4
Rev. Stomatol. Chir. maxillofac., 2004; 105, 1, 53-56 O Masson, Paris, 2004. REVUE DE PRESSE Controverses en chirurgie orale et maxillo-faciale (part two) Prise en charge des retrognathies mandibulairessévères de l'adulte grâce à I'ostéogenèse par distraction WALKER DA J Oral Maxillofac Surg 2002;60: 1341 -6. L'ostéogenèse par distraction (OD) est un moyen efficace pour fabriquer de l'os comme cela est utilisé dans les allon- gements mandibulaires et ce, sans qu'il y ait de nécessité d'une greffe osseuse et de la morbidité qui y est rattachée. Si la majorité des applications cliniques de I'OD de la mandibule est décrite chez des patients en cours de croissance, dans le cadre de cet article, nous parlons de l'adulte, qui se définit comme étant un patient dont la croissance squelettique est terminée. Ceci comprend les patients de sexe féminin agés de 15 ans au moins et les patients de sexe masculin à partir d'environ 17 ans. Les techniques d'OD ont initialement été indiquées chez I'adulte, notamment après les résections tumorales d'un seg- ment de mandibule. Les reconstructions de ces pertes de substances segmentai- res ont été réalisées grâce à I'ostéoge- nèse par distraction et ce avec de bons résultats. Cependant, les applications de I'OD s'étendent de plus en plus et les adultes présentant des micrognathies sé- vères peuvent maintenant bénéficier de l'allongement mandibulaire par distrac- tion. CONSIDERATIONS ANATOMIQUES SUR LES MICROGNATHIES SÉVÈRES Les micrognathies mandibulaires sé- vères peuvent être d'origine congénitale ou acquise. Les anomalies congénitales qui sont associées à ces rétrognathies mandibulaires sévères ou à ces micro- gnathies sont le syndrome de Pierre- Robin, le syndrome de Treacher-Collins et le syndrome de Nager. Les patients adul- tes porteurs de ces syndromes cranio- faciaux sont susceptibles d'avoir déjà été opérés à un âge plus précoce mais une croissance post-chirurgicale défavorable ou une récidive d'origine squelettique peuvent parfois se produire. Ces patients ont également déjà pu avoir des greffes d'os autologue et des reconstructions avec des greffes costo-chondrales o u ilia- ques afin de corriger leur déficit de crois- sance. Ceci aboutit à des déformations résiduelles sévères associées à une ana- tomie osseuse inhabituelle. L'approche chirurgicale de ces patients déjà opérés reste difficile, I'OD jouant alors un r61e significatif. Les rétrognathies mandibulaires sé- vères peuvent également se rencontrer à I'âge adulte après des traumatismes maxillo-faciaux sévères ou des fractures mandibulaires survenus dans l'enfance. Les fractures condyliennes survenant dans la prime enfance engendrent par- fois aussi une ankylose temporo- mandibulaire etfou un déficit de crois- sance mandibulaire. Cette ankylose temporo-mandibulaire survenant chez un enfant, donc en phase de croissance, sera traitée chirurgicalement afin de maintenir la fonction manducatrice et donc la croissance. Ces patients peuvent ensuite se présenter à I'âge adulte avec une rétrognathie mandibulaire sévère nécessitant des interventions chirurgica- les ultérieures. Une anatomie rudimen- taire est souvent retrouvée rendant les ostéotomies difficiles à réaliser et néces- sitant des greffes osseuses. Les flux mi- gratoires des populations à travers le monde, ont considérablementchangé et des patients adultes peuvent venir consulter en Amérique du Nord après avoir émigré d'un pays où la chirurgie de la mandibule de l'enfant en période de - croissance n'était pas possible. Chez l'adulte porteur d'une rétro- gnathie mandibulaire sévère, des com- promis ou des techniques de camouflage sont fréquemment employées afin de li- miter l'amplitude d'avancée mandibu- laire. Classiquement, I'avulsion des pre- mieres molaires maxillaires est réalisée, suivie d'un recul orthodontique des inci- sives maxillaires. Ceci provoque une alté- ration de l'angle nasolabial et du relief de la lèvre supérieure et, in fine, restreint les possibilités d'avancée mandibulaire et le degré d'amélioration du profil. Même après génioplastie d'avancée, ces pa- tients restent rétrognathes en fin de trai- tement. Les patients qui ont déjà eu une chi- rurgie orthognathique suiv~e de compli- cations telle qu'une récidive d'origine squelettique peuvent alors présenter une anatomie osseuse de traitement difficile mais motivant. Ces complications peu- vent suivre un clivage sagittal bilatéral du ramus qui a mal (( tourné », soit par infection, soit par lyse condylienne. Les 53 ostéotomies secondaires sont alors de réalisation délicate necessitant parfois un abord externe ou une greffe osseuse. Dans de tels cas, I'OD pour allonger la mandibule represente une solution sim- ple sans qui ne nécessite pas de greffe osseuse ou de transplant vascularisé. Les adultes qui ont des séquelles aprés résec- tion mandibulaire tumorale avec recons- truction par greffon peuvent également avoir une rétrognathie mandibulaire sé- vère d'origine acquise. Une infection du greffon osseux, une perte de ce greffon ou l'absence de reconstruction du défect mandibulaire peuvent survenir, engen- drant alors la rétrognathie. Une irradia- tion est parfois réalisée ; elle est à l'origine d'une diminution de la vascula- risation des tissus adjacents, représen- tant un challenge supplémentaire pour la reconstruction ultérieure de la forme et de la fonction mandibulaires. Les rétro- gnathies mandibulaires sévères peuvent également être un facteur favorisant d'apnée obstructive du sommeil. L'image classique est celle de I'hyper- somnolence diurne, de la perturbation des cycles de sommeil, et des complica- tions cardiovasculaires et neurologiques

Controverses en chirurgie orale et maxillo-faciale (part two)

  • Upload
    da

  • View
    214

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

Rev. Stomatol. Chir. maxillofac., 2004; 105, 1, 53-56 O Masson, Paris, 2004.

REVUE D E PRESSE

Controverses en chirurgie orale et maxillo-faciale (part two) Prise en charge des retrognathies mandibulaires sévères de l'adulte grâce à I'ostéogenèse par distraction

WALKER DA J Oral Maxillofac Surg 2002;60: 1341 -6.

L'ostéogenèse par distraction (OD) est un moyen efficace pour fabriquer de l'os comme cela est utilisé dans les allon- gements mandibulaires et ce, sans qu'il y ait de nécessité d'une greffe osseuse et de la morbidité qui y est rattachée. Si la majorité des applications cliniques de I'OD de la mandibule est décrite chez des patients en cours de croissance, dans le cadre de cet article, nous parlons de l'adulte, qui se définit comme étant un patient dont la croissance squelettique est terminée. Ceci comprend les patients de sexe féminin agés de 15 ans au moins et les patients de sexe masculin à partir d'environ 17 ans.

Les techniques d'OD ont initialement été indiquées chez I'adulte, notamment après les résections tumorales d'un seg- ment de mandibule. Les reconstructions de ces pertes de substances segmentai- res ont été réalisées grâce à I'ostéoge- nèse par distraction et ce avec de bons résultats. Cependant, les applications de I'OD s'étendent de plus en plus et les adultes présentant des micrognathies sé- vères peuvent maintenant bénéficier de l'allongement mandibulaire par distrac- tion.

CONSIDERATIONS ANATOMIQUES SUR LES MICROGNATHIES SÉVÈRES

Les micrognathies mandibulaires sé- vères peuvent être d'origine congénitale ou acquise. Les anomalies congénitales qui sont associées à ces rétrognathies mandibulaires sévères ou à ces micro- gnathies sont le syndrome de Pierre- Robin, le syndrome de Treacher-Collins et le syndrome de Nager. Les patients adul- tes porteurs de ces syndromes cranio- faciaux sont susceptibles d'avoir déjà été opérés à un âge plus précoce mais une

croissance post-chirurgicale défavorable ou une récidive d'origine squelettique peuvent parfois se produire. Ces patients ont également déjà pu avoir des greffes d'os autologue et des reconstructions avec des greffes costo-chondrales ou ilia- ques afin de corriger leur déficit de crois- sance. Ceci aboutit à des déformations résiduelles sévères associées à une ana- tomie osseuse inhabituelle. L'approche chirurgicale de ces patients déjà opérés reste difficile, I'OD jouant alors un r61e significatif.

Les rétrognathies mandibulaires sé- vères peuvent également se rencontrer à I'âge adulte après des traumatismes maxillo-faciaux sévères ou des fractures mandibulaires survenus dans l'enfance. Les fractures condyliennes survenant dans la prime enfance engendrent par- fois aussi une ankylose temporo- mandibulaire etfou un déficit de crois- sance mandibulaire. Cette ankylose temporo-mandibulaire survenant chez un enfant, donc en phase de croissance, sera traitée chirurgicalement afin de maintenir la fonction manducatrice et donc la croissance. Ces patients peuvent ensuite se présenter à I'âge adulte avec une rétrognathie mandibulaire sévère nécessitant des interventions chirurgica- les ultérieures. Une anatomie rudimen- taire est souvent retrouvée rendant les ostéotomies difficiles à réaliser et néces- sitant des greffes osseuses. Les flux mi- gratoires des populations à travers le monde, ont considérablement changé et des patients adultes peuvent venir consulter en Amérique du Nord après avoir émigré d'un pays où la chirurgie de la mandibule de l'enfant en période de - croissance n'était pas possible.

Chez l'adulte porteur d'une rétro- gnathie mandibulaire sévère, des com- promis ou des techniques de camouflage sont fréquemment employées afin de li- miter l'amplitude d'avancée mandibu- laire. Classiquement, I'avulsion des pre-

mieres molaires maxillaires est réalisée, suivie d'un recul orthodontique des inci- sives maxillaires. Ceci provoque une alté- ration de l'angle nasolabial et du relief de la lèvre supérieure et, in fine, restreint les possibilités d'avancée mandibulaire et le degré d'amélioration du profil. Même après génioplastie d'avancée, ces pa- tients restent rétrognathes en fin de trai- tement.

Les patients qui ont déjà eu une chi- rurgie orthognathique suiv~e de compli- cations telle qu'une récidive d'origine squelettique peuvent alors présenter une anatomie osseuse de traitement difficile mais motivant. Ces complications peu- vent suivre un clivage sagittal bilatéral du ramus qui a mal (( tourné », soit par infection, soit par lyse condylienne. Les 53 ostéotomies secondaires sont alors de réalisation délicate necessitant parfois un abord externe ou une greffe osseuse. Dans de tels cas, I'OD pour allonger la mandibule represente une solution sim- ple sans qui ne nécessite pas de greffe osseuse ou de transplant vascularisé. Les adultes qui ont des séquelles aprés résec- tion mandibulaire tumorale avec recons- truction par greffon peuvent également avoir une rétrognathie mandibulaire sé- vère d'origine acquise. Une infection du greffon osseux, une perte de ce greffon ou l'absence de reconstruction du défect mandibulaire peuvent survenir, engen- drant alors la rétrognathie. Une irradia- tion est parfois réalisée ; elle est à l'origine d'une diminution de la vascula- risation des tissus adjacents, représen- tant un challenge supplémentaire pour la reconstruction ultérieure de la forme et de la fonction mandibulaires. Les rétro- gnathies mandibulaires sévères peuvent également être un facteur favorisant d'apnée obstructive du sommeil. L'image classique est celle de I'hyper- somnolence diurne, de la perturbation des cycles de sommeil, et des complica- tions cardiovasculaires et neurologiques

R ~ K Stomatol. Chi[ maxillofac.

parfois sévères. L'avancée chirurgicale de la mandibule etlou du maxillaire chez ces patients adultes porteurs de syndromes d'apnée obstructive du sommeil a donné une amélioration significative de leur « index d'anomalie respiratoire » (RDI),. permettant alors aux patients de se pas- ser de leur dispositif de respiration en pression positive (CPAP). Le facteur limi- tant traditionnellement I'avancée mandi- bulaire est l'amplitude possible d'avan- cée mandibulaire et le risque de récidive post-opératoire. L'OD procure une op- portunité pour obtenir une avancée mandibulaire plus grande, avec un po- tentiel de stabilité meilleur et un risque de récidive moindre qu'avec la chirurgie conventionnelle. Ces techniques peu- vent être appliquées tant à la mandibule qu'au maxillaire afin d'obtenir une réso- lution ou une correction du syndrome d'apnée obstructive. II faut notre que l'allongement progressif de la mandibule peut être évalué par la polysomnogra- phie et ce jusqu'a l'amélioration désirée. Beaucoup de patients adultes porteurs de rétrognathie ont un encombrement dento-alvéolaire avec une arcade mandi- bulaire étroite et courte. Traditionnelle- ment, ceci a été corrigé par des avulsions dentaires pour obtenir l'alignement des

54 arcades dentaires et leur mise en concor- dance avant I'avancée chirurgicale de la mandibule. Mais parfois il persiste des problèmes occlusaux, notamment dans le sens transversal en cas de micromandi- bulie. Les décalages occlusaux dans le sens transversal peuvent persister après I'avancée mandibulaire. L'élargissement mandibulaire se fait grace à I'OD par une symphysotomie médiane, qui va aug- menter le diamètre transversal de l'arche mandibulaire, donnant ainsi de la place pour corriger l'encombrement dentaire. Un élargissement mandibulaire concomi- tant de I'avancée mandibulaire peut donc être entrepris afin de corriger les décalages occlusaux et squelettiques as- sociés aux rétrognathies mandibulaires et ce dans les trois plans de I'espace.

CONSIDÉRATIONS BfOLOGlQUES ET TECHNIQUES A PROPOS DE L'ALLONGEMENT MANDIBULAIRE PAR OD

Une bonne compréhension des bases biologiques de la technique, avec un bon

planning préchirurgical et une sélection du vecteur de distraction sont nécessai- res au succès de l'allongement mandibu- laire par I'OD des patients adultes. L'OD comprend une ostéotomie, une période de latence, une période d'activation du distracteur, une période de consolidation osseuse et une période de remodelage osseux. Les distracteurs intra-oraux sont adaptés et les ostéotomies partiellement réalisées. Le distracteur est ensuite fixé par des vis mono ou bicorticales, et les ostéotomies sont complétées. Ensuite, le distracteur est activé pour vérifier la bonne mobilité des fragments osseux, puis le distracteur est remis à sa position de départ.

Typiquement, une ostéotomie li- néaire est réalisée au niveau de la mandi- bule, soit avec une fraise, soit avec une scie, sauf au niveau du pédicule neuro- vasculaire. L'ostéotomie est complétée à l'aide d'ostéotomes, afin de créer une fracture. Des corticotomies ou d'autres ostéotomies ont également éte décrites dans les techniques d'OD.

La période de latence permet la réso- lution de l'inflammation secondaire à l'ostéotomie et à la mise en place du distracteur. Elle permet également une organisation initiale de l'hématome et l'induction des cellules mésenchymateu- ses pluripotentielles, des cellules endo- osseuses et des cellules périostées, en fibroblastes et en ostéoblastes. Pendant cette période, le collagène de type I se dépose et la période de production os- téo'ide commence. La période de latence s'étend de O à 10 jours, bien que la durée la plus commune soit de 5 jours ; elle est applicable chez I'adulte.

Le processus de distraction ou (( ma- nipulation du cal » se produit à un rythme allant de 0,5 à 2 mm par jour. Ce rythme dépendra de I'âge du patient et du type d'ostéotomie. Le « gold stan- dard )) étant de 1 mm par jour, répartis en 2 à 4 activations par jour. La distance de distraction est déterminée par la quantité de modification squelettique et occlusale désirée. Les tiges d'activation trans-orale sont enlevées à la fin de la distraction, sous anesthésie locale ou sé- dation.

La période de consolidation chez I'adulte doit être d'au moins 3 mois ; elle peut aller jusqu'à 6 mois, si nécessaire.

La durée de cette période est liée à I'am- plitude de I'avancée osseuse et à I'âge du patient. Une bonne stabilité des seg- ments osseux est importante durant la phase de distraction mais également du- rant la phase de consolidation pour avoir un cal optimum. L'heure de l'exérèse du distracteur est fonction de la quantité d'os néoformé, visible sur les radiogra- phies, les échographies ou le CT scan. Cette exérèse du distracteur peut être effectuée en ambulatoire, sous sedation ou sous anesthésie générale, surtout si un geste ancillaire orthognathique ou chirurgicale complémentaire est effec- tué. Un remodelage osseux secondaire à la fonction va se produire après I'inter- vention et ce pendant une année ou plus après la période de distraction. L'os neo- formé sera à terme non différenciable de l'os adjacent et il pourra donc supporter les mêmes contraintes mécaniques.

Le choix préopératoire du vecteur de distraction est important afin d'obtenir les résultats esthétiques et fonctionnels escomptés chez ces adultes traités par OD. II doit se faire dans les trois dimen-. sions de l'espace. Pour choisir ce vecteur, on s'aidera de l'évaluation clinique, du panoramique dentaire, des téléradiogra- phies de face et de profil ainsi que d'un scanner avec reconstruction tridimen- sionnelle. Des modèles stéréolithogra- phiques sont également utiles pour dé- terminer le lieu de I'ostéotomie, le modelage préopératoire du distracteur et le choix du vecteur de distraction, no- tamment lorsque l'anatomie est modi- fiée. Une chirurgie des modèles montés sur articulateur semi-adaptables est ef- fectuée conjointement avec l'analyse céphalométrique - de face et de profil - analyse sur laquelle sont dessinés les tracés de déplacement. Ceci permettra de définir secondairement le vecteur de distraction et I'amplitude de distraction. Des images vidéo reliées à la prédiction céphalométrique peuvent compléter la visualisation des buts du traitement. Dans les distractions mandibutaires bila- térales, le vecteur est typiquement paral- lele au pian occlusal et proche du plan sagittal. Des variations de ce vecteur peuvent exister, notamment dans les mandibules asymétriques. Les distrac- teurs multidirectionnels permettent, si nécessaire, d'ajuster le vecteur de dis- traction au cours de la phase de distrac- tion.

Vol. 105, no 7, 2004

AVANTAGES DE L'OSTÉOGEMÈSE PAR DISTRACTION PAR RAPPORT AUX TECHNIQUES CLASSIQUES

Le clivage sagittal bilatéral des ramus est la base des techniques chirurgicales d'avancée mandibulaire. Les avancées supérieures à 10 mm nécessitent un cli- vage étendu sur une plus grande lon- gueur, ce qui est parfois difficile à effec- tuer. L'alignement du segment proximal et du segment distal est délicat à obtenir en raison çie la valgisation du segment proximal. Ceci peut engendrer une tor- sion latérale du condyle mandibulaire, ce qui aboutit à des modifications spatiales de la position du disque articulaire. Ceci peut aggraver les dysfonctionnements de l'articulation temporo-mandibulaire, surtout si une ostéosynthèse rigide est mise en place. L'utilisation de ces ostéo- synthèses rigides devient plus difficile dans les grandes avancées. En effet, les vis bicorticales etlou les plaques ne pro- curent pas alors une stabilité osseuse suf- fisante et sont délicates à mettre en place. De nombreuses techniques ont été décrites pour surmonter ces difficul- tés, comme les greffes osseuses, la frac- ture intentionnelle de la corticale lin- guale et la prolongation de la durée de blocage maxillo-mandibulaire.

De nombreuses rétrognathies mandi- bulaires sévères ont une part d'asymé- trie. L'avancée mandibulaire asymétrique augmente le baillement du segment proximal, particulièrement dans les avan- cées importantes, ce qui peut accroître les pathologies temporo-mandibulaires.

L'allongement des mandibules avec rétrognathie sévère, grace à I'OD, per- met de surmonter un certain nombre des écueils du clivage sagittal des branches montantes. Souvent, une ostéotomie li- néaire est effectuée ; après choix du vec- teur de distraction, l'allongement mandi- bulaire est fait par distracteur endo- buccal. Le trait d'ostéotomie linéaire ou oblique permet de prévenir le risque de baillement du segment proximal comme observé dans le clivage classique du ra- mus. Aucune greffe osseuse n'est néces- saire, et un allongement important de la mandibule peut etre obtenu, pouvant al- ler de 10 à 20 mm, voire plus.

Quand un vecteur parasagittal est choisi pour obtenir un allongement man- dibulaire de grande amplitude, il y a alors moins de mouvement de torsion au ni- veau des articulations temporo- mandibulaires. De plus, ces articulations temporo-mandibulaires sont mises en charge progressivement, au fur et à me- sure de la distraction, de l'ordre de 1 à 2 mrn/jour. Une rotation du segment proximal dans une direction antéro- supérieure se produit après le clivage sa- gittal des ramis. Elle peut aboutir à un changement de direction des fibres mus- culaires et également à un changement de la position du condyle mandibulaire. Dans I'OD mandibulaire, le distracteur est modelé et mis en place avant de faire l'ostéotomie, les segments proximaux et distaux restant maintenus après la chirur- gie dans la position qu'ils avaient. Ceci a diminué les conséquences temporo- mandibulaires par rapport aux ostéoto- mies traditionnelles.

Lorsque les avancées mandibulaires doivent dépasser 10 mm, le clivage sa- gittal n'est pas recommandé à cause de la résistance des tissus mous et des pro- blèmes de consolidation liés à l'absence de contact suffisant entre les surfaces osseuses. L'étirement du périoste, des muscles, des fascias, dans les grandes avancées peut nécessiter une désinser- tion de ces structures (myotomie supra- hyo'idienne) de I'os, ce qui diminue la vascularisation osseuse.

L'allongement mandibulaire par OD offre de nombreux avantages par rap- port aux ostéotomies traditionnelles. La progressivité de I'allongement osseux engendre des changements progressifs dans les tissus mous. Ces changements adaptatifs favorables maintiennent les insertions osseuses de ces tissus mous et préservent ainsi mieux la vascularisation du site de distraction que dans les ostéo- tomies conventionnelles. Cette OD per- met également une avancée mandibu- laire de plus grande amplitude, avec risque de récidive minime ou nul.

OSTÉOGENÈSE PAR DlSTRACTilON ET RÉCIDIVE

Une moyenne de 2 mm et plus de 30 % de récidives dans le plan sagittal ont été décrites dans les suites des cliva-

ges sagittaux des branches montantes suivis d'ostéosynthèses au fil d'acier. Plus l'allongement est important, plus le ris- que de récidive est grand. Des avancées dépassant 10 mm sont plus sujettes à la rbcidive, récidive qui peut se produire soit au niveau du site d'ostéotomie soit au niveau du condyle mandibulaire.

Les possibilités de récidive après des avancées de 10, voire 20 mm sont rares ou absentes après OD, si un protocole adéquat est utilisé et que la phase de consolidation est d'une durée suffisante. Une période de consolidation d'au moins 3 mois est indiquée lorsque l'avancée mandibulaire est importante. Le temps exact de consolidation est déterminé par la radiographie qui montre la quantité d'os cortical produite dans le régénérat osseux situé sur le siège de la distraction. Les distracteurs intra-oraux, peu visibles, sont mieux acceptés par les patients qui les gardent ainsi pendant des durées de consolidation plus longues que lorsque le distracteur est extra-buccal.

Les avantages de I'OD dans les gran- des avancées mandibulaires (20 mm) de- viennent évidents lorsqu'on la compare à une ostéotomie en L inversé dans la- quelle il faut interposer une greffe os- seuse (site donneur) et qui pose des pro- blèmes de consolidation et d'adaptation entre les fragments proximaux, les frag- ments distaux et le greffon osseux. On doit également prendre en considération les tensions et les étirements brutaux qui sont reçus par les tissus mous dans de telles avancées, avancées qui nécessitent par ailleurs un abord externe dans la plu- part des cas. Par ailleurs, après ostéoto- mie classique, est-ce qu'il y aura une résorption condylienne, un remodelage du greffon osseux, ou encore une rbci- dive squelettique après un certain délai ? Si une infection se produit, il peut y avoir une perte significative voire totale du greffon osseux avec des conséquences désastreuses.

Une OD de 1 mm par jour pour une avancée globale de 20 mm montre des résultats supérieurs, avec une adaptation favorable des tissus mous, une stabilité de I'os produit par la distraction et moins de surcharge brutale sur les articulations temporo-mandibulaires. II n'y a pas de morbidité sur le site donneur et I'abord intra-buccal évite les cicatrices disgra- cieuses de l'abord externe. Bien que des infections aient été quelquefois rappor- tées après OD, ces infections donnent

Rev. Stomatol. Chir. maxillofac.

peu de conséquences sur le régénérat osseux produit par la distraction. Ceci est probablement dû à I'angiogenese qui se produit durant le processus de distrac- tion. Un nouvel apport sanguin apparaît conjointement à la production du néo- os, os viable créé pendant la phase de distraction et os qui est relativement in- sensible à l'infection.

CONSIDÉRATIONS SUR LES ARTICULATIONS TEMPORO-MANDIBU LAIRES

L'OD pour allonger la mandibule est indiquée chez les patients qui présentent des pathologies intra-articulaires temporo-mandibulaires, une résorption condylienne pré ou post-opératoire ou une pathologie dégénérative de I'articu- lation temporo-mandibulaire. L'OD doit être évoquée chez ces patients, m&me si une avancée mandibulaire de faible am- plitude est prévue.

II a été écrit que des mises en charge trop rapide de I'articulation temporo- mandibulaire comme celles observées lors des ostéotomies traditionnelles d'al- longement peuvent accroitre le risque de

56 pathologie temporo-mandibulaire. La quantité de décollement du périoste et des muscles du segment proximal peut diminuer la vascularisation et engendrer ultérieurement un remodelage etlou une résorption du condyle.

Les patients présentant une résorp- tion condylienne idiopathique apres os- téotomie mandibulaire sont souvent trai- tés par une chirurgie maxillaire visant à camoufler la rétrognathie mandibulaire. L'OD autorise le traitement de ces rétro- gnathies mandibulaires sévères comme celles que l'on observe lors des résorp- tions condyliennes idiopathiques. II y a nécessité de limiter l'abord chirurgical afin de . faire une ostéotomie corpus- ramus qui soit linéaire et d'utiliser un distracteur intra-buccal, ceci avec moins de risques sur la vascularisation des tissus mous que lors des ostéotomies habituel- les. Par ailleurs, à l'inverse des ostéoto- mies traditionnelles, ll'OD met en charge progressivement les articulations temporo-mandibulaires.

Les patients adultes qui ont une poly- arthrite rhumatoïde ont pu avoir une chi- rurgie préalable ou venir de novo. Chez

ces patients, la résorption condylienne inhabituelle, la faible hauteur ramique, et la micrognathie sévère sont autant de problèmes pour la réalisation d'une os- téotomie traditionnelle. Les techniques traditionnelles habituellement utilisées sont l'ostéotomie en L ou en C inversé avec greffe osseuse concomitante, mise en place par voie externe. D'autres alter- natives existent chez ces patients, comme la greffe chondro-costale ou le remplacement de I'articulation temporo- mandibulaire par greffe alloplastique. L'OD peut être utilisée pour augmenter la hauteur ramique et allonger le corpus sans qu'il y ait nécessité de greffe os- seuse. De grands allongements peuvent être effectués avec une meilleure adapta- tion des tissus mous.

Dans les études animales, il y a peu d'observation de remodelage majeur des articulations temporo-mandibulaires provoqué par les allongements mandi- bulaires par distraction. L'utilisation de distracteur bi ou tri dimensionnels per- met de surcroît d'améliorer le contrôle du vecteur au cours de la distraction et semblerait limiter encore les remodela- ges de I'articulation temporo- mandibulaire par rapport aux distrac- teurs unidirectionnels.

CHANGEMENTS NEUROSENSITIFS ASSOCIÉS A 1'00 DE LA MANDIBULE

Plusieurs changements neurosensitifs ont été observés chez l'homme et I'ani- mal après OD de la mandibule. Une tech- nique chirurgicale prudente lors de I'os- téotomie et de la mise en place du distracteur est essentielle pour éviter de léser le nerf alvéolaire inférieur. Avec le développement des distracteurs endo- buccaux, esthétiquement plus discrets, les lésions définitives du nerf facial ont virtuellement été éliminées.

Les études cliniques sur les modifica- tions de la sensibilité du nerf alvéolaire inférieur vont de O % à un déficit sensitif compris en 25 et 50 % des patients qui ont eu une OD mandibulaire. La mesure des potentiels d'action pendant les 10 mm d'allongement mandibulaire chez le chien a montré le peu d'effet délétère de I'OD sur le nerf alvéolaire inférieur. II n'y a pas eu de différence dans le potentiel

d'action mandibulaire du nerf alvéolaire inférieur du c6té contrale par rapport au c6té qui a eu I'OD. Les auteurs ont conclu qu'il y avait des lésions minimes sur le nerf alvéolaire inférieur si les trac- tions étaient appliquées lentement. Une OD mandibulaire bilatérale à un taux de 1 mm par jour chez la chèvre a égale- ment été considérée comme acceptable et sûre pour le nerf alvéolaire inférieur. Par contre, un taux de distraction de 2 mm par jour engendre des lésions ner- veuses significatives.

Lors du clivage sagittal des branches montantes, des lésions du nerf alvéolaire inférieur peuvent se produire durant I'os- téotomie, durant le clivage où lors de séparation du fragment médial. Le nerf alvéolaire inférieur peut être manipulé de façon traumatisante, notamment s'il est partiellement coincé dans le segment proximal requérant alors une décortica- tion et une libération. L'utilisation d'une fixation rigide par vis bicorticales ou mi- niplaques peut léser le nerf alvéolaire in- férieur, soit directement, soit par com- pression secondaire.

Plusieurs auteurs ont rapporté des lé- sions sensitives significatives apres cli- vage sagittal des branches montantes, lésions qui sont fonction de I'age du pa- tient, de l'amplitude d'avancée mandi- bulaire ou du degré de manipulation du nerf. D'autres auteurs ont rapporté des Iésions définitives de la sensibilité du ter- ritoire du nerf alvéolaire inférieur allant de 15 à 87 %, à un an après i'ostéoto- mie. II y a, de surcroi't, des Iésions du nerf alvéolaire inférieur qui peuvent être en- gendrées par les vis utilisées pour la fixa- tion rigide, comme il y a également des Iésions permanentes du nerf lingual qui ont été rapportées à 1 an apres le clivage sagittal des branches montantes.

II apparaît, après revue de la littéra- ture, que les lésions nerveuses temporai- res ou définitives peuvent se produire après OD mandibulaire comme après os- téotomie conventionnelle pour allonge- ment mandibulaire. II y a une grande variation dans les taux de complications nerveuses définitives, variation qui doit etre corrélée à la technique chirurgicale utilisée. Cependant, il semble se dessiner que I'OD donne dans les grandes avan- cées mandibulaires (de l'ordre de 10 à 20 mm) moins de troubles sensitifs que le clivage sagittal des branches montan- tes ou l'ostéotomie en L inversé.