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Dépendance et luttes politiques au Kenya, 1975-1977: la bourgeoisie nationale àl'assaut du pouvoir d'État Author(s): Denis Martin Source: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 12, No. 2 (1978), pp. 233-256 Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African Studies Stable URL: http://www.jstor.org/stable/484902 . Accessed: 15/06/2014 23:27 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Taylor & Francis, Ltd. and Canadian Association of African Studies are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.49 on Sun, 15 Jun 2014 23:27:12 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Dépendance et luttes politiques au Kenya, 1975-1977: la bourgeoisie nationale à l'assaut du pouvoir d'État

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Dépendance et luttes politiques au Kenya, 1975-1977: la bourgeoisie nationale àl'assaut dupouvoir d'ÉtatAuthor(s): Denis MartinSource: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol.12, No. 2 (1978), pp. 233-256Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/484902 .

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Revue canadienne des 6tudes africaines/Canadian Journal of African Studies Volume XII, no 2, 1978, 233-256

Ddpendance et luttes politiques au Kenya, 1975-1977: la bourgeoisie nationale a I'assaut du pouvoir d'Etat

Denis MARTIN *

ABSTRACT - Dependance and Political Struggles in Kenya, 1975-1977, the Country's Middle-Class out to Win State Power

Recent studies have given the opportunity to reexamine theories on economical as well as political dependance ; some of them, particularly on Kenya, have shown how a local middle-class had developed notwithstanding a position of global dependance. If one considers, in the light of events occurred from 1975 until 1977, the place and weight enjoyed by this local middle-class within the Kenyan political system, it seems quite clear that by using different means (factional struggles within the party, unions, associations, etc.) it is now out to conquer State power which still escapes it, in order to consolidate its position as a national middle-class. This new situation puts into motion a complicated game of oppositions and alliances between the social strata and the political forces which represent them, where the economico-social determinants definitely appear to prevail over ethnic solidarities.

Les theories de la d6pendance comme les analyses en termes de classes sociales appliquies aux r6alites africaines contemporaines mettent souvent en relief une dichotomie centre/p6riph6rie et, correlativement, un antagonisme bourgeoisie(s) du centre/masses exploitees de la periph6rie. Elles tendent, de ce fait,

' r6duire

toute couche sociale 6conomiquement dominante, ou cherchant a le devenir, au

r61e d'interm6diaire, de relais du grand capital international et lui d6nient la moindre

possibilit6 d'accumulation autonome quand elles ne lui refusent pas le simple droit a l'ambition. Frantz Fanon l'affirmait crfiment en 1961 :

La bourgeoisie nationale a une psychologie d'hommes d'affaires et non de capi- taines d'industrie (...) Dans le systeme colonial, une bourgeoisie nationale qui accumule du capital est une impossibilit6 (...) La bourgeoisie nationale se d6couvre la mission historique de servir d'interm6diaire (...) il ne s'agit pas d'une vocation g transformer la Nation, mais prosaiquement g servir de courroie de transmission 5 un capitalisme accul6 au camouflage et qui se pare aujourd'hui du masque n6o-colonialiste 1.

* Attache de recherche, Centre d'Ftudes et de Recherches Internationales, Fondation nationale des sciences politiques, Paris.

1. Frantz FANON, Les damnns de la terre, Paris, Frangois Maspero, 1968, pp. 96 et 98. 233

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234 REVUE CANADIENNE DES ETUDES

AFRICAINES

Fanon, bien sfir, pensait surtout aux << elites > qui venaient de saisir les chances de l'ind6pendance, ou qui s'appretaient a le faire; on ne peut lui faire grief de n'avoir pas assiste aux d6veloppements qui se sont par la suite produits. Pourtant, c'est, d6coulant d'une analyse diff6remment assise, un jugement similaire que l'on rencontre encore en bien des 6tudes, certes plus nuanc6es. Chez Samir Amin, par exemple :

Quant a la bourgeoisie p6ripherique, elle s'est constitu6e dans le cadre du march6 mondial cr66, impuls6 et domin6 par le centre (...) et c'est pourquoi elle est toujours d6pendante 2 ;

la tendance g6n6rale, dans les JEtats du < Tiers-Monde >, est, ajoute-t-il, a l'appa- rition de bureaucraties

d'lEtat dans des systemes de capitalisme d'Etat d6pendants 3

Dans les interpr6tations de ce type, la dynamique interne des systemes sociaux p6riph6riques semble << oubli6e >. Que les pays africains ind6pendants aient

6t6 plus 6troitement int6gr6s au march6 mondial, sans doute ; mais cela n'a pu aller sans cons6quences en leur sein, d'autant moins que, durant la meme periode, la transformation du systeme mondial de l'imperialisme allait bon train. La question est alors de savoir si la structuration sociale a l'ceuvre dans les soci6tes p6riph6riques, et notamment dans les soci6t6s africaines, se r6sout toujours par l'6mergence d'une bureaucratie d'Etat, ou d'une bourgeoisie bureaucratique, selon les terminologies. On peut se demander 6galement si l'enrichissement de certaines couches sociales apres les ind6pendances (enrichissement dont le pro- cessus a fort bien pu tre amorc6 avant la formation de l']tat) r6sulte uniquement de la redistribution, ou des <<commissions > octroy6es par les bourgeoisies du Centre dont elles seraient les valets et les chiens de garde ou s'il y a eu effecti- vement accumulation au profit des couches locales et d6veloppement de leurs entreprises (meme dans une mesure relativement faible) a partir du march6 int6rieur. On d6bouche, avec ces interrogations, sur une autre << impasse > de certaines theories d6pendantistes : l'analyse des contradictions diverses de ce que l'on englobe uniform6ment sous le chapeau de bureaucratie d'Etat ; des contra- dictions pouvant exister entre cette bourgeoisie d'Etat et une << petite bourgeoisie > (dans les secteurs de l'agriculture, du commerce, de l'artisanat, des transports) presque toujours disqualifi6e pour incomp6tence, consommation ostentatoire et faible propension

' investir; des contradictions s'aiguisant sur place entre les

masses rel6gu6es et les privilkgi6s d6tenteurs du pouvoir ; des contradictions, enfin, s'esquissant entre les bourgeoisies du centre et les diverses couches sociales des soci6tes p6riph6riques, elles-memes diff6remment associ6es ou oppos6es selon les temps et les lieux... A quoi il faudrait encore ajouter, pour faire bonne mesure, les contradictions mettant en comp6tition les bras s6culiers (Etats ou entreprises multinationales) de ce que l'on d6nomme abstraitement et uniment le Centre.

Ces problmes ne sont pas nouveaux et si certaine litt6rature les esquive parfois, ils n'en ont pas moins 6tC

d6j. pos6s. A propos du r6le de la < bourgeoisie

2. Samir AMIN, L'accumulation d l' chelle mondiale, Paris, Anthropos, Dakar, IFAN, 1971, p. 35.

3. Ibid., pp. 366-376. Pour une critique de fond des theses contenues dans L'accumu- lation a l' chelle mondiale, voir Jean-Pierre OLIVIER, o Afrique : Qui exploite qui ? (a propos de Samir Amin et des bourgeoisies d'Itat africaines) >, Les temps modernes 30 (346), mai 1975, pp. 1506-1551 et 30 (347), juin 1975, pp. 1744-1775.

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nationale > dans la lutte de liberation nationale ; et l'on pense ici, bien stir, a Amilcar Cabral affirmant que la

pseudo-bourgeoisie locale, quel que soit le degre de son nationalisme, ne peut exercer efficacement sa fonction historique; elle ne peut orienter librement le d6veloppement de ses forces productives : en un mot, elle ne peut &tre bourgeoisie nationale, [tout en reconnaissant que] La situation neo-coloniale, qui exige la liquidation de la pseudo-bourgeoisie autochtone pour que se r6alise la liberation nationale, donne aussi ' la petite bourgeoisie l'opportunit6 de remplir un r6le de premier plan - et meme d6cisif - dans la lutte pour la liquidation de la domi- nation 6trangere 4.

Cette distinction entre ce qu'Amilcar Cabral appelle pseudo-bourgeoisie et petite bourgeoisie, puis entre les fonctions historiques qu'elles pourraient 6tre suscep- tibles d'assumer apparait aujourd'hui tres importante en ce qu'elle met I'accent sur la place diff6rente que ces couches sociales occupent ia la fois dans la structure interne des soci6tes dependantes et sur le r61le qu'elles jouent dans le fonc- tionnement concret du processus de la d6pendance aux instances id6ologiques, politiques aussi bien qu'6conomiques. Regroupant, avec moins de nuances, ces deux couches sociales sous la d6nomination de bourgeoisie, Evgu6ni Varga, dis le d6but des ann6es soixante, se situait en fait dans la meme probl6matique

La bourgeoisie des pays coloniaux et semi-coloniaux a un caractere double. En tant que bourgeoisie, elle a des interets communs a ceux de la bourgeoisie imperialiste: la defense du systeme capitaliste; en qualit6 de defenseur du capitalisme, elle joue un r6le reactionnaire. Ses inter&ts, en tant que bourgeoisie coloniale, sont violemment opposes a ceux de la bourgeoisie imperialiste, aussi est-elle prete a diriger la lutte des travailleurs des colonies et semi-colonies contre l'imperialisme. Sur le plan historique, elle est alors un element de progres 5.

L'important est qu'ici, en place d'un discours d6sincarn6 sur une d6pendance quasi fatale, on trouve une analyse en termes d'int6rets qui, selon les cas, peuvent se trouver convergents ou divergents. Ce qui ouvre un champ nouveau a l'inves- tigation en sugg6rant la possibilit6 du mouvement, de fluctuations dans les frontieres enserrant les agr6gats de groupes sociaux, de renversements d'alliance, tant au sein des soci6t6s d6pendantes qu'entre bourgeoisies du centre et bourgeoisies ou pseudo-bourgeoisies de la p6ripherie. Plus encore, ce point de vue laisse entrevoir la nature ambivalente, et contradictoire, des rapports entre celles-ci, aspect que precise Tamas Szentes

Pourtant, ce d6veloppement capitaliste, suscit6 et contr6l6 de 1'ext6rieur, a empech6 ou limit l1'6mergence de la classe meme, la bourgeoisie indigene, qui, dans d'autres conditions, aurait 6t6 normalement impliquee dans la direction du proces de transformation et de d6veloppement capitaliste de chaque secteur de l'6conomie et de la soci6t6. La bourgeoisie nationale, dont l'existence et le d6veloppement n6cessitent la transformation capitaliste de l'ensemble de l'6conomie et de la soci6t6, et dont le caractbre coincide, par ailleurs, avec le caractbre tout aussi

4. Amilcar CABRAL, Unite et lutte 1, l'armee de la thdorie, Paris, F. Masp6ro, 1975, p. 295, et 301-302.

5. Evgueni VARGA, o Le probl'me du r1le de la bourgeoisie dans la lutte de lib6ration nationale des peuples coloniaux>>, dans Essais sur l'&conomie politique du capitalisme, Moscou, Editions du Progres, 1967, p. 98 (soulign6 par l'auteur).

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capitaliste de ce proces induit de l'exterieur, a pu, assez curieusement, se d6ve- lopper et se renforcer uniquement en d6pit des et contre les forces les plus importantes determinant ce meme proces (laissons ici de c6t6 les 616ments impotents et parasitaires d'une bourgeoisie et d'une semi-bourgeoisie essentielle- ment intermediaire par nature, 616ments qui apparaissent d'ordinaire comme des appendices du capital 6tranger). Dans la lutte pour contr6ler les ressources naturelles, la force de travail nationale et le march6 domestique, la bourgeoisie locale a eu ' combattre non seulement les forces pr6-capitalistes obsoletes de la soci6t6 indigene, mais aussi et d'abord le capital 6tranger qui mettait en mouve- ment le d6veloppement capitaliste 6.

I- LUTTES POLITIQUES AU KENYA

Dans cette perspective, le cas du Kenya parait particulibrement interessant. Son < image de marque > est celle d'une << neo-colonie par excellence > o>i le d6ve- loppement est entieirement impulse de l'ext6rieur, oui regne une classe dominante corrompue et inf6od6e au capital 6tranger. 11 s'agit l1, bien entendu, d'une caricature qui, malgr6 une ressemblance superficielle, n'a que de lointains rapports avec la r6alit6. Mais s'ils ne tombent pas dans ce travers, bien des observateurs (dont les travaux sont par ailleurs extremement stimulants) tendent a sous- estimer les diff6renciations sociales, et les oppositions d'int6rets, au sein d'un groupe perqu comme (et effectivement) privil6gi6 par rapport a la grande masse de la population 7. Et meme quand elles sont int6gr6es dans le tableau g6n6ral, ces couches sont trop souvent 6cart6es de la r6alit6 nationale puisque les unes sont consid6rees comme des appendices tout d6vou6s du capital 6tranger lorsque les autres sont jug6es trop faibles pour pouvoir s'attaquer serieusement i sa domination. I1 ne s'agit pas de nier l'existence d'une d6pendance globale, de nier que les couches sociales qui se sont empar6es de la direction de l'tat au Kenya entretiennent des rapports privilgi6s avec les forces du capitalisme inter- national et avec les 1Etats d'oi elles se sont 61anc6es, de nier que le d6veloppement d'une petite bourgeoisie locale ait 6te lent et born6 par les filiales des entreprises 6trangeres. I1 s'agit de poser les problimes sous un angle peut-&tre 16gierement different et de nuancer des contrastes qui risquent de faire passer a c6t6 de

ph6nomienes determinants dans l'evolution de la situation kenyane, ceux-l~ memes que signalent au niveau th6orique Evgu6ni Varga et Tamas Szentes.

De fait, si l'on d61aisse un moment l'6tude 6troite de l'6conomie du Kenya, pour envisager les choses d'un point de vue oui dominent les ph6nomines poli- tiques, les contradictions apparentes (comme celles qui parcourent la politique ext6rieure) 8, la complexit6 des luttes qui mettent aux prises des groupes plus ou moins identifiables pour la conquete ou la conservation du pouvoir d'Etat, tout cela incite i s'interroger sur la nature des conflits qui animent la soci6t6 kenyane. On peut, pour simplifier, pr6senter deux hypothises: celle des app6tits et des ambitions individuels qui pousserait i ne voir dans la vie politique kenyane que des individus s'affrontant pour les postes et les profits qui en d6coulent;

6. Tamas SZENTES, The Political Economy of Underdevelopment, Budapest, Akademiai Kiado, 1971, p. 263.

7. Voir Colin LEYS, Underdevelopment in Kenya. The Political Economy of Neo- Colonialism, 1964-1971, London, Heinemann, 1975.

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hypothese dont la variante la plus r6pandue donne a ces combats de personnalit6s une dimension tribale et clanique. Ou alors on peut tenter de saisir dans ce bouillonnement qui brouille les cartes l'expression politique d'une lutte de classes qui s'esquisse ohi s'affrontent, s'allient, se s6parent selon les circonstances des acteurs sociaux que l'on peut caract6riser par leur place dans les proces de production particuliers d'une soci6t6 capitaliste d6pendante. Proc6der ainsi revient a postuler l'existence de classes sociales au Kenya; plus encore, cela oblige i admettre l'6mergence assez r6cente d'une couche d'entrepreneurs nationaux distincts des hommes qui d6tiennent les postes cl6s de l'appareil d'Atat, bien que pouvant etre lies ' eux par les interets comme par le sang, voire etre sortis de leurs rangs, distincts aussi de la petite bourgeoisie des commerqants, artisans, petits producteurs agricoles, transporteurs, etc., avec lesquels, ici encore, ils entretiennent des rapports tres 6troits et d'oi plus souvent sans doute ils sont issus. La d6monstra- tion de la r6alit6 de cette couche sociale ne sera pas faite ici; des indices suffisants en ont 6t6 donn6s ailleurs 9, recoupant d'autres etudes faites sur d'autres pays africains dont la situation n'est pas radicalement diff6rente. Ce qui nous int6resse maintenant, c'est la fagon dont l'apparition de cette couche sociale dot6e d'une authentique ambition politique conduit a poser le problkme de l'EItat en situation de d6pendance (donc celui de ses rapports avec ceux dont il depend) et comment dans un cadre de regime et d'institutions pr6cis6ment d6finis (ce qui ne veut pas dire, d'une part, que le droit n'est pas transgress6, mais que, lorsqu'il l'est, on peut le constater et que, d'autre part, depuis l'ind6pendance, la pratique a

int6gre au systeme politique un certain nombre de traits r6currents qu'on peut rep6rer comme tels) se d6veloppe la lutte dans le champ politique. Ainsi se retrouve pos6e la question de la nature meme de la d6pendance: prison aux murs insurmontables qui ne pourront s'6crouler qu'au grand soir des peuples du Tiers-Monde, lorsque le Joshua des damn6s de la terre embouchera la trompette de la revolution mondiale ; ou systeme de relations et d'interrelations, progressant dans l'instabilit6 d'6quilibre successifs que peuvent modifier, et modifient, les forces sociales situ6es a un bout ou a l'autre de la chaine et reli6es par de multiples faisceaux de contradictions ?

Mais avant d'en arriver l1, il nous faut reprendre le fil des 6v6nements politiques au Kenya. Les luttes qui se d6veloppent aujourd'hui se sont amorc6es en fait avec l'61ection parlementaire de 1974, elles ont pris une tournure drama- tique avec l'assassinat du d6put6 J. M. Kariuki en 1975, et c'est d'ici que nous partirons, puisque la periode 1975-1977, si courte soit-elle, permet de montrer et comment se modifient les alliances et comment les conflits politiques investissent les differents niveaux de la societ6 kenyane 10.

8. Voir Denis MARTIN, o Le Kenya, pion ou allie de l'Occident ? >, Le Monde diplo- matique 275, f6vrier 1977.

9. Voir David STEELE, ( The Theory of Dual Economy and African Entrepreneurship in Kenya >>, The Journal of Development Studies 12 (1), octobre 1975, pp. 18-38, et Nicola SWAINSON, ( The Rise of a National Bourgeoisie in Kenya> , Review of African Political Economy 8, janvier-avril 1977, pp. 39-55.

10. Pour les p&riodes pr6c6dentes, voir Cherry GERTZEL, The Politics of Independent Kenya, 1963-68, Nairobi, East African Publishing House, 1974, et Denis MARTIN, ( La crise politique au Kenya, 1975-1976 >, Revue frangaise d'etudes politiques africaines 137, mai 1977, pp. 20-53.

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Les peripeties politiques qui suivirent 1' < Affaire Kariuki > semblaient dessiner trois groupes aux contours incertains : le premier, compose des hommes au pouvoir, de leurs subordonn6s et clients ; le second, ouvertement contestataire, anim6 par des parlementaires prolixes d6veloppant des themes populistes; le troisieme, conservateur mod6r6, s'affichant dans le soutien au President, se distinguant par l'agressivit6 l'6gard des < populistes >>11 mais discretement hostiles a l'enrichissement improductif, au n6potisme, a la bienveillance a l'6gard des multinationales qui caract6risent certains de ceux qui se situent dans la mouvance de l'autorit6 supreme. Ce que d6voilaient les affrontements triangulaires mettant aux prises, sans qu'il y paraisse trop, ces trois ensembles, c'6tait les formes d'une lutte pour le pouvoir d61imit6es par la presence au sommet de l'Ftat d'un dirigeant personnifiant le nationalisme historique et symbolisant l'unit6 nationale, donc intouchable, mais ag6. De 1a

' interpreter les conflits et rivalit6s, les

escarmouches et les affrontements comme les indices d'une comp6tition pour la succession, il n'y avait pas loin ; pourtant la nature des groupes en pr6sence, la

communaut6 de preoccupation et la superposition partielle de leur assise sociale rapprochant les populistes des conservateurs-modernistes laissaient soupconner qu'6tait en jeu bien autre chose: l'orientation 6conomique du pays en ce qu'elle permettrait ou non la constitution d'une v6ritable bourgeoisie nationale disposant d'un poids d6cisif dans l'appareil de production du pays, y compris ses secteurs les plus modernes, en meme temps que d'une influence d6terminante dans l'appareil d'Etat. Par rapport i ce projet, i cette ambition, la presence ou la disparition de Jomo Kenyatta ne sont peut-6tre pas aussi lourdes de consequences qu'on l'a parfois dit: sous lui, les hommes sont d6ji aux prises, et apparemment, des deux c6t6s, bien qu'in6galement, il compte des fideles ; de sa pr6sidence, il tempere, modere, suspend ou frappe d'un bord ou de l'autre ; en toute occasion il met en garde contre ce qui serait un affront manifeste 'a ses paroles d'unit6; il ne peut pas vraiment trancher, si tant est qu'il le souhaite, il ne peut arreter les combats divisant tous ceux qui aspirent i une bribe de pouvoir. Tel semble

6tre, en tout cas, l'enseignement des ann6es r6centes.

//- LA KANU EST-ELLE VRAIMENT MORTE ?

Les coups port6s, d'une fagon ou d'une autre, aux actuels d6tenteurs du pouvoir a l'occasion de 1' << Affaire Kariuki >, les avaient, c'est ind6niable, 6branl6s. II leur fallait donc r6agir pour tenter de reprendre pleinement les choses en mains.

11. Par < populistes >> on entend ici des hommes politiques issus pour l'essentiel de la petite bourgeoisie, d6veloppant dans leurs interventions les revendications premieres des masses d6sh6rities: la terre, l'6galit6 dans l'acces a l'instruction, l'emploi. Ce type de discours les situe contre le pouvoir sans qu'ils aient besoin de se d6clarer ouvertement oppositionnels, il leur assure une base politique importante dans la foule des mecontents, mais n'aboutit pas a la definition d'un projet de soci6te different de celui des gouvernants. Ce populisme se greffe sur la conscience claire que les citoyens ont des besoins qu'ils ressentent et des responsabilit6s du pouvoir a cet 6gard, mais il ne se donne pas pour but de d6velopper le mouvement populaire hors des formes auxquelles toute la classe politique est associee, essentiellement les rassemblements harambee et, a moindre titre, le parti. Voir John S. SAUL, << On African Populism >>, dans John S. SAUL et Giovanni ARRIGHI, Essays on the Political Economy of Africa, Nairobi, East African Publishing House, 1974, pp. 152- 179.

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DEPENDANCE ET LUTTES POLITIQUES AU KENYA, 1975-4977 239

Leur strat6gie va se deployer sur deux fronts Ba la fois: le parlement et le

parti. Le premier sera purg6 de ses 616ments < rebelles >>; le second devra &tre < revitalis6 >>.

En juillet 1975, Jomo Kenyatta r6unit 'B Nakuru tous les presidents de section (branch) de la KANU pour 6tudier les conditions et les moyens d'une relance de la vie du parti : dans l'imm6diat, il n'en sort rien de concret. La rentr6e parlementaire de l'automne suivant se deroule dans le calme ; mais la querelle entre d6putes favorables au gouvernement et ceux qui ne lui m6nagent pas leurs

critiques rebondit de fa;on dramatique lorsque l'un de ces derniers, Martin Shikulu, d6clare que la < KANU a 6te tu6e > et que, sous les protestations, le

president de s6ance, John Mary Seroney, affirme qu'il s'agit la d'une < 6vidence >. Quelques jours apres, ces deux parlementaires sont arretis dans l'enceinte de l'Assemble ; ils resteront d6tenus sans jugement. Le Parlement adopte une motion de fid61it6 au president Kenyatta, << president de la KANU dont la direction a permis de garder la KANU extremement vivante dans toutes les r6gions du

pays 12 > ; des voix autorisees, celle du ministre de la Justice notamment, se font entendre qui appellent 'a des sanctions s6veres contre les d6tracteurs du r6gime.

De fait, certains membres du Parlement vont etre soumis 'a rude 6preuve. La lutte factionnelle dont la campagne pour les 61ections de 1974 avait montr6

l'intensit6, se poursuit par le biais des recours en annulation et touche des

personnages importants du regime : Jackson Angaine, ministre des Terres et de la R6installation (Land and Settlement), accuse d'avoir recouru aux services d'un < jeteur de sorts > (witch doctor) pour mobiliser ses 6lecteurs, et Paul Ngei, alors ministre de l'Administration locale, soupronn6 d'avoir violemment < incit6 > l'un de ses concurrents 'B retirer sa candidature.

L'6pisode Ngei va d'ailleurs permettre de prendre la mesure du pouvoir pr6sidentiel. Si Jackson Angaine conserve finalement et son sige et son porte- feuille, Paul Ngei, leader politique de l'Ukambani, se voit priv6 de l'un et de l'autre et interdire de se representer aux 61ections avant que ne soit 6coul un d6lai de cinq annees. Ses adversaires pensent ainsi avoir mis fin Ba sa carriere

politique. Pourtant, au terme d'une proc6dure exemplaire de rapidit6, le Parlement

adopte un amendement constitutionnel autorisant le president de la R6publique a pardonner quiconque aurait 6te convaincu par la Haute Cour d'un d61it 61lectoral ; des lors, Paul Ngei, a qui la mesure s'applique imm6diatement, peut se porter candidat aux 61ections partielles de Kangundo, sa circonscription, faire la preuve de la solidit6 de son implantation locale, et retrouver son siege. En mars

1976, il r6integre le cabinet comme ministre du D6veloppement coop6ratif, poste dont l'importance ne saurait, au Kenya, Ptre sous-estim6e et oin ii d6ploie une activit6 consid6rable.

C'est le signe sans 6quivoque que le Pr6sident entend conserver le droit de choisir les hommes qui travaillent sous ses ordres et qu'il ne saurait plus souffrir l'image d'un parlement travers6 de dissensions qui portent atteinte B l'ceuvre gouvernementale. Et cette d6termination se manifeste encore lorsqu'aprbs John

12. The Weekly Review (Nairobi) 38, 27 octobre 1975, p. 8.

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Mary Seroney, Martin Shikuhu et Mark Mwithaga (condamn6 pour une obscure et ancienne affaire de coups et blessures), les < contestataires > les plus en vue lors des sessions parlementaires de 1975 continuent d'&tre 6cartis de l'Assembl6e : F. P. Kibisu, Chelagat Mutai, turbulente dirigeante d'un mouvement 6tudiant avant de se faire triomphalement 61ire au Parlement et d'y adopter des positions fort proches de celles de J. M. Seroney. Un seul backbencher s'obstine quelque temps 'a porter le flambeau de la contradiction, interrogeant notamment le gouver- nement sur les conditions de detention des emprisonnes ; en avril 1977, il r6clame la constitution d'une commission d'enquete parlementaire sur la suspension de contrats de fourniture de materiel ferroviaire signes avec le Canada, affaire qui sent fort la corruption; le 5 mai, il est A son tour arrete dans les murs du Parlement.

Ces expulsions successives n'elimineront pas toute discussion dans l'assem-

bl6e; mais pour un temps au moins, le pendule politique va balancer vers le parti, y transferant, en une periode oui aucune 61lection nationale ne parait proche, les luttes factionnelles et la comp6tition pour le pouvoir. En fait, la situation politique est telle que le renouvellement annonc6 des postes de direction dans la KANU apparait comme une revanche des 61ections 16gislatives de 1974, la poursuite, par d'autres moyens, dans une autre arkne, des affrontements ayant suivi l'assassinat de J. M. Kariuki.

La reunion de Nakuru avait permis au pr6sident Kenyatta et aux dirigeants des sections du parti d'esquisser les plans d'un renouveau de la KANU; on avait 6voque a son issue la redaction d'une nouvelle constitution du parti, reprenant a peu pres les modifications annonc6es apres le precedent exercice du genre, la

Conf6rence des d616gu6s, qui, annuelle selon les statuts, ne s'6tait r6unie qu'une seule fois a Mombasa en 1970. Selon les informations officieuses qui filtrent, I'un des points de la discussion aurait port6 sur la discipline des 61us: si l'un de ceux-ci se trouvait en d6saccord avec le parti, il perdrait son siege dis la mise en oeuvre de la proc6dure disciplinaire; corr61ativement, tout citoyen briguant un poste de responsabilit6 devrait dor6navant etre membre 'a vie du parti, c'est-a-dire verser une cotisation unique de 1000 shillings (il n'en cofite, en principe, que 2 shillings par an pour &tre membre < ordinaire >) ; dispositions qui tranchent avec le plus r6cent texte connu de la constitution de la KANU prevoyant la pr6sence a l'assembl6e de parlementaires non-membres du parti, et meme la

possibilit6 pour la KANU de si6ger dans l'opposition 13. Toutefois, la recomman- dation la plus importante adopt6e lors de cette reunion invitait les sections '

organiser des consultations a la base du parti, sans pourtant qu'aucun calendrier ne leur soit propos6.

Effectivement, quelques l61ections se tiennent dans les sections au d6but de 1976, sans obtenir officiellement l'aval ni l'invalidation de l'appareil. Durant l'6t6, alors que ce processus se poursuit avec lenteur et que se multiplient les interrogations quant g la r6gularit6 avec laquelle il se ddroule, les divisions au sein du parti 6clatent plus fortement que jamais.

13. The Constitution of Kenya African National Union (edition r6vis6e, 1974), s.1.n.d. (GPX 5222 - 10 m - 7/75), ? 11, pp. 14-15.

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Le Conseil municipal de Nairobi doit 6lire le maire de la capitale. Margaret Kenyatta, fille du Pr6sident, d6tentrice du poste depuis 1970, annonce d'abord qu'elle ne se repr6sente pas, puis revient sur sa decision devant 1' < insistance > de la branche feminine de la KANU et de la section de Nairobi. Le premier adjoint, qui s'6tait porte candidat dans l'intervalle, refuse de se retirer et parait jouir du soutien d'une autre faction de la section de Nairobi du parti. Le ministre des Collectivit6s locales doit interrompre la campagne 61ectorale et proroger le mandat du maire et de son adjoint ; ce dernier est l'objet de menaces d'exclusion de la KANU. Quelques mois plus tard, Margaret Kenyatta sera nomm6e repre- sentant permanent du Kenya au Programme des Nations unies pour l'Environ- nement (install6 a Nairobi) et son adjoint pourra enfin lui succeder. L'alerte a

6t6 chaude et montre bien que les appels Ba l'unit6 lanc6s ' Nakuru n'ont pas et6 entendus.

On en a confirmation lorsqu'un groupe de d6put6s, de ministres et de respon- sables de la KANU, apres s'&tre r6unis, d6but octobre 1976, h' Nakuru encore, 6met l'idee que la constitution de la R6publique pourrait &tre amend6e de sorte que le Vice-President n'assume pas automatiquement la charge de l'Etat en cas de vacance de la Presidence. De toute evidence, c'est Daniel arap Moi qui est vise, mais le plus 6tonnant dans cette d6claration est que des hommes fortement install6s dans le r6girne aient 6voque directement la possibilit6 que disparaisse Jomo Kenyatta. C'est sur ce point que le gouvernement, par la voix du ministre de la Justice, r6plique rapidement : un tel amendement n'est en aucune manikre necessaire. Et le President lui-meme va mettre les points sur les i dans son discours de Kenyatta Day :

Tous les dirigeants politiques, qu'ils soient anciens ou nouveaux venus, doivent comprendre que semer des germes de discorde, reelle ou apparente, entre les individus peut mettre en danger les fondations de l'unite pour laquelle nous nous sommes tant battus (...) Nous avons connu, de temps a autres, le son infortune des voix de la discorde, de la suspicion et meme de l'hostilit&. Pour moi, je le d6plore profond6ment. Mais laissez-moi redire que mon gouvernement est pret a s'opposer a toute menace de porter atteinte a l'integrit6 nationale du Kenya et qu'il en est pleinement capable 14

L'amendement, sa simple evocation du moins, est des lors enterre. Mais pendant les mois qui vont suivre, il servira en quelque sorte de ligne de d6mar- cation politique. Les ministres, les d6put6s, les responsables du parti se verront rang6s d'un c6t6 ou de l'autre selon qu'ils auront pris parti pour ou contre la proposition; car, et c'est I'aspect le plus frappant de cet 6pisode, I'amendement a divis6 les hommes 'a l'int6rieur du Parlement, bien str, comme h l'int6rieur du parti. Ces regroupements, ult6rieurement personnalis6s et d6sign6s du nom de leurs chefs de file respectifs, se retrouveront sans grand changement sur une autre proposition d'amendement, visant, elle, la constitution de la KANU, et stipulant que les l61ections devront avoir lieu 8 bulletins secrets: on parlera alors des ' pro-amendements > (Daniel arap Moi, candidat i la vice-pr6sidence de la KANU; Mwai Kibaki, i la Chairmanship) et des supporters de la Constitution

14. ( Text of President's Speech o, The Weekly Review 89, 25 octobre 1976, p. 4.

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(Taita Towett, candidat 'a la vice-presidence; Njoroge Mungai, puis James Gichuru, candidats a la Chairmanship) 15.

Finalement, la direction du parti a fix6 la date limite des consultations dans les districts au 31 d6cembre 1976; elle sera a peu pris respect6e, sauf dans les deux principales villes du pays : Mombasa (oui est 6lu le d6put6 Shariff Nassir) et Nairobi (ob Njoroge Mungai l'emporte). Ces 61ections suscitent de nombreuses contestations, dont une seule sera accept6e par l'6tat-major du parti : l'un de ses membres a 6t6 battu a Narok ; les 6lections seront refaites et les memes hommes r66lus. Dans l'ensemble, la designation des responsables des sections du parti n'apporte pas grande surprise; elle enregistre presque partout un rapport de force d6jai 6tabli et consolide la position de la plupart des notables locaux, l'exception la plus marquante se situant ' Kericho oP Taita Towett, ministre de l'Education et aspirant

' un r6le national, ne parvient pas a conqu6rir la pr6sidence de la section. La date de la conf6rence nationale est fix6e au 3 avril 1977 ; dans les deux camps, chez les outsiders, la campagne est vive ; au d6but du mois, les

d616gu6s commencent d'arriver a Nairobi. La conf6rence est annul6e sine die, et sans explications, a la veille meme de sa reunion... Faute de lice, le tournoi est supprim6, mais les combats vont reprendre autrement, ailleurs.

III/// - PARLEMENT, SYNDICA TS, ASSOCIA TIONS

Car, si le vice-pr6sident Daniel arap Moi, tate de liste des << pro-amendements >, annonce en mai 1977 qu'il va consulter Mzee Kenyatta pour que soit fix6e une nouvelle date d'6lection, 'a la fin de l'ann6e, il semble qu'aucune d6cision n'ait 6t6 prise. Malgr6 une tris violente campagne d6clench6e par le Standard de Nairobi (quotidien de langue anglaise rattach6 au groupe Lonrho) contre Robert Matano, ministre des Collectivit6s locales faisant fonction de secr6taire-g6n6ral (acting general secretary) du parti et candidat 'a ce poste dans l'6quipe arap Moi; malgr6 une intervention de G. G. Kariuku, secr6taire d'1?tat 'a la Terre, demandant en juin que soient tranch6s les problemes de leadership dans le parti.

C'est qu'il s'agit en fait de tout autre chose. D'un c6t6, le gouvernement kenyan parait surtout pr6occup6 de politique 6trangere: la Communaut6 est- africaine s'6croule, la Tanzanie ferme ses frontieres avec le Kenya, les relations avec l'Ouganda sont toujours aussi difficiles, et surtout la vaste offensive d6clench6e en Ogaden par le Front de lib6ration de la Somalie occidentale suscite la crainte, malgr6 les assurances r6it6r6es par le pr6sident Siad Barre, que la Somalie ne tente de prendre possession directement ou indirectement des districts somali du nord-est kenyan. Sur un autre plan, le gouvernement doit faire face nA certaines r6organisations de ses services: il lui faut assurer la gestion de corporations fonctionnant jusqu'alors sur une base communautaire, cr6er une compagnie d'aviation ind6pendante.

15. Cet amendement se trouve int6gr6 (p. 5 bis, ? 4g) dans le texte de la Constitution cite en note (2). Le candidat des deux groupes pour le poste de pr6sident (President) 6tait 6videmment Jomo Kenyatta; le poste de National Chairman ne vient qu'en quatrieme position dans l'organigramme et son d6tenteur pourra supplker en cas d'absence au President ou au Secr6taire-g6neral (Constitution ? 4/d/iv).

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I1 semble donc que le politique doive c6der le pas a l'6conomique ; et le gouvernement incline d'autant plus a cette perspective que les r6sultats de 1976 et du d6but 1977 montrent une am6lioration remarquable des indicateurs par rapport a la p6riode de d6pression 1974-75. Les cours du caf6 et du th6 ont

grimp6 en fleche, fournissant des ressources presque inesp6r6es au Tr6sor et permettant au ministre des Finances de pr6senter en juin 1977 un budget ambitieux malgr6 les difficult6s occasionn6es par la perte des march6s d'expor- tation est-africains qui repr6sentaient 68,1% des exportations du Kenya en direction de l'Afrique. Certains critiques laissent entendre que les estimations prospectives alors pr6sent6es sont plus dangereuses qu'autre chose car reposant sur un 6tat fragile de cours hautement sensibles a la sp6culation et craignent que, dans les mois a venir, le ministre ne soit contraint de pr6senter nombre de correctifs sous forme de budgets suppl6mentaires (mini-budgets). Ce d6bat pr6vi- sionnel sera assez vite d61aiss6 ; mais ii d6bouche directement sur le domaine des conflits politiques dans la mesure oui ii ouvre un nouveau champ oi les clans en pr6sence pourront se mesurer.

Alors, le Parlement peut redevenir un forum oP certains projets sont sujets a critiques qui, sous un aspect technique, posent en fait le probleme des rapports sociaux au Kenya. Des le lendemain de l'annulation des 61ections dans le parti, certains

parlementaires, attaquent dans cette direction: un projet pr6sent6 par

le gouvernement et visant a un amenagement du r6gime des retraites (Pensions [Amendment] Bill) est renvoy6 a six mois parce qu'il ne fait pas r6f6rence au Sessional Paper nO 10 (texte de 1965, d6finissant le <<socialisme >> kenyan) et integre les recommandations du rapport Ndegwa sur l'intervention des fonction- naires dans les affaires priv6es. Mais l'arrestation de George T. Anyona rappelle que l'ex6cutif entend bien ne pas laisser se d6velopper le moindre petit germe de fronde.

Les parlementaires ne se r6signent pas tout a fait ; l'6veque Lawi Imathiu, d6put6 nomm6, proteste solennellement contre la d6tention de celui que la presse avait surnomm6 le one man backbench, et, par la suite, les interventions non conformes se couvriront syst6matiquement d'apparences techniques: d6bat sur le budget en juin 1977 o&' Kihika Kimani, d6put6 de Nakuru Nord, proteste contre l'absence de mesures pour r6sorber le ch6mage dans les plans gouverne- mentaux, oii d'autres condamnent l'61argissement de l'6cart entre les riches et les pauvres ; d6bat sur l'amendement constitutionnel instituant une Cour d'appel propre au Kenya en remplacement de la Cour d'appel est-africaine... Et puis, la mauvaise humeur, ou simplement le sentiment que le Parlement n'est plus ce qu'il 6tait, entraine une forme de resistance passive qui se caract6rise par un absent6isme des d6put6s de plus en plus aigu et d'autant plus remarqu6 que certains de ceux qui assistent r6gulibrement aux s6ances s'acharnent i attirer l'attention du Speaker sur le faible nombre de pr6sents. De ce fait, les suspensions de s6ance se multiplient.

Les d6put6s sont ailleurs ; car l'activit6 politique se d6ploie principalement hors de l'enceinte parlementaire. Les traditions politiques kenyanes, forg6es pendant la p6riode coloniale, pendant l'6tat d'urgence, sont habiles i trouver des chemins parallles qui, i l'6cart du parti et en dehors de l'Assembl6e,

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permettent d'entretenir l'agitation et de poursuivre les luttes. Deux terrains de substitution s'offrent imm6diatement: les associations d'entraide sociale a base ethnique ; les syndicats. Et de fait, en 1977, elles ne vont pas manquer d'animation.

Au beau milieu de la campagne pour les &lections dans la KANU, Odinga Oginga, le vieux leader nationaliste, ancien vice-pr6sident maintenu a l'6cart de la vie politique depuis l'interdiction de la Kenya People's Union, avait refait surface, annoncant sa candidature isolee au poste de vice-pr6sident du parti, pour entendre l'6tat-major r6pliquer imm6diatement qu'il n'y pouvait pr6tendre du fait de son pass6 politique. Ce test effectu6, persuad6 d'&tre toujours en butte a l'hostilit6 de certains milieux dirigeants du pays, Odinga Oginga va multiplier les initiatives tendant a le montrer et comme le repr6sentant des Luo, injustement absents des postes de d6cision depuis son 6viction et l'assassinat de Tom Mboya, et comme un sage fourbu d'exp6rience, garant d'un nationalisme toujours vivace, proche des preoccupations populaires, un Mzee 6ventuel appel6 a servir le pays tout entier si le besoin s'en faisait sentir. 11 gomme le c6t6 le plus radical de son personnage, d6clare qu'il ne peut &tre communiste puisqu'il n'a pas lu Marx, parle de la presse, de l'6conomie, r6affirme sa loyaut6

' Jomo Kenyatta (et rappelle

qu'il fut l'un des premiers ' r6clamer sa lib6ration dans les ann6es cinquante) et

a la KANU. 11 entreprend de renforcer sa base locale en proposant un plan de relance de la compagnie qui coiffe les relations de clienteles dont il est le patron dans le Kenya occidental : la Luo Thrift and Trading Corporation. Il est suivi en pays luo: en avril 1977, apres l'annulation de la Conf6rence des d6l6gu6s, un certain nombre de notables luo (et non des moindres ; on compte parmi eux Achieng Oneko, autre figure de la saga nationaliste du Kenya, et Samuel Ayodo, ancien ministre du Tourisme) r6unis a Oyugis, rendent publique une d6claration rappelant que la KPU est < interdite, morte et oubli6e >, mais invitant Odinga Oginga

' reprendre la tate de la communaut6 luo. Cette declaration d'Oyugis est

ensuite reprise par la section de Mombasa de la Luo Union, par celle de Nairobi et surtout par le conseil ex6cutif de cette association dont le president, Paul Mboya, d6clare :

la communaut6 (luo) s'est trouvee comme un bateau sans capitaine dans le champ politique 16.

Enfin, en juin, le d6put6 Samson Onyango Ayodo annonce que les dirigeants luo vont demander au gouvernement les raisons du refus oppose6 Odinga Oginga de prendre part aux 61ections dans le parti et au Parlement. Cette puissante rentr6e en scene de < double O > n'est pas par tous bien accueillie ; y compris parmi les politiciens luo: un secr6taire d'1'tat, responsable de la KANU pour Nyanza Sud, a, des le d6part, d6clare que < le temps des anciens patronages politiques est pass6 >, pour revenir i la charge en mai, avec quelques-uns de ses amis, et affirmer qu'Odinga Oginga ne peut 6tre leader des Luo si son ? cas > n'a pas 6t6 6clairci par la direction du parti.

La Luo Union, engag6e dans la bataille pour la r6habilitation politique d'Odinga Oginga (ce qui est, en mime temps, une fagon de se situer contre ceux

16. The Standard, 14 mai 1977. Le texte publi6 dans ce journal est d'ailleurs marque d'une << coquille>> symboliquement int6ressante ; il y est en effet 6crit: < The community has been like a sheep [un mouton] without a captain in the political field... >.

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qui veulent lui barrer le chemin et qui siegent au cabinet ou a la tite du parti), la Luo Thrift and Trading Corporation tentant de mettre fin a ses difficult6s finan- cieres pour renforcer ses activit6s, t6moignent d'un renouveau de la vie associa- tive, de tous temps li6e a la vie politique et de plus en plus pr6sente dans la vie 6conomique.

Le 16ger bouillonnement qui l'anime n'est pas propre au pays luo; en bien des points du Kenya on assiste a une << dynamisation > des associations, quand ce n'est pas a l'annonce de la creation d'organisations neuves. Dans tous les cas ou presque, il est fait r6f6rence a la GEMA (Gikuyu, Embu, Meru Association) ; il n'y a 1l rien d'6tonnant, la puissance 6conomique, financiere, et bien qu'elle ne veuille pas trop le montrer, politique de l'association des Kikuyu, Embu et Meru est telle qu'elle fournit un module envi6 a toutes ces organisations d'entraide a base ethnique, d'autant plus que sa force s'est construite en relativement peu de temps. Ce qui tranche peut-&tre plus sur le passe imm6diat, c'est que cette r6f6rence n'est pas faite d'hostilit6, mais souvent exprime une volont6 de rapprochement: on trouvait, dans la D6claration d'Oyugis, un appel aux Luo pour qu'ils travaillent en collaboration avec les autres soci6t6s d'entraide, et tout

sp6cialement avec la GEMA. De la mime manibre, renouant des liens d'amiti6 traditionnels entre Kikuyu et Kamba, Mulu Mutisya, president de la New Akamba Union, rappelait en mai 1977 que son organisation entendait oeuvrer en liaison avec la GEMA et vantait cette dernibre pour avoir recueilli 400000 shillings en faveur d'un projet de d6veloppement hydraulique en Ukambani.

Renouveau des associations, resserrement des liens entre elles, pr66minence tacitement reconnue de la GEMA; ph6nomines sans doute compensatoires des blocages momentanes de la vie politique aux instances centrales du systeme. Mais, contrecoup de ce d6tournement, la lutte factionnelle reprend de plus belle dans les associations. Et d'abord, dans la GEMA. Daniel arap Moi, le vice- president, donne, a mots couverts, le ton en mai 1977 lorsqu'il d6clare son intention d'interdire les organisations d'entraide si elles se milent de politique; tout le monde comprend g qui il s'adresse et, deux jours plus tard, la question p6nitre la GEMA lors d'une r6union tenue & Embu. D'un c6t6, le secr6taire g6n6ral national de l'association, Stanley Ireri Njeru, pr6cise que la GEMA n'a pas de plan pour 61iminer qui que ce soit; de l'autre, le pr6sident de la section d'Embu accuse < certaines personnes > d'avoir projet6 de renverser le gouver- nement le 3 avril, au cours de la conf6rence des d616gu6s de la KANU, et les participants condamnent

ceux que l'on achlte avec de l'argent 6tranger pour semer des germes de discorde au sein de la GEMA et des citoyens k6nyans en g6nlra 17,

d6claration typique d'un certain langage politique qui signale sans 6quivoque des affrontements internes dont on veut taire I'enjeu v6ritable. La querelle 6clate au grand jour en octobre ; le prtexte en est la gestion d'une puissante compagnie d6pendant de la GEMA, la Ngwataniro Company de Nakuru dont le directeur est Kihika Kimani, le plus actif des repr6sentants politiques de la GEMA, d6put6 de Nakuru Nord, meneur de jeu de la chasse anticontestataires aprrs l'assassinat de J. M. Kariuki, puis candidat sur la liste Mungai/Gichuru lors des l61ections avort6es

17. The Standard, 9 mai 1977.

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' la KANU, critique du budget present6 par le ministre des Finances, Mwai Kibaki (membre lui aussi de la GEMA, mais candidat sur la liste arap Moi)... Kihika Kimani convoque des 61ections au Comit6 directeur de la Ngwataniro Company, il se heure a une vive opposition r6clamant son depart (ce qui l'affaiblirait consi- d6rablement sur le plan politique) ; il remporte ces el1ections et exclut ses adversaires.

Autre lieu de transfert des affrontements politiques : les rapports salari6s/ employeurs et l'action syndicale. Dans un premier temps, le niveau des salaires fait l'objet d'un marchandage habituel: la COTU (Confederation of Trade Unions) r6clame des augmentations des r6mun6rations ; des n6gociations s'engagent avec le ministere du Travail; elles trainent un peu; la centrale syndicale brandit I'arme de la grave (en fait, interdite) ; des am61iorations de traitement sont finalement octroyees dans les principaux secteurs d'activit6, a un niveau que les syndicats jugent insuffisant. Rien ici que de tres banal pour le Kenya; a ceci pres que ce jeu revendicatif permet d'insister sur les probl'mes end6miques dont souffre l'6conomie kenyane : le ch6mage, le sous-emploi, l'inflation, donc de mettre le doigt sur les 6checs de la politique gouvernementale. En 1977, on l'a vu, cette argumentation fraye sa voie jusqu'au Parlement. Pourtant, ce n'est pas a ce niveau que les positions de la COTU face aux problemes de l'emploi vont trouver leur expression la plus forte et la plus pol6mique. En mai 1977, elle met en cause, sans d'abord les nommer, << deux d6put6s > de Mombassa dans une affaire de recrutement illegal de travailleurs kenyans pour l'Arabie saoudite ; le lende- main, Said Hemed Said et Shariff Nassir r6pliquent vertement, d6mentent avoir agi ill6galement, avoir touche des commissions sur les contrats d'embauche, disent avoir mis la COTU et le ministere du Travail au courant de leur entreprise et, pour finir, accusent la Conf6d6ration d'etre < antigouvernementale >. Pour cette allegation, le secr6taire g6neral de la COTU, Juma Boy, menace de poursuivre les deux parlementaires devant les tribunaux. On peut saisir dans ce conflit la r6surgence d'une ancienne rivalit6 entre Shariff Nassir et Juma Boy dont l'enjeu est le contr6le politique des travailleurs du port de Mombassa, nombreux et puissamment organis6s. Toutefois, que ce conflit se manifeste a nouveau a propos des problmes de l'emploi pos6s dans le contexte des relations arabo-kenyanes au d6veloppement desquelles le fils du president Kenyatta, Peter Muigai, nomm6 en mai secretaire d'Etat aux Affaires 6trangeres, a pris une part pr6pond6rante; qu'il mette aux prises un dirigeant syndical qui est aussi d6put6 et plut6t consid6r6 comme < radical > avec un homme qui s'6tait mis en avant dans le camp arap Moi lors des 61ections a la KANU, ne saurait &tre politiquement indifferent. D'autant moins qu'il est l'occasion de d6velopper une campagne anti-Boy g l'int6- rieur de la COTU. Celui-ci est en effet accuse par quelques dirigeants de syndicats conf6d6r6s de vouloir introduire la centrale dans la

<•politique du pouvoir (power politics); I'attaque est notamment men6e par John Mollo, secr6taire g6n6ral du syndicat des chemins de fer et des ports. L'affaire sera momentan6ment r6gl6e lors de la r6union du Comit6 directeur de la COTU en novembre 1977 oii la majorit6 des participants d6cide de donner raison

. Juma Boy et d'envi-

sager avec les avocats de la Centrale le d~p6t d'une plainte contre Shariff Nassir.

On pourrait multiplier les illustrations de cette ventilation des affrontements politiques (en juillet 1977, par exemple, Robert Matano est pris B partie par

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1'Association des 6lus locaux/Local Administrative Authorities Association). Une telle profusion risquerait de laisser a penser que l'interpr6tation doit se borner au simple niveau des rivalit6s de clientele et que les individus plus que les politiques, encore moins les couches sociales qu'ils repr6sentent, sont ici le moteur determinant. Remise en perspective, a partir de l'assassinat de J. M. Kariuki, en prenant en compte le d6roulement et I'annulation des 61ections dans la KANU, cette animation semble, en fait, s'ordonner comme une lutte multifrontale de deux camps, aux contours impr6cis et fluctuants, autour de l'orientation de la politique 6conomique du Kenya, reprenant sous une forme quelque peu <<modernis6e > des vieux themes du nationalisme. Derriere le problme de l'emploi, c'est la pr6sence d'un grand nombre d'experts 6trangers dans le pays qui est mise en question, et d6rivant directement de la, c'est le r6le des firmes 6trangeres, la domination de l'6conomie par les multinationales qui se trouvent attaqu6s, donc et les hommes qui ont permis cette situation et ceux qui en ont profit6.

IV - NA TIONALISTES CONTRE MULTINA TIONALISTES ?

Au cours des deux annees 6coulees, le jeu politique s'est transport6 successi- vement du Parlement au parti puis aux associations et au syndicat ; en fait, les trois niveaux fonctionhent toujours ensemble, et ne cessent d'influer l'un sur l'autre, meme dans les p6riodes prises en r6f6rence. L'int6ret des ann6es 75-77 a 6t6, par suite du blocage de deux des instances de la vie politique kenyane, le Parlement et le parti, de mettre en 6vidence 1'existence pratique de ces trois arenes et de d6couvrir, peut-&re un peu plus qu'auparavant, le r6le des associations d'entraide a base ethnique.

Les rapports du parti et du Parlement sont en quelque sorte alternatifs. Dans le systeme politique kenyan, le Parlement occupe une place particuliere : il est la caisse de r6sonnance de la voix populaire ; il r6alise, fiddle 'a la tradition britannique, l'unit6 concrete du Pr6sident et du peuple par l'interm6diaire de ses

l1us, puisque le President est membre du Parlement. Cela implique aussi, dans l'orientation sp6cifique que les dirigeants kenyans ont donn6e a l'institution, qu'il ne saurait avoir de pouvoir, encore moins repr6senter une source de contes- tation. Le Pr6sident d6tient le pouvoir, de 16gitimit6 historique aussi bien que populaire ; il l'exerce par l'interm6diaire de ses ministres ; la voix des citoyens, sauf si elle est ali6n6e et fauss6e par des politiciens <<prophetes de malheur > eux-memes probablement manipul6s par 1'< 6<tranger >, ne saurait que constater le bien-fond6 de l'action du President, et la soutenir. Le Parlement peut, par contre, critiquer le comportement des ex6cutants, et c'est de

1. qu'il tient la

verve tant vant6e qui sert d'illustration d6mocratique. Mais la marge est 6troite entre la contestation des < hommes du Pr6sident > et l'attaque voil6e contre le Pr6sident lui-mime : les d6bats et enquites de 1975 l'ont amplement d6montr6. Dans cette libert6 surveill6e de la parole parlementaire, il y a un risque de d6rapage qui, I'iddologie aidant, peut entrainer le blocage du systime. L'histoire du Kenya, le r61e qu'a tenu le Conseil 16gislatif dans l'expression du sentiment nationaliste, la configuration des constitutions adapt6es du modble de Westminster ont contribu6 a s6cr6ter une iddologie du r6gime dans laquelle le Parlement est central; il n'est donc pas vraiment possible de le ligoter sans d6roger

. cette

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248 CANADIAN JOURNAL OF AFRICAN STUDIES

ideologie ; d'oui la renaissance, jusqu'a' present inevitable, d'un discours parle- mentaire critique. Mais ce pan de l'id6ologie est contradictoire avec le mythe du President qui le fait tout different d'un monarque constitutionnel ; ici, non seulement Jomo Kenyatta gouverne, mais encore il personnifie le nationalisme et symbolise la Nation dans une tonalit6 qui n'est pas celle des souverains britanniques. Lorsque la contradiction devient trop aiguO entre l'id6ologie parle- mentaire, le mythe et le pouvoir presidentiels conjugu6s, il apparait que c'est, malgr6 tout, les seconds qui 1'emportent ; I'intervention se fait en violation des regles parlementaires, de la plus haute d'entre elles : l'immunit6. Et cela entraine normalement un blocage partiel et temporaire des fonctions politiques du Parle- ment, en tant que lieu de d61ib6ration, de confrontation et de critique.

Analysant minutieusement la vie politique du Kenya de l'ind6pendance a 1968, Cherry Gertzel avait pose le problme des rapports du parti et du Parlement dans les termes :

le parlement fournit une alternative au parti. [Elle pr6cisait] ce fut la faiblesse de l'organisation du parti qui constitua le facteur le plus d&terminant pour que le parlement fournisse le forum des d6bats nationaux (...) Au Kenya, donc, les problmes typiques d'un ttat a parti unique 6taient inverses : le gouvernement 6tait gene par l'intensit6 des d6bats dans les organes gouvernementaux et par l'absence virtuelle de d6bats a l'interieur du parti 18.

Depuis 1968, depuis que la position de la KANU en tant que parti unique de fait n'a plus 6t6 susceptible de mise en cause, on s'est apergu que la relation fonctionnait dans les deux sens: lorsque le gouvernement devient trop < gen6 >, il intervient, mais alors impose une sourdine au Parlement, et par contre-coup, le champ politique principal devient le parti. Car le point essentiel n'est peut- tre pas l'existence d'un d6bat, au sens de confrontation de projets de soci6t6 ou d'id6ologie, tout du moins plus depuis l'interdiction de la KPU (Kenya People's Union). En paroles, tous les politiciens kenyans sont d'accord sur l'essentiel; ce qui tient lieu de d6bat, ce qui sous-tend les confrontations au Parlement ou ailleurs, c'est la lutte factionnelle ; mais celle-ci n'est que le moyen par lequel s'expriment les oppositions politiques v6ritables : les int6rets sociaux que repr6- sentent ou affectent de repr6senter les hommes politiques. C'est pourquoi la lutte politique prend toujours l'allure d'une competition de clans ohi les hommes se mesurent en n'employant qu'un discours parfaitement st6r6otyp6, et code, quand son enjeu apparait ailleurs, sous des atours objectifs, techniques ou scientifiques 19.

Le Parlement tient done sa verdeur de la faiblesse du parti. Lorsqu'il doit, un temps, se taire, le parti le suppl6e; plus encore, en 1976-77, le parti devenait le seul lieu oih pouvait s'exprimer la lutte pour le pouvoir, la tentative parlementaire d'amendement constitutionnel ayant 6t6 6touff6e dans l'oeuf; lancer des 61ections dans le parti 6tait un moyen de faire jouer une soupape de sfiret6 ; celle-ci a mal fonctionn6, la comp6tition a pris une ampleur, et a entrain6 une

18. Cherry GERTZEL, << Parliament in Kenya >>, op. cit., p. 138. 19. Sur l'articulation clan/faction/clientele/int6rets sociaux/lutte politique dans un

autre type de situation africaine, voir Christian COULON, << Factions, el1ections et ideologie au S6n6gal >, dans C.E.R.I./C.E.A.N., Aux urnes l'Afrique, Elections et pouvoirs en Afrique noire, Paris, P6done (h paraitre).

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DEPENDANCE ET LUTTES POLITIQUES AU KENYA, 1975-41977 249

incertitude telle qu'elles n'6taient plus supportables sans risque pour le regime dans son ensemble; le processus devait donc &tre interrompu avant terme. Norma- lement, le Parlement aurait diO prendre la relive ; il ne le pouvait pas alors et c'est pourquoi, comme une sorte de dernier ressort, les associations et le syndicat resterent seuls en piste. C'6tait donc leur pr66minence, et non leur activit6 politique a couvert, qui fait l'originalit6 de la situation de 1977 : les associations qui, ordinairement, carrossent des relations de clientele utilis6es a des fins poli- tiques deviennent presque directement des forces politiques en elles-memes, et cela explique sans doute qu'y redoublent (au moins dans les plus importantes d'entre elles) les luttes factionnelles.

Ce qui a peut-etre 6t6 essentiel dans cette absence de p6riode de latence, dans cette substitution imm6diate d'un champ politique a un autre dans la continuit6 de la comp6tition, c'est l'aiguisement des contradictions dans la soci6t6 kenyane se traduisant par une forme de bipolarisation politique : les trois groupes qui semblaient ressortir de l'analyse des 6v6nements ayant suivi l'assassinat de Kariuku se sont mu6s en deux camps principaux lors de la campagne pour les

61lections dans la KANU. Deux interpr6tations de ce ph6nomene ont 6t6 quelque- fois avanc6es : les querelles qui agiterent alors le Kenya seraient, pour les uns, la cons6quence d'un conflit de g6n6rations, les politiciens les plus anciens se trouvant en butte a l'hostilit6 de nouveaux venus ambitieux qui souhaiteraient rapidement prendre leur place; pour les autres, elles marqueraient la renaissance virulente des affrontements r6gionaux au niveau national et des coalitions qui, autrefois, les traduisaient politiquement : la KANU r6alisant l'Union Luo-Kikuyu- Kamba, la KADU (Kenya African Democratic Union qui, pour l'essentiel, s'int6gra a la KANU en novembre 1964) regroupant les << petites > tribus : Luhya, Kalenjin, Massai, C6tiers.

Alors que les camps en presence n'6taient pas encore clairement form6s, la seconde hypothese pouvait sembler avoir quelque fondement. Mais, des lors que la dynamique de la competition pour les postes nationaux conduisait les hommes en pr6sence a se constituer en listes informelles, en 6quipes oui chacun avait precis6 le poste qu'il briguait, la cr6dibilit6 politique des groupes reposait en partie sur leur envergure. Une 6quipe homogene ethniquement n'aurait eu aucune chance. Chacune devait compter des membres des principaux groupes ethniques et des diff6rentes g6nerations ; et les clivages de s'op6rer selon d'autres lignes : Kikuyu, Luo, C6tiers, gens de la Rift Valley, Kamba 6taient pr6sents des deux c6t6s, comme l'6taient politiciens chenus et jeunes loups.

Consid6r6 sous cet angle, le problme parait insoluble. I1 faut done envisager un point de vue plus large, r6int6grant dans le champ politique et dans les facteurs de la lutte pour le pouvoir l'6volution de la situation 6conomique. Celle-ci a suivi, en 1976-77, une courbe favorable; mais elle n'a pas tout r6solu. Notam- ment si l'on estime que la r6cession qui a touch6 le Kenya en 1974-75 r6sultait de causes structurelles et non simplement conjoncturelles; plus encore, lorsque l'on constate que le redressement r6cent repose, lui, sur un heureux concours de circonstances. Dbs lors, la r6cession, malgr6 le redressement, apparait bien comme le signe d'une crise g6n6rale de l'6conomie kenyane, crise d~crite

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250 REVUE CANADIENNE DES ETUDES AFRICAINES

en son incubation par plusieurs observateurs 20. Opinion que confortait, une fois encore, la Banque mondiale, avertissant r6cemment que les cours 61ev6s du caf6 et du th6 n'6taient pas appel6s 'a durer et conseillant aux pays dont ils constituent une part importante des revenus de diversifier leurs productions 21.

Selon ces analyses, la faiblesse de l'6conomie kenyane tient, en termes

simplifies, 'a la domination des int6rets 6trangers sur les secteurs les plus productifs. La politique des gouvernements kenyans depuis l'ind6pendance a plut6t tendu '

favoriser ces int6rets qu'a les combattre, le d6veloppement 6tant suppos6 se construire ia partir de l'impact d'investissements que l'on n'escomptait pas d6gager du pays lui-meme ; cette d6pendance se renforgant de l'accent mis, en ce qui conccerne l'agriculture, sur l'intensification des cultures d'exportation. D'un point de vue politique, il est remarquable que, des hommes ayant personnifi6, d'une facon ou d'une autre, cette orientation, trois se soient retrouv6s dans le meme camp lors des 6lections a la KANU: Mwai Kibaki, le ministre des Finances, Daniel arap Moi, le vice-pr6sident, et Stanley Oloitiptip, le ministre des Ressources naturelles.

Ce modele de d6veloppement n'est guere favorable a certains secteurs de la population kenyane : les paysans sans terre et les petits agriculteurs non ou mal int6gr6s dans les circuits commerciaux, notamment ceux d6bouchant sur 1'exportation; les salari6s de ce que le rapport du Bureau international du travail appelle le << secteur informel>> (6choppes, petits ateliers, etc.) et les ch6meurs urbains. Ce sont les int6rets de ces couches que d6fendent dans leurs discours, dans leurs interventions au Parlement, les politiciens contestataires qu'on pourrait qualifier de populistes.

Cette politique de d6pendance brise 6galement les esp6rances d'une couche d'entrepreneurs kenyans, petits ou moyens, qui se trouvent born6s dans le d6ve- loppement de leurs activit6s par l'emprise des grandes soci6t6s 6trangeres, et souvent multinationales, par l'asphyxie des r6seaux d'6pargne contr616e par les banques et 'a laquelle ni les r6formes successives, ni les organismes officiels n'ont vraiment apport6 de solution 22. Ces hommes se heurtent donc 'a la fois 'a la puissance 6conomique de l'6tranger et 'a la puissance 6tatique qui 6rige les reglements encadrant l'activit6 des entreprises, qui contr6le en partie le cr6dit par l'interm6diaire d'organismes tels que le Tr6sor et l'Industrial and Commercial Development Corporation. C'est Ba l'Itat qu'ils se trouvent le plus directement

20. Voir Emploi, revenus et egalites, strategie pour accroftre l'emploi productif au Kenya, Geneve, Bureau international du travail, 1972; Kenya: Into the Second Decade, Report of a Mission Sent to Kenya, by the World Bank, London, The John Hopkins Uni- versity Press, 1975; Colin LEYS, op. cit.

21. <<Kenya Celebrates Anticipated Surplus>>, Africa (Londres) 70, juin 1977, pp. 97-100.

22. Voir J. J. JORGENSEN, <<Multinational Corporation and the Indigenization of the Kenyan Economy >, dans C. G. WIDSTRAND (6d.), Multinational Firms in Africa, Uppsala, Scandinavian Institute of African Studies, 1975; S. LANGDON, << Multinational Corporations, Taste Transfer and Underdevelopment>>, Review of African Political Economy 2, 1975; P. MARRIS et A. SOMMERSET, African Businessmen, A Study of Entrepreneurship and Development in Kenya, London, Routledge and Kegan Paul, 1971.

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DEPENDANCE ET LUTTES POLITIQUES AU KENYA, 1975-1977 251

confrontes, et bien que son action n'ait pas 6t6 entierement n6gative a leur 6gard, ils ont le sentiment que les dirigeants actuels ne leur accordent ni I'attention ni l'aide qu'ils m6ritent. Depuis 1970, le nombre des entreprises africaines du Kenya s'est accru ; leur taille moyenne 6galement ; plus important sans doute, on a assist6 a un mouvement de ces firmes africaines des secteurs commerciaux vers les secteurs productifs et meme 'a la prise de contr61e par des Kenyans africains de soci6t6s 6trangeres 23. Leur puissance 6conomique est donc tout

" fait r6elle ;

leur pouvoir politique n'est pas a sa mesure. Car si ces << entrepreneurs locaux > et cette bourgeoisie nationale sont repr6sent6s au Parlement, ils n'ont que peu de place au gouvernement et dans la tres haute administration ; pour croitre encore, il leur faut y acc6der. Les revendications et le << nationalisme 6conomique > de cette bourgeoisie nationale en aspiration s'expriment, avec plus ou moins de

pr6cision et de force, a travers leurs associations professionnelles ou des organi- sations telles que la GEMA. Or, dans l'autre camp, celui qui eut successivement pour tetes de file, Njoroge Mungai puis James Gichuru, on rencontre c6te a c6te, des populistes comme George T. Anyona, des hommes 6troitement li6s i l'aile < nationaliste>> de la GEMA comme Kihika Kimani, une repr6sentante du < radicalisme historique > (expression plus ancienne du nationalisme 6conomique, entre autres) naguere associ6e a Odinga Oginga, Grace Onyango, de fortes

personnalit6s, enfin, issues du nationalisme historique comme les deux ministres mis en avant pour les 6lections a la chairmanship de la KANU.

Une telle coalition peut paraitre terriblement h6t6roclite, surtout si I'on se souvient de la bataille qui opposa Kihika Kimani et ses amis aux populistes, apres le meurtre de J. M. Kariuki. Pourtant, I'hypothese la plus vraisemblable serait que l'un des axes de constitution de ces 6quipes, le principal peut-etre, repr6sen- terait la transmission dans le champ politique de conflits d'int6rtes 6conomiques transcendant, compte tenu de la situation, les antagonismes pass6s. Les 61ections dans le parti auraient alors 6t6 le moment de l'apparition de nouvelles alliances politiques en quete d'un pouvoir leur donnant le moyen de poursuivre, ou de modifier, la pr6sente politique 6conomique. Pour simplifier, on aurait assist6 au combat des << nationalistes > contre les << multinationalistes >.

La ligne de d6marcation ne passe probablement pas aussi clairement que cela la1 oii on vient de le dire. II faut d'abord tenir compte de la concurrence que se livrent les multinationales pour la conquete de certains marches africains; il n'est donc pas impensable que certaine d'entre elles favorise le cas 6ch6ant un < nationalisme 6conomique > qui aiderait ' affaiblir ses rivales. La politique africaine de la Lonrho, la pr6sence de certains hommes dans l'6quipe Mungai/ Gichuru, le discret soutien apport6 par le Standard de Nairobi (contr616 par la mime firme) g leur camp avant les 61ections, les attaques violentes qu'il langa contre Robert Matano, candidat sur l'autre liste et responsable de 1' < organisation > des 61ections, apris leur ajournement, inclinent i nuancer la port6e de ce nationalisme 24

23. Voir Nicola SWAINSON, article cit6. 24. Voir S. CRONJE, M. LING et G. CRONJE, Lonrho, Portrait of a Multinational,

Harmondsworth, Penguin Books, 1976.

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252 CANADIAN JOURNAL OF AFRICAN STUDIES

V-ALLIANCES POLITIQUES, LUTTES FACTIONNELLES ET ASPIRATIONS POPULAIRES

On doit en outre s'interroger sur la nature meme des alliances apparues a l'occasion des 61ections dans le parti, insister sur leur caractere 6ph6mere, donc sur les fluctuations possibles de leurs frontieres. Ces alliances, en effet, agregent les int6rets (ou des int6rets communs) de groupes sociaux rivaux, voire, dans le long terme, antagonistes (paysans sans terre, petits exploitants agricoles, salari6s et ch6meurs urbains, petits entrepreneurs du secteur << non structur6 >>, bourgeoisie nationale en aspiration) ; elles sont scell6es au sein d'une couche sociale relati- vement homogene (1' << 1elite >> politique, avec les diff6rences qu'il faut introduire entre notables locaux et politiciens 'a ambition nationale, fonctionnaires et hommes du priv6, etc., tous 6tant en relation par l'entremise des r6seaux de clientele) 25, bien que parcourue de rivalit6s factionnelles visant alors plus l'exercice du pouvoir et ses retomb6es (offices

' distribuer, licences 'B accorder, cr6dits ' attribuer) que

la definition meme de la politique du pouvoir, ligne de clivage des alliances. La superposition, la coincidence ou l'opposition selon les cas des luttes faction- nelles et de la lutte politique, expliquent peut- tre en partie pourquoi ces alliances manifestent simplement des regroupements opportunistes qui peuvent se faire ou se d6faire en fonction de l'6volution respective des deux types de lutte qui traversent la vie politique kenyane, en fonction aussi des conditions conjoncturelles de la mobilisation des masses ' des fins 61ectorales.

Ainsi, selon les lieux et les moments, les alliances apparaissent-elles sous des contours diff6rents : apres le meurtre de Kariuki, pendant la campagne pour les

61lections dans la KANU, apres l'ajournement de ces 61ections. En ce troisieme temps, les deux camps circonscrits plus haut ressurgissent, en effet, mais s'expri- ment autrement: affrontement Juma Boy/Shariff Nassir qui se d6veloppe en opposition au secr6taire g6neral de la COTU de l'int6rieur meme de la Conf6- d6ration; mise en cause du r6le de Kihika Kimani dans la Ngwataniro Company et, par ricochet, dans la GEMA ; attaques de Charles Njonjo, ministre de la Justice, contre le ministere de l'Education, attaques qui ne peuvent pas ne pas toucher le responsable de ce d6partement, Taita Towett 26 et, dans l'autre sens, attaques contre Robert Matano lors du congres des 61us locaux... Et ces querelles ne sont que les plus marquantes de celles qui semblent directement politiques; elles se doublent en fait de discours qui leur donnent leur v6ritable sens, parce que traitant des enjeux v6ritables : la politique 6conomique et sociale du gouver- nement. 11 y a ce qui ressortit a la critique attrist6e devant une < erreur >, les commentaires d'une certaine presse g la suite de la destruction brutale et inopinde des bidonvilles de Nairobi : les projets de r6novation de la capitale

envisagent-ils le developpement de Nairobi pour repondre aux preferences des riches, de la bourgeoisie (middle class) et des touristes ? Ou visent-ils

1 d1ve-

lopper la cit6 pour satisfaire les besoins de la majorit6 de ses citoyens, un grand nombre desquels vit dans une pauvret6 permanente ? 27

25. Voir Joel D. BARKAN et John J. OKUMU, <<Patrons, machines et 61ections au Kenya >, dans Aux urnes l'Afrique, op. cit.

26. << Njonjo Attacks Education Ministry >>, The Weekly Review 146, 28 novembre 1977.

27. William J. HOUSE et Tony KILLICK, << Council Destroyed Jobs and Hopes >, The Nairobi Times 1, 30 octobre 1977.

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DtPENDANCE ET LUTTES POLITIQUES AU KENYA, 1975-1977 253

Il y a les dol6ances renouvel6es de la Chambre nationale du commerce kenyan (Kenya National Chamber of Commerce) devant le poids des soci6t6s 6trangeres, prenant la forme r6cemment d'attaques directes contre l'Association des industriels du Kenya (Kenya Manufacturer's Association, porte-parole du grand capital, pour l'essentiel, 6tranger) et, en g6n6ral, la grogne des << entrepreneurs >> kenyans28. Il y a, enfin, au sommet de tout cela, les prises de position r6centes de deux hommes dont le poids dans la politique kenyane est consid6rable et dans la bouche desquels un discours qui parait se rattacher aux opinions des < nationalistes

6conomiques > marque une evolution sensible des cercles dirigeants: Eliud

Mwamunga, ministre du Commerce et Duncan Ndegwa, gouverneur de la Banque centrale ont, en effet, tous deux insist6 sur les p6rils que faisaient courir a l'6conomie kenyane les soci6t6s multinationales. Il ne s'agit, bien entendu, que de discours et la r6alit6 du Kenya n'est pas telle qu'elle puisse se modifier par la magie du verbe ; les int6rets en jeu sont trop importants pour qu'un 6ventuel revirement de politique n'entraine aucune r6sistance, de l'int6rieur comme de

l'ext6rieur. Mais il ne faut pas non plus sous-estimer l'importance de ces inter- ventions, d'autant moins qu'elles se produisent 'a la suite d'une s6rie de mani- festations tendant toutes dans le meme sens:

Les observateurs voient dans ces d6clarations un changement de position d6finitif et un changement de politique imminent dans l'attitude du gouvernement A l'6gard des multinationales, ou au moins le signe d'un effort plus grand du gouvernement en faveur d'une participation locale plus importante dans les multinationales en vue d'obtenir plus de b6nefices pour le pays 29

On peut saisir, 'a tout le moins, un indice de la vivacit6 du d6bat, de son importance en termes de competition politique, des forces sociales qui le sous- tendent, tous facteurs qui poussent les hommes politiques, et jusqu'aux plus importants d'entre eux, a prendre, meme si c'est encore dans le flou et la discretion, position.

Et puis, il y a le peuple, les wananchi (les citoyens: litt6ralement, les enfants du pays) comme disent la presse et les politiciens, toujours invoqu6, au centre de ce d6bat ; le peuple, pi6taille des relations client61istes, qui intervient passivement dans le d6bat lui-meme, et activement dans le rapport de force qu'il cristallise, par le double jeu du pouvoir de marchandage que lui octroient la structure client61iste et les joutes 61ectorales ; le peuple, en position d'arbitre intermittent et consultatif. L'histoire, le mouvement des associations defendant la culture et la terre, le poids du syndicalisme, le soulevement Mau Mau, la lutte

16gale autour du Conseil 16gislatif, I'ont rompu a l'action politique ; l'id6ologie d6mocratique britannique dont l'ombre porte encore sur toute la vie politique kenyane en fait un objet de rdfdrence permanent: qui ne dit pas au nom du peuple ne parle pas en politique... Et ce peuple, mime illettr6, mime habitant

28. Michael CHEGE, <<Why Kenya is Stable: I >, African Perspectives 1, septembre- octobre 1977, pp. 11-12.

29. << Nyerere Supports Free Enterprise >, The Weekly Review 142, 31 octobre 1977, p. 6. L'article met en parallele les changements de politique economique annonc6s par Julius K. Nyerere en Tanzanie et les d6clarations de Eliud Mwamunga et de Duncan Ndegwa; peut-etre n'est-il pas indifferent qu'il ne soit titr6 que sur la Tanzanie ?

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254 REVUE CANADIENNE DES ETUDES AFRICAINES

les zones rurales, est au fait de la politique; grace aux r6seaux d'information oofficiels ou ' ses circuits propres de transmission orale, par le biais des r6unions harambee, des discours que l'on y tient, de la maniere dont elles se d6roulent, il sait qui sont les hommes, ce qu'ils disent et ce qu'ils font. Le peuple a des besoins, des aspirations qui s'expriment clairement pour qui veut les entendre ; il en d6coule des attentes t l'6gard des hommes politiques et des comportements lors des 61ections et dans les clientages (les uns 6tant indissociables des autres) 30. Dans tous les camps politiques, cela se sait fort bien, et force est d'en tenir

compte: les politiciens doivent jouer a la fois sur le registre des aspirations populaires et sur les m6canismes de mobilisation des clans et des ethnies ; la

< maniere >> d'Odinga Oginga est caract6ristique de ce fait, comme le sont le

r6le et l'activit6 de la GEMA ou des autres associations d'entraide.

Des lors, la multiplication, y compris en haut lieu, des interventions < natio- nalistes 6conomiques > parait li6e a deux ph6nomenes convergents : d'une part, la mont6e d'une bourgeoisie en esp6rance brid6e dans son d6veloppement, se

renforgant des < technocrates > fonctionnaires lib6r6s par le rapport Ndegwa, souhaitant plus de pouvoirs, et trouvant de moins en moins difficilement des

porte-parole chez les hommes politiques, quand ceux-ci ne sont pas ses repr6- sentants directs; d'autre part, I'aiguisement des contradictions sociales et I'accrois- sement du m6contentement populaire qui en r6sulte, encore aggrav6 par la brutalit6 de certaines op6rations menses par les autorit6s (destruction des bidonvilles de Nairobi, chasse aux petits vendeurs clandestins sur les marches, attitudes mitig6es a l'6gard des parking-boys dont on aura beaucoup parl6 en 1977). En faisant

porter la responsabilit6 de la misere qui touche la majorit6 de la population, des

difficult6s que connaissent beaucoup de ceux qui ont un salaire r6gulier mais vivent dans les villes, sur les soci6t6s 6trangeres ou sur les <<expatri6s >, les <<natio- nalistes 6conomiques > utilisent un langage politique traditionnel au Kenya: << C'est la faute a l'6tranger >>; ils le renversent, d'une certaine maniere, en en faisant une arme de lutte contre certains de ceux qui sont aujourd'hui au pouvoir et l'employaient hier volontiers contre les radicaux de la KANU ou de la KPU. Ils tentent par

1l. d'acqu6rir le soutien des couches m6contentes sur des objectifs

qui sont pour l'essentiel ceux de la bourgeoisie en aspiration: l'affaiblissement des multinationales, ou au moins un contrble plus 6troit des entrepreneurs kenyans sur leurs activit6s, une part plus grande a leurs b6n6fices. Ils suivent un chemi- nement habituel au Kenya en tachant a cr6er un rapport de force politique a base populaire.

VI - DEPENDANCE, ETAT, CLASSES SOCIALES

La lutte politique qui se d~roule ainsi, dans une configuration particulibre que tracent le poids de l'histoire nationaliste et la permanence des institutions comme des hommes qui les manipulent au plus haut niveau, montre que le problbme de la d6pendance est bien au coeur de la r6alit6 telle qu'elle est v6cue sur place, aux diff6rents paliers de la soci6t6 kenyane. Elle met en lumibre deux aspects de cette

30. Voir BARKAN et OKUMU, art. cit.; CHEGE, art. cit.; Geoffrey LAMB, Peasant Politics, Conflict and Development in Muranga'a, New York, St Martin's Press, 1974.

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DEPENDANCE ET LUTTES POLITIQUES AU KENYA, 1975-1977 255

r6alit6 : le r61e de l'fEtat

et les relations entre couches et classes sociales engag~es dans la competition politique.

D'une part, la conquite du pouvoir d'1tat est l'6tape oblig6e pour toute couche d'entrepreneurs locaux qui veut se constituer en bourgeoisie nationale et n'^tre pas 1' < appendice > des bourgeoisies du centre: c'est par l'Ftat qu'est possible le contr6le du capital 6tranger ; mais, il ne s'agit pas tant pour eux de le refouler que de l'encadrer, d'y &tre associ6 et d'en tirer plus directement b6n6fice, bref de se situer en position de pouvoir, donc de marchandage efficace, face aux puissances non kenyanes. C'est, de la meme maniere, par l'Etat, et par lui seul, qu'est possible la mise en oeuvre d'une politique de d6veloppement des entreprises locales (que ce soit sous forme nationale, mixte ou priv6e) et du march6 national. Cette conquete implique le remplacement de la < bourgeoisie >> d'Etat qui a v6cu de son pouvoir et des revenus qui en d6coulaient mais a pr6f6r6 accumuler st6ri- lement ou sp6culer en divers trafics plut6t que d'investir sa richesse rapidement acquise dans les secteurs productifs de l'6conomie nationale.

Toutefois, < remplacement>> ne veut dire ici ni changement des hommes les plus en vue, ni 61imination totale de l'ancien personnel politique. < Remplace- ment >> implique en fait un nouveau rapport de force 'a l'int6rieur de l'appareil d'Etat qui peut entrainer, certainement, des mises 'a l'6cart spectaculaires mais doit avant tout aboutir a l'adoption d'une autre politique 6conomique. Le systeme politique du Kenya, malgr6 la centralisation du pouvoir et les manipulations rendues possibles par le jeu des relations de clienteles, laisse un chenal 'a l'ex- pression populaire ; un trop fort m6contentement d'une grande partie de la

population risquerait de peser politiquement ; les actuels d6tenteurs du pouvoir y sont, dans une certaine mesure, sensibles. Si le poids de ce m6contentement se double d'une volont6 h6g6monique de la bourgeoisie nationale en aspiration, les dirigeants peuvent, plut6t que de resister, composer avec elle; et l'ideologie nationaliste qu'ils ne manquent pas d'afficher en toute circonstance, aussi d6phas6e soit-elle par rapport 'a leur pratique dans le domaine 6conomique, leur fournit un alibi tout trouv6 pour expliquer un 6ventuel infl6chissement des orientations gouvernementales. La stratification sociale qui s'est produite dans le Kenya ind6- pendant et la souplesse relative du systeme politique tel qu'il fonctionne doivent conduire, au moins en ce cas pr6cis, a nuancer la notion de d6pendance, 'a admettre, en tout cas, qu'il ne faut pas y voir seulement un m6canisme de domination externe, mais une relation d'interd6pendance in6gale qui exige, pour fonctionner, une certaine organisation interne des soci6t6s d6pendantes.

D'autant plus qu'au Kenya, on ne peut pas vraiment parler de foss6 infran- chissable entre la < bourgeoisie >> d'1'tat et la bourgeoisie nationale en aspiration; leurs rapports sont At l'heure actuelle domints par la comp6tition et l'affrontement, mais il se pourrait bien que des glissements, des rencontres soient possibles, surtout si l'on prend en compte l'6volution de la scene internationale et I'accen- tuation, dans les ann6es soixante-dix, de la crise g6n6rale du capitalisme. Des hommes de la bureaucratie d'Etat, ou n6s de ceux qui la peuplent, peuvent se transformer en entrepreneurs nationaux; ici encore, il n'y a aucune fatalitd, aucun d6terminisme; le Kenya en offre quelques exemples 31. Puisque le champ

31. Voir Nicola SWAINSON, art. cit.

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Page 25: Dépendance et luttes politiques au Kenya, 1975-1977: la bourgeoisie nationale à l'assaut du pouvoir d'État

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dans lequel se d6ploie l'activit6 conomique est, de part et d'autre, celui d'un systeme capitaliste int6gr6 au march6 mondial, puisqu'on ne trouve pas trace d'une strat6gie de rupture qui impliquerait le peuple dans le proces de d6velop- pement, les contradictions peuvent se r6soudre en des alliances oi~, dans une conjoncture particuliere, en fonction de redefinitions et non de renversements des orientations politiques, se retrouvaient tout ou partie des couches et des classes rivales. La bourgeoisie d'etat, la bourgeoisie nationale, la petite bourgeoisie tentant de se d6gager du secteur ? non structure >, peuvent ainsi avoir, 'a un moment ou un autre, des int6rets convergents. C'est ce qui expliquerait la bizarrerie et la fluctuation des alliances politiques qui se sont nou6es et d6nou6es r6cemment au Kenya.

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