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hémostase | formation OptionBio | Lundi 21 juin 2010 | n° 439 13 L es thromboses veineuses superficielles (TVS) sont deux fois plus fréquentes que les thromboses veineuses profon- des (TVP). A priori, les données de la littérature suggèrent que la TVS est une pathologie bénigne ; toutefois, le taux de TVP et/ou d’embolie pulmonaire (EP) concomitante à une TVS serait voisin de 6 % (tableau I). Épidémiologie L’étude POST menée sous l’égide de la Société française de médecine vasculaire, chez 844 patients ayant une TVS (symp- tomatique > 5 cm et absence de chirurgie dans les 10 jours précédents), a apporté des données intéressantes : transversales : 210/844 patients avaient un événement thrombo-embolique (ETE) veineux associé (634 avaient une TVS isolée). Les patients ayant une TVP et/ou une EP associée étaient un peu plus âgés (70 ans vs 61 ans en moyenne), avec plus souvent une atteinte de la grande saphène (73 % des cas) allant jusqu’à la crosse dans 40 % des cas. Ces données justi- fient l’exploration du réseau veineux profond et superficiel et une évaluation du risque d’EP devant toute TVS ; longitudinales : les TVS isolées ont été suivies 3 mois. Un ETE veineux, le plus souvent asymptomatique, est survenu dans 10,2 % des cas. Il s’agissait d’une EP (0,5 % des cas), d’une TVP proximale (2,8 %), d’une récidive de la TVS (1,9 %) ou d’une extension de la TVS (3 %). Les principaux facteurs de risque de survenue d’un ETE à 3 mois sont le sexe masculin (hazard ratio HR : 2,8), un cancer actif (HR : 2,8), un antécédent de TVP/EP (HR : 2,1) et l’absence de varice (HR : 1,9). Traitement des TVS Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ne sont pas plus efficaces qu’un placebo ( tableau II ) ; ils ne doivent plus être prescrits pour un effet “anti-thrombotique”. Selon les résultats de 4 études, les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) ou l’héparine non fractionnée (HNF) à doses prophylactiques diminuent de 74 % le risque de récidive par rapport à un placebo (les patients ayant le plus souvent une contention élastique associée). À plus fortes doses d’héparine (pas toujours curatives, parfois “intermédiaires” selon les étu- des), la réduction du risque est légèrement supérieure, mais la différence n’est pas significative. Il convient donc de préférer les doses prophylactiques plutôt d’HBPM. Quant à l’intérêt de la contention élastique seule, deux études concluent qu’elle ne suffit pas à prévenir le risque de TVP ou de récidive de TVS à 3 mois. Il faut donc l’associer à une HBPM. Enfin, la chirurgie de “déveinage” ou de ligature ne donne pas de meilleur résultat qu’un traitement par HBPM et est plus compliquée. Selon l’étude POST, en réalité (contrairement aux recommandations), deux tiers des cliniciens traitent les TVS avec des doses curatives d’héparine, voire avec un AVK dans 17 % des cas ou proposent la chirurgie d’emblée dans un nombre non négligeable de cas. En pratique, devant une TVS Devant une TVS, Decousus et al. (2003) préconisent : – faire un écho-Doppler initial systématique à la recherche d’une TVP ; – prescrire une HBPM à doses prophylactiques, sauf en cas d’an- técédent d’ETE, de cancer, s’il s’agit d’une récidive, ou chez un homme, pendant une durée (probablement optimale) de 1 mois. Si la TVS est idiopathique, bilatérale, récidivante, sans varice, il est recommandé de faire un bilan, car il existe probablement une pathologie sous-jacente ; – la chirurgie est à proposer en fonction des données échogra- phiques, et à différer (s’il n’y a pas de risque vital) à la fin du traitement médicamenteux ; – en cas de TVS étendue à la crosse, proposer des anticoagulants à doses curatives pendant 3 mois ou une ligature chirurgicale. L’étude CALISTO actuellement en cours (3 000 malades inclus), évaluant le fondaparinux à la dose de 2,5 mg/j pendant 45 j vs placebo, devrait préciser les modalités thérapeutiques des TVS. | CAROLE ÉMILE Biologiste, CH de Montfermeil (93) [email protected] Tableau I. Pronostic des TVS Facteur de risque de complication en TVP et/ou EP Odds-ratio multivarié Antécédents de TVP/EP 2,01 Insuffisance veineuse sévère 2,75 Délai diagnostique > 7 jours 3 Sexe masculin 2,17 Conduite à tenir devant une thrombose veineuse superficielle Pathologie certes bénigne, la thrombose veineuse superficielle (TVS) n’en demeure pas moins une pathologie à risque, notamment d’évènement thrombo-embolique. Aujourd’hui, sa prise en charge n’est pas toujours conforme aux recommandations. En pratique, que fait-on devant une TVS ? Source Communication de P. Mismetti, lors de la 10 e Journée du GITA, Paris, juin 2009. Tableau II. Effets des AINS sur les TVS AINS per os Placebo p Événement thrombo-embolique à 3 mois 4 % 3,6 % 0,86 (NS) Hémorragie majeure 0 % 0 % Bibliographie Decousus H. Données épidé- miologiques issues de l’étude POST. Journal des Maladies Vasculaires. 2007 ; 32 : 12. Decousus H, Leizorovicz AZ, Prandoni P. Fondaparinux in the treatment of symptomatic isola- ted superficial thrombophlebitis (ST): the CALISTO trial. XX th Congress of International Society on Thrombosis and Haemosta- sis. J Thromb Haemost. 2007 ; Suppl. : PS-677. Decousus H, Epinat M, Guillot K et al. Superficial vein thrombo- sis: risk factors, diagnosis, and treatment. Curr Opin Pulm Med. 2003 ; 9 (5) : 393-7. Review.

Conduite à tenir devant une thrombose veineuse superficielle

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Page 1: Conduite à tenir devant une thrombose veineuse superficielle

hémostase | formation

OptionBio | Lundi 21 juin 2010 | n° 439 13

Les thromboses veineuses superficielles (TVS) sont deux fois plus fréquentes que les thromboses veineuses profon-des (TVP). A priori, les données de la littérature suggèrent

que la TVS est une pathologie bénigne ; toutefois, le taux de TVP et/ou d’embolie pulmonaire (EP) concomitante à une TVS serait voisin de 6 % (tableau I).

ÉpidémiologieL’étude POST menée sous l’égide de la Société française de médecine vasculaire, chez 844 patients ayant une TVS (symp-tomatique > 5 cm et absence de chirurgie dans les 10 jours précédents), a apporté des données intéressantes :– transversales : 210/844 patients avaient un événement thrombo-embolique (ETE) veineux associé (634 avaient une TVS isolée). Les patients ayant une TVP et/ou une EP associée étaient un peu plus âgés (70 ans vs 61 ans en moyenne), avec plus souvent une atteinte de la grande saphène (73 % des cas) allant jusqu’à la crosse dans 40 % des cas. Ces données justi-fient l’exploration du réseau veineux profond et superficiel et une évaluation du risque d’EP devant toute TVS ;– longitudinales : les TVS isolées ont été suivies 3 mois. Un ETE veineux, le plus souvent asymptomatique, est survenu dans 10,2 % des cas. Il s’agissait d’une EP (0,5 % des cas), d’une TVP proximale (2,8 %), d’une récidive de la TVS (1,9 %) ou d’une extension de la TVS (3 %). Les principaux facteurs de risque de survenue d’un ETE à 3 mois sont le sexe masculin (hazard ratio HR : 2,8), un cancer actif (HR : 2,8), un antécédent de TVP/EP (HR : 2,1) et l’absence de varice (HR : 1,9).

Traitement des TVSLes anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ne sont pas plus efficaces qu’un placebo (tableau II) ; ils ne doivent plus être prescrits pour un effet “anti-thrombotique”.Selon les résultats de 4 études, les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) ou l’héparine non fractionnée (HNF) à doses prophylactiques diminuent de 74 % le risque de récidive par rapport à un placebo (les patients ayant le plus souvent une contention élastique associée). À plus fortes doses d’héparine

(pas toujours curatives, parfois “intermédiaires” selon les étu-des), la réduction du risque est légèrement supérieure, mais la différence n’est pas significative. Il convient donc de préférer les doses prophylactiques plutôt d’HBPM.Quant à l’intérêt de la contention élastique seule, deux études concluent qu’elle ne suffit pas à prévenir le risque de TVP ou de récidive de TVS à 3 mois. Il faut donc l’associer à une HBPM.Enfin, la chirurgie de “déveinage” ou de ligature ne donne pas de meilleur résultat qu’un traitement par HBPM et est plus compliquée.Selon l’étude POST, en réalité (contrairement aux recommandations), deux tiers des cliniciens traitent les TVS avec des doses curatives d’héparine, voire avec un AVK dans 17 % des cas ou proposent la chirurgie d’emblée dans un nombre non négligeable de cas.

En pratique, devant une TVSDevant une TVS, Decousus et al. (2003) préconisent :– faire un écho-Doppler initial systématique à la recherche d’une TVP ;– prescrire une HBPM à doses prophylactiques, sauf en cas d’an-técédent d’ETE, de cancer, s’il s’agit d’une récidive, ou chez un homme, pendant une durée (probablement optimale) de 1 mois. Si la TVS est idiopathique, bilatérale, récidivante, sans varice, il est recommandé de faire un bilan, car il existe probablement une pathologie sous-jacente ;– la chirurgie est à proposer en fonction des données échogra-phiques, et à différer (s’il n’y a pas de risque vital) à la fin du traitement médicamenteux ;– en cas de TVS étendue à la crosse, proposer des anticoagulants à doses curatives pendant 3 mois ou une ligature chirurgicale.L’étude CALISTO actuellement en cours (3 000 malades inclus), évaluant le fondaparinux à la dose de 2,5 mg/j pendant 45 j vs placebo, devrait préciser les modalités thérapeutiques des TVS. |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

Tableau I. Pronostic des TVS

Facteur de risque de complication en TVP et/ou EP Odds-ratio multivarié

Antécédents de TVP/EP 2,01

Insuffisance veineuse sévère 2,75

Délai diagnostique > 7 jours 3

Sexe masculin 2,17

Conduite à tenir devant une thrombose veineuse superficielle

Pathologie certes bénigne, la thrombose veineuse superficielle (TVS) n’en demeure pas moins une pathologie à risque, notamment d’évènement thrombo-embolique. Aujourd’hui, sa prise en charge n’est pas toujours conforme aux recommandations. En pratique, que fait-on devant une TVS ?

SourceCommunication de P. Mismetti, lors de la 10e Journée du GITA, Paris, juin 2009.

Tableau II. Effets des AINS sur les TVS

AINS per os Placebo p

Événement thrombo-embolique à 3 mois

4 % 3,6 % 0,86 (NS)

Hémorragie majeure 0 % 0 %

BibliographieDecousus H. Données épidé-

miologiques issues de l’étude

POST. Journal des Maladies

Vasculaires. 2007 ; 32 : 12.

Decousus H, Leizorovicz AZ,

Prandoni P. Fondaparinux in the

treatment of symptomatic isola-

ted superficial thrombophlebitis

(ST): the CALISTO trial. XXth

Congress of International Society

on Thrombosis and Haemosta-

sis. J Thromb Haemost. 2007 ;

Suppl. : PS-677.

Decousus H, Epinat M, Guillot K

et al. Superficial vein thrombo-

sis: risk factors, diagnosis, and

treatment. Curr Opin Pulm Med.

2003 ; 9 (5) : 393-7. Review.