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NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2013) 13, 303—315 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com DOSSIER : DERMATOLOGIE POUR LES GÉRIATRES Dermatologie pour les gériatres Dermatology for geriatricians D. Wallach Dermatologue, médecin (honoraire) des Hôpitaux de Paris, Paris, France Disponible sur Internet le 10 juillet 2013 MOTS CLÉS Cancer ; Dermatologie ; Pemphigoïde bulleuse ; Photo-vieillissement ; Sujet âgé Résumé Une connaissance de la dermatologie est nécessaire pour prendre en charge les per- sonnes âgées. En effet, elles présentent une grande variété de dermatoses, dont certaines peuvent avoir des conséquences graves. Nous passons ici en revue les principales carac- téristiques des affections constituant ce qu’on peut appeler la dermatologie gériatrique : conséquences esthétiques, fonctionnelles et pathologiques, du vieillissement chronologique et du photo-vieillissement ; tumeurs cutanées bénignes, cancers cutanés ; dermatoses par- ticulières au grand âge, comme la pemphigoïde bulleuse. Nous indiquons aussi le type de soins cutanés indispensables aux personnes âgées dépendantes, et les éléments permettant de soupc ¸onner une éventuelle maltraitance. Enfin, nous donnerons quelques indications sur des dermatoses fréquentes à tous âges, qui peuvent être préoccupantes chez les personnes âgées. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Cancer; Dermatology; Elderly; Pemphigoid; Photoaging Summary All elderly people have cutaneous lesions, and knowledge of the principles of der- matology is needed for their management, as some of these lesions have potentially severe, even lethal consequences. In this paper, we briefly survey the main chapters of what can be called geriatric dermatology: esthetic and pathologic consequences of cutaneous aging and photoaging; benign and malignant skin tumors; some peculiarities of dermatoses in the elderly, including pemphigoid. We provide information on the daily skin hygiene required and care of elderly patients, as well as clues for detecting elder abuse. We also include data on the care of some skin disorders which, although frequent at all ages, pose some problems in the elderly. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Adresse e-mail : [email protected] 1627-4830/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2013.06.002

Dermatologie pour les gériatres

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NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2013) 13, 303—315

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

DOSSIER : DERMATOLOGIE POUR LES GÉRIATRES

Dermatologie pour les gériatres

Dermatology for geriatricians

D. Wallach

Dermatologue, médecin (honoraire) des Hôpitaux de Paris, Paris, France

Disponible sur Internet le 10 juillet 2013

MOTS CLÉSCancer ;Dermatologie ;Pemphigoïdebulleuse ;Photo-vieillissement ;Sujet âgé

Résumé Une connaissance de la dermatologie est nécessaire pour prendre en charge les per-sonnes âgées. En effet, elles présentent une grande variété de dermatoses, dont certainespeuvent avoir des conséquences graves. Nous passons ici en revue les principales carac-téristiques des affections constituant ce qu’on peut appeler la dermatologie gériatrique :conséquences esthétiques, fonctionnelles et pathologiques, du vieillissement chronologiqueet du photo-vieillissement ; tumeurs cutanées bénignes, cancers cutanés ; dermatoses par-ticulières au grand âge, comme la pemphigoïde bulleuse. Nous indiquons aussi le type desoins cutanés indispensables aux personnes âgées dépendantes, et les éléments permettantde soupconner une éventuelle maltraitance. Enfin, nous donnerons quelques indications sur desdermatoses fréquentes à tous âges, qui peuvent être préoccupantes chez les personnes âgées.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSCancer;Dermatology;Elderly;

Summary All elderly people have cutaneous lesions, and knowledge of the principles of der-matology is needed for their management, as some of these lesions have potentially severe,even lethal consequences. In this paper, we briefly survey the main chapters of what can becalled geriatric dermatology: esthetic and pathologic consequences of cutaneous aging and

Pemphigoid;Photoaging

photoaging; benign and malignant skin tumors; some peculiarities of dermatoses in the elderly,including pemphigoid. We provide information on the daily skin hygiene required and care of

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elderly patients, as well as c some skin disorders which, altho© 2013 Elsevier Masson SAS. All r

Adresse e-mail : [email protected]

1627-4830/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droitshttp://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2013.06.002

for detecting elder abuse. We also include data on the care of

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La dermatologie est une spécialité d’organe, la gériatriest une spécialité d’âge. Elles ont donc obligatoirement unhevauchement qui interpelle sur la signification pratiquee nos savoirs. D’autant que nos patients souhaitent légiti-ement une prise en charge globale, sans être obligés de

ourir, surtout à un âge où courir ne va pas de soi, d’unédecin à l’autre.Les dermatologues doivent donc apprendre que les per-

onnes âgées ont leur spécificité. Et les gériatres doiventpprendre que pratiquement toutes les personnes âgéesnt des problèmes cutanés, ou des anomalies cutanées quiécessitent au moins un diagnostic [1]. Le but de cet articlest de passer en revue, avec un parti pris d’utilité pratiqueour les professionnels non dermatologues, quelques-unses principaux problèmes cutanés des personnes âgées, leuriagnostic et les principes de leur prise en charge.

’examen clinique en dermatologie

ne particularité essentielle en dermatologie est la pré-ondérance de la clinique et la faible part des examensomplémentaires. Ainsi l’examen clinique est essentiel ; ilbéit à des règles simples. La première de ces règles est’examiner la totalité du tégument, ce qui signifie que lesalades sont vus nus tout en respectant leur pudeur, et

vec un bon éclairage. Ces conditions peuvent être diffi-iles à obtenir si les patients ont du mal à se déshabillereuls et s’ils sont vus dans des chambres mal éclairées.lles sont pourtant essentielles. Seul un examen cliniquee tout le tégument, incluant les régions difficiles à voiroi-même comme le dos, les fesses, les plis, les régionsnale et génitale, permet de dépister les cancers cutanés,e diagnostiquer les autres dermatoses, et aussi de repéreres situations de négligence ou de maltraitance. Cet exa-en témoigne également de l’intérêt du médecin pour sonatient, ce à quoi les personnes âgées, comme les autres,ont naturellement sensibles. Lorsqu’il s’agit de patientsonnus et souvent examinés, on peut adopter la règle d’unxamen cutané complet annuel à visée de dépistage.

ygiène et soins de la peau normale

’ensemble des difficultés auxquelles sont confrontéeses personnes âgées, notamment lorsqu’elles dépendent’autrui pour les actes de la vie quotidienne, incite à débu-er cet exposé par des considérations sur les soins quotidiensécessaires à une hygiène normale [2]. La propreté a plu-ieurs fonctions : maintien du standard de vie antérieur,stime de soi, facilitation du rapport aux autres, et aussirévention des dermatoses infectieuses et des surinfections

point de départ cutané.De facon consensuelle, on estime qu’une toilette quoti-

ienne est indispensable, utilisant de l’eau et un tensioactifoux (syndet solide ou liquide) que l’on rincera. Desoins plus fréquents sont nécessaires à certaines localisa-ions : main, visage, plis, siège. Les modalités de toilette

épendent de la mobilité spontanée et des installationst du personnel disponibles. L’idéal d’une douche quoti-ienne peut être proposé comme un objectif qui sera modulén fonction des habitudes antérieures et des souhaits

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D. Wallach

ersonnels. L’application d’une crème émolliente sur lesones du corps sèches ou irritées ou fragiles est égalementonsidérée comme nécessaire pour entretenir le bon état dea peau. Coiffure et maquillage en fonction des habitudesntérieures font partie des soins quotidiens.

e vieillissement cutané

a très abondante littérature sur le vieillissement cutané estotivée en grande partie par les considérations entourant

es interventions anti-âge, qui concernent majoritairementes personnes qui sont loin d’avoir atteint l’âge de la géria-rie. Il s’agit d’interventions chirurgicales à type de lifting,t de techniques de dermatologie interventionnelle que sontes peelings, les lasers « rajeunissants », les injections de

fillers » (remplisseurs de rides) et les injections de toxineotulinique. Les demandes esthétiques sont personnelles,t nous n’approfondirons pas cette question ici. Il fautependant savoir que la prise en compte de l’esthétique

des conséquences physiques générales, psychologiques etociales qui dépassent une vision étroite de la cosmétique.es personnes âgées qui bénéficient de soins de peau, d’uneoiffure et d’un maquillage selon leurs souhaits ont uneeilleure estime d’elles-mêmes, une meilleure qualité de

ie, de meilleures interactions avec leur entourage. On agalement montré qu’un maquillage satisfaisant avait unenfluence positive sur la qualité de la marche et la préven-ion des chutes des vieillards.

ieillissement chronologique, vieillissementhoto-induit

e vieillissement cutané comporte deux composantes : leieillissement chronologique, qui concerne tout le tégu-ent, et le vieillissement photo-induit, ou photoaging, qui

’y surajoute sur les zones habituellement exposées auxayons solaires. Chacun peut se rendre compte de cetteualité en comparant, chez une même personne, une zonehotoprotégée et une zone photo-exposée : visage et fesses,u faces externe et interne de l’avant-bras. C’est le photo-ieillissement qui pose les problèmes principaux, parce qu’iloncerne les zones esthétiquement visibles, et surtout parceu’il augmente le risque de cancers cutanés. La principalemplication des dermatologues en santé publique concernea photoprotection, ou information et mise en garde contrees expositions solaires excessives, et le dépistage précocees cancers cutanés. Les expositions solaires majorent leisque de vieillissement de la peau et de cancers cuta-és. L’attitude de prudence à ce sujet doit être acquiseès l’enfance. La photoprotection (évitement des exposi-ions, crèmes photoprotectrices) et l’utilisation régulière deétinoïdes topiques sont les seules mesures efficaces pourrévenir ou atténuer les effets du photo-vieillissement.

spects cliniques du vieillissement cutané

ieillissement cutané chronologique ou intrinsèquee vieillissement cutané chronologique ou intrinsèqueonsiste essentiellement en un amincissement épider-ique, un aplatissement de la jonction dermoépidermique

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Figure 1. Hypomélanose en gouttes idiopathique. Il s’agit d’unedes très nombreuses manifestations du photo-vieillissement, qui sesurajoute au vieillissement chronologique de la peau.

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Dermatologie pour les gériatres

normalement festonnée, et un amincissement dermiqueavec diminution des fibres de la matrice extracellulaire, dunombre de fibroblastes et de la densité en microvaisseaux.Il en résulte de fines ridules superficielles, des modificationsdu microrelief de surface, une diminution de l’élasticitécutanée et une sécheresse de la peau, appelée xérose sénile.

Le vieillissement intrinsèque n’est évident que sur leszones habituellement non exposées au soleil. Sur le tronc, ilse manifeste par ces modifications du relief, par un relâ-chement et une ptose des tissus superficiels, et par lacroissance de petites lésions bénignes dont nous reparle-rons : acrochordons, kératoses séborrhéiques, taches rubis,sans signification pathologique. Sur la face interne des bras,on observe ridules superficielles, ptose et xérose.

Au niveau des cheveux, le vieillissement se traduit par unblanchiment (canitie) et une raréfaction diffuse de la che-velure, avec diminution de la densité et du diamètre descheveux. Cette alopécie est souvent difficile à distinguer del’alopécie androgénétique dont il existe deux types : mas-culin (vertex et golfes temporaux) et féminin (diffus). Il estrare que les hommes âgés se préoccupent de leur cheve-lure. Les femmes peuvent avoir recours aux teintures et auxpostiches. Les demandes de greffes de cheveux s’exprimenten général plus tôt. On observe chez les hommes âgés uneaugmentation de la pousse des sourcils, et parfois de poilsauriculaires ou nasaux. Chez la femme, un certain degréd’hirsutisme (moustache, favoris) peut survenir du fait dela carence estrogénique post-ménopausique. Des épilationspeuvent être proposées.

Avec l’âge, la vitesse de croissance des ongles diminue etdes stries longitudinales physiologiques deviennent visibles.

Vieillissement cutané extrinsèqueLe vieillissement cutané extrinsèque est essentiellement liéaux expositions solaires. Ce photo-vieillissement concernele visage, la nuque, le dos des mains, les avant-bras, ainsique le décolleté et les jambes chez les femmes.

Sur le visage, on distingue deux variétés de photo-vieillissement :• la variété hypertrophique voit prédominer l’élastose,

modification actinique du tissu élastique dermique. Cli-niquement, on observe un épaississement de la peau, desrides épaisses, striées (stries des joues, losanges du couet de la nuque), des comédons autour des yeux, des adé-nomes sébacés ;

• dans la variété atrophique, c’est l’amincissement del’épiderme et du derme qui prédomine, dû surtout à unediminution du collagène dermique, conséquence essen-tielle des expositions aux UV. Ici la peau est fine, peuridée, atrophique, sujette aux kératoses actiniques et auxcarcinomes.

Dans les deux cas, on observe des troubles de la pigmen-tation, sous forme de lentigos actiniques (nom scientifiquedes « marguerites de cimetière »), de dyschromies variables.Chez les sujets d’origine asiatique, les hyperpigmentationssont plus marquées que les rides. Le vieillissement est égale-ment responsable d’une atrophie des tissus sous-cutanés et

d’un affaissement « gravitationnel » des tissus ayant perduleur élasticité : ptose des joues (qui peut occasionner desintertrigos périoraux, ou chéilites angulaires) et du cou(« double menton »).

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Au niveau du dos des mains, le vieillissement se manifestear un amincissement épidermique responsable d’une fragi-ité accrue, une atrophie dermique et sous-cutanée faisantessortir les vaisseaux et les tendons, et des lentigos acti-iques. On y voit aussi des kératoses actiniques, précurseursventuels de carcinomes.

Au niveau de la face d’extension des avant-bras et desambes, le vieillissement est essentiellement atrophique,vec comme conséquence fonctionnelle la dermatoporoseont nous reparlerons. On observe en outre un amincisse-ent de la peau et des troubles de la pigmentation, dont

’hypomélanose en gouttes idiopathiques (Fig. 1), faite deetites macules blanches lenticulaires.

onséquences pathologiques du vieillissementutané

érose sénilea xérose sénile, ou sécheresse de la peau liée à l’âge,st fréquente [3]. Dans une enquête francaise récente,n l’a estimée à 55 % des personnes de plus de 65 ans4]. Elle prédomine sur les membres, mais atteint tout leégument. La xérose sénile peut être responsable de pru-it, avec comme conséquences un inconfort notable, desnsomnies, des épaississements de la peau (lichénifications)t des excoriations qui peuvent être des portes d’entrée’infections. Cette xérose peut être efficacement atténuéear l’application quotidienne d’émollients. Le mécanismear lequel les émollients améliorent la xérose est le main-ien ou la réparation de la fonction de barrière épidermique,erme qui désigne la fonction de protection contre laéshydratation, la pénétration de xénobiotiques, les infec-ions, les traumatismes mécaniques, thermiques, autres.lus qu’une simple diminution du contenu de l’épiderme enau, la xérose témoigne d’une défaillance de cette fonc-ion barrière. De nombreux émollients sont disponibles etont globalement tous efficaces, à la condition d’être appli-ués régulièrement en quantités suffisantes. Dans le choix

u produit appliqué, les préférences du patient doivent êtrerioritaires.
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306 D. Wallach

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Figure 3. Purpura de Bateman, ou purpura sénile, du dos desmains. Ces ecchymoses quasi-spontanées sont le premier stade dela dermatoporose. On ne les confondra pas avec des ecchymosesdues à des traumatismes significatifs, qui pourraient évoquer unem

pgtLl’acide hyaluronique est conseillée aux stades initiaux.

igure 2. Avant-bras d’une personne âgée : peau sèche,ugueuse, dyschromique, fragile.

rurit sénilee prurit sénile est donc une conséquence habituelle dea xérose sénile et est également amélioré par les émol-ients [5]. Il s’agit cependant d’un diagnostic d’élimination,ue l’on retiendra après avoir éliminé les autres causes derurit :dermatoses prurigineuses : eczémas, toxidermies, urti-caires, pemphigoïde ;maladies générales : insuffisance thyroïdienne, maladieshépatiques, insuffisance rénale, maladie de Hodgkin ;prurits psychogènes.

ermatoporosee terme de dermatoporose a été proposé récemment [6]our désigner les conséquences fonctionnelles du vieillisse-ent cutané. Il s’agit d’une fragilité mécanique de la peau

trophique au niveau de la face antérieure des jambes, duos des mains et de la face postérieure des avant-bras, quitteint les personnes très âgées. La cause en est la pertees propriétés de résistance mécanique de la peau, ou de saiscoélasticité, dont le mécanisme essentiel est une dimi-ution de l’acide hyaluronique, et probablement d’autresomposants essentiels de la trophicité dermique. La causessentielle de la dermatoporose est le photo-vieillissement,ais elle reconnaît aussi un important facteur favorisant :

es corticothérapies prolongées, surtout générales mais aussiocales, qui ont sur la peau des effets proches de ceux duhoto-vieillissement.

On distingue plusieurs stades de dermatoporose :l’atrophie cutanée sénile détaillée ci-dessus peut êtreconsidérée comme le premier stade de la dermatoporose(Fig. 2) ;le stade suivant est connu depuis longtemps ; il s’agitdu purpura sénile, ou purpura de Bateman (Fig. 3),ou purpura actinique. En l’absence de toute anomaliede la coagulation, les traumatismes les plus minimesdéclenchent des ecchymoses, hémorragies liées à lafragilité des vaisseaux dermiques dans les zones de photo-vieillissement et à l’absence de « coussin » dermique pour

amortir les chocs. Ces ecchymoses successivement viola-cées, rouges, bleues, jaunâtres, laissent à la longue unepigmentation brune permanente ; F

altraitance.

des atrophies linéaires ou stellaires, dites« pseudocicatrices » sont des cicatrices atrophiquesde traumatismes minimes (Fig. 4) ;lorsque la dermatoporose progresse, on peut observerdes lacérations traumatiques, décollements épidermiquesprovoqués par des traumatismes ou des frottements, quicicatrisent cependant assez rapidement, mais nécessitentdes soins quotidiens (Fig. 5) ;la conséquence la plus grave de la dermatoporoseest constituée par les hématomes disséquants [7]. Ceshémorragies profondes entraînent des nécroses tissu-laires nécessitant une intervention chirurgicale urgente.Ils sont à l’origine d’hospitalisations prolongées porteusesde leurs propres complications.

À titre préventif, on peut recommander, outre lahotoprotection (mais il est un peu tard) le port deants, de vêtements couvrants, éventuellement de protège-ibias pour les activités à risque (ménage, jardinage. . .).’application de topiques contenant des rétinoïdes et de

igure 4. Cicatrices atrophiques linéaires de dermatoporose.

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Dermatologie pour les gériatres 307

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Figure 5. Lacérations, ou décollements épidermiques au moindretraumatisme, stade avancé de dermatoporose.

Les tumeurs cutanées des personnes âgées

Tumeurs bénignes

AcrochordonsIl s’agit de petites « excroissances de chair », égalementappelées pendulums ou fibromes pendulums, fréquentsautour des aisselles et des aines, sans signification patho-logique.

Taches rubisAppelés « angiomes cerise » par les Anglo-Saxons, ce sont depetites papules rouge sang, liées à la dilatation de capillairesdermiques. Ils sont très fréquents sur le tronc et dépassentrarement quelques millimètres. Ils n’ont pas de significationpathologique ni de conséquence particulière.

Kératoses séborrhéiquesPlus souvent appelées verrues séborrhéiques (VS), ce sontdes proliférations épidermiques très fréquentes après lasoixantaine. Elles sont toujours nettement tranchées avecla peau normale. Au début, ce sont de petites élevuresgrisâtres un peu rêches. Puis elles augmentent de taille,deviennent exophytiques et brunes, plus ou moins foncées(Fig. 6). Elles peuvent atteindre une taille importante,et constituer des excroissances papillomateuses brunes ounoires. Même nombreuses et épaisses, les VS restent commeposées sur la peau alentour qui n’est ni infiltrée ni inflamma-toire. Les VS planes qui peuvent éventuellement ressemblerà un nævus ou à un mélanome en sont facilement distinguéespar la dermatoscopie1 (absence de réseau mélanocytaire).

Il n’est cependant pas exceptionnel qu’une hésitation cli-nique fasse pratiquer une vérification histologique. Les VSpeuvent devenir nombreuses, foncées, épaisses, inesthé-tiques, mais elles n’occasionnent aucune gêne, n’ont aucune

1 Un dermatoscope, ou dermoscope, qui ressemble un peu à unotoscope, est un dispositif grossissant muni d’une d’illuminationtangentielle. Il est surtout utilisé pour le diagnostic des tumeurspigmentées. La dermatoscopie fait maintenant partie de la routinede l’examen clinique dermatologique. Les images de dermatoscopiepeuvent être photographiées.

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igure 6. Verrues (ou kératoses) séborrhéiques.

ravité et ne dégénèrent jamais. On peut les enlever en case demande esthétique (curetage ou cryothérapie). Men-ionnons qu’on ignore l’étiologie des verrues séborrhéiques,ui n’ont rien à voir avec les verrues virales (dues à desapillomavirus), ni avec un défaut d’hygiène.

umeurs potentiellement malignes

ératoses actiniqueses kératoses actiniques (KA), anciennement appelées kéra-oses séniles, ou encore pré-épithéliomateuses, sont trèsréquentes. Elles siègent sur les zones chroniquement photo-xposées, et peuvent être considérées comme la transitionntre le photo-vieillissement et les carcinomes photo-nduits. Il faut en effet les considérer comme des lésionsrécancéreuses, que certains préfèrent traiter comme desarcinomes in situ. Les sièges de prédilection sont le crânees hommes chauves (Fig. 7), le front, le visage, le dos desains et des avant-bras. Il s’agit de taches rosées ou brun

lair, rugueuses au toucher. En évoluant, les KA deviennente plus en plus kératosiques, verruqueuses, pouvant réa-iser de véritables excroissances cornées. Il est conseillée traiter les kératoses actiniques pour éviter une évolu-ion en carcinome spinocellulaire invasif. Les traitementses plus simples et les plus efficaces sont la cryothérapiear azote liquide et l’application de pommade au 5-fluoro-racile, mais il existe de nombreuses autres modalités. Lelus important est de suivre les patients, au moins deux

ois par an, pour s’assurer de l’efficacité de ces traitementst dépister les lésions résistantes ou transformées en carci-omes.
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308

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igure 7. Kératoses actiniques nombreuses sur leur localisationréférentielle : un crâne chauve.

La maladie de Bowen est un carcinome in situ d’histologiearticulière, proche des kératoses actiniques. Les leucopla-ies des lèvres, ou chéilites actiniques, qui résistent à unraitement simple, doivent être enlevées chirurgicalement.

élanoses de Dubreuilha mélanose de Dubreuilh (lentigo maligna des Anglo-axons) est une prolifération mélanocytaire d’évolutionente, qui siège sur le visage (joues) des personnes âgées.lle a l’aspect d’une macule pigmentée irrégulière, à laois dans ses limites et dans ses teintes, qui s’étend pro-ressivement. La dermatoscopie aidera à ne pas confondrene mélanose de Dubreuilh débutante avec un lentigo acti-ique ou une VS plane, et à poser l’indication d’une biopsieui affirmera le diagnostic. Il convient de considérer laélanose de Dubreuilh non pas comme une lésion précan-

éreuse, mais comme un authentique mélanome in situ, eta conduite à tenir sera la même que pour tous les méla-omes, incluant une marge d’exérèse qui sur le visage posees problèmes particuliers lorsque la mélanose est étendue.’est dire l’importance du diagnostic précoce, non seule-ent avant la phase invasive de mauvais pronostic (Fig. 8),

ais aussi avant une extension importante en surface. À

a condition d’une prise en charge et d’une surveillancepécialisées (coordonnées par les réunions de concertation

igure 8. Mélanose de Dubreuilh (lentigo maligna), qui aurait dûtre traitée avant que ne se développe ce mélanome invasif (lentigoaligna melanoma).

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D. Wallach

luridisciplinaire (RCP) de cancérologie cutanée), des alter-atives non chirurgicales peuvent être proposées au staderé-invasif.

érato-acanthomeses kérato-acanthomes sont des tumeurs épithéliales dont’aspect histologique est très proche de celui des carci-omes épidermoïdes, mais qui régressent spontanément.liniquement, il s’agit de papulonodules qui croissent enuelques semaines et dont le centre se creuse d’un cratèreératosique. Après quelques semaines ou mois, ils involuentpontanément. À la condition d’être certain du diagnostic,e qui n’est pas toujours le cas même avec un examen his-ologique, on peut donc attendre, en surveillant.

umeurs malignes

arcinomes basocellulaireses carcinomes basocellulaires (CBC), appelés familière-ent basos, sont les plus fréquents de tous les cancers. Lelus souvent, ils sont d’évolution uniquement locale et, àa condition d’être opérés précocement, sont d’excellentronostic.

Chez les personnes âgées, qui d’ailleurs n’ont pas’exclusivité des CBC, il y a deux écueils : méconnaître laignification d’une lésion asymptomatique, et prendre pré-exte du grand âge pour récuser l’indication chirurgicale.elle-ci, sous anesthésie locale, est peu traumatisante. Etieux vaut opérer un petit baso à 80 ans qu’un gros baso à

0 ans.Les CBC siègent surtout sur le visage des personnes à

eau blanche, mais on peut en rencontrer sur tout le corps.’aspect clinique est variable : petite « perle » lisse ou télan-iectasique, érosion superficielle qui ne cicatrise pas oulcération spontanée, plaque érythémateuse ou kératosiqueFig. 9), plaque infiltrée entourée d’une bordure perléeFig. 10), nodule en relief, zone d’infiltration dure, sclé-euse, jaunâtre. Dans tous les cas, la notion d’une lésionécente persistante doit faire pratiquer une biopsie qui affir-era le diagnostic. Le traitement de choix est la chirurgie,resque toujours possible sous anesthésie locale, et quimène plus de 95 % de guérisons. La radiothérapie est deoins en moins pratiquée. Les autres modalités doivent être

onsidérées comme expérimentales. Pour les CBC de grandeaille ou récidivants ou de localisation chirurgicalement dif-cile, il est avisé de prendre conseil auprès d’une RCP deancérologie dermatologique.

arcinomes spinocellulaireses carcinomes spinocellulaires (CSC), ou carcinomes épi-ermoïdes, sont plus graves que les CBC, ils peuventétastaser et, rarement, entraîner la mort. Leur particula-

ité essentielle est de survenir le plus souvent sur des lésionsréexistantes : kératoses actiniques (Fig. 11), érythropla-ies des muqueuses, radiodermites, cicatrices de brûlures ou’ulcères de jambe chroniques, ou encore certaines derma-oses rares (mais là il s’agit de sujets jeunes). Ils atteignent

ssentiellement les sujets de phototype clair et siègent lelus souvent sur les zones d’expositions solaires prolon-ées. Ils sont également favorisés par l’immunodépressiont certains carcinogènes (anciennement les goudrons,
Page 7: Dermatologie pour les gériatres

Dermatologie pour les gériatres 309

Figure 11. Carcinome spinocellulaire développé sur une kératoseactinique qui, à tort, avait été négligée.

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Figure 9. Carcinome basocellulaire érythémateux, sur une peautrès élastosique.

actuellement la PUVAthérapie). Cliniquement, il s’agit denodules plus ou moins réguliers, infiltrants et/ou bourgeon-nants (Fig. 12), souvent ulcérés. Une telle lésion doit fairepratiquer sans tarder une biopsie cutanée, qui affirmera lediagnostic. On s’assurera de l’absence d’adénopathie méta-statique.

Le traitement chirurgical (exérèse large) et la sur-veillance ultérieure sont guidés par les recommandationsd’une RCP.

MélanomesLes mélanomes sont les plus graves des cancers cuta-nés. Dans le cadre de cet article, seules certaines notions

Figure 10. Carcinome basocellulaire dans sa variété la plustypique, dite « baso plan cicatriciel » : petite érosion entourée d’unbourrelet perlé.

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igure 12. Carcinome spinocellulaire dans la forme typique,ourgeonnante et kératosique.

ssentielles, et particulières aux patients âgés, seront déve-oppées. Sur le plan épidémiologique, il faut savoir que lesrincipaux progrès réalisés récemment en matière de pré-ention primaire (photoprotection) et de diagnostic précocedépistage systématique) ont concerné essentiellement lesujets jeunes présentant des mélanomes d’extension super-cielle (souvent appelés superficial spreading melanoma

SSM]) (Fig. 13), au développement relativement lent etu pronostic favorable s’ils sont enlevés précocement. Enevanche, les études récentes ont montré que la mortalité

igure 13. Mélanome d’extension superficielle.

Page 8: Dermatologie pour les gériatres

310

Figure 14. Mélanome nodulaire. Cette forme d’évolution rapidene peut être dépistée précocement que par des examens cuta-nl

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Lbmplàdou douloureux. Des irritations plus importantes, des ulcé-

és systématiques à intervalles rapprochés (quelques mois) et par’éducation des patients, de leurs proches, de leurs soignants.

lobale par mélanome a peu bénéficié de ces progrès, parceu’elle concerne des personnes âgées chez qui le mauvaisronostic est lié soit à l’absence de dépistage, notammenthez les hommes plus négligents que les femmes, soit à desélanomes nodulaires d’évolution rapide, d’emblée inva-

ifs et rapidement métastatiques (Fig. 14). Ces études ontonc mis en évidence le fait que les personnes âgées doiventénéficier d’un surcroît d’attention pour un diagnostic pré-oce des mélanomes, seule garantie d’un bon pronostic.omme indiqué plus haut, ce diagnostic repose sur l’examenttentif de tout le tégument et des muqueuses.

Il convient donc de connaître les signes de suspi-ion de malignité devant une tumeur cutanée pigmentéesans oublier que certains mélanomes sont achromiques).’acronyme ABCDE peut aider : A : asymétrie de la lésion ;

: bords irréguliers ; C : couleur inhomogène ; D : dimen-ion supérieure à 6 mm et E : évolutivité. On insistera sur E :oute lésion dont les caractères cliniques se modifient doit,u minimum, être montrée rapidement à un dermatologue.es critères ABCDE sont en défaut dans un certain nombre deas, dont les mélanomes nodulaires des personnes âgées. Onetiendra que toute lésion cutanée doit être diagnostiquéevec certitude, que ce soit par la clinique, la dermatoscopie,u l’histologie. La biopsie cutanée est un geste particuliè-ement simple et extrêmement contributif.

Les mélanomes enlevés précocement, lorsque leur épais-eur est inférieure à 1 mm, sont de bon pronostic. Au-delà,e risque métastatique est important.

arcinomes à cellules de Merkeles carcinomes à cellules de Merkel (CCM) ou carcinomeseuro-endocrines cutanés sont des tumeurs relativementares et graves des sujets âgés. Ils siègent le plus souventur le visage et le cou, et sont favorisés par les expositionsolaires chroniques et l’immunodépression. Un virus oppor-uniste (Merkel cell polyoma virus) en est probablementa cause. Cliniquement, il s’agit d’un nodule rouge ou vio-acé qui augmente progressivement de taille et cette seule

onstatation, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises,oit faire pratiquer sans tarder une biopsie. Actuellementes retards diagnostiques sont fréquents, ce qui explique la

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D. Wallach

réquence des formes métastatiques. Le traitement reposeur la chirurgie large et la radiothérapie.

propos de quelques dermatosesarticulières aux personnes âgées

onséquences de l’impotence fonctionnelle

es personnes immobilisées, quelle que soit la cause de leurmpotence fonctionnelle, sont à risque d’escarres et unerévention doit être mise en place systématiquement. Leôle des dermatologues n’est pas ici important par rapport

celui des gériatres et de leurs équipes soignantes. Une foisonstituées, les escarres sont des plaies chroniques dont leronostic dépend des possibilités de soulager la pression, dea qualité des soins locaux et de l’état général du patient.

onséquences de l’insuffisance veineuse

’insuffisance veineuse, due à la maladie variqueuse et/ouux séquelles de phlébites, est responsable de troubles tro-hiques : œdème des pieds et des jambes, dermite ocreue aux dépôts d’hémosidérine séquelles des purpuras vas-ulaires, atrophie blanche, dermite de stase qui peut seompliquer d’eczéma de contact, hypodermite scléroder-iforme. On n’insiste jamais assez, ni assez précocement,

ur l’importance de la compression élastique pour préve-ir les conséquences de l’insuffisance veineuse. C’est unraitement qui n’est pas facile à mettre en œuvre, et lesatient(e)s doivent être encouragé(e)s et soutenu(e)s pourn bénéficier.

Les ulcères de jambe sont la complication la plusénible de l’insuffisance veineuse. Avant d’entreprendree traitement, on aura soin d’éliminer les autres étio-ogies d’ulcérations cutanées : maladie artérielle ou arté-itique, neuropathies, infections, tumeurs ulcérées, ouncore le rare pyoderma gangrenosum.

Les soins locaux sont essentiels pour obtenir la ferme-ure d’un ulcère de jambe. Il s’agit d’un sujet complexeui requiert un avis spécialisé et la compétence deersonnels formés au traitement des plaies chroniques.e nombreux pansements sophistiqués sont actuellementroposés. Ils ne sont probablement qu’un appoint à la déter-ion/désinfection manuelle indispensable.

onséquences de l’incontinencephinctérienne

es patients atteints d’incontinence sphinctérienne doiventénéficier de soins particuliers. Il convient d’éviter au maxi-um que les urines et les selles restent au contact de laeau. Outre la souffrance psychologique que représente’incontinence, elle expose à une dermite d’irritation tout

fait semblable à l’érythème fessier des nourrissons. Auébut, il s’agit d’un simple érythème, qui peut être sensible

ations, des surinfections, peuvent survenir en l’absencee soins adéquats. L’expérience acquise en pédiatrie aontré que les changes complets absorbants en cellulose

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Dermatologie pour les gériatres

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pàélmenéosinophiles sont nombreux. L’immunofluorescence directe

Figure 15. Eczéma généralisé (érythrodermie) secondaire à laprise d’un sulfamide.

constituent, à la condition d’être utilisés correctement etchangés autant que nécessaire, une prévention efficace.

Maltraitance

On estime qu’entre 2 et 10 % des personnes âgées sontvictimes de maltraitance au sens large. Ce problème estprobablement mal évalué, et une grande attention estnécessaire de la part de l’ensemble des professionnelsconcernés. Il existe de nombreuses formes de maltrai-tance : psychologiques, physiques, sexuelles, financières.Nous nous contenterons ici d’indiquer les signes cutanés quipeuvent faire soupconner une maltraitance [8] : ecchymoseslinéaires évoquant des liens, brûlures, lacérations, abra-sions, alopécie traumatique, malpropreté, lésions cutanéesmal soignées. L’implication des services sociaux et éventuel-lement juridiques doit être envisagée, à la facon de la priseen charge du syndrome des enfants battus.

Dermatoses eczématiformes

Un eczéma, dermatose érythématovésiculeuse et prurigi-neuse, peut relever de plusieurs causes. L’eczéma atopiqueest rare dans le grand âge, mais peut cependant exis-ter ; les antécédents d’une éruption présente de longuedate permettent le diagnostic. Les eczémas de contactsont souvent faciles à diagnostiquer dans la mesure où ilssiègent à l’endroit du contact avec la substance sensibili-sante. Les plus fréquemment en cause chez les personnesâgées sont les métaux (bijou fantaisie, accessoire vestimen-taire ou médical), les pansements, les produits d’applicationtopique, les vêtements. Une enquête étiologique cliniqueest souvent plus performante que des tests cutanés (patchtests).

Les médicaments généraux sont une cause rare d’eczémamais des prises médicamenteuses ont été identifiées commedes causes ou des facteurs de risque d’eczémas étendus(Fig. 15), notamment les inhibiteurs calciques et les thia-zidiques [9]. Il convient dans un premier temps d’éliminerles médicaments non indispensables et de mettre en œuvre

une corticothérapie locale.

En cas d’éruption eczématiforme de cause indétermi-née et d’évolution prolongée malgré le traitement, une

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311

iopsie est indiquée afin de ne pas méconnaître un lym-home cutané (mycosis fongoïde).

oxidermies

es personnes âgées sont particulièrement sujettes auxoxidermies (effets secondaires cutanés des médicamentsraux). Aux problèmes habituels de diagnostic des toxider-ies, qui ne sont pas simples, s’ajoutent des considérationsropres aux personnes âgées : elles sont souvent polymé-icamentées, peuvent avoir plusieurs médecins et suivrelusieurs prescriptions, prendre des médicaments sansrdonnance, et ne pas se souvenir avec précision de la chro-ologie de leurs prises médicamenteuses.

Toutes les variétés de toxidermies peuvent survenir danse grand âge. Nous avons envisagé ci-dessus le cas particulieres éruptions eczématiformes.

Il convient de distinguer les situations graves des autres.Les toxidermies graves sont le syndrome de Lyell, ou

écrolyse épidermique aiguë, le syndrome de Stevens-ohnson, le syndrome d’hypersensibilité médicamenteuseystémique (DRESS syndrome) et les pustuloses générali-ées. En présence d’une éruption aiguë comportant desécollements cutanés étendus et/ou une atteinte muqueuset/ou des signes généraux, il faut d’urgence interrompre leédicament suspecté, en général d’introduction récente,

t hospitaliser le patient en dermatologie.Les toxidermies non graves sont d’expression très

ariable : prurit isolé, urticaire, rash maculopapuleux, éry-hème pigmenté fixe, vascularite des petits vaisseauxpurpura palpable des membres inférieurs), phototoxicité.a conduite à tenir dépend de la gravité du tableau clinique,e son évolution, et du caractère indispensable ou non duédicament suspecté. Par exemple, un des plus fréquentsourvoyeurs de toxidermies, l’allopurinol, est fréquemmentrescrit pour des hyperuricémies asymptomatiques, où oneut s’en passer sans dommage.

emphigoïde bulleuse

a pemphigoïde bulleuse (ou pemphigoïde), la plus fré-uente des dermatoses bulleuses auto-immunes, est unealadie du grand âge, qui survient presque exclusivement

près 60 ans, l’âge moyen des patients étant de 80—85 ans.a pemphigoïde est ainsi de plus en plus fréquente.

Une phase prébulleuse peut inaugurer la maladie : pruritt éruptions érythémateuses prurigineuses symétriques nonulleuses (Fig. 16). Une hyperéosinophilie sanguine et sur-out les examens histologiques et immunologiques peuventonduire au diagnostic.

À la phase d’état, la pemphigoïde réalise une éruptionrurigineuse symétrique, faite de grandes bulles solides

contenu clair, développées en général sur des plaquesrythémateuses (Fig. 17). Les bulles prédominent sur’abdomen et les faces antérieures des bras et des cuisses,ais peuvent siéger sur tout le corps. Le nombre de bulles

st variable et conditionne le traitement. La biopsie cuta-ée montre une bulle sous-épidermique et un infiltrat où les

ontre des dépôts linéaires d’IgG et de C3 sur la zone deonction dermoépidermique (Fig. 18). Dans le sang, parmmunofluorescence indirecte et par Elisa, on retrouve ces

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312 D. Wallach

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corticothérapie générale, à la corticothérapie locale forte. Ils’agit d’applications « professionnelles », par des infirmièresformées à ces traitements, de propionate de clobétasol, àla dose initiale quotidienne de 10 à 40 g/j, en fonction del’importance de l’éruption. Ces applications sont précédéesde soins précis : percage des bulles dont on laisse le toiten place, nettoyage à la chlorhexidine afin de prévenir lessurinfections, pansements gras pour éviter fissures et plaieset assurer un bon confort. La corticothérapie locale estdiminuée ensuite en fonction de l’évolution. Effectuée dansces conditions, la corticothérapie locale est moins porteused’effets secondaires que la corticothérapie générale, maisn’en est pas exempte, et nécessite donc la surveillance et lesmesures d’accompagnement habituelles. Pour un contrôleau long cours de la maladie, il est souvent nécessaired’associer un immunodépresseur pour éviter les corticothé-rapies prolongées, et parfois de faibles doses de corticoïdesoraux. On voit donc que la pemphigoïde nécessite, au niveaumédical, infirmier et de l’organisation des soins, une doublecompétence gériatrique et dermatologique.

Onychomycoses et autres mycoses

Les onychomycoses à dermatophytes sont fréquentes engénéral, et leur traitement est relativement peu satisfai-sant, nécessitant des soins locaux et la prise prolongéed’antifongiques oraux. Ces deux mesures sont difficiles ouimpossibles chez les personnes âgées. D’une part, elles

igure 16. Pemphigoïde au stade d’érythème urticarien prébul-eux.

uto-anticorps, dirigés contre des antigènes des hémidesmo-omes (BPAG1, de 230 kD, et BPAG2, de 180 kD). Leur taux’est pas parallèle à l’évolution de la maladie.

Le traitement classique de la pemphigoïde consistait enne corticothérapie générale, mais l’évolution était grevée’une forte mortalité, dont étaient responsables les mala-ies associées et le traitement, au moins autant que laaladie bulleuse [10]. En effet, l’élément essentiel du pro-

ostic est constitué par l’état général des patients, souventorteurs d’une ou plusieurs des pathologies du grand âge,otamment de maladies neurologiques (ce qui a probable-

ent une signification pathogénique). Ainsi, une prise en

harge gériatrique attentive est essentielle. Quant au trai-ement dermatologique, il peut faire appel, plutôt qu’à la

igure 17. Pemphigoïde bulleuse typique : bulles tendues,olides, sur plaques érythémateuses.

n’ont en général pas accès à leurs orteils du fait d’uneimpotence fonctionnelle. D’autre part, leurs médecins etelles-mêmes sont réticents à l’idée d’une prise médicamen-teuse orale prolongée supplémentaire. On s’en remettradonc essentiellement aux pédicures pour meuler/raboter leshyperkératoses unguéales qui, souvent négligées, peuventatteindre une taille considérable. Les pommades kérato-lytiques peuvent rendre ici de grands services. En casd’intertrigo associé, on les traitera par antiseptiques et anti-fongiques locaux, car ils peuvent être des portes d’entréed’infections bactériennes (érysipèles).

Gale

La gale est une infestation épidermique due à un acarien,Sarcoptes scabiei. Elle est très prurigineuse et contagieuse,

Figure 18. Pemphigoïde bulleuse, examen d’une biopsie cuta-née en immunofluorescence : dépôts linéaires d’IgG sur la zone dejonction dermoépidermique.

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Dermatologie pour les gériatres

Figure 19. Gale dite « norvégienne » : éruption érythématosqua-meuse vaguement psoriasiforme, éventuellement généralisée, et

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paradoxalement peu prurigineuse.

et ces deux caractères en facilitent le diagnostic : il s’agitdu seul prurit contagieux. La contamination, exclusivementinterhumaine, a lieu entre personnes partageant le mêmelit ou le même linge. Les collectivités de personnes âgéessont particulièrement sensibles à des épidémies touchantpensionnaires et personnel soignant. Ces épidémies sontbénignes et relativement faciles à soigner, mais souvent trèsmal vécues.

Le signe essentiel est le prurit, aigu, intense, généra-lisé avec une prédominance nocturne. On voit parfois lesillon « en zig-zag » creusé par le sarcopte dans les commis-sures interdigitales, ou plus souvent des conséquences dugrattage : irritations, excoriations, horripilations, lichénifi-cations. Le diagnostic est plus ou moins facile cliniquement,mais rappelons qu’un prurit aigu de ce type chez deuxou plusieurs personnes vivant ensemble est un argumentpathognomonique. Le sarcopte peut être objectivé pardermatoscopie, ou par examen microscopique direct dessquames.

Chez les personnes âgées et impotentes, on observeparfois une forme particulière de gale, hyperkératosiquediffuse voire généralisée (Fig. 19) parfois appelée « galenorvégienne » (mais sans aucun rapport avec la Norvège).Cette forme est importante à connaître parce qu’elle estpeu ou pas prurigineuse, et donc éventuellement mécon-nue, et pourtant très contagieuse aux autres patients d’unecollectivité et au personnel soignant, dont les membresprésenteront une gale « normale », potentiellement trans-missible à leurs proches.

Le traitement de la gale fait appel soit à des appli-cations de benzoate de benzyle ou de pyrithrénoïde,soit à la prise orale d’ivermectine. On sera atten-tif à soigner en même temps tous les patients et lessujets—contacts, et à déparasiter les vêtements et la lite-rie, où les sarcoptes peuvent survivre quelques jours.Il est en général également nécessaire de dédramati-ser.

Zona

Le zona est une radiculite postérieure liée à la réactivationdu virus VZV, resté latent depuis la varicelle de l’enfance.

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313

l réalise une éruption érythématovésiculeuse dont learactère unilatéral permet facilement le diagnostic. Leraitement fait appel à l’acyclovir ou au valacyclovir, maise zona guérit spontanément rapidement en dehors de situa-ions d’immunodépression. La justification essentielle duraitement, indiqué notamment chez les sujets âgés, est larévention des algies post-zostériennes, qui peuvent êtrerès pénibles et invalidantes, et s’observent essentielle-ent chez les personnes âgées. Elles nécessitent souvent

e recours aux anticonvulsivants type prégabaline ou gaba-entine.

Il existe un vaccin anti-VZV, indiqué notamment pour larévention du zona chez les personnes âgées [11]. Actuel-ement, il n’est pas recommandé de facon systématique enrance.

spects gériatriques de dermatoses qui’observent à tous âges

e but de cet article était d’indiquer les particularitése la pathologie cutanée chez les personnes âgées. Maiselativement peu d’affections sont spécifiques du grandge. Par exemple, les carcinomes peuvent se développerhez de jeunes adultes et on voit des zonas chez desnfants.

Certaines dermatoses n’ont rien de particulièrementériatrique, mais posent souvent aux soignants des pro-lèmes qui justifient qu’on les cite ici.

soriasis

e psoriasis est une dermatose inflammatoire fréquentetteignant entre 2 et 3 % de la population. Il se présenteous forme de plaques érythématosquameuses, en géné-al peu gênantes fonctionnellement, mais qui peuvent êtretendues. Les localisations préférentielles sont la région desoudes (Fig. 20), des genoux, la région lombaire, le cuir che-elu, mais tout le tégument peut être atteint. Trois types deraitements sont disponibles. Leurs indications dépendente l’étendue des lésions, du retentissement psychosocial,t aussi du contexte général :les traitements locaux sont souvent d’efficacité limitéemais rendent de grands services et sont bien tolé-rés : kératolytiques, corticoïdes, dérivés vitaminiques D.Un professionnalisme infirmier est ici nécessaire. Onn’oubliera pas de préciser au personnel soignant que lepsoriasis n’est pas contagieux ;les photothérapies sont efficaces mais nécessitent de pou-voir se rendre dans un cabinet ou un centre équipé, et derester debout pendant la durée des séances ;les traitements généraux sont efficaces mais néces-sitent une surveillance clinique et biologique. Il s’agitd’un rétinoïde, l’acitrétine, d’immunosuppresseurs :méthotrexate, cyclosporine, et des traitements dits« biologiques » (anti-TNF�, anti-IL12/IL23). Les patientsdont le psoriasis nécessite un tel traitement doivent êtresuivis en consultation spécialisée.

Il existe des formes graves de psoriasis (pustuleux, éry-hrodermique, arthropathique) que nous ne détaillerons pasci.

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314

Figure 20. Psoriasis des avants-bras.

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igure 21. Dermite séborrhéique au niveau du sillon nasogénien.

ermite (ou dermatite) séborrhéique

a dermite séborrhéique (DS) est très fréquente. C’est uneermatose inflammatoire bénigne secondaire à la présenceur la peau de champignons commensaux (Malassezias).a DS se présente sous forme de plaques érythématosqua-euses atteignant les ailes du nez et les sillons nasogéniens

Fig. 21), la région des sourcils, la région médiothoracique,t d’un état pelliculaire important du cuir chevelu.

Le traitement repose sur des soins locaux : shampooingst crèmes antifongiques, éventuellement courte corticothé-apie locale.

onclusion

n voit que les personnes âgées sont rarement exemptese problèmes cutanés et qu’une certaine compétence der-

D. Wallach

atologique est nécessaire pour faire la part entre desonséquences bénignes du vieillissement, des dermatosesécessitant une intervention, et des dermatoses potentiel-ement mortelles. Les conditions générales de vie et de prisen charge sociale et médicale déterminent les modalités’accès à des soins spécialisés. La dermatologie ne fait pasoujours partie des spécialités facilement accessibles auxersonnes âgées. Des expériences de télémédecine, dontl est difficile de prévoir l’avenir, ont montré que pour desituations particulières, comme les soins d’ulcères de jambeu éventuellement un avis diagnostique, des consultations

distance peuvent être organisées [12].Je voudrais conclure cet article par des considérations

ur l’histoire des spécialités médicales. Peu sensibles auxécisions politiques ou administratives ou universitaires,es spécialités médicales se sont construites empirique-ent. À partir du moment où le corpus de connaissances

t l’ampleur des besoins des patients ont justifié une acti-ité à temps plein, des médecins initialement généralistesnt consacré la totalité de leur activité à un domainearticulier. Ainsi au xixe siècle, des médecins sont deve-us dermatologues (ou cardiologues ou pédiatres ou. . .). Auxe siècle, on a vu apparaître d’autres spécialités, comme laériatrie, et les premières spécialités se sont différenciéesn sous-spécialités (dermatologie pédiatrique, rythmologie,ardiologie pédiatrique, chirurgie orthopédique, puis chirur-ie de la main. . .). Ce mouvement a toujours eu des partisanst des opposants. En effet, un spécialiste limite son activité,t prive aussi les autres médecins du domaine qu’il appro-ondit. Mais si ce mouvement se poursuit, si notre civilisationontinue de progresser au service des patients, nous verronsu xxie siècle des dermatogériatres.

éclaration d’intérêts

.W. est consultant de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique.

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