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ÉDITORIAL Distraction osseuse et chirurgie conventionnelle en chirurgie maxillo-faciale J. Mercier Clinique de stomatologie et de chirurgie Maxillo-faciale, CHU Hôtel Dieu, 1 place Alexis Ricordeau, 44093 Nantes Cedex 1. Tirés à part : J. Mercier, à l’adresse ci-dessus. En 1997, la distraction osseuse cranio-faciale connut une certaine consécration au travers du congrès international sur la distraction à Paris organisée par Marie-Paule Vasquez et Patrick Diner. À l’époque, Mac Carthy (USA), considéré alors comme un des maîtres à penser dans ce domaine n’hésita pas à dire que la chirurgie orthognathi- que conventionnelle avait vécu ou vivait ses dernières heures. C’était aller un peu vite en besogne. Il est vrai que le principe de la distraction osseuse initiée par Illizarov et appliqué à la structure cranio-faciale était séduisant et les résultats, bien que précoces, parfois spectaculaires. Mais à la lumière des congrès internationaux qui ont eu lieu par la suite à Paris dont le dernier en juin 2003 sous la présidence d’Éric Arnaud, l’engouement est devenu plus mesuré et certains résultats à distance ont appelé à plus d’humilité. Trois raisons principales peuvent être retenues dans cette évolution : — les cicatrices disgracieuses des distracteurs externes, acceptables dans les rares cas où le rapport bénéfice/ cicatrices était positif, ont contraint les praticiens et fabri- cants à développer des appareils endo-buccaux au contrôle directionnel (ou vectoriel) beaucoup plus délicat notamment au niveau du ramus mandibulaire avec pour conséquences, quelques déconvenues voire abandons du procédé par certains ; — directement corrélé est le problème posé par les tissus mous faciaux concernés par la distraction osseuse. La plupart des orateurs traitant de la microsomie hémi- faciale au dernier congrès de juin 2003 ont fait part de mauvais résultats en fin de croissance dans les cas où l’hypoplasie des tissus mous était réelle. Ces tissus mous influencent la direction, l’amplitude et la stabilité du ré- sultat et la constitution normale ou anormale de ces tissus conditionne le pronostic et force est de constater que la distraction osseuse n’a dans ce domaine pas plus de pouvoir qu’une technique conventionnelle qui est, elle aussi, soumise à l’influence des tissus mous ; — enfin, l’effet mode, que l’on a connu aussi pour une technique endoscopique, a poussé les indications de la distraction osseuse au-delà du raisonnable, dans des mains parfois pas toujours expérimentées, ayant pour conséquence un désintérêt voire une dévalorisation de la technique. La chirurgie conventionnelle, qu’elle soit orthognathi- que, réparatrice ou reconstructrice micro-chirurgicale ou non a, de par sa fiabilité, sa rapidité, sa relative simplicité et ses résultats immédiats, encore un intérêt indiscutable et la distraction, quoi qu’on ait pu dire, ne peut pas tout résoudre tant s’en faut. La recherche fondamentale, la chirurgie expérimentale animale et la recherche clinique, dont la littérature se fait toujours largement l’écho, montrent bien que la distrac- tion osseuse faciale cherche encore ses marques. Néan- moins, le temps a fait son travail et imposé des choix. L’expansion maxillaire chirurgicalement assistée a re- trouvé un essor certain, la distraction alvéolaire ou seg- mentaire tente de répondre au développement de l’im- plantologie, certaines micromandibulies (microcorpies) avec ou sans syndromes d’apnées du sommeil semblent donner des résultats prometteurs de même que la distrac- tion — transfert ostéo-cutanée mandibulaire dans les vastes pertes de substance. On peut donc dire que la distraction osseuse est une technique supplémentaire en chirurgie de la face dont les indications précises sont encore mal définies mais dont l’utilité pourrait apparaître là où la chirurgie dite conven- tionnelle n’est pas aisément applicable et à condition que le rapport bénéfice/risque, sans parler du coût soit « significativement » positif. La contrainte (appareillage, temps, douleur) de cette technique ne doit cependant pas être occultée et seule une évaluation objective digne de ce nom (dentaire, oc- clusale, squelettique et des tissus mous) donnera à la distraction osseuse faciale ses lettres de noblesse. Rev. Stomatol. Chir. maxillofac., 2004; 105, 1, 3 © Masson, Paris, 2004. 3

Distraction osseuse et chirurgie conventionnelle en chirurgie maxillo-faciale

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Page 1: Distraction osseuse et chirurgie conventionnelle en chirurgie maxillo-faciale

ÉDITORIAL

Distraction osseuse et chirurgie conventionnelleen chirurgie maxillo-faciale

J. Mercier

Clinique de stomatologie et de chirurgie Maxillo-faciale, CHU Hôtel Dieu, 1 place Alexis Ricordeau, 44093 Nantes Cedex 1.Tirés à part : J. Mercier, à l’adresse ci-dessus.

En 1997, la distraction osseuse cranio-faciale connut unecertaine consécration au travers du congrès internationalsur la distraction à Paris organisée par Marie-PauleVasquez et Patrick Diner. À l’époque, Mac Carthy (USA),considéré alors comme un des maîtres à penser dans cedomaine n’hésita pas à dire que la chirurgie orthognathi-que conventionnelle avait vécu ou vivait ses dernièresheures. C’était aller un peu vite en besogne. Il est vrai quele principe de la distraction osseuse initiée par Illizarov etappliqué à la structure cranio-faciale était séduisant et lesrésultats, bien que précoces, parfois spectaculaires. Maisà la lumière des congrès internationaux qui ont eu lieu parla suite à Paris dont le dernier en juin 2003 sous laprésidence d’Éric Arnaud, l’engouement est devenu plusmesuré et certains résultats à distance ont appelé à plusd’humilité.

Trois raisons principales peuvent être retenues danscette évolution :

— les cicatrices disgracieuses des distracteurs externes,acceptables dans les rares cas où le rapport bénéfice/cicatrices était positif, ont contraint les praticiens et fabri-cants à développer des appareils endo-buccaux aucontrôle directionnel (ou vectoriel) beaucoup plus délicatnotamment au niveau du ramus mandibulaire avec pourconséquences, quelques déconvenues voire abandons duprocédé par certains ;

— directement corrélé est le problème posé par lestissus mous faciaux concernés par la distraction osseuse.La plupart des orateurs traitant de la microsomie hémi-faciale au dernier congrès de juin 2003 ont fait part demauvais résultats en fin de croissance dans les cas oùl’hypoplasie des tissus mous était réelle. Ces tissus mousinfluencent la direction, l’amplitude et la stabilité du ré-sultat et la constitution normale ou anormale de ces tissusconditionne le pronostic et force est de constater que ladistraction osseuse n’a dans ce domaine pas plus depouvoir qu’une technique conventionnelle qui est, elleaussi, soumise à l’influence des tissus mous ;

— enfin, l’effet mode, que l’on a connu aussi pour unetechnique endoscopique, a poussé les indications de ladistraction osseuse au-delà du raisonnable, dans desmains parfois pas toujours expérimentées, ayant pourconséquence un désintérêt voire une dévalorisation de latechnique.

La chirurgie conventionnelle, qu’elle soit orthognathi-que, réparatrice ou reconstructrice micro-chirurgicale ounon a, de par sa fiabilité, sa rapidité, sa relative simplicitéet ses résultats immédiats, encore un intérêt indiscutableet la distraction, quoi qu’on ait pu dire, ne peut pas toutrésoudre tant s’en faut.

La recherche fondamentale, la chirurgie expérimentaleanimale et la recherche clinique, dont la littérature se faittoujours largement l’écho, montrent bien que la distrac-tion osseuse faciale cherche encore ses marques. Néan-moins, le temps a fait son travail et imposé des choix.

L’expansion maxillaire chirurgicalement assistée a re-trouvé un essor certain, la distraction alvéolaire ou seg-mentaire tente de répondre au développement de l’im-plantologie, certaines micromandibulies (microcorpies)avec ou sans syndromes d’apnées du sommeil semblentdonner des résultats prometteurs de même que la distrac-tion — transfert ostéo-cutanée mandibulaire dans lesvastes pertes de substance.

On peut donc dire que la distraction osseuse est unetechnique supplémentaire en chirurgie de la face dont lesindications précises sont encore mal définies mais dontl’utilité pourrait apparaître là où la chirurgie dite conven-tionnelle n’est pas aisément applicable et à condition quele rapport bénéfice/risque, sans parler du coût soit« significativement » positif.

La contrainte (appareillage, temps, douleur) de cettetechnique ne doit cependant pas être occultée et seuleune évaluation objective digne de ce nom (dentaire, oc-clusale, squelettique et des tissus mous) donnera à ladistraction osseuse faciale ses lettres de noblesse.

Rev. Stomatol. Chir. maxillofac., 2004; 105, 1, 3© Masson, Paris, 2004.

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