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Bernard rey Discipline en classe et autorité de l’enseignant Éléments de réflexion et d’action

Discipline en classe et autorité de l’enseignant

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éléments de réflexion et d’action

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Bernard rey

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Discipline en classe et autorité de l’enseignantéléments de réflexion et d’action

D iscipline, autorité : ces notions n’ont pas une excellente réputation, car elles sont souvent associées à des images de répression et de tyrannie. L’auteur s’attache à montrer ici que la discipline dans les classes est la

condition pour que l’enseignement profite à tous les élèves.

Mais comment faire respecter la discipline nécessaire aux apprentissages ? à partir d’une analyse des causes de l’indsicipline à l’état secondaire, cet ouvrage apporte des causes des indications concrètes et détaillées sur la manière de conduire la classe.

Il propose en outre une conception originale de l’autorité du professeur, en expliquant précisément comment tous les enseignants peuvent arriver à construire une relation d’autorité qui soit à la fois efficace et respectueuse de la personne des élèves.

Associant réflexions et consignes pour la pratique de la classe, ce livre est un outil à l’usage des enseignants du secondaire en exercice, des ensei-gnants en formation et des formateurs d’enseignants.

ISBN 978-2-8041-0765-9

RELAUTwww.deboeck.com

Pédagogie générale

Sciences & mathématiques

Sciences humaines

Ouvertures

ENSEIGNEMENTSECONDAIRE

RELAUT-cov.indd 1 18/06/09 9:58:19

Page 2: Discipline en classe et autorité de l’enseignant

149Chapitre 1

able des matières

Introduction 5

Pourquoi la discipline ? 5

Quelques représentations courantes du problème 7

Discipline et indiscipline : une multiplicité de facteurs 8

Présentation de l’ouvrage 9

Comment lire cet ouvrage ? 10

1 Qu’est-ce que la situation d’enseignement ? 11

École, formes d’apprentissage et relations à autrui 131. La coupure entre apprentissage et pratique 162. Pratiques et savoirs sur les pratiques 18

Les conséquences relationnelles de l’apprentissage scolaire 21Carence de sens et de motivation 22La dérive relationnelle 23

Des pédagogies pour corriger les inconvénients de la didactisation 25La globalisation 26Apprentissage fonctionnel et pédagogie de projet 27

Les limites de ces pédagogies 281. Apprentissage et productivité 292. Apprendre en voyant faire ? 293. École et savoirs 30

2 Les facteurs psychologiques de la discipline en classe 33

Discipline en classe et psychologie des individus 34Les individus et leur histoire 34Du bon usage professoral de la psychologie 35Les adolescents 38La psychologie des enseignants 41

Groupe et phénomènes de groupe 44Classe et groupe 44Le phénomène de conformisme 45

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150 Table des matières

Changement et résistance au changement 46Leader et leadership 48Rôles d’élèves au sein du groupe-classe 49

Les pédagogies de groupe 51Groupe et rapport à la réalité 52Réhabiliter la parole des élèves 53

3 Les facteurs sociologiques de la discipline en classe 55

La découverte progressive des facteurs sociologiques 57L’unification des réseaux et le principe méritocratique 57Le poids des inégalités culturelles 60

Attitudes et codes de comportement 62Comprendre les attitudes du professeur 62Comprendre les attitudes des élèves 63

Habitudes de pensée et activités scolaires 65Rapport à l’écriture et rapport au savoir 66Les réactions des élèves 70Que peut faire l’enseignant ? 72

Réussite scolaire et réussite sociale 75

4 La conduite de la classe 79

Regard, gestes et parole : les attitudes de base 80Regard et gestuelle 80La parole 82

Les situations de travail 841. Le travail en situation collective 842. Le travail individuel 873. Le travail en petits groupes 88

Gérer la classe 90Adapter les situations de travail 90Être attentif à la « valence » du groupe-classe 91Organiser le temps et l’espace 93

Règles et sanctions 95Le choix et l’institution des règles 95À propos des punitions et des sanctions 100

L’importance des choix didactiques 105Le savoir 105Le processus d’apprentissage 107

5 Autorité et rapport à la loi 115

Faut-il avoir de l’autorité ? 116

Comment avoir de l’autorité ? 118

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Introduction 151Table des matières

Être à l’aise sous le regard d’autrui 119Ce qu’en pensent les élèves 121

Qu’est-ce que l’autorité ? 124

Les débats contemporains sur l’autorité 126Autorité, tradition et religion 126Autorité et démocratie 128

La forme spécifique de l’autorité de l’enseignant 131

Le rapport à la loi 135Les publics difficiles 135Loi et règles pour la classe 135Des exemples de mesures concrètes 138

Conclusion 143

Bibliographie 147

Table des matières 151

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5Chapitre 1

ntroduction

Ni la notion de discipline, ni celle d’autorité n’ont une excellente réputa-tion. Car elles sont souvent associées aux idées de répression et de ty-rannie. Nous voudrions montrer qu’elles en sont pourtant radicalementdifférentes et qu’elles sont au contraire indispensables pour que l’ensei-gnement secondaire devienne démocratique.

Encore faut-il pour cela préciser rigoureusement en quoi elles consis-tent et indiquer très concrètement comment on peut les exercer dans lecadre de la classe. C’est à cela que le présent ouvrage est consacré, dansune optique de formation pour les futurs enseignants et de réflexion pourles praticiens actuels.

POURQUOI LA DISCIPLINE ?

Disons-le sans ambages : non seulement le professeur du secondaire nedoit pas se sentir coupable d’instituer, dans ses cours, une certaine dis-cipline, mais cela fait partie de ses devoirs professionnels. Et cela pourau moins trois raisons :

1) Une collectivité humaine ne peut durablement fonctionner sansrègles. Ces règles, loin d’opprimer, protègent de l’oppression.Certes elles contraignent l’individu, mais elle le protège dumême coup de la force des autres en les contraignant pareille-ment. Elles ouvrent ainsi à chacun équitablement un espacede liberté. Dans les classes du secondaire où les enseignantsn’ont pas su instituer des règles de coexistence, règne souventun climat d’intimidation, voire de terreur, de la part de cer-tains élèves à l’égard d’autres. Refuser d’instituer des règles aunom de la liberté individuelle ou de la bienveillance que l’ondevrait à de tout jeunes gens constituerait une erreur éthique.

2) Mais la classe n’est pas seulement une collectivité ; c’est unecollectivité établie dans le but de faire accéder à des savoirs (ausens très général de connaissances théoriques ou pratiques).

Introduction

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6 Introduction

Or un savoir, quel qu’il soit, est un discours qui obéit à desrègles. Faire du français, des mathématiques, de la géographie,de la physique, etc., c’est toujours accepter d’obéir à des procé-dures rigoureuses, d’utiliser des concepts qui ne sont pasouverts à la fantaisie individuelle. C’est se plier à une disci-pline. Ce n’est pas un hasard si ce même mot de discipline dé-signe à la fois un champ du savoir scolaire et un régime d’ordreet de règles.Cela rappelle d’ailleurs que la discipline que le professeur vatenter d’imposer en classe ne se légitime que parce qu’elle estd’abord l’ensemble des prescriptions qu’il faut respecter dansun champ de savoir donné. Si l’on se met à transiger avec lerespect des règles dans la classe, on risque de suggérer aux élè-ves qu’on peut également transiger avec les règles des savoirsqu’on étudie.

3) Le laxisme, le renoncement à des règles précises de fonction-nement de la classe ont ordinairement des conséquences bienconnues : il s’établit un climat défavorable au travail et à l’ap-prentissage. Or ce climat risque toujours d’être plus domma-geable aux élèves qui sont déjà en difficulté ou à ceux quiviennent de milieux défavorisés. Car ces derniers, moins sus-ceptibles d’être aidés à l’extérieur de l’école, pâtiront plus di-rectement d’un mauvais fonctionnement du cours ; et ayantmoins intériorisé les règles implicites du fonctionnement sco-laire, ils seront plus enclins à abandonner tout effort dès lorsque la classe est le lieu d’un laisser-faire général.

Pour ces raisons, il est indispensable qu’une discipline soit instituée dansles cours. Mais une telle discipline ne s’établit pas d’elle-même. Elle exige,dans la plupart des cas, que l’enseignant établisse une relation d’auto-rité. Or beaucoup d’enseignants n’ont pas envie d’être «autoritaires».

Pourtant, tous les enseignants souhaitent que les élèves soient calmes,qu’ils écoutent avec attention le cours, qu’ils obéissent aux règles de vieen commun, qu’ils soient dociles aux injonctions du professeur, qu’ils serespectent mutuellement, qu’ils soient polis et déférents, qu’ils soientintellectuellement disponibles, etc., et que tout cela se passe dans le bon-heur général. Or il n’en est pas toujours ainsi.

Au contraire, les médias relatent régulièrement des faits de violence dansles établissements secondaires et de nombreux ouvrages sont désormaisconsacrés à ce problème. Certes, la violence au sens ordinaire, la

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Introduction 7Introduction

violence physique, n’est pas le lot quotidien de l’enseignant du secon-daire et nous n’en parlerons pas directement. Mais si, sous le terme deviolence, on entend aussi l’humiliation, la dépréciation, la mise au pas,les menaces, les peurs, les tensions conflictuelles, l’affrontement desdésirs divergents, etc., alors, certainement, les relations dans la classe,au collège et au lycée, sont violentes.

QUELQUES REPRÉSENTATIONS COURANTES DU PROBLÈME

Parce que les enseignants sont durement affectés par ce problème dansl’exercice de leur métier et dans leur vie, ils le perçoivent souvent d’unemanière très émotionnelle et, donc, à travers des représentations incer-taines ou partielles :

– Ainsi certains nient tout simplement le problème. Parmi lesfuturs enseignants certains peuvent croire, avant leur premièreentrée dans une classe, qu’il leur suffira d’exposer leur matièred’une manière claire et précise pour que les élèves les écou-tent. Certains enseignants en exercice peuvent être tentés de lepenser aussi, parce qu’ils prennent la passivité ou l’indifférencedes élèves pour un signe d’intérêt, d’attention et d’activité in-tellectuelle, ou bien encore parce qu’ils se sont habitués à fairecours dans le brouhaha et l’agitation, souvent par résignation,parfois avec la conviction que c’est une situation normale.

– D’autres ressentent vivement le problème, mais ont tendanceà l’attribuer aux élèves et à des causes extérieures à l’école.À leurs yeux, les jeunes seraient incapables d’attention intel-lectuelle et d’effort, du fait des carences éducatives de leur fa-mille ou de la permissivité générale de notre société. Par suite,les enseignants ne pourraient exercer leur métier, lequel, danscette optique, est conçu comme la transmission d’un savoir àdes élèves dont l’éducation serait préalablement achevée et lecomportement spontanément réceptif à tout discours ration-nel. Il faudrait résoudre les problèmes de discipline avant detenter d’inculquer un savoir quelconque.

– D’autres, enfin, imputent le problème à eux seuls et estimentmanquer d’autorité naturelle. Souvent cette idée est liée à celleselon laquelle cette «autorité» serait un caractère qu’on ne sau-rait acquérir, mais qu’on posséderait ou non d’une manièreinnée. Pensée désespérante !

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8 Introduction

DISCIPLINE ET INDISCIPLINE : UNE MULTIPLICITÉ DE FACTEURS

De telles représentations ne sont pas nécessairement fausses en elles-mêmes ; mais chacune est trop restrictive. Dès qu’on passe d’une saisieimmédiate et vécue des problèmes relationnels de la classe à une tenta-tive pour les expliquer, on doit convenir qu’ils sont dus à une multipli-cité de facteurs enchevêtrés qu’il est toujours illusoire de réduire ou desimplifier. Sans présumer de la suite, on peut d’emblée évoquer quel-ques-unes de ces causes :

• L’école est une institution où les jeunes sont invités à appren-dre, mais selon des modalités d’apprentissage très particuliè-res. Songeons, par exemple, au fait que l’école est probablementun des rares lieux où une personne peut poser une question àune autre alors même qu’elle en possède déjà la réponse. Son-geons qu’à l’école, les élèves n’ont souvent pas choisi d’appren-dre ce qu’on leur fait apprendre ; d’où une divergencefondamentale avec des professeurs qui, dans le secondaire, sontdes spécialistes de leur discipline et ont bâti leur vie sur l’inté-rêt pour elle. En outre les élèves sont, à l’école, placés dans unesituation d’apprentissage. Or le processus d’apprentissage n’estjamais dénué d’effets socio-affectifs.

• Inévitablement les relations qui s’établissent dans la classe sontmarquées par des données psychologiques propres à l’histoirepersonnelle de chacun des acteurs. Ces données sont ampli-fiées et compliquées par le fait que l’enseignement secondaires’adresse à des adolescents. À cela s’ajoute que la classe est ungroupe et, de plus, un groupe confronté à des tâches spécifi-ques ; comme telle, elle est le lieu de phénomènes relationnelsparticuliers.

• L’école met en présence des individus dont les caractéristiquessociologiques sont différentes et parfois opposées. Du fait despratiques intellectuelles de leur milieu d’origine, certains élè-ves peuvent avoir peur de l’école, ne pas comprendre ce qu’ony fait ou avoir le sentiment qu’une adhésion aux activités etaux valeurs de l’école entraînerait une perte de leur identité ouune trahison de leur famille et de leur milieu. Les enseignantsde leur côté ne sont pas toujours conscients du caractère socia-lement spécifique des habitudes de pensée qu’ils mettent enœuvre ou dont ils exigent la mise en œuvre par leurs élèves.

Bien entendu, l’enseignant du secondaire n’a pas le pouvoir de modifiertoutes ces déterminations. Mais il est utile qu’il les connaisse. Car cette

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Introduction 9Introduction

connaissance lui permet d’échapper au sentiment d’une fatalité indis-tincte et d’éviter certaines erreurs relationnelles.

Mais nous verrons que malgré leur poids, l’enseignant dispose d’uneimportante marge de manœuvre qui tient à la fois à la manière dont ilorganise le fonctionnement de la classe (ses choix pédagogiques) et à lamanière dont il crée les conditions de l’accès aux savoirs et aux compé-tences (ses choix didactiques).

Mais si le professeur est appelé à prendre sans cesse une multitude demicro-décisions qui conditionnent les relations dans la classe, cette pous-sière de choix doit être régie par un projet unique qui est de faire ap-prendre. Nous verrons que ce projet est essentiel dans la constructionde l’autorité professorale.

PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE

Les trois premiers chapitres de ce livre seront consacrés aux trois grandsdomaines de facteurs qui interviennent sur le climat relationnel d’uneclasse et que nous avons présentés ci-dessus :

Chapitre 1 : les facteurs qui tiennent aux caractéristiques particulièresde la situation d’enseignement.

Chapitre 2 : les facteurs psychologiques et ceux qui tiennent aux phé-nomènes de groupe. Nous prolongerons ce chapitre parquelques remarques sur les pédagogies de groupes.

Chapitre 3 : les facteurs sociologiques.

Les deux derniers chapitres portent sur les possibilités d’interventionde l’enseignant sur le climat relationnel de la classe :

Chapitre 4 : la conduite de la classe. C’est dans ce chapitre que serontdonnés les conseils les plus pratiques pour instituer un cli-mat de travail et d’apprentissage dans une classe ; nous leprolongerons par quelques pistes concernant les choix di-dactiques.

Chapitre 5 : l’autorité. Il s’agira là à la fois de réfléchir à ce qu’elle est etd’indiquer des voies pour que l’enseignant établisse unerelation d’autorité avec ses élèves.

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10 Introduction

COMMENT LIRE CET OUVRAGE ?

Le présent ouvrage peut se lire selon différents parcours en fonction despréoccupations principales du lecteur.

Celui qui souhaite avoir, au plus vite, des conseils pratiques pour exer-cer le métier d’enseignant pourra commencer par le chapitre 4, puispoursuivre par le chapitre 5, avant de revenir aux trois premiers chapi-tres.

Celui qui désire se faire une idée d’ensemble des processus dont uneclasse du secondaire est le lieu suivra les chapitres dans leur ordre natu-rel.

Celui enfin qui cherche des éléments pour une réflexion critique surl’école et l’enseignement peut commencer par le premier chapitre, puispasser directement au cinquième, avant de revenir aux autres.

À retenir pour la pratique

Sous ce titre, on trouvera à la fin de chaque chapitre un ou plusieursencadrés.

Nous avons tenté d’y consigner les conseils pratiques qu’on peut tirerdu chapitre et qui permettent d’établir, dans la classe, une discipline fa-vorable aux apprentissages.

Toutefois ces conseils sont à prendre avec un minimum de prudence,car s’ils sont efficaces dans les situations de classe les plus courantes, ilspeuvent l’être moins dans certains contextes particuliers.

Ils constituent l’équipement de base de l’enseignant débutant, équipe-ment que celui-ci devra progressivement adapter aux caractéristiques deses élèves, à la matière qu’il enseigne, aux particularités de l’établisse-ment, à sa propre personnalité, etc.

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hapitre 3

55Chapitre 1

Les facteurs sociologiquesde la discipline en classe

Chapitre 3

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56 Chapitre 3

La classe est un lieu où se rencontrent des personnes qui peuvent êtred’origine sociale différente. Ce peut être le cas d’élèves à élèves. Ce peutl’être aussi entre élèves et professeur. Cette distance sociale se marquepar des différences de manières d’être, de codes de comportement, desystèmes de valeurs. Elle entraîne alors inévitablement des malenten-dus, des tensions, des conflits.

Mais les personnes ne sont pas seules en cause. L’institution scolaireelle-même, par le type d’activités qu’elle impose, prône un système d’at-titudes, de manières de penser, d’intérêts et de valeurs qui ne sont passocialement neutres. De ce fait, les élèves venant de milieux défavoriséspeuvent ressentir ces activités comme bizarres ou incongrues, voirecomme susceptibles de les mettre systématiquement en difficulté. Oncomprend alors qu’il puisse y avoir de leur part des attitudes de résis-tance qui affectent les relations dans la classe.

C’est une idée largement partagée par les enseignants qu’il est plus fa-cile d’enseigner dans un établissement de quartier aisé que dans unebanlieue déshéritée. Ce n’est évidemment pas faux, pour les raisons quenous venons d’esquisser et que nous allons développer dans ce chapitre.

Mais ce fait massif peut donner lieu à des interprétations erronées ettendancieuses et qui, par là, empêchent d’inventer des solutions. Car iltend à accréditer l’idée que les jeunes de milieu défavorisé seraient, eneux-mêmes et dans leur essence, paresseux, indociles, incivils, insolents,voire agressifs. Il y a là une illusion substantialiste. Car il n’y a aucuneraison de penser que ces individus seraient par nature plus mauvais qued’autres. Quant à penser que c’est leur milieu d’origine qui les a rendusainsi, ce serait une idée dont il faudrait se demander si elle ne procèdepas du regard d’une classe sociale sur une autre. Si l’on constate que lesjeunes d’origine défavorisée sont des élèves plus « difficiles », il y a toutlieu de penser que cette caractéristique ne tient pas à leur être même,mais plutôt à la relation qui s’établit entre eux et les enseignants, entreeux et l’école et peut-être aussi entre eux et les élèves d’autre origine.

Dire que c’est la relation qui produit cet effet, c’est dire deux choses.D’abord, les activités proposées par l’école peuvent provoquer, pour desraisons que nous verrons, des réactions de refus ou de résistance de lapart d’adolescents d’origine populaire. En outre, c’est dans le regard desenseignants ou dans la logique de l’école que certains comportementspeuvent apparaître comme faits d’incivilité ou d’indocilité. Car une

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Introduction 57Les facteurs sociologiques de la discipline en classe

conduite humaine ne peut être jugée bonne ou mauvaise que par réfé-rence à une norme, norme qui peut être ici celle de l’institution ou celledu groupe social auquel appartient l’enseignant.

Penser l’indiscipline scolaire comme la caractéristique non pas d’indivi-dus, mais d’une relation entre individus, c’est éviter le fatalisme, car unerelation peut toujours être modifiée. Et tout particulièrement c’est évi-ter le fatalisme sociologique et pouvoir rendre compte du fait qu’il existedes jeunes d’origine très défavorisée qui sont cependant attentifs, sé-rieux et scolairement performants.

LA DÉCOUVERTE PROGRESSIVE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES

Les facteurs sociaux de l’indiscipline sont encore si peu reconnus et sipeu pris en compte dans le traitement du problème qu’il convient deréexaminer les circonstances historiques dans lesquelles ils ont été ré-vélés.

L’unification des réseaux et le principe méritocratique

Dans la plupart des pays industrialisés, l’enseignement comporte, audébut du XXe siècle, deux réseaux distincts : d’une part un enseigne-ment court qui mène à la vie active dès la fin des études primaires ; d’autrepart un cursus long en lequel le primaire conduit sans discontinuité auxhumanités secondaires qui, à leur tour, ouvrent la porte aux études su-périeures.

En France, ces deux réseaux sont, au moins au début, remarquable-ment étanches : d’un côté, les écoles mènent au certificat d’étudesprimaires par un cursus comprenant cours préparatoire, cours élé-mentaire, cours moyen, cours supérieur ; de l’autre, il y a les lycéesqui comportent des classes élémentaires (de la 11ème à la 7ème)d’où l’on passe sans rupture aux classes secondaires qui conduisentau baccalauréat. Les petites classes des lycées ont bien le même pro-gramme que celles des écoles, mais les enseignants y sont différents :ils sont recrutés jusqu’en 1927 par un concours spécifique, tandisque les instituteurs qui enseignent dans le réseau primaire ne sontpas eux-mêmes issus des lycées : après leur école primaire, ils ontrejoint, par le biais de l’école primaire supérieure, l’école normale.

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58 Chapitre 3

Chacun des deux réseaux est spécifique d’un groupe social : aux enfantsdes classes populaires, l’école primaire ; aux enfants de la petite etmoyenne bourgeoisie, le réseau des humanités. Aucune des deux insti-tutions n’a une fonction sélective importante. Chaque enfant entre vers6 ans dans le réseau qui lui est dévolu par son groupe social d’origine ;sa performance scolaire au sein de ce réseau n’a pas d’incidence massivesur son avenir. La répartition entre études courtes et études longues etentre les destinations sociales qu’elles impliquent n’a pas à être opéréeau sein de l’école même. Elle se fait en deçà.

En Belgique, il existe également à la fin du XIXe siècle un cursusprimaire fréquenté par les enfants des milieux populaires et le cur-sus des humanités fréquenté par les enfants des classes supérieu-res. La seule différence est que dès 1850, on voit apparaître untroisième cursus constitué d’un enseignement secondaire court, fré-quenté par les fils et filles d’employés et de commerçants. Mais cettedifférence n’empêche pas qu’on trouve le même principe de fonc-tionnement : il y a une prédestination sociale de la fréquentationdes différents cursus. Un enfant, dans le cas le plus général, suit lesétudes qui correspondent à la classe sociale de ses parents et, à sasortie, rejoint une position sociale du même type, sans que sa réus-site ou son échec à l’école ne joue un rôle décisif dans son destinsocial.

Or, dans ces deux pays que nous prenons comme exemples, mais aussidans beaucoup d’autres parmi les pays développés, le fonctionnementscolaire va considérablement changer au cours du XXe siècle. En effet denombreuses mesures, d’abord ponctuelles puis plus systématiques, vontviser à permettre à tous l’accès aux études les plus longues et les plusdifficiles, dans le double but de démocratiser l’école et d’élever le niveaud’études de l’ensemble de la population pour répondre aux exigencesdes transformations socio-économiques. On peut, en France comme enBelgique, regrouper ces mesures en deux catégories :

1) Les premières consistaient à supprimer les obstacles matériels oufinanciers à ce que des enfants d’origine populaire suivent des étu-des : c’est dans ce sens qu’allait d’abord l’obtention de la gratuitéscolaire ainsi que la scolarité obligatoire, puis l’attribution de dé-dommagements aux familles pour lesquelles la poursuite des étudesd’un adolescent pouvait constituer une charge ou un manque à ga-gner (ainsi, les bourses ou encore, en Belgique à partir de 1921, le« fonds des mieux doués »).

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Introduction 59Les facteurs sociologiques de la discipline en classe

2) Les autres ont consisté à permettre la mobilité au sein du systèmescolaire. Cela s’est fait dans un premier temps par un décloisonne-ment des filières, c’est-à-dire la possibilité pour un élève qui a com-mencé des études dans une filière d’accéder à une filière plus favorablesi ses résultats scolaires le justifient. Par exemple dès l’entre-deuxguerres en France, des passerelles s’étaient établies entre les deuxréseaux. Les très bons élèves de l’école primaire pouvaient rejoindrele lycée en sixième et dans les années cinquante le concours d’entréeen sixième systématisait cette sélection. En Belgique, dès 1924, il y ades tentatives d’harmonisation des programmes du primaire avecles classes préparatoires de l’enseignement moyen.

Ensuite, s’est mise en place une continuité sous la forme d’un tronc com-mun permettant de placer le plus tard possible le moment d’une orien-tation irréversible.

Ainsi, en France, la création des collèges en 1963 rassemble les deuxréseaux en un système unique : tous les élèves vont à l’école pri-maire, puis tous vont au collège.De même en Belgique, dans les années cinquante et soixante, diver-ses mesures visent à rendre compatibles les différentes filières del’enseignement secondaire et à permettre le passage de l’une à l’autre.Elles culmineront, en 1971, par le mise en place de « l’enseignementrénové » qui, grâce à un jeu complexe d’options, devait permettre àchaque élève une grande mobilité au sein du système.

L’ensemble de ces mesures est inspiré d’un principe qu’on peut nom-mer le principe méritocratique, principe qui traverse la pensée progres-siste du XIXe et du XXe siècle et qui est largement inspirée par les idéesde Condorcet. Ce principe consiste à vouloir établir l’égalité à l’école.

Mais cette égalité qu’on veut promouvoir doit s’entendre dans un sensqu’il faut préciser : il ne s’agit pas de faire accéder tout le monde auxétudes les plus difficiles et au niveau de savoir le plus haut ; il s’agit defaire que les plus doués et les plus courageux puissent accéder au niveaule plus haut indépendamment de leur origine sociale. Il s’agit donc biende créer une élite, mais l’accès à cette élite ne doit pas reposer sur l’ap-partenance à une lignée ou à une caste, mais sur le mérite personnel.Alors l’école deviendrait le principal outil pour briser les fatalités socia-les.

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60 Chapitre 3

Pour le dire autrement, le principe méritocratique consiste à vouloir éta-blir non pas une égalité de réussite ou de résultats, mais une égalité deschances.

Le poids des inégalités culturelles

Or précisément, le fonctionnement d’un système unifié, où tous les en-fants se retrouvent de 6 à 16 ans, fait apparaître que si tous ont le mêmecursus et suivent les mêmes enseignements, tous n’en tirent pas égale-ment parti. L’inégalité de succès et l’échec scolaire apparaissent au grandjour comme des faits scandaleux qui manifestent que l’unification dusystème, dont on pensait qu’elle garantirait l’égalité de formation de base,ne produit pas l’effet attendu. Bien entendu, on pouvait être tenté, con-formément à la tradition méritocratique, d’expliquer l’inégalité de réus-site scolaire par l’inégale répartition des dons et de l’effort.

Mais, ce qu’allaient révéler les recherches de sociologie critique des an-nées soixante (par exemple les livres de Bourdieu et Passeron : Les héri-tiers, 1964 et La reproduction, 1970), c’est que la réussite scolaireest très massivement corrélée à l’origine sociale. Le pourcen-tage d’enfants d’origine populaire qui accèdent à la fin des humanitésclassiques ou à l’université est de loin inférieur à la proportion des clas-ses populaires dans l’ensemble de la population. Dès lors, à moins desupposer une infériorité intellectuelle générale et héréditaire des clas-ses populaires (ce qui a été parfois défendu), il fallait faire appel, pourexpliquer cette corrélation massive, à des déterminations sociales.

Alors même que les obstacles financiers sont aplanis et que les filièresde l’enseignement sont relativement décloisonnées, la scolarité paraîtreconduire les inégalités sociales. Et précisément, aux yeux de Bourdieu,les idées de don inné ou de mérite personnel ne font que masquer cettereproduction sociale, en faisant croire que ceux qui ne réussissent pas àl’école doivent cet insuccès à leur manque de talents et de persévérance.Bourdieu critique très fortement l’idée de dons innés, en lesquels il nevoit que la dénégation de l’importance du capital culturel acquis.

Pour rendre compte plus précisément de ces déterminations sociales etculturelles, Bourdieu et Passeron (1970) proposent le concept d’habitus.Il s’agit d’un « système de schèmes de perception, de pensée, d’appré-ciation et d’action ». On voit donc qu’il recouvre aussi bien le champcognitif que celui de l’action : sélection de ce qu’on va percevoir comme