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S 1160 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1160-1, cahier 4 Détresse et restauration psychiques G. LE GOUÈS (1) (1) 18, rue Gabrielle, 75001 Paris. Pour la psychopathologie, le stress est un événement somatique qui s’exprime par des modifications corporelles : rythme cardiaque, décharge hormonale, modifications neuronales, manifestations digestives, bref out ce dont il a été question au cours de ces jour- nées. Mais comme les modifications corporelles ne ren- dant pas compte des mouvements psychiques, de la vie mentale du sujet, la PSYCHOPATHOLOGIE préfère user de la notion de DÉTRESSE pour désigner, à son tour, l’état de déstabilisation dans lequel le sujet se trouve plongé à la suite d’un choc, ou si vous préférez d’un trauma. Le sujet en détresse ressent la peur, un sentiment d’insécurité, une tendance à la fuite, à l’évitement du dan- ger, et si la détresse s’aggrave il peut être gagné par la panique, un sentiment d’effondrement, voire de néantisa- tion. Aussi, la détresse du sujet vieillissant correspond- elle à l’incapacité soudaine de traiter psychiquement de l’événement, d’en traiter de façon efficace et ajustée. Que l’événement se situe dans le corps ou dans l’envi- ronnement, dès l’instant où il est débordé, l’appareil psychique ne peut plus créer les chaînes signifiantes nécessaires pour affronter l’épreuve. Le sujet qui com- prend, sait où porter ses efforts, avec plus ou moins de bonheur, il faut le reconnaître. Mais celui qui ne com- prend pas, qui ne comprend plus, n’est plus en mesure d’élaborer une signification apaisante. Déstabilisé par la détresse, il sombre. En sombrant, tout comme un nau- fragé, il lance des appels. Sera-t-il entendu ? C’est toute la question. Certains observateurs y voient la conséquence d’un conflit psychique, d’autres celle d’un appauvrissement à bas bruit de l’appareil psychique vieillissant. À mon avis, il s’agit de la combinaison de ces deux facteurs. Voici pourquoi. Vu sous l’angle génétique, l’enfant en détresse n’a pas encore les moyens mentaux de produire seul les versions apaisantes. Aussi les parents le protè- gent-ils, spontanément, en cas de danger, car ils ressen- tent la nécessité d’interposer les leurs entre lui et un envi- ronnement hostile. L’adulte est supposé capable de régler lui-même la réponse aux situations difficiles, au moins jusqu’à un cer- tain point car au-delà d’une certaine limite tout le monde peut décompenser. Le sujet vieillissant qui a été un adulte autonome et maî- tre de soi, redevient vulnérable sous l’effet de l’usure du temps. C’est un fait d’observation aisément vérifiable. Pourquoi ? Parce qu’à mon avis, il n’a plus les moyens de produire rapidement les chaînes signifiantes nécessaires à sa sauvegarde. Car à y bien regarder, ses défenses s’altèrent. Un examen psychique attentif révèle la difficulté de mobiliser des associations d’idées, de recruter des représentations nouvelles pour établir un système tampon entre lui et l’extérieur hostile. En un mot, ce sujet vieillis- sant est en peine pour mobiliser efficacement ce qu’en psychanalyse nous appelons le « système de pare excitation », cette sorte d’amortisseur qui atténue l’impact des agressions. Cette faiblesse d’usure, conséquence de l’appauvrissement à bas bruit de l’appareil psychique, replace le sujet dans une position de vulnérabilité oubliée depuis l’enfance. Aussi, le sujet a-t-il un besoin croissant de tiers, de la présence d’un tiers empathique et aidant pour réduire sa vulnérabilité psychique, pour se rétablir en cas de décompensation. Naturellement, sur ce fond d’anémie progressive, qu’un auteur comme Henri Danon-Boileau nomme « la basse continue », et que j’ai proposé d’appeler le psychotrope, le sujet vieillissant développe des conflits comme avant, contre lesquels il se défend avec ses moyens restants. Le

Détresse et restauration psychiques

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S 1160

L’Encéphale, 2006 ;

32 :

1160-1, cahier 4

Détresse et restauration psychiques

G. LE GOUÈS

(1)

(1) 18, rue Gabrielle, 75001 Paris.

Pour la psychopathologie, le stress est un événementsomatique qui s’exprime par des modificationscorporelles : rythme cardiaque, décharge hormonale,modifications neuronales, manifestations digestives,bref out ce dont il a été question au cours de ces jour-nées. Mais comme les modifications corporelles ne ren-dant pas compte des mouvements psychiques, de la viementale du sujet, la PSYCHOPATHOLOGIE préfèreuser de la notion de DÉTRESSE pour désigner, à sontour, l’état de déstabilisation dans lequel le sujet setrouve plongé à la suite d’un choc, ou si vous préférezd’un trauma.

Le sujet en détresse ressent la peur, un sentimentd’insécurité, une tendance à la fuite, à l’évitement du dan-ger, et si la détresse s’aggrave il peut être gagné par lapanique, un sentiment d’effondrement, voire de néantisa-tion.

Aussi, la détresse du sujet vieillissant correspond-elle à l’incapacité soudaine de traiter psychiquement del’événement, d’en traiter de façon efficace et ajustée.Que l’événement se situe dans le corps ou dans l’envi-ronnement, dès l’instant où il est débordé, l’appareilpsychique ne peut plus créer les chaînes signifiantesnécessaires pour affronter l’épreuve. Le sujet qui com-prend, sait où porter ses efforts, avec plus ou moins debonheur, il faut le reconnaître. Mais celui qui ne com-prend pas, qui ne comprend plus, n’est plus en mesured’élaborer une signification apaisante. Déstabilisé parla détresse, il sombre. En sombrant, tout comme un nau-fragé, il lance des appels. Sera-t-il entendu ? C’est toutela question.

Certains observateurs y voient la conséquence d’unconflit psychique, d’autres celle d’un appauvrissement àbas bruit de l’appareil psychique vieillissant. À mon avis,il s’agit de la combinaison de ces deux facteurs.

Voici pourquoi. Vu sous l’angle génétique, l’enfant endétresse n’a pas encore les moyens mentaux de produireseul les versions apaisantes. Aussi les parents le protè-gent-ils, spontanément, en cas de danger, car ils ressen-tent la nécessité d’interposer les leurs entre lui et un envi-ronnement hostile.

L’adulte est supposé capable de régler lui-même laréponse aux situations difficiles, au moins jusqu’à un cer-tain point car au-delà d’une certaine limite tout le mondepeut décompenser.

Le sujet vieillissant qui a été un adulte autonome et maî-tre de soi, redevient vulnérable sous l’effet de l’usure dutemps. C’est un fait d’observation aisément vérifiable.Pourquoi ? Parce qu’à mon avis, il n’a plus les moyens deproduire rapidement les chaînes signifiantes nécessairesà sa sauvegarde. Car à y bien regarder, ses défensess’altèrent. Un examen psychique attentif révèle la difficultéde mobiliser des associations d’idées, de recruter desreprésentations nouvelles pour établir un système tamponentre lui et l’extérieur hostile. En un mot, ce sujet vieillis-sant est en peine pour mobiliser efficacement ce qu’enpsychanalyse nous appelons le

« système de pareexcitation »

, cette sorte d’amortisseur qui atténue l’impactdes agressions. Cette faiblesse d’usure, conséquence del’appauvrissement à bas bruit de l’appareil psychique,replace le sujet dans une position de vulnérabilité oubliéedepuis l’enfance. Aussi, le sujet a-t-il un besoin croissantde tiers, de la présence d’un tiers empathique et aidantpour réduire sa vulnérabilité psychique, pour se rétablir encas de décompensation.

Naturellement, sur ce fond d’anémie progressive, qu’unauteur comme Henri Danon-Boileau nomme « la bassecontinue », et que j’ai proposé d’appeler le psychotrope,le sujet vieillissant développe des conflits comme avant,contre lesquels il se défend avec ses moyens restants. Le

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clinicien attentif vise à identifier ces conflits invalidants pourles interpréter afin de les réduire. Tôt ou tard, il doit, à monavis, tenir compte des deux. En un mot : « sous le conflit,la carence ». Tel est le sort du vieillissant psychique.

C’est donc de cette difficulté particulière, des états dedétresse propre au vieillissement psychique qu’il fautsavoir identifier pour pouvoir les réduite, que des cliniciensen psychologie vous nous entretenir ce matin.