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Dossier thématique Complications cardiovasculaires des traitements médicamenteux © 2012 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés. 25 Médecine des maladies Métaboliques - Février 2012 - Vol. 6 - N°1 Résumé L’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (HIV) touche des millions de personnes dans le monde. La prise en charge de ces patients a été améliorée grâce, notamment, à l’avènement des traitements antirétroviraux qui ont permis un gain consi- dérable d’espérance de vie. Néanmoins, il est apparu que ces patients présentaient des perturbations métaboliques correspondant ensuite à d’authentiques facteurs de risque cardiovasculaire, déjà bien connus comme responsables d’une mortalité car- diovasculaire accrue. Il faut donc appréhender ces patients sous un angle nouveau, pour lequel le dépistage de ces facteurs de risque cardiovasculaire et leur prise en charge deviennent des priorités. Mots-clés : Risque cardiovasculaire – perturbations métaboliques – dyslipidémie – VIH – traitements antirétroviraux. Summary Human Immunodeficiency Virus (HIV) infection affects millions of people all over the world. There has been an enormous improvement of the medical care of these patients, in part thanks to the Highly Active AntiRetroviral Therapy (HAART) study, leading to a greater life expectancy. Nevertheless, these patients have developed metabolic abnor- malities that become true cardiovascular risk factors, and increase mortality. Therefore, we should look at those patients differently and have as a priority the assessment of their cardiovascular risk factors and their treatment. Key-words: Cardiovascular risk – metabolic abnormalities – dyslipidemia – HIV – antiretroviral therapy. Correspondance : Julie Peroz-Froz Unité hypertension artérielle prévention et thérapeutique cardiovasculaire Centre de diagnostic et de thérapeutique Hôtel-Dieu 1, place du Parvis Notre-Dame 75181 Paris cedex 4 [email protected] J. Peroz-Froz 1 , F. Boccara 2 , J.-P. Viard 3 , J. Blacher 1 1 Unité hypertension artérielle, Centre de diagnostic et de thérapeutique, Hôpital Hôtel-Dieu, AP-HP, Paris. 2 Service de cardiologie, Hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris. 3 Unité d’immuno-infectiologie, Centre de diagnostic et de thérapeutique, Hôpital Hôtel-Dieu, AP-HP, Paris. Complications cardiovasculaires des traitements antirétroviraux Cardiovascular complications of antiretroviral therapies Introduction L’infection par le virus d’immunodéfi- cience humaine (VIH) atteint plusieurs dizaines de millions de personnes dans le monde. Depuis l’avènement des combi- naisons d’antirétroviraux, en 1996, l’épi- démiologie a cependant radicalement changé. En effet, les personnes infectées ne meurent plus des infections opportu- nistes secondaires à l’immunodéficience induite par le virus, et leur espérance de vie a significativement augmenté. Si de grands progrès ont été réalisés quant au nombre de comprimés à « absor- ber », ou encore en diminuant les effets indésirables risquant de compromettre l’observance et donc l’efficacité sur la restauration immunitaire, des troubles métaboliques induits par ces traite- ments ont été observés au long cours. Ces troubles, incluant des anomalies lipidiques, un dérèglement du métabo- lisme glucidique, une redistribution des graisses (syndrome lipodystrophique), peuvent conduire à des complications cardiovasculaires. De plus, à côté des anomalies métaboliques induites par les médicaments, il apparaît de plus en plus clairement que l’infection rétrovirale non

Complications cardiovasculaires des traitements antirétroviraux

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Dossier thématiqueComplications cardiovasculaires des traitements médicamenteux

© 2012 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

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Médecine des maladies Métaboliques - Février 2012 - Vol. 6 - N°1

RésuméL’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (HIV) touche des millions de personnes dans le monde. La prise en charge de ces patients a été améliorée grâce, notamment, à l’avènement des traitements antirétroviraux qui ont permis un gain consi-dérable d’espérance de vie. Néanmoins, il est apparu que ces patients présentaient des perturbations métaboliques correspondant ensuite à d’authentiques facteurs de risque cardiovasculaire, déjà bien connus comme responsables d’une mortalité car-diovasculaire accrue. Il faut donc appréhender ces patients sous un angle nouveau, pour lequel le dépistage de ces facteurs de risque cardiovasculaire et leur prise en charge deviennent des priorités.

Mots-clés : Risque cardiovasculaire – perturbations métaboliques – dyslipidémie – VIH – traitements antirétroviraux.

SummaryHuman Immunodeficiency Virus (HIV) infection affects millions of people all over the world. There has been an enormous improvement of the medical care of these patients, in part thanks to the Highly Active AntiRetroviral Therapy (HAART) study, leading to a greater life expectancy. Nevertheless, these patients have developed metabolic abnor-malities that become true cardiovascular risk factors, and increase mortality. Therefore, we should look at those patients differently and have as a priority the assessment of their cardiovascular risk factors and their treatment.

Key-words: Cardiovascular risk – metabolic abnormalities – dyslipidemia – HIV – antiretroviral therapy.

Correspondance :

Julie Peroz-FrozUnité hypertension artérielle prévention et thérapeutique cardiovasculaireCentre de diagnostic et de thérapeutiqueHôtel-Dieu1, place du Parvis Notre-Dame75181 Paris cedex [email protected]

J. Peroz-Froz1, F. Boccara2, J.-P. Viard3, J. Blacher1

1 Unité hypertension artérielle, Centre de diagnostic et de thérapeutique, Hôpital Hôtel-Dieu, AP-HP, Paris.2 Service de cardiologie, Hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris.3 Unité d’immuno-infectiologie, Centre de diagnostic et de thérapeutique, Hôpital Hôtel-Dieu, AP-HP, Paris.

Complications cardiovasculaires des traitements antirétrovirauxCardiovascular complications of antiretroviral therapies

Introduction

L’infection par le virus d’immunodéfi-cience humaine (VIH) atteint plusieurs dizaines de millions de personnes dans le monde. Depuis l’avènement des combi-naisons d’antirétroviraux, en 1996, l’épi-démiologie a cependant radicalement changé. En effet, les personnes infectées ne meurent plus des infections opportu-nistes secondaires à l’immunodéficience induite par le virus, et leur espérance de vie a significativement augmenté. Si de grands progrès ont été réalisés quant au nombre de comprimés à «  absor-

ber », ou encore en diminuant les effets indésirables risquant de compromettre l’observance et donc l’efficacité sur la restauration immunitaire, des troubles métaboliques induits par ces traite-ments ont été observés au long cours. Ces troubles, incluant des anomalies lipidiques, un dérèglement du métabo-lisme glucidique, une redistribution des graisses (syndrome lipodystrophique), peuvent conduire à des complications cardiovasculaires. De plus, à côté des anomalies métaboliques induites par les médicaments, il apparaît de plus en plus clairement que l’infection rétrovirale non

Dossier thématiqueComplications cardiovasculaires des traitements médicamenteux

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Médecine des maladies Métaboliques - Février 2012 - Vol. 6 - N°1

contrôlée majore le risque de survenue des accidents cardiovasculaires [1], et que le portage du virus, même contrôlé par des antirétroviraux efficaces, est res-ponsable d’une inflammation et d’une activation immune chroniques, mises en relation avec l’athérome infra-clinique.Il faut donc apprendre à dépister ces anomalies chez tous les patients infec-tés par le VIH et savoir les prendre en charge après une analyse globale du risque cardio vasculaire présenté :– facteurs de risque traditionnels, incluant les anomalies métaboliques ;– facteurs de risque « émergents » plus spécifiques (profil immuno-virologique, exposition à certains antirétroviraux).Il faut souligner qu’il a été déjà noté que ces patients présentent une fréquence plus élevée d’un facteur de risque « tra-ditionnel » majeur : le tabagisme…Le principe phare, lorsque il s’agit de gérer les différents risques des patients séropositifs pour le VIH, est d’assurer en priorité le maintien d’un traitement anti-rétroviral efficace, tout en s’occupant des perturbations métaboliques et des autres facteurs augmentant le risque car-diovasculaire. Il est en effet important de rappeler que, malgré le fait que certains antirétroviraux puissent majorer le risque cardiovasculaire, notamment via les per-turbations métaboliques qu’ils induisent, ils ont permis une diminution majeure de la mortalité de toute cause.

Évaluer le risque cardiovasculaire

Facteurs de risque cardiovasculaire

Les facteurs de risque cardiovasculaire, favorisant la coronaropathie, sont repré-sentés par :– l’âge ;– le sexe masculin ;– l’hérédité coronarienne ;– le tabagisme ;– l’hypertension artérielle (HTA) ;– les dyslipidémies athérogènes ;– le diabète.Les données de trois grandes études épi-démiologiques (Chicago Heart Association Study ; Framingham Heart Study ; Multiple Risk Factor Intervention Trial [MRFIT]), ont

montré que 85 à 100 % des hommes et femmes d’âge jeune ou moyen qui déve-loppent une coronaropathie ont au moins un facteur de risque, et 96 à 100 % des personnes chez qui une coronaropathie se développe ont au moins un facteur de risque (cholestérol total > 2 g/l ou un trai-tement par hypolipémiant, pression arté-rielle [PA] systolique > 120 mm Hg ou PA diastolique > 80 mm Hg ou un traitement antihypertenseur, un tabagisme actif, ou un diabète) [2].Dans l’étude internationale INTERHEART, conduite dans 52 pays, la comparai-son entre 15 152 patients ayant eu un infarctus du myocarde et 14 820 sujets témoins a montré que 90 % du risque étaient attribuables à [3] :– une hypercholestérolémie ;– un tabagisme ;– un diabète ;– une HTA ;– une consommation inadéquate de fruits et légumes ;– un manque d’exercice physique ;– une consommation d’alcool excessive ;– une obésité abdominale ;– un stress psychologique important.En 2011, devant la forte représentation de ces facteurs de risque cardiovascu-laire dans la population générale, l’essen-tiel est d’identifier quel(s) sujet(s) va(vont) développer une pathologie coronarienne.Il en va de même chez les sujets séro-positifs pour le VIH. L’étude Data Collection on Adverse Events of Anti-HIV Drugs (D:A:D) a montré qu’une augmen-tation significative du risque d’infarctus du myocarde était associée avec des facteurs de risque cardiovasculaire tra-ditionnels tels que l’âge, le sexe mas-culin, l’hérédité, un tabagisme actif ou sevré, un antécédent de maladie cardio-vasculaire (le tabagisme et l’antécédent de maladie cardiovasculaire ayant les risques relatifs [RR] les plus élevés : 2,8 [intervalle de confiance à 95 %, IC 95 %, 2,04-3,93] et 4,3 [IC 95 % 3,06-6,03], respectivement). De plus, chaque année d’exposition à un traitement par inhibi-teur de la protéase du VIH (« inhibiteur de protéase ») était également associée à une majoration du risque (RR 1,16 [IC 95 % 1,10-1,23]). Cependant, la pre-mière analyse de cette étude avait omis d’inclure le diabète, l’HTA et le niveau de cholestérol total et de HDL-cholestérol.

Après leur inclusion dans l’analyse, tous les facteurs de risque cardiovasculaire gardaient un rôle significatif dans la pré-diction de survenue d’un infarctus du myocarde, mais le RR de l’exposition annuelle à un inhibiteur de protéase, tout en restant significatif, passait de 1,16 à 1,10 [IC 95 % 1,04-1,18] [4].

Rôle du virus et effet protecteur des antirétroviraux • Une étude rétrospective, conduite

entre 1996 et 2001, a retrouvé une baisse drastique de la mortalité globale, sans augmentation significative des décès ou des hospitalisations de cause cardio-vasculaire [5]. • Une étude récente suggère d’ailleurs

que le traitement antirétroviral pour-rait réduire le risque cardiovasculaire à court terme en améliorant la fonction endothéliale. Sur 82 patients naïfs de traitement, une randomisation a été effectuée pour recevoir une association de traitement (différant par la présence ou l’absence d’un des éléments parmi les inhibiteurs de protéase, des inhibi-teurs nucléosidiques ou non nucléo-sidiques de la transcriptase inverse), pendant 24 semaines. Il a été observé une augmentation de la dilatation de l’ar-tère brachiale (utilisée comme marqueur de la fonction endothéliale) de 1,48 % (p < 0,001) de manière globale et dans chaque groupe pris séparément [6]. • A contrario, une étude sur l’impact du

traitement antirétroviral sur la rigidité artérielle, via la mesure de la vitesse de l’onde de pouls, a été menée chez 82  patients séropositifs pour le VIH, vierges ou non d’un traitement par inhibi-teur de protéase. La vitesse de l’onde de pouls était significativement plus élevée dans le groupe des patients traités par inhibiteur de protéase, faisant supposer une rigidité artérielle augmentée pour ce profil de patient, qui serait donc à risque cardiovasculaire plus élevé [7]. • Une autre étude, réalisée chez des

patients séropositifs pour le VIH répon-dant aux critères de diagnostic d’un syndrome métabolique (plus représenté dans cette population que dans la population générale), a eu pour objec-tif d’évaluer son impact sur les mar-queurs précoces d’athérosclérose. Sur 140 patients inclus, 10 présentaient un

Complications cardiovasculaires des traitements antirétroviraux27

Médecine des maladies Métaboliques - Février 2012 - Vol. 6 - N°1

syndrome métabolique et les marqueurs d’athérosclérose (épaisseur intima-média [EIM], plaque carotidienne) étaient significativement plus élevés chez ces 10 patients. En revanche, la prévalence du syndrome métabolique, dans cette étude, n’était pas liée à la durée, ni au type d’antirétroviral utilisé [8].Il y a, par ailleurs, une implication pro-bable du virus lui-même dans la mortalité de cause cardiovasculaire à ne pas négli-ger. Les données de l’étude Strategies for Management of Antiretroviral Therapy (SMART), comparant une stratégie de conservation de traitement (où le traite-ment antirétroviral était interrompu lors d’un taux de CD4 > 350/mm3, et repris si le taux était inférieur à 250/mm3) et une stratégie de suppression virale continue, ont montré que dans le groupe conserva-tion de traitement, les patients avaient un taux de décès significativement plus élevé (RR 2,6 [IC 95 % 1,9-3,7] ; p < 0,001). Lorsque l’on s’intéresse aux compli-cations cardiovasculaires (infarctus du myocarde, angioplastie coronaire, décès de cause cardiovasculaire), le hazard ratio (HR) est de 1,6 [IC 95 % 1,0-2,5] ; p = 0,05). En y ajoutant les complications vasculaires périphériques, l’insuffisance cardiaque congestive ou une coronaro-pathie nécessitant un traitement médical, le HR = 1,49 (p = 0,03), et en y ajoutant les décès de cause inconnue, le HR = 1,58 (p =0,009). Les événements cardiovas-culaires étaient significativement plus élevés dans le groupe conservation de traitement, suggérant que la « réactiva-tion virale » était plus délétère sur l’état cardiovasculaire que les antirétroviraux utilisés de façon continue [1]. • Une étude, analysant l’EIM chez dif-

férents types de patients VIH, a montré que les sujets controllers, c’est-à-dire les patients séropositifs pour le VIH mais avec une charge virale indétectable spontanément (sans traitement antiré-troviral), avaient tout de même une EIM significativement plus élevée que les séronégatifs (même après ajustement pour les facteurs de risque cardiovascu-laire traditionnels), suggérant la possible implication de l’inflammation chronique dans le développement de l’athérosclé-rose, indépendamment de la virémie [9]. • Par ailleurs, une approche plus bio-

logique a permis de montrer qu’il existait

une activation endothéliale, une inflam-mation plus importante et une augmen-tation de l’EIM carotidienne chez les patients infectés par le VIH, malgré le traitement antirétroviral. Les marqueurs d’inflammation (tumor necrosis factor-��[TNF-�], interleukine-6 [IL-6], myélopé-roxidase) et les biomarqueurs de l’acti-vation endothéliale (molécule d’adhésion cellulaire vasculaire-1) étaient plus éle-vés chez les patients séropositifs pour le VIH comparativement aux sujets témoins séronégatifs, et ceci était cor-rélé à une augmentation de l’EIM caro-tidienne, suggérant un rôle potentiel de l’inflammation dans l’activation endo-théliale et dans l’apparition de maladie cardiovasculaire [10].Une autre étude, portant sur le phé-notype lymphocytaire  T  CD4 et CD8 chez les patients séropositifs, a permis de mettre en évidence une plus forte expression des marqueurs d’activa-tion (HLA-DR, CD38) et de sénescence (CD57, perte de CD28) par rapport aux sujets témoins non VIH, même lorsque la réplication virale était contrôlée et que cela était associé à un plus grand nombre de lésions carotidiennes (après ajustement sur l’âge, le traitement anti-rétroviral, la charge virale) [11].

Rôle des antirétrovirauxNéanmoins, certains antirétroviraux ont été associés à une augmentation du risque d’infarctus du myocarde. • Une analyse récente de l’étude

D:A:D a retrouvé qu’un infarctus du myocarde avait eu lieu chez 580 des 33 308 patients [12]. Parmi les inhibiteurs de protéase, l’indinavir et le lopinavir (tous les deux responsables d’anomalies méta-boliques) étaient associés avec une aug-mentation statistiquement significative du RR d’infarctus du myocarde par année d’exposition. Il n’y avait, en revanche, pas de sur-risque lié aux inhibiteurs non

nucléosidiques de la transcriptase inverse (névirapine ou éfavirenz). Parmi les inhi-biteurs nucléosidiques, la didanosine et l’abacavir étaient associés avec une aug-mentation statistiquement significative du RR d’infarctus du myocarde en cas de prise récente ou actuelle, et seul l’abaca-vir était associé avec une augmentation significative du RR d’infarctus du myo-carde quelles que soient ses conditions d’utilisation (figure 1 [d’après 12, 13]). • Une analyse des patients recevant de

l’abacavir dans le bras traitement continu de l’étude SMART a également montré un plus grand risque cardiovasculaire par rapport aux autres inhibiteurs nucléosi-diques de la transcriptase inverse, avec des rapports de risque de 4,3 pour l’in-farctus du myocarde et de 1,8 pour un événement cardiovasculaire majeur [14].Ces données concernant l’abacavir ont été contestées par des études plus récentes, notamment une méta-analyse de 26 études randomisées réalisée par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis [15], ainsi que par une étude menée dans la cohorte hospitalière fran-çaise [16] qui, pour sa part, impute ce sur-risque à un biais négligé jusqu’alors : la consommation de cocaïne.Il n’en demeure pas moins que l’expo-sition à certains antirétroviraux est un élément prédictif indépendant de la sur-venue d’infarctus du myocarde.

Un profil de risque spécifiqueL’on voit donc que le risque cardiovas-culaire chez les personnes vivant avec le VIH obéit à des déterminants :– facteurs de risque traditionnels (avec une sur-représentation du tabagisme, ainsi qu’une dyslipidémie dans laquelle les antirétroviraux ont une part de res-ponsabilité) ;– rôle du virus (traité ou non) ;– qualité de la restauration immunitaire (rapport CD4/CD8) ;

• Le VIH n’est plus responsable d’une aussi grande mortalité depuis l’avènement des

traitements antirétroviraux.

• Chez les patients atteints de VIH, les complications sont, à présent, plus souvent

cardiovasculaires qu’infectieuses.

• La prise en charge des anomalies métaboliques secondaires au traitement antirétro-

viral, ou au virus lui-même, revêt maintenant une importance nouvelle.

Les points essentiels

Dossier thématiqueComplications cardiovasculaires des traitements médicamenteux

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Médecine des maladies Métaboliques - Février 2012 - Vol. 6 - N°1

– toxicité (métabolique ou autre) de cer-tains antirétroviraux.Il reste, de toute évidence, encore beau-coup de pistes à explorer quant aux mécanismes responsables d’un éven-tuel sur-risque d’événements cardiovas-culaires chez les patients séropositifs

pour le VIH – notamment concernant les traitements  –, mais les troubles métaboliques induits par certains anti-rétroviraux, en plus des facteurs de risque propres à chaque individu, sont à rechercher et à prendre en charge sys-tématiquement.

Dyslipidémie des patients VIH+

Il faut signaler que l’infection par le VIH, à elle seule, a pu être incriminée dans le développement d’une dyslipidémie athérogène [17]. Dans tous les cas, il faut porter une attention toute particulière au statut lipidique dans la prise en charge globale de ces patients, notamment ceux sous antirétroviraux.L’un des premiers éléments à prendre en compte dans le bilan lipidique est le niveau de LDL-cholestérol, optimal pour chaque personne en préven-tion secondaire lorsqu’il est < 1 g/l. L’objectif varie néanmoins en fonction de paramètres à prendre en compte systématiquement :– existence d’une pathologie cardio-vasculaire authentifiée (infarctus du myocarde, accident vasculaire isché-mique, artériopathie) et/ou d’un diabète ;– facteurs de risque autres ;– risque coronaire à 10 ans, calculé selon le score de Framingham.La prise en charge des dyslipidémies chez les personnes vivant avec le VIH fait l’objet de recommandations natio-nales  [18]. Outre les règles hygiéno-diététiques (rappelées plus loin) et l’introduction éventuelle d’un traitement pharmacologique, il y est rappelé les possibilités de modification du traitement antirétroviral en privilégiant les inhibi-teurs de protéase peu perturbateurs des lipides (atazanavir, saquinavir, darunavir) ou les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse.En ce qui concerne les triglycérides, il est convenu de ne pas traiter en dessous de 5 g/l, mais à partir de ce niveau qui est à risque de développer une pancréatite aiguë.Une stratégie de prise en charge médi-camenteuse est proposée dans le tableau  I  [19], qui rappelle également les associations possibles. Il faut néan-moins ne pas oublier que les règles hygiéno-diététiques prennent une place primordiale dans cette prise en charge, représentées notamment par :– l’arrêt d’un tabagisme éventuel ;– une activité physique régulière ;– un régime alimentaire riche en fruits et légumes, et pauvre en acides gras saturés.

Tableau I : Stratégie d’utilisation des hypolipémiants chez le sujet VIH (recommandations nord-américaines) [adapté de 19].

Anomalies lipidiques 1re étape 2e étape

� LDL-cholestérol Statines :– rosuvastatine– pravastatine– fluvastatine– atorvastatine

Ajouter ézétimibe– ou niacine– ou fibrates

Triglycérides > 5 g/l Fibrates (gemfibrozil, fénofibrate)– ou niacine– et huiles de poisson

Combinaison fibrates– + niacine– + huiles de poisson

PYFU : années-patients de suivi (patient-years of follow-up).

IP1,9

1,1

1

0,9

1,9

1,5

1,2

1

0,8

0,6

1,9

1,5

1,2

1

0,8

0,6

Taux

rel

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ce à

95 

%) INNTI

NévirapineIndinavir Nelfinavir Lopinavir/r EfavirenzSaquinavir

IDM :PYFU : 68 459 56 529

298 197 150 221 228 22137 136 44 657 61 855 58 946

LamivudineZidovudine Didanosine Zalcitabine AbacavirStavudine

IDM :PYFU :138 109 74 407

523 331 118 405 554 22129 676 95 320 152 009 53 300

Ténofovir

13939 157

Taux

rel

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Taux relatif par année d

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Figure 1 : Haut : taux relatif d’infarctus du myocarde (IDM) par année associé à l’utilisation d’in-hibiteurs de protéase (IP) et d’inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) dans l’étude Data Collection on Adverse Events of Anti-HIV Drugs (D:A:D). Bas : taux relatif d’IDM selon l’utilisation récente ou en cours, et taux relatif par année d’utilisation, associés à l’utilisation d’inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) dans l’étude Data Collection on Adverse Events of Anti-HIV Drugs (D:A:D). [Adaptée de 12, 13].

Complications cardiovasculaires des traitements antirétroviraux29

Médecine des maladies Métaboliques - Février 2012 - Vol. 6 - N°1

L’efficacité des statines sur la baisse du niveau de LDL-cholestérol a déjà été démontrée, tout comme sur la réduction du risque cardiovasculaire. Une méta-analyse, incluant 90 056 patients, inclus dans 14 études randomisées, conduites entre 1994 et 2004, a montré que, sur une période moyenne de suivi de 5 ans, chaque diminution de 0,39 g/l de LDL-cholestérol obtenue avec un traite-ment par statine était associée avec une réduction de 12 % des décès de toutes causes, de 19 % des mortalités de cause coronarienne et de 24 % des

angioplasties coronariennes ou de pon-tages, et de 17 % des accidents vas-culaires cérébraux [20]. Chez le patient infecté par le VIH, traité par antirétro-viraux, en 8 semaines de traitement par pravastatine, il a été noté une amélio-ration de la fonction endothéliale [21]. Il n’existe, actuellement, que peu de preuves quant à la réduction des évé-nements cardiovasculaires dans cette population spécifique.Il faut, par ailleurs, prendre en considé-ration l’existence d’un traitement anti-rétroviral et les interactions potentielles

avec une statine. En effet, les interac-tions sont nombreuses, rappelées dans le tableau II [22]. Ainsi, pour le choix de statines, c’est la rosuvastatine qui est, aujourd’hui, privilégiée, à la fois pour des raisons d’efficacité (supériorité par rap-port à la pravastatine) et de faible risque d’interactions [23].

Déclaration d’intérêtLes auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit

d’intérêt en lien avec cet article.

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[11] Kaplan RC, Sinclair E, Landay AL, et al. T-cell activation and senescence predict subclinical

L’espérance de vie des patients infectés par le VIH a augmenté de façon spectaculaire

depuis l’avènement des traitements antirétroviraux grâce au recul des infections oppor-

tunistes après restauration d’un statut immunitaire satisfaisant. Néanmoins, l’on peut

assister à une augmentation des complications cardiovasculaires dont la part liée aux

antirétroviraux est certaine, notamment par le biais des perturbations métaboliques

induites, mais également liées à l’infection par le VIH elle-même.

Il est donc important de considérer les patients séropositifs pour le VIH sous un angle

nouveau (sans négliger la restauration et le maintien d’un statut immunitaire correct)

et d’aborder ces patients sous un œil de prévention cardio-métabolique, en dépistant

et en prenant en charge les facteurs de risque cardiovasculaire, et en instaurant un

traitement adapté dès que nécessaire.

Conclusion

Tableau II : Interactions entre hypolipémiants et antirétroviraux [22].

Hypolipémiants Interactions avec les inhibiteurs

de protéase

Autres interactions avec antirétroviraux

Statines

Atorvastatine Oui, mais peut être utilisée à faible dose

Éfavirenz diminue l’activité

Simvastatine OuiContre-indication absolue

Éfavirenz diminue l’activité

Fluvastatine Non ND

Pravastatine Non – Précaution d’emploi avec le darunavir, car risque d’augmentation de l’aire sous courbe (ASC) de la pravastatine– Éfavirenz diminue l’activité

Rosuvastatine Non ND

Fibrates

Fénofibrate Non ND

Bézafibrate Non ND

Gemfibrozil Non ND

Ézétimibe Non ND

Acide nicotinique Non ND

ND : non documenté.

Dossier thématiqueComplications cardiovasculaires des traitements médicamenteux

30

Médecine des maladies Métaboliques - Février 2012 - Vol. 6 - N°1

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