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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 277–282 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Chronique Conduite automobile après usage de stupéfiants : actualité jurisprudentielle Renaud Bouvet a,,b , Chloé Hugbart a , Alain Baert a , Mariannick Le Gueut a,b a Service de médecine légale, centre hospitalier universitaire, 2, rue Henri-Le-Guilloux, 35033 Rennes cedex 9, France b Faculté de médecine, université de Rennes 1, 2, avenue du Professeur-Léon-Bernard, 35043 Rennes cedex, France Disponible sur Internet le 3 octobre 2013 Résumé L’actualité jurisprudentielle en matière de conduite automobile après usage de la plante Cannabis sativa a été particulièrement riche au cours de l’année qui vient de s’écouler. Le Conseil constitutionnel a estimé que le premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 235-1 du code de la route était conforme à la Constitution. La Cour de cassation a pour sa part estimé que la matérialité de l’usage de cannabis nécessitait la réalisation d’une analyse sanguine, et qu’elle pouvait être établie sur la seule présence de THC-COOH dans le sang. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. Les analyses toxicologiques réalisées dans le cadre des infractions routières réprimées aux articles L. 235-1 et suivants du code de la route sont devenues des examens de routine pour les laboratoires de toxicologie franc ¸ais. En 2010, le ministère de l’intérieur 1 recensait 25 194 délits de conduite après usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants pour 67 625 dépistages, qu’ils soient préventifs ou obligatoires. Une part non négligeable du contentieux dans lequel s’inscrivent ces analyses concerne la conduite automobile après usage de la plante Cannabis sativa, et l’actualité jurisprudentielle en la matière a été particulièrement riche au cours de l’année qui vient de s’écouler. Ces décisions apportent en effet un éclairage intéressant en pratique expertale toxicologique. Nous aborderons dans un premier temps la conformité à la Constitution du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 235-1 du code de la route (1), puis la jurisprudence récente de la Cour de cassation relative à la matérialité de l’usage de cannabis (2). Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Bouvet). 1 Ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Le comportement des usagers de la route. Bilan statistique de l’année 2010, p. 26. 1629-6583/$ see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.07.010

Conduite automobile après usage de stupéfiants : actualité jurisprudentielle

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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 277–282

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Chronique

Conduite automobile après usage de stupéfiants :actualité jurisprudentielle

Renaud Bouvet a,∗,b, Chloé Hugbart a, Alain Baert a,Mariannick Le Gueut a,b

a Service de médecine légale, centre hospitalier universitaire, 2, rue Henri-Le-Guilloux, 35033 Rennes cedex 9, Franceb Faculté de médecine, université de Rennes 1, 2, avenue du Professeur-Léon-Bernard, 35043 Rennes cedex, France

Disponible sur Internet le 3 octobre 2013

Résumé

L’actualité jurisprudentielle en matière de conduite automobile après usage de la plante Cannabis sativa aété particulièrement riche au cours de l’année qui vient de s’écouler. Le Conseil constitutionnel a estimé quele premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 235-1 du code de la route était conforme à la Constitution.La Cour de cassation a pour sa part estimé que la matérialité de l’usage de cannabis nécessitait la réalisationd’une analyse sanguine, et qu’elle pouvait être établie sur la seule présence de THC-COOH dans le sang.© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

Les analyses toxicologiques réalisées dans le cadre des infractions routières répriméesaux articles L. 235-1 et suivants du code de la route sont devenues des examens de routinepour les laboratoires de toxicologie francais. En 2010, le ministère de l’intérieur1 recensait25 194 délits de conduite après usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiantspour 67 625 dépistages, qu’ils soient préventifs ou obligatoires. Une part non négligeable ducontentieux dans lequel s’inscrivent ces analyses concerne la conduite automobile après usagede la plante Cannabis sativa, et l’actualité jurisprudentielle en la matière a été particulièrementriche au cours de l’année qui vient de s’écouler. Ces décisions apportent en effet un éclairageintéressant en pratique expertale toxicologique.

Nous aborderons dans un premier temps la conformité à la Constitution du premier alinéa duparagraphe I de l’article L. 235-1 du code de la route (1), puis la jurisprudence récente de la Courde cassation relative à la matérialité de l’usage de cannabis (2).

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (R. Bouvet).

1 Ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Le comportement des usagersde la route. Bilan statistique de l’année 2010, p. 26.

1629-6583/$ – see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.07.010

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1. La décision no 2011-204 QPC du 9 décembre 2011

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 octobre 2011 par la chambre criminelle de la Courde cassation2 d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droitset libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 235-1 ducode de la route. Monsieur Jérémy M. faisait grief à cette disposition de méconnaître les principesde nécessité des peines (1.1) et de légalité des délits et des peines (1.2).

1.1. Conformité au principe de nécessité des peines

Il s’agissait pour le Conseil constitutionnel, en vertu des dispositions de l’article 8 de la Décla-ration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de l’article 61-1 de la Constitution, des’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction – conduite après usage destupéfiant – et la peine encourue – deux ans d’emprisonnement et 4500 euros d’amende. Était enfait posée la question de la dangerosité de la conduite automobile après usage de stupéfiant.

Les Sages du Palais Royal ont jugé, dans un considérant lapidaire, qu’une telle disproportionne pouvait être retenue « compte tenu des risques induits par le comportement réprimé ». Cettedécision peut paraître évidente au regard de la littérature scientifique internationale, qui a établi demanière unanime le risque entre consommation de stupéfiants et accidentalité3. Elle est cependantà replacer dans une évolution législative récente et hésitante.

Il faut en effet rappeler que ce n’est qu’en 2003 – il y a donc seulement de dix ans ! – qu’a étécréé le délit de conduite d’un véhicule après usage de stupéfiant4. Si le code de la santé publiqueréprimait à l’époque l’usage de stupéfiant en lui-même5, l’infraction de conduite après usage destupéfiant n’existait pas en tant que telle. Trois étapes essentielles doivent être rappelées, qui ontabouti à l’esprit de l’article L. 235-1 actuel.

La première réside dans la mise en place en 1999 d’un dépistage obligatoire pour tout conduc-teur impliqué dans un accident mortel de la circulation. Les analyses et examens médicauxcliniques ou biologiques étaient réalisés en cas de positivité en vue d’établir une conduite sousl’influence de stupéfiants6. La seule infraction prévue par l’article L. 3-1 du code de la route del’époque était le refus de se soumettre à ces analyses et examens médicaux. Cet article est devenul’article L. 235-1 lors de la refonte de la partie législative du code de la route intervenue en 20007.

La deuxième étape réside dans l’extension du dépistage aux conducteurs impliqués dans unaccident corporel, survenue en 20018.

La troisième est celle de l’adoption de la loi du 3 février 20039 qui crée le délit de conduiteaprès usage de stupéfiant : « Toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élèveconducteur alors qu’il résulte d’une analyse sanguine qu’elle a fait usage de substances ou plantes

2 Cass. crim., 5 oct. 2011, no 11-90.085.3 Mura P, Kintz P. Drogues et accidentalité. Paris : EDP Sciences, 2011.4 Loi no 2003-87 du 3 févr. 2003 relative à la conduite sous l’influence de substances ou plantes classées comme

stupéfiants, JORF du 4 févr. 2003, p. 2103.5 Article L. 3421-1 du code de la santé publique.6 Loi no 99-505 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents

des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, JORF du 19 juin 1999, p. 9015.7 Ordonnance no 2000-930 du 22 sept. 2000 relative à la partie législative du code de la route, JORF du 24 sept. 2000,

p. 15056.8 Loi no 2001-1062 du 15 nov. 2001 relative à la sécurité quotidienne, JORF du 16 nov. 2001, p. 18215.9 Cf. supra note 4.

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classées comme stupéfiants est punie de deux ans d’emprisonnement et de 4500 euros d’amende ».La modification du texte intervenue en 2007 ne revient pas sur ce premier alinéa de l’article L. 235-1, et se contente d’ajouter une septième peine complémentaire encourue, l’obligation d’accomplirun stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produit stupéfiants10.

On ne peut que regretter la malheureuse dénomination de cette loi relative à la conduite sousl’influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants. La plume du législateur a en effetpéché par deux fois : dans le titre de la loi et en ne modifiant pas l’intitulé du chapitre V du codede la route (« Conduite sous l’influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants »),dont le premier article est l’article L. 235-1 qui réprime la conduite après usage de stupéfiant, dèslors qu’il a été établi par une analyse sanguine. Il faudra attendre 2011 pour que le titre du chapitresoit mis en conformité avec son contenu11.

1.2. Conformité au principe de légalité des délits et des peines

Le contrôle de constitutionnalité portait également sur la conformité du premier alinéa duparagraphe I de l’article L. 235-1 au principe de légalité des délits et des peines et de son corollaire :l’exigence de précision de la loi pénale, garantie du justiciable contre l’arbitraire de la loi. Deuxgriefs étaient avancés par le requérant : l’absence de détermination par l’article L. 235-1 d’undélai entre consommation de stupéfiant et conduite automobile, et d’un taux de substance illicitedétectable dans le sang.

Le Conseil constitutionnel a relevé que l’infraction n’était constituée que si une analyse san-guine mettait en évidence la présence de stupéfiant. Ce critère a été considéré comme objectif,et le Conseil a estimé que l’infraction prévue par la loi était suffisamment précise, sans qu’undélai entre consommation et conduite doive être précisé, ni un seuil minimum de détection fixépar la loi. Sur ce dernier point, le Conseil considère qu’il « appartient au pouvoir réglementaire,sous le contrôle du juge compétent, de fixer, en l’état des connaissances scientifiques, médicaleset techniques, les seuils minima de détection des stupéfiants dans le sang ».

Cette décision appelle à notre sens une mise en perspective à deux égards.Sur la notion de délai, tout d’abord. Il n’est pas question de mettre en doute l’analyse juridique

du Conseil constitutionnel, mais d’examiner, au regard des données acquises de la science depuisl’adoption de la loi, les objectifs du législateur et du gouvernement. Lors du débat parlementaire,le garde des sceaux précisait en effet que « le délit n’est constitué que s’il résulte d’une analysesanguine et que les stupéfiants ne peuvent être détectés que pendant quelques heures seulement.Il n’y a donc pas de risque que l’on sanctionne une personne qui aurait fait usage de stupéfiantsplusieurs jours avant l’accident »12. Concernant le cannabis, le ministre précisait même « six àquatre heures ».

On en déduit que le gouvernement visait ici expressément le �9-tetrahydrocannabinol (THC),ce qui se concoit si l’on se réfère aux dispositions de l’arrêté du 5 septembre 200113. Or des

10 Loi no 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, JORF du 7 mars 2007, p. 4297.11 Loi no 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, JORF du 18 mai 2011,

p. 8537.12 Lucien Lanier, séance du 19 décembre 2002, Journal officiel Débats Sénat, 20 décembre 2002.13 Arrêté du 5 sept. 2001 fixant les modalités du dépistage des stupéfiants et des analyses et examens prévus par le décret

no 2001-751 du 27 août 2001 relatif à la recherche de stupéfiants pratiquée sur les conducteurs impliqués dans un accidentmortel de la circulation routière, modifiant le décret no 2001-251 du 22 mars 2001 relatif à la partie réglementaire du codede la route (Décrets en Conseil d’État) et modifiant le code de la route, JORF du 18 sept. 2001, p. 14802.

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travaux récents14 viennent relativiser ce qui pouvait être admis à l’époque : Karschner et al. ontnotamment montré la persistance de THC dans le sang après sept jours d’interruption complètede consommation chez des sujets consommateurs habituels15. S’il était loisible au législateur etau gouvernement de faire le choix d’une législation per se, force est de constater que les garantiesd’équilibre de la loi opposées à l’époque par le garde des sceaux ne sont plus valables en l’étatactuel des connaissances scientifiques.

Sur la notion de seuil, ensuite. Sans surprise, le Conseil considère que la fixation de seuilsminima de détection relève de la compétence du règlement. On ne peut que souscrire à cetteanalyse, mais sans méconnaître l’ambigüité de l’interprétation de la notion de seuil en pratiquejudiciaire, tant de la part des magistrats que des avocats16. Pour certains, et c’est notre position,ce seuil est une performance minimale exigible de l’expert, libre à lui d’offrir des performancessupérieures, c’est-à-dire de quantifier la substance à des concentrations moindres que celle fixéepar l’arrêté (1 ng/mL). Pour d’autres, c’est une concentration en dessous de laquelle l’infractionne serait pas constituée. Cette analyse n’est pas soutenable dans la mesure où les performancesactuelles des laboratoires permettent une détection et une quantification bien inférieure au seuilréglementaire de 1 ng/mL de THC. Le seul usage étant réprimé, sans référence à une influence(impairment) ou à une concentration (comme pour l’alcool), la question de la quantification peutmême être considérée comme secondaire, la détection étant suffisante.

2. Jurisprudence de la Cour de cassation relative à la matérialité de l’usage de cannabis

Par deux arrêts rendus en février et octobre 2012, la Chambre criminelle a précisé les conditionsde caractérisation de l’usage de cannabis (2.1). Ces solutions ne sont pas sans conséquence pourl’expert toxicologue et interrogent quant à la nécessité d’une nouvelle adaptation de l’arrêté du5 septembre 2001 (2.2).

2.1. Nécessité d’une analyse sanguine

Dans une première espèce, la Cour d’appel de Dijon avait considéré que l’usage de cannabispouvait être caractérisé sur la base des aveux du prévenu qui avait reconnu avoir fumé un jointpréalablement à la conduite, alors que l’analyse sanguine n’avait pas été opérée régulièrement.L’arrêt de la Chambre criminelle du 15 février 201217 vient contredire les juges du fond enconsidérant que la preuve de l’usage de stupéfiant ne peut reposer que sur l’identification d’une

14 Huestis MA, Smith ML. Human cannabinoid pharmacokinetics and interpretation of cannabinoid concentrationsin biological fluids and tissues. In: ElSohly MA (editor). Forensic science and medicine: marijuana and the cannabi-noids. Totowa, New Jersey: Humana Press 2006:205–235. Schwope DM, Karschner EL, Gorelick DA, Huestis MA.Identification of recent cannabis use: wholde-blood and plasma free and glucuronidated cannabinoid phaemacokine-tics following controlled smoked cannabis administration. Clin Chem 2011; 57(10):1406–1414. Brenneisen R, Meyer P,Chtioui H, Saugy M, Kamber M. Plasma and urine profiles of �9-tetrahydrocannabinol ans its metabolites 11-hydroxy-�9-tetrahydrocannabinol and 11-nor-9-carboxy-�9-tetrahydrocannabinol after cannabis smoking by males volunteers toestimate recent consumption by athletes. Anal Bioanal Chem 2010;396:2493–2502.15 Karschner EL, Schwilke EW, Lowe RH, Darwin WD, Pope HG, Herning R, Cadet JL, Huestis MA. Do �9-

tetrahydrocannabinol concentrations indicate recent use in chronic cannabis users? Addiction 2009; 104:2041–2048.16 Bouvet R, Baert A, Le Gueut M. Conduite automobile et cannabis : la sanction de l’expert. Droit, déontologie & soin

2012;12: 32–36.17 Cass. crim., 15 févr. 2012, no 11-84.607.

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telle substance dans le sang, ainsi qu’en dispose expressément l’article L. 235-1, quand bien mêmecet usage aurait été reconnu par le prévenu lui-même.

Il est intéressant de comparer la manière dont la Cour de cassation établit la matérialité del’usage de stupéfiants dans le cadre d’une législation per se, aux solutions jurisprudentiellesantérieures concernant la conduite sous l’empire d’un état alcoolique réprimée aux articles L. 234-1 et suivants du code de la route, relevant d’une législation de type impairment. La Haute juridictiona en effet pu retenir la conduite sous influence de l’alcool en l’absence d’analyse sanguine surla base de l’incohérence, de l’excès du comportement, d’une élocution bégayante, ou des aveuxmême du conducteur18.

On peut concevoir que les informations cliniques figurant à la fiche B puissent être nécessairesà évaluer l’influence de l’alcool sur un comportement dans le cadre d’une législation de typeimpairment. On peut en revanche, à la lumière de cet arrêt se poser la question de la pertinencedu recueil des informations figurant à la fiche E prévue par l’arrêté du 5 septembre 2001, dès lorsque seule l’analyse sanguine peut établir la matérialité de l’infraction. Quel intérêt y a-t-il en effetà renseigner les antécédents médicaux, la nature des substances médicamenteuses ou stupéfiantesabsorbées et les éléments d’un examen neurologique et général sommaire si les résultats de cetexamen ne sont d’aucune utilité au juge pour qualifier l’infraction ? L’examen médical relevé surla fiche E procède d’un examen comportemental qui, par définition, n’a pas sa place dans unelégislation de type per se.

2.2. Usage de cannabis et THC-COOH

Les résultats de l’analyse sanguine prévue à l’article L. 235-1 du code la route sont portés parl’expert analyste sur la fiche F. Quatre champs de résultats pour les concentrations de stupéfiantssont mentionnés : �9-tetrahydrocannabinol, amphétamines, opiacés et cocaïne. Si le formalismedu rapport de l’expert paraît indiscutable, les pratiques expertales s’en sont affranchies et lechamp « observations » est fréquemment utilisé pour mentionner la concentration de métabolites,et, concernant le cannabis, de THC-COOH (11-nor-9-carboxy-�9-tetrahydrocannabinol), alorsque la concentration en THC peut être nulle.

Nous nous étions déjà interrogés sur cette pratique expertale en termes de sécurité juridiqueet d’égalité des justiciables, la matérialité de l’usage étant laissé à l’initiative de l’expert par lechoix de celui-ci de mentionner la concentration en THC-COOH alors que la mission qui lui étaitconfiée se bornait à mesurer la concentration en THC19.

À l’occasion de trois espèces, dont la dernière a fait l’objet d’un arrêt rendu le 3 octobre 201220,la Cour de cassation semble consacrer cette pratique expertale, puisqu’elle a jugé que l’usage decannabis réprimé à l’article L. 235-1 du code de la route pouvait être caractérisé sur la seuleprésence de THC-COOH dans le sang, la concentration en THC étant nulle.

Cette solution est scientifiquement indiscutable, puisqu’il n’existe pas de production endogènede THC-COOH ; elle s’écarte cependant des termes de l’arrêté du 5 septembre 2001 qui bornele dosage des cannabinoïdes au dosage du THC. Il nous paraît donc nécessaire d’harmoniserle règlement et la jurisprudence. La fiche F pourrait ainsi être modifiée, soit en se référant àune famille de stupéfiants en remplacant la mention « �9-tetrahydrocannabinol » par la mention

18 Bouvet R, Baert A, Le Gueut M. Technique ou clinique ? En matière d’alcoolisation, le droit choisit-il ? La Revue demédecine légale 2011;2:132–136.19 Cf. supra note 16.20 Cass. crim., 12 mars 2008, no 07-83.476. Cass. crim., 3 oct. 2012, no 12-82498. Cass. crim., 8 juin 2011, no 11-81.218.

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« cannabinoïdes » (comme c’est le cas pour les amphétamines et les opiacés) soit en ajoutant unemention « THC-COOH » au paragraphe « recherche et dosage des stupéfiants ».

La mention de la concentration en THC-COOH nous paraît également intéressante dans lecadre des contre expertises. Il a été montré que la stabilité de ce métabolite carboxylique étaitbien supérieure à celle du THC dans les échantillons congelés21 ; la mention de la concentrationen THC-COOH pourrait ainsi éviter des contre expertises rendues faussement négatives en THCdu fait de la destruction de la molécule en lien avec conditions de conservation.

21 Brunet P, Villain M, Mura P et la commission « conduites addictives ». Stabilité des cannabinoïdes sanguins invitro. Étude sur 318 prélèvements. xviie congrès de la SFTA à La Rochelle – 10 au 12 juin 2009. Ann Toxicol Anal2009;21:99. Lelièvre B, Lebouil A, Mauras Y, Diquet B, Turcant A. Résultats complémentaires pour l’étude de stabilité descannabinoïdes dans le sang : données d’un laboratoire sur le tetrahydrocannabinol (THC) et son métabolite carboxylique(THC-COOH) par HPLC/MS/MS. xviie congrès de la SFTA à La Rochelle – 10 au 12 juin 2009. Ann Toxicol Anal2009;21:99.