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Divorce parental et troubles psychopathologiques chez l’enfant et l’adolescent. Étude comparative tunisienne H. Ayadi, Y. Moalla, S. Ben Ahmed, A. Walha, H. Laaribi, F. Ghribi* Service de pédopsychiatrie, CHU Hédi Chaker, Sfax, Tunisie (Reçu le 26 juin 2001 ; accepté le 15 janvier 2002) Résumé L’objectif de notre travail était de relever le rôle du divorce parental dans le déterminisme d’éventuels troubles psychopathologiques spécifiques chez l’enfant et l’adolescent. L’étude était rétrospective et comparative portant sur 84 dossiers d’enfants et d’adolescents de parents divorcés et sur 300 dossiers de consultants de parents unis ; appariés selon l’âge, le sexe et le niveau socioéconomique. Nous avons comparé, les motifs de consultation, les cadres nosographiques et l’évolution des troubles dans les deux groupes. Trois motifs de consultation ont été corrélés au divorce : les troubles du caractère, les troubles du comportement et les difficultés scolaires. Trois pathologies ont été corrélées au divorce : les troubles de la personnalité hors névrose et hors psychose, les troubles réactionnels, et les troubles dépressifs. L’aggravation des troubles psychiques à court et à moyen terme était significativement plus fréquente chez les enfants de parents divorcés. L’évolution à long terme était similaire dans les deux groupes. La fréquence des troubles de la personnalité hors névrose et hors psychose, des troubles réactionnels, et des troubles dépressifs chez les enfants de parents divorcés s’expliquerait en partie par l’importance pour ces pathologies des expériences de séparation. Le divorce apparaît comme un facteur de risque à la pathologie mentale de l’enfant et de l’adolescent sans pour autant avoir un lien étiologique linéaire précis. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS divorce / psychopathologie / enfant / adolescent / CFTMCA Summary – Parental divorce and psychopathologic unrests at the child and the teenager. Tunisian comparative study. The objective of our work was to study the role of parental divorce in the appearance of possible specific psychopathologics of children and teenagers. *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (F. Ghribi). Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2002 ; 50 : 121-7 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S022296170200079X/FLA

Divorce parental et troubles psychopathologiques chez l’enfant et l’adolescent. Étude comparative tunisienne

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Page 1: Divorce parental et troubles psychopathologiques chez l’enfant et l’adolescent. Étude comparative tunisienne

Divorce parental et troubles psychopathologiqueschez l’enfant et l’adolescent. Étude comparativetunisienne

H. Ayadi, Y. Moalla, S. Ben Ahmed, A. Walha, H. Laaribi, F. Ghribi*

Service de pédopsychiatrie, CHU Hédi Chaker, Sfax, Tunisie

(Reçu le 26 juin 2001 ; accepté le 15 janvier 2002)

RésuméL’objectif de notre travail était de relever le rôle du divorce parental dans le déterminisme d’éventuelstroubles psychopathologiques spécifiques chez l’enfant et l’adolescent.

L’étude était rétrospective et comparative portant sur 84 dossiers d’enfants et d’adolescents deparents divorcés et sur 300 dossiers de consultants de parents unis ; appariés selon l’âge, le sexe etle niveau socioéconomique.

Nous avons comparé, les motifs de consultation, les cadres nosographiques et l’évolution destroubles dans les deux groupes.

Trois motifs de consultation ont été corrélés au divorce : les troubles du caractère, les troubles ducomportement et les difficultés scolaires.

Trois pathologies ont été corrélées au divorce : les troubles de la personnalité hors névrose et horspsychose, les troubles réactionnels, et les troubles dépressifs.

L’aggravation des troubles psychiques à court et à moyen terme était significativement plus fréquentechez les enfants de parents divorcés. L’évolution à long terme était similaire dans les deux groupes.

La fréquence des troubles de la personnalité hors névrose et hors psychose, des troublesréactionnels, et des troubles dépressifs chez les enfants de parents divorcés s’expliquerait en partiepar l’importance pour ces pathologies des expériences de séparation.

Le divorce apparaît comme un facteur de risque à la pathologie mentale de l’enfant et de l’adolescentsans pour autant avoir un lien étiologique linéaire précis. © 2002 Éditions scientifiques et médicalesElsevier SAS

divorce / psychopathologie / enfant / adolescent / CFTMCA

Summary – Parental divorce and psychopathologic unrests at the child and the teenager.Tunisian comparative study. The objective of our work was to study the role of parental divorce inthe appearance of possible specific psychopathologics of children and teenagers.

*Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail : [email protected] (F. Ghribi).

Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2002 ; 50 : 121-7© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS022296170200079X/FLA

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The survey was retrospective and comparative. We used 84 files of children and teenagers withdivorced parents and 300 files of patients from unite families; they were matched according to age,sex and socioeconomic level.

We compared motives of consultation, settings nosographics and the evolution of troubles in the 2groups.

Three motives of consultation were linked to divorce: character disturbance, behavior disturbanceand school difficulties.

Three pathologies were linked to divorce: personality disorders without neurosis and psychosis,functional disturbance and depressive disturbance.

The short-term and medium-term aggravation of the psychic pathology was meaningfully morefrequent for children of divorced parents. The long-term evolution was similar in both groups.

The frequency of personality disorders out of neurosis and psychosis, of functional and depressivedisturbance for children of divorced parents can be partly linked to the importance of separationexperiences in these pathologies.

Divorce appears to be a factor of risk for mental pathology of children and teenagers but no etiologiclinear link was found. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

divorce / psychopathology / child / adolescent / FCMCA

L’existence humaine est ponctuée d’une suite deséparations. Il en est de progressives qui conduisentà l’autonomie et d’autres plus brutales qui pertur-bent parfois gravement l’équilibre de l’ individu.

Il en est ainsi du divorce des parents qui produitdans la vie relationnelle de l’enfant une rupture quimet à rude épreuve ses capacités d’adaptation.

Les répercussions que chacun tend à attribuer audivorce varient considérablement de l’hyperbanali-sation à une extrême dramatisation.

L’objectif de notre étude était de relever le rôle dudivorce parental dans le déterminisme d’éventuelstroubles psychopathologiques chez l’enfant et l’ado-lescent.

. MATÉRIEL ET MÉTHODES

. Type d’étude

Nous avons mené une étude rétrospective et com-parative portant sur les dossiers de 84 enfants etadolescents de parents divorcés et 300 enfants etadolescents de familles unies.

. Choix de la population

Nous avons choisi les deux groupes à partir desdossiers des enfants et des adolescents ayantconsulté au service de psychiatrie de l’enfant et del’adolescent au CHU Hédi Chaker de Sfax pendantla même période : du 1er janvier 1994 au 31 décem-bre 1998.

. Choix du groupe aux parents divorcés

Nous avons inclus dans notre population d’étudetous les enfants et les adolescents de parents divor-cés.

. Choix du groupe de comparaison

Nous avons choisi un échantillon représentatif del’ensemble des enfants et d’adolescents de famillesunies : soit 20 % correspondant à 300 parmi 1 500cas, appariés selon l’âge, le sexe et le niveausocio-économique.

Nous avons exclu de la population comparative lesenfants de familles monoparentales par décès d’undes parents.

. MÉTHODES

. Paramètres comparés

La comparaison a porté essentiellement sur :– les circonstances de la consultation ;– les motifs de la consultation ;– les entités nosographiques. selon l’axe I de laCFTMEA ;– l’évolution.

122 H. Ayadi et al.

Page 3: Divorce parental et troubles psychopathologiques chez l’enfant et l’adolescent. Étude comparative tunisienne

. Critères diagnostiques

Nous avons retenu les critères diagnostiques de laclassification française des troubles mentaux del’enfant et de l’adolescent (CFTMEA) [16].

Pour les troubles dépressifs qui ne figurent pasdans la CFTMEA dans une catégorie indépendante,nous avons rassemblé les cas présentant l’une descatégories suivantes de la CFTMEA : une psychosedysthymique, une dépression névrotique, une dé-pression anaclitique ou chronique, une dépressionréactionnelle, des moments dépressifs comme varia-tions de la normale.

. Analyse des données et méthodes statistiques

Les données ont été exploitées grâce au logicielSPSS, EXCELL.

Nous avons utilisé le test de chi 2 (�_).La corrélation a été considérée comme significa-

tive (S*) si p < 0,05, très significative (S**) sip < 0,01 et hautement significative (S***) sip < 0,001.

. RÉSULTATS

. Identification de l’échantillon

. Âge au moment de la première consultationL’âge de notre population lors de la premièreconsultation a varié entre deux ans et 17 ans avecune moyenne de 10,4 et un écart-type de 14,5 (figure1).

. Âge au moment du divorce(figure 2)

. SexeLa sex-ratio était de 1,2. Les garçons représentaient54,8 % de l’échantillon, les filles 45,2 %.

L’analyse des tranches d’âge en fonction du sexemontre que cette prédominance masculine était plusnette en période de latence mais sans différencesignificative (p = 0,06).

. Niveau socio-économiqueLe niveau socio-économique a été jugé àpartir desrevenues du ou (des) parents et du nombre de frèreset sœurs dans la famille. Il était bon dans 20 % descas, moyen dans 38 % des cas et bas dans 42 % descas.

. Rang dans la fratrie (si nombre d’enfants > 2)Dans notre échantillon, les enfants étaient uniquesdans 37 % des cas.

Parmi les fratries comportant plus d’un enfant, lafréquence des aînés était de 53 %, celle des benja-mins de 27 % et celles des autres rangs de 20 %.

. Droit de garde des enfants et des adolescentsLe droit de garde des enfants et des adolescents a étéconfié à la mère dans trois quarts des cas, et au pèredans un quart des cas.

. Étude clinique

. Circonstance de la consultation

. Demande de consultationLa consultation en pédopsychiatrie a été demandéepar :– les médecins dans 64,5 % des cas ;– les parents dans 25,3 % des cas ;– l’école dans 5,1 % des cas ;– d’autres (grand-parents, tantes) dans 4 % des cas.

. Accompagnant préférentiel à la consultationLes enfants de parents divorcés étaient significati-vement plus fréquemment accompagnés par leurmère à notre consultation (p < 0,001) (72 % contre55 % chez les enfants de parents non divorcés).

Nous avons constaté que les parents accompagna-teurs avaient le droit de garde dans 86 % des cas.

Figure 1. Répartition selon l’âge au moment de la 1e

consultation(sur un total de 84 cas).

Figure 2. Répartition selon l’âge au moment de la 1e

consultation et l’âge au moment du divorce (sur un total de84 cas).

Divorce parental et troubles psychopathologiques chez l’enfant et l’adolescent 123

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. Motif de consultation(tableaux I et II)

. Entité nosographique(tableau III)

. Évolution(tableau IV)

. DISCUSSION

. Identification de la population

. ÂgeNotre échantillon était constitué essentiellementd’enfants en phase de latence (46,4 % des cas) oud’adolescents (dans 42,9 % des cas) (figure 1).

Beverina et al., dans leur étude sur les incidencesde la situation parentale notamment du divorce oude la séparation, comparant un groupe d’enfants etd’adolescents de parents séparés à un autre de

parents vivant ensemble d’un inter-secteur à Paris,ont trouvé le même résultat [6].

Cette consultation tardive par rapport au momentde survenue du divorce (figure 2), pourrait êtreexpliquée par une révélation tardive des troubles,une fois la situation œdipienne engagée, ou encorepar les conflits dus aux remaniements intra-psychiques liés à l’adolescence. De même, quand lesparents se séparent, beaucoup d’ intervenants so-ciaux sont mobilisés, l’école est ainsi le lieu où serévèlent fréquemment les troubles de l’enfant puis-que ce dernier se trouve confronté aux exigences del’apprentissage et à la nécessité de s’adapter augroupe [6].

. SexeNous avons noté une prédominance masculine dansnotre échantillon (46 garçons contre 38 filles).

Cette prédominance des garçons chez les enfantsde parents divorcés a été retrouvée dans plusieursétudes [5, 6]. Toutefois, elle devrait être relativiséepuisqu’elle est aussi habituelle en consultation depsychopathologie de l’enfant [6, 8, 15].

L’analyse des tranches d’âge en fonction du sexemontre que cette prédominance masculine était plusnette en période de latence. Kline, Tschann, Johnsonet Wallerstein rejoignent ce point de vue concernantla vulnérabilité des garçons en période de latence encas de divorce [11, 12].

. Niveau socio-économiqueNous avons constaté que le divorce à touché toutesles classes sociales et notamment les classes moyen-

Tableau I. Comparaison des motifs principaux de consultationdans les deux groupes (famille unie, famille désunie).

Motif de consultation Situation familiale

Groupe deparentsdivorcés

Groupe deparents

unis

Significati-vité

Troubles du langage 7,1 % 12,7 %Troubles sphinctériens 6 % 12,7 %Troubles du caractère 12 % 2,9 % S***Troubles psychomoteurs 0 % 3,3 %Troubles du comportement 23,8 % 12,7 % S***Troubles du sommeil 4,48 % 3,3 %Difficultés scolaires 23,8 % 15,9 % S***Symptômes conversifs 9,5 % 10,1 %Plaintes somatiques 6 % 15,2 %Troubles alimentaires 0 % 0,4 %Autres 7,7 % 10,9 %Total 100% 100%

Tableau II. Types des troubles du comportement (famille unie,famille désunie).

Trouble du comportement Situation familiale

Groupe deparentsdivorcés

Groupe deparents

unis

Significati-vité

Tentative de suicide 20 % 5,4 % S***Agressivité 35 % 36,8 %Conduite antisociale 5 % 2,8 %Retrait et Inhibition 40 % 55 %Total 100 % 100 %

Tableau III. Comparaison de l’entité nosographique dans lesdeux groupes (famille unie, famille désunie).

Nosographie Situation familiale

Groupe deparentsdivorcés

Groupe deparents

unis

Significati-vité

Troubles réactionnels 13,9 % 8,1 % S***Troubles hors Névrose etPsychose

8,9 % 4,9 % S***

Troubles dépressifs 25 % 7,7 % S***Troubles névrotiques 44,3 % 40,4 %Psychose 5,1 % 3,9 %Déficience mentale 12,7 % 15,1 %Troubles des fonctionsinstrumentales

1,3 % 9,5 %

Troubles à expressionsomatique et/ou comporte-mental

10,1 % 11,6 %

Variation de la NL 3,8 % 6,7 %Total 100 % 100 %

124 H. Ayadi et al.

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nes et défavorisées (38 % des cas et 42 % des cas)reflétant en fait le niveau général des consultants àl’établissement public.

Par contre dans les pays occidentaux, les classesles plus favorisées restent sur-représentées en cas dedivorce [15].

. Rang dans la fratriePlus de la moitié du groupe de familles divorcéesconstituées de deux enfants au moins étaient desaînés. Beverina et al. ont constaté aussi dans leurétude une sur représentation des enfants aînés quisont plus exposés à des troubles nécessitant uneconsultation quand les parents sont séparés [6].

Nous n’avons pas relevé de différence significa-tive avec le groupe d’enfants de parents non divor-cés. C’est que le « syndrome d’aînité » comme lesoulignent certains auteurs constitue un facteur devulnérabilité aux troubles mentaux [7].

Dans notre échantillon, il s’agit d’un enfant uni-que dans 37 % des cas.

Dans l’étude de Beverina, le garçon uniqueconsulte beaucoup plus, 37 % chez les enfants deparents divorcés contre 17 % chez les enfants deparents unis avec une différence significative(p < 0,001). Cet élément est aussi retrouvé chez lafille unique mais sans différence significative [6].

Ce résultat pourrait être expliqué par la précocitédu divorce ou par sa survenue dans des famillesparticulières limitant le nombre de naissances.

. Étude clinique

. Demande de consultationLa consultation en pédopsychiatrie a été demandéepar le médecin dans 64,5 % des cas et par les parentsdans 25,3 % des cas. Elle n’a été demandée par lecorps enseignant et le médecin scolaire que dans5,1 % des cas ; et ce contrairement aux résultats deBeverina et al. qui avaient noté que les enfantsvenaient plus fréquemment sur conseil scolaire [6].

L’ insuffisance voire le manque de sensibilisationen milieu scolaire, aux répercussions psychologi-

ques des situations familiales difficiles, et à l’ intérêtde leur dépistage précoce expliquerait la sollicita-tion peu fréquente du milieu scolaire.

. Accompagnant préférentielLes enfants de parents divorcés étaient significati-vement plus fréquemment accompagnés par leurmère 72 % contre 55 % des enfants de parents unis.L’ importance de la garde confiée à la mère (3/4 descas) et la rareté des visites du père à son enfant etleur durée relativement brève expliquerait cettedifférence.

Par contre, Halayem et al. dans leur étude compa-rative des troubles psychologiques chez les enfantsde parents divorcés et de parents présentant uneconjugopathie, ont rapporté une fréquence plus éle-vée de l’accompagnement paternel, qu’ ils ont expli-qué par des démêlés judiciaires (demande de droitde garde), une culpabilité paternelle suite au di-vorce, ou bien un leurre de réconciliation [9].

. Motif de consultationComme motif principal de consultation chez lesenfants de divorcés, nous avons répertorié une largegamme de troubles (dix variables) avec une sur-représentation des troubles du comportement, trou-bles du caractère et des difficultés scolaires. Cestrois motifs ont été corrélés au divorce (p < 0,001),(tableaux I et II).

En effet, les troubles du comportement étaientsignificativement plus fréquents dans le groupe deparents divorcés (23,8 % contre 12,7 % dans legroupe de parents unis). Ils seraient la conséquenced’une culpabilité massive vis-à-vis de la désunionparentale dont l’enfant à l’ impression d’être leresponsable.

Parmi ces troubles, les tentatives de suicide dont lecaractère masochique est manifeste, étaient corrélées au divorce. Ce qui rejoint les résultats del’enquête québécoise qui a montré que la causeprincipale de suicide était le divorce des parents, etde la recherche de l’ Inserm qui a estimé que ladissociation familiale était responsable de deux fois

Tableau IV. Comparaison de l’évolution des troubles dans les deux groupes (famille unie, famille désunie).

Évolution Situation familiale

Groupe de parents divorcés Groupe de parents unis Significativité

Court terme Amélioration 44,4 % 68,8 % S***Absence d’amélioration 55,5 % 31,1 %

Moyen terme Amélioration 57,1 % 60 % S***Absence d’amélioration 42,8 % 40 %

Long terme Amélioration 68,4 % 52,2 %Absence d’amélioration 31,5 % 47,7 %

Divorce parental et troubles psychopathologiques chez l’enfant et l’adolescent 125

Page 6: Divorce parental et troubles psychopathologiques chez l’enfant et l’adolescent. Étude comparative tunisienne

plus de suicide chez les jeunes âgés de quinze àvingt ans [2, 20].

Les difficultés scolaires étaient significativementplus fréquentes chez les enfants de parents divorcés(33,8 % contre 15,9 % chez les enfants de parentsunis). Ce résultat rejoint celui trouvépar Beverina etal. D’ailleurs les résultats d’une enquête menée auxétats unis par Ball et al., ont monté que les ensei-gnants avaient des attentes plus négatives pour lesenfants de parents divorcés par rapport à ceux deparents non divorcés [12, 19].

Plusieurs auteurs ont souligné l’ impact du divorceparental sur les apprentissages scolaires notammentde la lecture et de l’écriture [3, 13, 14, 18]. Et ce, parles conflits de loyauté qu’ il occasionne. En effet,l’enfant manifeste une plus grande nostalgie du pèreabsent, il a plus de difficultés à ouvrir la relationavec sa mère lorsqu’ il vit seul avec elle.

De même les troubles du caractère à type decolère, d’ irritabilité et d’opposition ont été corrélésau divorce (12 % contre 2,9 %), et ce conformémentaux données de la littérature [20].

. Entités nosographiquesNous avons établi des corrélations hautement signi-ficatives entre le divorce et les troubles réactionnelset les troubles de la personnalitéhors névrose et horspsychose très dépendants des phénomènes de sépa-ration : 8,9 % contre 4,9 % chez les enfants deparents unis, pour les troubles réactionnels et 13,9 %contre 8,1 % pour les troubles de la personnalitéhors névrose et psychose. Ces résultats concordent àceux trouvés par Beverina et al. [6] (tableau III).

De même, les troubles dépressifs étaient corrélésau divorce : 25 % contre 7,66 %. L’association entrele divorce parental et les troubles dépressifs a étérapportée dans la littérature [4, 21]. En effet, ledivorce, en plus de la situation de perte qu’ iloccasionne, s’accompagne souvent d’une réductiondu revenu familial et d’une augmentation des tachesparentales. Ce contexte familial susciterait un ni-veau élevé de stress psychologique à l’origine detroubles dépressifs chez l’enfant.

Les troubles névrotiques étaient en légère haussechez les enfants de divorcés (44,3 % contre 40,4 %dans le groupe de comparaison), mais sans diffé-rence significative.

Les conflits puis la séparation parentale ont deseffets particulièrement perturbatoires au niveau de laproblématique œdipienne et des mouvements iden-tificatoires de l’enfant et de l’adolescent [15].

Quant aux troubles psychotiques, compte tenu dela faiblesse de l’échantillon, leur répartition étaitidentique dans les deux groupes, ce qui n’est passurprenant puisqu’on sait combien cette pathologie

grave, fait appel à une pathogénie multifactorielle,d’ordres archaïque et biologique, dans laquelle unévénement tel que le divorce des parents ne peut pasà lui seul être un facteur de déclenchement ou degenèse, voire même avoir une véritable incidence.

Toutefois, des décompensations psychotiquesaiguës mais rares à l’adolescence, suite à la sépara-tion parentale dans les cas les plus graves ont étérapportées par De Ajuriaguerra et Marcelli [1].

. Étude évolutive

Dans notre étude, nous avons constaté que l’aggra-vation des troubles psychiques à court et à moyenterme était significativement plus fréquente chez lesenfants de parents divorcés (55,5 % et 42,8 % contre31,1 % et 40 % chez les enfants de parents unis) ;tandis qu’à long terme l’évolution était similairedans les deux groupes, ce qui soulève l’hypothèse del’amélioration secondaire et de l’adaptation de l’en-fant à la séparation parentale rapportée par plusieursauteurs (tableau IV).

L’étude de Wallerstein et Kelly a permis de suivrel’évolution des enfants observés après la séparationparentale. Dix-huit mois après, la plupart des en-fants ne présentaient pas de signe de souffrancepersistante. Cinq ans après, la permanence de laséparation était généralement accepté [17, 21].

Wigle et Parish ont montré que l’estime de soiétait stable dans les familles unies, chutait lorsqu’ ily avait divorce, remontait lorsque le divorce étaitancien, restait stable mais moins élevé lorsqu’ il yavait conflit [17, 18].

L’étude comparative réalisée par Heterrington etal. a observée l’évolution des enfants six ans après laséparation parentale. Les filles de parents séparésdont la mère n’était pas remariée évoluaient defaçon similaire aux filles vivant dans une familleunie [10].

L’absence d’évolution favorable était liée, selonWallerstein et al. et Heterrington et al., à la persis-tance des conflits entre les parents (déjà présentsavant la séparation) et des visites irrégulières et peufréquentes du père [10, 18, 21].

La dissociation familiale doit être considérée, dupoint de vue psychopathologique, comme un facteurde risque rendant plus vulnérable l’enfant et sansavoir un lien étiologique linéaire précis.

En effet, les troubles rencontrés devraient êtrerestitués dans l’histoire de l’enfant et de sa famille etanalysés en fonction du niveau de développementatteint au moment de la séparation.

126 H. Ayadi et al.

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