plus rares et aux conséquences thérapeutiques différentes, peuvent se voir. L’interprétation du bilan radiographique standard initial est primordiale afin de faire le bilan lésionnel et de proposer un traitement adapté sans délai. L’objectif de cet article est de faire une mise au point sur l’ensemble des lésions ostéoarticulaires et ligamen- taires rencontré dans une entorse de cheville ou de pied. Key words: Sprain. Foot. Ankle. X-ray. Mots-clés : Entorse. Pied. Cheville. Radiographie. L (1) Service de radiologie A, (2) Service de chirurgie or- thopédique, (3) Service de radiologie B, CHU nord, pla- ce Victor Pauchet, 80054 Amiens cedex 1. Correspondance : G saliou E-mail : [email protected]

Aspects radiographiques des lésions ostéo-articulaires et ligamentaires des entorses de pied et de cheville

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J Radiol 2007;88:541-7© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2007

Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

mise au point

ostéo-articulaire

Aspects radiographiques des lésions ostéo-articulaires et ligamentaires des entorses de pied et de cheville

G Saliou (1), M Kocheida (1), J Vernois (2), B Bonnaire (3), P Lehmann (1), B Vanden Abeel (1), G Boulu (3), AF Le Blanche (3) et JN Vallée (1)

a pathologie traumatique du pied etde la cheville est fréquente en prati-que quotidienne aux urgences et

constitue un vrai problème de santé pu-blique avec environ 6 000 cas par jour enFrance. Elle y représente 30 % des admis-sions toutes pathologies traumatiquesconfondues. La cheville est l’articulationdu corps la plus souvent lésée et les fractu-res de la cheville représentent la localisa-tion la plus couramment traitée en chi-rurgie orthopédique (1). Cette fréquenceest sous estimée puisqu’elle ne tient pascompte des personnes n’ayant pas consul-té a la suite de l’accident, du fait de labénignité des symptômes ressentis ou deleur évolution rapidement favorable.Dans une entorse de cheville, 85 % des lé-sions intéressent le ligament collatéral la-téral (2). De multiples autres atteintesbeaucoup plus rares et aux conséquencesthérapeutiques différentes, peuvent sevoir. L’interprétation du bilan radiogra-phique standard initial est primordialeafin de faire le bilan lésionnel. Il est par-

fois d’interprétation difficile du fait de lasuperposition des os, qui peuvent créer defausses images lésionnelles. L’anatomiecomplexe est en rapport avec les diffé-rents impératifs biomécaniques de cetterégion. Le mécanisme des lésions, associéà la localisation douloureuse et le degréd’impotence fonctionnelle permettent deguider l’interprétation des clichés.L’objectif de cet article est de faire unemise au point sur l’ensemble des lésionsostéo-articulaires et ligamentaires ren-contrées dans une entorse de cheville oude pied et ainsi de proposer une attitudede lecture systématique pour l’interpréta-tion des radiographies du pied et de lacheville en traumatologie aiguë. Nousprésentons ici l’ensemble des lésions ra-diologiques, pouvant passer inaperçues, àrechercher lors de ces traumatismes.

Rappels radio-anatomiques

Depuis la publication de critères d’Ot-tawa (3), la prise en charge radiologiquedes traumatismes du pied et de la chevilleest bien codifiée. Ces critères permettentde poser une indication objective au bilanradiographique qui est systématisé. Ainsila réalisation de clichés radiographiques

est indispensable si l’un des critères sui-vants est présent :• sujet de moins de dix-huit ans ou deplus de soixante ans ;• impossibilité de faire deux doubles pas,sans aide, dans l’heure suivant le trauma-tisme dans la salle d’urgence.• Présence d’une douleur élective loca-lisée :– soit du versant postérieur à la pointed’une des malléoles faisant suspecter uneatteinte talo-crurale et entraînant la réali-sation de radiographies de la cheville.– soit au niveau du versant médial du na-viculaire ou à la base du cinquième méta-tarsien faisant suspecter une atteinte dutarse et entraînant la réalisation de radio-graphie du pied.Pour la cheville, en cas d’indication declichés radiographiques, les incidences quiseront demandées systématiquement sontun cliché de cheville de face et de profil(comparatifs chez l’enfant), un cliché deface en rotation interne de 20

°

(incidencede mortaise) pour rechercher des lésionsdu dôme du talus et des interlignes mé-dial et latéral, et enfin un cliché en inci-dence oblique externe du tarse pourrechercher des lésions de la malléole laté-rale, du versant latéral du talus, du rostredu calcaneus, du cuboïde et de la base ducinquième métatarsien.

Abstract Résumé

Ankle and foot sprains: conventional radiography aspects

J Radiol 2007;88:541-7

Emergency departments frequently encounter pathology resulting from injury to the foot and ankle, with approximately 6000 case per day in France. In an ankle sprain, 85% of the lesions involve the lateral colla-teral ligament. Many other, much rarer, types of lesion with different therapeutic consequences can present, however. Interpretation of the initial conventional radiographs is vital to establishing the type lesion and to proposing adapted and rapid treatment. The objective of this article is to review the various osteoarticular and ligament injuries encountered in the foot and the ankle.

La pathologie traumatique du pied et de la cheville est fréquente en pratique quotidienne aux urgences avec environ 6 000 cas par jour en France. Dans une entorse de cheville, 85 % des lésions intéressent le ligament collatéral latéral. De multiples autres atteintes beaucoup plus rares et aux conséquences thérapeutiques différentes, peuvent se voir. L’interprétation du bilan radiographique standard initial est primordiale afin de faire le bilan lésionnel et de proposer un traitement adapté sans délai. L’objectif de cet article est de faire une mise au point sur l’ensemble des lésions ostéoarticulaires et ligamen-taires rencontré dans une entorse de cheville ou de pied.

Key words:

Sprain. Foot. Ankle. X-ray.

Mots-clés :

Entorse. Pied. Cheville. Radiographie.

L

(1) Service de radiologie A, (2) Service de chirurgie or-thopédique, (3) Service de radiologie B, CHU nord, pla-ce Victor Pauchet, 80054 Amiens cedex 1.Correspondance : G saliouE-mail : [email protected]

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Aspects radiographiques des lésions ostéo-articulaires et ligamentaires des entorses de pied et de cheville

G Saliou et al.

Pour le pied, le bilan radiographique s’at-tachera à explorer particulièrement le tar-se par des radiographies de pied de face etde profil ainsi qu’une incidence obliqueexterne du tarse et un pied déroulé. Cesincidences sont effectuées à la recherchede lésion traumatique de l’interligne deChopart, de Lisfranc, et de la base du 5

e

métatarsien.Les différents points à bien contrôler surune radiographie de cheville et de piedsont résumés sur les

figures 1a et b, 2a et b

. Ilest important de s’attacher à regarderl’ensemble de ces points, aidé au besoin

d’une lampe forte pour bien contrôler lesparties molles et les zones radio-claires.

Articulation talo-crurale

Avulsion osseuse fibulaire du ligament talo-fibulaire, os sous fibulaire et os sous tibial

L’os sous fibulaire est un ossicule adjacententre la surface externe du talus et la faceinterne de la malléole latérale

(fig. 3)

. Leplus souvent il est le résultat d’une ancien-

Fig. 1 : Points à bien contrôler sur une radiographie de la cheville de face de profil.a-b 1 : malléole latérale. 2 : malléole médiale. 3 : dôme du talus. 4 : insertion du ligament

talo-naviculaire dorsal. 5 : tubercule du 5e métatarsien. 6 : processus latéral du talus. 7 : articulation tibio-fibulaire distale. 8 : tubercule postérieur du talus.

a b

Fig. 2 : Points à bien contrôler sur une radiographie de pied oblique et de face.a-b 1 : alignement du bord médial de la base du 4e métatarsien avec le bord médial du

cuboïde. 2 : rostrum du calcanéus. 3 : tubercule du 5e métatarsien. 4 : 1er espace inter métatarsien.

a b

ne fracture par arrachement de la zoned’insertion du ligament talo-fibulaire. Ilse distingue d’une lésion récente par soncaractère corticalisé sur toute sa circonfé-rence. Il est non douloureux et il n’y a pasde modification des parties molles adja-centes. Il peut s’associer à une instabilitéchronique avec entorses à répétition.Contrairement à l’os sous fibulaire, l’ossous tibial est le plus souvent le résultatd’une variation anatomique

(fig. 4)

.Les avulsions ostéo-cartilagineuses fibu-laires sont provoquées par traction sur leligament talo-fibulaire antérieure lorsd’un mouvement d’inversion du pied.Leur incidence est estimée à 1 % (4). Ellespeuvent être génératrices de laxité chro-nique (5), d’os sous fibulaire symptomati-que (6, 7), de nécrose avasculaire ou depseudarthrose (8, 9). Les radiographies enincidence de la mortaise (face en rotationinterne à 25

°

) permettent de dégager aumieux l’interligne talo-fibulaire et de vi-sualiser le fragment avulsé par le ligamenttalo-fibulaire antérieur.

Lésions du talus

Les lésions ostéochondrales du dôme dutalus sont les principales causes de douleurrésiduelles après une entorse de cheville(10, 11). Leur incidence après une entorseest estimée à 6 % (10, 12). Pour Berndt etHarty (13) elles représentent 0,09 % detoutes les fractures. Le mécanisme lésion-nel est le plus souvent une inversion dupied avec cisaillement de la surface ostéo-chondrale (14). Leur siège est supéro-laté-ral dans la majorité des cas

(fig. 5)

maispeut aussi être supéro-médial

(fig. 6).

Outre les entorse de cheville, elles peuventavoir d’autres origines, micro traumati-que, ischémique ou métabolique, qui peu-vent survenir indépendamment ou en as-sociation avec un traumatisme (12, 15, 16).Des radiographies de face et de profil,éventuellement associées à des incidencesde face en rotation interne de 15 à 20

°

(dé-gagement des angles supéro-médial etsupéro-latéral du dôme talien) doivent êtrefaites pour bien rechercher ces lésions.Malgré tout, celles-ci ne sont visibles quedans 2/3 des cas. Ces lésions ont été classi-fiées par Berndt et Harty (13)

(fig. 7)

. Plu-sieurs auteurs (17, 18) ont ensuite proposéune révision de cette classification, baséesur l’IRM. Celle-ci permet notamment debien voir les contusions osseuses isolées etles atteintes ligamentaires associées, invi-sibles sur les radiographies standard.

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Aspects radiographiques des lésions ostéo-articulaires etligamentaires des entorses de pied et de cheville

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Fracture de l’apophyse latérale du talus

La fracture de l’apophyse latérale du taluset rare, estimée à 1 % des entorses en varus(19)

(fig. 8a et b)

. Elle peut survenir lors dechute, traumatisme direct, accident de lavoie publique et plus récemment a été dé-crite d’accident dans la pratique du snow-board (19-22). Son diagnostic en radio-graphie standard est difficile, car il estdifficile de bien dégager cette apophyse.environ un tiers de ces fractures sont mé-connues sur les radiographies initiales (19,21, 22). C’est le scanner en reconstructioncoronale, qui permet un diagnostic précisde cette lésion (22).

Fig. 3 : Radiographie de la cheville de face. Présence d’un os sous fibu-laire (flèche). Il s’agit le plus sou-vent d’une séquelle d’entorse avec avulsion osseuse de l’inser-tion fibulaire du ligament talo-fibulaire antérieur.

Fig. 6 : Radiographie de la cheville de Face. Entorse de cheville en inver-sion du pied responsable d’une lésion supéro-médiale du dôme du talus stade III (flèche).

Fig. 4 : Radiographie de la cheville de face. Présence d’un os sous tibial (flèche). Il s’agit le plus souvent d’une variante de la normale.

Fig. 5 : Radiographie de face de cheville. Traumatisme en inversion du pied responsable d’une lésion ostéochondrale supéro-latérale du dôme du talus stade III (flèche).

Fig. 7 : Classification des lésions ostéochondrales du dôme du talus selon Berndt et Harty.a Stade I : contusion osseuse avec aspect normal en radiographie.b Stade II : fragment osseux incomplètement séparé.c Stade III : fragment osseux complètement séparé, non déplacé.d IV : fragment osseux déplacé.

a bc d

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Aspects radiographiques des lésions ostéo-articulaires et ligamentaires des entorses de pied et de cheville

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Fracture du tubercule postéro-latéral du talus

Le mécanisme responsable de fracture dutubercule postéro-latéral du talus est uneflexion plantaire aiguë ou répétée de lacheville entraînant plutôt des fracturespar compression, ou par hyper-flexionplantaire responsable de fracture avulsion(23-25). Cette fracture

(fig. 9)

se différen-tie de l’os trigone par sa surface irréguliè-re avec une absence de corticalisation surle versant adjacent au tubercule posté-rieur (23, 26). L’os trigone est, par contre,rond ou ovale avec des contours bien défi-nis (23, 26).

Articulation du tarse

Traumatisme des os du tarse

Elles sont rares et sous estimées. Ellesintéressent l’os naviculaire, l’arcade descunéiformes et le cuboïde. Le mécanismeest une flexion plantaire associée à unecompression axiale. Les fractures ducuboïde sont très mal tolérées avec l’appuiimpossible.Sur les radiographies, ces fractures sontmal visibles. Pour Haapamaki (27) lasensibilité diagnostic des radiographiesstandard est de 33 % pour l’os navicu-laire, 25 % pour le cuboïde et 24 % pourles cunéiformes. C’est le scanner quipermettra de faire le bilan de ces lé-sions.

Entorse de l’articulation médio tarsienne (articulation de Chopart)

L’articulation de Chopart a été décritepar François Chopart (1743-1795) commela limite anatomique lors d’une amputa-tion en cas de nécrose distale du pied (28).Cette articulation délimite l’arrière pieddu médio-pied. Elle se divise en troissous unités : l’articulation talo-naviculaire,l’articulation calcanéo-cuboïdienne, etl’articulation sous talienne. Quatre liga-ments sont intéressés par les lésions

(fig. 10)

. Le ligament talo-naviculairedorsal très exposé à ces lésions, souventatteint en premier, le ligament bifurquéen Y d’importance majeure, le ligamentcalcanéo-naviculaire ou spring ligamentet le ligament calcanéo-cuboïdien plantaire.Le mécanisme lésionnel est une flexionplantaire éventuellement associée à unvarus de l’arrière pied. Ces lésions s’asso-cient fréquemment à une entorse de l’ar-ticulation tibio-fibulo-talienne. Sur unesérie de 116 entorses, Nielsen (29) trouvedes signes radiographiques d’entorse deChopart dans 17 % des cas d’entorse del’articulation tibio-fibulo-talienne, dont5 % de fracture du rostrum. La fracturedu rostrum du calcaneus est rare et pro-voquée par un mécanisme en inversionforcée (30, 31). Il en résulte une augmen-tation de la tension sur le ligament bifur-qué qui unit le rostrum au cuboïde et àl’os naviculaire, responsable d’une fractu-re avulsion du rostrum. Sur les radiogra-phies, notamment le cliché de profil, lors

Fig. 8 : Radiographies de la cheville de face et de profil. Entorse en varus responsable d’une fracture de l’apophyse latérale du talus.

a Sur le cliché de profil, notez la disparition de la pointe de l’apophyse latéral (flèche)b Présence de deux fragments avulsés visibles sur l’incidence de face (flèches).

a b

d’une entorse du ligament talo-naviculairedorsal

(fig. 11)

, on note un épaississementdes parties molles de la face dorsale del’articulation médio-tarsienne. Il s’associeune avulsion osseuse de l’insertion talien-ne et/ou naviculaire de ce ligament. Unefracture arrachement du rostrum du cal-caneus

(fig. 12)

sera provoquée par untraumatisme plus important.Le scanner ou l’IRM montrent l’augmen-tation de l’épaisseur du ligament talo-naviculaire dorsal et les atteintes éven-tuelles des autres articulations et os.

Articulation tarso-métatarsienne

Entorse de Lisfranc

Bien qu’il n’en ait jamais décrit d’atteintetraumatique, Lisfranc a donné son nom àcette articulation suite à son travail sur lesamputations au niveau tarso-métatarsien(32). Cette articulation relie les articula-tions du médio-pied aux articulations del’avant pied. Elle permet de former l’archetransverse du médio-pied. Il n’existe pasde ligament inter métatarsien entre la basedes deux premiers métatarsiens

(fig. 13)

.Cette particularité anatomique rend l’arti-culation très fragile. L’atteinte de cette ar-ticulation est rare, estimée à 1 pour 55 000patients par an (33). Pour Haapamaki (27)elles surviennent dans 5 % des lésionstraumatiques du pied. Le mécanisme lé-

Fig. 9 : Radiographies de la cheville de profil. Entorse en flexion plantaire responsable d’une fracture du processus postéro- latéral du talus. (Flèche). Effacement du triangle inter tibio-achyléen de Kager en rapport avec l’héma-tome (flèche courte).

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Aspects radiographiques des lésions ostéo-articulaires etligamentaires des entorses de pied et de cheville

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Fig. 10 : Représentation schématique les ligaments de l’interligne articulaire de Chopart. Ligament talo-navicu-laire dorsal (1), ligament bifurqué (2) et ligament calcanéo-cuboïdien (3). Le quatrième ligament (liga-ment calcanéo-naviculaire) est situé sur le versant médial du pied.

Fig. 13 : Représentation des ligaments intermétatarsiens sur une reconstruction scannographique tridimentionnelle de pied. Absence de ligament inter-méta-tarsien M1-M2 (flèche). Cette par-ticularité anatomique explique une zone de faiblesse de cette articulation à cet endroit.

Fig. 16 : Radiographie du pied de 3/4. Apo-physe non fusionnée (flèche) de la base du 5e métatarsien.

sionnel est une hyper flexion plus oumoins associée à un mouvement de prona-tion ou de supination (34, 35). Elles sont leplus souvent le résultat de traumatisme dehaute énergie (33, 36, 37). Les lésions sontdes fractures, des ruptures ligamentairesou des luxations articulaires. Elles se ren-contrent souvent dans des sports de ballon(rugby, football), ou lors d’accident de lacirculation (37). Le diagnostic est difficilesur les radiographies standard et environ20 % (27)de ces lésions sont ignorées surles radiographies initiales. Le faible rende-ment diagnostique est en parti expliquépar la difficulté à effectuer les radiogra-phies dans de bonne condition chez des

patients présentant souvent des polytrau-matismes. Sur les radiographies standardsl’atteinte de cette articulation est définiepar un diastasis des bases M1-M2 de plusde 2 mm sur les clichés de face (37) avecune subluxation de M2 ou un arrache-ment osseux

(fig. 14)

. Les autres anoma-lies possibles sont, de profil en charge, unaffaissement de l’arche interne et de

3

/

4

in-terne, une perte de l’alignement normalde la face médiale du cuboïde et de M4, té-moignant de la subluxation latérale des 4derniers métatarsiens. Le scanner (38) etl’IRM (39) permettent de faire le bilan ex-haustif de l’atteinte de cette articulation.Le scanner montre les arrachements ostéo-

Fig. 11 : Radiographie de cheville de pro-fil. Entorse en flexion plantaire responsable d’un arrachement de l’insertion proximale du ligament talo-naviculaire supérieur (flè-che).

Fig. 12 : Radiographie du pied de 3/4. Entorse en inversion du pied res-ponsable d’une fracture du ros-trum du calcaneus (flèche).

Fig. 14 : Radiographie de pied de 3/4. Entorse en flexion plantaire for-cée. Fracture distale des 2e et 3e métatarsiens (flèches courtes) associée à une entorse de l’interli-gne articulaire de Lisfranc entre la base du 3e et 4e métatarsien caractérisé par un diastasis (flè-che longue). Cette entorse est aty-pique car elle n’est pas survenue comme classiquement entre le 1er et le 2e métatarsien.

Fig. 15 : Radiographie de pied de profil. Entorse du pied en inversion res-ponsable d’une fracture avulsion du tubercule de la base du 5e métatarsien (flèche).

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Aspects radiographiques des lésions ostéo-articulaires et ligamentaires des entorses de pied et de cheville

G Saliou et al.

ligamentaires, les fractures et les luxationsou sub-luxations articulaires. Le ligamentde Lisfranc et son atteinte sont visualiséssur l’IRM.

Fracture avulsion de la base du 5

e

métatarsien

C’est une avulsion de la base du 5

e

méta-tarsien à l’insertion du tendon du mus-cle court fibulaire (40)

(fig. 15)

. Le mé-canisme est une inversion du pied. Elledoit être distinguée des fractures de Jo-nes qui sont des fractures transversalesqui surviennent à plus de 15 mm de l’ex-trémité proximale du métatarsien (41).Pour ces dernières, le mécanismes estdifférent : fractures de contrainte oupost-traumatiques et elles sont de moinsbon pronostic, car contrairement auxfractures avulsion de la base du 5

e

méta-tarsien, elles sont exposées à la pseu-darthrose. Il faut aussi différencier lesavulsions de la tubérosité du 5

e

métatar-sien avec une apophyse normale non fu-sionnée

(fig. 16)

. Celle-ci a un grand axesouvent parallèle à la diaphyse du méta-tarsien, contrairement à l’avulsion qui asouvent un grand axe perpendiculaire àla diaphyse.

Conclusion

Les entorses de chevilles sont fréquem-ment associées à des lésions ostéochon-drales et ligamentaires de l’arrière et dumédio-pied. Il convient donc de s’atta-cher à observer, de façon systématique,sur les radiographies standards, lors d’untraumatisme de cheville ou de pied, l’en-semble des points que nous avons déve-loppé. L’existence d’une seule lésiontémoigne d’un traumatisme important,devant faire rechercher attentivementd’autres sites lésionnels. Les lésions mul-tiples sont en effet fréquentes et il ne fautpas méconnaître des lésions associées à lalésion la plus visible. Le médecin doitaussi s’aider d’incidences radiographi-ques supplémentaires comme une inci-dence de mortaise, pour démasquer cer-taines lésions. Il faut garder à l’espritqu’un certain pourcentage de ces lésionsne sera pas visible sur les radiographies etqu’il faudra savoir les rechercher en scan-ner ou en IRM. L’échographie plus aiséed’accès dans le cadre de l’urgence ou lorsde douleurs chroniques, reste une aideprécieuse (42).

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