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1 Les Temps Modernes de Charlie Chaplin Année scolaire 2005/2006 Une rencontre a eu lieu au CDDP le mercredi 11 janvier avec Françoise Delamarre, enseignante de musique et de cinéma. Elle a élaboré un dossier de pistes pédagogiques très variées qui donne un grand nombre d’exemple et des comparaisons avec d’autres films (disponible au bureau de l’association Collège au Cinéma 37). D’une manière générale, elle ne dit rien à ses élèves avant la projection du film. Cependant, pour Les Temps Modernes, il faudrait faire une première approche cinématographique, d’après elle. Avant de visionner le générique, elle aimerait que nous essayions d’oublier toutes nos connaissances sur Chaplin. Après avoir visionné le générique, elle nous demande de dire ce que nous avons vu et ce que nous en pensons. - Musique : trois enchaînements d’une musique dramatique. Il y a des sons de fanfares, de cuivre qui font penser aux annonces de cirque. Cette musique reviendra à travers le film à chaque fois qu’il y aura une annonce (généralement, par des trompettes et par des violons au moment où le médecin annonce à Charlot qu’il lui faut du calme). Rien n’est laissé au hasard ! - Plan fixe sur l’horloge : c’est un plan tellement gros que l’horloge dépasse de l’écran. - Générique : il nous présente les deux héros du film, l’ouvrier et la gamine. Au niveau historique, on sort des films muets et pourtant, Chaplin reste dans les archétypes. On voit au générique que Chaplin a réalisé, produit, composé la musique, joué, monté et écrit le film. - La phrase d’envoi « La grandeur de l’industrie, la beauté de la libre entreprise et l’humanité à la poursuite du bonheur » fera sûrement réagir les collégiens. GÉNÉRIQUE > 1 er PLAN > FONDU AU NOIR Elle propose de demander aux élèves de faire attention à la séquence qui suit le générique. Les moutons filmés en plongée pour montrer la dominance et au milieu, il y a un mouton noir qui fait référence à Charlot. Au cinéma, la comparaison n’existe pas : deux plans se juxtaposent pour obtenir l’effet voulu (travailleurs/moutons) renforcé par un même thème musical. FONDU ENCHAINE Les travailleurs se confondent avec les moutons. Extrait du film de Terry Gilliam The Crimson Permanent Assurance : les employés d’une compagnie d’assurance se transforment en pirates et le bâtiment en bateau. Françoise Delamarre conseille de commencer par le film de Chaplin avant de montrer celui de Terry Gilliam. Les enseignants peuvent aussi travailler sur Metropolis de Fritz Lang. I – Comment travaillait Chaplin ? 1/ Document : « Le discours de la méthode » Jusqu’au film Le Dictateur (1940), Chaplin partait d’une idée et il écrivait le scénario autour de ce gag. Par exemple, la scène des gargouillis n’est pas importante mais elle permet de faire un rappel au corps. Chaque gag a un rapport avec la thématique. Il exploite toutes les possibilités du gag mais il sait s’arrêter. Il a un sens du rythme. Il construit ses films comme il compose une musique.

CR Les Temps Modernes - Ciné 32 · 3/ Document : « Les différentes sortes de comiques » (voir page 6) ... Les personnages s’expriment par intertitres, comme au temps du muet,

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Les Temps Modernes de Charlie Chaplin Année scolaire 2005/2006

Une rencontre a eu lieu au CDDP le mercredi 11 janvier avec Françoise Delamarre, enseignante de musique et de cinéma. Elle a élaboré un dossier de pistes pédagogiques très variées qui donne un grand nombre d’exemple et des comparaisons avec d’autres films (disponible au bureau de l’association Collège au Cinéma 37). D’une manière générale, elle ne dit rien à ses élèves avant la projection du film. Cependant, pour Les Temps Modernes, il faudrait faire une première approche cinématographique, d’après elle. Avant de visionner le générique, elle aimerait que nous essayions d’oublier toutes nos connaissances sur Chaplin. Après avoir visionné le générique, elle nous demande de dire ce que nous avons vu et ce que nous en pensons.

- Musique : trois enchaînements d’une musique dramatique. Il y a des sons de fanfares, de cuivre qui font penser aux annonces de cirque. Cette musique reviendra à travers le film à chaque fois qu’il y aura une annonce (généralement, par des trompettes et par des violons au moment où le médecin annonce à Charlot qu’il lui faut du calme). Rien n’est laissé au hasard !

- Plan fixe sur l’horloge : c’est un plan tellement gros que l’horloge dépasse de l’écran. - Générique : il nous présente les deux héros du film, l’ouvrier et la gamine. Au niveau historique,

on sort des films muets et pourtant, Chaplin reste dans les archétypes. On voit au générique que Chaplin a réalisé, produit, composé la musique, joué, monté et écrit le film.

- La phrase d’envoi « La grandeur de l’industrie, la beauté de la libre entreprise et l’humanité à la poursuite du bonheur » fera sûrement réagir les collégiens.

GÉNÉRIQUE > 1er PLAN > FONDU AU NOIR Elle propose de demander aux élèves de faire attention à la séquence qui suit le générique. Les moutons filmés en plongée pour montrer la dominance et au milieu, il y a un mouton noir qui fait référence à Charlot. Au cinéma, la comparaison n’existe pas : deux plans se juxtaposent pour obtenir l’effet voulu (travailleurs/moutons) renforcé par un même thème musical. FONDU ENCHAINE Les travailleurs se confondent avec les moutons. Extrait du film de Terry Gilliam The Crimson Permanent Assurance : les employés d’une compagnie d’assurance se transforment en pirates et le bâtiment en bateau. Françoise Delamarre conseille de commencer par le film de Chaplin avant de montrer celui de Terry Gilliam. Les enseignants peuvent aussi travailler sur Metropolis de Fritz Lang. I – Comment travaillait Chaplin ? 1/ Document : « Le discours de la méthode » Jusqu’au film Le Dictateur (1940), Chaplin partait d’une idée et il écrivait le scénario autour de ce gag. Par exemple, la scène des gargouillis n’est pas importante mais elle permet de faire un rappel au corps. Chaque gag a un rapport avec la thématique. Il exploite toutes les possibilités du gag mais il sait s’arrêter. Il a un sens du rythme. Il construit ses films comme il compose une musique.

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2/ Document : « Qu’est-ce qu’un gag ? » Ce document donne une définition intéressante du gag. La scène des patins à roulettes est un véritable ballet. Dans la classe, il y a la possibilité de travailler par groupe de travail sur plusieurs thèmes.

3/ Document : « Les différentes sortes de comiques » (voir page 6) Comique réfléchi, au second degré : le spectateur sait des choses que le personnage ne sait pas encore. Chaplin a coupé deux scènes :

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- un sermon du gendarme quand il traverse la rue alors qu’il n’a pas le droit. Quand le gendarme lui parle, il pourrait traverser et quand le gendarme a fini, il ne peut plus car le signal a changé de position.

- Les voleurs du magasin font les bijouteries : Chaplin a supprimé cette séquence car il ne voulait pas de voleurs « normaux ».

Il a décidé de ne pas incorporer les dialogues au film car un vagabond ne parle pas. II – Pourquoi ce film est-il important ? - C’est la dernière apparition du personnage de Charlot, Chaplin a 47 ans. - C’est son premier film parlant. - Françoise Delamarre recommande un court métrage de Chaplin de 1917 Charlot s’évade. - Le statut de la voix est à analyser (document « La bande son dans Les Temps Modernes ») - C’est le premier film où il ne part pas tout seul à la fin, la gamine est son égale. - Chaplin est la personne la plus connue au Monde. - C’est un film de science fiction : tout le système de vidéophone. Il ne cherche pas à faire réaliste. Dans l’entreprise, il y a de la surveillance partout (même dans les toilettes). Chaque film de science fiction n’est inventé qu’à partir de ce que l’on connaît. - L’image des femmes dans le film est peu flatteuse. - La séquence où Charlot dort dans la niche et la gamine, dans la cabane, permet de ne pas faire croire au spectateur qu’ils ont passé la nuit ensemble. - Les Noirs sont absents du film (sauf le mouton), les Noirs sont totalement occultés. III – La dimension sociale du film IV – Le traitement cinématographique du film

� Document « Les sept dernières minutes de la fin du film Les Temps Modernes »

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Les Temps Modernes de Charlie Chaplin

La bande son

Année scolaire 2005/2006

Film muet alors que le cinéma parlant est installé : volonté affirmée de Chaplin de refuser le parlant, 9 ans après son apparition. Pour Chaplin, l’art le plus proche du cinéma n’est pas le théâtre, c’est la musique : non seulement parce qu’il vient du café concert, qu’il est musicien, mais surtout pour des questions de rythme, de rythme musical, et Charlot est d’ailleurs pratiquement toujours en mouvement. Chaplin ne concevait pas le Vagabond avec une voix… Quelle est la place de la voix ? Les personnages s’expriment par intertitres, comme au temps du muet, avec cartons (refus du dialogue sonore) 1/ voix mécanisées : Premières paroles : le directeur de l’usine, mais par écran interposé (ordres à Max, et à Charlot dans les toilettes) Le vendeur de la machine à manger passe un enregistrement (gramophone) Informations, musique et annonce publicitaire à la radio dans la prison 2/ seul film où l’on entend la voix de Charlot : le comble : les paroles sont inventées, et le sens passe par le travail de mime… Travail sur le bruitage : Ici tout un gag est construit sur le sonore : la scène du thé avec la femme du pasteur, et les estomacs qui gargouillent, plus les aboiements du chien et l’annonce à la radio. Les ambiances sonores sont travaillées en fonction des besoins : - mise en route des machines et sonnerie de la pause dans l’usine, - parasitage de la machine à manger qui se détraque (par contre : effet dramatique : on n’entend

pas Charlot crier au secours) - bruits stressants de la rue à la sortie de l’hôpital psychiatrique - sirènes d’ambulance ou de fourgons de police, - interventions des spectateurs dans le cabaret à la fin… Le bruitage participe aux effets comiques, les souligne : - « détonation » du champagne débouché qui fait peur à Charlot - Cloche du repas qui sonne quand le malabar secoue la tête de son voisin Charlot dans la cellule - Sifflet de fin de repas qui met fin à la vengeance du malabar après le jet de haricots dans son

œil - « coucou » quand Charlot est complètement drogué dans le jardin de la prison - « dong » de la porte de prison quand Charlot assomme les braqueurs - glissement du bateau en construction… Travail sur la musique : presque omniprésente (compositeur : Chaplin, arrangeur : David Raskin) - fanfares proches du cirque : générique, reprise du travail à l’usine… très souvent effet d’annonce - thèmes liés aux personnages : la Gamine, Charlot - Thèmes liés aux « moutons », au travail à la chaîne, au chômage… - Grands thèmes romantiques : thème de « la vie à deux » : la maison rêvée, l’attente de la Gamine

à la sortie de prison de Charlot, la fin… ou thème mélodramatique : la famille pauvre du chômeur - Musique qui colle aux gestes et les souligne : cf travail à la chaîne, mouche, bateau qui coule,

harpe qui accompagne l’effet de al drogue, et qui « personnalise » aussi les voix : embauche au café.

Musique diégétique (qui appartient à l’histoire) : musique du manège, musique du café dancing, chant des serveurs, chanson de Charlot Document de Françoise Delamarre

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Les Temps Modernes de Charlie Chaplin

L’échelle des plans

Année scolaire 2005/2006

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Les Temps Modernes de Charlie Chaplin

Les différentes sortes de comique

Année scolaire 2005/2006

Rappel : Bien qu'il y ait un scénario global, le développement se fait souvent à partir de saynètes comiques qui exploitent un gag

Grande référence au burlesque, au cirque, au mime, et comique au second degré

Classement un peu arbitraire, car ces types sont souvent liés.

Ici du burlesque traditionnel au « chaplinesque » : * la poursuite : des boutons, du poursuivant poursuivi par le policier (référence à la thématique générale de Charlot avec la peur du gendarme), l'accéléré pour la reprise du travail 2è" usine, le canard ballon, les policiers empêtrés dans les chaises... * la peau de banane : le caillou envoyé sur la tête du policier, la planche tombant au-dessus de la porte du cabanon, la rivière peu profonde. * la gaffe : la cale enlevée, Charlot ivre dans les tissus du grand magasin, la porte du restaurant, la perte des manchettes. * le comique de reste : l'accélération de la machine, Charlot secoué de tics, les patins à roulettes yeux bandés au bord du vide, le chien et les danseurs dans le cabaret, la tarte à la crème, ... la danse recherche des manchettes et le mime de la chanson. * de répétition : gestes mécanisés du début, embarquement par le fourgon de l'ambulance ou des policiers, repas mécanisé, remontées de l'escalator à l'envers. * les décalages : le malabar prisonnier qui brode, les tranches du sandwich énorme... * le comique poétique : Charlot avalé par la machine, la danse de Charlot avec la burette d'huile, le détraquage des machines et la danse des manettes dans l'usine, la descente délicate de Charlot pendu au crochet, la démarche de Charlot drogué. * le comique de situation : Charlot transformé en meneur de manifestation, la perte des paroles de la chanson, la peur des applaudissements. * le comique sonore : la scène du thé avec la femme du pasteur frigide ( gargouillements, aboiements, radio ... ), la musique comique de la chanson finale, le comique des mots des paroles inventées pour la chanson finale. * le comique plus réfléchi, au second degré, clin d'oeil au spectateur adulte : métaphore du début ouvriers moutons, le drapeau rouge et le couteau entre les dents de la Gamine, le cigare et les bonbons alors qu'il est menotté, la machine ogresse. * le détournement des objets : la burette pelle, les outils mitrailleurs, le drapeau routier/étendard, les chaises obstacle, le poulet verseur, la porte assommoir en prison, la vrille à faire du gruyère, et même le sel drogue... Ici pas de comique de caractère (sauf la peur du gendarme) ou de comique de moeurs (le mari, la femme, l'amant...)

Document Françoise Delamarre

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Les Temps Modernes de Charlie Chaplin

Le découpage séquentiel

Année scolaire 2005/2006

0 Prologue (1’46)

(1 ‘03 horloge et générique, phrase « envoi » 1’11 moutons, 1’14 ouvriers convergeant vers l’usine, plans décor extérieur puis intérieur usine)

plan sur Max : début bruitage et ouverture de :

fanfare tp, thèmes romantiques

cellule «galop»

1’46 L’USINE (15’57)

1 ‘46 bureau du directeur (puzzle, journal, médicaments, écrans ...)

plan sur Max : accélérer la cadence, 1er pano droite-gauche pour arriver à

2’43 Charlot : difficulté de travailler à la chaîne (succession de gags) (envie de se gratter, de parler, de chasser une mouche, clé coincée)

4’ 14 plan sur Max, nouvelle demande d’accélération du directeur accélération de la chaîne, pause-cigarette dans les toilettes, limage des ongles) pause repas

5 ‘57 Retour au bureau : la machine à nourrir les ouvriers : démonstration mécanisée

7’33 arrêt de la chaîne, pause repas ouvriers (boutons secrétaire) arrivée de la machine

9’20 début repas automatisé de Charlot

10,11 début des ratés : accélération du maïs, puis soupe, boulons, tarte à la crème, tampon fou

13’03 ellipse (carton) fin d’après-midi

plan sur Max : vitesse maximum

13’10 Charlot éternue

13’44 Charlot devient fou, il se laisse engloutir par la machine

14’20 Il serre n’importe quoi. Danse.

14’37 : boutons de la secrétaire qui fuit

14’51 Extérieur, pompe à incendie

14’57 arrivée de la grosse dame, poursuite

15 ‘23 Apparition du policier, fuite de Charlot

15’36 retour dans l’usine: Charlot détruit l’organisation contrôlée de Max

16’ 19 tout disjoncte chez le directeur

16 ‘23 danse avec la burette, se pend au crochet

17’21 arrivée de l’ambulance annoncée par la sirène dans le plan précédent

17’23 on se saisit de Charlot dans l’usine

17’38 fin de l’épisode, Charlot est emmené dans l’ambulance (annoncée par sa sirène) fondu au noir

silence relatif. vx retransmise du directeur

fanfare tp annonce:

thème «chaîne » (xylo, fi)

musique prépare la mouche

thème Charlot

amorce thème «Titine »

fanfare tp musique vive

thème « chaîne » qui s’accélère

musique s’emballe

musique de marche

musique de ballet

fanfare tp

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17’43 Transition (13’) : carton: sortie de l’hôpital ; ellipse thème fanfare aux violons

1 7’49 adieu au médecin: costume de Charlot

18’06 LA RUE (1’23)

6 plans très rapides, surimpression, cadrage penché, fondus enchaînés (bruit, foule, circulation urbaine), puis rue calme avec affiche «closed» (réf. suite de la crise de 29)

18’14 apparition du drapeau rouge

18’37 début de la manifestation

18’53 1er mouvement de grue: apparition du danger en hors-champ (fanfare tp), côté spectateurs: la police montée affrontements violents

19 ‘04 Charlot sort de l’égout, est saisi par la police

19’29 fin de l’épisode, embarquement de Charlot dans un fourgon de policiers

fanfare tp

thème mélodieux tp bouchée

caisse claire militaire

thème « chômeur»

Document Françoise Delamarre

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Les Temps Modernes de Charlie Chaplin

Extrait du livre de Charlie Chaplin

Année scolaire 2005/2006

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Les Temps Modernes de Charlie Chaplin

Les sept dernières minutes du film

Année scolaire 2005/2006 Partie de la séquence annoncée par les trompettes, comme une entrée de cirque, dans la salle du café-concert (référence au music-hall, première formation de Chaplin…). Comme souvent, c’est la bande-son qui sert à lier deux plans. Chanson de Charlot

- Entrée en scène (pano droite-gauche) Charlot investit tout de suite l’espace fictif d’une scène, encadré à l’arrière-plan par les musiciens et sur les côtés par les spectateurs à table (que nous ne verrons presque jamais : nous sommes les vrais spectateurs : cf. double énonciation au théâtre). (Arrière-plan en haut : horloge ?) Pendant toute la durée de cette séquence, la caméra sera frontale, utilisant souvent le plan moyen ou le plan d’ensemble avec quelques plans rapprochés plus ou moins serrés (cf 4ème couplet de la chanson). Quelques mouvements d’appareil (légers panos pour suivre les déplacements du chanteur). C’est une introduction dansée – mimée comique, avec des pas glissés à reculons, et les rires fusent. Au troisième grand geste de Charlot, les manchettes sur lesquelles sont inscrites les paroles de la chanson sont éjectées, sans qu’il s’en aperçoive, d’où l’attente comique chez le spectateur. Dès que Charlot va entamer son premier couplet, il s’aperçoit de la disparition des manchettes (toujours son problème avec les objets…) ; il rejoue sa danse d’entrée, mais sur un mode plus comico-dramatique : il cherche ! La musique qui s’essouffle à l’attendre et l’énervement des spectateurs sont de plus en plus perceptibles. Appel désespéré du regard vers la Gamine, en hors-champ droite : 1er plan sur elle qui le pousse à chanter (carton). Toute la musique est diégétique, mais l’accompagnement instrumental est irréaliste (suspensions, synchronisation avec le chanteur…).

- Couplets de la chanson (il y en a cinq) Effet de surprise : le langage est inventé, incompréhensible à part quelques rares mots. C’est d’autant plus intéressant que c’est la première fois que l’on entend la vraie voix de Charlot-Chaplin : ce n’est certainement pas un hasard qu’il ait choisi une chanson de cabaret d’une part, et que ce soit un faux langage… (cf. la place du langage et de la voix dans ce premier vrai-faux film parlant de Charlot). Plans de coupe sur la Gamine. Mais le sens passe : c’est une vraie leçon de mime donnée par Chaplin, faisant tour à tour la jeune femme et l’homme. Il s’agit d’une très célèbre chanson, dont le titre en français est « Je cherche après Titine » : un gros et riche bourgeois moustachu et enveloppé invite une jeune femme coquette à faire un tour dans sa superbe voiture, va trop loin et se fait renvoyer puisqu’il n’accepte pas de lui passer la bague au doigt. Peut-on y voir l’inverse exact de la situation des deux héros ? un pauvre hère malingre (qui a mal aux pieds – voir séquence suivante) est vraiment amoureux d’une jeune fille simple, qui ne lui demande rien, qui l’a invité à la suivre, et ils resteront ensemble… Le succès public est total. Retour dans les coulisses, début thème sentimental, carton « Je te garde » : court moment de pur bonheur, et rappel. Les applaudissements enthousiastes font même peur à Charlot. Nos deux héros ont à peine le temps de se réjouir, car le patron demande à la Gamine de retourner en scène. Arrestation et fuite Nous avions vu un plan montrant l’arrivée des policiers à la recherche de la Gamine. Effet de mise en scène : la Gamine, rayonnante, applaudie, s’apprête à rentrer sur scène dans une attitude qui suggère l’envol, et elle est retenue par le policier qui la saisit au poignet. Elle se débat en vain, la musique finit par s’arrêter, découvrant l’ambiance sonore diégétique ; ils reviennent dans les coulisses. Musique triste : gros plan sur la Gamine pleurant sur l’épaule de Charlot. A souligner : le gros plan (ils sont rares dans le film) de la photo de la Gamine (Ellen Peterson) sur l’avis de recherche. Le patron ne peut plus s’opposer à l’arrestation de la Gamine et part sans doute calmer le public.

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C’est elle qui va réagir en essayant de fuir, aidée par Charlot. Le fait de se réfugier dans l’arrière-salle leur permet de récupérer leurs affaires, et de tromper les policiers pour fuir sur une musique guillerette et tendue à la fois. Gag des chaises : si Charlot peut avoir de gros problèmes avec les objets, il lui arrive aussi de s’en servir, souvent hors de leur emploi habituel. Ici, il fait tomber toutes les chaises à une vitesse incroyable derrière leur passage pour freiner l’avancée de leurs poursuivants, rendus ridicules, en mettant les rieurs de son côté. C’est la première fois qu’un épisode du film ne se termine pas par un embarquement du héros : la Gamine a entraîné Charlot dans sa volonté de rester libre (on ne met pas un oiseau en cage). Fondu au noir. Epilogue (1’25)

- A l’aube (carton) Ouverture au noir sur une route de campagne en plan général avec un thème musical bucolique et mélancolique. Long pano droite – gauche pour centrer en plan moyen nos deux héros au petit jour, assis au bord de la route ; Charlot s’évente les pieds (signifiant indirectement l’ellipse temporelle : ils ont beaucoup marché). Grand thème romantique de « la vie à deux » : plan rapproché sur la Gamine, qui a un regard caméra avant de s’effondrer, pano rapide gauche/droite en plan rapproché sur Charlot puis retour en pano droite/gauche pour les retrouver dans un plan commun. Les plans rapprochés séparent les héros quand ils ne partagent pas les mêmes sentiments ; réunion quand Charlot redonne courage à la Gamine (carton – message de Charlot/Chaplin : « N’abandonnons pas la lutte… »). Ils se lèvent, décidés, et quittent le champ sur la droite.

- Départ : sur la route Raccord entrée gauche (Plan d’ensemble) des deux personnages qui viennent vers la caméra (Plan rapproché) et nouvelle leçon d’espoir de Charlot. Court travelling arrière : champ / contrechamp à 180°, très rare : les deux personnages, de dos, s’éloignent de la caméra, et l’on retrouve la silhouette et la démarche si particulière du petit bonhomme Charlot. La ligne centrale de la chaussée se confond avec le milieu de l’écran. Fin ouverte : l’horizon est bouché par les montagnes, la route est totalement vide, la ligne blanche sépare les deux héros. Ou : la courbe des montagnes (avenir en « dents de scie » ?) s’infléchit en son centre, et c’est l’aube, symbole d’une nouvelle vie, d’un nouveau départ ; les deux personnages partent, errants mais ensemble (thème récurrent du héros s’éloignant dans les films de Chaplin).

Document Françoise Delamarre