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pratique | biochimie 18 OptionBio | Lundi 4 avril 2011 | n° 452 L a ferritine est la principale protéine de stockage du fer : elle constitue une réserve cellulaire rapidement mobilisa- ble du fer, à partir de l’hémolyse physiologique dans les macrophages spléniques, hépatiques et de la moelle osseuse. Cette mobilisation est altérée en cas de syndrome inflammatoire, ce qui explique l’hyposidérémie observée en cas d’inflammation (le fer reste stocké dans les macrophages). Par ailleurs, la ferritine régule l’absorption intestinale du fer (inversement pro- portionnelle à sa concentration sérique) et son transport cytosolique dans les cellules à forte potentialité de renouvellement (érythroblastes, cellules malignes). Les valeurs de référence de la ferritinémie sont chez l’homme : 30 à 300 μg/L et, chez la femme, 20 à 200 μg/L. Une diminution de la ferritine tra- duit presque toujours une diminution des réser- ves en fer ; à l’inverse, une augmentation de la ferritine n’est pas synonyme de surcharge en fer. Interpréter une hyperferritinémie Interpréter une hyperferritinémie (figure 1) néces- site de compléter le bilan par un fer sérique, la détermination de la capacité totale de fixation du fer par la transferrine (CTF en μmol/L = trans- ferrine en g/L x 25) et le calcul du coefficient de saturation de la transferrine (CS = fer/CTF). Ces dosages doivent être réalisés le matin, à jeun. Les valeurs de référence du CS sont 0,20 à 0,40 chez l’homme et 0,15 à 0,35 chez la femme. On parle d’augmentation du CS au-delà de 0,45. - tics sont à évoquer en premier lieu : syndrome inflammatoire et hépatosidérose métabolique. Deux diagnostics plus rares peuvent être envisa- gés : l’hémochromatose génétique de type 4 et la maladie de Gaucher. - tics fréquents sont cytolyse/maladie alcoolique, hémochromatose génétique HFE-1 et surchar- ges acquises (maladie hématologique). Deux sont plus rares : hémochromatoses génétiques de types 2 et 3. Bilan biologique minimal à réaliser en cas d’hyperferritinémie En cas d’hyperferritinémie, le bilan biologique comprend : – fer sérique et coefficient de saturation de la transferrine : classe l’hyperferritinémie ; – protéine C réactive, pour rechercher un syn- drome inflammatoire ; – ASAT/ALAT/CK pour rechercher une cytolyse ± marqueurs d’alcoolisme (gamma-GT, volume globulaire moyen ou VGM, carbohydrate deficient transferrin ou CDT). Hyperferritinémie et CS inférieur à 45 % Le syndrome inflammatoire Le syndrome inflammatoire est reflété par une augmentation de la ferritine (habituellement fer sérique. L’hépatosidérose métabolique L’hépatosidérose métabolique ou, plus exac- tement, l’hyperferritinémie métabolique, est observée chez les sujets ayant un syndrome métabolique ; c’est la cause la plus fréquente d’hyperferritinémie. Typiquement, le profil dysmé- tabolique associe un surpoids, une hypertension artérielle, un diabète de type 2, une hyperlipidé- mie, une hyperuricémie. Les ALAT sont généra- lement augmentées (c’est aussi la cause la plus fréquente d’élévation des ALAT). Il convient donc, devant une hyperferritinémie, de rechercher les éléments de ce syndrome, dont le diagnostic est positif s’il existe au moins trois des critères suivants : – tour de taille > 102 cm chez l’homme et > 88 cm chez la femme, – hypertension artérielle définie par une PAS/PAD > 130/85 mmHg, – triglycérides ≥ 1,69 mmol/L (1,5 g/L) dosés le matin après 12 heures de jeûne, – glycémie à jeun ≥ 6,1 mmol/L (1,10 g/L), femme. L’hyperferritinémie métabolique est caractérisée, au niveau du bilan martial, par : - C282Y du gène HFE pour distinguer ce diagnos- tic d’une hémochromatose. La surcharge en fer absente ou modérée. Diagnostics rares Les deux diagnostics rares à évoquer sont : l’hémochromatose génétique de type 4, avec mutation du gène de la ferroportine : caractérisée par une asthénie importante, une ferritinémie de l’ordre de 2 500 μg/L, et mutation retrouvée chez les parents du premier degré (seule hémochro- matose de transmission dominante) ; Conduite à tenir devant une augmentation de la ferritine Face à une augmentation de la ferritine, il convient d’adjoindre au bilan réalisé un calcul du coefficient de saturation. Si ce dernier est normal (inférieur à 45 %), le diagnostic s’orientera en premier lieu vers un syndrome inflammatoire ou une hépatosidérose métabolique. En revanche, s’il est supérieur à 45 %, les diagnostics fréquents à évoquer sont alors une maladie alcoolique, une hémochromatose HFE-1 ou des surcharges acquises. Figure 1. Arbre diagnostique face à une | hyperferritinémie.

Conduite à tenir devant une augmentation de la ferritine

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La ferritine est la principale protéine de stockage du fer : elle constitue une réserve cellulaire rapidement mobilisa-

ble du fer, à partir de l’hémolyse physiologique dans les macrophages spléniques, hépatiques et de la moelle osseuse. Cette mobilisation est altérée en cas de syndrome inflammatoire, ce qui explique l’hyposidérémie observée en cas d’inflammation (le fer reste stocké dans les macrophages). Par ailleurs, la ferritine régule l’absorption intestinale du fer (inversement pro-portionnelle à sa concentration sérique) et son transport cytosolique dans les cellules à forte potentialité de renouvellement (érythroblastes, cellules malignes).Les valeurs de référence de la ferritinémie sont chez l’homme : 30 à 300 μg/L et, chez la femme, 20 à 200 μg/L. Une diminution de la ferritine tra-duit presque toujours une diminution des réser-ves en fer ; à l’inverse, une augmentation de la ferritine n’est pas synonyme de surcharge en fer.

Interpréter une hyperferritinémieInterpréter une hyperferritinémie (figure 1) néces-site de compléter le bilan par un fer sérique, la détermination de la capacité totale de fixation du fer par la transferrine (CTF en μmol/L = trans-ferrine en g/L x 25) et le calcul du coefficient de saturation de la transferrine (CS = fer/CTF). Ces dosages doivent être réalisés le matin, à jeun. Les valeurs de référence du CS sont 0,20 à 0,40 chez l’homme et 0,15 à 0,35 chez la femme. On parle d’augmentation du CS au-delà de 0,45.

-tics sont à évoquer en premier lieu : syndrome inflammatoire et hépatosidérose métabolique. Deux diagnostics plus rares peuvent être envisa-gés : l’hémochromatose génétique de type 4 et la maladie de Gaucher.

-tics fréquents sont cytolyse/maladie alcoolique, hémochromatose génétique HFE-1 et surchar-ges acquises (maladie hématologique). Deux sont plus rares : hémochromatoses génétiques de types 2 et 3.

Bilan biologique minimal à réaliser en cas d’hyperferritinémieEn cas d’hyperferritinémie, le bilan biologique comprend :– fer sérique et coefficient de saturation de la transferrine : classe l’hyperferritinémie ;– protéine C réactive, pour rechercher un syn-drome inflammatoire ;– ASAT/ALAT/CK pour rechercher une cytolyse ± marqueurs d’alcoolisme (gamma-GT, volume globulaire moyen ou VGM, carbohydrate deficient transferrin ou CDT).

Hyperferritinémie et CS inférieur à 45 %Le syndrome inflammatoireLe syndrome inflammatoire est reflété par une augmentation de la ferritine (habituellement

fer sérique.

L’hépatosidérose métaboliqueL’hépatosidérose métabolique ou, plus exac-tement, l’hyperferritinémie métabolique, est observée chez les sujets ayant un syndrome métabolique ; c’est la cause la plus fréquente d’hyperferritinémie. Typiquement, le profil dysmé-tabolique associe un surpoids, une hypertension artérielle, un diabète de type 2, une hyperlipidé-mie, une hyperuricémie. Les ALAT sont généra-lement augmentées (c’est aussi la cause la plus fréquente d’élévation des ALAT). Il convient donc, devant une hyperferritinémie, de rechercher les éléments de ce syndrome, dont le diagnostic est positif s’il existe au moins trois des critères suivants :– tour de taille > 102 cm chez l’homme et > 88 cm chez la femme,– hypertension artérielle définie par une PAS/PAD > 130/85 mmHg,– triglycérides ≥ 1,69 mmol/L (1,5 g/L) dosés le matin après 12 heures de jeûne,– glycémie à jeun ≥ 6,1 mmol/L (1,10 g/L),

femme.L’hyperferritinémie métabolique est caractérisée, au niveau du bilan martial, par :

-

C282Y du gène HFE pour distinguer ce diagnos-tic d’une hémochromatose. La surcharge en fer

absente ou modérée.

Diagnostics raresLes deux diagnostics rares à évoquer sont :– l’hémochromatose génétique de type 4, avec mutation du gène de la ferroportine : caractérisée par une asthénie importante, une ferritinémie de l’ordre de 2 500 μg/L, et mutation retrouvée chez les parents du premier degré (seule hémochro-matose de transmission dominante) ;

Conduite à tenir devant une augmentation de la ferritine

Face à une augmentation de la ferritine, il convient d’adjoindre au bilan réalisé un calcul du coefficient de saturation. Si ce dernier est normal (inférieur à 45 %), le diagnostic s’orientera en premier lieu vers un syndrome inflammatoire ou une hépatosidérose métabolique. En revanche, s’il est supérieur à 45 %, les diagnostics fréquents à évoquer sont alors une maladie alcoolique, une hémochromatose HFE-1 ou des surcharges acquises.

Figure 1. Arbre diagnostique face à une |hyperferritinémie.

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– la maladie de Gaucher est caractérisée par une hépatosplénomégalie importante et un bilan martial associant une hyperferritinémie à un fer sérique et un CS normaux.

Hyperferritinémie et CS supérieur à 45 %Cytolyse et intoxication alcooliqueToute cytolyse hépatique ou musculaire entraîne une augmentation de la ferritine ; pour l’interpré-ter, il faut doser les ALAT, ASAT, et CPK. En cas d’hépatite, les ALAT sont élevées, ainsi que le CS car le fer est augmenté et la transferrine dimi-nuée, surtout en cas d’insuffisance hépatocellu-laire associée. Les lyses cellulaires musculaires, secondaires à un infarctus du myocarde ou à une rhabdomyolyse, sont associées à une augmenta-tion des CPK et des ASAT.Par ailleurs, l’alcoolisme chronique entraîne une augmentation de la ferritine sans cytolyse ; le

du sevrage, le fer se normalise en moins d’une semaine, la ferritine, en 3 mois environ.

L’hémochromatose HFE-1L’hémochromatose HFE-1 est la plus fréquente des maladies d’origine génétique. Son diagnostic est évoqué au plan biologique sur l’augmenta-tion associée de la ferritine (> 1 000 μg/L dans les formes symptomatiques) et du CS (souvent

Au plan clinique, la symptomatologie est poly-morphe avec asthénie, hépatopathie, mélano-dermie, atteintes articulaires (classique “poi-gnée de main” douloureuse), ostéoporose, hypogonadisme, diabète, cardiomyopathie restrictive (à un stade avancé de la maladie). La recherche de la mutation du gène HFE, après explication au patient et recueil de son consentement éclairé, permet la confirmation du diagnostic lorsque le sujet est homozygote pour la mutation C282Y ; à l’état hétérozygote, elle ne peut à elle seule, expliquer la surcharge en fer. Une mutation hétérozygote composite C282Y et H63D peut expliquer une surcharge en fer modérée.Devant une hémochromatose, il faut donc explo-rer le foie (ALAT, échographie), le pancréas (gly-cémie), les gonades (testostérone chez l’homme), rechercher une ostéoporose (ostéodensitométrie), une mélanodermie, une atteinte articulaire, une anomalie cardiaque (échographie). La famille (collatéraux, enfants majeurs) doit également être explorée.Le traitement consiste en des saignées hebdo-madaires jusqu’à l’obtention d’une ferritinémie voisine de 50 μg/L, puis plus espacées.Les recommandations sur la prise en charge de l’hémochromatose liée au gène HFE (hémochromatose de type 1) sont disponi-bles sur le site de la Haute Autorité de santé (www.has-sante.fr).

Autres causesLes surcharges en fer acquises sont principale-ment dues à des transfusions répétées dans un

notamment d’anémie hémolytique chronique. Les

sont dégradés dans les macrophages spléniques. Lorsque les macrophages sont saturés en fer, ils le libèrent dans le sang et lorsque ce fer dépasse les capacités de la transferrine, il se dépose dans les tissus et le foie.Deux autres causes rares d’hémochromatose sont à rechercher en seconde intention : l’hémo-chromatose juvénile ou hémochromatose de type 2, forme très sévère de surcharge en fer survenant avant 30 ans, associée à une mutation sur les gènes de l’hémojuvéline ou de l’hepci-dine, et, chez l’adulte, l’hémochromatose de type 3, associée à une mutation du récepteur de la transferrine 2. |

LUCILE JEANNE

Biologiste, Angers (49)

L’auteur n’a pas déclaré de conflit d’intérêts en lien avec cet article.

SourceCommunication de C. Buffet, lors Entretiens de Bichat, Paris, septembre 2010.