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COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL DEUXIÈME RAPPORT SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ : ASPECTS POSITIFS ET MOTIFS DE PRÉOCCUPATION

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COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL

DEUXIÈME RAPPORT SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ : ASPECTS POSITIFS ET MOTIFS DE PRÉOCCUPATION

Amnesty International est un mouvement mondial réunissant plus de sept millions de personnes qui agissent pour que les droits fondamentaux de chaque individu soient respectés.

La vision d’Amnesty International est celle d’un monde où chacun peut se prévaloir de tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans d’autres textes internationaux relatifs aux droits humains.

Essentiellement financée par ses membres et les dons de particuliers, Amnesty International est indépendante de tout gouvernement, de toute tendance politique, de toute puissance économique et de tout groupement religieux.

Amnesty International Publications

L’édition originale en langue anglaise de ce rapport a été publiée en 2016 par

Amnesty International Publications

Secrétariat international

Peter Benenson House

1 Easton Street

London WC1X 0DW

Royaume-Uni

www.amnesty.org/fr

© Amnesty International Publications 2016

Index : IOR 40/3606/2016 French

Original : anglais

Imprimé par Amnesty International, Secrétariat international, Royaume-Uni

Tous droits réservés. Cette publication, qui est protégée par le droit d’auteur, peut être

reproduite gratuitement, par quelque procédé que ce soit, à des fins de sensibilisation,

de campagne ou d’enseignement, mais pas à des fins commerciales. Les titulaires des

droits d’auteur demandent à être informés de toute utilisation de ce document afin

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écrite préalable des éditeurs, qui pourront exiger le paiement d’un droit. Pour toute

demande d’information ou d’autorisation, veuillez écrire à [email protected].

SOMMAIRE I. INTRODUCTION ........................................................................................................ 4

II. POSITION D’AMNESTY INTERNATIONAL CONCERNANT UNE CONVENTION SUR LES

CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ ..................................................................................... 5

III. LES ASPECTS POSITIFS DU DEUXIÈME RAPPORT .................................................... 6

1. OBLIGATION D’EXTRADER OU DE POURSUIVRE INCLUANT LA « TROISIÈME VOIE » 6

2. IMPRESCRIPTIBILITÉ DES CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ ..................................... 7

IV. PRÉOCCUPATIONS SUSCITÉES PAR LES PROJETS D’ARTICLES ................................ 8

1. ABSENCE DE DISPOSITION AUTORISANT EXPLICITEMENT LES ÉTATS À EXERCER

LE PRINCIPE DE LA COMPÉTENCE UNIVERSELLE ..................................................... 8

2. L’EXPRESSION « SUR TOUT TERRITOIRE RELEVANT DE SA JURIDICTION OU DE

SON CONTRÔLE » ................................................................................................... 11

3. ORDRES D’UN SUPÉRIEUR ET ORDRES D’UN GOUVERNEMENT .......................... 14

4. LE DROIT À L’ASSISTANCE CONSULAIRE ............................................................ 19

5. ABSENCE DE DISPOSITION ASSURANT L'IMPRESCRIPTIBILITÉ EN MATIÈRE DE

RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE ............................................................................. 21

IV. RECOMMANDATIONS ............................................................................................ 22

Commission du droit international – Deuxième rapport sur les crimes contre l’humanité : aspects positifs et motifs de préoccupation

Amnesty International – mai 2016 Index : IOR 40/3606/2016

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I. INTRODUCTION La Commission du droit international (CDI), organe des Nations unies établi en 1947 par l’Assemblée générale et constitué de spécialistes du droit international dont la mission est « de favoriser le développement progressif et la codification du droit international », a décidé en 2013 d’inscrire le sujet des « crimes contre l’humanité » à son programme de travail sur le long terme. Un an plus tard, la CDI a intégré le sujet dans son programme de travail et a nommé le professeur Sean D. Murphy rapporteur spécial sur cette question12.

Début 2015, le rapporteur spécial a remis son premier rapport, où il traitait « des avantages que peut apporter l’élaboration de projets d’articles qui pourraient servir de base à une convention internationale sur les crimes contre l’humanité », et proposait deux articles à cet effet3. Amnesty International a émis en avril un premier ensemble de recommandations, publié sous le titre : « Recommandations initiales en faveur d’une convention sur les crimes contre l’humanité »4. Sur la base des articles proposés, la CDI a provisoirement adopté les quatre premiers articles d’une future convention relative aux crimes contre l’humanité5.

Début 2016, le rapporteur spécial a remis son Deuxième rapport sur les crimes contre l’humanité (le « Deuxième rapport »), dans lequel il proposait six nouveaux projets d’articles à la CDI6. La CDI examinera ce Deuxième rapport, ainsi que les articles proposés, lors de sa 68e session, qui aura lieu du 2 mai au 10 juin 2016 à l’Office des Nations Unies à Genève.

1 Article 1(1) du Statut de la Commission du droit international (adopté par l’Assemblée générale dans le

cadre de la Résolution 174 (II) du 21 novembre 1947, telle que modifiée par les Résolutions 485 (V) du

12 décembre 1950, 984 (X) du 3 décembre 1955, 985 (X) du 3 décembre 1955 et 36/39 du

18 novembre 1981).

2 Annuaire de la Commission du droit international 2014, Supplément n° 10 (A/69/10), § 266.

3 Commission du droit international, Premier rapport sur les crimes contre l’humanité, Sean D. Murphy,

rapporteur spécial, A/CN/4/680, 17 février 2015, § 2.

4 Amnesty International, « Commission du droit international : Recommandations initiales en faveur

d’une convention sur les crimes contre l’humanité » (index AI : IOR 40/1227/2015), 28 avril 2015.

5 Annuaire de la Commission du droit international 2015, Supplément n° 10 (A/70/10), p. 53-55.

6 Commission du droit international, Deuxième rapport sur les crimes contre l’humanité, Sean D.

Murphy, rapporteur spécial, A/CN/4/690, 20 janvier 2016.

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II. POSITION D’AMNESTY INTERNATIONAL CONCERNANT UNE CONVENTION SUR LES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ Lorsque la CDI a annoncé en 2014 qu’elle allait se consacrer à la rédaction d’articles en prévision d’une future convention internationale sur les crimes contre l’humanité, Amnesty International s’est réjouie de cette décision. Elle s’est ensuite dite d’avis qu’un tel traité pourrait renforcer les obligations d’enquêtes et de poursuites concernant les crimes contre l’humanité qui incombent aux États et était par conséquent susceptible de contribuer à la lutte contre l’impunité7. Amnesty International a toutefois rappelé que la future convention devait partir des normes contenues dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale8 (le Statut de Rome) et dans d’autres documents porteurs d’avancées et réitérant les obligations prévues par le droit international, dans le souci de favoriser la progression du droit pénal international destiné à mettre un terme aux crimes contre l’humanité et à garantir le respect de l’obligation de rendre des comptes.

Amnesty International note que, dans son commentaire du projet d’article 1 d’août 2015, la CDI estime que « les présents projets d’article ne seront pas incompatibles avec les traités existants pertinents » et que « les présents projets d’article ne seront pas en conflit avec les obligations des États découlant des instruments constitutifs des cours ou tribunaux pénaux internationaux ou “hybrides” [...], notamment la Cour pénale internationale »9. Amnesty International rappelle néanmoins qu’elle demande à la CDI de veiller à ce que toutes les dispositions soient conformes aux principes de base établis par le Statut de Rome, respectent toutes les obligations prévues par le droit international de prévenir, de réprimer et de sanctionner les crimes contre l’humanité et, si besoin, participent au développement du droit international en vue de faire de l’obligation de rendre des comptes une réalité pour tous les crimes contre l’humanité. Le projet de convention ne doit pas seulement représenter le plus petit dénominateur commun.

Les préoccupations évoquées et les recommandations formulées à l’intention de la CDI dans le présent document ne font, pour nombre d’entre elles, que réitérer des

7 Voir le communiqué de presse intitulé « L’élaboration d’une nouvelle convention sur les crimes contre

l’humanité représenterait une opportunité de renforcer la lutte contre l’impunité », 18 juillet 2014

(IOR 51/001/2014).

8 Statut de Rome de la Cour pénale internationale (adopté le 18 juillet 1998, entré en vigueur le

1er juillet 2002), 2187 UNTS 3.

9 Annuaire... 2015, p. 56.

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positions déjà exprimées par notre organisation en matière de droit pénal international. Elles concernent essentiellement les six nouveaux projets d’articles soumis par le rapporteur spécial. Amnesty International prévoit de publier à terme des documents proposant une analyse plus détaillée des propositions actuelles et à venir du rapporteur spécial.

III. LES ASPECTS POSITIFS DU DEUXIÈME RAPPORT Dans son Deuxième rapport, le rapporteur spécial propose six nouveaux articles. Amnesty International considère plusieurs des dispositions envisagées comme étant positives et estime que la CDI devrait les adoptées, même à titre provisoire. Il s’agit notamment des dispositions énumérées ci-dessous.

1. OBLIGATION D’EXTRADER OU DE POURSUIVRE INCLUANT LA « TROISIÈME VOIE »

Comme le recommandait Amnesty International à la CDI dans ses « Recommandations initiales en faveur d’une convention sur les crimes contre l’humanité », l’article 9(1) tel que proposé par le rapporteur spécial prévoit l’obligation d’extrader ou de poursuivre (aut dedere aut judicare) les auteurs d’un crime contre l’humanité en incluant la « troisième voie ». En d’autres termes, le projet d’article 9(1) dispose que « l’État qui exerce sa juridiction ou son contrôle sur tout territoire sur lequel se trouve l’auteur présumé [d’un crime contre l’humanité] saisit ses autorités compétentes aux fins de l’exercice de l’action pénale, à moins qu’il ne l’extrade ou ne le remette à tout autre État ou toute juridiction pénale internationale compétente ».

Amnesty International réitère (malgré certaines réserves concernant la formulation « qui exerce sa juridiction ou son contrôle sur tout territoire », voir plus loin IV.2) son ferme soutien à une disposition qui prévoit l’obligation d’extrader ou de poursuivre en incluant dans sa formulation la « troisième voie ». L’organisation considère ce projet d’article comme une avancée du droit international, susceptible de codifier une règle qui tend à s’imposer dans le droit international coutumier10.

10 Dans son Rapport final en date du 5 juin 2014 (A/CN.4/L.844), le groupe de travail de la CDI sur

l’obligation d’extrader ou de poursuivre « tient à préciser qu’il ne faut pas inférer [de] ce qui précède [le

fait que « la conclusion selon laquelle le caractère coutumier de l’obligation d’extrader ou de poursuivre

pouvait être inféré de l’existence de règles coutumières prohibant des actes internationaux précis

suscitait un désaccord général »] que lui-même ou la Commission dans son ensemble étaient parvenus à

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Recommandation : la CDI doit adopter une disposition consacrant l’obligation d’extrader ou de poursuivre (aut dedere aut judicare) les personnes ayant commis des crimes contre l’humanité et incluant la « troisième voie ».

2. IMPRESCRIPTIBILITÉ DES CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ

L'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, ainsi que du génocide, des crimes de guerre et du crime d’agression, constitue une règle établie du droit international coutumier11 et un outil utile dans la lutte contre l’impunité. Notre organisation est par conséquent favorable à l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, telle que prévue dans le projet d’article 5(3).

Recommandation : la CDI doit adopter une disposition sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité.

la conclusion que l’obligation d’extrader ou de poursuivre ne s’était pas, ou pas encore, cristallisée en

règle de droit international coutumier, fût-elle générale ou régionale » (§ 10 et 12). Voir également :

Cour interaméricaine des droits de l'homme, affaire Goiburú et al. v Paraguay, arrêt, 22 septembre

2006, § 132, selon lequel aucun État ne peut assurer une protection directe ou indirecte aux inculpés

d’atteintes aux droits humains par un recours abusif à des mécanismes juridiques allant à l’encontre des

obligations internationales pertinentes et que, par conséquent, les mécanismes de garantie collective mis

en place par la Convention américaine, ainsi que les obligations internationales régionales et universelles

à ce sujet, imposent aux États de la région le devoir de collaborer de bonne foi à cet égard, soit en

extradant, soit en poursuivant sur leur territoire les personnes responsables des faits reprochés.

11 TPI pour le Rwanda, Furundžija, IT-95-17/1, Chambre de première instance, arrêt, 10 décembre

1998, § 157 ; Cour européenne des droits de l’homme, Kolk et Kislyiy c. Estonie, arrêt, 17 janvier

2006 ; Cour interaméricaine des droits de l'homme, Gomes Lund et autres (Guerrilha do Araguaia) c.

Brésil, arrêt, 24 novembre 2010, § 256 ; C. Van der Wyngaert et J. Dugard, Cassese, Gaeta et Jones

(sous la direction de), The Rome Statute of the International Criminal Court: a commentary (OUP 2002),

p. 887 (« Étant donné le mutisme sur la question des traités multilatéraux définissant les crimes

internationaux, on peut difficilement dire que le droit international coutumier interdit d’établir un délai

de prescription pour tous les crimes internationaux. Il n’en va cependant pas de même pour les crimes

“fondamentaux” que sont le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et l’agression.

Il existe des arguments permettant de considérer que la prohibition de tels crimes constitue une norme

de jus cogens, avec pour axiome leur imprescriptibilité ») ; A. Cassese, M. Delmas-Marty, Crimes

Internationaux et Juridictions Internationales (Presses Universitaires de France - PUF 2002), p. 239

(« On a dit qu’en 1996 la CDI estimait qu’il n’existait pas de règle coutumière sur l’imprescriptibilité des

crimes internationaux. Il faut maintenant considérer si, à la lumière des développements les plus

récents, on assiste à la formation d’une règle internationale qui prévoit l’imprescriptibilité des crimes

internationaux, du moins des crimes les plus graves (...) Aujourd’hui on peut donc affirmer qu’une règle

coutumière qui reconnaît l’imprescriptibilité des crimes relevant de la juridiction de la Cour est en train

de se former (ou bien de se consolider, si l’on est plus optimiste) ».)

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IV. PRÉOCCUPATIONS SUSCITÉES PAR LES PROJETS D’ARTICLES

1. ABSENCE DE DISPOSITION AUTORISANT EXPLICITEMENT LES ÉTATS À EXERCER LE PRINCIPE DE LA COMPÉTENCE UNIVERSELLE

Le projet d’article 6 (« Établissement de la compétence nationale ») dispose :

1. Chaque État prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard

des infractions visées aux paragraphes 1 et 2 du projet d’article 5, dès lors que :

a) L’infraction a été commise sur tout territoire relevant de sa juridiction ou de

son contrôle ou à bord d’un navire ou d’un aéronef immatriculé dans cet État ;

b) L’auteur présumé de l’infraction est l’un de ses ressortissants ; et

c) La victime est l’un de ses ressortissants et l’État le juge opportun.

2. Chaque État prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence

à l’égard des infractions visées aux paragraphes 1 et 2 du projet d’article 5, dès lors

que l’auteur présumé de l’infraction se trouve sur tout territoire relevant de sa

juridiction ou de son contrôle, à moins qu’il ne l’extrade ou ne le remette ainsi qu’il

est dit au paragraphe 1 du projet d’article 9.

3. Sans préjudice des règles applicables du droit international, le présent projet

d’article n’exclut pas l’établissement par l’État d’autres chefs de compétence pénale

envisagés par son droit interne.

Ce projet d’article, qui établit le principe de la compétence territoriale et les principes de personnalité active et passive (dans ce dernier cas, si l’État le juge opportun), constitue fondamentalement une bonne initiative, malgré l’utilisation problématique déjà mentionnée de l’expression « sur tout territoire relevant de sa juridiction ou de son contrôle » (voir plus loin IV.2). De même, le paragraphe 3, qui permet aux États d’appliquer d’autres principes de compétence conformément à leur droit interne (comme, par exemple, celui de la compétence universelle), est cohérent avec les principaux traités régionaux et internationaux relatifs aux droits humains12.

Toutefois, le mot « et » à la fin de l’alinéa 6(1)(b) est vraisemblablement une erreur. Aucun traité existant ne comporte une telle conjonction, qui semble impliquer une condition cumulative à l’exercice de la compétence au titre des principes de personnalité active et passive. Amnesty International suggère de

12 Voir, entre autres, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou

dégradants, adoptée le 10 décembre 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987, 1465 UNTS 85, article

5(3) ; la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions

forcées article 9(3) ; la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture

article 12 ; etc.

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remplacer ce « et » par un « ou », plus classique, pour que l’article soit bien en accord avec le droit international.

Par ailleurs, le projet d’article 6, qui pourrait être l’occasion de fixer une règle fondamentale en droit international coutumier concernant les questions de compétence, ne le fait pas. Il devrait autoriser explicitement - et non pas seulement implicitement - tout État à ouvrir une enquête sur des crimes contre l’humanité commis hors de son territoire et sans lien avec ledit État en raison de la nationalité du suspect ou de la victime, quel que soit l’endroit où se trouve(nt) la ou les personne(s) soupçonnée(s) d’être pénalement responsable(s)13.

Amnesty International est opposée aux procès par contumace, sauf dans certaines circonstances extrêmement précises, mais cette position n’exclut pas les enquêtes sur des allégations de crimes contre l’humanité, même lorsque le suspect ne se trouve pas physiquement dans le secteur de compétence d’un tribunal national14. Ainsi, comme le note un arrêt de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud déjà cité par Amnesty International :

Conditionner l’ouverture d’une enquête à la présence de l’accusé rendrait nul l’objet de la lutte contre les crimes contre l’humanité. Si un suspect entrait sur le territoire d’un État partie et y séjournait brièvement, en l’absence de toute investigation préalable il serait difficile de prononcer une inculpation. Une enquête préliminaire n’enfreint pas les droits à un procès équitable du suspect ou de l’accusé. Pour savoir si une personne se trouve réellement ou potentiellement sur le territoire, il faut commencer par une enquête. Sinon, il est impossible d’établir le lieu où se trouve le suspect, ou celui où il pourrait se trouver. En outre, toute procédure susceptible de découler d’une enquête, telle que l’engagement de poursuites ou la présentation d’une demande d’extradition, suppose l’examen d’informations qui ne peuvent être obtenues que par le biais d’une enquête. Par exemple, la décision d’engager ou non des poursuites ne peut être prise que lorsqu’une affaire a été inscrite au rôle et remise au ministère public15.

Il est exact que, comme le souligne le rapporteur spécial, « [l]es traités comme la Convention contre la torture ne prescrivent pas aux États parties d’établir leur

13 Voir la lettre adressée conjointement par 12 organisations non gouvernementales au rapporteur spécial

sur les crimes contre l’humanité, en date du 16 février 2016 (IOR 53/3512/2016).

14 Amnesty International, Making the Right Choices II, juin 1997, section IV(c)(2) (« Amnesty

International estime qu’un procès par contumace, hormis dans les situations où l’accusé est

délibérément absent après avoir été présent à l’ouverture du procès ou s’il persiste à troubler le bon

déroulement du procès, est inéquitable »). Amnesty International, Pour des procès équitables

(POL 30/002/2014), 9 avril 2014, chapitre 21(2) (également disponible en anglais, en arabe, en

espagnol et en russe).

15 National Commissioner of the South African Police Service v Southern African Human Rights

Litigation Centre and Another [2014] ZACC 30, § 48 [traduction non officielle].

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compétence à l’égard de l’auteur présumé de l’infraction qui ne se trouverait pas sur leur territoire »16. Toutefois, comme l’explique un éminent spécialiste, les crimes contre l’humanité « peuvent être du ressort de n’importe quelle instance pénale internationale et, s’il est exact qu’aucun traité n’exige l’application du principe de la compétence universelle aux auteurs présumés de tels crimes, on peut estimer qu’une telle compétence est permise »17. [Passage souligné par nos soins]

Amnesty International réaffirme que, dans la mesure où tout État est habilité par le droit international coutumier à exercer sa compétence sur des crimes contre l’humanité quel que soit le lieu où ceux-ci ont été commis, les projets d’article doivent les y autoriser explicitement. Il est en outre fondamental que la compétence dans ce genre d’affaires soit fondée sur le droit international, plutôt que national. La possibilité pour un État d’exercer sa compétence doit donc être explicitement inscrite dans la Convention, et non pas simplement prévue implicitement par une disposition générale.

Comme l’indiquait déjà il y a 15 ans l’organisation : « Les travaux universitaires, la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux et des organisations intergouvernementales, les organismes politiques et les experts s’accordent pour montrer que le droit pénal international autorise tout État à exercer le principe de la compétence universelle en cas de crimes contre l’humanité »18.

Ce point de vue est manifestement partagé par un certain nombre de tribunaux nationaux, comme la Cour de Cassation en France, qui concluait dans le procès Barbie :

Qu’en raison de leur nature, les crimes contre l’humanité pour lesquels [Klaus Barbie] est inculpé ne relèvent pas seulement du droit pénal interne français, mais encore d’un ordre répressif international auquel la notion de frontière et les règles extraditionnelles qui en découlent sont fondamentalement étrangères19.

De même, la cour d’appel d’Amsterdam, dans l’affaire Bouterse, a estimé :

Le droit international coutumier, tel qu’il était en 1982, accordait à un État la possibilité d’exercer le principe de la compétence universelle concernant

16 CDI, Deuxième rapport, § 114.

17 N. Rodley & M. Pollard, Treatment of Prisoners under International Law, Second ed. (Oxford Clarendon

Press, 2009) p. 185.

18 Amnesty International, Universal Jurisdiction: the duty of states to enact and enforce legislation,

chapitre 5, Index AI : IOR 53/008/2001, septembre 2001, p. 5.

19 Cour de Cassation, Chambre criminelle, Audience publique du 6 octobre 1983, no de pourvoi : 83-

93194.

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un individu accusé d’un crime contre l’humanité quand cet individu n’était pas un ressortissant dudit État20.

Enfin, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie constate, dans l’affaire Furundžija :

On a estimé que les crimes internationaux étant universellement condamnés quel que soit l’endroit où ils ont été commis, chaque État a le droit de poursuivre et de punir les auteurs de ces crimes21.

Concernant l’adoption du projet d’article sur le champ de la compétence, et dans le même ordre d’idée, il convient également de rappeler que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a estimé, dans son étude consacrée au droit international humanitaire coutumier, que « [l]es États ont le droit de conférer à leurs tribunaux nationaux une compétence universelle en matière de crimes de guerre »22.

Recommandation : la CDI doit autoriser, par une disposition explicite, tout État à ouvrir une enquête sur des crimes contre l’humanité commis hors de son territoire et sans lien avec ledit État en raison de la nationalité du suspect ou de la victime, quel que soit l’endroit où se trouve(nt) la ou les personne(s) soupçonnée(s) d’être pénalement responsable(s).

2. L’EXPRESSION « SUR TOUT TERRITOIRE RELEVANT DE SA JURIDICTION OU DE SON CONTRÔLE »

On retrouve l’expression « sur tout territoire relevant de sa juridiction ou de son contrôle » dans les projets d’articles 4, 6, 7, 8 et 9, parfois à plusieurs reprises.

Le projet d’article 6(1)(a) dispose :

Chaque État prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard des infractions visées aux paragraphes 1 et 2 du projet d’article 5, dès lors que : [l]’infraction a été commise sur tout territoire relevant de sa juridiction ou de son contrôle ou à bord d’un navire ou d’un aéronef immatriculé dans cet État.

20 Décision du 20 novembre 2000 de la cinquième section de trois juges chargés des aspects civils du

recours – numéros de requête : R 97/163/12 Sv et R 97/176/12, § 5-2 [traduction non officielle].

21 TPIY, Le Procureur c. Anto Furundžija, IT-95-17/1-T, Chambre de première instance, arrêt du

10 décembre 1998, § 156

22 J.M. Henckaerts & L. Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier (CICR), Règle 157,

p. 801.

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Le projet d’article 7(1) dispose pour sa part :

Chaque État veille à faire procéder en toute diligence et impartialité par ses autorités compétentes à une enquête chaque fois qu’il y a des raisons de penser qu’il a été commis ou qu’il se commet un crime contre l’humanité sur tout territoire relevant de sa juridiction ou de son contrôle.

Selon la CDI, cette formule « couvre le territoire d’un État mais aussi les activités menées dans d’autres territoires sous le contrôle de l’État »23. La CDI a expliqué il y a quelques années que « la fonction de la notion de “contrôle” en droit international est d’assigner certaines conséquences juridiques à un État dont la juridiction sur certaines activités ou événements n’est pas reconnue en droit international ; elle s’applique à des situations où un État exerce une juridiction de facto, même lorsqu’il n’y a pas de juridiction de jure, par exemple les situations d’intervention, d’occupation et d’annexion illicites au regard du droit international »24.

Pour Amnesty International, le fait que les projets d’articles prévoient deux types distincts de compétence territoriale, la juridiction et le contrôle, sous-entendant que les deux termes recouvrent deux concepts différents, alors que les grandes conventions relatives aux droits humains ne mentionnent que la juridiction (recouvrant la juridiction de jure et de facto), risque d’avoir involontairement des conséquences regrettables pour l’interprétation de ces conventions existantes.

Interprétant, dans son Observation générale n° 31, l’expression « se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence » qui figure à l’article 2(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP25), le Comité des droits de l'homme explique :

Aux termes du paragraphe 1 de l’article 2, les États parties sont tenus de respecter et garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et à tous ceux relevant de leur compétence les droits énoncés dans le Pacte. Cela signifie qu’un État partie doit respecter et garantir à quiconque se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus dans le Pacte même s’il ne se trouve pas sur son territoire [...]. Ce principe s’applique aussi à quiconque se trouve sous le pouvoir ou le contrôle effectif des forces d’un État partie opérant en dehors de son territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi,

23 Annuaire de la Commission du droit international 2015, A/70/10, p. 88.

24 Annuaire de la Commission du droit international 2001, A/56/10, p. 413.

25 Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’accession par résolution de l’Assemblée générale

(2200A (XXI), en date du 16 décembre 1966), entré en vigueur le 23 mars 1976, conformément à

l’article 49, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 999, p. 171 et vol. 1057, p. 407.

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telles que les forces constituant un contingent national affecté à des opérations internationales de maintien ou de renforcement de la paix26.

La Convention contre la torture contient une disposition analogue, selon laquelle :

Tout État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l'article 4 dans les cas suivants... Quand l'infraction a été commise sur tout territoire sous la juridiction dudit État ou à bord d'aéronefs ou de navires immatriculés dans cet État27. [Passage souligné par nos soins]

De même, le Comité contre la torture rappelle :

son Observation générale n°2, dans laquelle il indique que la juridiction de l’État partie s’étend à tout territoire sur lequel celui-ci exerce directement ou indirectement, en tout ou en partie, de fait ou de droit, un contrôle effectif, conformément au droit international [...]. Cette interprétation de la notion de juridiction s’applique non seulement à l’article 2, mais également à toutes les dispositions de la Convention28.

Pour résumer, Amnesty International considère que l’expression « sur tout territoire relevant de sa juridiction ou de son contrôle » qui figure dans plusieurs projets d’articles risque, malgré les efforts louables faits pour préciser qu’elle couvre aussi bien la juridiction de jure que le contrôle de facto, d’affaiblir la législation mise en place par les traités relatifs aux droits humains, et doit être remplacée par la formule « sur tout territoire relevant de sa juridiction », étant entendu, comme l’ont rappelé les organes de suivi des traités, que celle-ci couvre la notion de juridiction à la fois de jure et de facto (et par conséquent les situations de contrôle effectif de la jouissance du droit). Ce choix permettrait de refléter la position figurant dans le droit international, selon laquelle les obligations aux termes de la convention, notamment les obligations « positives » en matière d’arrestation, d’enquête et de poursuites, s’appliquent partout où l’État exerce un contrôle, une autorité ou un

26 Comité des droits de l'homme, Observation générale 31, La nature de l'obligation juridique générale

imposée aux États parties au Pacte, doc. ONU CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, 2004, § 10.

27 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, article

5(1)(a).

28 Comité contre la Torture, Quarantième et unième session (3-21 novembre 2008), Décision,

Communication n°323/2007, CAT/C/41/D/323/2007, 21 novembre 2008, § 8. Voir également l’article

9(1)(a) de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions

forcées, (« Tout État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de

connaître d'un crime de disparition forcée [...]. Quand l’infraction a été commise sur tout territoire sous

sa juridiction ou à bord d’aéronefs ou de navires immatriculés dans cet État »). [Passage souligné par

nos soins]

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pouvoir de fait sur l’arrestation d’une personne soupçonnée d’une infraction sanctionnée par ladite convention29.

Recommandation : la CDI doit supprimer les termes « ou de son contrôle » des projets d’articles 4, 6, 7, 8 et 9.

3. ORDRES D’UN SUPÉRIEUR ET ORDRES D’UN GOUVERNEMENT

Bien que le projet d’article 5(3)(a) reflète de manière adéquate la règle de droit international selon laquelle le fait d’avoir reçu des ordres d’un supérieur n’exclut en rien une éventuelle responsabilité pénale pour des atteintes à la convention, il n'indique pas explicitement que cette même règle s’applique également aux ordres émanant d’un gouvernement.

29 Comité des droits de l'homme, Observation générale 31, La nature de l'obligation juridique générale

imposée aux États parties au Pacte, doc. ONU CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, 2004, § 10 (« Aux termes du

paragraphe 1 de l’article 2, les États parties sont tenus de respecter et garantir à tous les individus se

trouvant sur leur territoire et à tous ceux relevant de leur compétence les droits énoncés dans le Pacte.

Cela signifie qu’un État partie doit respecter et garantir à quiconque se trouve sous son pouvoir ou son

contrôle effectif les droits reconnus dans le Pacte même s’il ne se trouve pas sur son territoire. Comme il

est indiqué dans l’Observation générale No 15, adoptée à la vingt-septième session (1986), la jouissance

des droits reconnus dans le Pacte, loin d’être limitée aux citoyens des États parties, doit être accordée

aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou même s’ils sont apatrides, par exemple

demandeurs d’asile, réfugiés, travailleurs migrants et autres personnes qui se trouveraient sur le territoire

de l’État partie ou relèveraient de sa compétence »). Sur la question du contrôle exercé par un État sur

une zone située en dehors de son territoire national, voir également, entre autres, Comité des droits de

l'homme, Observations finales du Comité des droits de l’homme – Israël, CCPR/C/ISR/CO/3, § 5 ; Comité

contre la torture, Observations finales – Israël, CAT/C/ISR/CO/4, § 11 ; Cour européenne des droits de

l’homme, Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni, Requête n° 55721/07, § 139 et 149 ; Cour européenne

des droits de l’homme, Ivantoc et autres c. Moldova et Russie, Requête n° 23687/05, § 116 à 120 ;

Cour européenne des droits de l’homme, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie, Requête n° 48787/99,

§ 314 à 316 ; Cour européenne des droits de l’homme, Chypre c. Turquie, Requête n° 25781/94, § 77;

Cour européenne des droits de l’homme, Loizidou c. Turquie, Requête n° 15318/89, § 52; Cour

européenne des droits de l’homme, Loizidou c. Turquie (Exceptions préliminaires), Requête No.

15318/89, § 62 à 64 ; Commission du droit international, Projet d’articles sur la responsabilité des

organisations internationales et commentaires y relatifs 2011, article 7 (« Le comportement d’un organe

d’un État ou d’un organe ou agent d’une organisation internationale mis à la disposition d’une autre

organisation internationale est considéré comme un fait de cette dernière d’après le droit international

pour autant qu’elle exerce un contrôle effectif sur ce comportement. ») et commentaire s’y rapportant,

notamment p. 22, § 8 (« […] lorsqu’un organe ou un agent est mis à la disposition d’une organisation

internationale, il apparaît que la question décisive en ce qui concerne l’attribution d’un comportement

déterminé est de savoir qui exerce effectivement un contrôle sur le comportement en question »).

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Tel que proposé par le rapporteur spécial, l’article 5(3)(a) dispose :

Tout État prend également les mesures nécessaires pour veiller à : exclure le fait qu’une infraction visée dans le présent projet d’article ait été commise sur les ordres d’un supérieur, militaire ou civil, comme cause exclusive de la responsabilité pénale du subordonné.

Un éminent spécialiste note, dans un commentaire de l’article 33 du Statut de Rome (Ordres d’un supérieur et ordre de la loi), qu’un ordre émanant du gouvernement peut provenir de n’importe quelle administration ou personne relevant des services de l’État et exerçant des fonctions l’habilitant à agir au nom du gouvernement. Les ordres d’un gouvernement – légal ou de facto – n’ont pas nécessairement à s’adresser à des individus en particulier. Le professeur Otto Triftterer estimait par exemple qu’un ordre donné par un gouvernement à toute force civile et militaire de « nettoyer » un territoire donné d’un groupe ethnique en particulier constituait, même s’il ne s’adressait pas à des individus en tant que tels, un ordre à l’intention de tous ceux qui appartenaient à l’unité spécifique, et donc un ordre tel que visé par l’article 3330.

Or, il est frappant de constater que le projet d’article 5(3)(a) s’écarte des conclusions auxquelles était arrivée précédemment la CDI. En effet, la CDI a estimé à trois reprises que l’ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur n’exemptait en rien un individu de son éventuelle responsabilité pénale dans des crimes contre l’humanité.

Adoptés par la CDI en 1950, les Principes du droit international consacrés par le statut du tribunal de Nuremberg et dans le jugement de ce tribunal affirment :

Le fait d'avoir agi sur l'ordre de son gouvernement ou celui d'un supérieur hiérarchique ne dégage pas la responsabilité de l'auteur en droit international, s'il a eu moralement la faculté de choisir31.

Le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (1954) dispose quant à lui :

Le fait qu’une personne accusée d’un des crimes définis dans le présent code a agi sur l’ordre de son gouvernement ou d’un supérieur hiérarchique ne

30 O. Triffterer, O. Triffterer (sous la direction de), Commentary to the Rome Statute (second ed.) (Baden

Baden, Nomos 2008), article 33, marge n° 18. Voir également E. Heugas-Darraspen, Statut de Rome de

la Cour pénale internationale, Commentaire article par article, article 33, p. 950 (« En réalité, ce qui

compte, tant dans le cas du gouvernement que dans celui du supérieur hiérarchique, c'est que cette

personne ou cette entité ait donné un ordre a l'accusé dans l'exercice des prérogatives de puissance

publique. Autrement dit, il doit s'agir d'un ordre auquel le subordonné ne peut pas se soustraire »).

31 Principe IV.

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dégage pas sa responsabilité en droit international si elle avait la possibilité, dans les circonstances existantes, de ne pas se conformer à cet ordre32.

Le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (1996) souligne pour sa part :

Le fait qu’un individu accusé d’un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité a agi sur ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur hiérarchique ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale, mais peut être considéré comme un motif de diminution de la peine si cela est conforme à la justice33.

De plus, la Charte du tribunal international militaire, annexée à l’Accord de Londres (Charte du Tribunal de Nuremberg34), la Charte du Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient35, la Loi n° 10 du Conseil de contrôle allié36, le Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie37, le Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda38, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale39, et le Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone40 disposent

32 Article 4.

33 Article 5 (Ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur hiérarchique).

34 Article 8 (« Le fait que l'accusé a agi conformément aux instructions de son Gouvernement ou d'un

supérieur hiérarchique ne le dégagera pas de sa responsabilité, mais pourra être considéré comme un

motif de diminution de la peine, si le Tribunal décide que la justice l'exige »).

35 Article 6, Responsabilité de l’accusé (« Ni la position officielle d’un accusé, à aucun moment, ni le

fait qu’un accusé a agi conformément aux ordres de son gouvernement ou d’un supérieur ne suffira, en

soi, à dégager la responsabilité de cet accusé dans tout crime dont il est inculpé, mais ces circonstances

peuvent être considérées comme atténuantes dans le verdict, si le tribunal décide que la justice

l’exige »).

36 Article 4(2)(b) (« Le fait qu’une personne a agi conformément aux ordres de son gouvernement ou

d’un supérieur ne dégage pas sa responsabilité dans un crime, mais peut être pris en compte au titre

des circonstances atténuantes ») [traduction non officielle].

37 Article 7(4) (« Le fait qu’un accusé a agi en exécution d’un ordre d’un gouvernement ou d’un

supérieur ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale mais peut être considéré comme un motif de

diminution de la peine si le Tribunal international l’estime conforme à la justice »).

38 Article 6(4) (« Le fait qu'un accusé a agi en exécution d'un ordre d'un gouvernement ou d'un supérieur

ne l'exonère pas de sa responsabilité pénale mais peut être considéré comme un motif de diminution de

la peine si le Tribunal international pour le Rwanda l'estime conforme à la justice »).

39 Article 33(1) (« Le fait qu'un crime relevant de la compétence de la Cour a été commis sur ordre d'un

gouvernement ou d'un supérieur, militaire ou civil, n'exonère pas la personne qui l'a commis de sa

responsabilité pénale [...] »).

40 Article 6(4) (« Le fait qu’un accusé a agi en exécution d’un ordre d’un gouvernement ou d’un

supérieur ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale mais peut être considéré comme un motif de

diminution de la peine si le Tribunal spécial l’estime conforme à la justice »).

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tous que les personnes qui commettent des crimes contre l’humanité ou d’autres atteintes au droit international en exécutant un ordre d’un gouvernement (ou d’un supérieur hiérarchique militaire ou civil) ne peuvent être exemptées de leur responsabilité pénale individuelle. On retrouve une disposition similaire dans la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées41.

41 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées,

adoptée le 20 décembre 2006, entrée en vigueur le 23 décembre 2010, 2716 UNTS 3, article 6(2)

(« Aucun ordre ou instruction émanant d'une autorité publique, civile, militaire ou autre, ne peut être

invoqué pour justifier un crime de disparition forcée » ).

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La législation nationale de plusieurs pays, comme l’Allemagne42, le Burkina Faso43, le Canada44, le Chili45, les Comores46, Maurice47, les Pays-Bas48, les Philippines49,

42 Allemagne, Loi du 26 juin 2002 mettant en place le Code des crimes contre le droit international du

26 juin 2002, article 3 - Actes accomplis sur ordre (« Quiconque commet un acte en contravention des

articles 8 à 14 dans l’exécution d’un ordre militaire ou d’un ordre comparable de par son effet

contraignant est considéré comme non coupable, tant qu’il n’a pas conscience du caractère illégal de

l’ordre et que l’ordre même n’apparaît pas comme manifestement illégal ») [traduction non officielle].

43 Burkina Faso, Loi n°052-2009/AN portant détermination des compétences et de la procédure de mise

en œuvre du Statut de Rome relatif à la Cour Pénale Internationale par les juridictions burkinabè,

article 11 (« Le fait qu'un crime relevant de la présente loi a été commis sur l'ordre d'un gouvernement,

d’une autorité publique ou d'un supérieur, militaire ou civil, n'exonère pas la personne qui l'a commis de

sa responsabilité pénale... »).

44 Canada, Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, 8 août 2011, article 14(1) (« Ne

constitue pas un moyen de défense contre une accusation fondée sur l’un des articles 4 à 7 le fait que

l’accusé ait reçu d’un gouvernement ou d’un supérieur — militaire ou civil — l’ordre de commettre l’acte

ou l’omission qui lui est reproché... »).

45 Chili, Loi 20.357 (26 juin 2009), article 36 (« L’ordre de commettre un acte ou de participer à une

omission constitutive d’une infraction à la présente Loi, de même que l’ordre de ne pas s’y opposer,

donné à un subalterne par une autorité ou un supérieur militaire ou une personne agissant de fait comme

tel engage sa responsabilité en tant qu’auteur ») [traduction non officielle].

46 Comores, Loi 011-022 du 13 décembre 2011, portant de Mise en œuvre du Statut de Rome, article

11 (« Le fait qu'un crime relevant de la présente loi a été commis sur l'ordre d'un gouvernement, d’une

autorité publique ou d'un supérieur, militaire ou civil, n'exonère pas la personne qui l'a commis de sa

responsabilité pénale... »).

47 Maurice, Loi de 2011 sur la Cour pénale internationale, 26 juillet 2011, article 6(2)(a) (« Une

personne reconnue coupable d’une infraction au titre de l’article 4 ne pourra pas invoquer pour sa

défense ou pour obtenir une réduction de peine le fait qu’elle a agi pour obéir, ou conformément, à la loi

en vigueur au moment des faits, ou sur ordre du gouvernement ou d’un supérieur, qu’il soit militaire ou

civil... ») [traduction non officielle].

48 Pays-Bas, Loi sur les atteintes au droit pénal international (Wet internationale misdrijven – WIM),

19 juin 2003, article 11(1) (« Le fait qu’un acte défini comme un crime dans le cadre de la présente Loi

a été commis conformément à une réglementation mise en place par le pouvoir législatif d’un État ou en

application d’un ordre d’un supérieur ne rend pas pour autant cet acte légal ») [traduction non officielle].

49 Philippines, Loi de la République n° 9851, 27 juillet 2009, article 12 (Ordres émanant d’un

supérieur) (« Le fait qu’un acte défini et sanctionné comme un crime dans le cadre de la présente Loi a

été commis par une personne en application d’un ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur, qu’il soit

militaire ou civil, n’exempte en rien cette personne de sa responsabilité pénale... ») [traduction non

officielle].

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la République de Corée50, la République démocratique du Congo51, Samoa52, ou la Suisse53, prévoit également, lorsqu’elle aborde le sujet des ordres émanant d’un supérieur, le cas des personnes ayant agi sur ordre d’un gouvernement.

En conclusion, bien que l’exclusion de toute défense au titre de l’obéissance aux ordres d’un supérieur contenue dans le projet d’article 5(3)(a) soit incontestablement un élément positif, cette disposition doit être formulée avec précaution, pour ne pas exclure de son champ les personnes qui pourraient avoir commis un crime contre l’humanité « sur les ordres d’un gouvernement ».

Recommandation : la CDI doit modifier le projet d’article 5(3)(a) afin d’inclure également dans la disposition les personnes qui pourraient avoir commis un crime contre l’humanité « sur les ordres d’un gouvernement ».

4. LE DROIT À L’ASSISTANCE CONSULAIRE

Le projet d’article 10(2) dispose :

Toute personne placée en détention par un État autre que son État de nationalité a le droit :

a) De communiquer sans retard avec le plus proche représentant compétent de l’État ou des États dont elle est ressortissante ou de tout ou tous État(s) autrement habilité(s) à protéger ses droits ou, si elle est apatride, de tout État disposé à protéger ses droits, à sa demande ;

b) De recevoir la visite d’un représentant dudit ou desdits État(s) ;

c) D’être informée sans retard des droits qu’elle tient du présent paragraphe.

50 République de Corée, Loi sur la répression des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale

internationale, 21 décembre 2007, article 4 (Ordres d’un supérieur) (« Une personne soumise à

l’obligation d’obéir aux ordres du gouvernement ou d’un supérieur commettant un crime de génocide ou

un autre crime contre l’humanité sans savoir que l’ordre donné était illégal et ayant un motif justifié de

ne pas le savoir, ne sera pas sanctionnée. ») [traduction non officielle].

51 République démocratique du Congo, Code pénal (2016), Article 23 quater (« Le fait qu’une des

infractions visées par le titre IX de la présente loi a été commise sur ordre d’un gouvernement ou d’un

supérieur, militaire ou civil, n’exonère pas son auteur de sa responsabilité pénale »).

52 Samoa, Loi sur la Cour pénale internationale (2007), article 10 (« Nonobstant l’article 9, une

personne inculpée au titre des articles 5, 6 ou 7 ne pourra pas invoquer pour sa défense le fait d’avoir

agi sur ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur, qu’il soit militaire ou civil... ») [traduction non

officielle].

53 Suisse, Code pénal, 18 juin 2010, article 264 L (« Le subordonné qui commet un des actes visés aux

titres 12bis et 12ter sur ordre d’un supérieur ou en obéissant à des instructions le liant d’une manière

similaire est punissable s’il a conscience, au moment des faits, du caractère punissable de son acte »).

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Le projet d’article 10(2) vise à garantir le droit à l’assistance consulaire. Cette disposition s’inspire manifestement de l’article 36, paragraphe 1, de la Convention de Vienne sur les relations consulaires (1963), à laquelle 177 États sont parties54. Comme l’a souligné la Cour internationale de justice dans l’affaire LaGrand, « le paragraphe 1 de l'article 36 crée des droits individuels pour les personnes détenues, en sus des droits accordés à l'État d'envoi... »55.

Amnesty International se réjouit de voir le droit à l’assistance consulaire figurer dans les projets d’articles, mais elle s’inquiète de la manière dont l’article 10(2) est formulé.

D’une part, à la différence de la Convention de Vienne, qui garantit le droit à l’assistance consulaire à tout individu étranger ou apatride « incarcéré, en état de détention préventive ou toute autre forme de détention56 », le projet d’article 10(2) fait uniquement référence aux personnes « placée[s] en détention ». Il va sans dire que cette différence par rapport aux dispositions de la Convention de Vienne risque d’encourager certains États à limiter ou à restreindre le champ de la protection accordée au titre du droit à l’assistance consulaire.

D’autre part, toujours à la différence de la Convention de Vienne, le projet d’article 10(2) ne prévoit pas le droit des agents consulaires de pourvoir à la représentation en justice des étrangers ou des apatrides privés de liberté.

Enfin, du point de vue d’Amnesty International, il convient d’accorder le droit à l’assistance consulaire (qui doit également impliquer toute une série d’autres mesures, comme le fait de permettre à la personne privée de liberté de bénéficier des services d’un avocat, la possibilité d’obtenir des éléments de preuve du pays d’origine et la capacité de surveiller la manière dont est traitée la personne – notamment le respect de ses droits fondamentaux) à tout ressortissant d’un pays étranger ou apatride, quelle que soit sa situation au regard de la législation relative à l’immigration57.

À cet égard, la Résolution 65/212 de l’Assemblée générale réaffirme

avec force que les États parties ont le devoir de faire pleinement respecter et observer la Convention de Vienne sur les relations consulaires, en particulier le droit de tous les ressortissants étrangers, quel que soit leur statut en matière d’immigration, de communiquer avec un agent consulaire de l’État d’origine s’ils sont arrêtés, incarcérés, mis en garde à vue ou détenus, et que

54 Convention de Vienne sur les relations consulaires, en date du 24 avril 1963, entrée en vigueur le

19 mars 1967, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 596, p. 261.

55 Cour internationale de justice, LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil

2001, p. 497.

56 Voir l’article 36(1)(c)de la Convention de Vienne. L’article 36(1)(b) prévoit en outre le cas où « un

ressortissant de cet État est arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme

de détention ».

57 Amnesty International, Pour des procès équitables, p. 233.

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l’État d’accueil est tenu d’informer sans délai le ressortissant étranger de ses droits en vertu de la Convention58 [Passage souligné par nos soins]

Recommandation : la CDI doit faire figurer dans le projet d’article 10(2) le droit de toute personne étrangère ou apatride privée de liberté, sous quelque forme que ce soit (et non uniquement « placée en détention »), à l’assistance consulaire, quelle que soit sa situation au regard de la législation relative à l’immigration.

5. ABSENCE DE DISPOSITION ASSURANT L'IMPRESCRIPTIBILITÉ EN MATIÈRE DE RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

Aucun délai de prescription ne s’applique en cas de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Il ne doit pas y en avoir non plus pour les procédures pénales ou civiles intentées par des victimes de crimes contre l’humanité afin d’obtenir des réparations complètes. Amnesty International estime que, dans le souci de faire progresser le droit international, les projets d’articles doivent indiquer non seulement qu’aucun délai de prescription ne s’applique aux procédures pénales relatives à des crimes contre l’humanité, mais qu’il en va de même en matière de responsabilité délictuelle, dans le cadre de procédures aussi bien civiles que pénales. L’organisation a déjà développé ses arguments à ce propos59.

L’Ensemble de principes actualisé pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité dispose :

Lorsqu’elle s’applique, la prescription n’est pas opposable aux actions civiles ou administratives exercées par les victimes en réparation de leur préjudice60.

Recommandation : la CDI doit indiquer qu’aucun délai de prescription ne s’applique aux recours en responsabilité délictuelle relatifs à des crimes contre l’humanité, dans le cadre de procédures aussi bien civiles qu’administratives ou pénales.

58 Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 21 décembre 201, Protection des migrants ,

A/RES/65/212, § 4(g).

59 Voir Amnesty International, Pas d’impunité pour les disparitions forcées : liste des principes à

respecter en vue d’une application efficace de la Convention internationale pour la protection de toutes

les personnes contre les disparitions forcées (IOR 51/006/2011), novembre 2011, p. 18.

60 Rapport de l’experte indépendante chargée de mettre à jour l’Ensemble de principes pour la lutte

contre l’impunité, Diane Orentlicher, Additif, Ensemble de principes actualisé pour la protection et la

promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité, E/CN.4/2005/102/Add.1, 8 février

2005, Principe 23.

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22 22

IV. RECOMMANDATIONS Amnesty International a indiqué précédemment que les projets d’articles relatifs aux crimes contre l’humanité devaient, conformément au mandat de la CDI, codifier les règles existantes en droit international coutumier, ainsi que les avancées susceptibles de permettre de traduire en justice, dans le cadre de procès équitables et excluant tout recours à la peine de mort, les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables de crimes contre l’humanité. L’organisation rappelle que le rapporteur spécial a lui-même estimé que « l’adoption d’un tel instrument permettrait peut-être d’atteindre plusieurs objectifs souhaitables qui ne sont pas visés par le Statut de Rome »61 et que la Commission s’est dite d’avis que les projets d’articles existants « contribueront à la mise en œuvre du principe de complémentarité prévu par le Statut de Rome »62.

En résumé, Amnesty International formule les recommandations suivantes à l’intention de la Commission du droit international :

Obligation d’extrader ou de poursuivre

Adopter une disposition consacrant l’obligation d’extrader ou de poursuivre (aut dedere aut judicare) les personnes soupçonnées de crimes contre l’humanité, en incluant la « troisième voie ».

Délai de prescription

Adopter une disposition sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité.

Compétence universelle

Autoriser, par une disposition explicite, tout État à ouvrir une enquête sur des crimes contre l’humanité commis hors de son territoire et sans lien avec ledit État en raison de la nationalité du suspect ou de la victime, quel que soit l’endroit où se trouve(nt) la ou les personne(s) soupçonnée(s) d’être pénalement responsable(s).

61 CDI, Premier rapport, § 21.

62 CDI, Rapport annuel 2015, p. 56.

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Expression « sur tout territoire relevant de sa juridiction ou de son contrôle »

Supprimer les termes « ou de son contrôle » des projets d’articles 4, 6, 7, 8 et 9.

Ordres d’un supérieur

Modifier le projet d’article 5(3)(a) afin d’inclure également dans la disposition les personnes qui pourraient avoir commis un crime contre l’humanité « sur les ordres d’un gouvernement ».

Droit à l’assistance consulaire

Faire figurer dans le projet d’article 10(2) le droit de toute personne étrangère ou apatride privée de liberté, sous quelque forme que ce soit (et non uniquement « placée en détention »), à l’assistance consulaire, quelle que soit sa situation au regard de la législation relative à l’immigration.

Délai de prescription en matière de responsabilité délictuelle

Indiquer qu’aucun délai de prescription ne s’applique aux recours en responsabilité délictuelle relatifs à des crimes contre l’humanité, dans le cadre de procédures aussi bien civiles qu’administratives ou pénales.

www.amnesty.org/fr