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Article © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2014;21: S4-S13 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com S4 Summary Mucopolysaccharidoses (MPS) are a group of disorders characterized by the accumulation of glycosaminoglycans. Skeletal abnormalities are early and prominent features of MPS. Cervical spine and atlantoaxial instability, thoracolumbar kyphosis, hip dysplasia and osteonecrosis, genu valgum, and carpal tunnel syndrome are frequently observed. MPS disease-awareness is important for pediatric healthcare providers who should be able to recognize the clinical presentation, musculoskeletal abnormalities, and radiographic findings associated with this group of disorders. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Résumé Les mucopolysaccharidoses représentent une famille de maladies de surcharge, caractérisées par l’accumulation de glycosaminoglycanes. Les anomalies squelettiques sont précoces, et dominent souvent le tableau clinique. Celles-ci comportent une instabilité cervicale, une importante cyphose thoraco-lombaire, une dysplasie acétabulaire parfois associée à un risque de nécrose épiphysaire fémorale proximale, une déformation des membres inférieurs en genu valgum, et un syndrome du canal carpien particulièrement évocateur de ces pathologies, lorsqu’il est présent chez l’enfant. Les professionnels de santé prenant en charge des enfants doivent être sensibilisés au dépistage de ces maladies, par la connaissance des signes cliniques d’alerte, ainsi que des principales manifestations orthopédiques qui sont souvent au premier plan. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Atteintes osseuses des mucopolysaccharidoses Bone dysplasia in mucopolysacchoridoses P. Journeau 1, *, C. Garin 2 , E. Polirsztok 1 , J.-L. Jouve 3 1 Service d’orthopédie et traumatologie infantile, CHU de Nancy, hôpital d’enfants de Brabois, rue du Morvan, 54500 Vandœuvre-lès-Nancy, France 2 Service d’orthopédie et traumatologie pédiatrique, CHU de Lyon, hôpital Femme-Mère-Enfant, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France 3 Service d’orthopédie pédiatrique, CHU de Marseille, hôpital La Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex, France *Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (P. Journeau). 1. Introduction Les mucopolysaccharidoses (MPS) sont des maladies de surcharge lysosomale liées à un déficit enzymatique. L’atteinte squelettique ou dysostose multiplex est caractéristique de ces maladies, associant déformations osseuses et la plupart des types de raideurs articu- laires. Les dysplasies osseuses périphériques et rachidiennes sont les atteintes orthopédiques prépondérantes en raison de l’infiltration très précoce de la maquette cartilagineuse par l’accumulation des glycosaminoglycanes (GAG).

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Article

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.Archives de Pédiatrie 2014;21: S4-S13

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

S4

SummaryMucopolysaccharidoses (MPS) are a group of disorders characterized by the accumulation of glycosaminoglycans. Skeletal abnormalities are early and prominent features of MPS. Cervical spine and atlantoaxial instability, thoracolumbar kyphosis, hip dysplasia and osteonecrosis, genu valgum, and carpal tunnel syndrome are frequently observed. MPS disease-awareness is important for pediatric healthcare providers who should be able to recognize the clinical presentation, musculoskeletal abnormalities, and radiographic fi ndings associated with this group of disorders.© 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

RésuméLes mucopolysaccharidoses représentent une famille de maladies de surcharge, caractérisées par l’accumulation de glycosaminoglycanes. Les anomalies squelettiques sont précoces, et dominent souvent le tableau clinique. Celles-ci comportent une instabilité cervicale, une importante cyphose thoraco-lombaire, une dysplasie acétabulaire parfois associée à un risque de nécrose épiphysaire fémorale proximale, une déformation des membres inférieurs en genu valgum, et un syndrome du canal carpien particulièrement évocateur de ces pathologies, lorsqu’il est présent chez l’enfant. Les professionnels de santé prenant en charge des enfants doivent être sensibilisés au dépistage de ces maladies, par la connaissance des signes cliniques d’alerte, ainsi que des principales manifestations orthopédiques qui sont souvent au premier plan.© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Atteintes osseuses des mucopolysaccharidoses

Bone dysplasia in mucopolysacchoridoses

P. Journeau1,*, C. Garin2, E. Polirsztok1, J.-L. Jouve3

1Service d’orthopédie et traumatologie infantile, CHU de Nancy, hôpital d’enfants de Brabois, rue du Morvan, 54500 Vandœuvre-lès-Nancy, France 2Service d’orthopédie et traumatologie pédiatrique, CHU de Lyon, hôpital Femme-Mère-Enfant, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France 3Service d’orthopédie pédiatrique, CHU de Marseille, hôpital La Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex, France

*Auteur correspondant.e-mail : [email protected] (P. Journeau).

1. Introduction

Les mucopolysaccharidoses  (MPS) sont des maladies de surcharge lysosomale liées à un déficit enzymatique. L’atteinte squelettique ou dysostose multiplex est caractéristique de ces maladies, associant déformations osseuses et la plupart des types de raideurs articu-laires. Les dysplasies osseuses périphériques et rachidiennes sont les atteintes orthopédiques prépondérantes en raison de l’infiltration très précoce de la maquette cartilagineuse par l’accumulation des glycosaminoglycanes (GAG).

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3.1.1. Sténose cervicale

Les MPS de type IV et VI présentent de façon pratiquement constante une sténose du rachis cervical supérieur, comprenant la jonction cranio-cervicale. Dans une moindre mesure, la MPS  I est également concernée, alors que la MPS II est habituellement épargnée par cette complication. Le mécanisme sténosant est mixte : la dysplasie verté-brale est responsable d’un rétrécissement canalaire (Fig. 1), qui prédo-mine parfois au niveau du foramen magnum. L’infiltration des tissus péri-médullaires est essentielle dans le mécanisme compressif, et doit être évoquée lors de troubles neurologiques sans compression osseuse évidente. L’image caractéristique est la persistance de liquide céphalo-rachidien (LCR) qui semble en quantité suffisante autour du cordon médullaire, alors qu’il existe des signes cliniques de type compressif. Le dernier mécanisme à l’origine d’une dégradation neurologique est un trouble de la circulation du LCR entre les ventricules et les espaces péri-médullaires. Il peut être en partie dû à une étroitesse du foramen magnum, mais de façon non exclusive. Ainsi, la confrontation neuro-chirurgicale et orthopédique est essentielle pour la prise en charge de ces sténoses. Le traitement diffère selon que la compression est pure-ment osseuse (trépanolaminectomie), dure-mérienne (plastie et amin-cissement de la dure-mère), voire liée à un trouble de la circulation du LCR (ventriculocisternostomie endoscopique). Il faut bien entendu tenir compte aussi d’une éventuelle dégradation des troubles cognitifs, dans l’interprétation d’un syndrome neurologique périphérique évolutif, et savoir éliminer une hypertension intracrânienne.

2. Physiopathologie de l’atteinte osseuse

Les deux cellules cibles au sein de l’os chez l’enfant sont les chon-droblastes et les fibroblastes [1-3]. La surcharge des chondroblastes est responsable de troubles de l’ossification secondaire. L’ossifica-tion est ainsi perturbée depuis la période anténatale et se poursuit jusqu’à la fin de la croissance. Les conséquences majeures sont un retentissement sur la taille finale liée à l’atteinte du rachis et des membres inférieurs, mais également sur la morphologie des différentes pièces osseuses, qui possèdent des caractéristiques communes aux MPS, mais aussi des aspects spécifiques à chacune d’entre elles.L’infiltration fibroblastique retentit, au niveau de l’appareil loco-moteur, sur les structures péri-articulaires. Ainsi, les capsules et ligaments articulaires, les tendons sont épaissis, rétractés, et sont responsables d’une limitation des amplitudes articulaires.La morphologie osseuse et son évolution, une fois installées, ne sont pas améliorées par les différents traitements substitutifs. Pour autant, il semblerait que la décroissance de l’infiltration tissulaire péri-articulaire sous l’effet du traitement substitutif améliore les amplitudes articulaires : un plus grand recul sera nécessaire pour l’affirmer.

3. Atteintes rachidiennes

Les anomalies du rachis engagent l’avenir de l’enfant dans un certain nombre de cas, en raison du risque neurologique qu’elles peuvent entraîner.

3.1. Région cervicale [4-6]

C’est une atteinte à la fois de la jonction cranio-cervicale, mais éga-lement du rachis cervical inférieur, dans des proportions toutefois tout à fait inégales, l’atteinte du rachis supérieur étant majoritaire, les sténoses étant largement plus fréquentes que les instabilités. La progressivité de l’installation rend compte de la tolérance fonc-tionnelle jusqu’à un stade avancé. Pour ces raisons, la surveillance neurologique clinique est essentielle mais non suffisante, et des examens plus performants comme les potentiels évoqués moteurs et sensitifs sont utiles pour préciser un signe neurologique fruste. L’IRM est l’examen de référence pour visualiser toutes les anomalies morphologiques de la région cervicale, et une réalisation tous les 12 à 24 mois semble raisonnable, le délai étant corrélé à la présence ou à la modification de signes neurologiques. L’atteinte varie selon le type de MPS, mais plus d’un tiers des patients au total ont une ano-malie du rachis cervical. Les MPS  II sont pratiquement épargnées, alors que l’atteinte est croissante pour les MPS I, puis VI et enfin IV où l’atteinte est pratiquement constante.

Figure 1. Enfant atteinte d’une MPS I, ne présentant aucun signe neurologique périphérique. Découverte d’une compression cervicale étendue depuis la charnière cranio-cervicale jusqu’au rachis cervical inférieur lors de la surveillance systématique par IRM.

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neurologique : les examens électro-neurophysiologiques (potentiels évoqués moteurs et sensitifs) prennent alors tout leur sens. Il faut garder à l’esprit qu’il peut y avoir compression sans sténose, par effet chevalet de la moelle lors d’une cyphose cervicale, et les seuls signes sont alors moteurs et non sensitifs. D’autres mécanismes sont également observés dans les souffrances médullaires, comme les troubles de circulation du LCR, une hypovascularisation médul-laire, un épaississement dure-mérien, que ne détecte pas forcément l’IRM. C’est dire que le diagnostic de souffrance médullaire ne repose pas exclusivement sur les examens radiologiques, aussi sophistiqués fussent-ils, mais sur un faisceau d’arguments, notamment évolutifs.

3.2. Région thoraco-lombaire [7-10]

Les anomalies rachidiennes de la région thoraco-lombaire sont essentielles dans l’analyse des MPS : elles ont tout d’abord un intérêt diagnostique, en particulier chez le très jeune enfant, car il peut s’agir d’un signe d’appel exclusif. Les déformations tho-raco-lombaires sont parfois évolutives, et nécessitent dans notre expérience des traitements orthopédiques, voire chirurgicaux. Les complications neurologiques à type de compression médullaire sont rares.

3.2.1. Cyphose thoraco-lombaireIl s’agit d’un maître symptôme : en effet, l’une des déformations caractéristiques est la vertèbre en rostre, localisée le plus souvent en L2, ou L1, et pathognomonique d’une MPS, plus rare dans les MPS  II  (Fig.  4). La MPS  IV présente également plus rarement cet aspect, car la morphologie de ses vertèbres est en elle-même carac-téristique (Fig. 5). Présente dès la naissance, la vertèbre en rostre est responsable d’une cyphose clinique de la jonction thoraco-lombaire, réductible aux manœuvres dynamiques, du moins lorsque l’enfant

3.1.2. Instabilité cervicale

Celle-ci est beaucoup plus rare que la compression médullaire par sténose. La maladie de Morquio (MPS  IV) est le prototype qui associe sténose et instabilité. L’hypoplasie de l’odontoïde  (Fig.  2), couramment observée dans la MPS  II, est cependant rarement synonyme d’instabilité. L’instabilité primitive, quand elle existe, est donc le plus souvent située au niveau C1-C2 (Fig. 3), et de façon tout à fait exceptionnelle au niveau de la jonction cranio-cervicale ou du rachis cervical inférieur.L’instabilité peut également être secondaire à une décompression chirurgicale. C’est la raison pour laquelle il est recommandé d’as-socier une arthrodèse cervicale, même en l’absence d’instabilité initiale, lors de la réalisation d’une décompression médullaire cervicale.

3.1.3. Modalités de surveillanceSur la base de ces constatations, l’examen clinique neurologique est la référence, à chaque consultation, et toute modification conduit à la réalisation d’une IRM médullaire de l’ensemble du rachis cervical, en incluant la charnière cranio-cervicale et l’encéphale.Les radiographies standards dynamiques du rachis cervical sont nécessaires mais non suffisantes ; en cas de doute sur une insta-bilité potentielle, l’IRM dynamique est bien utile. Nous préconisons une IRM médullaire systématique, dont la périodicité reste à définir (tous les 2 à 3 ans nous semble un bon rythme), dans les types IV et VI, lorsque l’examen neurologique reste normal. En effet, la progres-sion des troubles est lente, insidieuse, et la prévalence de l’atteinte cervicale est telle dans ces deux types que la surveillance par un examen non invasif est intéressante.Il existe parfois une discordance entre un aspect IRM perturbé (hypo ou hyper signal médullaire) et la normalité de l’examen clinique

Figure 2. Hypoplasie de l’ondontoïde vue de face en tomodensitométrie 3D dans une MPS IV.

Figure 3. Instabilité C1-C2 chez un enfant porteur d’une MPS VI.

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Figure 4. Aspect de vertèbre L2 en rostre dans une MPS II.

Figure 5. Aspect radiologique caractéristique des vertèbres d’une MPS IV.

est jeune. La dysmorphie faciale évocatrice et la constatation radio-logique de cette cyphose sont des arguments diagnostiques forts, imposant la recherche urinaire de GAG.Le traitement associe initialement la mise en place d’un corset de maintien anti-cyphose de manière à guider la croissance, et ce, dès l’acquisition de la marche. La prévalence est équitablement répar-tie entre les MPS  I, IV et VI. Seules les MPS  II sont un peu moins atteintes, de même que les MPS I type Scheie.Le traitement orthopédique doit être donc précocement entre-pris, poursuivi durant toute la croissance de l’enfant, et si la situation n’est pas contrôlée, une correction et une stabilisation chirurgicale sont nécessaires pour éviter la progression de la déformation.Le traitement chirurgical fait appel à une correction instrumen-tale et une arthrodèse circonférentielle par voie postérieure et antérieure dans le même temps. Une éventuelle décompression médullaire peut être adjointe. La surveillance électro-neurophy-siologique per opératoire est indispensable au cours de ces inter-ventions à haut risque neurologique du fait de la susceptibilité médullaire et de l’importance de la correction de la déformation cyphotique (Fig. 6).

3.2.2. Scoliose

Bien que non spécifique des MPS, elle présente une prévalence plus élevée que dans la population générale, dans 25 % des cas dans notre expérience. Le plus souvent, la vertèbre sommet de la scoliose est la vertèbre dystrophique en rostre, et il s’agit donc habituellement d’une cypho-scoliose de topographie thoraco-lombaire  (Fig.  7). En raison du jeune âge de survenue de la scoliose, de la morphologie particulière du tronc, des déformations squelettiques associées, elle pose de difficiles problèmes thérapeutiques de prise en charge.Les traitements orthopédiques sont essentiels, malgré la difficulté de réalisation des corsets sur des troncs particulièrement déformés, et les corrections chirurgicales sont parfois nécessaires précocement, avec toutes les précautions que ces déformations imposent dans ce contexte.

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chaque type de MPS, mais entraînent également des altérations fonctionnelles, dont il faut tenir compte dans la prise en charge, car la correction des déformations n’influe parfois que modestement sur l’histoire naturelle de la hanche. Ainsi, la restitution d’une anatomie aussi proche que possible de l’aspect normal ne fait que ralentir parfois la dégradation fonctionnelle [11,12].

4.1. Anomalies cervicales et épiphysaires

4.1.1. Angle cervico-diaphysaire

La modification de l’angle cervico-diaphysaire est quasi constante. Une coxa valga est l’aspect le plus communément observé, associé

Figure 7. Scoliose thoraco-lombaire gauche chez une enfant de 8 ans atteinte d’une MPS I.

Figure 6. Compression médullaire visible en IRM sur la cyphose thoraco-lombaire (MPS IV).

3.2.3. Spondylolisthésis

Il se définit par le glissement antérieur d’une vertèbre par rapport à celle sous-jacente. Non spécifique des MPS, il est toutefois plus fréquemment observé que dans la population générale, en particulier dans les types I et VI. La lésion initiale est une dysplasie de l’isthme vertébral, avec un étirement isthmique associé au glissement. La loca-lisation est préférentiellement en L5, mais les segments lombaires sus-jacents peuvent être touchés, seuls ou conjointement. Les défor-mations rachidiennes associées peuvent masquer cette anomalie, et le contrôle de la charnière lombo-sacrée de profil fait partie de la surveillance habituelle de tout patient atteint de MPS. Son traitement ne présente pas de spécificité particulière : il est rarement chirurgical, car la dysplasie isthmique ne s’accompagne pas d’une dysplasie du plateau supérieur de S1. Ainsi, le listhésis reste faible d’autant que ces enfants ont généralement des incidences pelviennes faibles.

4. Atteintes de la hanche

Les anomalies de la hanche revêtent plusieurs aspects, et touchent à la fois l’épiphyse fémorale proximale, la morphologie céphalique, ainsi que l’architecture acétabulaire. Ces particularités anatomiques sont des éléments diagnostiques, parfois assez spécifiques de

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inéluctable qui en fait toute la gravité fonctionnelle. Aucune interven-tion ne permet de prévenir l’évolution vers la nécrose, et les corrections chirurgicales ont un effet modeste sur la dégradation fonctionnelle.Au-delà de 10  ans, les radiographies des hanches sont anormales dans plus de la moitié des cas pour les types I, dans 2/3 des cas dans les types  IV et VI, alors que la radiographie est très peu perturbée dans 80 % des cas pour les types II.La dégradation fonctionnelle, dont l’appréciation repose essen-tiellement sur la réduction du périmètre de marche, l’existence de douleurs, ainsi que sur la réduction des amplitudes articulaires, est présente au-delà de l’âge de 15  ans dans 40 % des cas pour les types  I ou II, alors que ce pourcentage est proche des 60 % pour les types  IV, et pour plus de 80 % des types  VI. Il semble que les douleurs soient liées préférentiellement à la nécrose épiphysaire. L’histoire naturelle, indépendamment de la nécrose épiphysaire, se fait également vers une luxation progressive de la hanche. C’est dans ce cadre-là que les traitements chirurgicaux sont intéressants.

4.2. Dysplasie acétabulaire

Les troubles de l’ossification secondaire de l’acetabulum sont consécu-tifs à l’accumulation de glycosaminoglycanes dans les chondroblastes. Ainsi le retard et l’insuffisance d’ossification sont-ils responsables d’une dysplasie acétabulaire multi-directionnelle, à la fois supérieure, antérieure et postérieure. Cela explique l’aspect radiologique si parti-culier du cotyle des MPS. Celui-ci est court, évasé, vertical, associé à une incongruence entre l’épiphyse et la cavité cotyloïdienne, majorée par la coxa valga. Cette dysplasie est en partie à l’origine de la détériora-tion épiphysaire (indépendamment de son histo-pronostic qui lui est propre), par l’augmentation des pressions subies par l’épiphyse, en rai-son de la diminution des surfaces de contact. Contrairement à d’autres altérations squelettiques, la morphologie acétabulaire est assez peu spécifique d’un type de MPS. Dans la mesure où il s’agit d’un trouble initialement cartilagineux, l’IRM réalisée avec des séquences cartili-geuses spécifiques et également des reconstructions tridimension-nelles tomodensitométriques sont les examens d’imagerie appréciant au mieux la dysplasie osseuse ainsi que la couverture cartilagineuse, et ce, pour permettre de définir une stratégie thérapeutique.On observe fréquemment une encoche sus-cotyloïdienne, souvent très marquée, et qui correspond à l’insertion du tendon réfléchi du rectus femoris épaissi (Fig. 10).

4.3. Traitements chirurgicaux

Ils visent à retarder la détérioration progressive de la hanche et l’al-tération de sa fonction en tentant de restituer une architecture de la hanche normale. La correction de l’angle cervico-céphalique fait appel à des ostéotomies fémorales proximales, le plus souvent de varisation et dérotation. L’association à une ostéotomie pelvienne

à une antéversion fémorale exagérée. Elle a pour conséquence une rupture du cintre cervico-obturateur, et entraîne une insuffisance de couverture de la tête fémorale, surtout lorsqu’une dysplasie acé-tabulaire y est associée. Cette coxa valga s’observe principalement dans les types I, IV et VI (Fig. 8). Plus rarement, on retrouve une coxa vara, essentiellement dans les types  II. Toutefois, les déformations de la hanche dans les types II sont plus modestes, et la préservation fonctionnelle est la règle, y compris à l’âge adulte.

4.1.2. Anomalies épiphysaires fémorales proximales

Les lésions épiphysaires apparaissent progressivement au cours de la croissance de l’enfant. À la naissance, l’aspect radiologique est souvent peu modifié. Col fin et court, épiphyse petite, ayant perdu une partie de leur sphéricité : cet aspect fait partie de la description des atteintes osseuses des MPS. Toutefois, l’élément de gravité est la fragilité épiphysaire, et l’évolution vers la nécrose (Fig. 9). Ces nécroses sont plus fréquentes dans les types IV et VI, avec une apparition quasi

Figure 8. Coxa valga, rupture du cintre cervico-obturateur, et dysplasie cotyloïdienne (MPS I).

Figure 9. Nécrose épiphysaire inéluctable dans le cadre d’une MPS IV.

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générateurs de troubles de la marche et pénalisent grandement l’autonomie des patients, indépendamment des autres défauts squelettiques.L’origine des altérations est mixte, à la fois articulaire et osseuse.

5.1. Déviations frontales

Les anomalies axiales sont d’origine osseuse. La déviation est le plus souvent en valgus et son origine topographique est le plus fréquem-ment tibiale, l’extrémité fémorale distale ayant plutôt tendance à se dévier en varus. Toutes les formes de MPS sont atteintes, avec toutefois une légère prédominance pour les types  I et IV, qui présentent non seulement la prévalence la plus élevée, mais également les formes les plus sévères. Le genu valgum est présent dans plus de 2/3 des MPS.La prise en charge chirurgicale fait appel aux épiphysiodèses asymétriques transitoires, qui donnent de meilleurs résultats que les ostéotomies, lorsque ces dernières sont réalisées en cours de croissance (Fig. 12). Ainsi, les ostéotomies sont réservées aux défor-mations résiduelles de fin de croissance ou bien pour les enfants qui ne grandissent pas ou peu (MPS IV et VI sévères).

5.2. Déviations sagittales

• Flessum de genoux : ceux-ci sont en réalité des défauts de mobi-lité, par enraidissement progressif, et le défaut d’extension en est la traduction principale. La flexion articulaire est en règle générale presque complètement conservée. Ce flessum est observé dans plus de 2/3 des MPS, tous types confondus, mais les types I, II et VI sont les formes les plus enraidissantes. Le type IV ne présente pas de raideur articulaire, mais plutôt une laxité articulaire, aggravant l’aspect en valgus de la déformation.• Flessum de hanche : le flessum se traduit par une antéversion du bassin et, avec le flessum de genou, il participe au déséquilibre antérieur du tronc.• Au niveau de la cheville : c’est la flexion dorsale qui est limitée, l’évolution en équin n’est pas rare. Ainsi, toutes articulations confon-

de réorientation ou à un agrandissement cotyloïdien par une butée est le plus souvent la règle, de manière à redonner une congruence entre l’épiphyse et la cavité acétabulaire (Fig. 11).Les résultats sont toutefois très inégaux, et dépendent surtout du type de MPS. Ainsi, autant ces interventions conservatrices donnent des résultats assez satisfaisants dans les MPS I et VI, autant ceux-ci sont décevants dans les MPS IV, car l’évolution et le résultat dépen-dent de l’apparition ou non d’une nécrose épiphysaire. Il y a peu d’indications chirurgicales dans les MPS II.Devant une destruction nette de l’articulation, une arthroplastie peut être proposée, en tenant compte des particularités anatomiques des pièces osseuses qui imposent parfois des implants sur mesure.

5. Troubles axiaux des membres inférieurs [13-15]

Les troubles axiaux des membres inférieurs sont situés à la fois dans le plan frontal mais également dans le plan sagittal. Ils sont

Figure 11. Dysplasie acétabulaire marquée associée à une coxa valga (A), traitée par ostéotomie fémorale proximale de varisation et butée sus-cotyloïdienne (B), et résultat radiographique à 4 ans de recul (C).

Figure 10. Encoche sus-cotyloïdienne correspondant à un épaississement tendineux (tendon direct du droit fémoral) (MPS I).

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6.1. Altérations squelettiques

Les diaphyses des os longs sont courtes, trapues, épaissies. Les métaphyses sont élargies, alors que les épiphyses sont petites, par-fois coniques, sans que ce dernier aspect ne soit spécifique des MPS. L’apparence des os rend compte de l’infiltration par les GAG. Quant aux os du carpe, ils sont petits, courts, et apparaissent tardivement par rapport aux âges habituels de l’ossification des os du carpe. Cela pourrait s’assimiler à un retard d’âge osseux, mais il s’agit en réalité d’un trouble de l’ossification des chondro-épiphyses (Fig. 14).

6.2. Rétractions tissulaires

Tous les tissus d’origine collagénique sont infiltrés. Les tendons, mais également les capsules, ainsi que la synoviale intra-articulaire sont hypertrophiés. Ces infiltrations sont à l’origine de la rétraction et de la réduction des amplitudes articulaires.Les tendons sont épaissis, et sont parfois le siège de renflements nodulaires qui gênent la course tendineuse au sein de leur gaine et en particulier au niveau des poulies de réflexion. L’origine n’est toutefois pas univoque, et l’hypertrophie synoviale péri-tendineuse ainsi que l’épaississement des gaines participent au blocage. Ces nodules sont à l’origine des doigts à ressaut, fréquent dans les MPS. Le diagnostic des doigts à ressaut peut parfois être difficile à porter, en raison de la limitation des amplitudes articulaires. Il est donc nécessaire de les rechercher

dues, on admet que la limitation d’extension est observée dans près de 80 % des cas, alors que la flexion articulaire est quant à elle conservée dans 80 % des cas.Ces limitations des amplitudes articulaires sont directement en lien avec l’infiltration tissulaire par les GAG. Les tendons et capsules péri-articulaires se rétractent progressivement en s’épaississant. Ces rétractions entraînent une attitude caractéristique du patient dans le plan sagittal  (Fig.  13), et sont responsables, en association avec les déformations osseuses du plan frontal, de troubles de la marche qui sont objectivés notamment dans les laboratoires d’analyse du mouvement.Leur prise en charge repose sur la rééducation pluri-hebdoma-daire, les étirements passifs, voire les postures à l’aide d’appa-reillage de maintien. Dans les cas très évolués, des libérations chirurgicales peuvent être proposées, portant essentiellement sur les capsules articulaires. Mais aussi des épiphysiodèses asymétriques, qui permettent une correction progressive de ces déformations.

6. Anomalies de la main [16-17]

La main est le siège de multiples anomalies, en raison de la coexistence d’altérations osseuses, de rétractions tendineuses et capsulaires, le tout responsable de déformations caractéristiques, et parfois de compression neurologique.

Figure 12. Récidive de genu valgum après ostéotomie tibiale (A) chez un enfant atteint de MPS IV, repris par épiphysiodèse asymétrique transitoire (B), et résultat à 1 an de la pose des implants (C).

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s’y associe un épaississement épineural responsable d’une diminu-tion de la vascularisation périphérique du nerf.Il n’y a pas de corrélation entre la sévérité de la maladie et l’existence d’une compression du nerf médian, qui est bilatérale dans la grande majorité des cas. L’âge de survenue est également très variable, dif-ficile à mettre en évidence chez le jeune enfant, il est recommandé d’effectuer des électromyogrammes de façon régulière dans le bilan de surveillance d’une MPS.Le traitement ne peut être que chirurgical, par libération du nerf qui associe une section longitudinale du ligament annulaire antérieure, une synovectomie péri-tendineuse, et une épineurotomie. La réci-dive n’est pas exceptionnelle, y compris chez les enfants ayant un traitement substitutif enzymatique.

spécifiquement et de les traiter au cas par cas par l’ouverture chirurgicale de la poulie d’aval.Ces rétractions capsulaires associées aux doigts à ressaut sont res-ponsables de l’aspect assez caractéristique de main en griffe (Fig. 15).

6.3. Syndrome du canal carpien

Présent dans près de 50 % des cas dans les types I, II et VI (absent dans le type IV), la compression du nerf médian dans le canal car-pien est pathognomonique d’une MPS chez l’enfant.Son origine est triple, il s’agit de la résultante du rétrécissement du canal carpien en raison des anomalies osseuses, de l’épaississement du ligament annulaire antérieur, et de l’hypertrophie synoviale autour des tendons, l’ensemble comprimant alors le nerf médian. Il

Figure 13. Aspect sagittal caractéristique des membres inférieurs, associant flessum de hanche et de genou, ainsi qu’un équin traduisant le défaut de flexion dorsale des chevilles (MPS I Scheie).

Figure 14. Dysostose au niveau de la main, objectivant les métacarpiens épaissis, les anomalies épiphysaires, la réduction de la hauteur du carpe (MPS II).

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Liens d’intérêts

P. Journeau et C. Garin : Interventions ponctuelles pour activités de conseil (Biomarin).E. Polirsztok et J.-L. Jouve ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêts relatif à cet article.

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7. Conclusion

Si les différents aspects squelettiques sont essentiellement descrip-tifs, et servent à caractériser les types de MPS par l’analyse radio-logique, il existe de véritables pathologies osseuses responsables de complications qu’il est indispensable de rechercher afin de les traiter le plus précocement possible.Certaines d’entre elles peuvent avoir des conséquences redoutables, en particulier neurologiques, et méritent parfois des interventions préventives, avant le stade de la dégradation clinique irréversible.Toutefois, la complexité de ces maladies et de leur traitement, l’altération de fonctions essentielles, cardiaques, hépatiques et pul-monaires, ainsi que les difficultés anesthésiques, doivent être inté-grées dans le raisonnement, dès lors qu’une indication chirurgicale est portée. Les interventions chirurgicales, que ce soit dans leurs indications ou leur réalisation, ne peuvent se concevoir qu’au sein d’une équipe multidisciplinaire rompue à la prise en charge de ces patients. L’amélioration de l’espérance et de la qualité de vie de ces enfants par les greffes de moelle et les substitutions enzymatiques nous permet d’envisager des corrections chirurgicales plus ambi-tieuses. Il faut savoir les hiérarchiser, éventuellement les regrouper avec d’autres gestes non orthopédiques, pour que ces enfants se développent dans un environnement le moins hospitalier possible.

Figure 15. Main en griffe, comportant un épaississement cutané ainsi que des rétractions capsulaires au niveau des articulations interphalangiennes.