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Ann Chir Plast Esthét 2001 ; 46 : 410-23 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0294-1260(01)00055-3/FLA Article original Diagnostic d’une asymétrie faciale et crânio-faciale E. Arnaud , D. Marchac, D. Renier Unité de chirurgie crânio-faciale, service de neurochirurgie pédiatrique, hôpital Necker-Enfants Malades, 149- 161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France Résumé L’observation clinique reste prépondérante dans l’analyse d’une asymétrie faciale ou crânio-faciale car un degré modéré d’asymétrie est constant dans les mesures anthropométriques, ce qui est parfaitement toléré par le sujet et l’entourage. Les asymétries congénitales sont dominées par les craniosténoses et faciocraniosténoses pour ce qui est de la région fronto-orbitaire et par les dysplasies oto-mandibulaires dans la région mandibulaire. Leur traitement doit être entrepris précocément par une équipe spécialisée. Parmi les asymétries acquises, l’on assiste à l’augmentation considérable des asymétries de l’arrière-crâne chez les nourrissons depuis la recommandation des pédiatres de les faire dormir sur le dos avant six mois pour prévenir le risque de mort subite. Les manoeuvres posturales précoces et adaptées devraient permettre de limiter le recours à la chirurgie qui est dangereuse. Les autres causes d’asymétrie faciale ou crânio-faciale sont rares et sont constituées par des pathologies posturales, hypertrophiques, dégénératives ou neurologiques. À tout âge, toutes les causes précédentes peuvent s’additionner, mais devant l’apparition d’une asymétrie récente ou tardive, il faudra éliminer l’existence d’une tumeur superficielle dont le traitement spécifique doit être entrepris. Si la plupart des cas d’asymétrie crânio-faciale fait appel à un traitement spécialisé par une équipe multidisciplinaire, la pathologie postérieure du nourrisson est surtout de l’ordre de la prévention. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS asymétrie / craniosténose / crânio-facial / distraction / orbite Summary – Diagnosis of facial and craniofacial asymetry. Craniofacial asymmetry is caused by various aetiologies but clinical examination remains the most important criteria since minor asymmetry is always present. The diagnosis can be confirmed by anthropometric measurements and radiological examinations but only severe asymmetries or asymmetries with an associated functional impairment should be treated. The treatment depends on the cause, and on the time of appeareance. Congenital asymmetries might be treated early, during the first year of life if a craniosynostosis is present. Hemifacial microsomia are treated later if there is no breathing impairment. Since the pediatricians have recommended the dorsal position for infant sleeping, an increasing number of posterior flattening of the skull has been appearing, and could be prevented by adequate nursing. Other causes of craniofacial asymmetries are rare and should be adapted to the cause (tumors, atrophies, neurological paralysis, hypertrophies) by a specialized multidisciplinar team. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS asymetry / craniofacial / craniosynostosis / distraction / orbit Correspondance et tirés à part.

Diagnostic d'une asymétrie faciale et crânio-faciale

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Ann Chir Plast Esthét 2001 ; 46 : 410-23 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés

S0294-1260(01)00055-3/FLAArticle original

Diagnostic d’une asymétrie faciale et crânio-faciale

E. Arnaud∗, D. Marchac, D. Renier

Unité de chirurgie crânio-faciale, service de neurochirurgie pédiatrique, hôpital Necker-Enfants Malades, 149-161, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France

RésuméL’observation clinique reste prépondérante dans l’analyse d’une asymétrie faciale ou crânio-faciale car un degrémodéré d’asymétrie est constant dans les mesures anthropométriques, ce qui est parfaitement toléré par lesujet et l’entourage. Les asymétries congénitales sont dominées par les craniosténoses et faciocraniosténosespour ce qui est de la région fronto-orbitaire et par les dysplasies oto-mandibulaires dans la région mandibulaire.Leur traitement doit être entrepris précocément par une équipe spécialisée. Parmi les asymétries acquises,l’on assiste à l’augmentation considérable des asymétries de l’arrière-crâne chez les nourrissons depuis larecommandation des pédiatres de les faire dormir sur le dos avant six mois pour prévenir le risque de mortsubite. Les manœuvres posturales précoces et adaptées devraient permettre de limiter le recours à la chirurgiequi est dangereuse. Les autres causes d’asymétrie faciale ou crânio-faciale sont rares et sont constituées pardes pathologies posturales, hypertrophiques, dégénératives ou neurologiques. À tout âge, toutes les causesprécédentes peuvent s’additionner, mais devant l’apparition d’une asymétrie récente ou tardive, il faudra éliminerl’existence d’une tumeur superficielle dont le traitement spécifique doit être entrepris. Si la plupart des casd’asymétrie crânio-faciale fait appel à un traitement spécialisé par une équipe multidisciplinaire, la pathologiepostérieure du nourrisson est surtout de l’ordre de la prévention. 2001 Éditions scientifiques et médicalesElsevier SAS

asymétrie / craniosténose / crânio-facial / distraction / orbite

Summary – Diagnosis of facial and craniofacial asymetry.Craniofacial asymmetry is caused by various aetiologies but clinical examination remains the most importantcriteria since minor asymmetry is always present. The diagnosis can be confirmed by anthropometricmeasurements and radiological examinations but only severe asymmetries or asymmetries with an associatedfunctional impairment should be treated. The treatment depends on the cause, and on the time of appeareance.Congenital asymmetries might be treated early, during the first year of life if a craniosynostosis is present.Hemifacial microsomia are treated later if there is no breathing impairment. Since the pediatricians haverecommended the dorsal position for infant sleeping, an increasing number of posterior flattening of the skullhas been appearing, and could be prevented by adequate nursing. Other causes of craniofacial asymmetriesare rare and should be adapted to the cause (tumors, atrophies, neurological paralysis, hypertrophies) by aspecialized multidisciplinar team. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

asymetry / craniofacial / craniosynostosis / distraction / orbit

∗ Correspondance et tirés à part.

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SYMÉTRIE ET PLANS DE RÉFÉRENCE

Il est souvent plus aisé de définir une chose par ce qu’ellen’est pas, et c’est l’absence de symétrie qui pourraitdéfinir l’état d’asymétrie faciale ou crânio-faciale. Lesmesures anthropométriques l’ont déjà confirmé [1] : lasymétriedes deux côtés du corps, en réalité, n’existe pas,car il existe un côté dominant morphologiquement.Toutesles faces sont à l’état naturel asymétriques, et une asymé-trie anthropométrique d’environ 2 à 3 mm existe presqueconstamment entre les mesures de chacun des côtés ducorps, comme l’a démontré Farkas [1]. La normalité estdonc un degrémodéréd’asymétrie, et l’anormalité uneasymétrienotable, ce qui confirme le caractère relatif(et donc très imprécis) de l’analyse clinique élémentaire.L’appréciation clinique reste pourtant prépondérante carqu’importent des mesures différentes entre les deux côtésd’un visage si cela passe inaperçu aux yeux de presquetous et n’entraîne aucun retentissement fonctionnel.

Le plan de symétrie du corps humain étant le plansagittal(figure 1), les asymétries peuvent exister dans leplan frontal et dans le plan transversal. Elles sont doncperceptibles sur des vues antéro-postérieures (asymétriesdans le plan frontal,figure 2) et sur les vues axiales(asymétries dans le plan transversal,figure 3). Pourl’extrémité céphalique, la mobilité du rachis cervicalajoute un paramètre supplémentaire car elle détermine laposture spontanée de la tête et influence le choix d’un plande référence horizontal.

Asymétries dans le plan frontal

Les asymétries dans le plan frontal (de part et d’autre duplan sagittal) sont les plus visibles sur la vue de face, etsont les plus fréquentes.

Une technique d’évaluation très simple pour le cli-nicien non spécialiste est l’observation du parallélismeentre deux lignes imaginaires : l’une bicanthale externeet l’autre bicommissurale buccale(figure 2A). La diver-gence observée entre ces deux lignes permet de mettre enévidence une asymétrie dans le plan frontal, et éventuelle-ment de la mesurer à partir d’une photographie. Lorsquel’absence de parallélisme est également présente entre laligne bicanthale externe et le plan occlusal, il existe uneasymétrie squelettique.

La ligne bicanthale ou le plan occlusal peut servir deréférence horizontale selon que l’on se place dans unréférentiel orbitaire ou occlusal, car à l’analyse crânio-faciale en trois dimensions s’ajoute également la mobilitéde l’axe cervical dans les trois dimensions. La posturespontanée de la tête oriente déjà vers celui des plans quiest le plan de référence horizontal. La certitude est don-née par l’imagerie et notamment le scanner crânien avecdes coupes passant par l’oreille interne : l’orientation ves-tibulaire est ainsi la technique de référence radiologiquequi permet de définir un plan de référence indiscutable et

Figure 1. Plan de symétrie sagittal.

de comparer des images scannographiques entre elles [2].Néanmoins la posture spontanée est cliniquement pré-pondérante. Une fois ce plan de référence horizontaldéterminé, une stratégie thérapeutique peut être envisa-gée selon la structure du massif osseux crânio-facial quiest responsable de l’asymétrie : chirurgie mandibulaireou maxillomandibulaire en cas d’asymétrie faciale infé-rieure(figure 2B), chirurgie orbitaire ou orbitofrontale encas d’asymétrie orbitocrânienne(figure 2C). Lorsque laposture rachidienne est normalement axée, et que l’asy-métrie du squelette crânio-facial est minime, il n’y a pasde chirurgie osseuse à entreprendre : seule une chirurgiedes tissus mous peut être à envisager en cas de nécessité.

Asymétries antéropostérieures

Les asymétries antéropostérieures sont situées dans leplan transversal (de part et d’autre du plan sagittal) et sontmoins visibles sur une vue de face. Elles sont visiblessur une vue axiale, c’est à dire l’observation de la têtevue par le haut(figure 3) ou par le bas. La positiondu pavillon de l’oreille externe par rapport à un repèrefacial oriente vers l’origine de la déformation : unedéformation mécanique est probable lorsque la distanceentre un repère facial, par exemple le canthus externe, et

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A B C

Figure 2. Vues frontales. A : repères sur une vue de face. B : asymétrie maxillo-mandibulaire. C : asymétrie orbitaire.

Figure 3. Vue axiale d’une asymétrie antéro-postérieure (dans le plantransversal).

le tragus auriculaire est similaire des deux côtés. Si ladistance entre pavillon et repère facial est diminuée parrapport au côté controlatéral, l’existence d’une synostosesuturaire (coronale) est vraisemblable. Vue par le haut,une asymétrie crânioorbitaire peut être mise en évidence.Vue par le bas, une asymétrie maxillomandibulaire peutêtre analysée.

Asymétries multiples

Dans les déformations crânio-faciales complexes ou évo-luées, l’association des différentes déformations dans les

trois plans de l’espace est fréquent, et il peut s’ajouter desanomalies posturales.

Bilan clinique et paraclinique d’uneasymétrie faciale ou crânio-faciale

Le bilan clinique est fondamental car la plupart des asy-métries sont peu importantes et très peu d’entre elles justi-fieront d’un traitement chirurgical sauf lorsqu’une patho-logie est associée, par exemple microsomie hémifacialeou craniosténose. Des photographies antéropostérieureset axiales peuvent permettre des mesures d’angulationassez simples, éventuellement avec un fond quadrillé, sur-tout lorsque les asymétries siègent dans le plan frontal.S’il y a un spécialiste en anthropométrie dans l’équipemultidisciplinaire, des distances peuvent être mesuréesentre les points de référence externes. Dans la pratiquecourante nous limitons ces mesures au strict minimum :distance inter-canthale, distance entre tragus et commis-sure buccale, et entre tragus et canthus externe. Le bilanradiographique apporte des renseignements sur l’étiolo-gie, et il suffit dans presque tous les cas à faire le diag-nostic de craniosténose [3]. Ces radiographies standardssont systématiques, et souvent sont suffisamment contri-butives notamment dans les grandes asymétries, commepour le diagnostic de plagiocéphalie antérieure par synos-tose coronale prématurée. Le cliché panoramique permetl’analyse des maxillaires et des articulations temporo-mandibulaires. Le scanner avec coupes horizontales, co-ronales et reconstruction en trois dimensions permet decompléter l’étude du retentissement crânio-facial com-plet : il est un examen utile avant la chirurgie surtout sil’on veut effectuer des comparaisons de mesures radiolo-giques. Lorsque l’on suspecte une participation des tissus

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A B

Figure 4. Plagiocéphalie synostotique droite opérée. A : avant chirurgie (observer l’élévation du sourcil droit et la déviation de la racine du nez vers lecôté atteint). B : après chirurgie.

mous à l’asymétrie, notamment une augmentation de lagraisse sous-cutanée, une IRM peut être utile.

Si un patient porteur d’une asymétrie faciale parvient àl’âge adulte sans retentissement fonctionnel, et que cetteasymétrie restemodérée, elle ne fera généralement pasl’objet d’une chirurgie correctrice. Lorsqu’une asymétrieest déjà notable dans l’enfance ou a fortiori évidente dansla période néonatale, une prise en charge thérapeutique estsouvent à envisager.

On distingue, selon la chronologie d’apparition, lesasymétries congénitales présentes à la naissance, lesasymétries qui apparaissent pendant la croissance et lesasymétries acquises après la croissance. À l’âge adulte,toutes les causes précédentes ont pu s’associer car uneanomalie congénitale ou apparue lors de croissance a pupasser inaperçue et avoir été négligée. Nous n’évoqueronspas le problème des asymétries tumorales de l’adulte,chez qui aucune asymétrie préalable n’existait, et qui sontsecondaires au développement d’une tumeur.

ASYMÉTRIES CONGÉNITALES

Parmi les asymétries congénitales, les asymétries crânio-orbitaires sont dominées par les craniosténoses, et lesasymétries mandibulaires sont surtout les dysplasies oto-mandibulaires. Les véritables craniosténoses postérieureslambdoïdes sont tellement exceptionnelles qu’elles méri-tent à peine d’être mentionnées.

Les asymétries antérieures

Craniosténose et faciocraniosténose [3]Présentes à la naissance car dues à une pathologie su-turaire in utero, la majorité des craniosténoses pourraitfaire l’objet d’un dépistage anténatal. À l’exception de lamaladie de Crouzon et de l’oxycéphalie vraie qui corres-pondent à une craniosténose évolutive devenant de plus enplus évidente quelques années après la naissance, toutesles autres sont déjà constituées à la naissance. Les cra-niosténoses asymétriques dans le plan frontal sont repré-sentées essentiellement par la plagiocéphalie due à une sy-nostose coronale prématurée(figure 4), qu’elle soit isoléeou associée à une rétrusion faciale (formes syndromiquesrares : Saethre-Chotzen, Crouzon asymétrique, autressyndromes asymétriques). Certaines craniosténoses duesà l’association de plusieurs synostoses crâniennes peuventprésenter une asymétrie crânio-faciale complexe surtoutchez certaines formes syndromiques rares(figures 5, 6).Le diagnostic de craniosténose asymétrique est souventévident cliniquement lorsque l’asymétrie fronto-orbitaireest importante : rétrusion et aplatissement frontal uni-latéral, élévation du sourcil, diminution franche de ladistance entre pavillon de l’oreille et canthus externe, ducôté atteint. Le diagnostic est confirmé par la radiologie :un cliché standard confirme l’anomalie de positionne-ment (ascension) de la petite aile du sphénoide (aspect« méphistophélique » radiologique).

Le diagnostic de craniosténose simple doit être faitprécocément car la chirurgie doit être entreprise avantl’âge d’un an pour les plagiocéphalies, dès l’âge de troismois dans les formes multisuturaires pour éviter le risque

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A B C

Figure 5. Plagiocéphalie synostotique droite et hypertélorisme. A : avant intervention à 1 an. B : après correction première de la plagiocéphalie.C : après correction de l’hypertélorisme (diminution de la DIC).

A B

Figure 6. Hypertélorisme et dystopie orbitaire. A : avant chirurgie. B : après intervention.

d’hypertension intra-crânienne [3]. Par contre, la confir-mation du diagnostic de faciocraniosténose (associationd’une craniosténose à une faciosténose) est souvent plustardive car la rétrusion faciale n’est pas immédiate dansles formes modérées avec exorbitisme minime. Ainsi, uneasymétrie initialement considérée comme une craniosté-nose simple s’avérera parfois être une faciocraniosténoselorsque la rétrusion faciale se démasque secondairementlors de la croissance.

Certains patients porteurs d’une plagiocéphalie par sy-nostose coronale peuvent échapper au dépistage pédia-

trique lorsque les formes initiales sont modérées. Unedéviation nasale avec attraction de la partie haute dudorsum vers le côté atteint s’associe à la rétrusion fronto-orbitaire (figure 4A). À l’âge adulte, la chirurgie desplagiocéphalies synostotiques est moins facile et plus ris-quée. Il peut devenir discutable de réaliser une chirurgieintracrânienne et un remodelage externe peut alors êtreindiqué, en association à une rhinoplastie. La correctionprécoce fronto-orbitaire évite la déviation nasale. Les pa-tients porteurs de plagiocéphalie non opérée, parvenus àl’âge adulte, ne présentent normalement pas de séquelles

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A B C

D E

Figure 7. Hémihypertrophie non tumorale. A : vue de face. B : vue de la divergence de la ligne occlusale. C : vue axiale. D : asymétrie dans le planfrontal. E : asymétrie dans le plan transversal.

cérébrales, car les synostoses unisuturaires entraînent peud’hypertension intracrânienne [3].

Microsomie hémifacialeLes microsomies hémifaciales (MHF) peuvent être sus-pectées dès la naissance sur la microtie ou l’anotie unila-térale, mais seront davantage visibles lorsque seul le côténon atteint (controlatéral) de la mandibule aura grandide façon normale, ce qui devient plus évident ultérieure-ment. Elles ne seront pas détaillées car elles font l’objetd’une étude exhaustive dans ce rapport. Le retentissementcrânio-facial des MHF n’est pas limité à la mandibule etl’asymétrie peut atteindre l’orbite dans les formes impor-tantes. La distance entre la commissure buccale et l’oreilleexterne est diminuée du côté atteint. Le traitement de cesaffections a été révolutionné par les techniques de distrac-tion (externe ou interne) qui corrige l’hypoplasie osseuseet participe à la correction des tissus mous [4, 5].

Hémihypertrophie non tumoraleIl s’agit le plus souvent d’une affection qui peut affec-ter jusqu’à l’ensemble des tissus d’un hémicorps. À laface, cette hypertrophie peut concerner les tissus mous etle squelette. Lorsqu’une hypertrophie des parties mollesest isolée, la réduction des tissus mous peut s’avérer dé-cevante et la chirurgie doit être réservée à des formesmajeures(figure 7). Une lipoaspiration peut être envisagéeen cas de surcharge graisseuse. Lorsque l’hypertrophiedu squelette est présente, un remodelage osseux peut êtreenvisagé, en association avec un traitement de l’hypertro-phie des tissus mous si celle-ci est associée. Récemment,il a été proposé une contraction osseuse avec appareillagede distraction utilisé en sens inversé [6].

Fentes faciales asymétriquesChacune des fentes faciales latérales de la classificationde Tessier peut induire une asymétrie faciale ou crânio-

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A B

Figure 8. Plagiocéphalie postérieure positionnelle gauche. A : vue axiale supérieure. B : vue frontale avec début de retentissement antérieur del’asymétrie (noter la différence des distances entre commissure buccale et canthus externe).

faciale [7]. L’hypoplasie peut affecter l’os et les les partiesmolles à des degrés divers. Les fentes faciales sont trèsrares et doivent aussi faire envisager un traitement encentre spécialisé. Le diagnostic différentiel entre une fentefaciale et une bride amniotique peut se poser parfois,mais l’empreinte de la bride amniotique ne suit pas letrajet décrit par Tessier. Des fentes faciales très localiséesaux téguments sont moins rares, par exemple sur le nez.L’association de plusieurs fentes est possible sur un mêmecôté et n’est pas symétrique. Nous excluons de ce chapitreles fentes labiopalatines dont le diagnostic est évident, etqui correspondent à la malformation de l’enfant la plusfréquente (1/500 à 1/1000 naissances selon les ethnies).

Les rarissimes synostoses postérieures

L’authentique craniosténose postérieure par synostoseprématurée d’une suture lambdoïde est exceptionnelle.Son incidence dans la série de Necker est de 6/2000craniosténoses traitées. L’incidence globale des craniosté-noses étant en France de 1/2200 naissances, on obtient lafréquence théorique de 1/730 000 naissances pour la cra-niosténose lambdoïde.

Unilatérale, elle se présente sous la forme d’un aplatis-sement postérieur du crâne, latéralisé. Elle est tellementrare qu’elle est presque toujours diagnostiquée par ex-cès, car l’on assiste depuis plusieurs années (1994) àune augmentation significative des plagiocéphalies posté-rieures positionnelles avec lesquelles on la confond. Uneradiographie standard suffit pour éliminer le diagnosticde synostose lorsque les sutures lambdoïdes sont visuali-

sées ouvertes. La chronologie précoce de la fermeture dela suture lambdoïde avant l’âge normal de 18 mois, peutêtre responsable d’anomalies du système nerveux, par ré-trécissement du volume de la fosse postérieure, et de ladescente des amygdales cérébelleuses vers le trou occipi-tal (malformation de Chiari) [8].

ASYMÉTRIES ACQUISES

Les asymétries crâniennes postérieures du nourrissondominent la pathologie acquise de la partie postérieuredu crâne. Elles demeurent dans l’immense majorité descas sans retentissement sur la face à moins qu’elles nesoient négligées(figure 8). Les asymétries positionnellespourraient poser un problème de santé publique si ellesne sont pas prévenues car la chirurgie correctrice présentedes risques vitaux.

Asymétries néonatales et du premier âge :asymétries postérieures positionnelles desnourrissons

Depuis la recommandation des pédiatres de faire dor-mir les nourrissons sur le dos pour diminuer le risquede mort subite (1993), il existe une augmentation expo-nentielle des consultations pour aplatissement postérieurdu crâne [9]. La raison de cet aplatissement est pure-ment mécanique du fait d’une position préférentielle ducrâne d’un seul et même côté, soit par habitude, soit lors-qu’il existe un minime torticolis que l’on retrouve dans

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A B

C D

Figure 9. Vue opératoire d’une plagiocéphalie positionnelle postérieure gauche. A : vue axiale de la tête en décubitus ventral (observerl’aplatissement). B : tracé de l’incision coronale postérieure (asymétrie auriculaire). C : cliché de scanner objectivant l’asymétrie crânienne.D : vueopératoire de l’asymétrie crânienne postérieure.

30 % des cas. La radiographie de contrôle est stricte-ment normale, excluant toute synostose lambdoïde qui estd’ailleurs rarissime. Le problème posé par cet aplatisse-ment postérieur positionnel du crâne chez le nourrissonest qu’il ne se corrige pas spontanément, contrairementà ce qui peut être dit trop communément. Il s’agit évi-demment d’une affection totalement bénigne, mais quinécessite des manœuvres posturales adaptées d’autantplus efficaces qu’elles sont précoces (ce qui exclut lesmanœuvres directes sur le crâne préconisées par certains,telle « l’ostéopathie crânienne »). Il faut absolument éviterde positionner l’enfant sur le dos lorsqu’il est éveillé dèsson plus jeune âge, et la croissance encéphalique peut suf-

fire à corriger l’asymétrie. Lorsque la déformation, dontl’évolution est l’accentuation spontanée, devient fixée parla consolidation normale du crâne à partir de huit/dixmois, il n’est plus possible d’espérer une correction na-turelle même avec des mesures posturales adaptées. Lachirurgie de cette asymétrie fixée que l’on envisage ja-mais avant 18 mois est une chirurgie à grand risque vitalcar elle expose le pôle postérieur du crâne où sont situésles gros confluents veineux dure-mériens. Il faut donc toutfaire pour éviter la chirurgie(figure 9), mais il est très sou-vent difficile de faire admettre aux parents de modifier laposture de leur enfant en raison de la crainte du risque demort subite.

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E F

G

Figure 9. (Suite). E : dessin des ostéotomies (proximité des gros sinus veineux). F : vue du montage avec transposition des volets. G : correction del’asymétrie postérieure.

Dès que l’aplatissement postérieur est confirmé, il suffitd’éviter autant que possible le décubitus sur le côté aplatien dehors du sommeil, et dès que possible :– positionner l’enfant en décubitus ventral dès qu’il estréveillé ;– faire dormir le bébé en position de ¾ du côté non aplati,pour respecter la recommandation des pédiatres.

Grâce à ces deux mesures posturales précoces, ladéformation se corrige assez rapidement (quelques mois)et il n’est nul besoin d’ostéopathie crânienne, de casquemodelant ou a fortiori de chirurgie. Les recommandationsdes pédiatres n’étant pas prolongées après six mois, ondoit après cette date maintenir ces mesures posturalesdurant l’éveil mais aussi pendant le sommeil [9].

Asymétries de la croissance

Troubles posturaux

De nombreuses affections peuvent entraîner des troublesposturaux cervicorachidiens (affections neuromusculaires)qui eux-mêmes peuvent engendrer une asymétrie facialeou crânio-faciale. Parmi eux, le torticolis congénital(fi-gure 10)est une affection bénigne qui, non traitée, peutêtre responsable d’asymétries squelettiques. Le tortico-lis congénital peut, dès le premier âge, engendrer uneplagiocéphalie positionnelle postérieure qui pourrait êtreprévenue par une kinésithérapie adaptée. Dans certainscas rares, une ténotomie sus-sternale du muscle sterno-cleidomastoïdien rétracté peut libérer la mobilité. Quandle trouble postural a perduré pendant toute la croissance,

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A B

Figure 10. Torticolis congénital. A : latéroposition de la tête sur la vue de face. B : observer la conservation de parallélisme des repères faciaux à cetâge.

les déformations squelettiques crânio-faciales deviennentfixées. Malgré l’aspect parfois important de l’asymétrie,celle-ci peut être bien tolérée tant sur le plan morpholo-gique que fonctionnel(figure 11).

Dysplasies fibreusesLa dysplasie fibreuse [10] pose le problème d’une asymé-trie d’origine purement squelettique qui évolue pendantla croissance, et qui généralement évolue moins après lapuberté. Il s’agit d’un excès de remodelage osseux quiproduit un os qualitativement anormal (mou) et quanti-tativement en excès avec des déformations asymétriques.Lorsque la dysplasie fibreuse est localisée, elle est ex-tirpable, mais cela n’est pas fréquent. Le plus souvent,elle affecte préférentiellement la petite aile du sphénoïdeet engendre une asymétrie orbitaire. Le rétrécissementdu canal optique est fréquent mais rarement compres-sif. Une baisse d’acuité visuelle devrait faire craindreune compression optique et conduire à une libération enurgence [10]. Des formes généralisées de dysplasie fi-breuse à l’ensemble du squelette peuvent s’associer àdes troubles endocriniens dans le cadre du syndromede McCunn-Albright. Un remodelage du contour desos déformés est le seul traitement palliatif possible(fi-gure 12).

Maladie de RombergL’atrophie faciale idiopathique consiste en une atrophieprogressive le plus souvent hémifaciale qui touche les

tissus mous et le squelette à des degrés divers. Leplus souvent asymétrique et chez la femme jeune, ilexiste des formes bilatérales, parfois même chez l’enfant.Le traitement qui consiste dans les formes majeures àdes transferts libres microanastomosés [11](figure 13)peut bénéficier d’injection de graisse dans les formesmineures.

Causes neurologiquesLes paralysies faciales posent des problèmes de crois-sance asymétrique, par l’absence d’effet de frein muscu-laire sur le côté atteint [12]. Une hypertrophie osseuse doitêtre prévenue par le traitement de la cause de la para-lysie, si elle curable. Une paralysie faciale partielle nontraitée peut entraîner à l’âge adulte une asymétrie qui nenécessite pas obligatoirement une correction osseuse aumoment de la réanimation musculaire.

ASYMÉTRIES ACQUISES À UN ÂGE VARIABLE

À tout âge, les causes tumorales, traumatiques et dégé-nératives peuvent s’associer à l’ensemble des causes pré-cédemment décrites, qu’elles soient initialement congéni-tales ou survenues lors de la croissance.

Parmi les tumeurs, les tumeurs des tissus mous peuventapparaître pendant la phase de croissance. Leur traite-ment dépend essentiellement de l’importance et de lalocalisation des lésions. Les neurofibromes orbitaires et

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A C

B D

Figure 11. Scoliose évoluée non traitée avec asymétrie crânio-faciale complexe. A : asymétrie complexe en posture spontanée (noter également ladifférence de hauteur des épaules). B : asymétrie antéro-postérieure dans le plan transversal. C : noter l’absence d’asymétrie orbitaire apparente, leplan orbitaire ayant été choisi comme référence horizontale pour le scanner. D : asymétrie des axes du cône ophtalmique.

orbitopalpébraux posent des problèmes de récidive, d’ag-gravation et, lorsqu’ils sont volumineux, résorbent l’osadjacent (sphénoïde) [13]. Les lymphangiomes ont desévolutions souvent plus lentes, mais les malformations ar-térioveineuses sont parfois très actives. Il faut dans ce casenvisager le traitement de la tumeur ou de la malformationvasculaire active. Ces asymétries tumorales, traumatiqueset dégénératives ne sont que mentionnées, car leur traite-ment dépend directement de leur cause.

CONCLUSION

Un degré modéré d’asymétrie est constant. Les asymétriesfaciales et crânio-faciales modérées sont très fréquentes,

et peu d’entre elles sont opérées. Lorsque l’asymétrie estimportante, son traitement peut faire appel à la chirurgie,surtout dans la période de croissance, et nécessite leplus souvent le recours à une équipe pluridisciplinairespécialisée.

REMERCIEMENTS

Madame Erin Guichard est particulièrement remerciéepour ses contributions graphiques dans cet article.

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Diagnostic d’une asymétrie faciale et crânio-faciale 421

A B

C D

E

Figure 12. A : dysplasie fibreuse généralisée avec syndrome de McCunn Albright. B : vue basale avec asymétrie antéro-postérieure. C : asymétrieradiologique. D : mise en évidence de la dystopie verticale. E : correction quasi-totale par remodelage orbitaire gauche.

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422 E. Arnaud et al.

A B

C D

Figure 13. Syndrome de Romberg gauche avant transfert microchirurgical. A : vue de face d’une jeune femme de 16 ans. B : vue basale. C : profilsain. D : profil atteint.

RÉFÉRENCES

1 Farkas LG. Anthropometry of the head and face, Second edition.New York : Raven press ; 1994.

2 Fenart R, Ferri J, Pellerin P, Pertuzon B, Donazzan M. Orientationvestibulaire en chirurgie crânio-maxillo-faciale. Rev Stomato ChirMax Fac 1995 ; 9 : 207-13.

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Diagnostic d’une asymétrie faciale et crânio-faciale 423

8 Cinalli G, Renier D, Sebag G, Sainte-Rose C, Arnaud E, Pierre-Kahn A. Chronic tonsillar herniation in Crouzon’s and Apert’ssyndromes. The role of the premature synostosis of the lambdoidsuture. J Neurosurg 1995 ; 83 : 575-82.

9 Renier D. Les plagiocéphalies. Pédiatrie pratique 1998 ; 97 : 8-11.10 Munro IR, Chen YR. Radical treatment for fronto-orbital dysplasia:

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