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Droit Déontologie & Soin 10 (2010) 370–381 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Chronique Autonomie de la personne et consentement en droit européen Camila Haboubi (Assistante de justice) 22, rue Montesquieu, 69007 Lyon, France Résumé La jurisprudence de la Cour européenne de défense des droits de l’homme (CEDH) définit les contours de la protection de l’autonomie de la personne et de son corollaire en matière de santé, à savoir le consentement aux soins. Toute évolution législative s’inscrit désormais dans ce cadre européen, qui est d’ailleurs en grande conformité avec les conceptions traditionnelles franc ¸aises. © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. L’autonomie de la personne et du consentement aux soins bénéficie désormais d’un régime jurisprudentiel européen cohérent à partir de trois articles de la Convention euro- péenne de sauvegarde des droits de l’homme : la base est l’article 8 qui traite de la vie privée (1). L’article 5définit les régimes possibles pour la remise en cause de la liberté (2) et l’article 3 traite des limites extrêmes, à savoir les traitements inhumains et dégradants (3). 1. Le respect de la vie privée, base du consentement Pour apprécier le respect et les limites du consentement, la Cour statue au regard de l’article 8 de la Convention : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...). « 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la prévention des infrac- tions pénales, à la protection de la santé (...) ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ – see front matter © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.ddes.2010.10.023

Autonomie de la personne et consentement en droit européen

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Droit Déontologie & Soin 10 (2010) 370–381

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Chronique

Autonomie de la personne et consentement en droiteuropéen

Camila Haboubi (Assistante de justice)22, rue Montesquieu, 69007 Lyon, France

Résumé

La jurisprudence de la Cour européenne de défense des droits de l’homme (CEDH) définit les contours dela protection de l’autonomie de la personne et de son corollaire en matière de santé, à savoir le consentementaux soins. Toute évolution législative s’inscrit désormais dans ce cadre européen, qui est d’ailleurs en grandeconformité avec les conceptions traditionnelles francaises.© 2010 Publie par Elsevier Masson SAS.

L’autonomie de la personne et du consentement aux soins bénéficie désormais d’unrégime jurisprudentiel européen cohérent à partir de trois articles de la Convention euro-péenne de sauvegarde des droits de l’homme : la base est l’article 8 qui traite de la vieprivée (1). L’article 5 définit les régimes possibles pour la remise en cause de la liberté(2) et l’article 3 traite des limites extrêmes, à savoir les traitements inhumains et dégradants(3).

1. Le respect de la vie privée, base du consentement

Pour apprécier le respect et les limites du consentement, la Cour statue au regard de l’article8 de la Convention :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (. . .).« 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit

que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue unemesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (. . .) à la prévention des infrac-tions pénales, à la protection de la santé (. . .) ou à la protection des droits et libertésd’autrui. »

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2010 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.ddes.2010.10.023

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L’intégrité physique et morale est une composante de la vie privée (1.1) ce qui conduit,s’agissant de l’acte médical, à définir les conditions possible pour une ingérence dans la vieprivée (1.2), avec de vraies garanties de procédure (1.3).

1.1. L’intégrité physique et morale, composante de la vie privée

La notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive.Elle recouvre l’intégrité physique et morale de la personne1. Elle peut parfois englober des aspectsde l’identité physique et sociale d’un individu2, dont notamment l’identification sexuelle. Le nom,l’orientation sexuelle et la vie sexuelle relèvent de la sphère personnelle protégée par l’article 83.Elle englobe aussi des aspects de l’identité physique et sociale d’une personne, comme le droit àl’autonomie personnelle, le droit au développement personnel et le droit d’établir et d’entretenirdes rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur4.

Le droit de disposer de son corps est une partie intégrante de la notion d’autonomie personnelle.À cet égard, « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure lapossibilité de s’adonner à des activités percues comme étant d’une nature physiquement ou mora-lement dommageable ou dangereuse pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomiepersonnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps »5.

Si la Convention ne garantit pas, en tant que tel, le droit à un niveau particulier de soinsmédicaux, la Cour a dit que la vie privée recouvre l’intégrité physique et morale de la personne etque l’État a également l’obligation positive de reconnaître à ses ressortissants le droit au respecteffectif de cette intégrité6. En conséquence, toute atteinte de caractère médical, même mineure,à l’intégrité corporelle, s’analyse en une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vieprivée7. S’il y a eu consentement éclairé, aucune question ne se pose sous l’angle de l’article 3 dela Convention.

1.2. Les conditions d’une ingérence dans la vie privée

L’acte imposé est une ingérence dans l’intimité de la vie privée (1.2.1). L’acte sans consente-ment doit aussi répondre à des conditions strictes (1.2.2).

1.2.1. L’acte imposé, une ingérenceLe corps d’une personne représente l’aspect le plus intime de la vie privée. Ainsi, une inter-

vention médicale forcée, même mineure, constitue une ingérence dans l’exercice des droits aurespect de la vie privée8. Toute atteinte à l’intégrité physique d’une personne doit être prévue par

1 CEDH, X. et Y. c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, p. 11, §§ 22–27 et CEDH, Costello-Robertsc. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1993, série A no 247-C, p. 48, § 34).

2 CEDH, Mikulic c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002-I.3 CEDH, B. c. France, 25 mars 1992, série A no 232-C, pp. 53–54, § 63 ; CEDH, Burghartz c. Suisse, 22 février 1994,

série A no 280-B, p. 28, § 24 ; CEDH, Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, série A no 45, pp. 18–19, § 41.4 CEDH, Pretty c. Royaume-Uni, précité, § 61.5 CEDH, Pretty, c. Royaume-Uni, 29 avril 2002, Recueil 2002-III, § 61.6 CEDH, Glass c. Royaume-Uni, no 61827/00, §§ 74–83 ; CEDH, Sentges c. Pays-Bas, no 27677/02, 8 juillet 2003 ;

CEDH, Nitecki c. Pologne, no 65653/01, 21 mars 2002.7 CEDH, Y.F. c. Turquie, no 24209/94, § 33, CEDH 2003-IX et Juhnke c. Turquie, no 52515/99, § 76, 13 mai 2008.8 Com EDH X. c. Autriche, no 8278/78, 13 décembre 1979 ; Com EDH, Acmanne et autres c. Belgique, no 10435/83,

10 décembre 1984.

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la loi et requiert le consentement de l’intéressé. Sinon, une personne en situation de vulnérabilitéserait privée des garanties légales contre les actes arbitraires9.

Un acte médical est une ingérence dans le droit de celui-ci au respect de la vie privée énoncé àl’article 8 si elle a eu lieu contre la volonté de cet individu10, et notamment pour l’administrationde force d’un traitement11.

Pour se concilier avec l’article 8 § 2, cette ingérence doit être « prévue par la loi », inspirée par unou des buts légitimes énoncés dans ce paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique »,à la poursuite de ce ou ces buts12.

1.2.2. Les conditions de l’ingérenceL’ingérence doit être prévue par la loi (1.2.2.1) et nécessaire dans une société démocratique

(1.2.2.2).

1.2.2.1. Prévue par la loi. . .. L’expression « prévue par la loi » impose non seulement le respectdu droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi, qui doit être compatible avec la préémi-nence du droit13. Pour se concilier avec la prééminence du droit, la législation interne doit offrirune certaine protection contre des atteintes arbitraires aux droits garantis par le paragraphe 1 (art.8-1). Aussi, une loi conférant à la puissance publique un pouvoir d’appréciation doit-elle en fixerla portée, avec un niveau de précision lié au domaine considéré14.

Des textes n’indiquant ni l’étendue ni les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation àl’origine de l’arrangement critiqué, sont d’un libellé trop vague. De telles limites apparaissentd’autant plus nécessaires en matière d’internement psychiatrique15.

Certes, on ne saurait exiger d’une loi qu’elle soit capable de parer à toute éventualité. Iln’empêche qu’en l’absence de précision qualifiant la mesure, les articles cités n’offrent pas,contre l’arbitraire, le degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans unesociété démocratique16. L’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre lesingérences arbitraires des pouvoirs publics. Le droit interne doit offrir une certaine protectioncontre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention17,en gardant à l’esprit que la Convention vise à garantir des droits non pas théoriques ou illusoires,mais concrets et effectifs18.

1.2.2.2. . . . et nécessaire dans une société démocratique. En droit, la question est de mettre enbalance divers aspects de la vie privée et de l’intérêt public. Selon la jurisprudence constante dela Cour, la notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux

9 CEDH, Y.F. c. Turquie, 22 juillet 2003 no 24209/94, § 43.10 Com EDH, X c. Autriche, no 8278/78, 13 décembre 1979, DR 18, p. 159 ; Com EDH A.B. c. Suisse, no 20872/92, 22

février 1995, DR 80-A, p. 70 et CEDH, Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, série A no 244, p. 26, § 86.11 CEDH, Storck c. Allemagne, 16 juin 2005, no 61603/00, § 143 ; CEDH, Juhnke c. Turquie, 13 mai 2008, no 52515/99,§ 76.12 CEDH, Dudgeon c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1981, série A no 45, p. 19, § 43.13 CEDH, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52.14 CEDH, Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, § 88; CEDH, Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, § 67–68.15 CEDH, Herczegfalvy c Autriche, 24 septembre 1992, § 90.16 CEDH, Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, no10533/83§, 91.17 CEDH, Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, série A no 82, p. 32, § 67, et CEDH, Hassan et Tchaouch c. Bulgarie

[GC], no 30985/96, § 84.18 CEDH, Airey c. Irlande, arrêt du 9 octobre 1979, série A no 32, pp. 12–13, § 24.

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et, notamment, proportionnée au but légitime visé par les autorités19. Dans la recherche de cetéquilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble,l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation20.

La nécessité médicale doit être démontrée de manière convaincante et la jurisprudence exa-mine les garanties procédurales dont doit s’entourer la décision, par exemple pour recourir à unealimentation21. Le droit francais reconnait, dans des situations d’urgence, le recours à des soinsforcés aux détenus grévistes de la faim22.

L’article 8 ne renferme aucune exigence procédurale explicite mais il importe, la référenceétant la jouissance effective des droits garantis par cette disposition, que le processus décision-nel soit équitable et permette de respecter comme il se doit les intérêts qui y sont protégés. Ilfaut ainsi déterminer, eu égard aux circonstances particulières, si la personne a joué dans le pro-cessus décisionnel un rôle suffisamment important pour lui assurer la protection requise de sesintérêts23.

1.3. Garantie de procédure

Les notions de légalité et de prééminence du droit dans une société démocratique exigent queles mesures touchant les droits fondamentaux soient dans certains cas soumises à une forme deprocédure devant un organe indépendant, compétent pour contrôler les motifs de ces mesures etles éléments de preuve pertinents24, et vu la nature des circonstances, un contrôle a posteriori n’estpas toujours suffisant25. Des mesures rétroactives ne suffisent pas, à elles seules, à protéger commeil convient l’intégrité physique de personnes se trouvant dans une situation aussi vulnérable quela requérante26. Le cas des mesures ordonnées par décision de justice, notre suivi sociojudiciaire,est intéressant27.

La Cour européenne de défense des droits de l’homme (CEDH) s’est prononcée, dans uneaffaire intéressant la Bulgarie, sur un traitement médical obligatoire, prononcée par un tribunal,en application d’une loi. Le tribunal avait tenu compte du comportement non dangereux durequérant pour remplacer la mesure d’internement par une autre mesure moins contraignante, àsavoir l’administration des soins médicaux obligatoires en hôpital de jour, le tribunal ayant justifiéla nécessité de suivre un traitement médical « compte tenu du danger potentiel pour lui-même,ses proches et la société en général ».

La personne a suivi ce traitement pendant plusieurs années, par application de la décision dutribunal et par crainte d’un internement en cas de refus comme c’était déjà le cas en décembre 2003.

19 CEDH, Olsson c. Suède (no 1), 24 mars 1988, série A no 130, § 67 ; CEDH, McLeod c. Royaume-Uni, septembre1998, Recueil 1998, § 52.20 CEDH, Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, série A no 290, p. 19, § 49 ; CEDH, Rózanski c. Pologne, 18 mai 2996,

no 55339/00, § 61.21 CEDH, Nevmerjitski c. Ukraine, no 54825/00, § 94, CEDH 2005-II.22 CPP, Art. D. 364 : « Si un détenu se livre à une grève de la faim prolongée, il ne peut être traité sans son consentement,

sauf lorsque son état de santé s’altère gravement et seulement sur décision et sous surveillance médicales ».23 CEDH, Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 99, CEDH 2003-VIII.24 CEDH, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, §§ 55–63 ; CEDH, Agosi c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, série A

no 108, p. 19, § 55.25 CEDH, Tyslac c. Pologne, 20 mars 2007, Requête no 5410/03, § 117, 125 et 127.26 CEDH, Storck c. Allemagne, 16 septembre 2005, no 61603/00, § 150.27 J. Castaignède, Le suivi sociojudiciaire applicable aux délinquants sexuels ou la dialectique sanction-traitement, D.

1999, chron, p. 23 ; P. Couvrat, Le suivi socio judiciaire, une peine pas comme les autres, Revue de sciences criminelles1999, p. 376.

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Selon une expertise psychiatrique, il ne représentait aucun danger pour la santé ou la vie d’autrui,ni pour sa propre santé. Les médecins avaient souligné le caractère totalement hypothétiquedu pronostic selon lequel l’évolution de la maladie pourrait devenir source de danger. Dansces conditions, la Cour considère que le maintien des soins psychiatriques obligatoires pendantplus de cinq ans l’a été en violation du droit, notamment en raison de l’absence d’évaluationspériodiques28.

2. Les atteintes à la liberté d’aller et venir

Le texte de référence est l’article 5 § 1 de la Convention, libellé en ces termes en ses passagespertinents :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, saufdans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;(. . .)c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente,

lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupconner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a desmotifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou des’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(. . .)e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie

contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond.En matière de liberté d’aller et venir, qui pose la question de l’hospitalisation sous contrainte, la

jurisprudence est très précise (2.1) et c’est dans ce cadre que s’analyse la question de la rétentionde sureté (2.2).

2.1. La jurisprudence de la Cour

Nul ne doit être arbitrairement dépouillé de sa liberté29. Les alinéas a) à f) de l’article 5 §1 de la Convention renferment une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté ;une privation de liberté n’est donc pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs30.Le fait qu’un motif soit applicable n’empêche toutefois pas nécessairement qu’un autre le soitaussi ; une privation de liberté peut, selon les circonstances, se justifier sous l’angle de plus d’unalinéa31.

Par « condamnation » au sens de l’article 5 § 1 a), il faut entendre, eu égard au texte francais,à la fois une déclaration de culpabilité, consécutive à l’établissement légal d’une infraction32, etl’infliction d’une peine ou autre mesure privative de liberté33.

Le mot « après » figurant à l’alinéa a) n’implique pas un simple ordre chronologique de suc-cession entre « condamnation » et « détention » : la seconde doit, en outre, résulter de la première,

28 CEDH, Shopov c. Bulgarie, 2 septembre 2010, no 11373/04, § 47.29 CEDH, Lawless, 1 juillet 1961, série A no 3, p. 52.30 Voir notamment Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 96, série A no 39, Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 49,

CEDH 2000-III, et Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 43.31 Voir, parmi d’autres, Eriksen c. Norvège, 27 mai 1997, § 76, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, Erkalo c. Pays-Bas,

2 septembre 1998, § 50, Recueil 1998-VI, et Witold Litwa précité, § 49).32 Guzzardi précité, § 100.33 Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, § 35, série A no 50.

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se produire, « à la suite et par suite » – ou « en vertu » – « de celle-ci »34. En bref, il doit existerentre elles un lien de causalité suffisant35.

On ne saurait interner quelqu’un comme « aliéné » sans des preuves médicales révélant chezlui un état mental propre à justifier une hospitalisation forcée36. L’article 5 paragraphe 1 n’autorisepas à détenir quelqu’un du seul fait que ses idées ou son comportement s’écartent des normesprédominant dans une société donnée37.

2.2. La rétention de sûreté

Le régime francais, dont la constitutionalité a été établie (2.2.1) ne pourra faire l’objet que dedécisions très mesurées, compte tenu de la jurisprudence de la CEDH sur les pratiques (2.2.2).

2.2.1. Le régime francaisEn France, la loi du 25 février 2008 a introduit la « rétention de sûreté »38. Un important arrêt

de la CEDH du 17 décembre 2009 rappelle les principes et marque les limites admissibles39.Le Conseil constitutionnel francais, dans sa décision du 21 février 200840 a jugé que la rétention

de sûreté ne repose pas sur la culpabilité de la personne condamnée mais a pour but d’empêcherles personnes de récidiver et qu’ainsi, cette mesure n’est pas une peine41. Toutefois, le Conseila, censurant le législateur, écarté la rétroactivité en relevant la nature privative de liberté de lamesure, la durée de cette privation, son caractère renouvelable sans limite, et au fait qu’elle estprononcée après une condamnation par une juridiction42.

La loi francaise marque une spécificité, par une forte psychiatrisation, ce qui a permis au Conseilconstitutionnel d’affirmer que « la rétention de sûreté n’est ni une peine, ni une sanction ayant lecaractère d’une punition ». La mesure est réservée aux personnes qui présentent une particulièredangerosité caractérisée par « une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’untrouble grave de la personnalité ». La personne est alors placée, pour une durée d’au moins sixsemaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux finsd’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité assortie d’une expertise médicale réalisée pardeux experts. La situation est ensuite examinée par la commission pluridisciplinaire des mesuresde sûreté afin d’évaluer la dangerosité de la personne43 et c’est la juridiction régionale de larétention de sûreté qui se prononce.

34 Van Droogenbroeck précité, § 35.35 Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 42, série A no 114, Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 64, CEDH

2002-IV, Waite c. Royaume-Uni, no 53236/99, § 65, 10 décembre 2002, et Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 117.36 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33 ; Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46 ;

Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 47, CEDH 2003-IV.37 CEDH, Engel et autres du 8 juin 1976, série A no 22, p. 24, par. 57; CEDH Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier

1978, série A no 25, p. 74, par. 194.38 Rapport du Sénat, Les délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques, n◦ 420, 2006 ; M. Herzog-Evans,

Les textes d’application de la loi de rétention de sûreté. L’enracinement des nouvelles orientations de l’exécution despeines, D. 1998, 3098.39 CEDH, GC, M. c. Allemagne, no 19359/04, 17 décembre 2009.40 C. Constit., 21 février 2008, no 2008-562 DC, JO 26 février 2008, p. 3272.41 C. Constit., 21 février 2008, no 2008-562 DC, JO 26 février 2008, p. 3272, §9.42 C. Constit., 21 février 2008, no 2008-562 DC, JO 26 février 2008, p. 3272, §10.43 Code de procédure pénale, Art. 706-53-14.

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Le placement en centre socio-médicojudiciaire de sûreté est destiné à permettre, au moyend’une prise en charge médicale, sociale et psychologique qui lui est proposée de facon permanente,la fin de cette mesure44.

Mais ce placement n’est possible que si le condamné a pu « pendant l’exécution de sa peine,bénéficier de soins ou d’une prise en charge destinés à atténuer sa dangerosité mais que ceux-cin’ont pu produire des résultats suffisants, en raison soit de l’état de l’intéressé soit de son refusde se soigner »45. Il faut s’assurer que la rétention de sûreté n’a pu être évitée par des soins etune prise en charge pendant l’exécution de la peine. Les juges devront vérifier que la personnecondamnée a « effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine,de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre ». Cetajout, par le Conseil constitutionnel, est de nature à sensiblement limiter le nombre de mesurespouvant être effectivement prononcées.

La validation de la loi par le Conseil constitutionnel n’a pas empêché le Comité des droits del’homme des Nations unies à montrer des inquiétudes quant aux conditions effectives de mise enœuvre46 :

« Le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie est habilité en vertu de la loino 2008/174 du 25 février 2008 à placer des personnes condamnées pénalement, en rétention desûreté. Il est d’avis que la pratique pourrait continuer de poser des problèmes au regard des articles9, 14 et 15 du Pacte. »

À ce stade, et avant d’examiner ce qu’a été l’analyse de la CEDH à propos de l’application dela loi allemande, il paraît utile de rappeler ce que disait le Comité national consultatif d’éthique :

« Le traitement n’a pas (et ne peut pas avoir) pour objectif la prévention d’une récidive délin-quante mais la mise en œuvre d’un travail (difficile et incertain) d’élaboration psychique quipermet au sujet souffrant engagé dans le travail, de repérer son fonctionnement mental, son moderelationnel et leurs conséquences, et le cas échéant d’y remédier. Dire cela ne constitue pas undésengagement coupable mais une nécessité thérapeutique, particulièrement en psychiatrie. Lesoin peut, peut être et de surcroît, contribuer ainsi à la prévention. En cette matière, il faut direavec humilité mais détermination, que le risque zéro n’existe pas et que le futur ne se prédit pas,mais que tout homme a en lui des capacités évolutives et des aptitudes au changement.

« C’est en recentrant la médecine, et plus singulièrement la psychiatrie, sur son objet premier, lapersonne malade, que l’on aura le plus d’efficacité thérapeutique, non pas en exercant un chantageà la médecine comme alternative à l’emprisonnement ».

2.2.2. Les limites pratiques posées par la CEDHHuit autres États parties à la Convention au moins ont adopté des systèmes de détention de

sûreté. Ces pays sont l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Italie, le Liechtenstein, Saint-Marin,la Slovaquie et la Suisse. Dans ces États, la détention de sûreté est ordonnée par les juridictionsde jugement et en général exécutée après que les personnes concernées ont purgé leur peined’emprisonnement, ce, à l’exception du Danemark, où la détention de sûreté est ordonnée à laplace d’une peine d’emprisonnement. La dangerosité des détenus est réexaminée périodiquement

44 Code de procédure pénale, Art. 706-53-13.45 C. Constit., 21 février 2008, no 2008-562 DC, JO 26 février 2008, p. 3272, §19.46 Observations finales, 25 juillet 2008, Rapport de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

CCPR/C/FRA/CO/4.

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et ceux-ci sont libérés sous condition, s’ils ne constituent plus un danger pour la collectivité47.La Cour s’est prononcée en application de la loi allemande, et sa décision est d’une large portéecar elle statue sur la question du lien entre le fait d’origine, et la mesure de rétention.

Un homme né en 1957 avait été condamné sept fois, avec une dernière condamnationle17 novembre 1986 pour tentative de meurtre et de vol qualifié, le tribunal le condamnant pources faits à une peine d’emprisonnement de cinq ans et ordonnant son placement en détentionde sûreté à l’issue de cette période, en visant sa propension à commettre des infractions graves.Après la fin de la peine d’emprisonnement le 18 août 1991, a commencé la période de détentionde sûreté. Le détenu a formé plusieurs demandes de suspension qui ont été rejetées, malgré dessoins psychiatriques suivis, et le 26 octobre 2001 encore la cour d’appel de Francfort a dit lestextes applicables conformes à la constitution et a maintenu la détention. Le 5 février 2004, laCour constitutionnelle avait confirmé le caractère constitutionnel de la loi.

Pour la CEDH, la détention doit résulter de la condamnation, se produisant « à la suite et parsuite » – ou « en vertu » – « de celle-ci »48. Il doit exister un lien de causalité suffisant49, qui sedétend au fil du temps, mais qui se rompt si le maintien en détention perd son caractère raisonnable.À défaut, une période de détention de sûreté, régulière à l’origine, devient une privation de libertéarbitraire, incompatible avec l’article 550.

Le texte permettant le mieux d’analyser cette possibilité est l’alinéa c) de l’article 5 § 1, auxtermes duquel la détention peut se justifier « lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire à lanécessité d’empêcher [la personne] de commettre une infraction ». Mais pour la Cour, ce motifde détention ne se prête pas à une politique de prévention générale dirigée contre une personne oucatégorie de personnes qui se révèlent dangereuses par leur propension continue à la délinquance :« Il se borne à ménager aux États le moyen d’empêcher une infraction concrète et déterminée51.Cela ressort à la fois de l’emploi du singulier – une infraction – et du but de l’article 5 : assurerque nul ne soit arbitrairement dépouillé de sa liberté. Le risque de commettre d’autres infractionsgraves ne fait référence qu’à des infractions potentielles, ce qui n’est pas aussi concret et précisque l’exige la jurisprudence de la Cour52.

Dans une affaire jugée le 24 juin 1982 à propos d’une loi belge permettant un dispositif de cetype, la Cour avait rejeté le recours formé par une personne qui avait fini de purger sa peine, maisqui faisait l’objet d’un suivi avec plusieurs retours en centre de détention, du fait d’échecs dansle processus de réinsertion. Pour la Cour, il existait un lien entre la condamnation et les mesuresprises, dans la mesure où les autorités belges avaient témoigné de patience et de confiance, aména-geant, malgré le comportement de la personne, plusieurs occasions de reclassement : « la manièredont elles ont usé de leur pouvoir a respecté les exigences de la Convention qui s’accommoded’une indétermination relative de la sentence »53.

47 Observations critiques du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Thomas Hammarberg, visiteoctobre 2006, CommDH (2007) 14 du 11 juillet 2007. De même : Comité européen pour la prévention de la torture et despeines ou traitements inhumains ou dégradants, CPT/Inf (2007) 18 du 18 avril 2007.48 CEDH, Van Droogenbroeck précité, § 35.49 CEDH, Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 42, série A no 114 ; CEDH, Stafford c. Royaume-Uni [GC],

no 46295/99, § 64. CEDH, Waite c. Royaume-Uni, no 53236/99, § 65, 10 décembre 2002 ; CEDH, Kafkaris c. Chypre[GC], no 21906/04, § 117.50 CEDH, Van Droogenbroeck précité, § 40 ; CEDH, Eriksen précité, § 78 ; CEDH, Weeks précité, § 49.51 CEDH, M. c. Allemagne, 17 décembre 2009, Requête no 19359/04 CEDH, Guzzardi précité, § 102 ; CEDH, Eriksen

précité, § 86.52 CEDH, Guzzardi précité, § 102.53 CEDH, Plénière, Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, Requête no 7906/77.

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En revanche, dans l’affaire allemande, la Cour a jugé qu’il n’existait pas un lien de causalitésuffisant entre la condamnation du requérant prononcée en 1986 et la prolongation de sa privationde liberté54.

Au regard de ces décisions de jurisprudence, la loi n’est pas condamnée, mais s’agissantdes possibilités effectives d’application, la marge sera mince. Il faudra établir, pour respecter ladécision du Conseil constitutionnel, et démontrer, que du temps de la détention tout a été faitpour la prise en charge psychiatrique, et pour respecter la jurisprudence de la Cour européennedes droits de l’homme, prouver la nécessité de maintenir la rétention au regard de la qualité de laprise en charge et des projets effectifs de réinsertion.

3. Les traitements inhumains et dégradants

Article 3 de la Convention : nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitementsinhumains ou dégradants.

La jurisprudence de la CEDH (3.1) a des incidences très directes en droit francais (3.2).

3.1. La jurisprudence de la CEDH

L’article 3 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe entermes absolus les traitements inhumains ou dégradants55. Ces dispositions doivent permettre uneprotection efficace, notamment des enfants et autres personnes vulnérables, et inclure des mesuresraisonnables pour empêcher des mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dûavoir connaissance56. Il faut, dans le cas de la maladie mentale, tenir compte de la particulièrevulnérabilité des patients57.

Les États sont dans l’obligation de protéger la santé des personnes privées de liberté58. Lemanque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l’article 359. Enparticulier, pour apprécier si le traitement ou la sanction concernés étaient incompatibles avec lesexigences de l’article 3, il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilitéet de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente, ou à se plaindre toutcourt, des effets d’un traitement donné sur leur personne60. Il convient également, au sein de lavaste catégorie des maladies mentales, de distinguer celles, telle la psychose, qui comportent,pour les personnes qui en souffrent, des risques importants.

Lorsqu’une personne se trouve privée de sa liberté, l’utilisation à son égard de la force physique,alors qu’elle n’est pas rendue nécessaire par son comportement, porte atteinte à la dignité humaineet constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 361.

54 CEDH, M. c. Allemagne, no 19359/04, 17 décembre 2009.55 CEDH, A. c. Royaume-Uni, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, p. 2699, § 22.56 CEDH, Osman c. Royaume-Uni, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, pp. 3159-3160, § 116.57 CEDH, Aerts c. Belgique du 30 juillet 1998, Recueil 1998-V, p. 1966, § 66 ; VEDH, Keenan précité, § 111 et CEDH

Rivière c. France, no 33834/03, § 63, 11 juillet 2006.58 CEDH, Hurtado c. Suisse du 28 janvier 1994, série A no 280-A, avis de la Commission, pp. 15–16, § 79.59 CEDH, Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII.60 CEDH, Keenan c. Royaume-Uni, 3 avril 2001, Requête no 27229/95 ; CEDH, Aerts c. Belgique du 30 juillet 1998,

Recueil 1998-V, p. 1966, § 66 ; CEDH, Herczegfalvc. Autriche, 24 septembre 1992, Requête no10533/83, pp. 25–26, § 82.61 CEDH, Anta c. Roumanie, 3 juin 2003, Requête n◦ 33343/96 ; CEDH, Tekin c. Turquie, 9 juin 1998, Recueil 1998-IV,

pp. 1517–1518, §§ 52 et 53 ; CEDH, Labita c. Italie, GC, no 26772/95, § 120, CEDH 2000-IV.

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Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimumde gravité. L’appréciation de ce minimum est relative. Elle dépend de l’ensemble des donnéesde la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsique, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime62. Les allégations de mauvaistraitements doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés63. La Cour n’a pas interdit,au nom du principe de proportionnalité, l’expulsion d’un patient sidéen vers l’Ouganda64.

3.2. Les incidences en droit francais

La jurisprudence de la CEDH impacte le droit francais pour donner un contenu positif auprincipe de dignité (3.2.1) et à propos des conditions soins aux détenus (3.2.2).

3.2.1. Le principe de dignitéPrévu pour sanctionner les violations du droit les plus graves, l’article 3 ne sert pas moins de

référence en droit interne, et en pratique il s’agit moins de sanctionner directement la torture oule traitement inhumain, que de donner un contenu positif au principe de dignité. La vigilance desjuges témoigne de la juste perception des enjeux.

Le Conseil d’État n’a pas interdit d’une manière générale l’usage du Taser par les forces del’ordre, mais il avertit qu’un cas de mésusage ou d’abus relèverait des cas de traitements cruels,inhumains ou dégradants définis par l’article 365.

Si les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuventlégitimer l’application à un détenu d’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, c’està la double condition, d’une part, que le recours à ces fouilles intégrales soit justifié, notamment,par l’existence de suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieursou les circonstances de ses contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles se déroulent dans desconditions et selon des modalités strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et cescontraintes. Aussi, pour respecter les dispositions de l’article 3 de la Convention, l’administrationdoit justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la proportionnalité des modalitésretenues66.

Le juge judiciaire refuse, au visa de l’article 3 de la Convention, l’extradition d’une personne quiencourt une peine de réclusion à perpétuité, incluant vingt ans à l’isolement et sans aménagementpossible67 ou si le risque torture est avéré68.

Mais le juge veille à ne pas tout placer sous l’angle de la dignité, pour garder la force de lanotion.

Le fait d’accorder une autorisation de sortie sous escorte à un détenu devant consulter unmédecin pour le traitement d’un cancer, ne constitue pas en soi un traitement inhumain et dégradantau sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits.

Dans un centre de rétention disposant d’un espace réservé aux familles, le fait de maintenirdans un tel lieu une jeune mère de famille, son mari et leur bébé de deux mois et demi ne constitue

62 CEDH, Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 24, CEDH 2001-VII, Mouisel c. France, no 67263/01, § 37, CEDH 2002-IX, et Gennadi Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 108, 10 février 2004.63 CEDH, Klaas c. Allemagne, arrêt du 22 septembre 1993, série A no 269, pp. 17–18, § 30.64 CEDH, 27 mai 2008, N. c/ Royaume Uni, no 26565/05.65 CE, 2 septembre 2009, no 318584.66 CE, 14 novembre 2008, no 315622.67 CA Toulouse, 23 octobre 2008, no 08/00029.68 Cass. Crim. 18 août 2010, no 10-85717.

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pas un traitement inhumain au sens de l’article 369. S’agissant de la détention d’une personnehandicapée, le juge doit rechercher si cette personne ne se trouve pas exposée, en raison desconditions effectives de détention dans un autre établissement pénitentiaire, à une détresse ou àune épreuve qui excéderait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention70.

Une association avait attaqué devant le Conseil d’État le décret permettant la mise en œuvrede l’article L. 2123-2 du code de la santé publique. Le Conseil d’État71 écarte la contradictionavec l’article 3, mais il souligne toutes les dispositions :

• la stérilisation ne peut être pratiquée sur une personne mineure ;• l’existence d’une contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une

impossibilité avérée de les mettre en œuvre efficacement doit être constatée ;• si la personne est apte à exprimer sa volonté, la stérilisation ne peut lui être imposée ;• les conditions dans lesquelles le juge des tutelles est amené à se prononcer sont définies avec

précision, et ce juge est tenu d’entendre la personne concernée, ses parents ou son représen-tant légal et de recueillir l’avis d’un comité d’experts composé de personnes qualifiées sur leplan médical et de représentants d’associations de personnes handicapées, lequel apprécie lajustification médicale de l’intervention, ses risques ainsi que ses conséquences normalementprévisibles sur les plans physique et psychologique.

3.2.2. La situation des détenus maladesS’agissant des interventions médicales auxquelles une personne détenue est soumise contre sa

volonté, l’article 3 de la Convention impose à l’État une obligation de protéger l’intégrité physiquedes personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis72.Les personnes concernées n’en demeurent pas moins protégées par l’article 3, dont les exigencesne souffrent aucune dérogation73.

Il en va ainsi lorsque le maintien en détention a constitué une épreuve particulièrementpénible et causé une souffrance allant au-delà de celle que comportent inévitablement une peined’emprisonnement et un traitement anticancéreux. Un traitement était « dégradant » en ce qu’ilétait de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propresà les humilier et à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale74 ou àles conduire à agir contre leur volonté ou leur conscience75.

69 Cass. Civ. 1o, 10 décembre 2009, no 08-14141.70 Cass. Crim. 25 novembre 2009, no 09-82971.71 CE, 26 septembre 2005, no 248357.72 J.P. Céré, Le détenu malade : Le traitement du droit européen, AJ Pénal juillet 2010, p. 325. Jurisprudence de référence

la CEDH : CEDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell, req. no 7819/77, série A ; CEDH, 21 février 1975, Golder, req. N◦4451/70 ; CEDH, 14 novembre 2002, Mouissel, req. N◦ 672631/01 ; CEDH, 16 octobre 20089, Frerot, req. no 70204/01.Pour le droit francais : J.L. Senon et D. Richard, Punir ou soigner : histoire des rapports entre psychiatrie et prison jusqu’àla loi de 1994, Revue pénitentiaire et de droit pénal, janvier 1999 ; L.L. Senon et C. Manzarena, Troubles mentaux etprison, AJ pénal, 2007, p. 155 ; P. Hennion-Jacquet, Soigner et punir. L’improbable conciliation entre santé et prison,RTDSS 2007, p. 259 ; P. Hennion-Jacquet, Dignité et détention des personnes souffrant de troubles mentaux : et si la justices’arrêtait aux portes des prisons, RTDSS, 2009, p. 509 ; C. Bergoignan-Esper, La santé en prison : quelle législation ?;Revue trimestrielle de droit sanitaire et social, 2009, p. 497 ; E. Péchillon, Le droit des UHSA : La création progressivede zones pénitentiaires dans les hôpitaux psychiatriques, AJ Pénal, juillet 2010, p. 322.73 CEDH <fn0355>Mouisel, arrêt précité, § 40, et CEDH, Gennadi Naoumenko, arrêt précité, § 112.74 CEDH, Hurtado c. Suisse, 28 janvier 1994, § 67, avis de la Commission, série A no 280.75 CEDH, Danemark, Norvège, Suède et Pays-Bas c. Grèce nos 3321/67, 3322/67, 3323/67 et 3344/67, rapport de la

Commission du 5 novembre 1969, Annuaire 12, p. 186, et CERDH, Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 110, CEDH2001-III.

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En recherchant si un traitement est « dégradant » au sens de l’article 3, la Cour examineranotamment si le but était d’humilier et de rabaisser l’intéressé, mais l’absence d’un tel but nesaurait exclure de facon définitive un constat de violation de l’article 376.

Une mesure dictée par une nécessité thérapeutique du point de vue des conceptions médicalesétablies ne saurait en principe passer pour inhumaine ou dégradante77. Il incombe pourtant à laCour de s’assurer que la nécessité médicale a été démontrée de manière convaincante et que lesgaranties procédurales dont doit s’entourer la décision de procéder à une telle mesure, existent etont été respectées78.

Il faut, en outre, tenir compte des points de savoir si l’intervention médicale pratiquée sous lacontrainte a causé à la personne concernée de vives douleurs ou souffrances physiques, si elle a étéordonnée et exécutée par des médecins, si la personne concernée a fait l’objet d’une surveillancemédicale constante et, enfin, si ladite intervention a entraîné une aggravation de l’état de santé del’intéressé ou a eu des conséquences durables pour sa santé79.

La Cour rappelle que, pour l’appréciation des éléments de preuve, elle se rallie au principede la preuve « au-delà de tout doute raisonnable »80. Une telle preuve peut néanmoins résul-ter d’un faisceau d’indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précises etconcordantes81.

76 CEDH, Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII ; CEDH, Peers c.Grèce, no 28524/95, § 68 et 74, CEDH 2001-III, et Price, arrêt précité, § 24.77 CEDH, Herczegfalvy c. Autriche, arrêt du 24 septembre 1992, série A no 244, pp. 25–26, § 82, et Gennadi Naoumenko,

arrêt précité, § 112.78 CEDH, Jalloh c. Allemagne, no 54810/00, § 69, CEDH 2006-IX.79 CEDH, Jalloh, précité, § 72–74.80 CEDH, 7 octobre 2008, Bogumil c. Portugal, no 35228/03, § 73.81 CEDH, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 161 in fine ; CEDH, Aydin c. Turquie, 25

septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1889, § 73 ; CEDH, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 88, CEDH 1999-V ;CEDH, Nevmerjitski c. Ukraine, no 54825/00, § 72, CEDH 2005-II.