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Feuillets de Radiologie 2008, 48, n° 2,108-112 © 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 108 Douleur mécanique de la hanche gauche chez une femme primipare âgée de 38 ans D. Bassou, A. Darbi, M. Atmane, J. Elfenni, M. Benameur, A. Elkharras Service d’imagerie médicale, hôpital militaire Mohammed-V, Rabat, Maroc. Correspondance : D. Bassou, à l’adresse ci-contre. Email : [email protected] Observation Une patiente primipare âgée de 38 ans, présente dans la pre- mière semaine du post-partum une douleur mécanique de la hanche gauche, d’installation rapide responsable d’une boiterie qui a obligé la patiente de s’aider d’une canne. À l’examen clini- que de cette patiente en bon état général apyrétique, on note une discrétion limitation de la mobilité articulaire qui réveille une douleur en flexion et en rotation. Il n’y a pas de notion de trauma- tisme. La CRP, la NFS et le bilan phosphocalcique sont normaux. La radiographie du bassin de face (fig. 1) montre une déminérali- sation osseuse de l’articulation coxofémorale gauche, avec respect de l’interligne articulaire. La hanche droite est sans anomalie. Une IRM des deux hanches montre un œdème médullaire sous forme d’un hyposignal en séquence pondérée T1 (fig. 2), et d’un hypersignal en séquence pondérée T2 (fig. 3), de la tête fémorale gauche et étendu vers le col et la région inter trochantérienne. Le cotyle et l’interligne articulaire sont res- pectés, il n’y a pas de liseré d’hyposignal de la tête ou du col du fémur, on note une lame d’épanchement articulaire. La hanche droite est sans anomalie. Quel est votre diagnostic ? Réponse page 110 3Quel est votre diagnostic ?

Douleur mécanique de la hanche gauche chez une femme primipare âgée de 38 ans

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Feuillets de Radiologie 2008, 48, n° 2,108-112© 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

108

Douleur mécanique de la hanche gauche chez une femme primipare âgée de 38 ans

D. Bassou, A. Darbi, M. Atmane, J. Elfenni, M. Benameur, A. Elkharras

Service d’imagerie médicale, hôpital militaire Mohammed-V, Rabat, Maroc.

Correspondance :D. Bassou,

à l’adresse ci-contre.

Email : [email protected]

Observation

Une patiente primipare âgée de 38 ans, présente dans la pre-

mière semaine du post-partum une douleur mécanique de la

hanche gauche, d’installation rapide responsable d’une boiterie

qui a obligé la patiente de s’aider d’une canne. À l’examen clini-

que de cette patiente en bon état général apyrétique, on note

une discrétion limitation de la mobilité articulaire qui réveille une

douleur en flexion et en rotation. Il n’y a pas de notion de trauma-

tisme. La CRP, la NFS et le bilan phosphocalcique sont normaux.

La radiographie du bassin de face

(fig. 1)

montre une déminérali-

sation osseuse de l’articulation coxofémorale gauche, avec respect

de l’interligne articulaire. La hanche droite est sans anomalie.

Une IRM des deux hanches montre un œdème médullaire

sous forme d’un hyposignal en séquence pondérée T1

(fig. 2)

,

et d’un hypersignal en séquence pondérée T2

(fig. 3)

, de la

tête fémorale gauche et étendu vers le col et la région inter

trochantérienne. Le cotyle et l’interligne articulaire sont res-

pectés, il n’y a pas de liseré d’hyposignal de la tête ou du col

du fémur, on note une lame d’épanchement articulaire. La

hanche droite est sans anomalie.

Quel est votre diagnostic ?

Réponse page 110

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Quel est votre diagnostic ?

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Quel est votre diagnostic ?

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Figure 1. Radiographie du bassin de face : déminéralisation osseusede la tête fémorale gauche. Figure 2. IRM des hanches, séquence T1 coronale : hyposignal de la

tête fémorale gauche, étendu au col et à la région intertrochanté-rienne.

Figure 3. IRM des hanches, séquence T2 coronale : hypersignal de latête fémorale gauche, étendu au col et à la région intertrochanté-rienne, sans fracture ni liseré de nécrose. Épanchement articulaireminime (flèche), gros utérus du post-partum.

Douleur mécanique de la hanche gauche chez une femme primipare âgée de 38 ans

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Réponse de la page 108

Diagnostic

Le diagnostic d’algodystrophie du post-partum a été retenu,

un traitement antalgique simple (paracétamol) associé à la

réduction d’appui ont été prescrits.

La douleur a régressé après trois semaines et la boiterie après

10 semaines.

Discussion

L’algodysrophie de hanche (ADH) est un syndrome œdéma-

teux osseux rare, dont le seul facteur de risque reconnu est la

grossesse, en effet un tiers des ADH prises dans leur ensemble

est associé à la grossesse [1]. La description originale a été

faite en 1959 par Curtiss and Kincaid chez trois femmes

enceintes [2]. Elle touche la femme typiquement au cours du

troisième trimestre de grossesse et l’homme d’âge moyen [3,

4] ; la survenue dans le post-partum est exceptionnelle.

La pathogénie de l’ADH est encore mal élucidée au cours de

la grossesse ; les facteurs favorisants seraient : mécaniques

(prise de poids, microtraumatisme par les mouvements du

fœtus), la compression du sympathique pelvien et du nerf

obturateur par l’utérus gravide, et les troubles vasculaires liés

à la stase veineuse par la compression de la veine cave

inférieure, associés aux modifications osseuses et du métabo-

lisme phosphocalcique [1]. La grossesse induit en effet un

hyper remodelage osseux, avec déminéralisation qui se

prolonge à la période de lactation [5, 6]. Certains auteurs sug-

gèrent que la grossesse démasque probablement une baisse

préexistante de la masse osseuse plutôt qu’elle ne la cause

[7-9], cette hypothèse est confortée par la présence d’une

prédisposition génétique [10].

La hanche gauche est plus volontiers atteinte (60 %), ce qui

est attribué à la présentation du fœtus, qui est plus souvent

occipito-iliaque gauche. L’atteinte plurifocale du membre est

observée dans 20 % des cas [11].

Les signes cliniques associent une douleur de hanche, de

rythme mécanique ou mixte, diurne et nocturne, majorée à la

marche. Une impotence fonctionnelle avec diminution de la

mobilité et boiterie. On ne retrouve pas d’antécédents de

traumatisme ou d’infection. La majorité des ADH se déclare

pendant le 3

e

trimestre de gestation, rarement au 2

e

trimestre,

ou dans le post-partum [12]. Les patientes atteintes sont

primipares dans deux tiers des cas [13]. Notre patiente était

primipare, avec atteinte isolée de la hanche gauche.

La biologie élimine un syndrome inflammatoire et des ano-

malies métaboliques osseuses.

Les signes en radiographies standard, retardés par rapport à

la clinique, sont localisés à la tête et au col, parfois au cotyle,

donnant un aspect de déminéralisation locorégionale homo-

gène ou mouchetée, sans anomalie de l’interligne articulaire

[14].

L’IRM est l’examen de choix, réalisable chez la femme

enceinte qui permet d’affirmer le diagnostic. Elle montre

typiquement un aspect d’œdème médullaire intéressant la

majeure partie de la tête et du col fémoral, pouvant s’étendre

jusqu’à la région intertrochantérienne Cet « œdème » se

manifeste par le remplacement du signal physiologique de la

moelle osseuse, de type adipeux, par un hyposignal sur les

séquences pondérées en T1, et un hypersignal sur les séquences

pondérées en T2 avec saturation du signal de la graisse.

L’épanchement articulaire est fréquent, sans lésion cartilagi-

neuse. Le diagnostic d’ADH n’est retenu qu’en l’absence de

toute autre lésion focale osseuse, qui évoquerait une ostéo-

nécrose ou une fissure dont la survenue est possible pendant

la grossesse [15, 16].

Les autres diagnostics tels que l’arthrite septique ou inflam-

matoire, les néoplasies sont écartés par le contexte clinique,

biologique et par la radiologie.

Le traitement au cours de la grossesse repose essentiellement

sur la mise en décharge de la hanche pour éviter la survenue

d’une fracture, associée aux antalgiques. Après l’accouchement,

la calcitonine peut être prescrite sauf en cas d’allaitement

[17].

L’évolution se fait vers la guérison sans séquelles dans la

majorité des cas [18]. La symptomatologie disparaît progres-

sivement deux à six mois après le début des douleurs [4, 13],

avec retard de la guérison radiologique [19]. La récidive est

possible lors d’une grossesse ultérieure [20, 21].

La survenue d’une fracture sous-chondrale, avec collapsus de

la tête fémorale et arthrose secondaire est une complication

possible [22]. La fracture du col fémoral est une complication

rare mais grave, elle serait favorisée par une abduction forcée

pendant l’accouchement [20, 23], et a dû parfois faire recourir

à une césarienne. La future mère doit systématiquement être

informée de ce risque [11].

En conclusion, l’ADH est une étiologie rare de boiterie du post-

partum, qu’il faut savoir dépister et traiter, afin d’éviter la sur-

venue de fracture de pronostic fonctionnel grave. L’IRM est

l’examen de choix qui permet d’affirmer le diagnostic.

D. Bassou

et al.

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Quel est votre diagnostic ?

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Références

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Douleur mécanique de la hanche gauche chez une femme primipare âgée de 38 ans

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test de formation médicale continue

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Qu’avez-vous retenu de cet article ?

Testez si vous avez assimilé les points importants de cet article en répondant à ce questionnaire sous forme de QCM.

1. Concernant l’algodystrophie de hanche de la femme

enceinte, quelles sont les propositions exactes ?

A : C’est un œdème osseux ;

B : De pathogénie inconnue ;

C : Favorisée par les modifications du métabolisme

osseux au cours de le grossesse ;

D : Peut avoir une prédisposition génétique.

2. Concernant l’algodystrophie de hanche de la femme

enceinte, quelles sont les propositions exactes ?

A : La prédominance de l’atteinte gauche est liée

à la présentation du foetus ;

B : La douleur et l’impotence fonctionnelle sont les

principaux signes cliniques ;

C : Elle atteint le plus souvent la primipare au cours

du troisième trimestre de grossesse ;

D : C’est une urgence orthopédique.

3. Concernant l’algodystrophie de hanche de la femme

enceinte, quelles sont les propositions exactes ?

A : La radiographie standard est essentielle au

diagnostic ;

B : Elle montre une déminéralisation

locorégionale, sans anomalie de l’interligne

articulaire ;

C : L’IRM est l’examen de choix ;

D : Elle montre typiquement un hypersignal T2 de

la tête et du col fémoral sans nécrose ou fissure

osseuse.

4. Concernant l’algodystrophie de hanche de le femme

enceinte, quelles sont les propositions exactes ?

A : Le traitement repose essentiellement sur la

mise en décharge de la hanche ;

B : La guérison radiologique est en retard par

rapport à la guérison clinique ;

C : La survenue de fracture peut être favorisée par

l’accouchement ;

D : La patiente doit être systématiquement

informée du risque.

Réponses : p. 138