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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2013 - N°456 // 29 Les sujets infectés par le VIH déve- loppent plus rapidement que des sujets séronégatifs des pathologies liées à l’âge, notamment des atteintes cardio- vasculaires. Cette susceptibilité persiste en dépit d’un traitement antirétroviral (ARV) efficace, même si l’on sait que le VIH peut par lui-même accélérer les pro- cessus pathologiques inflammatoires. La co-infection par le VIH et le virus de l’hépatite C (VHC) est fréquente chez les usagers de drogues en intraveineuse (UDIV). Un travail a été mené afin de préciser si la fibrose hépatique post- hépatite C se développait plus précoce- ment en cas de co-infection VIH-VHC, comparativement à la mono-infection à VHC. L’étude s’est intégrée dans la cohorte ALIVE (AIDS linked to the intravenous experience), qui recrute dans la région de Baltimore (USA) des sujets adultes UDIV (actuels ou passés). Pour être inclus, les patients devaient être por- teurs d’anticorps anti-VHC et avoir eu au minimum une détermination du niveau de leur fibrose hépatique par élasto- métrie (méthode non invasive de type Fibroscan ® ), exprimée en kilopascals (kPa). Un suivi semestriel était ensuite assuré, comportant à chaque visite le contrôle de la sérologie VIH chez les sujets séronégatifs et un bilan immuno- virologique (quantification du nombre de CD4 et de la charge virale VIH) chez les séropositifs. La charge virale VHC était également quantifiée et l’on répétait l’évaluation non invasive de la fibrose hépatique. Tous les facteurs confondants pouvant modu- ler l’atteinte hépatique (consommation d’alcool, âge, ethnie, sexe, statut face au virus de l’hépatite B, tabagisme, indice de masse corporelle) étaient pris en compte, afin de pouvoir comparer le degré de fibrose des patients VIH+ à celui de sujets présentant des cofacteurs comparables mais non infectés par le VIH. Entre 2006 et 2011, près de 1 500 patients VHC+ de la cohorte ont été inclus parmi lesquels 1 176 présentaient une fibrose significative selon le Fibroscan ® . L’âge moyen des sujets étudiés était de 49 ans, dont 85 % sont Noirs et 32 % de femmes. Parmi ces sujets, 34 % pré- sentaient une co-infection VHC-VIH. La durée d’évolution de l’hépatite était similaire pour les deux sous populations (28,6 vs 28,9 ans). Si la fibrose s’est révélée modérée pour les trois quarts des sujets testés (n = 888), 13,9 % des participants (n = 163) pré- sentaient dès la première mesure une valeur supérieure ou égale à 12,3 kPa, compatible avec une cirrhose. Il est d’emblée noté une plus grande préva- lence de cirrhose (19,5 % vs 11 %) et de fibrose avancée (12,9 % vs 9,5 %) chez les sujets co-infectés comparés aux sujets mono-infectés VHC+ (p < 0,001). Le degré de fibrose était corrélé ainsi, et de façon indépendante, à l’âge du patient (p < 0,001) et à son statut VIH (p = 0,005). En cas de co-infection, la fibrose était plus marquée dans le cas d’immunosup- pression profonde (CD4 < 350/mm 3 ) et la CV du VIH élevée (> 4 log 10 copies/ mL). Une corrélation positive était éga- lement constatée chez les sujets Noirs, en surpoids ou obèses (IMC > 25 kg/m 2 ), présentant une consommation excessive d’alcool et/ou une sérologie B positive, ainsi que chez ceux présentant un taux d’ARN du VHC élevé. Une analyse multi- variée a confirmé ces données initiales, retrouvant un lien étroit entre la fibrose hépatique, l’âge et le statut VIH. Ainsi, chez les co-infectés, l’intensité de la fibrose est en moyenne supé- rieure de 1,17 à 2,02 kPa par rapport à celle des sujets infectés par le VHC seul. Ces valeurs correspondent à celles de patients mono-infectés plus âgés en moyenne de 9,2 ans (5,2-14,3 ans). L’évolution de la fibrose des patients VIH + paraît donc accélérée de 10 ans par rapport à celle de sujets VIH- d’âge identique. L’analyse de cette cohorte montre ainsi que l’infection par le VIH est un fac- teur majeur de progression de la fibrose hépatique post-hépatite C. Cette patho- logie rejoint ainsi d’autres maladies chro- niques liées à l’âge (maladies cardiovas- culaires et cancers notamment), dont on sait que leur prévalence est plus élevée dans les populations VIH+. Les mécanismes par lesquels le VIH accélère ces processus restent mal compris. Malgré l’étroite corrélation entre la fibrose et les paramètres immu- no-virologiques de l‘infection, un effet bénéfique des ARV n’a pu, dans ce travail, être mis en évidence. On peut toujours, en attendant d’y voir plus clair, incriminer les usuals suspects, à savoir l’inflammation persistante et/ou l’activation immune chronique chez les sujets VIH+. Ce travail souligne surtout l’importance du dépistage et de la prise en charge rapide de la maladie hépa- tique à VHC chez les sujets VIH+, afin d’éviter cette évolution accélérée vers la fibrose et la cirrhose. Kirk GD, Mehta SH, Astemborski J, et al. Ann Intern Med 2013;158(9):658-66. Co-infection VIH -VHC et fibrose hépatique accélérée chez les patients co-infectés par le VIH et le VHC En cas de co-infection VHC-VIH, la fibrose des sujets VIH + est accélérée de 10 ans par rapport aux sujets VIH- du même âge.

Co-infection VIH-VHC et fibrose hépatique accélérée chez les patients co-infectés par le VIH et le VHC

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Page 1: Co-infection VIH-VHC et fibrose hépatique accélérée chez les patients co-infectés par le VIH et le VHC

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2013 - N°456 // 29

Les sujets infectés par le VIH déve-loppent plus rapidement que des sujets séronégatifs des pathologies liées à l’âge, notamment des atteintes cardio-vasculaires. Cette susceptibilité persiste en dépit d’un traitement antirétroviral (ARV) efficace, même si l’on sait que le VIH peut par lui-même accélérer les pro-cessus pathologiques inflammatoires.La co-infection par le VIH et le virus de l’hépatite C (VHC) est fréquente chez les usagers de drogues en intraveineuse (UDIV). Un travail a été mené afin de préciser si la fibrose hépatique post-hépatite C se développait plus précoce-ment en cas de co-infection VIH-VHC, comparativement à la mono-infection à VHC.L’étude s’est intégrée dans la cohorte ALIVE (AIDS linked to the intravenous experience), qui recrute dans la région de Baltimore (USA) des sujets adultes UDIV (actuels ou passés). Pour être inclus, les patients devaient être por-teurs d’anticorps anti-VHC et avoir eu au minimum une détermination du niveau de leur fibrose hépatique par élasto-métrie (méthode non invasive de type Fibroscan®), exprimée en kilopascals (kPa). Un suivi semestriel était ensuite assuré, comportant à chaque visite le contrôle de la sérologie VIH chez les sujets séronégatifs et un bilan immuno-virologique (quantification du nombre de CD4 et de la charge virale VIH) chez les séropositifs.La charge virale VHC était également quantifiée et l’on répétait l’évaluation non invasive de la fibrose hépatique. Tous les facteurs confondants pouvant modu-ler l’atteinte hépatique (consommation d’alcool, âge, ethnie, sexe, statut face au virus de l’hépatite B, tabagisme, indice de masse corporelle) étaient pris en compte, afin de pouvoir comparer le degré de fibrose des patients VIH+ à celui de sujets présentant des cofacteurs comparables mais non infectés par le VIH.

Entre 2006 et 2011, près de 1 500 patients VHC+ de la cohorte ont été inclus parmi lesquels 1 176 présentaient une fibrose significative selon le Fibroscan®. L’âge moyen des sujets étudiés était de 49 ans, dont 85 % sont Noirs et 32 % de femmes. Parmi ces sujets, 34 % pré-sentaient une co-infection VHC-VIH. La durée d’évolution de l’hépatite était similaire pour les deux sous populations (28,6 vs 28,9 ans).

Si la fibrose s’est révélée modérée pour les trois quarts des sujets testés (n = 888), 13,9 % des participants (n = 163) pré-sentaient dès la première mesure une valeur supérieure ou égale à 12,3 kPa, compatible avec une cirrhose. Il est d’emblée noté une plus grande préva-lence de cirrhose (19,5 % vs 11 %) et de fibrose avancée (12,9 % vs 9,5 %) chez les sujets co-infectés comparés aux sujets mono-infectés VHC+ (p < 0,001). Le degré de fibrose était corrélé ainsi, et de façon indépendante, à l’âge du patient (p < 0,001) et à son statut VIH (p = 0,005).En cas de co-infection, la fibrose était plus marquée dans le cas d’immunosup-pression profonde (CD4 < 350/mm3) et la CV du VIH élevée (> 4 log 10 copies/mL). Une corrélation positive était éga-lement constatée chez les sujets Noirs, en surpoids ou obèses (IMC > 25 kg/m2), présentant une consommation excessive d’alcool et/ou une sérologie B positive,

ainsi que chez ceux présentant un taux d’ARN du VHC élevé. Une analyse multi-variée a confirmé ces données initiales, retrouvant un lien étroit entre la fibrose hépatique, l’âge et le statut VIH.Ainsi, chez les co-infectés, l’intensité de la fibrose est en moyenne supé-rieure de 1,17 à 2,02 kPa par rapport à celle des sujets infectés par le VHC seul. Ces valeurs correspondent à celles de patients mono-infectés plus âgés en moyenne de 9,2 ans (5,2-14,3 ans). L’évolution de la fibrose des patients VIH + paraît donc accélérée de 10 ans par rapport à celle de sujets VIH- d’âge identique.L’analyse de cette cohorte montre ainsi que l’infection par le VIH est un fac-teur majeur de progression de la fibrose hépatique post-hépatite C. Cette patho-logie rejoint ainsi d’autres maladies chro-niques liées à l’âge (maladies cardiovas-culaires et cancers notamment), dont on sait que leur prévalence est plus élevée dans les populations VIH+. Les mécanismes par lesquels le VIH accélère ces processus restent mal compris. Malgré l’étroite corrélation entre la fibrose et les paramètres immu-no-virologiques de l‘infection, un effet bénéfique des ARV n’a pu, dans ce travail, être mis en évidence. On peut toujours, en attendant d’y voir plus clair, incriminer les usuals suspects, à savoir l’inflammation persistante et/ou l’activation immune chronique chez les sujets VIH+. Ce travail souligne surtout l’importance du dépistage et de la prise en charge rapide de la maladie hépa-tique à VHC chez les sujets VIH+, afin d’éviter cette évolution accélérée vers la fibrose et la cirrhose.

Kirk GD, Mehta SH, Astemborski J, et al. Ann Intern Med 2013;158(9):658-66.

Co-infection VIH -VHC et fibrose hépatique accélérée chez les patients co-infectés par le VIH et le VHC

En cas de co-infection VHC-VIH, la fibrose des sujets VIH + est accélérée de 10 ans par rapport aux sujets VIH- du même âge.