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Douleurs, 2006, 7, hors-série 2 2S19 7. Lefebvre-Chapiro S, the Doloplus Group. The Doloplus-2 Scale evaluating pain in the elderly. Eur J Palliat Care 2001;8:191-4. 8. Morello R, Fermanian J, Alix M. Échelle comportementale pour personnes âgées (ECPA). Santé et Maison de Retraite. Serdi Edition 1999;2:90-7. 9. Arveux I, Faivre G, Lenfant L, et al. Le sujet âgé fragile. Rev Gériat 2002; 27:569-81. 10. Feldt KS, Ryden MB, Miles S. Treatment of pain in cognitively impaired compared with cognitively intact older patients with hip fracture. J Am Geriatr Soc 1998;46:1079-1085. CS11 PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR AIGUË CHEZ LE SUJET ÂGÉ F. Aubrun Département d’anesthésie-réanimation chirurgicale, Groupe Hospi- talier Pitié-Salpêtrière, Paris. Selon le Conseil de l’Ordre des Médecins, la France compte aujourd’hui un million de personnes âgées de 85 ans ou plus, dont plus de 6 000 centenaires. L’espérance de vie ne cesse d’augmenter : elle est passée de 21,6 ans pour une personne de 60 ans en 1990 à 23,15 ans en 2001. Nous vivons plus vieux, mais aussi en meilleure santé qu’il y a quelques années, ce qui n’exclut pas une augmentation de la fréquentation hospitalière des patients les plus âgés. La douleur n’est pas la conséquence normale du vieillisse- ment physiologique. Même si la prévalence de la douleur augmente avec l’âge, elle traduit toujours un processus pathologique physique ou psychologique. On ne peut que constater que la douleur aiguë, qu’elle soit postopératoire, en situation d’urgence, ou dans un contexte plus générale- ment médical, est insuffisamment prise en charge chez le sujet âgé. L’intensité douloureuse est non ou mal évaluée, les techniques d’analgésie sophistiquées occultées et les morphiniques sous-utilisés. Compte tenu du vieillissement inexorable de la population, il est indispensable de réagir et d’améliorer significative- ment la gestion de la douleur des patients les plus âgés, en tenant compte bien entendu de leurs particularités. Six axes doivent être pris en considération. Les caractéristiques pharmacologiques du sujet âgé impliquent une adaptation thérapeutique sous la forme d’une titration : ni trop, ni trop peu. La demi-vie d’élimi- nation des antalgiques augmente avec l’âge, ce qui néces- site une réduction des doses de 30 à 50 % [1]. La prise en charge antalgique doit être précoce, anticipative, efficace, tout en respectant les modifications physiopathologiques liées à l’âge. Concernant spécifiquement la morphine titrée par voie intraveineuse, l’administration de bolus de 1 à 3 mg au-delà d’une valeur seuil de douleur permet de réduire rapidement et avec efficacité les douleurs les plus sévères [2]. L’évaluation de la douleur est un préalable indispensable. Encore faut-il pouvoir évaluer les patients non communi- quants. Les patients âgés ont souvent des difficultés de communication ou de compréhension, particulièrement aggravées par l’hospitalisation. Les plaintes diminuent souvent avec l’âge, ce qui traduit, pour certains, une augmentation du seuil de perception de la douleur (sujet très controversé), ou pour d’autres, une résignation devant la souffrance, voire des difficultés d’évaluation de la douleur, notamment chez le patient âgé non communicant. De nombreux facteurs limitent l’utilisation des méthodes d’autoévaluation pour- tant recommandées : anxiété, dépression, troubles du comportement, dysfonctions cognitives, troubles de l’audi- tion et de la vision. Tout changement de comportement, spontané ou pendant un soin, chez un patient âgé non communiquant, doit évoquer un état douloureux. Dans ce cas, deux échelles validées sont proposées, même si elles sont parfois difficiles à utiliser dans un contexte aigu : il s’agit de l’échelle DOLOPLUS 2 et de l’ECPA (échelle comportementale d’évaluation de la douleur chez la personne âgée non communicante) [3]. L’analgésie multimodale est une règle d’or, l’épargne mor- phinique est en effet souhaitable. L’association des antal- giques à sites d’action différents permet, pour une efficacité analgésique adaptée, de réduire les doses de chacun des agents antalgiques et donc leurs effets indésirables. En effet, la prise en charge des douleurs doit tenir compte de la sévé- rité des symptômes, des conséquences de ces douleurs, mais aussi des effets secondaires des traitements antalgiques (dont les morphiniques) et des interactions médicamenteu- ses (dont les AINS), car le traitement habituel des patients âgés comporte souvent de nombreux médicaments. Il n’existe aucune contre-indication théorique aux tech- niques d’analgésie sophistiquées. Il faut les discuter « cas par cas ». En dehors des contre-indications habituelles, l’analgésie autocontrôlée (ACP) n’est pas indiquée chez le sujet âgé qui ne souhaite pas ou ne comprend pas l’utilisa- tion de l’ACP,en cas de troubles des fonctions supérieures ou lorsque les conditions de sécurité ne sont pas réunies. L’analgésie locorégionale (ALR) a de nombreuses indica- tions chez le sujet âgé, à condition d’informer le patient des modifications sensitivo-motrices entraînées par l’ALR et de renforçant les mesures de surveillance des patients « blo- qués » (malposition des membres anesthésiés, risques de chutes...) [4]. La surveillance des patients doit être renforcée, notam- ment à distance de l’administration des morphiniques. En effet, les perturbations physiopathologiques de la fonction rénale des patients âgés modifient sensiblement l’élimina- tion de la plupart des agents antalgiques. Concernant la morphine, le risque d’effets secondaires apparaît lors des prises, mais aussi à distance de celles-ci, du fait de l’action des métabolites de l’opiacé. Dans ce cas précis, il faut privi- légier l’analgésie à la demande, plutôt que l’administration systématique [5]. Les douleurs liées aux soins doivent être impérativement combattues chez le sujet âgé. L’anticipation des douleurs, l’utilisation d’antalgiques à délai d’action court, doivent être privilégiés. Le MÉOPA (mélange en oxygène et protoxyde d’azote) est un moyen antalgique puissant sous-utilisé en gériatrie et dans les services d’urgence [5].

CS11 - Prise en charge de la douleur aiguë chez le sujet âgé

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Douleurs, 2006, 7, hors-série 2 2S19

7. Lefebvre-Chapiro S, the Doloplus Group. The Doloplus-2 Scale evaluatingpain in the elderly. Eur J Palliat Care 2001;8:191-4.

8. Morello R, Fermanian J, Alix M. Échelle comportementale pour personnesâgées (ECPA). Santé et Maison de Retraite. Serdi Edition 1999;2:90-7.

9. Arveux I, Faivre G, Lenfant L, et al. Le sujet âgé fragile. Rev Gériat 2002;27:569-81.

10. Feldt KS, Ryden MB, Miles S. Treatment of pain in cognitively impairedcompared with cognitively intact older patients with hip fracture. J Am GeriatrSoc 1998;46:1079-1085.

CS11 PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR AIGUË CHEZ LE SUJET

ÂGÉ

F. AubrunDépartement d’anesthésie-réanimation chirurgicale, Groupe Hospi-talier Pitié-Salpêtrière, Paris.

Selon le Conseil de l’Ordre des Médecins, la France compteaujourd’hui un million de personnes âgées de 85 ans ouplus, dont plus de 6 000 centenaires. L’espérance de vie necesse d’augmenter : elle est passée de 21,6 ans pour unepersonne de 60 ans en 1990 à 23,15 ans en 2001. Nousvivons plus vieux, mais aussi en meilleure santé qu’il y aquelques années, ce qui n’exclut pas une augmentation dela fréquentation hospitalière des patients les plus âgés.La douleur n’est pas la conséquence normale du vieillisse-ment physiologique. Même si la prévalence de la douleuraugmente avec l’âge, elle traduit toujours un processuspathologique physique ou psychologique. On ne peut queconstater que la douleur aiguë, qu’elle soit postopératoire,en situation d’urgence, ou dans un contexte plus générale-ment médical, est insuffisamment prise en charge chez lesujet âgé. L’intensité douloureuse est non ou mal évaluée,les techniques d’analgésie sophistiquées occultées et lesmorphiniques sous-utilisés.Compte tenu du vieillissement inexorable de la population,il est indispensable de réagir et d’améliorer significative-ment la gestion de la douleur des patients les plus âgés, entenant compte bien entendu de leurs particularités.Six axesdoivent être pris en considération.– Les caractéristiques pharmacologiques du sujet âgéimpliquent une adaptation thérapeutique sous la formed’une titration : ni trop, ni trop peu. La demi-vie d’élimi-nation des antalgiques augmente avec l’âge, ce qui néces-site une réduction des doses de 30 à 50 % [1]. La prise encharge antalgique doit être précoce, anticipative, efficace,tout en respectant les modifications physiopathologiquesliées à l’âge. Concernant spécifiquement la morphinetitrée par voie intraveineuse, l’administration de bolus de1 à 3 mg au-delà d’une valeur seuil de douleur permet deréduire rapidement et avec efficacité les douleurs les plussévères [2].– L’évaluation de la douleur est un préalable indispensable.Encore faut-il pouvoir évaluer les patients non communi-quants. Les patients âgés ont souvent des difficultés decommunication ou de compréhension, particulièrementaggravées par l’hospitalisation.Les plaintes diminuent souvent

avec l’âge, ce qui traduit, pour certains, une augmentationdu seuil de perception de la douleur (sujet très controversé),ou pour d’autres,une résignation devant la souffrance,voiredes difficultés d’évaluation de la douleur, notamment chezle patient âgé non communicant. De nombreux facteurslimitent l’utilisation des méthodes d’autoévaluation pour-tant recommandées : anxiété, dépression, troubles ducomportement, dysfonctions cognitives, troubles de l’audi-tion et de la vision. Tout changement de comportement,spontané ou pendant un soin, chez un patient âgé noncommuniquant, doit évoquer un état douloureux. Dans cecas, deux échelles validées sont proposées, même si ellessont parfois difficiles à utiliser dans un contexte aigu : ils’agit de l’échelle DOLOPLUS 2 et de l’ECPA (échellecomportementale d’évaluation de la douleur chez lapersonne âgée non communicante) [3].– L’analgésie multimodale est une règle d’or, l’épargne mor-phinique est en effet souhaitable. L’association des antal-giques à sites d’action différents permet, pour une efficacitéanalgésique adaptée, de réduire les doses de chacun desagents antalgiques et donc leurs effets indésirables.En effet,la prise en charge des douleurs doit tenir compte de la sévé-rité des symptômes,des conséquences de ces douleurs,maisaussi des effets secondaires des traitements antalgiques(dont les morphiniques) et des interactions médicamenteu-ses (dont les AINS), car le traitement habituel des patientsâgés comporte souvent de nombreux médicaments.– Il n’existe aucune contre-indication théorique aux tech-niques d’analgésie sophistiquées. Il faut les discuter « caspar cas ». En dehors des contre-indications habituelles,l’analgésie autocontrôlée (ACP) n’est pas indiquée chez lesujet âgé qui ne souhaite pas ou ne comprend pas l’utilisa-tion de l’ACP, en cas de troubles des fonctions supérieuresou lorsque les conditions de sécurité ne sont pas réunies.L’analgésie locorégionale (ALR) a de nombreuses indica-tions chez le sujet âgé, à condition d’informer le patient desmodifications sensitivo-motrices entraînées par l’ALR et derenforçant les mesures de surveillance des patients « blo-qués » (malposition des membres anesthésiés, risques dechutes...) [4].– La surveillance des patients doit être renforcée, notam-ment à distance de l’administration des morphiniques. Eneffet, les perturbations physiopathologiques de la fonctionrénale des patients âgés modifient sensiblement l’élimina-tion de la plupart des agents antalgiques. Concernant lamorphine, le risque d’effets secondaires apparaît lors desprises, mais aussi à distance de celles-ci, du fait de l’actiondes métabolites de l’opiacé. Dans ce cas précis, il faut privi-légier l’analgésie à la demande, plutôt que l’administrationsystématique [5].– Les douleurs liées aux soins doivent être impérativementcombattues chez le sujet âgé. L’anticipation des douleurs,l’utilisation d’antalgiques à délai d’action court,doivent êtreprivilégiés. Le MÉOPA (mélange en oxygène et protoxyded’azote) est un moyen antalgique puissant sous-utilisé engériatrie et dans les services d’urgence [5].

2S20 Douleurs, 2006, 7, hors-série 2

Conclusion : Les conséquences d’une analgésie insuffisantechez le sujet âgé sont nombreuses : dysfonctions cognitivesaiguës ou aggravation d’un état confusionnel préexistant,détresse psychologique, troubles du sommeil, syndromedépressif mais aussi complications dues à une immobilisa-tion (par exemple, postopératoire) : iléus, troubles de lacoagulation, retentissement respiratoire, mais aussi hyper-tension artérielle, tachycardie ou troubles du rythme avec lerisque de souffrance myocardique.Les conséquences d’une douleur aiguë dépassent parconséquent le « simple » inconfort du patient ; elles peuventêtre délétères chez le patient âgé, mais aussi pour les insti-tutions avec une augmentation de la durée de séjour enstructure de soins. L’adaptation à chaque situation doulou-reuse et à chaque patient doit être une obsession constantede l’ensemble des acteurs de soins.

RÉFÉRENCES

1. Guay DRP, Artz MB, Hanlon JT, Schmader K. The pharmacology of aging. InBrocklehurst’s textbook of geriatric medicine and gerontology. 6th edition.Raymond C Tallis, Howard M Fillit Eds. Churchill Livingstone Elsevier Science,London 2003, pp. 155-161.

2. Aubrun F, Monsel S, Langeron O, et al. Postoperative titration of intravenousmorphine in the elderly patient. Anesthesiology 2002;96:17-23.

3. Wary B. Évaluation et prise en charge thérapeutique de la douleur chez lessujets âgés avec troubles de la communication. ANAES, 2000.

4. Aubrun F. Management of postoperative analgesia in elderly patients. RegAnesth Pain Med. 2005;30:363-79.

5. Brady HR, Brenner BM, Clarkson MR, Lieberthal W. Acute renal failure inBrenner BM, ed. The Kidney. 6th ed. Brenner and Rector’s, 2000; pp. 1201-62.

6. Rouvière S, Lavallart B, Khezzari F, et al. Procédures d’utilisation du Kalinoxpour les soins de gériatrie. Douleurs 2005;6:3S25.

CS12 FACTEURS PRÉDICTIFS DE CHRONICISATION

DE LA DOULEUR CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE

N. MemranMédecin anesthésiste-réanimateur, CHU de Nice, Hôpital Pasteur,Département d’Evaluation et de Traitement de la Douleur-MédecinePalliative, Nice.

• « La douleur chronique ne peut pas être réduite à unedouleur aiguë qui persiste... largement dissociée de sacomposante lésionnelle la douleur chronique est devenueun syndrome••• ou les dimensions émotionnelles ou derenforcement psychosocial prennent une large placequand elles n’ont pas envahi toute la place. » [1]• L’IASP appelle, pour l’année 2007, un mouvement interna-tional de lutte contre la douleur des personnes âgées avecune mobilisation conjointe des professionnels de la santé,des institutions et de la politique de santé en général, enconsidérant que dans cette population la douleur estfréquente, sévère, handicapante et qu’elle est sous-évaluéeet sous-traitée.• Réfléchir aux facteurs prédictifs de chronicisation de ladouleur représente un autre domaine ;celui de la prévention,domaine complexe qui, selon l’OMS, regroupe l’ensemble

des actions tendant à éviter l’apparition, le développement oula complication d’une maladie ou la survenue d’un accident.La prévention médicale envisage trois aspects : préventionprimaire (transmission, infection...), prévention secondairequi vise à détecter la maladie et éviter l’apparition dessymptômes cliniques ou biologiques, enfin la préventiontertiaire qui a pour objectif de diminuer les récidives, lesincapacités et de favoriser la réinsertion sociale. D’aprèscette définition, l’approche des facteurs prédictifs de chro-nicisation de la douleur du sujet âgé entre bien dans lecadre des actions de prévention tertiaire. Il s’agira en touscas de lancer des pistes de réflexion car, jusqu’à présent, iln’existe pas de travaux dans ce domaine.Cependant, la dou-leur et particulièrement celle du sujet âgé fait partie desindicateurs de suivi de la politique de santé publique (loi du9 août 2004) ;ce qui présage des enquêtes ou travaux futursdiligentés par la Direction Générale de la Santé.

Quels sont les facteurs favorisant l’installation d’une dou-leur chronique chez la personne âgée ?C’est à partir de l’analyse des résultats des larges étudesdans des populations âgées [6, 7], des enquêtes sur lespopulations particulières comme celle des vétérans de laguerre du golfe (Ang DC 2006), ou du suivi de postopérésde chirurgie discale à l’étage lombaire [5], que nous pou-vons présenter quelques éléments sur les critères prédictifsde chronicisation de la douleur du sujet âgé.– L’altération physique : les tares cardio-vasculaires (HTA),pulmonaire (bronchite), inflammatoire (arthrite), nutrition-nelle (obésité ou dénutrition) sont des circonstances facili-tatrices,de même que les atteintes neurologiques et les han-dicaps moteurs.– Dans l’étude longitudinale de Jacobs JM [6], l’âge, le sexeféminin, les difficultés économiques, la solitude, la dépres-sion sont des facteurs qui augmentent la prévalence dechronicisation au-delà de 55 %.– La dépression [8] est un facteur prédictif responsable decomplications diverses, dont la douleur et le handicap chezles personnes âgées.– Le sentiment de peur et l’évitement [11, 4], bien connuscomme éléments favorisant la chronicisation, sont égale-ment pointés comme facteurs d’ancrage de la douleur dusujet âgé.

Quels sont les facteurs de pérennisation de la douleur chro-nique du sujet âgé ?Nous abordons, en fait, les critères de mauvais pronostic dela douleur du sujet âgé.

Les facteurs individuels : baisse d’activité physique etrécréative, troubles du comportement et de la communi-cation autour du phénomène subi de la douleur (refusde demande d’aide, de mobilisation, de relaxation, etc.[13] sont des critères négatifs rapportés à la douleur,mais qui sont eux-mêmes responsables de pérennisationde celle-ci.