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Boileau, Nicolas (1636-1711). Art poétique de Boileau. 1881. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Boileau, Art poétique, 1674

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Page 1: Boileau, Art poétique, 1674

Boileau, Nicolas (1636-1711). Art poétique de Boileau. 1881.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :  *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.  *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :  *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.  *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Page 2: Boileau, Art poétique, 1674

BOILEAU

ART

POÉTIQUE

HACHETTK ET G"

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Page 4: Boileau, Art poétique, 1674

ART POÉTIQUE

DE

BOILEAU

Page 5: Boileau, Art poétique, 1674

PARIS.—IMPRIMERIEEMILEMARTINET,RUEMIGNON,2

Page 6: Boileau, Art poétique, 1674

BOILEAU

ART POÉTIQUE

HPVg^PE AVECDES NOTES

Ancienprofesseurà laFacultédeslettresdeParis

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET C*

79, BOULEVARDSAINT-GERMAIN,79

1881

Page 7: Boileau, Art poétique, 1674
Page 8: Boileau, Art poétique, 1674

L'ART POÉTIQUE

1

CHANT PREMIER5

(1669-74.—55-38).

C'est en vain qu'au Parnasseun téméraire auteurPense de Part des versatteindre la hauteur :

1. Voltairea jugéYArtpoétiquedeBoileauaveclacompétenced'undiscipleet d'unmaître.Nousn'avonsriendemieuxà faire que dereproduirecequ'ilen a dit: «VArtpoétique est admirable,parcequ'ildît toujoursagréablementdeschosesvraieset utiles,parcequ'ildonnetoujoursle précepteet l'exemple,parcequ'ilest varié, parcequel'auteur,enne manquantjamaisù la puretédela langue,

Saitd'unevoixlégère,Passerdugravenudoux,duplaisantausévère.Cequiprouvesonméritecheztouslesgensde goût,c'estqu'onsaitsesverspar coeur; et cequi doit plaireauxphilosophes,c'est qu'ila presquetoujoursraison.

« Puisquenous avonsparléde ta préférencequ'on peut donnerquelquefoisaux.modernessur les anciens,on oseraitprésumericique VArtpoétiquede Boileauest supérieurà celuid'Horace.La mé-thodeestcertainementunebeautédansunpoèmedidactique; Horacen'eua point.Nousne lui en faisonspas un reproche,puisquesonpoëiueest une épîtrefamilièreauxl'isons,ci nonpas un ouvrageréguliercommelesGéorgiques;maisc'est un méritede plus dansBoileau,méritedontlesphilosophesdoiventlui tenircompte.>

« L'Artpoétiquelatinneparaîtpas,à beaucoupprès,si -travailléque Le français.Horacey parle presque toujourssur le tonlibre et familierde sesautres épi1res,(/est une extrêmejustessedans l'esprit, c'est un goût fin, ce sont des vers heureuxetpleinsdesel,maissouvenlsansliaison,quelquefoisdestituésd'har-monie; ce n'estpasl'éléganceet la correctionde Virgile.L'ouvrageest très-bon,celui de Boileauparaîtencoremeilleur;et si vousenexceptezles tragédiesde Racine,qui ont le mérite supérieurdetraiterlespassionsetde surmontertouteslesdifficultésdu théâtre,VArtpoétiquede Despréauxestsanscontreditle poèmequi fait leplusd'honneura la languefrançaise.»

2. Lechantpremiercontientlespréceptesgénérauxrelatifs à la

1

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BOILEAU.

S'il ne sent point du ciel l'iniluence secrète,Sison astre en naissant ne l'a formépoëte,Danssongénie étroit il est toujours captifÏ 5Pour lui Phêbus-est sourd et Pégaseest rétif1.

0 vousdonc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse,Courezdu bel esprit la carrière épineuse2,N'allezpas sur des vers sans fruit vous consumer, 10Ni prendre pour génie un amour de rimer :Craignezd'un vainplaisir les trompeusesamorces3,Et consultezlongtempsvotre esprit et vos forces*.

La nature, fertile en esprits excellents,Sait entre les auteurspartager les lalents8.L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme, 15L'autre d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme.Malherbed'un héros peut vanter les exploits6,Racanchanter l'hilis, les bergers et les bois7.

vocationpoétique,5 la composition,à l'ëloculion-et à la critique.L'énumérationet la descriptiondes genreslittérairesaurontplacedanslesdeuxchantsqui suivent.

1. L'habitudederéciterlesversde ce début fait illusionsur sesimperfections.Ainsi,on neremarquepasquedanslesdeuxpremiersversla figure:estvicieuse.LeParnasseétantunemontagne,onpenseà sa cime,qu'ilest difficiledegravir,et nona la hauteurde l'artdesvers,qui-estunefigureintellectuelle,déplacéecii regardd'uneimagephysique:commecelleduParnasse,montagnede la Thessalic.Dansle dernierdistique,Onne voitpas commentte poètecaptif,c'est-à-direenfermé,dansson génieétroit, pourraiten sortirpouréprouversi Pégaseluiestrétif. Lelangagefigurés'adresseà l'imagi-nation,et puisqu'ill'éveille,ildoitla satisfaire.

$. La carrière du bel espritest la carrièredeslettres. Cemotn'avaitpasencorel'acceptionpresquedéfavorableque lui a donnéel'abusqu'onena faiten le prodiguantà desécrivains,médiocresetmanières.

3. Trompeusesamorcesfait penserau motsi judicieuxd'Horace:Hoenugaesuriaducent

Inmaladerisumsemaiexceptutnquesinistre..Eh effet,lorsqu'ona.composéde méchantsvers,on n'en est.pas.quittepournepasréussir,on devientridicule.

4. Horace,Artpoétique,vers39:Etversalediuquidferrerécusent,

Quidvaleantflumeri.8. Il en-estde mêmeparmilesanimaux,suivantla Fontaine:

Toutanimaln'apastoutepropriété.6. Lesodeshéroïquesde<Malherbeont rangparmi-les meilleures

pièceslyriquesde la langue.7.Cetélogeconvientmieux-augéniedo ftacanqueles versde la

satireH, oùBoileauen faitpresqueun rival-d'Homère:Suruntonsihardi,sansêtretéméraire,Sncairpourriitchanteradéfautd'uirUomere.

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ART POÉTIQUE, CHANTI. S

Maissouventun-esprit qui se flatte et qui s'aimeMéconnaîtson génie, et s'ignore soi-même: 20Ainsitel autrefoisqu'artvit avecfaret 1Charbonnrerde sesvers-lesmurs d'un cabaret*,S'en va mal S proposd'une voir insolenteChanterdu peuplehébreu la fuite triomphante,Et, poursuivantMoïseau travers desdéserts, 25CourtavecPharaon se noyerdans-lesmers*.

Quelquesujet qu'on traite',ou plaisant, ou sublime,Quetoujoursle bon sens s'accordeavecla rime;L'un l'autre vamemer.*ils semblentse haïr :La rime est une esclave,et ne doit qu'obéir. 30Lorsqueà la bien chercherd'abordon s'évéftue,L'esprit à la trouveraiséments'habitue,Aujoug de la raisonsanspeineelle fléchit,Et loinde la gêner, la sert et l'enrichit.Mais,lorsqu'onla néglige,elle devientrebelle, 35Et pour la rattraper' le senscourtaprèselle4.

1. Faret,auteorde¥Honnêtehomme,ouVArtdeplaireà la cour,et dequelquesautresouvragesd'histoireet demorale,doità saliai-sonavecSaint-Amantet à ladésinence'desonnom,quirimesi riche-mentà cabaret,un renomd'ivrogneriequ'il n'a pasmérité.Secré-taireducomted'Harcourt,estimédettichelieu,ilfutun desmembresfondateursde l'Académie,et prit part à la rédactiondes statutsde l'Académie.11n'en reste pasmoinssous le coupdecesversde Boileauet dé cette staucede Saint-Amant,où son nom estaecouplérfela mêmesorte:

0bonivrogneIôcherFaretIQu'avecraison'nila((«vtlleiEvrtut)"mépriseslOnyvoitplusdecentéglises,-Etpasunpauvrecabaret.

2. llartial,livreXII,épigrammeLXI:Nigrifornicisebrium-uoelamQuicarbonerudiputriquecretaScribitcarmina.

3:.Cesvers s'rppliquentà Sàinl-Aiiiant,qui,,aprèsavoirréussiilànsTegenrebaehiqucpardesverspleinsdeverve,échoualorsqu'il3utl'ambitiond'écriresonidyllehéroïquedeMoïsesauvé.Voir,surcepoète,p. 20, note3.

4. Cesdouzeverssur la rimesont richement,rimeset.fortementpensés.On; voitla rimedanssonvrairôle d'esclavedocile; maistropsouventc'estuneesclaverebelle,qui dominele poëtc,loindeluiobéir.Lorsquelesversificateurscèdentà la rime,et que cettefaiblesseest sensible,il n'ya riende plusfastidieuxquenotreversfrançais;C'estde tousles métiersle plusfacileet le plusmépri-sable.Quoiqu'il en soit, «la rime,dit fort bienMarmontel,estunplaisirpourl'esprit,par la surprisequ'ellecause,et lorsqueladifficulté,heureusementvaincue,n'afaitquedonnerplusdesaillieetde vivacité1,plusdegrâceoud'énergieà l'expressionetà la pensée.•D'ailleurs,commeditVoltaire,épîtreà Horace:

Larimeestnécessaireà nosjargonsnouveaux,

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4 BOILEAU.

Aimezdonc la raison : que toujoursvosécritsEmpruntentd'elle seule et leur lustre et leur prix1.

Laplupart, emportesd'une fougueinsensée,Toujoursloin du droit sensvontchercherleur pensée : 4()Ils croiraients'abaisserdansleurs vers monstrueux,S'ilspensaientce qu'un autre a pu penser commeeux*.Évitonscesexcès: laissonsà l'ItalieDe tous ces fauxbrillants l'éclatante folie3.Toutdoit tendre au bon sens: mais, pour y parvenir, 45Le cheminest glissantet pénibleà tenir :Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie.La raison pour marcher n'a souventqu'une voie.

Unauteur quelquefoistrop pleinde son objetlamaissans l'épuisern'abandonneun sujet4. 50S'il rencontreun palais,il m'en dépeint la facei ;11me promèneaprès de terrasse en terrasse;Ici s'offreun perron; là règne un corridor;Là ce balcons'enfermeen un balustre d'or.Il comptedesplafondsles ronds et les ovales: 55«Cene sontque festons,ce ne sont qu'astragales6. «

Enfantsdemi-polisdesNormandsetdesGoths.ElleHaltel'oreille: etsouventlàcésurePlaît,je nesaiscomment,en rompantlamesure.

\. Aprèscequiprécède,on attendraitune autreconclusion,quiserait:nenégligezpasla rime,et nevouslaissezpas tyranniserparcetteesclave.11estbiende louerla raison; il faut aussisuivreunraisonnement.

2.Marie-JosephChéniera réduiten conseilcottecrl.que:NevoustourmentezpointduscrupuleinsenséDenepenserjamaiscequ'unautrea pensé.

3. LebonsensdeBoileauprotestaitcontrel'influencede l'Italie,dontlespoètescherchentl'effetpar destraits plusbrillantsque so-lides,aiguisantet raffinantleurpensée,et jouant avecles notesmusicalesdeleurlangue.Legermede cesdéfautsexistechezleursmeilleurspoètes,Danteexcepté,et ils étaientdevenusinsupportableschezlesGuariniet lesMarini,qui faisaientécoleen France.

4. Quelquefoisetjamais, ainsirapprochés,semblentsecontredire,et formentun senslouche.Quantauxrimesobjetet sujet, si richesqu'ellessoient,ellesnesonjpasrégulières,lesdeuxmotsétantformésdansleurfinaledelamêmeracine.Deplus,tousdeuxsontprisdansle mêmesens,et detellesorte,qu'onpourraitsansinconvénientlestransposer.

5. Ce verset les suivantss'appliquentau palaismagiquedécritdansle troisièmechantde l'AlaricdeScudéry.Cettedescription,oùlesdétailsheureuxne manquentpas,secomposeau moinsde troiscentsvers.

6. VoicilesversdeScudéry.Onn'y trouvepointA'astragales:Cènesontquefestoiis,cenesontquecouronnes,Rosesetchapiteau*Piastresetcolonnes.

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ART POETIQUE, CHANTI. 5

Je saute vingt feuilletspour en trouver la fin,Et je me sauveà peineau travers du jardin 4.Fuyezdecesauteurs l'abondancestérile,Et ne vouschargezpoint d'un détail inutile. 60Toutce qu'ondit de trop est fadeet rebutant:L'espritrassasiéle rejette à l'inslant2.Quine sait se borner ne sut jamaisécrire5.

Souventla peur d'un mal nousconduit dansun pire :Un vers était trop faible,et vous le rendezdur ; 65J'évited'être long, et je deviensobscur.;L'un n'est point trop fardé, mais samuse est irop nue;L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue*.

Voulez-vousdu public mériter les amours,Sanscesseen écrivantvariezvosdiscours. 70Unstyle Irop égalet toujours uniformeEn vain brille à nosyeux, il faut qu'il nous endorme.On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,Qui toujours sur un ton semblentpsalmodier5.

Heureuxqui, danssesvers, sait d'une voixlégère 75Passerdu graveau doux,du plaisant au sévère61Sonlivre, aimédu ciel, et chéri des lecteurs,

i. Pou»réhabiliterun peucepalaissi décrié,il convientd'enciterquelquesvers,tirésde ladescriptiondel'escalier:

D'unmarbreblancetpurcentnymphesbienrangées,Degrandspaniersdefleurssurleurstêteschargées,Oùl'artcl lanatureontmisleursornements,Semblentvouloirmonterauxbeauxappartenants;Leurmaingauchesoutientcespaniersmagnifiques.Leurdroitetientlesplisdeleursrobesantiques,Etl'arta faitchanger,parsesnoblesefforts.Lesveinesdecemarbreauxveinesdeleurscorps.

2.Horace,Artpoétique,vers337:Omnesupervacuumplenodepectoremanat.

3. Voltairecomplètecettepenséeparunversanalogue,et quia eu,commeceluideBoileau,le privilègededevenirproverbeennaissant,discoursvi,vers171:

Lesecretd'ennuyerestceluidetoutdire.4. Touscesverssontimitésde VArtpoétiqued'Horace:

Invitiumducitculpoefuga,sicaretarte.(Vers31).Brevisesselaboro,

Obscurusfio; sectantemloevia,nerviDeficiuntanimique; professasgrandiaturget;Scrpithumi,tutusmmiumtimidusqueprocelloe.(Vers28).Auttlumvilathumum,nubeset inaniacaptât.(Vers280).

5. Lechantdespsaumesoupsalmodieestsur un seulton*6. Horace,Artpoétique,vers343:

Omnetulitpunctumquimiscuitutiledulci.

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6 BOILEAU

Est souventchezBarbinentouré d'acheteurs1.Quoique vousécriviez,évitezla bassesse:

Le stylele moinsnoblea pourtantsa noblesse. 80Aumépris du bon sens, le burlesqueeffronté2Trompales yeuxd'abord, plut par sa nouveauté;On ne vit plus en vers quepointestriviales,LeParnasseparla le langagedeshalles;La licenceà rimer alorsn'eut plus de frein; 85Apollontravestidevintun Tabarin3.Celtecontagioninfectales provinces,Du clerc et du bourgeoispassajusquesauxprinces;Leplusmauvaisplaisant.eutses approbateursEt, jusqu'àd'Assouci,tout trouvadeslecteurs4. 90Maisde ce style enfinla cour désabuséeDédaignade cesvers l'extravaganceaisée,Distinguale naïf duplat et du bouffonEt laissa la provinceadmirerle Typhon6.Quece stylejamaisne souillevotre ouvrage: 95

1. Horace,Artpoétique,vers345:HicmeretaéraliberSosiis.

2. Boileaua poursuivile burlesqueà outrance.Il le détestaitsicordialement,qu'illui estarrivédeuxfois,devantLouisXIVet ma-damede Maihlenon,de maugréercontrecemisérableScarron,Ce-pendantScarronn'étaitpassimisérable: il a su-traiterle burlesqueavecespritetfinesse.Plusieurstraitsdu Virgiletravestisontd'unexcellentcomique,etquelques-unssontdescritiquesjusteset plai-santesdu modèle.Maiscommecetravestissement,si ingénieuxqu'ilsoit,estuneatteinteréelleàla dignitédu modèle,quelesouvenirqu'il laissecorrompttoujoursl'impressionmoraleau beausurlescspnls,Boileaul'a toujoursconsidéréeommeun attentatlittéraire,et presquecommeun sacrilège.

3. Tabarin, auteurde quolibetset de farcesqu'on'arecueillis,etvendeurd'orviétan,avaitsestréteauxsur le pontNeuf.

4. Touttrouvaestdur,elle paraissaitsurtouta d'Assoucy,quineputledigérer.Ceméchantauteur,hommedemauvaisesmoeurs,avaitquelquetalentpourlamusique,et passaitpouruncompagnonassezagréable.Molière,pendantsescoursesà traversla province,l'héber-geaassezlongtemps.Chapelleet Bachaumontle rencontrèrentdansleur voyageà Montpellier,fort en peinedessuitesd'unemauvaiseaffaire.Avantderecevoirlescoupsdela féruledeBoileau,d'Assoucyavaiteuà essuyerlesbrutalesapostrophesde CyranodeBergerac.On1appelaitlesingedeScarron.Aureste,cemisérableauteuravaitbienméritétouteslesavaniesqu'ileutà subir.

5. LeTyphonoula Gigantomachieest le débutdeScarrondansle genreburlesque.lîoileauavouaitquelespremiersversdécepoèmesontassezplaisants.LeParisienBoileauaimeâ raillerlesgoûtsdolaprovince.C'estdanslemêmeesprit-qu'ildira,au cinquièmechautduLutrin,vers162:

...LaPharsaleauxprovincessichère.

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ART POÉTIQUE, CHANTI. ,7

Imilonsdo Marotl'élégant badinage,Et laissonsle burlesqueaux plaisantsdu pont Neuf.

Maisn'allezpoint aussi,sur les pasde firébeuf*,Mêmeen une Pharsale,entassersur les rives«Demorts et de mourantscent montagnesplaintives3.» 100Prenez mieuxvoire ton-.Soyezsimpleavec art,Sublimesans orgueil, agréable sans fard.

N'offrezrien au lecteur que ce qui peut lui plaire.Ayezpour la cadenceune oreillesévère :Quetoujoursdans vosvers le sens, coupantles mots, 105Suspendel'hémistiche,en marque le repos.Gardezqu'une voyelleà courir trop hâtéeNesoit d'une voyelleen sonehemin heurtée5.

11est un heureux choixde mots harmonieux.Fuyezdes mauvaissonsle concoursodieux: 110Levers le mieuxTempli,la plus noblepensée,Nepeut plaire.à l'esprit quandl'oreille est blessée4.

1. Brébeufneméritepas toutecettecolèredeBoileau;s'il y a desexcèsd'enfluredanssa traductionde la Pharsale,onpeutrlirequ'illesa expiésparl'élévationet la puretédequélquc-s-unesdosespoésieschrétiennes.OuignoregénéralementqueBrébêuf,cédanta la conta-gionqui régnait,essayadetravestirLucainavantdele traduire.Onaditqu'il avaiteu l'intentionJe traduire.VirgilependantqueSegraisayaitdesvuessurLucain,et qu'unéchangeal'amiablesefit entrelesdeuxpoètes.Cen'estpasLucainqui a étéle plusmaltraité.

2.'Lucains'étaitcontentédedire: Tôtcorpordfusa; et Brébeuf,sur ce texte,écritcesdeuxvers:

Demourantset demortscentmontagnesplaintivD'unsangimpétueuxcentvaguesfugitives.

Avouonsquedansl'intervalleCorneilleavaitdit:Desmpntagnesdemorts,desrivièresdesang,

et queCorneilleimitaitl'historienlatinAuréliusVictor: «Stabantea-daverumaeorvi,montiumsimiles;fluebatcruornuminummode.-»Ilfautfairela part dechacundanscedélitpoétique.

3. Touscesverssontdesmodèlesde précisiondidactiqueet d'har-monieimilative.llegnieravaitauparavanttraité fort lestementcesscrupulesetcesrèglesétroitesqueMalherbeimposaitdosontemps.11disait,satireix,vers55:

Leur,savoirnes'étendseulement'Qu'aregratterunmotdouteuxaujugement,Prendregardequ'unquineheurteunediphthongue,Espiersidesverslarimeestbrèveoulongue,Oubiensi lavoyelleàl'autres'unissantNerendpointàl'oreilleunsontroplanguissant.

4-Cieéron,dont la prose harmonieusecaressesi agréablementl'oreille,faitlamêmeremarquedansYOrator: «Quamvis«nimsuavesgrovesquesenteiHia!,tamen,si inconditisverliisefferuntur,oflénduntaures,quarutnjudiciumsuperbissimum,»

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8 BOILEAU.

Durantles premiers ansdu Parnassefrançois,Lecapricetout seul faisait toutesles lois1.La rime, au bout des mots,assembléssansmesure, 115Tenaitlieu d'ornements,de nombreet.de césure2.Villonsut le premier, dans cessièclesgrossiers,Déhrouillerl'art confusde nos vieuxromanciers5.Marotbientôtaprès fit fleurir les ballades,Tournades triolets, rima des mascarades, 120Adesrefrainsréglés asservit lesrondeaux,Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux*.Ronsard,qui le suivit, par une autre méthode,Réglanttout, brouilla tout, fit un art à sa mode,Et toutefoislongtempseut un heureux destin. 125Maissa muse, en françaisparlant grec et latin,Vit dans l'âge suivant,par un retour grotesque,Tomberde sesgrandsmots le fastepédantesque6.

1. DutempsdeBoileau,la finaledefrançoiset deloisrendaiten-coreunsonidentique.

2. Cettecritiquenesauraitatteindrequeleslongspoèmesnarratifset monorimesdestrouvères: encoreest-elleexcessive;cars'il est vraiqu'ontrouvepeud'ornementset pointdenombredanscesébauchesépiques,ilestfauxqu'iln'yait pointdecésure.Cetterègleestpartoutfidèlementobservée,soitdanstesversde dixsyllabes,soitdanslesalexandrins,et la césurepartoutsensibleest déjàà laplacequenospoètesluiont gardée;seulementà cetteplaceunesyllabemuetten'apasbesoind'êtreélidéopournepascompter.

3. Boileauentendparromanciersles écrivainsde la languero-maned'oïl,et nonlesauteursde romansoude romances.Cesdeuxmotsqui ontlamêmeétymologie,ontgardéuneacceptionrestreinte,et désignentdeuxgenresspéciaux.Onsaitcequ'onentendaujour-d'huipar romanet parromance.—Quantà Villon,il n'a riendé-brouillé;l'on ne lui doitaucunprogrèsde forme.Sonmériteestd'avoirété poète,c'est-à-dired'avoirconsacréquelquessentimentsvraispardesexpressionsviveset saillantes.

4. Il est fauxque Marotait trouvépourrimerdescheminstoutnouveaux;il n'a pointinnové.Laballadefiorissaitavantlui. ainsiquele triolet,lamascaradeet lerondeau.Mômeiln'afaitni triolet,nimascarade.Uneseuledesesquinzeballades,celledu frèreLubin,estunchef-d'oeuvre.Marota excellédansl'épltrebadine,lemadrigal,l'épigrammeet le coq-à-l'âne,dontBoileauneparlepas.Voilàbiendesinexactitudesen peudevers.

5. Boileauconstatele triompheet la chutedeRonsard,qu'ilexécuteplutôtqu'ilne le juge.Ronsardenivrad'abordsescontemporainsets'égaradeplusenplussur lafoideleuradmiration.Il a ététroplouéet tropdénigré.C'était,commel'aditBalzac,«lecommencementd'unpoète.» 11ena eu l'enthousiasmeet nonle goût.S'ila échouécom-plètementdansl'épopéeet l'odepindarique,il fautreconnaîtreaussi

3u'ila rencontréparintervalleslavraienoblessedulangagepoétique-ansquelquespassagesdu Bocageroyal, desHymneset desDis-

courssur lesmisèresdu temps.M.Sainte-Beuve,qui,denosjours.

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ART POETIQUE, CHANTI. 9

Cepoèteorgueilleux,trébuchéde si haut,RenditplusretenusDesporteset Bertaut1. 150

EnfinMalherbevint, et, le premieren France2,Fit sentir dans lesvers une juste cadence.D'unmotmis en sa place enseigna le pouvoirEt réduisit la muse aux règles du devoir.Par ce sageécrivainla langueréparée 155N'offritplus rien de rude à l'oreilleépurée5;Lesstancesavecgrâce apprirent à tomberEt le verssur le versn'osaplus enjamber.Toutreconnutses lois, et ce guidefidèleAuxauteurs de ce tempssert encorde modèle. 140Marchezdoncsur sespas; aimezsa puretéEt de sontour heureuximitezla clarté.Sile sensde vosvers tardeà sefaireentendre,

a revisécegrandprocès,a tout au moinsprouvé,piècesen main,quedanséesonnetet dansles piècesanacreontiquesRonsardgardeunrangélevé.Malherbe,quia si heureusementprofilédeseffortsdeRonsard,auraitdû blâmermoinsrudementlesécartsde ce poêle,martyrdela causedontil restele héros.

1. Desportes(1552-1611)et Bertaut(1346-1606),tousdeuxdiscipleset admirateursdeRonsard,doiventleurretenueà leurtempéramentpoétique,et nonautrébuchementde Ronsard,quia suivila compo-sitionde leursouvrages.Desportesfutle poètefavorideHenriIIIetdel'amiraldeJoyeuse.11reçut,pourprixd'unseulsonnet,dixmilleécus.Balzacattribueà cettelibéralitéimprudenteledélugedesonnetsquiinondèrentalorsla France.DesporteseutaussilesrichesabbayesdeTironet deBon-Port.Supérieurdanslegenregalantetbadin,il aéchouédansla poésiesacrée.LeducdeGuisefredonnaitunedeseschansonslorsqu'ilfut assassinéau châteaudeBlois.— Bertautfutaumônierde Mariede Médiciset évêquede Séez.Il est surtoutre-marquableparl'harmonieet le tonsoutenude saversification.

2. CetélogedeMalherbeestd'untonpresquelyrique.11estdignedu réformateurde lapoésieet du législateurdu Parnasse.BoileaucontinueMalherbe,et il est justequ'ille célèbre.D'ailleurs,Uuslestraitsde cettepeinturesontparfaitementexacts.Malherbea touslesméritesdontBoileauleloue,Lajustecadence,laplacedesmots,lesrèglesdudevoir,le tourheureuxet la clarté,tout celarevientdedroità Malherbe.Maisce poète,sobreet vigoureux,plusgrammai-rienquepoète,laissesouventdésirerdesimagesplusvives,plusderichessedansl'expression,plusde variétédansles tours,plusd'en-trainpoétiqueet d'inspiration.Telqu'ilest,c'estencoreunmodèleetun maître.

3. L'harmoniedecesdeuxvers charmel'oreille,et la charmesibien,qu'onneremarquepaslahardiessedelamétaphorequiépurel'oreille.Horaceavaitparlédel'oreilleépurée,maissansmétaphore,livreI, épîtrei, vers7:

Estniihipurgalamcrebroquipersonetaurem.Etdel'oreillenonépurée,livreI, épîtreH,vers531

Auricula)collectasordedolentes.

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10 BOILEAU.

Monesprit aussitôt commenceà se détendre,Et, de vosvainsdiscoursprompt à se détacher, 145Ne suit point un auteur qu'il faut toujours chercher.

Il est cerlains esprits dont les sombrespenséesSont d'un nuage épais toujours embarrassées;Le jour de la raison ne le saurait percer.Avant donc que d'écrire, apprenez à penser'. 150Selonque notre idée est plus ou moinsobscure,L'expressionla suit, ou moinsnette, ou plus pure2.Ceque l'on conçoitbien s'énonceclairementEt les mots pour le dire arrivent aisément5.

Surtout qu'en vosécrits la langue révérée 155Dansvosplus grands excèsvoussoit toujours.sacrée.En vain vous me frappez d'un sonmélodieux,Si le terme estimpropre, ou le tour vicieux,Monesprit,n'admet point un pompeuxbarbarisme,Ni d'un vers ampoulél'orgueilleuxsolécisme4. 100Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divinEst toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivainB.

1. On n'apprendpas à penser,mais il faut savoirpenseravantd'écrire.Horacedit plus et mieuxque Boileaudans ce vers excel-lent ;

.Scribendirectesapereestet principïumetfons.Lemot sapereesf pris ici danstoutel'étenduedesonsensphiloso-phique;il signifiele discernementdu vraiet dufaux,du beauet desoncontraire;saperedésignedoncla raisonet le goût,quisontbîenleprincipeet la sourcedu bienécrire,inséparabledu bienpenser.

2. Horace,Artpoétique,vers40:Ouilectapolentereritres,Sonfacundiadeserethune.

3. Horace,Artpoétique,vers311:Verbaqueprovisamremnoninvitasequenlur.

4. Onsait,par expérience,dansnosclasses,l'existencedubarba-rismeetdu solécisme,et quelgenred'atteintel'unoùl'autrede cesdeuxmonstresde grammaireporte à la puretédu langage: le pre-mieroffensele vocabulaire,le secondla syntaxe.

5. Lacontradictionqu'ona cru remarquerdanscesdeuxversse-rait réelle,puisqu'onnepeutpasêtre,ausenspropre,tout ensembleunauteurdivinet unméchantécrivain,s'iln'yavaitpaslàquelqueallusionsatirique,Boileauattaqueici indirectementDesmaretzdeSaint-Sorlin,auteurdu Clovis,poèmefort malécritet divin,en cesensque ce poètevisionnaires'imaginaiten avoirécritlesdernierschantssousla dictéede Dieumême.Leversqui suit : Travaillezà loisir,quelqueordrequi vouspresse,étantuneallusionà Scu-déry,qui disaittoujours,pourexcusersaprécipitation: «J'aiordredefinir,»onsaisitfacilementl'enchaînementdesidées,puisquerienn'estplusnaturelquedepasserdeDesmaretzà Scudéry.

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ART POÉTIQUE, CHANT I. 11

Travaillezà loisir, quelqueordre qui vous presse,El ne vouspiquezpoint d'une follevitesse:Unstylesi rapide, et qui court en rimant, 105Marquemoinstrop d'esprit que peu de jugement.J'aime mieuxun ruisseauqui, sur la moUearène,Dansun pré plein de fleurslentement se promène,-Qu'untorrent débordé qui, d'un cours orageux,Roule,plein de gravier, sur un terrain fangeux'. 170Hâtez-vouslentement8; et sans perrlre courage,Vingtfois sur le métier remettezvotre ouvrage;Polissez-lesans cesseet le repolissez;Ajoutezquelquefois,et souventeffacez3.

C'estpeu qu'en un ouvrageoù les fautesfourmillent 175Des traits d'esprits semésde temps en tempspétillent4 :Il faut que chaquechosey soitmiseen sonheu ;Quele début, la fin,répondentau milieu8;Que d'un art délicatles piècesassortiesN'yforment qu'un seul tout de diversesparties6; 180Quejamais du sujet le discourss'êcartant

1. Cettebelleimageest indiquéedansle versd'Horace,livreI, sa-tire iv, vers11,parlantde Lucilius:

guumflueretiutulentus,eratquodtollerevelles.

2. Horace:Festinalente.

3. Horace,Art poétique,vers291:

Vos,.6Pompiliussanguis,carmenreprehêndilequoiMultadiesetmullalituracoercuil,atqucProesectumdeciesnoncastigavitadunguem.

4. Horace,livreII,épîtrei, vers73:Interqnteverbumemicuitsifortedécorum,etSiversuspauloconcinniorunusetalter;Injustetotum-ducitvenditquepoema.

8, Horace,Artpoétique,ircre152:

Primonemédium,medione discrepetimum.

6. Horace,Art poétique,vers23:

Deniquesit quodvissimplexduntaxatet unum.

«Ceprécepted'ensembledansletoutet deproportiondanslesparties,dit M.Andrii.'ux,est fondésur la raison,et enseignépar tous lesmaîtresde l'art. 11s'appliqueà tousles ouvrages,de-quelquegenrequ'ilssoient.»

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12 BOILEAU.

N'aillechercher trop loinquelquemot éclatant'.Graignez-vouspour vosvers la censure publique,

Soyezvousà vous-mêmeun sévèrecritique2 :L'ignorancetoujours est prête à s'admirer, 185

Faites-vousdes amispromptsà vouscensurer;Qu'ilssoientde vosécrits les confidentssincèresEt de tousvos défauts les zélésadversaires:Dépouillezdevant eux l'arroganced'auteur.Maissachezde l'ami discernerle flatteur3 : 190Telvous sembleapplaudir qui vousraille et vousjoue.Aimezqu'on vousconseille,et non pasqu'onvous loue4.

Un flatteur aussitôt chercheà se récrier :Chaqueversqu'ilentend le fait extasier.Toutest charmant, divin; aucun mot ne le blesse; 195Il trépigne de joie, il pleure de tendresse6;Il vouscomblepartout d'élogesfastueux.La vérité n'a point cet air impétueux6.

Unsageami, toujours rigoureux, inflexible,Sur vosfautesjamais ne vous laissepaisible: 200Il ne pardonnepoint les endroits négligés,Il renvoieen leur lieu les versmal arrangés,

1. Cepréceptedoitêtre toujoursprésentà l'espritdesjeunesgensquicomposent,carilssonttropsouventtentésd'introduire,degréoude force,et toujoursavecprécipitation,les expressionsqui les ontfrappés; et ils sacrifient,à ce désirdebriller, Ja suitedes idéesetl'analogiedesexpressions,sanslesquellesil n'yapasdebonstyle.2. Horace,livreII, épîtreil,vers109:

Atquilegitimuincupietfecissepoema,Cumtabulisanimumcensorissumethonesti.3. Horace,Art poétique,vers424:

ScietinterNoscere....

Le septièmedestraitésmorauxde Plutarqueenseignecommenton pourra discernerle flatteur d'avecl'ami.OnvoitqueBoileaua lu au moinsle titrede ce traité; mais,pourlesdétails,il imiteHorace.

i. Unpoètecontemporain,M.A.Pommier,aditingénumentetplai-sammentsonavissurceprécepte:EndépitdeBoileaumoij'aime,je l'avoue,Fortpeuqu'onmeconseilleet beaucoupqu'onmeloue.

5. Horace,Art poétique,vers428:Clamabitenim: pulchre.bene,rectef

Pallescetsuperhis; etiamstillabilamicisExoculisrorem; saliet,tundetpcdeterram.

6. Horace,Artpoétique,vers433:Derisorveropluslaudatoremovetur.

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ARTPOÉTIQUE, CHANTI. 13

Il réprimedesmotsl'ambitieuseemphase;Ici le sensle choque,et plus loin c'est la phrase.Votreconstructionsembleun peu s'obscurcir: 205Ce termeest équivoque,il le faut éclaircir'.C'estainsiquevousparle un amivéritable.Maissouventsur sesvers un auteur intraitableAlesprotégertousse croitintéressé,Et d'abordprenden main le droitde l'offense. 210« Dece vers, direz-vous,l'expressionest basse.—Ah!monsieur,pourceversje vousdemandegrâce,Répondra-t-ild abord.—Cemot mesemblefroid;Je le retrancherais.— C'estle plusbel endroitI—Cetour ne meplaîtpas.—Toutlemondel'admire.» 215

Ainsitoujoursconstantà nesepointdédire,Qu'unmotdanssonouvrageaitparuvousblesser,C'estun titre chezlui pour ne pointl'effacer.Cependant,à l'entendre,il chérit la critique*:Vousavezsur sesversun pouvoirdespotique. 220Maistout cebeaudiscoursdont il vientvousflatter,N'estrienqu'unpiègeadroitpourvouslesréciter3.Aussitôtil vousquitte;et, contentdesa muse,S'en vachercherailleursquelquefatqu'ilabuse:Carsouventil en trouve.Ainsiqu'en sotsauteurs, 225Notresiècleestfertileensotsadmirateurs;Et, sansceuxquefournitlavilleet laprovince,

1. Horace,Artpoétique,vers445:Virbonusetprudensversusreprehendetinertes,Culpabitduros,incomprisallinetatruinTransversocalamosignum,ambîtiosarecidetOrnamenta,parumClarisfucemdarecoget,Arguetambiguëdictum,mutandanotabit.

Lemêmepoèteexprimeàpeuprèslesmêmesidéesdansla secondeépîtredu deuxièmelivre,qu'il fautlirecommecomplémentnéces-sairedesonArt poétique:

AudebitqurccumqueparumsplendorishabebuntEtsinepondèreerunt,ethonoreindignaferentur,Verbamovereloco,quamvisinvitarecédant...Luxui-iantiacompescet;nimisasperasanoLoevabitcultu,virtutecarenliatollet.

2. Perse,satirei, vers55:Etverum,inquis,amo; verummibidicitedeme

3. Cepiègeestlepiredestraquenards,del'avisdetousceuxquiysonttombés.LebonRégnierenlit l'épreuvele jouroùil rencontracetimportun,quiluiditdesavoixlaplusdouce:

Monsieur,jefaisdeslivres,Onlesvendaul'alais,et lesdoctesdutempsk leslireoccupésn'ontautrepasse-temps.

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U BOILEAU.

Il en est chezle duefil en estchezïe prince.L'ouvrageleptusplatja,chezteseourlrsarts,Detout tempsrencontréde zéléspartisans, 230Et,pourfinirenfinpar tffltrait desatire,Unsottrouvetoujours-tm'plussotqui l'admire1.

1. Si l'onencroitla Fontaine,livreII, fablexiv,il en estde lapoltronneriecommedela sottise:

Iln'est,j.elevoisbien,sipoltronsurklterreQuine puissetrouverunpluspoltronquesoi.

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CHANT II.1

Tellequ'unebergère, au.plusbeau jour de fête,Desuperbesrubis ne chargepoint sa tête,:Et, sansmêler a l'or l'échu des diamants,Cueilleen un qhampvoisinsesplusbeauxornements:Telle,aimableen sonair, maishumbledansson style2,. 5Doitéclatersanspompeune éléganteidylle.Son tour simpleet naïf n'a rien de fastueux,

1. Boileauconsacrecechantà la définitionpoétiquedésgenres1secondaires,telsque-l'idylle,félégie,lachanson,lasatireet de-petitsgenres,commele sonnet,l'épigramme,lo rondeau,le vaudeville.L'undestroisgrandsgenres,le genrelyrique,y occupeune place-dignedu sujet.11està remarquerque,ni danscechanL,nidanslesuivant,BoiFéaunotraitedu genredidactique;il se contented'en-creurunnouveaumodèle.Marmontela fort bienjugélesdéfinitionsdeBoileau,endisant:«cQu'ellessontelles-mêmesdes modèlesditstyle,du ton,ducolorisquiconvientà leurobjet.» Lepoëteauraitdû,danscesecondchantparlerdel'apologue; c'estunegraveomis-sionquinesejustifiepas.

2. Cedébutsiorné,si gracieux,si poétique,n'apas échappéà lacritiquedesgrammairiens,quiprétendentqueles deuxtermescom-parésne s'unissentpas régulièrement,et qu'ilfaudraitnonpasré-pétertelle,maisdiresemblableà unebergère,Vidyîle,etc..; ou,end'autrestermes,fairedela prose.Boileaua mieuxaiméêtrepoëte,et ila suivila syntaxeelliptiquedeMalherbetlansl'odeà HenriIV:

Telqu'àvaguesépanduesMarcheunfleuveimpétueux,etc.Telet plusépouvantableS'enallaitce conquérant.

Unquatraindel'odeburlesquedeScarron,Hêroet Lèandre,a pufournirà Boileaul'imagequidonnetantdecharmeà cesvers:

Avecl'émaildenosprairies;Quandonlesaitbienfaçonner,Onpeutaussibien-couronnerQu'avecl'oret lespierreries,.

Sionajoutéà;ce rapprochementcesversdeSegraisTellequesefaitvoir,defleurscouvrantsatête,Uneblondebergère,unbeaujourd'unefête,

on aura unejuste idéede l'art de Boileaudans l'imitation,qu'ilsaitrendreoriginale.

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16 BOILEAU.

Et n'aimepoint l'orgueild'un -versprésomptueux.Il faut que sa douceur flatte, chatouille,éveille,Et jamais degrandsmotsn'épouvantel'oreille. 10Maissouventdans ce styleun rimeur aux aboisJette là, de dépit, la flûte et le hautbois,Et, follementpompeuxdanssa verveindiscrète,Aumilieud'une églogueentonnela trompette.De peur de l'écouter,Pan fuit dansles roseaux 15Et lesnymphes,d'effroi,se cachentsousles eaux*.

Au contraire,cet autre, abjecten son langage,Fait parler sesbergerscommeon parle au village.Sesvers plats et grossiers,dépouillésd'agrément,Toujoursbaisent la lerre, et rampent tristement : 20Ondirait que Ronsard,sur ses pipeauxrustiques,Vientencor fredonnerses idyllesgothiquesEt changer,sans respectde l'oreille et du son,Lycidasen Pierrot et Philis en Toinon8.

Entre ces deux excèsla route est difficile. 25Suivez,pour la trouver,Théocriteet Virgile3:Queleurs tendres écrits, par les Grâcesdictés,Nequittentpointvosmains,jour et nuit feuilletés*.Seulsdansleurs doctesvers ils pourrontvousapprendrePar quel art sansbassesseun auteur peut descendre; 30ChanterFlore, les champs,Pomone,les vergers;Aucombatde la flûte animer deux bergers;Desplaisirsde l'amourvanter la douceamorce;ChangerNarcisseen fleur, couvrirDaphnéd'écorce6;

1. Toutcepassagesurlesécartshéroïquesde l'idylleparaîtdirigécontreCharpentieretMénage,qui, tous deux,sousformebucolique,avaientembouchéla trompette,l'unen l'honneurde LouisXIV,l'autrepournélébrerla reineChristine.

2. Ronsardavait,en effet,employécesnomsvulgaires.DanssonBocageroyal,CharlesIX reçoitle nomde Carlin,et CatherinedeMériicisceluide Catin,diminutifde Catherine.Ce travestissementavaitparuchoquantdèslexvi' siècle,puisqueVauquclindela Fres-naye,contemporainetdiscipledeRonsard,l'a hlâmédansson Artpoétique.Onseraitdoncmalvenuà le justifier.

3. Théocriteet Virgilesontbienles maîtresdu genrebucolique,oùils ontseulstrouvélajustemesuredesimplicité,d'éléganceetdenaturelqu'ilfautatteindre,sionveut réussir,et qu'on ne dépassepasimpunément.Leursimitateursonttropsouventméritél'anathèmed'Horace,servumpecus,renouveléparlaFontaine,qui lesappellesol bétail; rienneconvientmieuxpourqualifiercesfauxbergers

i. Horace,Artpoétique,vers268:Vosexemplai'iagroecaNocturnaversatemanu,versalediurna.

5. CesmétamorphosessontdansOvideet nondanslespoêlesbuco

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ART POÉTIQUE, CHANTII. 17

Et par quel art encor l'égloguequelquefois 3£iRend dignes d'un consul la campagneet les bois'.Telleest de ce poSnieet la force et la grâce.

D'un ton un peu plus haut, maispourtant sans audace,La plaintiveélégie, en longs habits de deuil,Sait, les cheveuxépars, gémir sur un cercueil. 40Elle peint des amants la joie et la tristesse2,Flatte, menace, irrite, apaiseune maîtresse.Mais,pour bien exprimer ces caprices heureux,C'estpeu d'être poète, il faut être amoureux.

Je liais cesvains auteurs dont la muse forcée 45M'entretientde ses feux, toujours froideet glacée,Qui s'affligentpar art, et, fous de sens rassis,S'érigent, pour rimer, en amoureuxtransis.Leur transports les plus douxne sont que phrasesvaines;Ils ne savent jamais que se charger de chaînes, 50Quebénir»leur martyre,,adorer leur prison,Et faire quereller les sens et la raison.Ce n'était pas jadis sur ce ton ridiculeQu'Amourdictait les vers que soupirait Tibulle5;Ou que, du tendre1Ovideanimant les doux sons, 55Il donnait de son art les charmantesleçons*.Il faut que le coeurseul parle dans l'élégie.

L'ode,avecplus d'éclat, et non moinsd'énergie5,

liques.Aureste,le versestcharmant,et s'ilest amenéparle besoinderimeravecamorce,cettefoisla rimea bienservilepoète.

1. Virgile,églogueîv:Sicanimussylvas,sylvaesintconsuledignoe.

2. 11estclairqu'alorsl'élégiea quittéses longshabitsde deuil.L'él'égie(t liyo,je disbêlas!)estoriginairementun pbëmeplaintif;maisle mètredanslequelon l'écrivit(c'estl'hexamètresuivid'unpentamètre)ayantétéappliquéà l'expressionde sentimentsdivers,l'acceptiondu motélégies'est étendue.Horacele dit,Art poétique,vers75:

Versibusimpariterjunctis,querimoniaprimum,Pobtetiaminclusaestvotisententiacompos.

3. Cetteheureuseexpressionest de JoachimOuBellay:Lesversquejesoupireauxbordsausoniens,

Tibullelui-mêmeyconduisaiten parlantdes amours.qu'ilsoupire,notammentdanscevers,livrelVjélégieV,Versli :

Quodsifortealiosjatnnuncsu&piratamores,- i. Les charmantesleçonsdjj&vTHe.,qTre^Boileaun'aurait pas dûlouer,nepartentpas ducoeiUvSi^ll^s'Sdrfes'entauxsens.CetArtWaimerestuntraitéde5édut.t|sn,erdecorvfjptjon.• S. Gedernier'hémisUchetfOTbat'WeriB^SsârMliHaélesCommenta-

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•J8 BOILEAU.

Élevantjusqu'au ciel son vol ambitieux,Entretient danssesvers commerceavecles dieux. 60Auxathlètes dans Pise elle ouvre la barrière,Chanteun vainqueurpoudreuxau boutde la carrière,MèneAchillesanglantauxbords du Simoïs,Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis*.Tantôt,commeune abeilleardente à sonouvrage, 65Elle s'en va de fleurs dépouillerle rivage :Ellepeint les festins,les danseset les ris;Vanteun baiser cueillisur les lèvresd'Iris,Quimollementrésiste, et par un doux caprice,Quelquefoisle refuse, afin qu'on le ravisse*. 70Son slyle impétueuxsouventmarcheau hasard:Chezelle un beau désordreest un effet de l'art 5.

Loinces rimeurs craintifsdont l'esprit flegmatiqueGardedans ses fureurs un ordre didactique;Qui,chantantd'un héros les progrès éclatants, • 75Maigreshistoriens,suivront l'ordre des temps.Ils n'osent un momentperdre un sujet de vue:Pour prendre Dole,il faut que Lillesoit rendue;Et que leur vers, exactainsi que Mézerai4,Ait fait déjà tomber les remparts de Courtrai. 80Apollonde son feu leur fut toujours avare.

teursqui blâmentBoileaud'avoirattribuél'énergieà l'élégie.Eneffet,il seraitbiencoupable.Sontort est moinsgravesansêtreexcusable; énergiese rapporteseulementà éclat, et il faut en-tendrenonmoinsd'énergieque d'éclat.Il est iïïcheuxque .cetteexplicationsoit nécessaire,etnonmoinsfâcheuxqu'onenait cherchéd'autres.Parmalheurencore,on a tentédescorrections,etLeBrunproposait:

L'odeavecplusd'éclat,dellamme,d'énergie.Sonoffren'a pasétéaccueillie.

1.Horace,Artpoétique,vers85:MusadéditlidibusDivospuerosqueDeortim,Etpugileravictorem,etequumcertaminoprirnum,Etjuvenumcuras,etlibéravinareferre.

2. Horace,livreII, odeXII:DumflagrantiadelorquetadosculaCervicein,autfncilisaavitianegatQuoeposcentemagisgaudeateripi.

3. Boileaua parfaitementraison; maisil faut ajouter,pourlebiencomprendre,qu'unbeaudésordren'estjamaisqu'undésordreappa-rent,et quesabeautéréellerésulted'unordresupérieurque la ré-flexiondécouvre.Celaestvraide Pindareet de tout beaudésordre,enquelquegenrequecesoit.

i. LoméritedeMézerain'estpasprécisémentl'exactitude,maislasincérité.Ace momentMézeraiétait,sans,comparaison,le meilleur

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ART POÉTIQUE, CHANTII. 19

On dit, à ce propos,qu'un jour ce dieubizarre1,"Voulantpousserà bout tous les rimeurs françois,Inventa du sonnet lès rigoureuseslois2,Voulutqu'en deuxquatrains de mesurepareille S5La rime avecdeuxsonsfrappâthuit foisl'oreille,Et qu'ensuitesix vers, artistementrangés,Fussent en deux tercetspar le senspartagés.Surtout de ce poëmeil bannit la licence*.Lui-mêmeen mesura le nombreet la cadencé, - 90Défenditqu'un vers faible y pût jamais entrer,Ni qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer.Du reste il l'enrichit d'une beautésuprême :Un sonnet sansdéfautsvaut seul un longpoëme4.Maisen vain milleauteurs y pensentarriver, 95Et cet heureux phénixest encoreà trouver.Apeine dans Gombaud,Maynardet Malleville5

denoshistoriens,etaujourd'huiencoreil n'estpasdesmoindres.Sonindépendanceluifitenleverle titreet les fonctionsd'historiographe.Néen 10*10,à Rye,villagedé Normandie,prèsd'Argentan,il mourutà Parisen 1683.Il succéda*à Voiturecommeacadémicien,et à Con-rartcommesecrétaireperpétueldel'Académie.Pendantla Fronde,iléerivitquelquespamphletsvigoureuxcontreSlàzarin.

t. Cepetitépisode,amenélàparle nomd'Apollon,jetécommeparhasard,est un jeu d'espritqui a dûcoûterbien des effortsà sonauteur.Lesrèglesdu sonnety sontexpriméesdansun langagepoé-tiqueavecuneprécisionrigoureuse.Toutefois,la transition,à cepropos,est un peu brusque.En effet,à proposdequoi?Onpeutse taire cettequestion,et il n'est pasfaciled'yrépondre.— Lestransitionsétaientsansdouteicibiendifficiles;maisil fautavouerqu'ellessontengénéralassezmonotones.

D'untonunpeuplushaut,maispourtantsansaudace,Laplaintiveèlègiè...L'ode,avecplusd'éclat,etnonmoinsd'énergie...L'épigrainme,pluslibreensoncoursplusborné..

2. Nousretrouvonsicila rime,devenueirrégulière,defrançoisetde lois.L'inventeurhumaindusonnetest GirarddeBourneuil,trou-vèrelimousindu xni' siècle,morten1278.LesItaliensontfaitfleu-rir cepetitpoëme,d'originefrançaise,qui nousest revenuau xvi°siècle.Savoguea continuéjusqu'autempsde Boileau; délaisséauxvm8siècle,il a eudenosjoursuneespècederenaissance.ToutefoisYheureuxphénixestencoreà trouver.

3. Il s'agitde licencemétrique;Malherbeet ses disciplesappe-laientlicencieuxlessonnetsoù quelqu'unedesrèglesétaitenfreinte.4. Il restetoujoursauxsonnets,mêmeimparfaits,surcertainslongs

poèmes,unavantage:c'estd'êtrecourts.5. Cestroispoètesne sontpassansmérite.Gombaud(1576-1666)

futun despremiersmembresde l'Académie;Il payaunlargetributMigoûtmaniérédesItaliens.Outreun grandnombredesonnetsetdemadrigaux,il a composéunepiècepastoralequicache,sousle

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20 BOILEAU.

Enpeut-on admirer deux ou trois entre mille' ;Le reste, aussipeu lu que ceuxde Pelletier,B'a fait de chez Sercyqu'un saut chezl'épicier. 100Pour enfermerson sens clansla borne prescrite,La mesureest toujours trop longueou trop petite,

L'épigramme,plus libre en son tour plus borné,H'est souventqu'un bon motde deuxrimesorné s.Jadis de nos auteurs les pointes ignorées "iOSFurent de l'Italie en nosvers altirées.Le vulgaire, ébloui de leur faux agrément,A ce nouvelappât courut avidement.La faveur du public excitant leur audace,Leur nombreimpétueuxinondale Parnasse: 410Le madrigal d'abord en fut enveloppé;Le sonnetorgueilleuxlui-mêmeen fut frappéLa tragédie en lit ses plus chères délices;L'élégieen orna ses douloureuxcaprices;Un héros sur la scèneeut soin de s'en parer, 115Et sanspointe un amant n'osaplus soupirer;Onvit touslesbergers, dansleurs plaintesnouvelles,Fidèlesà la pointe, encor plus qu'à leurs belles;Chaquemot eut toujoursdeuxvisagesdivers:La prose la reçut aussi bien que les vers ; 120L'avocatau palais en hérissa son style,Et le docteuren chaire en semal'évangile3.

titre i'Endjjmion,une aventuremystérieusede sa jeunesse,~-Maynard(io82„1646),disciplede Malherbe,membrede l'Académiefrançaise,présidentà Atiriilac,se vengeap:u'un sonnetcruellementspirituelde l'abandonoù le laissaitRichelieu.Sesverssontd'untourheureux,maisils manquentde feuet de vigueur.—Malleville(1597-1647),secrétairedumaréchaldeBassompierreet académicien,étaitvéritablementun bel esprit.Fortgoûtéà i'hôtelde Rambouil-let, et rivaldeVoiture,il luttacontrelui parle sonnetde la Bellemalineuse,et parutl'emporter.Oncite,commeunmodèledugenre,son rondeausur Boisroberl,favoride lUchcUeu.C'estune char-manteépigramme.

1. Boileauavait dit d'abordsupporter et non admirer.Il cédaauxclameursdespartisansdestroispoêles,sanss'inquiéterde faireconcordercet amendementaveccequi précède,

2. Cettedéfinitionne convientpasà l'épigrammetelle quel'ontfaitelesmaîtresdugenre.Sa formevéritableest le huitainou ledizainmarotique.Boileausongeaitsans douteà sonbon motsurCorneille:

J'aivul'Agésilas,Hélas!

5. Allusionau petitpèreAndré,augustin,dont lesserinons,fortgoûtésdeHtfoule,étaientsemésde pointeset de quolibets.Il fut lé((«l'uietreprét'ciitiuude cetteécoledalermoiinoirosfui sa permet

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ART POÉTIQUE, CHANTII. 21

La raisonoutragée enfinouvrit les yeux,Lachassapour jamais des discourssérieux,Et, danstous ses écrits la déclarantinfâme, 12aPar grâce lui laissal'entrée en l'épigramme,Pourvuque sa finesse,éclatant à propos,Roulâtsur la pensée,et nonpas sur les mots1*Ainside toutes parts les désordrescessèrent.Toutefoisà la cour les turlupins restèrent2, 130Insipidesplaisants,boulfonsinfortunés,D'unjeu de motsgrossierpartisanssurannés.Cen'est pas quelquefoisqu'unemuseun peu fineSur un mot, en passant,ne joue et ne badine,Et d'un sonsdétournén'abuseavecsuccès; 135Maisfuyezsur ce point un ridicule excès,Et n'allezpas toujoursd'une pointe frivoleAiguiserpar la queue une épigrammefolle3.

Toutpoèmeest brillant de sa propre beauté4.Le rondeau,né gaulois,a la naïveté. 140Laballade,asservieà ses vieillesmaximes,Souventdoit tout son luslre au capricedesrimes.Lemadrigal,plus simple,et plus nobleen son tour,Respirela douceur,la tendresseet l'amour.

L'ardeurde se montrer, et nonpasde médire, 145

taient d'assaisonnerde plaisanteriespopulairesla prédicationde laparoleévangélique.Névers1578,il mouruten 1657.Bossuet,l'an-néesuivante,allaitdonnerlespremiersmodèlesde l'éloquencereli-gieuse,et déjàle Desmares,lesLingendes,lesSinglinavaientrenduausermonsoncaractèrede graveenseignement.

1. Boileaumarqueicila limitede la plaisanteriepermiseauxhom-mesde goût.Sansdouteleplussûr estde nejamaisjoueraveclesmots;maissi lesmotsense rapprochantfontenmêmetempsjailliret étincelerun rapportd'idées,Cen'estqu'unefautevénielle.Quantà l'habitudede jouersur lesmots,et de tirerd'un rapprochementpurementverbatdes rencontresplusou moinspiquantes,c'estun abusdéplorable,et dont on nesauraittropsignalerlesdangers.

2. Cenom,d'oùs'estforméceluideturlupinade,vientd'unacteurde l'hôtel de Bourgogne,Le Grand(Henri),qui prenaitdanslesfarcesle surnomde Turlupin,et dansle haut comiqueceluideBellevillé.

3. C'està tort qu'ona critiquéCesdeuxverscommeobscurs.C'estfautede connaîtretoutela forcedela prépositionde,qui a le sonsdepar danscesmotsd'rniepointefrivole.Boileaunousdit, et ditfortbien,qu'ilnefautpastoujoursarmerd'tthépointela queued'uneépigramme.' A.Ceverssignifieque chaquepoëmea un genreparticulierdebeauté qui le caractérise.Ainsi,un rondeauqui manqueraitdenaïveté,eûtrild'ailleursd'autresqualitéssupérieuresmêmeà lanaïveté,neseraitpasunbonrondeau.

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22 BOILEAU.

Armala Vérité du vers de la satire1.Lucile le premier osa la faire voir2;Auxvicesdes Romainsprésenta le miroir;Vengeal'humble vertu de la richessealtièreEt l'honnêtehommeà pieddu faquinen litière. 150

Horaceà cette aigreur mêlason enjoûment3:On ne fut plus ni fat ni sot impunément;Et malheur à tout nomqui, propre à la censure,Put entrer dans un vers sans rompre la mesure1

Perse,en ses vers obscurs,mais serrés et pressants, 155Affectad'enfermer moinsde mois que de sens4.

Juvénal, élevédans les cris de l'école,Poussajusqu'à l'excèssa mordantehyperbole.Sesouvrages, tout pleins d'affreusesvérités,Ètincellentpourtant de sublimesbeautés : . 160Soit que, sur un écrit arrivé de Caprée,

î. Souvenirduversd'Horace:

Archilochumpropriorabiesanmvitiambo.

2. Horace,Perseet Juvénalontparlétous trois de Lucile,dontl'exempleautorisaittoutesleshardiesseset lesrigueursde la satire.Horace,livreII,satireî, vers62:

EstLuciliusaususPriniusinhuneoperisçomponerecarminamorcm.

Perse,satireî, vers114:SecuitLuciliusurbem.

EtenfinJuvénal,satireî, vers165:

Ensevelutstricto,quotiesLuciliusardensInfremuit,rubetauditorcuifrigidamensestCriminibus,tacitasudantprcec-ordiaculpa.

S. Voyezplushaut,page.168,note1. Perse,satireî, vers11G:

OmnevatervitiumridentiFlaccusamicoTangit,etadmissuscircumproecordia,Iudit,Callidusexcussopopulutnsuspenderenaso.

i. L'obscuritédePerseest devenueproverbiale,maisellen'estpascomplètementimpénétrable.Le plusbeauversmoralquel'antiquiténousaitléguéest delui.11dit enparlantdesméchants:

Virtutemvideantintabescantquerelicta.

CeportraitdePerseimitela concisiondu modèle.Ses versserréset pressantscaractérisentadmirablementle styledu satiriquelatin.Lemotpressantn'a pas d'ordinaireune significationaussiénergi-que; il veutdireiciquePerseréussità concentrersa pensée,à l'en-fermerdansle pluspetitnombredemotspossible.

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ART POETIQUE, CHANTII. 23

II brise de Séjan la statue adorée';Soit qu'il fasseau conseilcourir les sénateurs,D'un tyran soupçonneuxpâles adulateurs2;Ouque, poussant à bout la luxure latine, 165Auxporlefaixde Romeil vendeMessaline5.Sesécritspleins de l'eupartout brillent aux yeux.. De ces maîtres savants discipleingénieux,Régnier, seul parmi nousformésur leurs modèles,Danssonvieuxstyleencorea desgrâcesnouvelles. 170Heureuxsi sesdiscours,craintsdu chastelecteur,Nese sentaientdes lieuxoù fréquentaitl'auteurEt si, du son hardi de ses rimes cyniques,Il n'alarmait souventles oreillespudiques4!

Le latin dans les motsbrave l'honnêteté, 175Maisle lecteur françaisveut être respecté:Du moindresens impur la liberté l'outrage,Si la pudeur des motsn'en adoucitl'image.Je veuxdans la satire un esprit de candeurEt fuis un effrontéqui prêchela pudeur 6. 180

D'untrait de ce poëmeen bonsmots si fertileLe Français,né malin, forma le vaudeville6 :

1. Cesdeuxversfontallusionà undesplusbeauxpassagesduchef-d'oeuvrede Juvénal,la satirex, sur-les voeux.Lepremierrappellelevers71dupoètelatin:

VerbosaetgrandisepistolavenitACapreis.Lesecond,levers60et lessuivants:

Ardeladoratumpopulocaput,et crepatingensSejanus,etc.

2. Lasatireiv, ou le Turbot,flétritparle ridiculeun des plusgrandsaffrontsfaitsau sénat,souset par Domilien,vers72:

VocanlurErgoinconciliumproceres,quosoderatille,InquorumfaciemiserasmagnoequesedebatPalloramicitùe.

3. Cemorceauénergique,etd'uneétrangeaudace,faitpartiede lasixièmesatire,surlesfemmes.

4. Boileaua tortdecaractérisersondevancierRégnierparun traitquile défigure,et parunsouvenirquile diffame.LebonRégnierneprêchepas le vice.11en a décritles misèreset la honteavecunefranchiseet unevéritéquisontloind'êtreune excitationau mal.

6. L'originedumotvaudevillea été souventdiscutée.Quelquesétymologistesle fontvenirde voixde ville, et la définitionquedonneici Boileauparaîtse rattacherà cettehypothèse.Il n'en estpasmoinsavéréparl'histoire,et mêmeparlaphilologie,quecemotestunealtérationdevaux-de-Vire,nomdonnéauxjoyeuseschan-sonsd'OlivierBasselin,poëteet foulondansle val de Vire.OlivierBasselinvivaitau commencementduxvDsiècle.

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24 BOILEAU.

Agréableindiscret,qui, conduit par le chant,Passede boucheenbouche,et s'accroîten marchant1.La liberté françaiseen ses versse déploie: 185Cetenfant du plaisir veut naître dans la joie.Toutefoisn'allez pas, goguenarddangereux,Faire Dieu le sujet d'un badinageaffreux:A la fin touscesjeux, que l'athéismeélève,Conduisenttristement le plaisantà la Grèveî. 190Il faut, mêmeen chansons,du bon senset de l'art ;Maispourtant on a vu le vinet le hasardInspirerquelquefoisune muse grossièreEt fournir, sansgénie,un coupletà Limère.Maispour un vainbonheurqui vousa fait rimer, 195Gardezqu'un sot orgueilne vous vienneenfumer.Souventl'auteur altier de quelquechansonnetteAu mêmeinstant prend droit de se croirepoëte:Il no dormiraplus qu'il n'ait fait un sonnet;Il met tous les matins siximpromptusau net; 200Encoreest-ceun miracle,en sesvaguesfuries,Si bientôt, imprimant ses sottes rêveries,Il ne se fait graver au-devantdu recueil,Couronnéde lauriers par la main de Nanteuil3.

1. Virgiledit,enparlantde la renommée:Viresacquirit eundo;le vaudevillegagnedescouplets,commeon le voit par un grand-nombrede chansonspopulairesquionteu ce genredecroissance._2. Allusionau supplicerécentd'unjeunepoètenomméPierrePe-

tit, penduet brûlésousle ministèredeMazaiin,pouravoircomposédeschansonsimpies.

3. RobertNanteuil(1G50-1678),graveurcélèbre,né à Reims.Lesportraitsqu'ila gravéssontfortrecherchésdesamateurs,eton peutdirequepersonnen'amaniéle burinaveeplusd'énergieet dedé-licatesse.

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CHANT III1

Il n'est pointde serpentni de monstreodieuxQui,par l'art imité, ne puisseplaireauxyeux2:D'un pinceaudélicatl'artificeagréableDuplus affreuxobjet fait un objetaimable.Ainsi,pour nouscharmer,la tragédieen pleurs 5D'fEdipetoutsanglantfit parler les douleurs3,D'Oresteparricideexprimales alarmes4Et, pour nousdivertir, nousarrachades larmes.

Vousdoncqui, d'unbeaufeu pour le théâtre épris,Venezen vers pompeuxy disputerle prix, 10

1.Cechant,quitraitedela tragédie,del'épopéeet de la comé-die,le plusétenduet leplusimportantdupocme,étincelledebeau-tés. L'ordresuivin'estpas rigoureusementméthodique,puisquel'épopéea précédéhistoriquementle genredramatique,et quelesdeuxformesde cegenre,la tragédieet la comédie,devaientêtrejuxtaposées.Boileaua mieuxaiméêtre moinsdidactiqueet pluspoétique: trouvantdemeilleurestransitionsetplusdevariétédanstamarchequ'ilapréférée,onpeut dire qu'il sest décidéenpoèteet en hommedegoût.Commedansleschantsquiprécèdent,l'his-toirelittéraireet lasalifesemêlentauxpréceptes,et lesdéfinitionsydeviennentdespeintureset presquedespersonnages.

2. L'imitationtidèlene suffiraitpaspourproduireceprodige: ilfautencorece queBoileauappelleVarlificeagréabledupinceau,c'est-à-direla puissancede l'expressionet le choixdes traits.C'estainsiqu'unpersonnagenaturellementodieuxpeut devenirdrama-tiquementbeau.L'effetle plussurprenantdecettemagiedel'artestpeut-êtrela Cléopatrede la Rodogunede Corneille.Aristole,quifournitcetteremarqueà Boileau,paraîttrop exclusifenfaveurdel'imitation: « Cequiestimité,dit-il,plaîttoujours.Onenpeutju-gerparlesproductionsdesarts: des objetsque,dansla réalité,nousverrionsavecpeine,parexemplelesbêteslesplushideuses,lescadavres,nousen contemplonsavecplaisirlesreprésentationslesplusexactes.»Trad.deM.Egger,chapitreiv.

3.Dansl'OEdiperoi, de Sophocle,le (ilsde Laïus,aprèss'êtrecrevéet arrachélesyeux,reparaittoutsanglantdevantlesspecta-teurseffrayés,et charmésdu spectaclede sesdouleurset de l'élo-quencedesesplaintes.

4. Eschyle,SophocleetEuiipldeonttoustroismisenscèneOresteparricide,et ontsu lérendreintéressant.

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26 BOILEAU.

Voulez-voussur la scène étaler des ouvragesOù tout Paris en foule apporte ses suffrages,Et qui, toujoursplusbeaux,plus ils sont regardés,Soientau bout de vingt ans encor redemandés1,Quedans tous vosdiscoursla passionémue 15Aillechercher le coeur, l'échaufféet le remue*.Si d'un beau mouvementl'agréablefureurSouventne nousremplit d'une douceterreur,Ou n'excileen notre âme une pitié charmante3,En vain vous étalezune scènesavante: 20Vosfroids raisonnementsne feront qu'attiédirUn spectateur toujoursparesseuxd'applaudir,Et qui, des vainsefforts de votre rhétoriqueJustement fatigué, s'endort, on vouscrilique4.Le secretest d'abordde plaire et de toucher : 25Inventezdes ressorts qui puissent m'attacher8.

Quedès lespremiers vers l'actionpréparéeSans peine du sujet m'aplanissel'entrée.

1. Horace,Artpoétique,vers190:Fabula,quoeposcivult,et speclatareponi.

Idem,ibid.,vers565:Hoecdeciesrepelitaplacebit.

Ceversest imitélibrementdel'épît'reî, livreII, vers211Poctameumquipeclusinaniterangit,Irritât,mulcet,falsisterroribusimplet,Utmagus.

3. Boileaureconnaît,commeAristote,que la terreur et la pitiésontles ressortsde la tragédie.Il ajouteque la terreurdoitêtredouceet la pitiécharmante.Il entendsans,douteque la terreuretla pitié,ainsimodifiées,sontpurgées,et alorsil n'entrepasdanslesensdu philosophegrec,qui, en disant,danssa célèbredéfinition,« quela tragédie,parle moyende la terreuret de la pitié,purgeles passionsdu mêmegenre,» entend,à tort ou à raison,quils'opèreréellementune purgation,une évacuationmoralepar oùl'âmeest soulagée.Aristoteparleen médecinplutôt qu'en philo-sophe.

4. Cettecritiquéporte sur les longueset subtilesdissertations,trop fréquenteschezCorneille,surtoutdanslesoeuvresdesa vieil-lesse.

5. SiBoileauentendparle premierdecesdeuxver»les moeursetles caractèresqui, eneffet,peuventseulsplaireet toucher,et quele second,quiindiqueclairementl'action,soit subordonnéau pre-mier,il a raisoncontreAristote,quiprétendquela tragédie,fondéesurl'action,peutse passerde moeurs.L'expérienceprouve,eneffet,que quelquedramatiqueque soit1la fabled'unetragédie,elle netouchepassilespersonnagesne sontpasintéressantspar lesmoeurset le caractère.—Il y a dansle secondversunesorted'incohérenceassezdifficileà justifier.Desressortsn'attachent.poml.

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ART POÉTIQUE, CHANTIII. 27

le me ris d'un auteur qui, lent à s'exprimer,Dece qu'il veut d'abordne sait pasm'informer, 30Et qui, débrouillantmal une pénibleintrigue,D'un divertissementme fait une fatigue*.J'aimeraismieux encor qu'il déclinât son nom,Et dît : Je suis Oreste,ou bien Agamemnon2,Qued'aller, par un tas de confusesmerveilles, 35Sans rien dire à l'esprit, étourdir les oreilles:Le sujet n'est jamais asseztôt expliqué.

Quele lieu de la scèney soit fixeet marqué.Unrimeur, sans péril, delà les PyrénéesSur la scèneen un jour renfermedesannées: 40Là souventle hérosd'un spectaclegrossier,Enfantau premier acte, est barbonau dernier5.Maisnous, que la raison à ses règles engage,Nousvoulonsqu'avecart l'actionse ménage:Qu'enun lieu, qu'en un jour, un seul faitaccompli 45Tiennejusqu'à la fin le théâtre rempli4.

Jamaisau spectateurn'offrezrien d'incroyable8:

1. Ceverss'appliqueà latragédied'Héraclius,puissantecombinai-sondugéniedeCorneille,maissicompliquée,quel'attentionlaplussoutenuepeutà peinesuivrelesfilsdel'intrigue.

2. Plusieurstragédiesgrecquesdébutentaveccettesimplicité,no-tammentVHècubed'Euripide,oùl'ombredePolydore,(ilsdePriam,égorgéen Thracepar le traîtrePolymnestor,entre en scèneendi-santexpressément: «Je suisPolydore!»

5. Lepoèteexagèreles libertésdu théâtreespagnol,qui d'ail-îeurs sont fort grandes.Lopede Vegaet CaMcrondisposentdutempset de l'espaceà leurgré, maisilssaventy jeter une actionintéressante,denoblessentimentset despersonnagesdramatiques.

4. Onadmireavecraisoncetteexpressionsi préciseet si élégantedela règledestroisunités.Cetterègle,fortdébattue,et définitive-mentétabliesur le théâtrefrançaisau tempsdeCorneille,n'avaitpaslamêmerigueurchezlesGrecs.Aristoteprescritl'unitéd'action,ouautrementl'unitéd'âme,danstouteoeuvrédramatique,quiest,selonsonexpression,un êtrevivant,Çwôvzi.Orl'unitéest l'essencemêmede la vieintelligente.Surcepoint,il n'ya pasdecontroverseraisonnable.Aristoterecommande,en outre,unejusteétendue,etparlà il limiteimplicitementla duréedel'actionet lelieuquidoitla circonscrire;maisil ne déterminepascellelimite.Dansla prati-que,elleétaitfortétroitechezlesGrecs,parla présenceduchoeur,quifixaitle lieu,et par la continuitéde l'action,qui précisaitladurée.Chezles modernes,la suppressiondu choeur,l'interruptionduspectaclecoupéparl'intervalledesactes,permettentde changerle lieude la scèneet d'étendrela durée.L'artdu poêle,dansl'inté-rêt de l'action,seradene pastropdépayserle spectateur,et denepas luiimposerde troplongsni de tropbrusquesvoyagesà traversle temps.Larègleabsoluedesvingt-quatreheureset l'unitédeplacesontdela superstition.

5. Horace,Artpoétique,vers358:Fictavoluptaliscausasiiilproximaveris.

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28 BOILEAU.

Le vrai peut quelquefoisn'être pas vraisemblable*.Unemerveilleabsurdeest pourmoi sans appas:L'espritn'est point ému de ce qu'il ne croit pass. 50Cequ'onne doitpointvoir, qu'un récit nous l'expose:Lesyeuxen le voyantsaisiraientmieux la chose,Maisil est des objets que l'art judicieuxDoit offrir à l'oreille et reculer des yeux3.

Quele trouble, toujourscroissantde scèneen scène, 55A son comblearrivé se débrouillesans peine.L'espritne se sent point plus vivementfrappéQuelorsqu'enun sujet d intrigue enveloppé,D'un secret tout à coupla vérité connueChangetout, donneà tout une laceimprévue4. 60

La tragédie, informe et grossièreen naissant8,N'était qu'un simplechoeur,où chacun, en dansantEt du dieu des raisins entonnant les louanges,S'efforçaitd'attirer de fertiles vendanges.Là, le vin et la joie éveillant les esprits, 65Da plus habile chantre un bouc était le prix6.

i. L'invraisemblancedu vrain'étaitpas pour CorneilleUnmotifd'exclusion: «Lorsquelesactionssonttraies,dit-il,il ne fautpointsemettreen peinede lavraisemblance; ellesn'ont pas besoindesonsecours.Toutce quis'estfait manifestements'estpurfaire,ditAristote,parceque,s'il ne s'étaitpufaire,il ne pèseraitpasfait.»Celaestbonpourl'histoirer maisdansle drame,rihvraisernblaljlcvrai n'en a pas moinslés inconvénientsde l'invraisemblance;desorte que le préceptede Boileauest plus sûr que la pratiquedeCorneille.

2. Hofâce,Art poétique:Qiiôdcumqtieostendismihisic,incredufusodi.

3. Horace,Artpoétique,vers180;SegniusirritantanimosdemissaperaurentQuamquxsuntoculissubjectandelibus,et quailpsesibitraditspectator.NontamenintusDignafjëriprofnesinscenam: multaquetoilesExôcuhsqiuemoxnarretfacundiaprxscns.

i. Cedernierversdéfinitpoétiquementla péripétie,oupassagedubienau mal,et réciproquement,dansla situationdéspersonnages.Laprogressionde l'intérêt,règlefondamentale,est aussifortbienexprimée:

.Quele troubletoujourscroissantdescèneenscène.5. Boileaumêlaavecbeaucoupd'art l'histoirelittéraireauxpré-

ceptes.Aprèsavoirdonnéles règlesgénéralesdugenre,ilonesquissel'origineet lesdestinées-enGrèceet enFrance,et delà ilpasseà unautreordre de préceptesmoinsétendus.Noslecteurstrouveront,dansles bellesÉtudesde M.Patin,sur le»Tragiquesgrecs(i vo-lumes),l'histoirecomplètedela tragédie.

Horace,Artpoétique,vers220:Carminéquitragicovilemcertavitobhucum.

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ART POETIQUE, CHANTIII. 29

Thespisfut le premierqui, barbouillédelie,Promenapar les bourgscette heureusefolieEt, d'acteursmal ornéschargeantun tombereau,Amusalespassantsd'un spectaclenouveau1. 10

Eschyledansle choeurjeta lespersonnages,D'unmasqueplus honnêtehabilla les visages,Sur les ais d'un théâtre en publicexhausse,Fil paraître l'acteur d'un brodequinchaussé2.

Sophocleenfin,donnantl'essorà son génie3, 75

1. Thespisvivaitau sixièmesiècleavantl'èrechrétienne.Horaceadoptelamêmetradition,Artpoétique,vers275:

Ignotuintr.'igicoegenusinvenisscCamoeneBDicilur,et plauslrisvexissepoeinalaThespisQuoeMuèrentugcrcntqueperunctiKccibusora.

«liais,ditM.Patin(tome1,page20),ilne fautpascroiretroplégère-mentà toutcequ'aditHprace,surlafoidequelquesscoliasles,desontombereau,de sesacteursmalornéset barbouillésde lie,decetteheureusefoliequ'ilpromenaitpar lesbourgs,etqu'onareprésentéecommesigrossièreet si barbare: c'estplutôtlà l'histoiredeSusa-rionquel'histoiredeThespis.»

2. Eschyle(525avantJ.-C.477),néà Eleusis,mortenSicile,estlevraipèredelatragédie,Thespisn'enavaitdonnéque l'ébauche.IciencoreBoileausuitlestracesd'Horace,Artpoétique,vers278:

Poslluino,personaipallaïquerepertorhonestaï,jEscliylus.etmodicisinstravitpulpiialiguip.Etdocuitmagmimqueloquinitiquecotliurno.

Habillerlesvisagesn'estpasuneexpressionvulgaire.Il fallaitunecertainehardiessepourla trouveret pourla garder.Maislushar-diessesdeshommesdegoûtsontsi heureuses,qu'àpeineonlesre-marque: aussibienn'ont-ilspasl'intentiondelesfaireremarquer.Onne voitpaspourquoilloiloaudonneunbrodequin{soccus)auxacteursd'Eschyle,quandHoraceleurattribuele cothurne,quiest véritable-mentlachaussuretragique.Lebrodequinappartientà la comédie:

L'aimablecomédieaveclui(Molière)terrasséeEnvaind'uncoupsirudeespérarevenir,Etsursesbrodequinsneputplussetenir.

C'estRoi|cauquile dit, épîtreYH,vers56.3. Sophocle,né au débutduV siècleavantJ.-C,vers495,vécut

environquatre-vingt-dixqns,et, plusheureuxqu'Eschyle,conservajusqu'àla lin de saviela force,desongénieetl'habitudedevaincre.Onsaitcommentil confonditl'ingratitudedosesfils,onlisantdevantses juge?le premierchantdu choeurA'OEdipeà Çolone,Cepoèteprivilégiéportala tragédiegrecqueà la perfection,et soi)QÈdiperoi est encorelechef-d'oeuvredu théâtre.Euripidea étéplusloindansle pathétique; maispourlosautrespartiesde l'artdramatiqueil estrestébienen,deçàneSophocle.C'estpourcelasansdoutequeBoileaune va ppsjusqu'àluidanscellerapideesquissede l'histoiredela tragédie.O'uncit regrettapasmoinscettoomission.AvantSo-phocle,Eschyleavaitintéressélechoeurdans (otitel'Action! l'élogeestd»ttcmat«twttliliesmrt trop raêotett*t«tttttttoIftWMtes»

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30 BOILEAU.

Accrutencor la pompe,augmental'harmonie,Intéressa le choeurdans toute l'action,Desvers trop raboteuxpolit l'expression,Lui donnachez les Grecscettehauteur divineOùjamais n'atteignit la faiblesselatine. 80

Cheznosdévotsaïeuxle théâtre abhorréFut longtempsdans la Franceun plaisir ignoré1.Depèlerins, dit-on, une troupe grossièreEn publicà Paris y monlala première,Et, sottementzéléeen sa simplicité, 85Joua les Saints, la Viergeet Dieupar piété*.Le savoir, à la fin dissipantl'ignorance, ;Fit voir de ce projet la dévoteimprudence3.On chassaces docteursprêchantsansmission;Onvit renaître Hector,Andromaque,Ilion. 90Seulementles acteurs laissantle masqueantique,Le violontint lieude choeuret de musique4.

Bientôtl'amour, fertile en tendres sentiments,S'emparadu théâtre ainsi que des romans.De cette passionla sensiblepeinture 95Est pour aller au coeurla route la plus sûre.Peignezdonc,j'y consens,les héros amoureux;Maisne m'en formezpas des bergers doucereux:

l'enconlred'Eschyle,moinspur que Sophocle,il estvrai,maisplusénergique.

1. M.MagninavaitpromisdedémontrerlecontrairedanssesOri-ginesdu théâtremoderne,ouvrageimportant,dont le premieivo-lumeseula paru.Onsaitdéjàqu'avantlesconfrèresdela Passion,des essaisdramatiquesavaientété tentésen Franceet dansleségliseset dansleschâteaux.Cependantil est vraide direquecelteconfrérie,autoriséeà la findu xiv' siècle,a donnél'essorau genredramatique,longtemps.négligé.

2. L'observationestjuste,et onpeutajouterqu'ellenesentpointle libertinage.Lapiétédesconfrèresdela Passionétaitsincère; leurintentionallaità intéresseretà instruirele peuple.Lesmystères,lesmiraclesqu'ilsreprésentaientétaientun courspopulaired'histoiresainte,et le>moralitésdeschapitresde moraleen action.L'Eglisefavorisacesreprésentations,et vintsouventen aideauxacteurspourlescostumes; elleréglaitaussil'heuredesofficesde manièreà per-mettreauxfidèlesdesuivrelesreprésentationsthéâtrales.

3. L'ordonnancede15-18,quiproscritlesmystères,est uneconsé-quencedescontroversesreligieuses.Cen'est pasle savoir, maisl'hérésie,quia dévoilé imprudencede ce projet,longtempssuivi,sanspéril,en présencede l'orthodoxiegénérale.

4. Ceviolonraclédans les entr'actesest un maigreaccompagne-ment,etsic'estunvestigeduchoeurantique,il estbieneffacé.Racinel'a l'aitreparaîtreavectoutesonimportancemoraleet religieusedansEsihereiAthalie.M,CasimirDelavigneluia aussidonnéplacedansle Paria.

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ART POÉTIQUE, CHANTIII. 31

Qu'Achilleaime autrementque ThyvsisetPhilône;N'allezpas d'un Cyrusnous faire un Arlamène1; 100Et que l'amour, souventde remordscombattu,Paraisseune faiblesseet non une vertu2.

Deshérosde romanfuyezlespetitesses:Toutefoisaux grandscoeursdonnezquelquesfaiblesses.Achilledéplairaitmoinsbouillantet moinsprompt: 105J'aime à lui voir verserdes pleurs pour un affront.A ces petits défautsmarquésdans sa peinture3,L'espritavecplaisirreconnaîtla nature.Qu'il soit sur ce modèleen vosécrits tracé :QuAgamemnonsoitlier, superbe,intéressé; 110Quepour ses dieuxÉnéeait un respect austère.Conservezà chacunson propre caractère.

i, Arlamèneest le nomromanesquedeCyrusdansl'ouvragedemademoiselledeScudéry.Boileaun'oseblâmerce travestissementquedansla iragédie,tantla.voguedesromanset le goûtdusièclede-mandaientencoredeménagements.

c2.Toutce passageesten faveurde RacinecontreCorneille.Cor-neilletraitaitl'amourcommeunevertu,ou.plutôt,dansl'âmede seshéroïnes,il subordonnaiLcettepassionà un desseinhéroïque.Cesamoursdecommande,silégèrementportés,nesontpasdramatiques;maisaussiCorneillen'en fait-ilpointle ressortde sestragédies.Ilcherchemoinsl'émotionque l'admiration: il représentela forcederameet nonsesfaiblesses.Lesfaiblessescombattuespar le remordssontmoralescommele spectaclede la vieréelle; ellesattachentetellesinstruisentsanscorrompre.Racinel'entendet lepratiqueainsi;maisCorneillenesecontentepasdene pointcorrompre,il veuten-nobliret fortifierl'âme;et quandil yajoutel'intérêt,il est incom-parable.

3. Lespetitsdéfautsnesontpaslefaitdel'Achillehomérique; il estprobablenueBoileausongeà l'AchillehumaniséparRacine.DelilleacrayonnéènerRiquement,danslepremierchantdesonpoèmedeVlma-ginalion,l'Achilled'Homère,et caractérisél'effetproduitparcemé-langedegrandesvertus,etde grandsdéfauts:

Maisqu'onmemontreAchille,Achilleâmedefeu,Dontlarageestd'untigreettesvertusd'undieu;D'amitié,defureurhéroïqueassemblage,Sentantprofondémentlebienfaitet 1outrage.Tonnantdanslescombats,cl la lyreà la main.Seulauborddelamer,consolantsonchagrin;l'ourapaiserPatrocleensademeurenombre,Tourmentantuncadavreetpunissantuneombre.EtquandPriamd'Hectorvientchercherlesdébris,Respectantunvieuxpèreet luirendantsonfils;Cegrandtableaum'étonne,et monâmetremblanteFrémittoutà lafoisdejoieetd'épouvante.

Voilàun beaucommentairedecesversd'Horace,Artpoétique,vers120,faiblementimitésparBoileau:

Honoratumsi fortereponisAchïIIem,Impiger,iracundus,dnexorabilis,acer,Jur*negetsibinala; nilûlnonarrogetarmû.

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32 BOILEAD.

Dessiècles,des pays,étudiezles moeurs:Les climatsfontsouventles diverseshumeurs.

Gardezdoncde donner,ainsi que dansClélie, 113L'air ni l'esprit françaisà l'antique Italie,Et, sousdesnomsromainsfaisantnoire portrait,Peindre Catongalant et Brulus dameret1.Dansun roman frivoleaisémenttout s'excuse4,C'estassezqu'en courant la fictionamuse; 120Tropde rigueur alorsserait hors de saisonMaisla scènedemandeune exacteraison;L'étroitebienséancey veut être gardée.

D'un nouveaupersonnageinventez-vousl'idée,Qu'en tout avecsoi-mêmeil se monlred'accord 125Et qu'il soitjusqu'au bout tel qu'on l'a vu d'abord*.

Souvent,sans y penser, un écrivainqui s'aimeForme tous ses héros semblablesà soi-même*:

1. Galonnefigurepasdansla Clélie,maisBrulus,levieuxBrulusyasa place,et commetousleshérosde ce roman,il veuiplaireauxdames: il est dameret,aussibienqu'HoraliusCoclès,quichanteàl'éidiodescoupletslangoureux.

2. Boileaun'excusaitpas,mêmedans un roman,ces démentiseffrontésdonnésà la véritéde l'hisloireet desmoeurs.11le prouvedanssonspirituelDialoguedeshérosde roman: maisil ne voulaitpas affl'germademoiselledeScudéry,ni heurtertropviolemmentlesnombreuxadmirateursqui lui restaient.11protestaitdansl'intimité,et laissaitcourirquelquescopiesdesondialoguesatirique,quinofutimprimequelongtempsaprèsla mortde mademoiselledeScudéry.

5. Horace,Artpoétique,vers125:Siquidînexpertumscenoecommiltis,et audesl'ci'sonamlbrmarenovam,serveturadimumQualisabinceptoprocesscrit,et sibiconslet.

Boileautraduità merveillecestroisvers;maisil nepoussepasl'imi-tationplusloin,et s'arrêtedevantle suivant: Difficileestpropriecommuniadicere,quepersonnen'entendaitde sontemps.D;icieret le marquisdeSévigné,quisesontdisputessurcepassage,voulaienttousdeuxdonnercoursà uncontre-sens.Uumarsaisa compristoutela penséed'Horace,qui entendpar ipropriedicere l'individualitédonnéeauxtrailsgénéraux,communia,lournispar l'observation.Ils'agitrielacréationd'unlype.eequiest le suprêmeeffortdel'art.

4. Soi-même,icicommedanslevers125,est parfaitementcorrect.Larègleélail,auxvnesiècle,demettresoiel nonlui partoutoùlesLatinsauraientmis.lepronomréfléchide la troisièmepersonne.Entraduisant,onvoitdansles deuxpassagesquelepoêleestùl'abridetoutecritique.L'observationexpriméedanscesdeuxversestd'unejustesseparfaite.LepoêledramatiqueouépiquedoitseASprendredesoi-même,pourvivredela viedupersonnagequ'ilmeten scène.Lesuccèsest a ce prix: l'hommede géniequin'a pasce désintéresse-ment,et quitientàsemontrer(commeontfaittropsouventEuripideet VollUirBdansla tragédie,et cedernierconstammentdansla co»UUMlBJi118saut-BitaUefudrelavéritédramatique,

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ART POÉTIQUE, CHANTIII. 53

Touta l'humeur gasconneen un auteur gascon;Calprenèdeet Juba parlent du mêmeton1. 150

La nature est en nous plus diverseet plus sage,Chaquepassionparle un différentlangage :La colère est superbe, et veut des mots ailiers;L'abattements'expliqueen des termes moinsfiers.

QuedevantTroieen flammeHécubedésolée 135Neviennepas pousserune plainteampoulée,Ni sansraison décrire en quelaffreuxpaysPar sept bouchesl'Euxin reçoit le Tanaïs*.Touscespompeuxamas d'expressionsfrivolesSont d'un déclamateuramoureuxde paroles. 14011faut dans la douleur que vousvous abaissiez3 :Pour me tirer des pleurs il faut que vouspleuriez4.Cesgrandsmots dont alors l'acteur emplit sa boucheNe partent point d'un coeurque sa misère touche.

Le théâtre, fertile eh censeurspointilleux, 145Cheznous pour se produire est un champpérilleux.Un auteur n'y faitpas de facilesconquêtes;Il trouve à le sifflerdés bouchestoujoursprêtes :Chacunle peut traiter de fat et d'ignorant;C'estun droit qu'à la porte on achèteen entrant5. 150

1. Jubaestun deshérosdela Cléopatre,romandelaCalprenède.CeGasconn'étaitpassansmérite.MadamedeSévignésereprochait.dele lire,maisellenepouvaits'endéfendre.

2. ÂUusionà ceversdeSénèque,au débutdesTroyennes:.Et qui frigidùm

SeptenaTanaimorapandenlembibit,etc.Ona relevéiciunelégèreerreurgéographique.Cen'estpasl'Euxin

oulamerNoirequi reçoitle Tanaïs;c'estle PalusMéoiideoulamerd'Azof.

S.C'estleprécepted'Horace,Artpoétique,vers97:Projicitampullaset sesquipedaliaverba,Sicurâtcorspectantistetigissequerela.

Eneffet,le langageampoulé,loinde toucherle coeur,disposeà lamoquerie.. ;

4. Ceprécepte,ainsigénéralisé,manqued'exactitude.Niles pleursn'appellentpastoujours.sespleurs,nicessignesdoladouleurn'excitentpas toujoursla pitié.Horaceest bienplusvrailorsqu'ildit, Artpoétique,vers103:

SivismeIlere,dolendumestPrimumipsitibi.

Eneffet,c'estla douleurvraiedupersonnage,et nonseslarmes,qu-émeuventle spectateur.

5. Ceversproverbialnefaitpastoujoursautorité.Denosjours,leprogrèsdesmoeursa introduitunusageopposé:ledroitde sifflereEpayantesttenuenéchecparceuxqui sontpayéspourapplaudir.Au

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34" BOILEAU.

Il faut qu'encent façpns.ppur.plaire,.il.se.-replie,Quetantôt il.s'élève,ét.tantôt,s'-humdlie,;Qu'ennoblessentimentsil.soit partout.fécond;Qu'ilsoitaisé-,solide,..agréable,profond;Quede traits.surprenants.sans.cesseil.nous réveille;, lSâîQu'il coure dansses.vers de..merveille-eniiw-veiUet;.-Etque tout ce qu'il,dit, facile,à.ratrair,Deson ouvrageen nous laissa un.lqng souvenir..Ainsila tragédieagit, marcheset s'expliquel.

D'unair plus grandîenciir,la.poésieépiquei8,, 1G0?Dansle vasie récit,dliip.elongueaction,,Se soutientpar la fable,et,vit de.fiction?.Làpour nous,enchanter.-tout.esttmis;én..usag&;Toutprendun.corps,,une.âme),un esprit,..unvisaget-.Chaquevertu dévient.une,divinité:, . 165-sMinerveest la prudence,-,et.,Vénus:,Ia.beauté*--;;?Cen'esl pins .la.vapeurquipyodultle!tonnerre-,,C'estJupiier armé pour effrayerla,itex!re;.;Unorage terrible aux,yeyx,desmatelots,-.C'estNeptuneen courroux,qçi gourmanderiesflots,6;; 1>70;)

reste,cetusagen'estpasunenouveauté: il est renouvelédeNéron,qui, d'aprèsle témoignagede Suétoneet de.Tacite,a l'honneurdeli»vention>;i. S'éit:pliquetest'ian&*\&sens--dq:l!llinyet'signifié-sedéploiê,--.së-,

dévelnppe.2. Cette-traiisitron'rappelle«ceHes-dn-cKanfsfcoai', d'un tàn un

peu plushaut (vers58),et.l'oede.iavecpiusd'éclat(vers56).11est"biendifficiledevarierlesiformesulut-langage;c-'est-déjû'lieaucoupdepouvoir,lesmodifierde manière,a ne.pasmériter.,tout à.fait |ej:e-pjoeim.rd'"ûnifcirnjit;é:,,0ii-saic,,,eneffet,,iqûe ,

L'ennuinaquitunjourdel'uniformité.3. L'étenduede-1'épopée;désignée'parlcsniotsvaste récit,longue

action,estopposéeauxbornes:élroH<e&de-latragédie?Toutefoisl'éten-duelaissesubsisterl'unité; maiscetteniiité-se-dévelOppepluslibre-mentdansle,tempset lelieu.-.étendusail'imagederai:ti:ous.elli:-mèmet,.Lafableet lafictiondoivents'entendredu merveilleux,qui«stmner,des-condilionsvitaleSL.de4!épppée.v

4*lîsemblequeBoileaivaprèsavoir;àiv,~chaqtte<w8r£u*dcvien4!une>-divinitéf^ui-iii^ù,;dansje>.vers,suivant,..nefpasiatérvertir-.'l'ordrerdesiîidées,et nommerla vertureprésentéeavantla déesseqni;layrepré*-sente,et dire :

LaprudenceestMinerveetVénuslabeauté.Le*eeond%6mi«ttenèaurait"snbsisté,-enpi'ésenlanfcfU'ns»inversifln^qui'}estde droitet d'ornementdanslestylepoétiques-Dansles^trois-disti-qaes-iqqi-iSttivent-,l'ordi?e«inrliqné:ipar'lefvers165;-se'retrouve; itn'y-aercepti'on-quep'otW'le'Vërs'io'6',et"c'-est:potu"celai-que'nousen-faisons».la;-remttiîq«e«

5. Quinzeversplusbas nousretrouvonsNeptuneen courroux.Le

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ART POÉTIQUE, CHANTIII. 35

Echon'est plus un soïrJ^aidàïïVl^n*retentisse;C'estune nympheen plèurs'quTsè"plainVdëNarcisse.Ainsi,dans cet amas de riobïesirctiôris;Lepoëte s'ég"âyéT'en3iiVflleMnvèritiô'nsrliOrne, élève, embellit;agtaftdir toutes choses; lfëEt't/'ouvesousJsVmaindes-flèurSHôûjourséclôsës"2,7

Qu'Énéeet.ses vaisseaux';par lé'vent*écartes,Soientauxbords africainsd'un o~rà£èem'portés, •Cen'est qu'une aventuré ordinaire'-etVôfàmurïé,Qu'un coup peu surprenant dèstraits1de la fortune: 18(TJMais1que Junon,'constanteeri'scfnaversion;Poursuivesur les flots"lés restescflliori;Qu'Éole,en sa faveur',les"chassant-d'Italie,Ouvre auxvents mutinésles prisonsd'Êoïie;QueNeptuneen courroux,s'éîevarït'sùr^arner, 185D*tmmot calmeles flots;mette la'paix'dans l'air,Délivreles vaisseaux;dés syrtes lésarràche5?:C'estlà ce qui surprend; frappe,saîéit, attache;Sans tous ces ornementé;le vers tonïb'éf.'erilân'gùèur;

mot"gourmande,danscevers;paraît,une allusionau rôle'dérfèp-,tunedansla tempètVduprëniierlivre dé VÊiïéide;maisalorsil:gourmandelesflolspour'apaîserTôrage,et il'n'estp«s:laiVp'ërsôhnilî-cationde la tempête.Soulever'auraitété icilé'mot-propre.

1. Cesdeuxversn!ontni l'élégance'nHadarté de ceux'qûipré-cèti^htet de ceux-quisuivent.Onne voir'pas .Moncommentunpoëtes'égayeen inventionsdansun amasde fictions.LesUctions-'étantdonnées,il les emploie,ef"il n'inventerien. U expliquelésfaitsnaturelsparun merveilleuxconsacré.

2. Cesfleursfou/owï's'^cZoseS-seràient'unsimple-ornementpoéti-queassezvulgaire,si1Platon,>dan>l'/onymvparlaitpasdesjardinsdesmusesoùjes pdëtës>vontcueillir1leursfleurs'dont•il;sembellis-sentleursvers?C'est'unprivilègederinspiratidh'divîh^iqueBoileaudésignevaguementau déhutde sonpoèmepar Vin'fluêncesecrète"du ciel;maisqui,chezlephilosophegrec,estunecroyanceréfléchieet une théoriesaientiliqùe.^Ubileaù.n'avaitguèreconsciencedecephénomène,queRégniera^éprouvéret'décriten;beàuxvers,lorsqu'ildit, satirexv : v

C'estalorsqueia-vérve-insolemmentm'outrage,';Quelaraisonforcéeobéità larage,-Etque,sansnulrespectdeshommeset dulieu,IfTaWqu'ë-j'ôbéissèauxFlirétirs'deee-dieu:.;

3. Touscesbeauxv^rssontinspiréspar les passagessuivantsdupremierlivreàeVEnéide:

NecduttietiamcausairarumsamquedoloresExciderantanimo. (Vers50).

Constanteensonaversion,Poursuivesur-lesfiolsles"restesd'Ilion.^

JactatosoequoretoloTrtias,relliquias.Danaunî-alqueïmmitisÀchillci,ArcebatlongeLatio. (Vers33.)

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36 BOILEAU.

Lapoésieest morte, ou rampesans vigueur1, 190Lepoëten'est plus qu'un orateur timide,Qu'unfroid liistoriend'une fable insipide.

C'estdoncbien vainementque nos auteurs âéçus,Bannissantde leurs vers ces ornementsreçus,Pensent faire agir Dieu,ses saints et ses prophètes 195Commeces dieuxéclosdu cerveaudes poètes;MeUentà chaquepas le lecteuren enfer;N'offrentrien qu'Astaroth,Belzébuth,Lucifer8.De la foi d'un chrétien les mystèresterriblesD'ornemeniségayésne sont point susceptibles: 200L'Évangileà l'esprit n'offre de tous côtésQuepénitenceà faire et tourmentsmérités,Et de vosfictionsle mélangecoupableMêmeà cesvérités donnel'air de la fable.Et quel objetenfinà présenter aux yeux 205Quele diabletoujourshurlant contre les cieux,Quide votre hérosveut rabaisserla gloire,Et souventavecDieubalance la victoire!

Le Tasse,dira-t-on, l'a fait avecsuccès.Je ne veux point ici lui faire son procès: 210Mais,quoiquenotre siècleà sa gloirepublie,11n'eût point de sonlivre illustré l'Italie,Si son sage héros, loujoursen oraison5,N'eût fait que mettre enfin Satan à la raison;Et si Renaud,Argant,Tancrède:et sa maîtresse 215N'eussentde sonsujet égayéla tristesse*.

Ouvreauxventsmutinéslesprisonsd'Eoiie.Cavumconversacuspidemontem

Impulitinlatus,acventi,veluLagminefacto,.Quadataporta,ruunt. (Vers87.)

Et pourle rôledeNeptnme:Gravitercommotus,etalto

Prospiciens,summaplacidnmcaputextulitunda....Sicait,et dictocitiustumidaeeqtioraplucat,CollectasqueTufratnubes,solemquereducit.Cymothoe,simuletTritonadnixus,acutoDetruduntnavesscopulo: levâtipsetridenti,EtvaslasapcritSyrtes.

i. Malgrécet arrêt, il peuty avoir,et il y a depoétiquesdescrip-tionsde tempêtessansinterventiond'EoleoudeNeptune.

2. Boileau,quineconnaissaitpasle poëmedeMilton,et qui avaitlu avecdégoûtle Cloviset la Pucelle,était fondéà proscrirelemerveilleuxclirélien.

5. GodefroydeBouillon.4. Lesujetde la Jérusalemdélivréen'estpointtriste.Lesuccès

d'uneg;andeexpédition,suscitéepar l'espritreligieux,et accomplieparl'héroïsme,donneau poëteune matièrevraimentépique.Mais•Boileaua raisondevoirleprincipalintérêtdu'poëmedanslavariété

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ART POÉTIQUE, CHANTIII. 37

Cen'est pas quej'approuve, en un sujet chrétien,Unauteur follementidolâtre et païen1;Mais,dans uneprofane et riante peinture,Den'oser de la Fableemployerla figure, 220De chasser les tritons de l'empire des eaux,D'ôter à Pansa flûte, aux Parquesleurs ciseaux,D'empêcherque Caron,dansla fatalebarque,Ainsique.le berger ne passe le monarque,C'estd'un scrupulevain s'alarmer sottement 225Et vouloiraux lecteurs plaire,sansagrément2.Bientôtils défendrontde peindre la Prudence,Dedonner à Thémisni bandeauni balance,De figurer aux yeux la Guerreau front d'airain,Ou le Tempsqui s'enfuit unehorloge à la main, 230Et partout desdiscours,commeune idolâtrie,Dans leur-fauxzèleiront chasser l'allégorie.Laissons-less'applaudirde leur pieuse erreur :Mais,pour nous, bannissonsune vaineterreur ;Et, fabuleuxchrétiens, n'allonspoint, dans.nos songes, 235DuDieudéméritél'aireun dieu de mensonge.

Lafableoffreà l'esprit mille agréments divers';Là fous les nomsheureuxsemblentnés pour les vers:Ulysse,Agamemnon,Oreste,Idoménce,Hélène,Ménélas,Paris, Hector,Énées. 240

descaractèrestracésparle Tasse,et danslespassionsde sesperson-nages.

1. Boileause refusaità ce mélangedu sacréet duprofane,quiscandaliselegoûtet.la piété,dansle poëmelatin de Sannazar,dePartu Virginis.Onle trouveencoredanslesLusiadesde Camoëns,età uncertain.degrédansle Rolandfurieuxde l'Arioste.

2. Cette.protestationen faveurde la mythologie,employéecommeornementpoétique,se trouvedéjàdanscesversdeCorneille,traduitsdu latindeSanteuil:

Quoi1bannirdesenfersProserpineetPlutonlDiretoujourslediableetjamaisÀlectont.SacrilierHécateelDianeà laLune,EtdanssonpropreseinnoyerlevieuxKeptunei

. Unbergerchanterasesdéplaisirssecrets,S:msquelaU;isteEchorépètesesregrets1*Lesboisautourdeluin'aurontpointdeDryades,L'airserasansZêphyrs,lesfleuvessansNaïades!

Ellea été renouveléeparVoltairedanssonApologiede la fable, etdenos'joursencoredansuneingénieuseépîtreen vers.deM.CharlesdeLacretelle. ; t

3. Boileau,danssa quatrièmeépître,disaitdesnomsdelieuxdelàGrècecequ'ildit ici deseshéros:

Iln'estplaineenceslieuxsisècheetsistérileQuinesoitenbeauxmotspartoutricheetfertile,Làplusd'unbourgfameuxparsonantiquenomVientoffriràl'oreilleunagréableson.

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38 BOILEAU.

0 le plaisantprojet d'un poèteignorantQuide tant de héros v;alch.oisirChildebrand•,ID'un seul nomquelquefoisle.spn.durou bizarreRendun poëmeentier ou.burles.queou barbare2.

Voulez-vouslongtemps,plaire.et1jamajs;/n.e,lisser, 246Faites choixd'un héros^ropreXni'intéresssr,En valeur éclatant, en vertus magnifique,;Qu'enlui, jusqu'aux défauts, tout se.mpnh'e.héroïqueQue ses faitssurprenants sojent:.dignes.d'êtreouïs;Qu'ilsoit tel que.César',.Alexjandre-ou,Louis; ,250Non tel que Pqlynice.etsonperfidefrèref.On s'ennuie aux exploitsd'un conquérantjy,ujgûir,e.

N'offrezpointuri.sùjet.d'incide.nts.JrQPvÇlagrgé.Le seul courrouxd'AçhiUe,:,av.êç,^rt,)ij4nilsé,Remplitabondamment;uné.Iliade..entière*.: .255Souventtrop d'abondanceappauvrit,hi.niatière.

Soyezvif et.pressé dans vos.narration.s;Soyezriche et.pompeuxdans vosdesçr/ipliions.C'estlà qu'il faut desyei'.s;étal.erj'élégànjje:N'y présentezjamais de.bassecirconstances. 2QON'imitezpas ce fou, qui,,décrivantlê.sjners.6,Et peignant, au milieu jJeieiirSjflot.s.gnÇrlo.u^ijts,,L'Hébreusauvédu jougde,ses.injustesmaîtres,,Met,pour le voir passer.,les poissonsaux.fenêtres7t;

4.'Le malencontreuxauteursignaléici est'CareldeSainte-GarUe.Childebrandestundeshérosdu poëmedesSarrasinsc/iossçs,i]iiidevaitavoir.douzechants,et dontquatre.'seùlomerit.'ontétépubliés.

-2.-La-faiblesseou le niérilëd'un'poèmerietientpàsJi uijojyiu.çpde si peud!importanoe.3. Polyniceetsonperfidefrèrefigurent.dans-la-^AJ&dtdeïIe&iççe,

poëmequi n!est-pas'àmépriser,maisoù'aucun des'personnagesn'inspired'intérêt. '

i. Lacolèred'Achilleestle sujetdel'Iliade:MSf/ivitiit, Oià,x. t. -V

Ellefait l'unitédu poëme,où.on la voitcommencer,dureret finir.Toutpart"decepointet -s'yrattache.'Lesoutreshérosnpparaissentsur lepremierplanqueparcequ'Achilleest absent!gt.jSonabsenceest uneconséquencedeson.courroux.

5. L'écoleque.B.oileiru^çpmiiflt/sùhstitu^itil'inventaire.-Xidapeinture,et n'omettaitaucundétail,au lieudechoisirquelquestçajtsjiiropresaéveillerl!imagination.,G'estle vicedesSaint-Amirntj.fre.s.Chapelain,,desScudéry.LusItaliensleuravaientdonnél'exemple^

6. CefouestSaint-Amant,auteurdu Moïsesauvé.Lesdétailspué-rils relevéspar'Boileause trouventdansl'ép.ispdjioùj!as,sage..de)amerRouge.

7. lin ya point.defenêtresdans'Saint-Amont,-niais(l'équivalent:Etta,pi$sdes.remparts,que.l'oeilpeut.transpercer,Lespoissonsébahis.lexeijiU'd.ejit.passer.

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ART POÊTI.QU-E,CHANTIII. 50

Peint le petit enfantqui va, saute,revient, 265Et joyeuxà sa mèrebffre.uncaillouqu'il tient1.Sur-detropvainsobjetsc'estarrêter'la vue.

Donnezà votreouvriigeunejuste.'étendue.Quele début soitsimpleet n'ait rien d'dlfecfé.N'allezpasdès'l'abord,sur'Péga«emonté, '270Crierà voslecteurs"d'unevoixde tonnerre:«Je chanlele vainqueurdesvainqueursde:la,terre'Vï>Queproduiral'auteur aprèstouscesgrandscris?La montagneen travailenfanteune souris13.Oh!quej'aime bienmieuxcet auteurpleind'adresse, *2?5Qui,sansfaire d'abordde si hautepromesse,Medit d'un ton aisé,doux,simple,harmonieux:<tJe chantelescombatset cetihomme.pieux« Qui,desbordsphrygiensconduitdans'1'Ausoriiè,« Lepremierabordales champsde'Laviriie"*.» 280Sa museen.arrivantrne-métpas touten'feu,Et,,pourSonner'beaucoup,ne nous;promet'que.pieu'5;

il.«CettespirituelleparodieTielaisserassoupçonner'toutelaipuéri-litést la platitudedupassagedeSaint-Amant.Voicisesvers.:

iLàPertfîffll*éveiMêtcourant*ouslaiicenoe:Quepermet-àsonâgc>w»e!Jilire,innocence,.Va,r.vienl,lourne„s.'uite,-el.pnrmaintcrijqyâuxiTêmoignanlIeplaisirq-.iereçoivent.-sesyeux,.D'unètningec.-iillouqu'àsespiedsilrencontre'Faitampremier-vemilaprécieusemontre.Ramasseunecoquille,'etd'aisetr-insporte,Laprésenteàsamèreavecnaïveté.

2.Xeversest'le'début'du"poëmea'AfaHc,"épqp'ée'uWScu8éryJeh-flixchants.

3. Horace,Artpoétique,-,voes-i&>,:sN«c-sicineipies,*utscriptortcycticus-olim:,.FeriiinamPriamicantaiû,-etnobitebellum.-Quiddignumtanloferethiu.:promissor'liiatu?.-Pariuriuntmontes,.nascéturridiculusmus.

Nousneretrouvons-dansBoileau-niéic promisse)!,ni-mêmeUantahialu./A.ïlloraee,Artapoétique,ivers\AA-:

•Quanlorei'tiusl-hic,quiniimôlitiirinepte!:Ôicmihi,jUusù,<virum,cajitx-jmttemporavrojm,lQui>mores'1iomi»ummullsrumvidit-ttKrbes.

Horaceprend.pourexempleet traduit,en le simp'liliïllftTinIp'etipourlebesoinde sa cause,le débutde l'Odyssée,'Bdileautelui deKEnéide.

;i.Ce,peuestinexact.'Virgilepromet''beaucoup,,co'nïme~6n:l"a're-marque,maisil promet"avecsimplicité."Voicile "versll'Hoïategtlicorrespondà ceuxdeBoileau.:

.-No>r-fumum-ex?fulftore,-sed-ex"fun]0-dar-e!luce!n-Cogitât.

Page 47: Boileau, Art poétique, 1674

40 BOILEAU.

Bientôtvousla verrez, prodiguant les miraclesl,Dudestin desLatinsprononcerles oracles,DeStyx et d'Achéronpeindre les noirs torrents2 2S5Et déjà les Césarsdans l'Elyséeerrants3.

Defiguressansnombre égayezvotre ouvrage4;Quetout y fasseauxyeuxune riante image :Oupeut être à la foiset pompeuxet plaisant0,Et je hais un sublime ennuyeuxet pesant. 2ï)0J'aimemieuxAriosteet ses fables comiquesQuecesauteurs toujoursfroidset mélancoliques,

1. Horace,Artpoétique,vers144:Utspecioaadéhincmiraculapromat.

2. Brossette,quin'avaitni l'oreilledélicate,ni le senspoétique,proposaità Boileaudediredu Styx, de l'Achéron.Boileaupersistaen alléguantquede Styx et d'Achéronest plus soutenu,il n'endonnepaslaraison.Ladifférencetientàl'accentuation.Dansl'hémi-stichede Boileau,deet d'Asontproclitiquesets'unissentrapidementauxsyllabesqui suivent.DansceluiqueproposeBrossette,du et derecevraientl'accentet ralentiraientle mouvementmétrique.Beplus,Styx,n'étantplussuivid'unevoyelle,donneraitdeuxsyllabes.Bros-setteproposeen béotien;Boileaudécideiattiquement.M.Quicherat,danssonexcellentTraitéde versificationfrançaise,oeuvredegoûtdélicatet de profondeérudition,indiqueavecprécisionle rôle del'accenttoniquedanslesversfrançais.Lesrimeursqui se contententde compterles syllabessans les évaluerfont souventdes versfaux.

3. Cebeauversn'a-t-ilpas inspiréRacine,lorsqu'ilfait direàPhèdre,acteIII,scènei :

Etmonâmedéjàsurmeslèvreserrante?4. Lemotégayer,quirevienttropsouventdanscechantde l'Art

poétique,est icimieuxplacéquedansles passagesqui précèdent.Lesliguresdelangageégayeatréellementle style.Ellesanimentl'es-prit, qu'ellesfrappentpar la vue de l'objetqu'ellespeignentouqu'ellesrappellent.L'imaginationen est charmée,commeles yeuxle sontpar lesfleursqui entaillentune prairie.Au vers200»onne comprendpasbienrexpressiond'ornementségayés;ils seraientplutôtégayants,oumêmegais.Auvers216,Renaud,Argant,Tan-crède,Iierminieégayentla tristessedu sujet,c'est-àdire qu'ilsyjettent de l'agrémentet delà variété;mais le sujet n'étant pasIriste,la métaphoren'estpastoutà faitjuste. Quantau vers174,où le poètes*égayéen milleinventions,onpeutdire que le plai-sir d'inventer,qui vajusqu'auxtransportsdel'âme,est faiblementcaractérisépar le motégayer.11y a d'ailleursun inconvénientà ré-péterainsiquatrefois,presquecoupsur coup,uneexpressionqui nepeutpointpasserinaperçue.5. Plaisantsignifiaitencorequiplaît, etnonquiprétendàplaire%ou qui amuse.C'estl'abusdansle désiret danslesmoyeusdeplairequialimitél'acceptiondecemotcommecelledebelesprit.

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ART POÉTIQUE, CHANTIII. 41

Uuidansleur sombrehumeurse croiraient faire affront*,Si lesgrâcesjamaisleur déridaientle.front.

Ondirait que pour plaire, instruit par la nature, 295Homèreait à Vénusdérobésa ceinture2.Sonlivre estd'agrémentsun fertile trésor :Toutce qu'il a touchése convertiten ors;Toutreçoit dansses mainsune nouvellegrâce;Partout il divertit, et jamais il ne lasse4. 300Uneheureusechaleur animesesdiscours:H ne s'égarepoint en de trop longsdétours.Sansgarder danssesversun ordre méthodique,Sonsujet de soi-mêmeet s'arrange et s'explique;Tout,sansfaire d'apprêts, s'y prépareaisément, 305Chaquevers, chaquemotcourt à l'événement5.Aimezdoncses écrits, maisd'un amoursincère:C'estavoirprofitéque de savoirs'y plaire6.

1.Ona remarquéla duretéde cethémistiche,se croiraientfaireaffront; maisonn'arienditde la locutionelle-même,qui manquedenaturelci depropriété.Eneffet,on se déshonore,on s'avilîtpardesactesdonton rougit,maisonnesefaitpasd'affrontà soi-màme.Il'estclairqueBoileau,cettefoisencore,et c'estun péchéd'habi-tude,avaitfaitlesecondversavantlepremier,et quefronta amenédeforreaffront.

2. AlorsHomèreauraitreprissonbien; c'estlui qui avaitdonnéà Vénuscetteceinturesi richeen charmesséducteurs.Iliade,livrexiv,vers215:

"EvOa$1olOiXxtïjpiawàvxaTETUXTO,*EV6'1£VIJJIIVçtXÔTïiç,Iv£"t[ieçoç,tv£'ôaçi<rciiç,nàpçarJiç,5jx'CXXE^ÏvoovTCÛXGCIEIÇfçoveâvTuv.

3. Ovide,Métamorphoses,livreXI,vers102:Quidquïd

Corporecontigero,fulvumvertaturinaurum.C'estunepropriétéfunesteàMidas.LeJoueurdeRegnardse l'attri-bueégalement:

Soussesheureusesmainslecuivredevientor.BansBoileau,l'orn'estpascevil métal,maisla richesseimmortellede la penséeet dulangage.

4. Racines'estsouvenude cesdeuxverscharmantsde son amilorsqu'ilfaitdireà Assuérus,Esther,acteH,scènevu :

Jenetrouvequ'envousjenesaisquellegrâceQuimecharmetoujoursetjamaisnemelasse.

5. Horace,Artpoétique,vers148,signalecetterapiditécommeundestraitsdugénied'Homère:

Seinperadeventumfestinat.6. Boileaudétournesur Homèrel'élogeque Quintilienfaisaitde

Cicéron,Instit.,livreX,chapitrei : ïlleseprofecissesciâtouiCicerovaldeplacebit.-

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i2 JOILEAU.

Unpoëmeexcellent,oùtout marcheet sesuit,N'estpas «leces"travauxqu'un capriceproduit: 311DIl veut du temps,-dessoins;-et-cepénibleouvrageJamaisd'un'écolierneifutTapprenLiss-age.Maissouventparminoasun^toëte-Mos-art,Qu'unbeaufeuquelffaéfois-échauffepar'lrasart},Enflantd'un vainorgueil^sonespritchimérique, 'WbFièrementpren'denjmam<la'trorapette%éro'ïrpie.-Sa muse,dérégléeen ses"vers'vagabonds,Nes'élèvejamaisquepar -sautset-par'aortels;Et sonl'eu,dépouFW:;desensetitlè'leeture.S'éteintà chaque;pas,-fautedeTiourrHurer1. ^20Maisen vain-le-pu&li.c,prompt'à'le-mépriser,Desonmérite^faux'-te-veHtjàësiabtïser;

*

Lui-même,applàudjssartt*à-son;înà'igre'gïniiç,Sedonnepar-ses'rnBinsVencensqii-onlui dénie':Virgile,au prix deilûi,ni'a-poirttoa'mventi'on; ^555Homère11'enlendpointla noblefiction*.fii•eontee>cetareêt-le•siècle'se«rebelle,A'la-postéi'ilë-d'abord11en anpeile:

'

Maisattendant4u7ici-le.Taonsensd'e:rëlourRamène.'.triompii.anlsses.ouvr.agësajijouç, S3DLeilEStasjtu magasin-,icaêhésàjliJumièie,Combattenttristementles vers et la poussière5,;Laissons-éesdioiicentpe-euï s'escpinierien'-repire,Et, sans-nous'égarer,"suivonsntitre propos-*'.

Dessuccèsfortunésdu spectacletragique 1535

i. Onpeut biendirecd.'unfeu-flti!U>*'ét.eintfaiite.dunoBtjitu*e,parcequ'onnourrit,onalimentele îéu; niaisla ligure"quinouslereprésentedépourvu-tte-senset de lecture,nerinangu.e-t^ellepasdejustesse,et ici,parsurcroît,U'anàlogieî^dlUitréà'fort*]jiendit,sanscoiifusionidiiuiqgss:

L'âmeestunfeuqu'ilfautnourrir,EtquusliUûita^ilme-ts'tutgiaetUe.<8.Toutes-ces-assertions-extravagantessontnel'auteurfle'Clo»f$,DesmaretzdeSaint-Sorlin,qu|dédaignaitles^poëtesdel'antiquitéet

se'meètail=sanstfaçon-au-dessusd'eux.5. L'idéedecette-plaisanterie,atijourd'hùrsiïraimée,est dans'Ho-

race,livreH,épHre-iloraière,«eus12«Auttineaspascestaçiturnusinertes.

Horaceestpluspoétique.La destinéede-<ce(livce,"Silencieusementrongédesvers,estplushumilianteencoreguele combatcontrelesinsecteset lapoussière.tÀ.ïke-dernierthêmisfckhe*de»ce-TOrsrnianqueflUé^éganoeflBt'de«no-

blesse.-C!est.oneoretune-malheureuse-.transition.

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ART POETIQUE, CHANTIII.

DansAthènesnaquit la comédieantique'.l,à le Grec,né moqueur.,par millejeux plaisants'2,Distillale veninde ses traits médisants.Auxaccèsinsolentsd'une'boulfonnejoieLa sagesse,l'esprit, l'honneur,lurent enproie. '540Onvit par le publicun poëteavouéS.'enrichiraux dépensdu méritejoué'5,Et Socratepar lui dansun choeurde NuéesD'unvil amasde peupleattirer les huées4.Enfinde la licenceon arrêta'le cours : 1545Le magistratdes lois empruntale secours,El, rendant par édit les poètesplus sages,Défenditde marquer lesnomsètles visages*.Le théâtre perdit sonantiquefureur;Lacomédieapprit à rire sansaigreur, ^350Sansfielet sans venin.sut.instruireet reprepHre^,Et-plut innocemmentdans'.lesvers de'Mènantire."•Chacun,peint avec.art dans ce nouveaumiroir7,

1. La-comédierft'est.pasnée.dans-Athènes.-.C'est.elle,.et,non latragédie,quifut promenéepar.lesbourgades(engrec,.x4["i),fP-OUrvenirensuite.s'établirrégulièrement,àla ville,sur le théâtre,pen-dantlesfoiesde Bacch.us.C'està Susarion-queremontecelle-'heu-reusefolie.Maislorsquela comédien'étaitencorequ'uneéba.ueliegrossière,amusementdes.campagnesde:l'Atlùjue,le-SicilienEpi-cliarmeavaitdéjàproduitdes.pièces,-régulières,*qui;nefurentpasinutilesauxEupolis,.aux,Cralinus,saux.Aristophane,.lesmailresjleJacomédieantique.

2. LeGrecné moqueurressemblefort au Françaisné malinduvers1S2,chantn, page205.

5. Cecia tout l'ait-d'un anachronisme.Eneffet,onne voitpasqu'Aristophaneait touchédesdroitsd'auteur.

4. LesNuéeseurentun médiocre.succès,,et.elfes.précédèrent,deplusdevingtansla mortde Socrate.Il fautlaisserà Mélituset àAnytustoutela responsabilitéde cemeurtrejuridique.

5. Danscettehistoiredelacomédie,Boileauiï'indiqùepaslapériode,fortcourte-ilestvrai,quiséparela-comédie,ancienne.de;kifcqmédiemoderne.Legenreintermédiairequ'elleproduisits'-appelle.lacomédiemoyenne,qui retientdel'anciennelessujetspolitiquesenrenonçantauxpersonnalités,etquiprépare,aurinoiiisparladécencedu ton,lacomédienouvelle,peintureprêche.dela.vie'jiriyée.

6. Horace,Artpoétique,vers381:Successitvelushiscomoedia,nonsinemUlta.L:tude.:.sfiit.invitiuiïi.hbcrtas.excidit^etvim'Dignamlegerégi: lexestaccepta,chorusqueTurpiter.QblicintîSublatDjurenocendi.

1. Ménandrenousestconnuseulementpardecourts-fragmentsetparsonimitateur.lalin.Térence,,aueCésarappelleun demi-Ménan-dre,dimidiulusMenander..Larportecle,ce,pocte,,;siuniversellementgoûlé,est la plusregrettable.outre,celles,que.déplorent'lesadmira-teursdel'antiquité.

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¥t BOILEAU.

S'yvit avecplaisir, ou crut ne s'y point voir :L'avare,despreiniers,,rit du tableaufidèle 555D'un avaresouvent tracé sur sonmodèle;Et millefois un fat, finementexprimé,Méconnutle portrait sur lui-mêmeformé.

Quela nature doncsoit votreétudeunique,Auteurs qui prétendezaux honneurs du comique. 560Quiconquevoit bienl'homme,et, d'un esprit profond,De taritde coeurscachésa pénétré le fond,Quisait bien cequec'est qu'un prodigue,un avare,Unhonnêtehomme,un fat, un jaloux, un bizarre,Sur une scèneheureuse il peut les élaler 365Et les faire à nos yeuxvivre, agir et parler.Présentez-enpartout les imagesnaïves;Quechacuny soitpeint descouleursles plusvives.Lanature,,fécondeen bizarres portraits,Danschaqueâme estmarquéeà de différentstraits; 370Ungeste la découvre,un rien la l'ait,paraître :Maistout esprit n'a pasdes yeuxpour la connaître.

Letemps,qui changetout, changeaussinos humeurs;Chaqueâge a sesplaisirs, sonesprit et ses moeurs1.Unjeune homme,toujoursbouillantdansses caprices, 375Est promptà recevoirl'impressiondesvices,Est vaindans ses discours,volageen ses désirs,Rétif à la censure,et fou dansles plaisirs2.L'âgeviril, plus mûr, inspire un air plus sage,Sepousseauprèsdesgrands, s'inlrigue, se ménage, 380Contreles coupsdu sort songeà se maintenir,

1. Horace,Artpoétique,vers156:JStatiscujusquenotandîsunttibimores,Mobilibusquedécornaturisdandusetannis.

2. Danscettepeinturedujeunehomme,Boileaune reproduitpastouslestraitsfournisparHorace,vers161:Imberbisjuvenis,tandemcustoderemoto,Gaudetequiscanibusqueetapricigrammecampi;Cereusinvitiumflecti,monitoribusasper,Dtiliumtardusprovisor,prodigusoeris,Sublimiscupidusque,etamatarelinquerepermx.

NotrevieuxRégnier,satirev, paraphrasecequeBoileaua écourté:Croissantl'âgeenavant,sanssoindegouverneur,Relevé,courageux,etcupided'honneur,Ilseplaislauxchevaux,auxchiens,àlàcampaigne.Facileauvice,ilbaillesvieuxet lesdesdaigne,Rudeàquilereprend,paresseuxàsonbien.Prodigue,dépensier,ilneconserverien,Hautain,audacieux,conseillerdesoi-même,Etd'uncoeurobstinéseheurteà cequ'ilaune.

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ART POÉTIQUE, CHANT III. 45

rôtloindans le présent regardel'avenir1.La vieillessechagrineincessammentamasse,Garde,non pas pour soi, les trésors qu'elleentasse,Marcheen tousses desseinsd'un pas lent et glacé, 385Toujoursplaint leprésentet vantele passé;Inhabile auxplaisirsdont la jeunesse abuse,Blâmeen eux les douceursquel'âge lui refuse2.

Ke faitespointparler vosacteursau hasard,Unvieillardenjeunehomme,unjeunehommeenvieillard5.390

i. Horace,Artpoétiquevers166;Conversissludiîs,oelasanimusquevirilisQuaerUopesetamicilias,inservithonori,Commisisseenvet,quaemoxmutarelaboret.

IciBoileaulutteavecquelqueavantagecontreHorace,qui contientle germede cebeauvers:

Etloindansleprésentregardel'avenir.ÉcoutonsmaintenantRégnier,imitateurnaturelettoujoursheureux:

L'âgeausoinsetournant,hommefaitil acquiertDesbiensetdesamis,siletempslerequiert;XImasquesesdiscourscommesurunthéâtre,"Sublihambitieux,l'honneuril idolâtre;Sonespritaviséprévientlerepentir..Etsegarded'unlieudifficileàsortir.

2. Horacefaitainsi le portraitdu vieillard,Art poétiquevers169:

Multasenemcircumveniuntincommoda,velquodQuteritetinventismiserabstinet,aclimeluti,Velquodresomnestimidegelidequemûristrat,Dilalor,spelongus,iners,avidusquefuturi,DiMetlis,querulus,laudatortemporisactiSepuero,cénsorcastigatorqueminorum.

Letraitpiquantquiterminel'imitationdeBoileau,quel'âgeluire-fuse,n'estpasdansHorace.Régnierpeinten maîtrele mêmepor-trait, et les détailsprécisqu'il y ajouteprouventque sa jeunessedérégléeavaitsouffertimpatiemmentlesleçonschagrinesdesvieil-lards:

Maintsfâcheuxaccidentssurprennentsavieillesse:Soitqu'avecdusoucygaignantdelarichesse,'IIs'endéfendl'usage,etcraintdes'enservir,Quetantplusilena,moinss'enpeutassouvir,Ousoitqu'avecfroideuritfassetoutechoseImbécilie,douteux,quivoudraitetquin'ose,Dilayant,quitoujoursa l'oeilsurl'avenir:Delégeriln'espèreetcroitausouvenir.Ilparledesonlemps,diflfcileetsévère,Censurantlajeunesseusedesdroitsdepère-Ilcorrige,ilreprend,hargneuxensesfaçons;Etveutquetoussesmotssoientautantdeleçons.

3. Horace,Artpoétiquevers176:Neforteseniles

Mandenturjuvenipartes,pueroqueviriles.Semperinadjûnctis«évoquemorabituraptis.

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m BOILEAU.

Étudiezla cour et.connaissezlà ville;,L'uneet l'autre esttoujours enmodèlefertiles.C'estpar là que.Molière-,illustrant,ses écrits,.Peut-êtredé son art, eût remporté lerprix1,Si, moinsami du peuple,,en, ses doctespeintures. 595;Il n'eût point fait souventgrimacer ses figures,,Quitté, pour le bouffon,,l'agréableet le.liaEJ>saiis,lionte-à,.Terenceallié Tabarin2.Dansce sac ridicule où Scapins'enveloppe.3!Je ne reconnais plus l'auteur du Misanllirope. 400

Le comique,ennemi des soupirs1et des-pte-ars^N'admetpoint en ses vers de-tragiquesdouleurs*;*Maissonemploiu'est'pas,id'ïrller>dàus"UneplacerDe mots saleset bas chiarmérlâ'p'opulace:IFifàiïtiqiïè«Jses"acteurs'b"admerrt-noblement'; . 405"-Queson noeudbien formé se dénoueaisément";

\'. Cetétrangepeut-être,quicontestéà'Molièrele prixdé là comé-die,secomprennrait'sil'autéur-'dû'Târtltfé''eût!nlfilé"clilns'seschefs-d'oeuvrelebouffonau-cbmiquéfnoble;maisne l'ayant'pointfait,onnevoitpasparquelleeontâjiiônlésFourberiesdèScapiwjGeorgesDan-din ou la Comtessed'Escarbagnas;'pourraient'aller-corromprelabeautédanslespiècesoùellë-se-irouvé'sans-mélange;et-;ehleverainsiobliquement--à,-Molièrecette supériorité-qu'aucunpoètecomiquenepeutlui disputer.

2. Celleallianee^sej'trouve,reii--effet-,-.dansles'Fourberiesde Sca-

Înn,dontle sujetestitirê'ûo^Phorniion-âp.Térenceeb*où>se trouve

a scènedu sac,empruntébt\sAFroméiaquin'êîfarce'-dê'T.àbarin.LesFourberiesde Scapin'n'çn'sptit-pto-moins'tfnécôméflfdjfortdiver-tissante,queMolièreseul."pouvaitétrire;et,.d'ailleurs,coinmentlestortsdeScapinpeuvent-ilsaltérerla perfectionduMisanthrope?11ya-ddnsïce^passagë'«confusiond'idéés;-

3?Brossette-;'tbùï'en.récormafcsantî'qtteB'ôil'éàùIa"rééllre'mi6at'iécrit'.s'ènvéféppefaul'iit'prêfèlWenfëlbppe?UilcritiqtifftK'-Iiuntt,Obsèr^-vattén's'stir'téHr'àpe'dïé'Vbmuntîqmï'a'pfà'posé;dê'iiBsjoursdê'4iïé';ce passagenonpus'commeBoileaul'a écrit,maisselonla préférefteè*de Brossette,et M?Daunoa"se'Talli'e:àcet"'ameiïaetiient.Cesseraitalorsuneallusionà Molière-ac[éûrj..jôiia.nt;lé;rôfé'dé G'éront'é;,et enfermédansunsacparSca-pinv-ilyranraitdanscette hypothèseunenouvelleconfusiond'idées,parle^brasq'U'e'ipassage:du"poëte'ù-M'àeleûr.Boileaune seraitpasjusliiiéferlèHéKlé-'ehvëlbpperait-d'obscru'rité;une idéedisparate.Ondoitmainlèflir'Ialéçon^autôris'éepar'tourês'léséditionsfaitessouslesyeuxdeBoileau,hé;poëtea vouludire-'quete saccjueporteScapin,et où il-,enfermC''Géronte,n'est pas:un-jeu-descènedi»nede l'auleuràw^Misanihrope'^evW-eût mieûx-'fait-;de-:nepas ledire.Remarquons-'qtfè'rl'héffiis'tichë='oft'Scttpirts'enveloppe"n'a jamaispusignifier,mêmeau figuré,queScapinentrât'dansle sac.L'acteurchargédecerôlejetaitsansdoutecesac,en manièredemanteau,sursesépaulesavantd'yenflrnièrsadupe.

i. Onvoit,parces:vers, que Boileau-se?-déclaré-par.-anticipationcontrela comédielarmoyante,que la Chausséemit plus tard à la

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ART POÉTIQUE, CHANTIII.

Quel'action, marchant où la raison la guide,Nese perdejamais dans une scènevide;Queson style humbleet douxse relève à propos;Que ses discours,partout ferliles*enbons mots, 410Soienlpleinsde passionsfinement-majùeès,Et les scènes toujours l'une à l'autre liées4.Auxdépensdu bon sens gardez de plaisanter :Jamais de la nalure il ne faut s'écarter.Contemplezde quel air un père dans Térence 415Vientd'un filsamoureuxgourmander l'imprudence2;De quel air cet amantsécoute-sesileçonsEt court chez sa maiUressecoiaWiènceseha«sons-;-.Cen'est pas un portrait) une image*serotola-bte:C'estun amant, unûlss^,ura'!pè*e'Véritable'3. 420J

J'aime sur le théâtre*uW'agréabler'aoteurQui, sans se diflan^'-'a«x*yefflx>*diiispe6ta*eu<riPlaît par la raisoff'sewre,-etjamais ne lajchoqiueïMaispour un faux plaisant;à%rossièreéqwivotfiies*,.Qui, pour me dive*tti>;'n'â^qwetesateté,- 425ÎQfe'ils'en aille, s'il veut; sur-deux tréteauîpmontéj'-Amusantle pont Neufde ses sornettes fades,Auxlaquaisassemblésjouer ses mascarades,

m'Odê.Voltaire,,q,ut'a.-céde-«à'lâcontagiondans-N&nmeet'VlSifâni*prodigue,,n'en a.pas.moins,ridiculisé'ce,,genrenn'ite.par.-lès-vérs-suiVanfs;:

Sôiiv.eat^è'i)âtUfimu:--tEagiqufri,houiîgeoi9;',AiiK=vaius.'£ltor'ts,<d'un-auti!ur.aqiiihibiei.Q'ilidéli£ure.ël-,quibravé;àta',fais,ûâhssonjargon,Melpomèiie-elThalië.

t^vfouteKftcee-règlesrdé la*comédietsont^aussi-juslespqae*bien?exprimées?-.

2i-Boileau--!dïsigne*iei.-*le'Simon».de--.l'Aildrienne,et.lè;,Dèmée-das<AdelphssrIfeàranee'pacteausskd'ua*,pèrede*Tér.eiice*.dans^ce-»ver5àeil'Artsppitiqueisi

IratasqoerCnremes-tamittddetuigpff-*ore'i£ Cetteadmiration-pourTérence.nousdonnelé secret"_dér:là~rés,s.

tEi«t.konaque«Boileau,.vientdémettreà.Vélogedé.Molière.Boileaupré-feraitTérenceà notregrand.çomiqué,par,!a!.mêuie.raison.-quiportaitlebonla Fontaineà seplacerau-dessousdéPhèdre..Auxvii"siècle,l'admirationdesancieiis-était-'utr^utte.

4. L'équivoquegrossièreréussissaitencore-dans'lës'-piêcesdeMont-neuryetdel'0i8Bon..C'està<ces-Jeuxauteurs,qu8(Boiléauifaitallusion.

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CHANT IV*

DansFlorencejadis vivaitun médecin2,Savanthâbleur, dit-on, et célèbre assassin.Lui seul y fit longtempsla publiquemisère :)Làle fils orphelin lui redemandeun père3;Ici le frère pleure un frère empoisonné; 5L'un meurt vide de sang, l'autre pleinde séné4;Le rhume à son aspect se change en pleurésie,Et par lui la migraine est bientôt frénésie.Il quitte enfin la ville, en tous lieux détesté.De tous ses amis morts un seul ami resté5 10

1. Lequatrièmechant est un complémentmoraldespréceptesdegoûtdonnédanslesprécédents.Lacritiquey gardeune place;maisl'auteurs'occupesurtoutde la dignitédupoëteet de soncaractère,quidoit être à la hauteurde la poésie,dont les hommesse sontservisd'abordpourconsacreret propagerdesvéritésimmortelles.

2. Boileauplacela scèneà Florence,parcequ'il sait bienquelelecteurseracharmédela ramenerde lui-mêmeàParis.L'applicationétait facile.Lessuccèsdu médecinClaudePerraultcommearchitectenepermettaientpasdedoute.Seulement,seshomicidesétaientmoinsmanifestesqueueschefs-d'oeuvre.Perraultpritmalcetteplaisanterie,qui s'envenimaen querelle,et Boileaueut le tort, aprèsavoircomi-quementexagéréles méfaitsmédicauxde sonadversaire,de luicon-testerla créationdei monumentsd'architectureqtii l'ontimmorta-lisé.LacolonnadeduLouvre,quoiqueBoileauaitaffirmélecontraire,est bien réellementl'oeuvrede ClaudePerrault.Clauden'estpasleseuldesPerraultqui ait eu mailleà partiravecBoileau; sou frère,CharlesPerrault,dansla querelledesancienset desmodernes,reçutdu satiriquebiendestraitsmordants.

3. Voltaire,Benriade,chantiv,vers185,transportedansle genresérieuxlaplaisanteénumérationdeBoileau:

Icila filleenpleursluiredemandeunpère,Làlefrèreelïrayépleureautombeaudunfrère.4. 11estdifficiled'imaginerune antithèsepluspiquante,.Leméde-

cin deFlorenceemploie,au profitde la mort,lesdeuxsystèmesquipartageaientalorslesmédecins: lesuns procédantexclusivementparla saignée,lesautresparlespurgatifs.5. Touslesautresavaientété tuésd'amitiéet par préférence,pla-césqu'ilsétaientsous la main du docteur.Boileauest en verve,etnullepartil n'a plaisantéplusagréablement.

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ART POÉTIQUE, CHANTIV. W

Le mène en sa maison de superbestructure.C'étaitun riche abbé, fou de l'architecture.Le médecind'abord semblené pour cet art,Déjàde bâtiments parle commeMansart1:D'un salonqu'on élèveil condamnela face; 15Au vestibuleobscur il marque une autre place;Approuvel'escalier tourné d'autre façon.Sonami le conçoit, et mande sonmaçon.Lemaçonvient, écoute,approuveet se corrige.Enfin,pour abréger un si plaisant prodige, 20Kotreassassinrenonceà son art inhumain;Et désormais,la règle et Péquerre à la main,Laissantde Galienla sciencesuspecte?,De méchant médecindevientbon architecte5.

Sonexempleest pour nous un précepteexcellent. 25Soyezplutôt maçon,si c'est votre talent,Ouvrier estimé dans un art nécessaire,Qu'écrivaindu communet poëtevulgaire4.Il est dans tout autre art des degrésdifférents:Onpeut avechonneur remplir les secondsrangs"; 30liais, dans l'art dangereuxde rimer et d'écrire,Il n'est point de degrésdu médiocreau pire6;

1. Ily eutdeuxarchitectescélèbresde ce nomsousLouisXIV:FrançoisMansait(1598^1666),et son neveuJulesJlansart,morten1708,qui construisitle chàleaudeVersailleset l'hôteldesInvalides.

%Galien,né à Pergamei'an131del'èrechrétienne,estle pluscé-lèbredessuccesseursd'ilippocràte.Ecrivainet praticienhabile,il futle médecinde l'empereurMarcAurèle,et composaengrecun grandnombred'ouvragesfortestimés.

3. Toutce préambuleépisodiqueest un modèlede récit, d'élé-ganteversificationet de plaisanterie.Onne pouvaitmettreplusagréablementenreliefl'importantevérité,qu'il ne faut passemé-prendresur sa vocation. .

A.On ne peutpas troprépétercombienla pratiquedetoutmé-tier est honorable,et quellecontradictionil y a entre l'art et lamédiocrité. .

5. Horace,Artpoétique,vers369:Gertismédiumet tolcrabilerébus

Recteconcedi.ConsultasjurisetaciorCausarummediocrisabcstvirtutedisertiMessaloenuescitq-uantumCascelliusAulus:Sedtanienin.pretioest.

6*.Horaceest dumêmeavis,Art poétique,vers37?iMediocribusessopoetis

Nonbomines,nondi,nonconcesserecolumnae.Malgrécettetripledéfensedeshommes,desdieuxet descolonnes,la médiocritén'en a pas moinsproduitun délugede vers.Boileau,aprèsle vers: Il n'est point,etc.,avaitessayédereproduirel'énei»

4

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50 BOILEAU.

Quidit froid écrivain,dit détestableauteur.Boyerest à Pinchêneégal pour le lecteur;Onne lit guère plus Rampaleet Ménarilière 353ue Magnon,du Souhait,Corbinet La Morliérc4.Onfoudu moinsfait rire, et peut nous égayer;Biaisun froid écrivainne sait rien qu'ennuyer.J'aimemieuxBergeracet sa burlesqueaudace3Quecesvers où Motinse morfondet nousglace3. 40

giepoétiquedece traitd'Horace: Nonconcesserecolumnae.11avaitdit, au lieudes quatreversqu'onlit maintenant:

Lesversnesouffrentpointdemédiocreauteur,Sesécritsentouslieuxsontl'effroidulecteur,ContreeuxdanslePalaislesboutiquesmurmurent,EllesaischezBilaineà regretlesendurent.

11y avaitdebonnesraisonspoursacrifierle premierdistiquedecequatrain;maisle secondesta regretter,d'autantplusqu'ilnousau-rait épargnél'énuméraiiondesRampaleet consorts,dontonn'a rienà dire,sinonqu'ilsétaientdedétestablesécrivains.

1. Horace,avecsonbonsenshabituel,donnela raisondécisivequiproscritlesversmédiocres.C'estqu'onpeutsepasserdevers,etquetoutcequiest deluxedoitêtreexcellent,Artpoétique,vers374

Utgratasinlermensassymphoniadiscors,Etcrassumunguentum,etSardocummellepapaverOffendunt:poteralduciquiacoenasineistis.

2.Cyranode Bergeracne manquaitni d'originaliténi de verve;maisil n'avaitni bonsensnigoût.LePédantjoué,qu'ilcomposaàdix-septans,lorsqu'ilétaitencoresur lesbancs,etpoursevengerdeGranger,principaldu collègede Bcauvais,abondeen situations,entraitseteucaractèrescomiques;maispartoutil dépassele but. Mo-lière,qui l'avaitconnuchezGassendi,où ilsétudièrentensemblelaphilosophie,luia empruntédeuxdesmeilleuresscènesdesFourbe-ries deScapin.lia aussiquelquesversbienfrappés,et au moinsunebellescènedanssatragédied*Agrippine,etle caractèredeSéjanestfortementtracé.SonVoyageà la luneet sonexcursiondanslesÉtats dusoleiln'ontpasétéinutilesàVoltairepourMicromégas,nià SwiftpourGulliver.11étaitfortbrave,et volontiersquerelleur.Satête,qmn'avaitjamaisétéfortsaine,se dérangeatoutà faitdanslesdernierstempsdesavie,qui futfort courte.Il avaitenvirontrente-cinqanslorsqu'ilmouruten1655.

3. Motinétaitun amideRégnier;il a faitquelquesodeslyriques,et plusieurspièces,au moinslégères,oùl'ontrouvetouteautrechosequedelafroideur.OnnevoitpaspourquoiBoileauestalléprendrelenomde cetauteur,morten1615et depuislongtempsoublié.Lesa-vantBaillet,quia connuBoileauchezM.deLamoignon,dontil étaitlebibliothécaire,affirmequeMotinestici pourColin.11estprobablequel'analogiedu nomet lemalinplaisirdefairepenseràCotin,sanslenommer,aurontdéterminéBoileau:cependantil s'endéfenditplustardauprèsdeBrossette.Quoiqu'ilensoit,ilfautsavoirgréau noëteden'avoirpasramenéauthentiquementdans-YArtpoétiquecetéter-nelGotin:

MisérablevictimetImmoléeaubonsensetsouventà larime.

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ART POETIQUE, CHANTIV. 51

Nevous enivrezpointdesélogesflatteursQu'un amasquelquefoisde vainsadmirateursVousdonneen cesréduits, promptsà crier : MerveilleJ!Tel écrit récité se soutientà l'oreilleQui,dans l'impressionau grandjour se montrant, 45Mesoutientpas des yeux le regard pénétrant.Onsait decent auteurs l'aventuretragique,Et _Gombaudtant loué garde encor la boutique2.

Écouteztout le monde,assidu consultant:Unfat quelquefoisouvreun avisimportant3. 50Quelquesvers toutefoisqu'Apollonvousinspire,En tous lieux aussilôtne courezpas les lire.Gardez-vousd'imiter ce ri'meurfurieuxQui,de ses vains écrits lecteur harmonieux,Abordeen récitant quiconquele salue 55Et poursuit de ses vers les passantsdansla rue4.Il n'est temple si saint desangesrespectéQui s.oitcontre sa muse un lieu de sûreté.Je vous l'ai déjàdit : aimezqu'onvouscensure5,Et, soupleà la raison, corrigez sans murmure; 60Maisne vousrendezpas dès qu'un sot vous reprend

Souventdansson orgueil un subtil ignorantPar d'injustes dégoûts combattoute une pièce,Blâmedes plus beaux vers la noblehardiesse.On a beau réfuter sesvainsraisonnements, 65

1. Cesréduitssontlesruellesdesalcôvesdeprécieusesdontledia-pasonadmiratifnousestdonnéparMolièredansla secondescènedutroisièmeactedesFemmessavantes.

2. Voyez-surGombaud,page199,note5.5. Ceversproverbialsetrouveêtrela traductiond'unversgreccité

parMacrobe,Saturn.Vl,7.IîoVXàxiY&pxal|Awçoç<xvT|p(Jtà\axai'ptoviTiuv

4. Librementimitéd'Horace,Art poétique,vers472-475:. . . Certefurit. . .

Indoctumdoctumquefugatrecitatoracerbus:Quemveroarripuit,tenet,oçciditquelegendo.

Martialsignalelemêmeridicule,livreIII,épigr.4 :Etstantilegisetlegissedenti.Inthermasl'ugio;sonasadaurem.

BoileaudésignedanscepassageCharlesDuperrier,qui,aprèsavoirfaitd'assezbonsverslatins,s'étaitmisà encomposerde françaisqui nevalaientrien'dutout,et qu'ilrécitaitavecacharnementà qui voulaitou ne voulaitpasl'entendre.

5. Aupremierchantdu poëme,vers192:Aimezqu'onvousconseilleetnonpasqu'onvousloue.

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52 ftOlLEAU.

Sonesprit se complaîtdans ses-.Cauxj,u;gfilme,nj$*jEt sa faible raison,,de.'clartédépourvue^Pense .querien ji'éç.liàp.peà s,adébilevue., ..Sesconseilssont à craindre; .et si vous les cçoy^Pensant fuir up .écueil,souy,en;t3\0.usyo/is^tppi. J$

Faiteschoixd'un .censeursolide;et.SAl.utaice',Quela raison conduisefit Je savoir éclàij.e, . ,Et dont le crayojy.s,ypd'abordaille ciiej'çjierL'endroit que l'on se,nt.faible,et .q'u'o.n§e veut cacher.2.Lui seul éclaircira y.psdp.utesrjdic.u.les, .''''

"?§

Devotreesprit tr,eiïuMa.n,tlèverales scrupules.C'est lui qui vousdira par,quel transport jjeurfiu^Quelquel'oisdanssa courseun esprit .vigpureuxjTropresserré par l'art, sflrJLdesrègles prescrite!,Et de l'art mêmeapp'reiiijà franchir leurs limites5, ,.80Maisce parlait .censeurse .trouverarement :Tel excelleà rimer qui juge sottement;Tel s'est fait par ses'vers ,dj,sfhjguerjlajnsla.vilje,

$..Molièreavaittracé,Misgnihrçpe,acteII, scène,y,un portraitanalogue:

' " ~ '.

Depuisquedanslai^teil §'.eslppisd'êtrebabilfî,Rienne'louches,giigpù),tantdjestd/fjici|e$11veutvoirdesdéliaisa'toit't'cequ'onécrit,Etpensequelouerii-'£stpasd'unliélesprit;Quec'estetrjesaventqtycij-pnvjL'r.à redire;Qu'iln'apparlientqu'auxsolsd'approuveretderire;Etqu'enn'approuvantriendesouvragesdutemps,Ilsemetau-dessusdetouslesautresgens.S, fiqjleauréycleici la p)usdangereusedesiromoBqajde Lafei-

blesseptdeJ'amouprprpprepliezles éprjvains.Il ptgt.le dnigisur hplaie.Onveutse cacherà soi-mêmelesépaj-tget lesdéfaïjianees(Jesonesprit.Delà la nécessitéd'êtreredresséet feptiSsfiai Jsfttojated'unpenspur •• "

.'Quelaraisonconduiseet lesavoir.éclaire.

Boileau,quiétaitpourd'autpescecemsursolideet nécessaire,avaitle siendansl'inexprableP:itrjj,dont|a séyéfil'éfaisaitdire à Racineet à Boileau,dans leurs'consultationsiïiuiueiies,en jouantsur lesmoisd'unproverbelatin: NesisPatruusmihi.Aureste,Patru,boujugedesdétails,semontrait"troptimorédevantlespreiêl's.quidécon-certaientsa prudence.C'estainsi qiiè,s'àulor'i'sahtde'raisonsspé-cieuses,il détournaitla fontainede fairedesfablesappèsP-hèdra,etBoileaului-mêmedecomposerun Ar{poétique,aprçsHorace.

5. C'estsurunecritique,deDje^njare^jfguélî'piïgâû'mitdansce versleurs limitesau lieudé les ft?7més,qu'il avait"d'abordécrit. En,effet,leshardiessesdu géniene franchissentpas, elles reculentigslimitesdel'art; maisellesfranchissentréellementcellesdesrèglesLésrègleslittéraires,fondéessur l'expérienceheureusedesgrandsécrivains,sont,commeles,théoriesde la science,à lamercidesl'aftsnouveauxqui revoientde nouvelles'formes'du""beauet de nouveauxmoyensdele,rgaHser.

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ART POÉTIQUE, CIIAJSTIV. 55

Qui jamaisde Ltfcainn'a distinguéVîfgifé{.Auteurs,prêtez'l'oreiïle'j m'es'instrtïcfio'n's'. SS

Voulez-vousfaire*âiriîer'vos'richeSfictions',Q'ft'ensavantesleçonsvotre muse fertile;Partout joigne-au'plaisantlé solideet Futile*.Un lecteursagefuit un' vain'âmu'sijm'éhf,Et veut mettre à profit son divertissement. %

Quevotre âmë et' vos rrttëufs",peintesdâri'svosouvragés3',ïrdffrent jamais de'166S4'ue'de nobles"images.Je ne purs"és'tinie'r"C'éSd'àffgëreuxâuféiiifs"Qui,de l'honneur',envers",infâmes'déserteurs,Trahissantla vertu sur ûh papier coupable*', ÔSAuxyeuxde leurs' lecteurs"rendent lé vice aimable*.

1. Ce trait fait allusronà?Corneflfe';mais Cdrn'eilTe'distiiigûaitLucainde Virgile,et!d'ëftrîtpourpréférer"Eucàin.Il suffit'de"l&éPompéepouren êtreassuré.Aureste;nous-avonssûr ce point'létémoignagede l'évêqued'Avranchës-,Huer,'devantqui1le grandetsincèreCorneilleexprimanaïvementcettesingulièrepréférence-.

2. Horace,Artpoétique,vers343:Omnetulitpunctiim,1quitriisc'uit-Utiledulci;,Lectorem-delectandopariterquemonendo.

3*.-Ceversycortfectaujourd'hui-,,a recelélongtempsun-solécisirie",

3ueni Boileau-,ni sesamis*ni sesennemis,cesgrandsdépisteurs

ofautes,n'avàïedfaperçu,trenteans durant.Danstoutesles édi-tionsde YArt poétique,jusqu'à

1 cellede'flOi inclusivenîenf,oitlisait:

Quevotreâmeet"vosmoeurspëint's'dans"ldus'vc-3ouvrages.BoileauécritàBrossette(Auleuil,3 juillet1703): «M.Gihert,ducol-lège dès'QO'atïe-Natidns',est' l'e pfëmfëfqui m'afait'apercevoir"d'écette faute dopnismadernièreédition...Maispbufréz'-v'0|U's<bienconcevoir'ce"queje"Vâ*isVous*dTr'é",qilvéït pourtantt'rès-Véï'ifable:qu'il'cette1faute;si'sriscë'Saflëfcevôir,nra-pourtantété'aperçue'ni"deiifbi',nrdé pérsoniféavantH*.Glbcrt,depuis'plusde'trente"ans'qu'ily a quemesouvragesorit'été imprimes"polirla premièrefbîs-;queM*.Patriï,c'ést'-f-dÎTel'é;(Juintilius-de"notresiècle;qui revit;éxa'cle-iMHnt1niaPbetfijue*,ne's'en"avisapoint,etd;Uédans"tout"déflot;d'en-nemisquiaécritcontremoi,et quim'a chicanéjusqu'auxpointsetaux'virgules',ilnes'ëtl'est point

1ré'ncbiitrélin"seul'qui Tait remar-quée...Celâtfait bienvoirqu'il fautnon'-s'e'ulémehrmontrers'ésou-vrages'S BeaucoupdÇ'gehYa'yîMt'quede,les faire"imprimer,maisdjiiériiênie",âp'rès"qu'ils"sont'imprimés,il faut's'enquérirc'urieuse-nîeril'd'dscrillij'ue's'qU'bn'y'rait.»

4. Boileaua déjàdit .avecnonmoinsde hardiesse-diffamer léfclpiëf.il'ésïinépuisableidahss'ahainedèslivrésinimoraiix"et desrdêéllrttitslivrés". -. , ,

t. fl rt'tet'pas'prdlialilé,quoi'quediseBrbssëtVé,,t|uë"Bbileauaiteuëli'vuel'a"Pdiïfàihë.Aprèsavoircommenteet loué"undës.cont'ës",etcen'est'paS5le'nibuislibre*de"ce'rloetë,il ri'a'urait'pa's"été1reçuà letraiteraussirigoureusement.C'estdéjà.bienassezd'avoiromis"1au-

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54 BOILKA-Ô.

Je ne suispaspourtantde cestristesespritsQui,bannissantl'amour de tous chastesécrits,D'unsi riche ornementveulentpriver la scène,Traitent d'empoisonneurset Rodrigueet Chimène'. 100L'amourle moinshonnête,expriméchastement,N'excitepointen nous de honteuxmouvement:Didona beau gémiret m'étalersescharmes,Je condamnesa faute en partageantseslarmes.Un auteur vertueux,danssesvers innocents, 105Necorromptpoint le coeuren chatouillantles sens;Sonfeu n'allumepoint de criminelleflamme2.Aimezdoncla vertu,nourrissez-envotreâme:En vain l'esprit est plein d'une noblevigueur;Levers se sent toujoursdes bassessesdu coeur*. 110

Fuyezsurtout, fuyezcesbassesjalousies,Desvulgairesesprits malignesfrénésies.Un sublimeécrivainn'en peut être infecté;C'estun vice qui suit la médiocrité.Dumérite éclatantcette sombrerivale 115Contrelui chezles grands incessammentcabale,Et, sur les piedsen vain tâchantde se hausser,Pour s'égalerà lui chercheà le rabaisser.Nedescendonsjamais dans ces lâches intrigues :N'allonspointà l'honneurpar dehonteusesbrigues4. 120

Queles vers ne soientpasvotreéternelemploi.Cultivezvos amis, soyezhommede foi;C'estpeu d'êtreagréableet charmantdansun livre :Il fautsavoirencoreet converseret vivre8.

teurdesFables;ceseraittropdeleflétrirdansunpoëmeoù il au-rait dûavoiruneplaced'honneur.

1. BoileausesépareicidesesamisdePort-Royal.C'estNicolequi,danssesVisionnaires,a traitélespoètesdramatiquesd'empoison-neursnondescorps,maisdesâmes,injurequeRacine,desoncôté,relevaaigrementet repoussaavecamertume.

2. Cettethéoriejudicieuseindiquede quellemanièreles poètesquise respectentdoiventtraiter les passions.CepassageestuneapologjedeRacine.

5. Sénèqne,épitrecxiv,exprimeuneidéeanalogue:Nonestaliusingenio,aliusanimocolor.

4. ItacineetBoileauavaienteubiendelâchesintriguesà déjouer.Leurtalentet la faveurdontils jouissaientexcitaientdoublementlajalousiedecespauvresauteursquelepublics'habituaità siffleretquelacourdélaissait.

5. Laleçonest bonne;maisellene s'appliquepas,commeon l'adit,à la Fontaine,quisavaitêtreaimableà sesheureset quiplai-saitfortà ceuxquinel'ennuyaientpa6.Ona accuséBoileaului-mêmedenesavoirparlerquevers,et de parlersurtoutdessiens:cequin'estpasplusjustequel'applicationfaitede cepassageà laFontaine.

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ART POETIQUE, CHANTIV. 55

Travaillezpour la gloire, et qu'un sordidegain 125Ne soitjamais l'objet d'un illustre écrivain.Je sais qu'un nobleesprit peut sanshonteet sans crimeTirer de son travail un tribut légitime1;Maisje ne puis souffrirces auteurs renommésQui, dégoûtésde gloire et d'argent affamés, 130Mettent,leur Apollonaux gagesd'un libraireEt font d'un art divinun métier mercenaire.

Avantque la raison, s'expliquantpar la voix,Eût instruit les humains, eût enseignédes lois,Tousles hommessuivaientla grossièrenature, 135Dispersésdans les bois couraientà la pâture;La force tenait lieu de droit et d'équité;Le meurtre s'exerçaitavec impunité.Maisdu discoursenfinl'harmonieuseadresseDeces sauvagesmoeursadoucit la rudesse, 140Rassemblaleshumainsdansles forêts épars,Enfermales citésde murs et de remparts;De l'aspect du suppliceeffrayal'insolenceEt sous l'appui des lois mit la faible innocence.Cetordre lut, dit-on, le fruit des premiers vers. 145De là sont nés ces bruits reçus dans l'univers,Qu'auxaccentsdontOrphéeemplitles montsdeThrace,Lestigres amollisdépouillaientleur audace;Qu'auxaccordsd'Amphionlespierres se mouvaientEt sur les murs thébàinsen ordre s'élevaient. 150L'harmonieen naissantproduisitces miracles.

1. Cetterestrictionestfaite,onlesait,à l'intentiondeRacine,quitiraitquelqueprofitdesesoeuvresdramatiques.Lesversqui suiventseraientuneduretéet uneinjustice,s'ils étaient,commeonl'a cru,dirigéscontreCorneille.Ce.grandpoëten'aimaitpasl'argent; maisil en avaitbesoin,et l'emploiqu'ilen faisaitau profitd'unefamillenombreusedevaitécarterloinde ce noblevieillardde pareilsre-proches.Cependantsi l'onencroitle Segraisiana,les comédiensse

Plaignaientque« lespiècesde M.Corneilleleurcoûtassentbiende

argent»; maisce n'étaitque parcomparaison,et par regretdubontempsoù ilspayaientles piècestrois ècus,ou mêmene les

Payaientpasdu tout,quandl'auteurétaitencorepeu connu.Depuis

orneille,cetribut légitimes'élevaà un tauxplusconvenable,maisquisemblerabienfaible,si l'on tient comptede sa gloireet si onlecompareauprofitquetirentde leurspièceslesauteursmodernes.Dnvoitsur lesregistres.deLagrangequeCorneillereçutdeuxmillelivrespourAttilaet pourBérénice.Sicespiècesétaientpeudignesdesa réputation; il estprobablepourtantque,payéen raisonde sagloireacquise,il leurdut une rétributionplusfortequecellequ'ilavaitreçuepourdeschefs-d'oeuvre.Ohsait de plus la sommequeRacinereçutpour sa troisièmepièce,Andromaqne:—deuxcentslivres.

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5G EOILBAI.

Depuis,le ciel en vers lit parler les oracles;Du sein d'un prêtre*éiiïttd'aite divise hortem*Apollon-pairdes'vers exhalasa fttreur*. '

Bientôt,ressuscitantlés héros-désviensâges,- l-5fjHomèreauxgrandsexploitsanimales courages.Hésiodeà son tour, par d'utiles feçonsyDeschampstropparesseuxvint hâter tesmoissons-'.Eu mille écrits fa'tiieuxla sagessetracée'Fut, à l'aide des vers,-au* mortelsannoncée; 100Et partout des'espritssespréceptesviinfpâeiïrsyIn-troduitspar l'ore'rtie,entrèrent dawS-les-e«fSsPour tant d'heuréifeMeB-faftsfôS"ftrases-révérées'Furent d'un juste eneéns<dans-la!Grèce'holfôrées-:Et leur art, attirant le culte des*martels', 165Asa gloire en centlieu*vit dresser desatiteîs:

1. Onpeutvoiricil'egeVtàséde-l'aBellestrophe'dVJ.Bi-RoiiâSe'EltfjOdeau comtedu Lue:

Outefqûed'Apollonlemfnistréterrible,Impatientd'ù'Dieui'oiilesmlffléfrivinCibW

Agitetousses'âensy,Leregardfurieux,latêteéchevelée'DU'temple"fait"mugir'ladeïnedréébranlée

Passes-crisfmpniSsnlllsVOutresonpo'ëmédesTraVau'tfféïde'sioû'fs,aurrùefBb'flëaM'lait

ici*allusion,Hésiodea' composé'urie TMo'g'omé:Il d'est"pdsCertainqu'Hésiodesoitpo'st'értenïà ffoinêYe';'Ob'les»ëi'diï-ëonteinpo'VarnS',etonplaceleurexistenceau x"siècleavantl'èrechrétienne.

3. Toutce morceau,depuisle vers133,est imitéd'Horace,ArtpoéliqaefVers-50i:•

Sylvestres'homihessacèrinterprèsquëDëordinCaediBuset'vifcmfoedbdcl'ërru'ifOrpHeuff,pïctbs'o»Heelbnireligi'esraBidbsqueleoh"és;DirtiiSâteAinpnionThebariaetcondilorarcis* 'Snrtamovero'sonotesludinis,.et-precebtandaDuceroquovellet.Fuithoeosapientiaquondam,-Publicaprivatisseeériiere,sacrap'rofânis;Cbncubituprobibere"Va'gôrdhrë'juràriiltritis';Oppidamolîri; lfegës''mcidere'ligno'.Sicbonorërnortlëd'diviiiis^vatibusatque'Garminibus-venife.Post-hos-insigilisHomerus-,-T-yrtaeusquemaresanimosinMartiabellaVersibusexacuit.Dictéepcrcarmin»sortes,Êt'vilaîmonslrataviirest1,ct'gi-aliaregum'Pierns"t"entat:i:mo"dis,lud'usquerepërtus,Etlongorumopei'umliais:Neforteputtori-SittibiMusalyra>solers,et-oantorApollo.'

flbraceConclutendisant"qu'ilne"faut'n'as'rougir'de'lï rtnlse;puis-qu'elleconduitSl'a faveurdes rois.Boilëaircxprirhe'un'sentimentpl'Usélevé';il-vêtitqu'onse s'ouviennedu"berceauet'des;preritieiÇbienfaitsdelapoésie,poufl'aihaïntën'irdans'la"vdi'é'où'elle'améritelareconnaissancedugenrehumain.

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ART POÉTIGDJE,CHANTIV. 57

Maisenfin,l'indigenceamenantJa bassesse1,Le Parnasseoubliasa premièrenoblesse..Unvil amourdu gain infectantles esprits,Demensongesgrossierssouillatous les écrits, 170Et partout,enfantantmilleouvragesfrivoles,Trafiquadu discourset vendit les paroles.

Ne vousflétrissezpoint par un vice si bas.Si l'or seul a pour vousd'invinciblesappas,Fuyezces lieuxcharmantsqu'arroselePermesse, 175Cen'est pointsur sesbordsqu'habitela richesse.Auxplus savantsauteurscommeaux plusgrandsguerriersApollonne prometqu'un nomet deslauriers.

Maisquoi! dans la disetteune museaffaméeNepeut pas, dira-t-on, subsisterde fumée; 180Un auteur qui, presséd'un besoinimportun.Le soir entendcrier ses entraillesà jeun,Goûtepeu d'Iléliconles doucespromenades:Horacea bu sonsoûlquand il voit les Ménades2;Et libre du souciqui trouble Colletet, 185N'altendpas pour dîner le succèsd'un sonnet.

Il est vrai : maisenfincette affreusedisgrâceRarementparmi nous affligele Parnasse,Et que craindreen ce siècle,où toujourslesbeaux-artsD'unastre favorableéprouventlesregards? 190Où d'un prinGeéclairé la sageprévoyanceFait partout au mérite ignorer l'indigence3?

Muses,dictezsa gloire à tous vos nourrissons:Soi)nomvautmieuxpoureuxquetoutesvos leçons.

1.Juvénala ditdanslemêmesens:

MagnisvirtutibusobslatBesangustadomi.

2. Boileauauraitdû s'arrêterlà; quesignifientColletetet leson-net,quirimeàColletetà proposd'Horace? Celteraillerien'estpasgénéreuse; cepauvreFrançoisColletetétait bienassezmalheureux3en'êtrepasassurédedînertouslosjours.D'ailleurs,il y arécidive(voye?satirei, vers771,Le pèredo François,GuillaumeColletet,avaitmieuxréussi; il futde1Académiefrançaise,et il eut bonnepartanxlargessesdeRichelieu,—Cepassageest imitéde Juvénal,satirevu,vers59:

NequeenimcantaresubantroPierio,tliyrgumvepotestcontingerasanaPaupei-tas,atqueoei-isinops,quonoctediequeCorpuseget.Saturest,cumdicitHoralinsEvoel.

3.Notreauteurenparleàsonaise.MalgrélagénérositédeLouisXIV,Corneillefaisaitmaigrechère,et la Fontaine,qui n'étaitpointpartieprenanteàlacassetteduroi,étaithébergéet nourripar sesamis.

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58 BOILEAU.

QueCorneille,pour lui rallumant son audace, 195Soit encorle Corneilleet du Cidet d'Horace1;QueRacine,enfantantdesmiraclesnouveaux.Deses hérossur lui forme tousles tableaux2 ;Quede sonnom, chantépar la bouchedes belles,Benseradeen tous lieux amuse lesruelles ; 200QueSegraisdansl'églogueen charmeles forêts;Quepour lui l'épigrammeaiguisetous ses Iraits5;Maisquel heureuxauteur, dansune autre Enéide,Auxbordsdu Rhintremblantconduiracet Alcide?Quellesavantelyre au bruit de ses exploits 205Fera marcher encor les rocherset les bois;Chanterale Balave,éperdu dans l'orage,Soi-mêmese noyantpour sortir du naufrage;Dirales bataillonssous Mastrichtenterrés,Dansces affreuxassautsdu soleiléclairés? 210

Maistandisque je parle, une gloire nouvelleVersce vainqueurrapide aux Alpesvousappelle.DéjàDôleet Salinssous le joug ont ployé;Besançonfume encor sur son roc foudroyé.Oùsontcesgrandsguerriers dont les fatalesligues 215Devaientà ce torrent opposertant de digues?Est-ceencoreen fuyantqu'ils pensentl'arrêter,Fiers du honteuxhonneurd'avoirsu l'éviter»*?Quede rempartsdétruits! que de villesforcées!Quede moissonsde gloire en courantamassées1 220

1. Corneilleprétendaitbienn'avoirpasdégénéré,car il disaitdeuxansplustard(1676):

OthonetSurenaNesontpointdescadetsindignesdeCinna.

2. Ona remarquéquecevers,contrel'intentionde Boileau,pou-vaitpasserpourunecritique:car leshérosde Racineressemblentparfoisun peuplusàLouisXIVqu'àleursantiquesmodèles.Sa su-

fiérioritéest surtoutdanssesrôlesdefemmes,et c'estlà qu'éclatent

avariétéet la forcedesongénie.3. Onnes'attendaitguèreà voir l'épigrammefigurerdanscette

énumération.Quepeuvent,eneffet,enfaveurdu roi, les traits lesmieuxaiguisés?Maisil fallaitconviertous lesgenresà cette fête.OnpeutcroireenoutrequeBoileauprenaitici le motépigrammedansle sensantiquedu mot,inscription,petitepièce,'quin'avaitpastoujoursuncaractèresatirique.

4. Le poëtefait allusionau mêmeévénementdansle Lutrin,chantiv,vers152:

EtleBataveencoreestprêtàsenoyer.Horace,livreIV,odeiv,vers51: *

QuosopimusFallereet effugereesttriumphus.

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ART POÉTIQUE, CHANTIV. 59

Auteurs,pour les chanterredoublezvostransportsLe sujet ne veut pas de vulgairesefforts.

Pour moi qui, jusqu'ici nourri dans la satire,N'oseencor manier la trompette et la lyre,Vousme verrezpourlant,dansce champglorieux, 225Vousanimer du moinsde la voixet des yeux;Vousoffrir cesleçonsque ma museau ParnasseRapporla,jeune encor, du commerced'Horace;Secondervotreardeur, échauffervosesprits,Et vousmontrer de loin la couronneet le prix. 230Maisaussi pardonnez,si, pleinde ce beauzèle,De tous vospas fameuxobservateurfidèle,Quelquefoisdu bon or je sépare le faux1,Et des auteurs grossiersj'attaque les défauts,Censeurun peu fâcheux,maissouventnécessaire, 235Plus enclin à blâmer que savantà bien faires.

1. Commela pierredetouchedontseserventlesessayeursde mé-tauxpouren déterminerle titre.

2. Imitationéloignéed'Horace,secomparantà lanifitre^àaiguiser,qui,sanspouvoircouperelle-même,affilele trajacçantd.«ireret del'acier: /^-''V'**'-"' .'À\

Fungarvicecolis,aculumif' ^ \Redderequaiferrumvalet,exsorsipsapeeandi.jt , : ..-;l

pARIS. IMPRIMERIEEMILEMARTINET,RUEMIGNON,2

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Wailly) s 'LAFONTAINE:Fables(E.Germez) 1fr.60c.LAMARTINE:3foreertUlcftoiii» »fr- »MOLIERE:L'Arare(Lavigne) » ^ c-

Tartuffe(Lavigne) 1a»•MONTAIGNE:Extraits(GuillaumeGuizot).. . » ,

\ RACINE:Andromague(Lavigne) > 75o./\ — LesPlaideurs(Lavigno) »

nc,/i\\ 6ÉVIGNÉ:Lettreschoisies(Ad.Régnier),tfr.30c. //\\ THEATRECLASSIQUE(Ad.Régnier).îlr. • II

\\\ D'autresauteurssontunpréparation il /

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