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Boîte à mots, boîte à photos Textes Françoise Ferlin-Sagon Photographies Marc Steiner

Bavardages et Clichés

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un dialogue entre mots et images

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Boîte à mots, boîte à photos

Textes Françoise Ferlin-Sagon Photographies Marc Steiner

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La photographie est une manière d’exprimer mon goût des belles choses, de la nature et de la vie.

Epris du temps long et flegmatique créateur d’images, j’aime à prendre le temps de composer ma photographie.

Marc Steiner http://marcsteiner68.blogspot.com/

Quand mots et images se répondent..... « L'art sert à laver la poussière de tous les jours » disait Picasso, lorsque je contemple une image, photographie ou peinture, mon esprit s'évade et la plume me démange.... Poser des mots sur des émotions que les œuvres suscitent.. Françoise Ferlin-Sagon

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Boîte à mots, boîte à photos Nous avons souhaité établir un dialogue entre l’écriture et l’image…... Tous deux membres de la même association de photographes, SLPLP ² ² SLPLP, St Louis pour la Photo

Photo de couverture, Vevey, Suisse

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Cracovie, Pologne

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« Pour ne pas oublier Mamusia Ruchla » Moszek a vingt deux ans : il est étudiant dans une école de journalisme à Varsovie. A l'instar de son modèle Ryszard Kapuscinski, il veut parcourir le monde et rapporter dans ses bagages reportages et photos extraordinaires. « Avant cela, tu ne dois pas oublier d'où tu viens, savoir parler des tiens, de tes origines » lui conseille Vladimir Holubowicz son professeur. Moszek, qui rêve de longs voyages en avion, soupire et se rend à la gare : « un billet pour Cracovie, destination Passé » Et qui mieux que sa grand-mère qui répond au joli nom de Ruchla , la version Yiddish de Rachel, comme elle aime à préciser, pourra lui parler des siens, de ceux qui ne sont jamais revenus des camps et aussi de ceux qui ont survécu, aimé et construit la Pologne d'aujourd'hui. « Tout a déjà été écrit dans les livres d'Histoire, Mamusia, raconte moi tes jeunes années..... Le regard bleu pervenche de Mamusia Ruchla s'éclaire, les sillons creusés par les sourires et les larmes s’estompent et de ses longues mains ri-dées elle caresse le visage de ce petit fils qu'elle aime et admire mais qui se fait si rare depuis qu'il est parti pour la capitale : « Aide-moi à me lever et commande un taxi, je vais te montrer où tout a commencé » Il y a soixante sept ans que Ruchla n'est pas revenue dans ce quartier de Cracovie, ce quartier juif, berceau de toute la famille et qu'elle a quitté « pour ne pas être emmenée comme les autres », chuchote- elle, un sanglot dans la voix. Le bras appuyé sur celui de Moszek, elle hésite, cherche sa route, plisse les yeux pour lire les noms des rues, fait demi-tour, arrête des passants incrédules, puis soudain s’exclame : « c'est là, c'est là, oui tu vois, tu la vois l’enseigne avec la machine à coudre, elle est encore là, c'est là que je travaillais comme couturière, c'est là, sur ce trottoir que ton grand-père m'a embrassée le premier jour du printemps 1938.... » les mots se bouscu-lent, les années défilent.... « Entrons Mamusia, n'aie pas peur, je suis là » Ruchla pousse la lourde porte et tout doucement, comme pour ne pas déranger le passé, entre dans la cour où la douce lumière du soleil couchant dessine les contours des machines à coudre...mais tout a changé, le petit atelier est devenu un bar branché....Peu importe, Mamusia Ruchla a re-trouvé son sourire, sa jeunesse et son petit-fils Moszek qui a promis de ne plus attendre le prochain Hanoucca pour venir l'embrasser... Avant de repartir, Moszek sort son appareil photo, il a un papier dont il est fier mais il lui manque l'image : ce sera celle-ci," juste pour ne pas oublier ce moment, sa Mamusia, d'où je viens, savoir parler des miens, de mes origines...." 24 mai 2012, page 5 du Dziennik Polski Un article « Pour ne pas oublier Mamusia Ruchla » 2500 signes, une photo, une signature Moszek ABRAMOVICZ

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Mémoires d’une chasse d’eau

Mon prénom est Jacob , je suis né le 14 février 1907, verseau ascendant poissons, deux signes d’eau, heureux présage. Je ne suis ni le dernier des patriarches, ni un écrivain surréaliste, quoique….J’en ai vu, des choses surréalistes . Aujourd’hui j’ai cent ans et je me suis dit qu’il était temps, plus que grand temps d’écrire mon auto-biographie avec cette tendre et cruelle auto-dérision qui me caractérise. J’ai cette distinction aristocra-tique qu’on prête à la noblesse d’antan. Presque une pièce de musée ! tout est d’origine ! Un long cou élégant, un chapeau qui a quelque peu rouillé au fil du temps et surtout une longue chaîne que l’on actionne avec une ferveur à chaque passage renouvelée. Je suis une source, une fontaine, comme m’appelait mon ami Marcel Duchamp qui m’a rendu visite au temps de ma jeunesse. Ah Marcel ! Je vous raconterais notre rencontre. Je suis un privilégié, je vis à Paris, au sixième étage sans ascenseur, d’un immeuble cossu du 2ème arrondissement. Je reçois les caresses des plus belles jeunes femmes de la Capitale : Femmes de chambre, soubrettes coquines et gourmandes cuisinières, lors-que j’étais l’unique havre de paix pour les quelque douze chambres de bonnes… Autre époque, autres muses, mais finalement rien n’a changé : j’ai toujours le bonheur de pouvoir admirer les parties les plus cachées de ce que les livres appellent le beau sexe ! Les bonnes ont disparu et avec elles les Ginette, Paulette, et autres Georgette, elles ont fait place à des Jénnifer, jeunes filles au pair insolentes dé-barquées des States comme ils disent, des charmantes Amélie, étudiantes en Archi et autre Frany de l’école du Louvre. Les points de vue et images du mondes, et les romans photos à l’eau de rose ont disparu, et ont été remplacés par de la littérature américaine que j’affectionne tout particulièrement, des revues d’Art où je puis régulièrement des nouvelles de mon ami Marcel, et la Biographie en cinq volumes du Corbusier que je commence à connaître par cœur ! Quand Amélie passera-t-elle à Renzo Piano ?….J’ai lu dans Art Magazine qu’il avait fait les plans de la Fondation Beyeler et….Bon je m’arrête, je suis un vieux Monsieur qui radote et fait un peu étalage de sa culture, mais j’ai le temps de lire vous savez ! Mes journées sont longues, et mes nuits entrecoupées de claquements de portes. J’ai eu droit à trois liftings, mon ami le vieux plombier italien Rapotti est parti dans un monde meilleur il y a quinze ans déjà ! Un artiste cet homme-la ! maintenant c’est une société plus qu’anonyme une sorte de collectif d’artistes sans talent qui me raffistole sans amour. J’aurais volontiers noyé le dernier quand il a déclaré d’un ton didactique : « On peut vous remplacer ce vieux machin par le tout dernier modèle, bouton pressoir deux vitesses, garantie six mois pièces et Main d’œuvre » Sauvé par le Syndic ou plutôt, chose étrange, par le trésorier du Syndic « On ne va pas faire des frais pour des loyers à 200€ ! » Je suis donc en sursis, je me mets parfois à rêver d’une retraite artistique…Un certain Gemis étudiant d’art et fou amoureux de ma petite Frany m’a capturé en photo avec son Laïca : cadrage serré, flou artistique, un projet d’art comme il dit : « trop conceptuel vos latrines, elles sont dignes d’être exposées au MOMA…

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Zillisheim, France

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Zillisheim, France

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L'Anar ou la bibliothèque refuge

Je ne suis qu'un vieil Anarchiste, mais il y a un lieu où j'aime à me recueillir comme dans une église, surréaliste non pour un anarchiste ?

Je passe le plus clair de mes longues journées de retraité à arpenter les étagères poussiéreuses de la bibliothèque de cette triste ville de province où l'on s’ennuie....Je suis trop vieux et je ne cours plus assez vite pour brûler des voitures ou coller des affiches contestataires....alors je peux juste me mettre en colère contre ces livres qui n'en sont pas !

Parce qu’elle rentre dans un 36 et qu’elle braille comme une chatte en chaleur dans un micro phallique…. Parce qu’il sait plus ou moins bien martyriser un ballon rond, ovale ou carré…. Parce qu’elle a mis dans son lit, sa baignoire ou son grille pain, hommes politiques véreux, écrivains ratés et religieux défroqués…. Parce qu’il a traversé l’atlantique sans se noyer en moulin à légumes , en planche à repasser à hélices…..

Ils ont décidé de vomir sur papier glacé d’ennui leur pseudo expérience mystico-débilo post surréaliste…. Je dis NON…. »Je suis colère » comme on dit dans mon pays de soleil où l’ironie est reine…. Certes la critique est aisée et l’art est difficile….Mais STOP à la destruction des forets pour torturer la langue française…. Banaliser la psychanalyse de concierge, glorifier la masturbation intellectuelle….. Si vous n’avez rien à dire…..Ne dites RIENOu venez étaler votre QI d’huître sur la sinistre lucarne…Elle est faite pour cela…. Il paraît….Je ne sais pas…..Je ne sais plus…. La dernière fois que je l’ai allumée, Bernard Pivot nous apostrophait, Pierre Desproges avait sa minute nécessaire, et l’on discutait à bâtons rompus jusqu’à tard dans la nuit dans les volutes parfumées des pipes des invités de Michel Pollack… Politiquement incorrect….Délicieusement subversif…Mais époque Révolue….Je suis un vieux con qui éjacule sa colère….Ces livres qui n’en sont pas… Ces vies qui ne méritent pas d’être vécus….Ou à la rigueur en silence médiocre…. Certes tout le monde ne peut pas être le Dalaï-lama, Mère Thérésa ou Saint Exupéry, mais Pitié !!!! Laissez survivre encore un peu les arbres…. Ceux qui ne sont pas encore empoisonnés par votre acide abject…. Et laissez-nous circuler sans être encombrées par ces piles de torchons brouillons, Musarder en flânant dans notre bibliothèque et hésiter entre un Voltaire, un Rabelais, Boris Vian ou un Sagan, pas entre un Loana et ses mensura-tions inversement proportionnelles à son QI , un footballeur rustique (poutres apparentes rien dans le grenier) ou un locataire analphabète du Loft (qui comme son nom ne l’indique pas, est loin d’être un atelier d’artistes…..) Je ne suis qu’un vieil Anarchiste, un peu gauchiste, un peu écologiste…Juste un vieux CON CONTRE les livres qui n’en sont pas, qui n’en sont plus…. Heureusement tu es encore là « mon lieu » mon refuge.....

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Je voudrais tant prendre la clé des champs !

Mon prénom s’orthographie de deux manières : clef ou clé. On me réduit à une définition bien pauvre, d’après mon ami Larousse

je ne suis « qu’un dispositif amovible permettant d'actionner un mécanisme ». Et pourtant !

Je ne suis pas :

La vulgaire clé à molette, trop mécanique…, la clé USB , assez d’informatique…

La clé du mystère, trop énigmatique…., la clé de sol, trop philharmonique….

La clé de voûte, pas assez gothique…, la clé en main, pas assez économique…

La clé des ondes, trop radiophonique…

Je voudrais être :

La clé du verrou de Fragonard, si érotique…

La clé de ton cœur, inlassable romantique….

Avoir dans la vie un rôle clé médiatique …

Et surtout prendre la clé des champs, allégorique…

Ils ont changé la serrure qui grinçait, complainte mélancolique…

Alors je suis là, oubliée au fond d’un roman à tiroirs, que plus personne ne lit, trop poétique !

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Barcelone, Espagne

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LE MELO DE GINETTE

Le mélo n’est plus à la mode, qu’importe….

Tout comme son prénom……D’un autre temps….D’une autre misère……

Elle s’appelait Ginette….On l’a retrouvée étendue sans vie ce matin dans son deux pièces de la rue de la Goutte d’Or.

Pas un accident dû au chauffage….Elle n’avait plus de chauffage depuis longtemps….

Pas un suicide…Elle l’aimait, la vie !

Pas sa vie……Mais la vie.

La vie d’hier, celle de sa jeunesse où la cigale Ginette se prénommait encore Sonia.

« Modi » l’avait fait poser dans son atelier glacial de Montmartre, mais en artiste

Maudit il n’avait jamais pu la payer….

Alors elle avait conservé la toile qu’il avait faite d’elle en « Princesse au cou allongé » témoin de sa beauté passée….

Ginette et Sonia sont mortes de froid ce matin avec une fortune accrochée à leur mur qu’un musée exposera sans doute….

Elle s’appelait Ginette….

L’Histoire ni grande ni petite ne retiendra son nom….L’Histoire de l’Art peut-être….

En étiquette au bas d’un tableau exposé dans un musée surchauffé : « La princesse au long cou » 1919 Modigliani

Elle s’appelait Sonia, elle est morte un matin d’hiver….Le mélo de Ginette….

Le mélo pas tout à fait oublié…..

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