25

Contes malgaches - Numilog

  • Upload
    others

  • View
    7

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Contes malgaches - Numilog
Page 2: Contes malgaches - Numilog

CONTES MALGACHES

Page 3: Contes malgaches - Numilog
Page 4: Contes malgaches - Numilog

JEANNE DE LONGCHAMPS

C O N T E S M A L G A C H E S

Illustrés par l'Auteur

COMMENTAIRES FOLKLORIQUES DE PAUL DELARUE

EDITIONS ERASME - PARIS

Page 5: Contes malgaches - Numilog

CONTES DES CINQ CONTINENTS C o l l e c t i o n d i r igée p a r P A U L D E L A R U E ,

p u b l i é e s o u s le p a t r o n a g e d u M u s é e n a t i o n a l des A r t s

e t T r a d i t i o n s popu la i r e s .

PARUS :

Pertev Nai l i BORATAV. — Contes turcs. Jeanne DE LONGCHAMPS. Contes malgaches.

EN PRÉPARATION :

Joan AMADES. Contes catalans. Solange BERNARD-THIERRY. — Contes cambodgiens. Luc LACOURCIÈRE. — Contes canadiens. Carl Herman TILLHAGEN. — Contes tziganes. Kurt RANKE. ― Nouveaux contes du pays des frères Grimm. Seamus O 'DUILEARGA. — Contes irlandais. Ariane DE FÉLICE. — Contes des îlots français aux U. S. A. Madeleine LEQUIME-LE ROY. — Contes du Cameroun.

Sont envisagés également des recueils de contes norvégiens, finnois, russes, esthoniens, slovènes, grecs, chinois, japonais, coréens, etc.

A la même librairie, sous la même direction et le même patronage :

C O N T E S M E R V E I L L E U X D E S P R O V I N C E S D E F R A N C E

PARUS. A. MILLIEN et P. DELARUE, Nivernais et Morvan. G. MASSI- GNON, Oues t (Brière, Vendée, Angoumois). — A. PERBOSC, Gascogne. — A. DE FÉLICE, Haute-Bretagne. — G. MAUGARD, Pyrénées. A L'IMPRESSION. — François CADIC, Basse-Bretagne. EN PRÉPARATION. Ch. JOISTEN, Alpes. — A. DE FÉLICE, Berry et Poitou. — Victor SMITH, Haut-Languedoc et Lyonnais. — M. A. MÉRAVILLE, Auvergne, etc.

NOTA. — Chaque ouvrage de cette seconde collection comprend : une édition courante pouvant être mise entre les mains des enfants ; une édition avec commentaires folkloriques pour les chercheurs, les éducateurs, les lettrés, les curieux.

Page 6: Contes malgaches - Numilog

INTRODUCTION

Madagascar est un petit continent dans l 'Océan Indien. A u x temps

primaires, il formait, avec l 'Amérique du Sud, l 'Afrique, l 'Inde péninsu- laire et l 'Australie un seul continent austral.

Etrange pays dont un naturaliste d u X V I I I siècle a pu dire : « La

nature s'y est retirée comme en un sanctuaire particulier pour y travailler

sur d'autres modèles que ceux dont elle s'est servie ailleurs ».

En effet, tout y semble calculé pour provoquer le mystère : la faune, la flore, les races...

Terre de Lémurie fut le nom qu 'on lui donna pendant un temps à

cause des lémuriens dont elle possède, en propre, les trois quarts des

espèces existant dans le monde et dont l 'une d'elles, celle des babakoto

(en malgache petit grand-père) est respectée comme Ancêtre. II existe

aussi une sorte de rongeurs, les tandraka, souvent évoqués dans ces contes,

et qui se rattachent à des variétés si singulières qu 'on a dû créer pour

eux des familles spéciales. L'Ile possède, à elle seule, plus de deux cent trente espèces d'oiseaux.

II a existé, autrefois, sur ce petit continent, une faune gigantesque

comprenant des tortues dont les carapaces mesuraient plus de deux

mètres, et des Epyornix, oiseaux coureurs de cinq mètres de haut, parti-

culiers à Madagascar et qui semblent en voie d'extinction récente, puisque leurs œufs, d 'une contenance de huit à dix litres, se retrouvent

encore aujourd'hui, intacts, dans les sables du Sud. La forêt, à cette

époque, recouvrait toute l'Ile et cette faune grandiose faisait de ce pays

un ensemble biologique d 'une rare perfection (d'après Périer de la Bathie) — avant que l 'homme parût.

Dans la flore aussi, plus des trois quarts des espèces végétales appar- tiennent à Madagascar. Cette Ile, disent les savants, est une des dernières

Page 7: Contes malgaches - Numilog

survivances de l' époque tertiaire. II est certain que son isolement, depuis des millénaires, lui a conféré une puissante originalité.

Le mystère s'accroît encore devant le problème des races. A l'époque où se produisirent les premières migrations indonésiennes, le pays était habité par les Vazimba, ces grands Ancêtres si respectés, si redoutés

encore, et qui jouent un rôle prépondérant dans la religion des Mal-

gaches, le Culte des Ancêtres. Mais avant ces Vazimba on ignore complètement la race d'hommes qui a pu habiter Madagascar. Au-

jourd'hui, sur les Hauts-Plateaux, dominent les jaunes, plus ou moins

teintés, parmi lesquels certains individus sont de vrais types austro-

asiatiques. Puis vinrent se greffer des Africains, par l'esclavage, et qui

dominent sur la côte Ouest, puis, par migrations successives, des Juifs

et des Arabes, premiers civilisateurs de Madagascar.

Cette Ile n'est pas moins étonnante dans les particularités de sa

structure géologique. « C'est l 'œuvre du Créateur », dit un chant royal

malgache, « il ne faut pas la railler. Cette terre qui paraît pauvre est

fertile, elle est grasse et semble maigre. Elle est enviée mais n'envie

personne. Les étrangers restent étonnés devant elle parce que ses cheveux

sont plats et luisants » (ce qui est le plus grand compliment qu 'on puisse faire à un habitant des Hauts-Plateaux).

Ces Hauts-Pla teaux ne sont qu 'une chaîne ininterrompue de monta-

gnes variant entre 800 et 2500 mètres, paysage tourmenté à l'extrême où

les falaises à pic sont surmontées de rochers gigantesques qui dominent des crevasses. Les limites des Hauts-Plateaux sont brutales du côté de

l 'Est où ils retombent, par de véritables murailles de plusieurs centaines

de mètres, entre lesquelles les passages sont rares et vertigineux. La

Côte Est est rectiligne et étroite, bordée par la triple barre et étranglée

entre la grande forêt accrochée aux Hauts-Plateaux et l 'Océan Indien.

A l 'Ouest, la haute plaine, formée de tables qui partent du massif

central, s'étage jusqu 'à la mer. Certains grands fleuves y suivent, jusqu 'à leur delta, une ligne parallèle à la mer et qui semble faire reculer le

Mozambique. La côte Sud est inhospitalière. La falaise tombe à pic

dans la mer. Le pays est d 'une grande sécheresse, hérissé de cactées et

de baobabs. A la saison des pluies, les fleuves souterrains, en quelques

heures, jaillissent et deviennent de véritables torrents.

Page 8: Contes malgaches - Numilog

Pays de contrastes violents. L'intensité des manifestations atmosphé- risques y est surprenante. Les cyclones se forment au large : un point où l'air chaud se trouve isolé entre des régions plus froides. Un tour- billon s'élève, qui acquiert rapidement une violence terrible. Il approche. A terre règne un calme impressionnant, sous un ciel de plomb que parcourent des souffles de forge, et tout à coup les éléments se déchaînent, le ciel tourne au noir, le vent, en rafales, projette une pluie diluvienne qui suit les exigences du tourbillon; il arrache les arbres, emporte le toit des maisons. Le centre du cyclone passe, il se produit une sinistre accalmie. Puis l'ouragan se rue de nouveau sur tout ce qu'il trouve, plein de clameurs, de cris sauvages. Cela dure parfois plusieurs jours et plusieurs nuits et le soleil reparait, il éclaire des ruines de maisons écroulées, des rivières grossies, qui débordent de quelques dizaines de mètres. En 1927, un cyclone accompagné d'un raz de marée détruisit complètement la ville de Tamatave et transporta à l'intérieur des navires à l'ancre.

Sur les Hauts-Plateaux, la saison humide et chaude est celle des orages, les matinées sont fraîches. Le ciel bleu fait étinceler la terre rouge. Tout y paraît recuit, et d'une élégance hiératique. Puis les nuages apparaissent, se groupent en plusieurs lignes de combat; ils deviennent cuivrés, d'un éclat insoutenable, puis plombés, puis noirs. La tension électrique augmente l'angoisse sous ce chapeau lourd de menaces, et, brusquement, c'est un écroulement bouillonnant de pluie traversé de décharges électriques illuminant, sans arrêt, tout le pays. Dans toute l'Ile, la foudre tue, chaque année, des quantités de personnes et de bœufs.

II n'est pas extraordinaire que ces déchaînements de forces naturelles aient été symbolisés dans les contes. Et, en effet, ce grand vent-qui-tourne, tant redouté, accompagne ou précède souvent les êtres que l'on craint et qui sont à votre poursuite. Ainsi, dans Ivorombé, la présence de Madame l'Oie est signalée aux deux jeunes gens par un vent violent. De même dans le conte d 'Isilakolona, un tourbillon d'une grande intensité s 'élève au moment où les monstres griffus vont atteindre les quatre frères. Tous les déplacements des ogresses à queue sont accom- pagnés des mêmes tourbillons effrayants qui abattent les arbres et ravagent tout sur leur passage.

Page 9: Contes malgaches - Numilog

La foudre est un Etre avec lequel on peut s'entendre. Il y a, dans le Sud de l' Ile, les « fils de la Foudre >. Ces enfants, après avoir accompli les rites ordonnés par le devin, peuvent écarter la foudre. On trouve aussi dans certains manuscrits arabico-malgaches — précieux grimoires écrits sur un papier d'écorce d'arbre recouvert de peau de bœuf avec ses poils et qu'on trouve enfouis sous le foyer de certaines cases — des recettes de magie qui enseignent comment la foudre, qui prend souvent l 'aspect d 'un coq rouge avec des griffes, peut être retenue prisonnière, et la façon de s'en servir contre un ennemi. Dans le conte d'Andrianora- norana, nous voyons le beau-frère se servir de la foudre contre l'intrus.

Ces éléments déchaînés dans les sites grandioses des massifs volcani- ques, au lieu même où les Vazimba furent vaincus, voilà qui impose le respect de leurs mânes! Au Sud-Ouest de Tananarive, on parvient, après de longues et dures montées en lacets dans la montagne, à un pays véritablement apocalyptique. Les lacs, situés dans les cratères d'anciens volcans, sont remplis de caïmans dont le peau ressemble à un pavé de laves. A cet endroit, le tonnerre gronde sans cesse, les éclairs dressent une muraille de feu. C'est le point le plus magnétique de Madagascar. Tout y brûle, tout y est embrasé, jusqu'au fleuve qui, au fond de la vallée, se couvre des nuances les plus fantastiques, des béryls, bleu aigue- marine, jaune topaze, rouge rubis. II s'enroule, se déroule sur un fond de velours sombre, comme un serpent démesuré entre les roches de basalte. Là, les Pierres levées, qui sont des tombeaux de Vazimba, semblent des spectres en marche, et parfois, dit-on, songe ou mensonge, des Vazimba vous apparaissent, petits, noirs de peau, à la tête plate, assis sur les rochers. Dès qu'on s'en approche, ils disparaissent.

Vazimba! Mot fatidique qu'il ne faut pas prononcer et dont l'évocation est à la fois sacrée et terrifiante. Car on redoute le pouvoir mystique de ces premiers occupants de Madagascar, affreux sorciers qui connais- saient toutes les recettes de magie et le secret de toutes les plantes vénéneuses. Aujourd'hui encore, leurs âmes — le terme est impropre — se blotissent sous des pierres ou les touffes d'herbe et peuvent les rendre dangereuses. Elles se réfugient aussi dans les eaux, les arbres, les animaux ou les hommes aptes à les recevoir et qui, pour cette raison deviennent sacrés. S'ils inclinent plutôt à nuire, ces Vazimba font parfois

Page 10: Contes malgaches - Numilog

du bien à ceux qui les honorent par des sacrifices de coqs ou de bœufs d'une couleur déterminée.

Voici ce qu'on raconte d'un certain lac des Hauts-Plateaux hanté par les Vazimba :

Autrefois, dit-on, sur un lac très profond, il y avait un pont d'argent qui reliait l'Est à l'Ouest et les Vazimba des eaux venaient s'y promener. Un jour, des gens, venant de l'Est, virent ce beau pont et s'y promenèrent aussi. Les Vazimba en furent fort irrités. Il les engloutirent dans les eaux avec le pont. On voit à la place, sur le lac, un grand radeau de joncs qui sert aux Vazimba pour circuler sur l'eau. Parfois les Vazimba rendent malades ceux qui sont venus cueillir les roseaux ou les joncs des bords du lac. Il faut alors qu'on dépose à cet endroit une feuille de bananier intacte, rayée de sept lignes de terre blanche et sept lignes de terre rouge; on met, aussi, sept grains de riz blanc et sept grains de riz rouge décortiqués par le malade avec ses ongles. C'est là le moyen de guérir.

Innombrables sont les récits de ce genre. Ces Vazimba, bien que vaincus par les occupants actuels, sont consi-

dérés comme de grands Ancêtres. Au-dessus d'eux il y a le Zanahary et cet Andriamanitra dont on ne saurait dire s'il est dieu suprême ou s'il personnifie à lui seul des Ancêtres très anciens; le pluriel n'existe pas en malgache, et cette question donne lieu à de multiples controverses. D' après les vieillards du pays d'Imerina, on disait autrefois que les gens sentaient bon ou mauvais après leur mort suivant le genre de vie qu'ils avaient menée de leur vivant. Andriamanitra dont la traduction signifie le Seigneur Parfumé, pourrait représenter les Ancêtres parvenus à un très haut degré de sainteté. Et d'ailleurs — d'après le Gouverneur Berthier les rois, autrefois, dans le pays d'Imerina, étaient appelés des Andriamanitra.

Quoi qu'il en soit, tous ces Etres, Vazimba, Zanahary, Andriamanitra possèdent le hasina. C'est une notion qu'il est utile de comprendre si l'on veut pénétrer dans la religion. Bien entendu il faut entendre le mot religion dans le sens le plus large. Là où l'homme essaie de communiquer avec les puissances naturelles, il y a religion.

Page 11: Contes malgaches - Numilog

Le hasina analogue au maña mélanésien, au wrong de l 'A.O.F. au

vakan des Indiens de l 'Amérique du Nord, est un pouvoir mystique qui

circule entre les êtres; il agit de toutes sortes de manières, soit pour le bien, soit pour le mal, et ne peut être mis en doute parce qu'on en subit les effets. Pa r le hasina, les choses sont unies entre elles et liées à l'homme.

Cette liaison mystique s'exerce sur le visible et l'invisible, entre les morts

et les vivants et même entre l 'homme et les végétaux.

Dans le conte d 'Isilakolona, le fils, au moment de partir pour une expédition périlleuse, dit à sa mère :

— Voici les bananiers du Sud de la case. Regarde-les souvent. S'ils

se fanent, je serai en danger, s'ils meurent, c'est que je serai mort.

U n courant mystique, une sorte de participation devait s'établir, qui

reliait le sort du jeune homme à ces bananiers du Sud.

P a r le hasina, tout ce qui existe peut devenir fort et redoutable.

Ainsi au fond d 'un lac, l'on a déposé les restes mortels d 'un noble. U n

ver se forme, il se développe, il monte au village quand il a faim.

O n lui donne de la viande de bœuf pour le nourrir, on l 'enduit de

graisse en signe de respect. Peut-être ce ver deviendra-t-il un fanampi-

toloha ( 1 ) qui entourera le village de ses anneaux et dévorera les gens

avec leurs richesses ? Il n'importe ! L'Ancêtre est sacré — masina — ceux

qui sont dévorés par lui participent à sa sainteté.

Ainsi s'exprime à ce sujet un poème malgache traduit par Toussaint Samat.

Il fit étendre des nattes neuves sur toute la cour. Cet Andriambahoaka,

D e belles nattes avec des dessins

Il attendit le Serpent à Sept Têtes et le reçut poliment

Ce sont les Anciens qui le disent.

D e cette façon.

Il fit coucher le Fanampitoloha sur les belles nattes.

Le premier troupeau, il le plaça près de la première gueule, E t tous les bœufs, le Serpent les avala.

Le deuxième troupeau, il le plaça près de la deuxième gueule,

E t tous les bœufs, le Serpent les avala.

(1) fanampitoloha : serpent à sept têtes.

Page 12: Contes malgaches - Numilog

Le t rois ième t roupeau , il le p l a ç a près d e l a t ro is ième gueu l e ,

E t tous les bœufs , le S e r p e n t les ava l a .

Le q u a t r i è m e t r o u p e a u , il le p l a ç a près d e la q u a t r i è m e gueu l e ,

E t tous les bœufs , le S e r p e n t les ava l a .

T o u t e s ses p ias t res , il les p l a ç a p r è s d e la c i n q u i è m e gueu l e ,

E t toutes ses p ias t res , le S e r p e n t les ava l a .

T o u s les esclaves, il p l a ç a près d e la s ix ième gueu l e ,

E t tous ses esclaves, le S e r p e n t les ava l a .

L u i et s a famil le , ils se p l a c è r e n t p r è s d e la s e p t i è m e gueu l e ,

E t lui et s a famil le , le S e r p e n t les a v a l a .

Il dit , le S e r p e n t à S e p t Têtes .

O u i il dit, q u a n d il e u t tou t m a n g é :

A n d r i a m b a h o a k a m ' a f a i t fa i re u n b o n s a k a f o (1)

J e suis très con ten t , mais je n e vois p l u s r i en à m a n g e r .

A l o r s je vais m ' e n aller.

C e son t les A n c i e n s q u i le d i s e n t —

D e ce t te ma i son .

Par fo i s , d a n s le contes , tel ce lu i d ' A n d r i a n o r a n o r a n a , le S e r p e n t à

S e p t T ê t e s se v e n g e s u r ce lu i q u i a tué le N o b l e q u ' i l é ta i t . Il le dévo re

a v e c ses r ichesses . P u i s il se t r a n s f o r m e e n u n S e i g n e u r d u P e u p l e e t

r e p r e n d sa p l a c e a u s o m m e t d u v i l l age o ù il r e c o m m e n c e r a u n e v ie

p a i s i b l e avec s a famil le .

O n voi t q u ' à M a d a g a s c a r , c o m m e chez les a n c i e n s R o m a i n s , t o u t es t

r a m e n é a u cul te des A n c ê t r e s .

C e cu l t e des A n c ê t r e s s ' ad res se a u t o m b e a u q u i es t c e n s é recé ler le

h a s i n a des morts , et p lu s s p é c i a l e m e n t à l a p ie r re levée, p l a c é e à l 'Es t ,

e t d a n s l aque l l e est concen t r ée ce h a s i n a . C e s pierres se d r e s s e n t d a n s

t o u t e l 'Ile. C h e z les p e u p l a d e s d u S u d e t d u S u d - O u e s t , el les son t

r e m p l a c é e s p a r des a loa la , p o t e a u x d e bo i s scu lp tés , d o n t le rô le es t

i d e n t i q u e .

(1) sakafo, repas.

Page 13: Contes malgaches - Numilog

A u j o u r d ' h u i , ce cu l t e des A n c ê t r e s n ' a r i e n p e r d u d e s a force.

U n j e u n e M a l g a c h e est v e n u m e voir. Il est e n F r a n c e d e p u i s six

mois . E n q u e l q u e s ph ra se s , il a é v o q u é la d o u c e u r de vivre d a n s son

pays , p u i s il a a jouté , les y e u x ba issés , d a n s u n e a t t i t u d e de p ié té in f in ie :

—- J ' a i r a p p o r t é de l à - b a s c i n q pe t i t s s ache t s d e terre. Le p r e m i e r

est pr i s s u r le t o m b e a u d u roi A n d r i a n a m p o u i n i m e r i n a (1), les au t r e s

su r les t o m b e a u x d e m e s A n c ê t r e s pa t e rne l s et m a t e r n e l s q u i son t à

A m b o h i m a n g a (2).

E t voic i ce t te r e l ig ion é v o q u é e d a n s t o u t ce q u ' e l l e a de sacré p a r u n

é t u d i a n t d ' a u j o u r d ' h u i . P o u r lui , ces s a c h e t s de terre s o n t l a pouss i è re

s ac r ée des A n c ê t r e s . Le p l u s g r a n d m a l h e u r q u i p o u r r a i t lu i a r r iver

se ra i t d e m o u r i r a u lo in et q u e ses os n e r e p o s e n t p a s d a n s le t o m b e a u d e famil le .

L e cu l t e d e s A n c ê t r e s l imi te la r e l ig ion à la fami l le é t e n d u e a u c lan ,

à t ravers les g é n é r a t i o n s passées et à veni r . Il s ' a p p l i q u e à tou te s les

c o u t u m e s , à t o u t e s les f açons d ' ê t r e o u d ' a g i r l éguées p a r les g é n é r a t i o n s

an t é r i eu re s , e n u n m o t il c o m m a n d e t o u t e la v ie sociale . C ' e s t l a r e l ig ion

a u sens o ù l ' e n t e n d a i e n t les R o m a i n s , c 'es t à d i re l ' e n s e m b l e des ob l iga -

t i o n s e t des i n t e r d i c t i o n s q u i l i en t l ' h o m m e e n t a n t q u e m e m b r e d ' u n

c l a n p a r le fa i t d ' u n e t r a d i t i o n ances t ra l e .

L a fami l l e é t e n d u e a u x A n c ê t r e s , c 'es t l ' a r m a t u r e soc ia le sol ide. Il

y a p e u d ' i so lés d a n s cet te société, en q u e l q u e p o i n t d u p a y s q u ' o n l a

p r e n n e . L e p i r e m a l h e u r es t de n ' a v o i r p o i n t de d e s c e n d a n t s p o u r

a c c o m p l i r les r i tes ap rès la mor t , m a i s cet te s i t u a t i o n p e u t p r e s q u e

t o u j o u r s être modi f iée , soi t p a r le dev in q u i i n d i q u e les r i tes et les ody (3)

de vie, soi t p a r l ' a d o p t i o n .

II n ' e s t p a s r a re n o n p l u s q u e des l i ens se c r é e n t en t r e i nd iv idus , q u i

p r e n n e n t v i te u n ca r ac t è r e fami l ia l . A i n s i d a n s le con t e d ' Iko to fe t sy et

I m a h a k a , les d e u x c o q u i n s se sont- i l s accolés l ' u n à l ' au t r e p o u r deven i r

des beaux- f rè re s , se lon u n e express ion m a l g a c h e fort r é p a n d u e . Il exis te

aus s i u n a u t r e genre d ' a l l i a n c e p a r le s e r m e n t d u s a n g q u i p e u t m ê m e se

fa i re e n t r e h o m m e s et b ê t e s e t q u i crée, en t r e les i n d i v i d u s , d e s l iens

(1) Le fondateur de la puissance Hova.

(2) Ville sainte malgache.

(3) ody : talisman.

Page 14: Contes malgaches - Numilog

sacrés. La même alliance — nous l'avons vu — se fait aussi entre hommes

et végétaux, mais les rites en sont lointains, et surtout, plus secrets. Ainsi l 'individu vit tranquille dans la collectivité représentée par le

clan. La vie est facile, les besoins de chacun très limités. La principale

satisfaction est un bon repas de viande de bœuf ou de mouton. Toutes

les inquiétudes, s'il s'en présente, sont tranchées par le devin qui se

met en rapport avec les Ancêtres par les graines du sikidy. Infaillible- ment il trouve la marche à suivre ou l'indication d 'un ody qui con-

jurera le mauvais sort. S'il survient un grand danger, là encore, il est

rare que celui qui dirige l'expédition et qui possède toujours, par ses Ancêtres nobles, les ody de réussite, n 'en vienne pas à bout par des invocations :

— Si je suis de père et de mère nobles, que cette herbe se change en une forêt touffue!

E t l'herbe se change aussitôt en une forêt touffue.

— Que cette pierre s'élèveI Aussitôt le caillou devient un rocher très élevé.

— Q u e cet arbre s'abaisse ! Aussitôt l'arbre s'abaisse.

L'individu, s'il regarde au delà de la case, aperçoit le tombeau des Ancêtres où il retrouvera la même vie de famille dans l'au-delà.

Dans la famille, l'affection des parents pour leurs enfants est presque

toujours tendre et judicieuse. La femme, bien souvent, est très supérieure

à l'homme qu'elle a épousé, tant par le jugement que par la bonté. Le contraste entre les deux époux est particulièrement marqué dans le conte intitulé L'enfant d 'Antsaly :

— Comment, dit la femme à son mari, cet oiseau parle et tu veux le manger ?

Puis, s'adressant à ses enfants :

— Si vous êtes mes enfants, ne le mangez pas, car c'est une mauvaise affaire.

Et le conte se termine ainsi :

L homme qui n avait pas écouté les conseils de sa femme tomba raide mort.

U n exemple de dévouement maternel nous est donné dans le conte

Page 15: Contes malgaches - Numilog

d'Isilakolona. La faiblesse du père s'avère devant les exigences de ses fils qui lui demandent de rejeter le fils infirme.

— Puisque vous ne pouvez pas vivre avec lui, qu'il soit abandonné, dit-il.

Mais la mère proteste :

- Je ne consens pas à me séparer de mon enfant. Si tu le rejettes.

chasse-moi, car je resterai avec lui jusqu 'à la fin de ma vie. Très rarement on rencontre une mère indigne comme celle de Kifondry

qui n'hésite pas à sacrifier son enfant pour ses convenances personnelles.

L 'amour fraternel, dans les contes, et en particulier l 'amour de la

sœur pour le frère, est très profond et correspond à une réalité. O n le remarque dans le conte d'Ifaramalémy et Ikotobékibo. Les deux enfants,

tourmentés par leurs parents à cause de leur infirmité, s'enfuient de la

case. La sœur porte son frère au gros ventre, elle, la paralysée, elle

l 'encourage, le nourrit. le soutient par ses conseils jusqu'à ce qu'il

ait vaincu les plus grands dangers personnifiés par Itrimobé, l 'Ogre géant.

Si nous passons à l 'amour conjugal, on constate que la polygamie

donne lieu à des rivalités atroces. Les maris nous apparaissent empressés

à plaire, mais surtout à la plus jeune, la dernière de leurs épouses, celle qui a la préférence du moment. Les autres paraissent bien devoir

être consultées sur l 'opportunité de prendre cette nouvelle épouse, mais

c'est plutôt une formalité. Nous le voyons dans lvorombé : Les trois femmes dissimulèrent leur mécontentement et versèrent l'eau

en présence du peuple.

— Reviens en bonne santé, Seigneur, disent-elles, et puisses-tu obtenir

celle que tu désires.

Plus tard, elles s'unissent pour se venger de la nouvelle épouse.

D a n s le conte d'Ifaranomby, les rivales nous bouleversent par leur

férocité. L'enfant d 'Ifaranomby vient de naître. Les deux femmes le

remplacent par un manche à balai et une mâchoire de bœuf. Puis elles

empoisonnent la mère. Pour leur malheur cependant, elles conservent

le petit garçon dont elles font leur esclave et le Roi découvre ainsi leur méchanceté. Il en va de même dans le conte intitulé Ravohimena. Les

deux sœurs de Refarane, qui sont en même temps qu'elle les épouses de

Ravohimena, s 'emparent des cinq garçons mis au monde par Refarane

Page 16: Contes malgaches - Numilog

et les remplacent par des choses maudites. Puis elles les abandonnent au fil de l'eau, dans une corbeille, et chargent une sorcière de trans- former leur sœur en un maki. Mais tout s'arrange heureusement après de multiples péripéties.

L'atrocité de ces contes dépasse-t-elle celle que nous trouvons dans les contes de Perrault? C'est à voir.

L'esclave fait partie de la famille. Il n'y a guère de distinction, dans la vie et le logement, entre le Roi et ses sujets, le Roi ou ses esclaves. Tous couchent sur des nattes, le travail est partagé. Nous y voyons le Seigneur s'en aller aux rizières et se livrer aux travaux de piétinement par les bœufs. Nous y voyons sa femme sarcler le manioc et repiquer le riz.

Tous ces petits Rois ne sont d'ailleurs que des chefs de clan perchés sur leurs rochers, vivant simplement à côté du tombeau de leurs Ancêtres. De pouvoir central il n'est pas encore question. Tout se réduit à un exécutif sommaire.

Devant un acte important, le peuple interroge son Roi et lui donne le titre de père. En tant que représentant des Ancêtres, ce Roi est masina, sacré. II ne meurt pas. Chez les Merina des Hauts-Plateaux, on disait lors de sa mort : miamboho, il a tourné le dos. Chez les tribus de l'Ouest et du Sud, on emploie le mot falaka, il est brisé.

Dans ces contes, on a malgré tout l'impression qu'il existe des individus bons et des mauvais et que cette religion, si simple, possède un idéal.

Cela est si vrai que, parmi ceux que nous appelons, d'un terme géné- rique, les sorciers, on distingue entre les prêtres et devins qui sont désignés par le mot olo-masina, personnes sacrées, et les mauvais sorciers, les mpamosavy, les puants, ces jeteurs de sorts qui circulent la nuit, appelant, sur les tombeaux, les esprits malfaisants. En aucun cas ces derniers n 'ont droit au tombeau des Ancêtres et leurs os sont dispersés aux quatre vents.

II est vrai que, dans ces contes, la ruse nous paraît occuper une large place. Les récits d' Ikotofetsy et Imahaka nous affligent parce que leurs sinistres farces s'adressent toujours à des faibles, vieillards, infirmes, gens dans la peine. Mais d'autre part leurs victimes nous paraissent si totalement dénuées de tout jugement et d une crédulité si invraisem-

Page 17: Contes malgaches - Numilog

blable, que nous sommes plutôt portés à rire de leurs malheurs. De plus il ne faut pas perdre de vue que les Malgaches sont de grands faiseurs de discours. Les bourjano (1) qui parcourent l'Ile de long en large sont aussi, souvent, gens de peu de sensibilité et de scrupules. Le principal est d'intéresser et de faire rire. Un détail en amène un autre et tous partent dans la fiction et s'esclaffent au récit de ces histoires irrésistiblement drôles.

II y a dans ces contes beaucoup de monstres, mais guère plus que dans nos contes européens : caïmans qui prennent la forme humaine, hommes qui se muent en animaux et des Ogres si stupides, qu'ils obéissent à toutes les suggestions sans le moindre esprit critique.

Ainsi de Rabibibé, la grosse Bête. — Ti ens, vous voilà, dit Kifond ry sans s'étonner le moins du monde

ni perdre son sang-froid devant la bête monstrueuse. Mais oui, dit Rabibibé la grosse Bête — c'est bien moi. Lequel

de vous se nomme Kifondry? Et le petit garçon, Kifondry, de le tromper, sans pour cela s'attirer

la vengeance du monstre. Plus loin Kifondry dit à Rabibibé : — Pour m'attraper, suivez mon conseil et faites ceci : prenez une

énorme pierre; mettez-là sur votre tête avec moi dessus. Si vous entendez quelque chose qui tombe, ne tournez pas la tête, dites seulement : « Moi je porte Kifondry, tombez là ! »

Et la grosse Bête de s'étonner gentiment ensuite en ne voyant pas Kifondry sur la pierre :

— Qu'il est malin, qu'il est rusé, ce petit-là! Ensuite, après qu'il eut été trompé au point que Kifondry lui ait fait

dévorer ses propres enfants, Rabibibé revient encore auprès de lui pour avoir un avis :

— Voici mon secret, dit Kifondry. Prenez un fer bien pointu, mettez-le au feu et quand il sera rouge, enfoncez-le dans votre nombril.

— Ça n'a rien d'effrayant, dit Rabibibé qui s'empresse de faire ce que lui conseille Kifondry et qui en meurt.

(1) bourjano, porteurs de fardeaux.

Page 18: Contes malgaches - Numilog

On constate parfois que la morale des contes semble gêner le conteur parce qu'il ne se prend pas au sérieux. L'effet produit est constaté, c'est bien. S'il est amené, malgré lui, à la présenter, il fait intervenir les Anciens, puis il termine par une pirouette.

— Ainsi il arrangea les choses avec justice, cet Andrianoranorana — ce sont les Anciens qui le disent — de cette façon.

Et d'ailleurs le conteur ne se fait aucune illusion sur ce que vaut son récit, en tant que vérité et il prévient d 'avance l 'auditoire :

« Conte, conte, sornettes, Croyez-moi, ne me croyez pas... Si vous me croyez, il fera beau, Si vous ne me croyez pas, il pleuvra! »

JEANNE DE LONGCHAMPS.

Note de l'auteur

C'est dans les nombreux contes recueillis par mon mari au cours de ses longues tournées dans la brousse et de ses séjours prolongés dans tous les coins de l'Ile que j'ai puisé la plupart de ces récits. D autres furent recueillis par lui et moi à une époque ultérieure.

Il nous avait semblé que ces contes adhéraient au pays à un point tel qu'il était difficile de les en détacher. Pour cette raison nous avions cru devoir les accompagner d'un texte court sur la région dans laquelle ils avaient été recueillis. Un nom de personne n'aurait correspondu à rien de réel : en effet, le Malgache de cette époque et d'aujourd'hui encore change de nom plusieurs fois au cours de son existence. L'enfant, à sa naissance, reçoit un nom dont le choix est décidé par l'astrologue, l'adolescent prend un nouveau nom jusqu 'à la naissance de son premier enfant. Ensuite le père prendra le nom de l'enfant auquel sera accolé l'étiquette de Raini, père. Si par exemple Rakotomavo a un enfant, il deviendra Rainikotomavo. En outre, sur la Côte, il est interdit de désigner une personne par le nom qu'elle porta de son vivant.

Nous emploierons donc l'expression malgache par excellence : — Le vent a dit à nos oreilles... qui manque peut-être de précision, mais non de poésie.

Page 19: Contes malgaches - Numilog

I. — I V O R O M B E , M A D A M E L ' O I E

Cette histoire était contée par un indigène de la Côte Est. Il habitait une case de bois couverte de feuilles de pandanus, dans un pays sauvage resserré entre la Grande Forêt qui escalade la falaise bordant les Hauts- Plateaux et l'Océan Indien.

Pour parvenir à ce coin perdu, on utilisait d'abord la route qui, en un à pic vertigineux, franchissait tous les accidents de terrain : elle se cramponnait au roc, bondissait sur des ponts sans parapets au dessus des torrents; côtoyait l'abîme. De Manakara, la ville la plus proche, il fallait encore deux jours d'errance sur les lacs lagunaires, en bordure de l'Océan Indien.

C'est dans ce paysage d'une douceur extrême aux sous-bois parsemés de somptueuses guirlandes d'orchidées et qu'animait parfois le passage d'une pirogue et le chant des piroguiers, que fut contée cette histoire et bien d'autres, sous les arbres peuplés d'esprits!

Page 20: Contes malgaches - Numilog

ROYEZ-MOI, ne me croyez pas l

Si vous me croyez, il fera beau,

Si vous ne me croyez pas, il pleuvra...

C e n'est pas moi qui suis le menteur, ce sont les

Anciens qui m'ont raconté cette histoire.

Ivorombé M a d a m e l 'Oie, partit u n jour au loin, dit-on, et

se construisit une case dans une île. Pour la garder, elle acheta

une petite esclave nommée Ingoria. Ensuite elle parcourut toute

l'île et rapporta chez elle les belles choses qu'el le y trouvait.

Puis elle pondit des œufs et les couva. Lorsqu'ils furent éclos,

les petits s'envolèrent. Mais il y avait u n œuf qui restait fermé.

Elle pensa qu' i l était mauvais, le fit rouler et le déposa sur le

couvercle de la corbeille pour le manger. Puis elle l 'oublia.

Ingoria lui dit :

L 'œuf gâté est encore là, sur le couvercle de la corbeille.

T u l'oublies et bientôt il ne sera plus assez bon pour faire u n mets.

Ivorombé répondit :

Je le mangerai demain, aujourd 'hui le riz n 'est pas encore

épuisé.

Mais voici que l 'œuf se fendilla et il en sortit une petite fille

très jolie. Ivorombé fut très fière et se dit :

― C 'es t mon enfant et je lui donne pour nom Imaïtsoala.

Page 21: Contes malgaches - Numilog

Garde-la bien. Je vais aller chercher une vache pour qu'elle ait du lait.

L'esclave fit, dans une caisse, un petit lit pour l'enfant. Madame l'Oie était heureuse et fière. Son enfant devenait

une belle jeune fille. Mais elle ne comprenait pas pourquoi elle ne se tenait pas sur ses pattes à la manière des petites oies. Chaque jour, elle s'en allait et rapportait tout ce qu'elle trouvait pour parer Imaïtsoala. En arrivant, elle poussait un cri pour avertir l'esclave. Puis elle chantait en approchant de la case :

E Imaïtsoala... E !

Pourquoi n' apparais-tu pas ? Pourquoi ne te montres-tu pas lorsque j'arrive?

Imaïtsoala devenait de plus en plus belle. Des chasseurs d'oiseaux et des chercheurs de bois à brûler l'aperçurent tandis qu'elle se chauffait au soleil. Ils essayèrent de lui parler, mais elle rentrait aussitôt dans sa case. Ces hommes racontèrent que, là-bas, dans une île, il y avait une fille très belle.

Cependant Madame l'Oie était de plus en plus inquiète. Elle disait souvent :

Un homme est passé par ici... Qui est venu ici pour prendre mon enfant?

Ingoria répondait : — Personne n'est entré ici, si ce n'est toi et ton esclave.

Mais les gens venaient dans la journée et s'en retournaient en disant :

O h là là ! C'est vraiment une très jolie fille. Enfin ils allèrent trouver leur Roi, Andriambahoaka ( 1 ).

(1) Andriambahoaka : littéralement, Seigneur du Peuple, petit roitelet.

Page 22: Contes malgaches - Numilog

Andriambahoaka passa un jour tout près de l 'île, suivi de ses nombreux esclaves. Il regarda de l'autre côté de l'eau et dit :

— Que vois-je? Dans cette île habitée par une oie, il y a une fille très belle. Vite, allez chercher les pirogues pour nous y transporter.

Ils passèrent l'eau. Imaïtsoala était là, sur le rocher et elle porta la main à sa bouche en signe d'étonnement.

— Qui est cette enfant grasse et jolie? dit Andriambahoaka, je désire l'enlever et la prendre pour femme.

— C 'est l'enfant d'Ivorombé, dit en tremblant la petite esclave. Sa mère n'est pas une personne, mais un oiseau très méchant.

Page 23: Contes malgaches - Numilog

Il faut vous en aller, la nuit arrive... le vent commence à souffler, il faut vous en aller, car elle est sur le point de rentrer.

Andriambahoaka repartit pour rentrer dans son pays. Ivorombé, ce jour-là, appela Imaïtsoala comme à l'habitude.

Puis elle dit : — Un homme est passé par ici... Qui est entré ici?

— Qui donc pourrait entrer ici, si ce n'est toi et ton esclave? répondit Ingoria.

Madame l'Oie devint très triste. Elle regardait la jeune fille et demanda encore une fois :

— Est-il bien sûr que tu étais seule avec elle? Le lendemain elle repartit au loin chercher de la nourriture.

Andriambahoaka, dans son pays du Nord, réunit ses épouses. Là-bas, dans une île, leur dit-il, il y a une jeune fille de

très joli visage. Que penseriez-vous si je la prenais comme épouse? Si vous y consentez, j'irai la chercher et je serai de retour à la lune prochaîne. Occupez-vous d'engraisser des volail- les et pilonnez le riz. Faites-vous belles, car, dès mon retour, je l'épouserai et il y aura de grandes fêtes à cette occasion.

Page 24: Contes malgaches - Numilog

Les trois femmes dissimulèrent leur mécontentement et versè-

rent l'eau en présence du peuple. — Reviens en bonne santé, Seigneur, et puisses-tu obtenir

celle que tu désires. Andriambahoaka repartit et, de nouveau, il traversa l' eau en

pirogue. Imaïtsoala se chauffait au soleil. Il s'avança au devant d 'elle.

— Mon amour pour toi est grand, lui dit-il, et je désire te

prendre pour femme. — Je te remercie, Seigneur, de ces bonnes paroles, répondit

Imaïtsoala, mais tu dois renoncer à tes projets. — Pour quelles raisons parles-tu ainsi?

— La mère qui m'a donné la vie est un oiseau méchant. Tu périrais si tu restais ici.

— S'il en est ainsi, ma chérie, je supporterai les mauvais traitements pour toi; mais, bien que j'aie de nombreuses épouses, tu es la seule que j'aime. Il faut que tu viennes avec moi.

Si tu veux la prendre pour épouse, Seigneur, dit alors Ingoria, il faut attendre sa mère et la lui demander.

Mais Andriambahoaka ne prêta aucune attention aux paroles de l'esclave. Il dit :

— Allons-nous en, ma chérie. T a mère sera fière d'apprendre qu'un Roi a pris sa fille pour épouse et bientôt elle nous retrouvera.

Au moment de partir, ils emportèrent du riz blanc, du maïs et des haricots.

Au bout de quelque temps, Madame l 'Oie revint à la case avec des provisions pour sa fille. Elle l' appela suivant son habitude :

— Imaïtsoala... El Imaïtsoala...

Pourquoi, dis-je, ne parais-tu pas?

Page 25: Contes malgaches - Numilog

Pourquoi ne viens-tu pas à mon appel? Ingoria répondit en pleurant : — Imaïtsoala n'est plus ici. Andriambahoaka du Nord est

passé et l'a prise pour épouse. — Quel est ce Roi qui a emmené ma fille? gémit Ivorombé.

C'est Andriambahoaka qui est venu la chercher et ils se sont dirigés vers le Nord, répondit Ingoria.

Ivorombé aussitôt se mit à leur poursuite. Elle était sur le point de les atteindre, lorsqu'Imaïtsoala dit

au Roi :

Le vent souffle... voici que ma mère arrive... Répandons le riz blanc.

Ils éparpillèrent le riz sur le sol et repartirent au plus vite.