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pratique | biochimie 20 OptionBio | Lundi 21 mars 2011 | n° 451 L es transaminases (TA) sont l’aspartate ami- notransférase (ASAT) et l’alanine amino- transférase (ALAT). L’ASAT est une enzyme cytosolique et mitochondriale, présente dans le foie, les muscles, le cœur, les reins, le cerveau et le pancréas. L’ALAT est plus spécifique du foie. Lorsqu’on parle d’élévation des transaminases, il faut se souvenir que les valeurs normales d’ASAT et d’ALAT se répartissent selon une distribution gaussienne, ce qui signifie que 2,5 % des sujets “normaux” auront des valeurs supérieures à la limite de la normale. Devant une élévation modérée des transaminases (< 3 N) En premier lieu, devant un patient asymptomatique dont les transaminases sont élevées, il convient de répéter le dosage dans les 15 jours : dans environ un tiers des cas, les valeurs seront normalisées. Les principales causes de cytolyse chronique modérée (< 3 N) sont la consommation d’alcool, les virus des hépatites B et C, les médicaments, une stéato-hépatite non alcoolique (NASH : non alco- holic steato-hepatitis), une hyperhémolyse et une atteinte parenchymateuse hépatique ou biliaire. L’alcool L’alcool reste une cause fréquente d’élévation des transaminases, dès la consommation d’un verre quotidien. Pour éliminer sa responsabilité dans l’élévation des TA, il faut une abstinence d’au moins 3 mois. L’interrogatoire permet le diagnos- tic étiologique, qu’il est possible de confirmer par d’autres marqueurs biologiques dont les perfor- mances pour la consommation d’alcool sont rap- pelées dans le tableau I. Les hépatites virales B et C L’hépatite B étant très répandue dans le monde, il faut la rechercher (Ag HBs, Ac anti-HBC) ; pen- ser également à l’hépatite C (Ac anti-VHC) devant une augmentation chronique et modérée des transaminases. La stéatose hépatique non alcoolique La stéatose hépatique non alcoolique se rencontre dans le contexte d’un syndrome métabolique et représente 30 % des étiologies d’élévation des transaminases. Il n’y a pas de manifestation cli- nique particulière, mais un certain nombre de NASH va évoluer vers une cirrhose. La stéatose hépatique se caractérise au plan paraclinique par une augmentation modérée des transaminases et/ou des gamma-GT et un foie hyperéchogène à l’échographie hépatique. Le diagnostic de syn- drome métabolique est positif s’il existe au moins trois des critères suivants : – tour de taille > 102 cm chez l’homme et > 88 cm chez la femme ; – hypertension artérielle définie par une PAS/PAD > 130/85 mmHg ; – triglycérides ≥ 1,69 mmol/L (1,5 g/L) dosés le matin après 12 heures de jeûne ; – glycémie à jeun ≥ 6,1 mmol/L (1,10 g/L) ; – HDL-cholestérol < 1,04 mmol/L (0,40 g/L) chez l’homme ou < 1,29 mmol/L (0,50 g/L) chez la femme. Surcharge en fer Le diagnostic d’une surcharge en fer est établi devant l’augmentation de la ferritine et du coef- ficient de saturation de la transferrine associée à l’augmentation des transaminases. Il convient alors de rechercher une hémochromatose géné- tique (mutation C282Y du gène HFE1) ; il faut y penser car le risque pour ces patients de développer un carcinome hépatocellulaire est élevé. Cytolyse médicamenteuse La prise de nombreux médicaments et/ou une phytothérapie peuvent être à l’origine d’une aug- mentation des transaminases, si le début de la prise date d’il y a plus de 8 jours et de moins de 4 mois ou si l’arrêt de la prise date d’il y a moins de 15 jours lorsque les manifestations hépati- ques s’installent. Les symptômes associés peu- vent être une fièvre, une éruption cutanée, une éosinophilie, une thrombopénie... ; il s’agit d’un diagnostic d’élimination. Une banque de données d’hépatotoxicité médicamenteuse est disponible sur les sites de la Société nationale française de gastroentérologie (www.snfge.asso.fr et www.afef.asso.fr). Notons qu’une “hépatite médicamenteuse” n’impose pas l’arrêt immédiat du médicament en cause si les transaminases restent inférieures à 3 fois la norme (3 N). Autres biliaire sera recherchée par une échographie hépa- tique et biliaire. peuvent augmenter les transaminases. Devant une élévation des transaminases supérieure à 3 à 5 N (voire 10 N) En premier lieu, il convient d’évaluer, devant une élévation des transaminases supérieure à 3 à 5 N, la gravité de la situation et, pour cela, de réaliser un interrogatoire et un examen clinique rigoureux (encéphalopathie hépatique, ascite ? Fièvre ? Hémorragies ? Retour de voyage ?...), associés à une numération-formule sanguine et à un bilan hépatique complet comportant les dosages des gamma-GT, des phosphatases alcalines, de la Conduite à tenir devant une augmentation des transaminases Avant de rechercher l’origine d’une augmentation des transaminases (ASAT et ALAT), il convient tout d’abord de quantifier cette augmentation et de la confirmer par un second dosage. Une augmentation modérée (inférieure à trois fois la normale) traduit généralement une consommation d’alcool ou de médicaments, la présence d’une hépatite A ou C… Mais en cas de cytolyse aiguë supérieure à 3 à 5 N, des examens complémentaires sont nécessaires avant de débuter l’enquête épidémiologique. Devant une élévation supérieure à 5 voire 10 N, il faudra notamment penser à une étiologie encéphalopathique. Tableau I. Performances des marqueurs pour la consommation d’alcool. Sensibilité Spécificité ASAT > ALAT 0,50 Faible Gamma-GT 0,70 0,55 VGM 0,70 0,80 CDT 0,80 0,98 VGM : volume globulaire moyen ; CDT : carbohydrate deficient transferrin.

Conduite à tenir devant une augmentation des transaminases

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Les transaminases (TA) sont l’aspartate ami-notransférase (ASAT) et l’alanine amino-transférase (ALAT). L’ASAT est une enzyme

cytosolique et mitochondriale, présente dans le foie, les muscles, le cœur, les reins, le cerveau et le pancréas. L’ALAT est plus spécifique du foie. Lorsqu’on parle d’élévation des transaminases, il faut se souvenir que les valeurs normales d’ASAT et d’ALAT se répartissent selon une distribution gaussienne, ce qui signifie que 2,5 % des sujets “normaux” auront des valeurs supérieures à la limite de la normale.

Devant une élévation modérée des transaminases (< 3 N)En premier lieu, devant un patient asymptomatique dont les transaminases sont élevées, il convient de répéter le dosage dans les 15 jours : dans environ un tiers des cas, les valeurs seront normalisées. Les principales causes de cytolyse chronique modérée (< 3 N) sont la consommation d’alcool, les virus des hépatites B et C, les médicaments, une stéato-hépatite non alcoolique (NASH : non alco-holic steato-hepatitis), une hyperhémolyse et une atteinte parenchymateuse hépatique ou biliaire.

L’alcoolL’alcool reste une cause fréquente d’élévation des transaminases, dès la consommation d’un verre quotidien. Pour éliminer sa responsabilité dans l’élévation des TA, il faut une abstinence d’au moins 3 mois. L’interrogatoire permet le diagnos-tic étiologique, qu’il est possible de confirmer par

d’autres marqueurs biologiques dont les perfor-mances pour la consommation d’alcool sont rap-pelées dans le tableau I.

Les hépatites virales B et CL’hépatite B étant très répandue dans le monde, il faut la rechercher (Ag HBs, Ac anti-HBC) ; pen-ser également à l’hépatite C (Ac anti-VHC) devant une augmentation chronique et modérée des transaminases.

La stéatose hépatique non alcooliqueLa stéatose hépatique non alcoolique se rencontre dans le contexte d’un syndrome métabolique et représente 30 % des étiologies d’élévation des transaminases. Il n’y a pas de manifestation cli-nique particulière, mais un certain nombre de NASH va évoluer vers une cirrhose. La stéatose hépatique se caractérise au plan paraclinique par une augmentation modérée des transaminases et/ou des gamma-GT et un foie hyperéchogène à l’échographie hépatique. Le diagnostic de syn-drome métabolique est positif s’il existe au moins trois des critères suivants :– tour de taille > 102 cm chez l’homme et > 88 cm chez la femme ;– hypertension artérielle définie par une PAS/PAD > 130/85 mmHg ;– triglycérides ≥ 1,69 mmol/L (1,5 g/L) dosés le matin après 12 heures de jeûne ;– glycémie à jeun ≥ 6,1 mmol/L (1,10 g/L) ;– HDL-cholestérol < 1,04 mmol/L (0,40 g/L) chez l’homme ou < 1,29 mmol/L (0,50 g/L) chez la femme.

Surcharge en ferLe diagnostic d’une surcharge en fer est établi devant l’augmentation de la ferritine et du coef-ficient de saturation de la transferrine associée à l’augmentation des transaminases. Il convient alors de rechercher une hémochromatose géné-tique (mutation C282Y du gène HFE1) ; il faut

y penser car le risque pour ces patients de développer un carcinome hépatocellulaire est élevé.

Cytolyse médicamenteuseLa prise de nombreux médicaments et/ou une phytothérapie peuvent être à l’origine d’une aug-mentation des transaminases, si le début de la prise date d’il y a plus de 8 jours et de moins de 4 mois ou si l’arrêt de la prise date d’il y a moins de 15 jours lorsque les manifestations hépati-ques s’installent. Les symptômes associés peu-vent être une fièvre, une éruption cutanée, une éosinophilie, une thrombopénie... ; il s’agit d’un diagnostic d’élimination. Une banque de données d’hépatotoxicité médicamenteuse est disponible sur les sites de la Société nationale française de gastroentérologie (www.snfge.asso.fr et www.afef.asso.fr).Notons qu’une “hépatite médicamenteuse” n’impose pas l’arrêt immédiat du médicament en cause si les transaminases restent inférieures à 3 fois la norme (3 N).

Autres

biliaire sera recherchée par une échographie hépa-tique et biliaire.

peuvent augmenter les transaminases.

Devant une élévation des transaminases supérieure à 3 à 5 N (voire 10 N)En premier lieu, il convient d’évaluer, devant une élévation des transaminases supérieure à 3 à 5 N, la gravité de la situation et, pour cela, de réaliser un interrogatoire et un examen clinique rigoureux (encéphalopathie hépatique, ascite ? Fièvre ? Hémorragies ? Retour de voyage ?...), associés à une numération-formule sanguine et à un bilan hépatique complet comportant les dosages des gamma-GT, des phosphatases alcalines, de la

Conduite à tenir devant une augmentation des transaminases

Avant de rechercher l’origine d’une augmentation des transaminases (ASAT et ALAT), il convient tout d’abord de quantifier cette augmentation et de la confirmer par un second dosage. Une augmentation modérée (inférieure à trois fois la normale) traduit généralement une consommation d’alcool ou de médicaments, la présence d’une hépatite A ou C… Mais en cas de cytolyse aiguë supérieure à 3 à 5 N, des examens complémentaires sont nécessaires avant de débuter l’enquête épidémiologique. Devant une élévation supérieure à 5 voire 10 N, il faudra notamment penser à une étiologie encéphalopathique.

Tableau I. Performances des marqueurs pour la consommation d’alcool.

Sensibilité SpécificitéASAT > ALAT 0,50 Faible

Gamma-GT 0,70 0,55

VGM 0,70 0,80

CDT 0,80 0,98VGM : volume globulaire moyen ; CDT : carbohydrate deficient transferrin.

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bilirubine libre et conjuguée, le taux de prothrom-bine (et le facteur V si le TP est bas). Les symptô-mes évocateurs d’une encéphalopathie sont une désorientation temporo-spatiale, une inversion du nycthémère, des troubles de la conscience, un coma.Dans tous les cas, il convient d’arrêter tous les médicaments hépatotoxiques avant de com-mencer l’enquête étiologique : paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), anti-émétiques, benzodiazépines, et tout médi-cament récemment introduit.

sont les suivants :– TP < 50 % ;– terrain fragile : patient VIH+, femme enceinte, vieillard, cirrhose, cardiopathie, insuffisance rénale ;– fièvre > 38 °C depuis plus de 24 heures ;– hémorragies cutanéo-muqueuses ;– ascite ;– anémie, leucopénie, thrombopénie, bilirubine supérieure à 150 μmol/L ;– retour d’un pays d’endémie palustre.

En outre, un avis spécialisé (hépatologue) est nécessaire lorsqu’il s’agit d’un enfant, lorsqu’un médicament a été récemment introduit ou en cas de prise de paracétamol, AINS ou anti-émétiques (aggravation du risque d’insuffisance hépatique fulminante).

: hépatite A (IgM anti-VHA), hépatite B (AgHBs, IgM anti-HBC et PCR VHB), hépatite C (Ac anti-VHC et PCR VHC), hépatite E (Ac anti-VHE + PCR VHE), PCR VIH, sérologies CMV, EBV, VZV, VIH-1 et 2.

: lithiase de la voie biliaire principale (25 % des calculs sur la voie biliaire principale entraînent une élévation des transaminases supérieure à 10 N, mais géné-ralement inférieure à 20 N), foie cardiaque, foie septique (en cas de sepsis sévère), hépatite médi-camenteuse, atteinte vasculaire hépatique (throm-bose des veines sus-hépatiques ou syndrome de Budd-Chiari et thrombose portale).

mais nécessitant un traitement urgent peuvent être évoquées : hépatite auto-immune et maladie de Wilson.

ConclusionDevant une augmentation des transaminases, il convient tout d’abord de la confirmer par un second dosage avant de se lancer dans des explorations complexes. En cas d’éléva-tion modérée, les causes principales sont la consommation d’alcool, la stéatose hépatique, les médicaments ou une hépatite virale chroni-que B. En cas de cytolyse aiguë supérieure à 3 à 5 N, il importe d’évaluer la gravité en recherchant notamment une encéphalopathie et une dimi-nution du TP, et d’arrêter tous les médicaments hépatotoxiques avant de commencer l’enquête étiologique. |

LUCILE JEANNE

Biologiste, Angers (49)

L’auteur n’a pas déclaré de conflit d’intérêt.

SourceCommunication de Y. Le Baleur, lors des Entretiens de Bichat, Paris, septembre 2010.