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HAL Id: tel-00422547 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00422547 Submitted on 7 Oct 2009 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée. Analyse économique des institutions de gouvernance et de leur évolution Fahmi Ben Abdelkader To cite this version: Fahmi Ben Abdelkader. Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée. Analyse économique des institutions de gouvernance et de leur évolution. Economies et finances. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2009. Français. <tel-00422547>

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HAL Id: tel-00422547https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00422547

Submitted on 7 Oct 2009

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L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabesde la Méditerranée. Analyse économique des institutions

de gouvernance et de leur évolutionFahmi Ben Abdelkader

To cite this version:Fahmi Ben Abdelkader. Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée.Analyse économique des institutions de gouvernance et de leur évolution. Economies et finances.Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2009. Français. <tel-00422547>

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Université Paris I - Panthéon Sorbonne

U.F.R de Sciences Economiques

Année 2008-2009

Numéro attribué par la bibliothèque |2|0|0|9|P|A|0|1|0|0|2|3|

THESE

Pour obtenir le grade de

Docteur de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Discipline : Sciences Economiques

Présentée et soutenue publiquement par

Fahmi Ben Abdelkader

Le 02 juin 2009

Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée Analyse économique des institutions de gouvernance et de leur évolution

Directeur de thèse : M. Wladimir Andreff (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)

Jury:

M. Claude Ménard Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

M. Xavier Richet Professeur à l'université Paris III-Sorbonne Nouvelle

M. François Facchini Maître de Conférences à l’Université de Reims

M. Mohamed Haddar Professeur à l’Université de Tunis El Manar

M. Wladimir Andreff Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

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Remerciements

Mes premiers remerciements s’adressent à Monsieur le Professeur Wladimir Andreff d’avoir accepté d’encadrer cette recherche et d’avoir su être compréhensif à l’égard des multiples difficultés qui ont pu l’entraver. L’aboutissement de ce travail est la meilleure preuve de ma reconnaissance envers lui. Je le remercie également pour l’intérêt qu’il a porté à cette recherche, pour ses conseils judicieux qui n’ont cessé de guider ce travail vers davantage de rigueur, et pour sa vigilante « gouvernance » qui a permis de limiter les dérives méthodologiques. Je le prie d’agréer l’expression de ma respectueuse considération.

Je tiens à dire combien je suis redevable à Daniel Labaronne d’avoir assumé sans complaisance le rôle de contradicteur et d’avoir répondu avec diligence à mes incessantes sollicitations. Nombreux sont les passages qui ont gagné en clarté et en cohérence grâce à ses suggestions et ses commentaires. Notre collaboration dans plusieurs projets a été fructueuse, ce dont je me réjouis pleinement, mais surtout elle m’a été enrichissante à bien des égards. Je le prie de trouver ici l’expression de ma profonde gratitude.

Je tiens à dire tout le contentement et le plaisir vécus et ressentis devant l’attention bienveillante de Viviane Tchernonog. Son amitié et son soutien permanent ont été une source d’encouragement et de réconfort. Je lui témoigne, dans les termes les plus sincères et les plus chaleureux, reconnaissance et estime.

Je tiens également à exprimer ici mes sentiments admiratifs ainsi que mes plus respectueux hommages à l’égard de Monsieur le Professeur Abdeljabbar Bsaies. Je le remercie pour tout l’intérêt qu’il a porté à cette étude, pour ses relectures, pour ses encouragements et pour sa confiance, tout en espérant que ce travail puisse en être digne.

Je remercie vivement Gérard Duchêne et Mathilde Maurel de m’avoir permis de mener cette recherche au sein du ROSES, ce dont je leur sais gré. Je remercie également « l’ange gardien des doctorants », Annie Garnero, qui s’est employée à aplanir toutes les difficultés matérielles qui pouvaient perturber notre sérénité. L’émulation et la bonne humeur au sein de l’équipe du ROSES m’ont beaucoup aidé durant ces années. Je remercie tous les membres du ROSES, anciens et nouveaux, ainsi que tous ceux du Centre d’Économie de la Sorbonne, qui ont manifesté de l’intérêt pour ce travail ou de la sympathie pour son auteur, ce en quoi j’ai puisé motivation et appui.

Je remercie Marie-Claude Zikra et Catherine Garban d’avoir bien voulu prendre de longs moments sur leur temps de travail pour une relecture minutieuse de mon travail. Je leurs suis reconnaissant de tout le soin et la minutie avec lesquelles elles ont accomplie cette tâche.

J’adresse un remerciement tout particulier à Karine Marazyan pour ses relectures attentives et encourageantes ainsi que pour ses judicieuses suggestions. Je lui souhaite beaucoup de réussite dans son parcours doctoral et sa carrière professionnelle.

Mes remerciements vont enfin à mes chers amis, Nada, Nesrine, Leila, Mouna et Sonia pour leur relecture, leur soutien et pour tous les moments agréables que nous avons partagés tout au long de notre aventure doctorale commune. Leur sollicitude m’a été d’un grand secours.

J’exprime mes hommages les plus distingués et respectueux à l’égard de Monsieur Roger Samson. Le fait de travailler sous sa direction m’a été d’un grand enrichissement. Je le remercie pour sa compréhension et pour la flexibilité qu’il a bien voulu m’accorder lors de nombreuses années de collaboration et grâce à laquelle j’ai pu concilier activités professionnelles et activités de recherche universitaire.

J’adresse une pensée toute particulière à Jamila et Youssef (et à la famille Ben Salem) pour tout l’accueil chaleureux et toute l’affection qu’ils m’ont réservés durant ces années. Je remercie Jamila pour sa bienveillance et surtout pour ses savoureux plats, ce dont je lui sais gré.

Mes pensées les plus affectueuses vont à mes parents, à Merioumti, à Zied, à ma famille, à mes amis de toujours Dali et Omda, à mes très chers amis, Walfa, Nada(ab), et Oualid, à tous mes amis en France ou en Tunisie qui se reconnaîtront. C’est à eux que je dédie cette thèse tout en espérant qu’elle soit digne de l’amour et du soutien indéfectibles qu’ils m’ont réservés tout au long de cette aventure périlleuse.

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Sommaire

Table des matières ………………………………………………………………………………………………3

Introduction générale .................................................................................................................................. 9

Chapitre 1. Un cadre analytique : les systèmes nationaux de gouvernance ………………...….28

Chapitre 2. « Mesurer » les institutions de gouvernance : la base du MINEFE comme support empirique …...……………………………………………………………...……….101

Chapitre 3. Analyse empirique des spécificités institutionnelles dans les PAM : une approche multidimensionnelle ………………………………………………………………..127

Chapitre 4. Dynamiques institutionnelles dans les PAM : étude de la convergence des systèmes de gouvernance des PAM et des PECO sous la politique européenne de voisinage ……………………………………………………...…………………….160

Chapitre 5. Verrouillage institutionnel et recherche de rente dans les PAM : tentatives d’explication des blocages de la transition ……………………..…………………194

Conclusion Générale ............................................................................................................................. 282

Bibliographie................................................................................................................................................. 313

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Tables des matières

Remerciements ....................................................................................................................................................... 1

Sommaire ................................................................................................................................................................... 2

Introduction générale ...................................................................................................... 9

1. Motivation et positionnement de la recherche ................................................................................ 10

2. Objet de la recherche ................................................................................................................................. 12

3. Hypothèses et objectifs analytiques ...................................................................................................... 17

4. Questions de méthode .............................................................................................................................. 18

5. Structure et contenu de la recherche ................................................................................................... 25

Chapitre 1............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. Un cadre analytique : les systèmes nationaux de gouvernance ..... 28

1. Introduction .................................................................................................................................................. 31

2. De la « gouvernance » aux « systèmes nationaux de gouvernance » : une approche institutionnelle .............................................................................................................................................. 33

2.1. De la difficulté à définir la gouvernance : un concept polysémique aux usages disparates............................................................................................................................................. 33

2.2. Une définition stricte de la gouvernance ................................................................................ 37

2.3. De la gouvernance d’entreprise aux systèmes nationaux de gouvernance ................ 39

2.3.1. La théorie de l’agence et la théorie des choix publics : un cadre théorique .................... 40

2.3.2. L’approche disciplinaire de la gouvernance ......................................................................... 44

2.3.3. Les systèmes de gouvernance des entreprises dépassent le seul cadre de la relation d’agence : le pouvoir discrétionnaire du dirigeant est au centre de l’analyse de la gouvernance .............................................................................................................................. 48

2.3.4. Les systèmes nationaux de gouvernance .............................................................................. 51

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2.3.4.1. Les systèmes de gouvernance des dirigeants des entreprises : la « Gouvernance Privée » ........................................................................................................................... 51

2.3.4.2. Les systèmes de gouvernance des dirigeants des États : la « Gouvernance Publique »54

2.4. Les systèmes nationaux de gouvernance : les spécificités d’une nouvelle approche57

2.4.1. Les systèmes nationaux de gouvernance : un cas particulier de l’analyse des institutions de North .................................................................................................................................... 57

2.4.2. Du « gouvernement » aux « systèmes de gouvernance » .................................................... 61

2.4.3. La gouvernance publique et la gouvernance privée sont indissociablement liées ......... 65

2.4.4. « Bonne Gouvernance » et performance économique ....................................................... 67

3. Les systèmes nationaux de gouvernance dans les pays en développement : une nouvelle grille de lecture.............................................................................................................................................. 74

3.1. Les institutions de gouvernance anglo-saxonnes constituent-elles un cadre d’analyse pertinent pour les pays en développement ? ............................................. 75

3.2. Les institutions de gouvernance et la confiance ........................................................ 78

3.3. Les systèmes institutionnels personnels vs impersonnels : deux structures distinctes de production de la confiance ..................................................................... 83

3.4. « Le monopole focal public de gouvernance » : un mode informel et personnalisé de production de la confiance ...................................................................................... 90

3.4.1. En quoi le monopole focal de gouvernance est-il favorable au développement ? ........ 92

3.4.2. Les expériences de monopole focal de gouvernance ......................................................... 93

3.4.3. Systèmes nationaux de gouvernance et monopole focal de gouvernance : deux approches distinctes ................................................................................................................. 93

4. Conclusion ..................................................................................................................................................... 98

Chapitre 2. ................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ « Mesurer » les institutions de gouvernance : la base du MINEFE comme support empirique ....................................................................... 101

1. Introduction ................................................................................................................................................ 102

2. De la difficulté à mesurer les institutions ......................................................................................... 104

3. La base de données « profils institutionnels » du MINEFE est notre support empirique111

4. La base du MINEFE est en mesure de remplir notre objectif analytique .......................... 117

5. Conclusion ................................................................................................................................................... 126

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Chapitre 3............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. Analyse empirique des spécificités institutionnelles dans les PAM : une approche multidimensionnelle .......................................................... 127

1. Introduction ................................................................................................................................................ 128

2. Les indicateurs de gouvernance : une analyse statistique descriptive .................................... 130

2.1. L’indicateur de gouvernance privée : les PECO ont une longueur d’avance sur les PAM .................................................................................................................................................... 132

2.2. L’indicateur de gouvernance publique : un déficit important chez les PAM ......... 136

2.3. Le lien Gouvernance publique/privée par pays : y a-t-il une interdépendance ? . 139

3. Les systèmes nationaux de gouvernance dans les PAM et les PECO : une approche empirique multidimensionnelle à partir d’une Analyse en Composantes Principales .... 143

3.1. L’analyse en composantes principales est notre outil d’analyse des systèmes de gouvernance ..................................................................................................................................... 143

3.2. Analyse en composantes principales de 36 indicateurs institutionnels ..................... 144

3.3. Le degré de respect des règles formelles est le principal facteur de discrimination des systèmes nationaux de gouvernance : le processus de dépersonnalisation dans les PAM est en panne .................................................................................................................. 152

4. Conclusion ................................................................................................................................................... 155

Chapitre 4. ................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Dynamiques institutionnelles dans les PAM : étude de la convergence des systèmes de gouvernance des PAM et des PECO sous la politique européenne de voisinage ..................................... 159

1. Introduction ................................................................................................................................................ 160

2. Les origines de l’évolution des SNG : une analyse théorique .................................................. 161

2.1. L’argument juridique .................................................................................................................... 161

2.2. L’argument politique .................................................................................................................... 164

2.3. La thèse des dotations.................................................................................................................. 165

2.4. L’argument socio-culturel et religieux ................................................................................... 166

2.5. L’argument de la diversité des formes de capitalisme ..................................................... 168

3. La transition institutionnelle ou le processus de dépersonnalisation des systèmes de gouvernance : un processus de long terme mais indispensable au développement ........ 169

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3.1. La transition institutionnelle : une analyse à partir de l’argument des coûts de transactions ...................................................................................................................................... 170

3.2. Le système informel : un cadre non propice à la logique de maximisation du profit172

3.3. La transition vers un système formalisé et dépersonnalisé reste laborieuse dans la majorité des pays en développement ..................................................................................... 173

3.4. La construction d’une infrastructure formelle n’est pas à la portée de tous les pays en développement ......................................................................................................................... 176

4. Dynamiques institutionnelles : analyse empirique comparative .............................................. 177

5. Le rôle de l’UE dans les trajectoires différenciées des SNG des PAM et des PECO .... 180

6. Conclusion ................................................................................................................................................... 190

Chapitre 5............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. Verrouillage institutionnel et recherche de rente dans les PAM : tentatives d’explication des blocages de la transition .............................. 193

1. Introduction ................................................................................................................................................ 195

2. Du rôle des habitudes de pensée héritées dans l’explication du processus institutionnel des PAM : une approche institutionnelle évolutionniste ........................................................... 199

2.1. Aux origines de « l’esprit de clan » .......................................................................................... 200

2.2. Les institutions comme un processus évolutionniste des habitudes de vie héritées205

2.3. En quoi l’analyse en termes d’esprit de clan est-elle pertinente pour les PAM ? .. 209

2.3.1. L’existence d’un clan dominant : le schéma khaldounien et la structure actuelle du pouvoir dans des PAM .......................................................................................................... 210

2.3.2. Patrimonialisme : une frontière fragile entre domaine public et privé .......................... 213

2.3.3. Lorsque l’esprit de clan s’entremêle avec « l’esprit de rente » ......................................... 214

2.4. Le changement institutionnel dans les PAM à l’épreuve de la logique clanique et rentière ............................................................................................................................................... 217

2.5. Conclusion ....................................................................................................................................... 218

3. Les réformes institutionnelles et la stabilité politique à l’épreuve des chercheurs de rente : un cadre théorique ...................................................................................................................... 220

3.1. Recherche de rente : fondements théoriques ..................................................................... 220

3.2. La domination de la rationalité politique dans les pays en développement : conséquences sur les comportements de recherche de rente ....................................... 223

3.3. Le processus de réforme face aux problèmes d’actions collectives et de recherche de rente .............................................................................................................................................. 226

3.3.1. Les réformes en tant que sources de rente ........................................................................ 228

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3.3.2. Les réformes dans un contexte de transition inachevée : un processus de marchandage politico-économique .............................................................................................................. 228

3.3.3. L’exemple des privatisations à l’Est .................................................................................... 229

3.4. Conclusion ....................................................................................................................................... 231

4. La thèse de « l’État rentier » et « l’autonomie politique » du clan dominant dans les PAM ............................................................................................................................................................... 233

4.1. La rente énergétique, un revenu doublement exogène ................................................... 234

4.2. La rente et l’autonomie politique de l’État rentier ............................................................ 236

4.3. Le modèle de l’État rentier comme explication de l’autonomie des États dans les PAM ? ................................................................................................................................................ 240

4.4. Observations critiques du fondement budgétaire de l’autonomie politique du modèle de l’État rentier ............................................................................................................... 245

4.5. Conclusion ....................................................................................................................................... 250

5. De « l’État rentier » au « comportement rentier » : analyse des blocages institutionnels par la recherche de rente......................................................................................................................... 252

5.1. Le modèle de l’État rentier et la théorie de recherche de rente : la nécessaire conjonction de deux concepts complémentaires .............................................................. 252

5.2. Recherche de rente et résistance au changement : une question de marchandage politico-économique « généralisé » ......................................................................................... 256

5.2.1. Culture de résistance fiscale : les conséquences sur les activités de recherche de rente256

5.2.2. « Système de tolérance » et coût d’opportunité de la recherche de rente : les conditions de la création d’un « marché de la rente » .......................................................................... 259

5.2.3. Les pièges d’un marchandage politico-économique généralisé ...................................... 262

5.3. Capture de l’État, groupes d’intérêt et résistance au changement institutionnel .. 266

5.3.1. Quelle signification donner à la capture de l’État dans les PAM ? ................................ 266

5.3.2. Les élites et la transition dans les PAM : un choix sous contrainte ............................... 268

5.3.2.1. Les élites et la transition démocratique dans les PAM .................................................... 269

5.3.2.2. Les élites et la transition vers le marché dans les PAM : arbitrage coût-bénéfice ...... 273

5.4. Conclusion ....................................................................................................................................... 277

6. Conclusion ................................................................................................................................................... 278

Conclusion Générale ................................................................................................. 282

Annexes .................................................................................................................................................................. 290

Liste des tableaux ................................................................................................................................................. 307

Liste des figures .................................................................................................................................................... 308

Liste des encadrés ................................................................................................................................................ 309

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Liste des schémas ................................................................................................................................................ 310

Liste des annexes ................................................................................................................................................. 311

Liste des abréviations et des acronymes ....................................................................................................... 312

Bibliographie .................................................................................................................................... 313

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Introduction générale

Les économistes le savent bien, l’économie est une théorie du choix. Mais pour améliorer les perspectives de l’homme, il faut comprendre les sources de ses décisions. C’est une condition nécessaire pour la survie de l’humanité.

Douglass North

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1. Motivation et positionnement de la recherche

« La région arabe est plus riche qu’elle n’est développée » [UNDP, 2002 : p.28]. Tel était l’un

des principaux constats fait par une équipe d’éminents experts du monde arabe dans un

rapport réalisé pour le compte du PNUD, qui analyse la crise de développement que connaît

cette région. Depuis le début des années 80, une crise économique aiguë touche la plupart des

pays arabes. Débordant le cadre des désajustements macro-financiers dans laquelle elle était

née, la crise a atteint la sphère politique à partir de laquelle elle s’est propagée vers les autres

sphères de la société. La persistance de la stagnation économique a conduit à remettre en

cause le modèle de développement de ces pays dans sa globalité. Dès lors, les blocages du

développement ne sont plus appréhendés sous le seul prisme des variables économiques,

mais la recherche de l’origine de ces blocages est élargie au champ des libertés politiques et

des opportunités sociales et économiques, dont le déni entrave le développement

économique [Sen, 1999]. Cette approche a conduit les experts du PNUD à conclure que les

obstacles au développement sont dus à « la présence de lacunes profondément ancrées dans

les institutions arabes » qui traduisent un déficit important en matière de « bonne

gouvernance ». Un an plus tard, un rapport de la Banque mondiale [World Bank, 2003b] vient

confirmer que le décollage économique dans ces pays ne peut être amorcé sans une

amélioration de la « bonne gouvernance ». C’est la pertinence de ce dernier argument qui sera

discutée dans ce travail : la « bonne gouvernance » est-elle une solution appropriée à la crise

de développement des pays arabes ? Avant d’aller plus loin dans la description de l’objet de

cette recherche, il nous semble utile de resituer cette crise dans le contexte économique et

politique dans lequel elle a évolué et de dresser un bref bilan de vingt ans de réformes.

Au début des années 90, les pays arabes du Proche-Orient et du Maghreb ont connu une

succession de mutations qui allaient déclencher un déluge de rhétorique optimiste. Sur le plan

économique, les changements induits ou attendus par les plans d’ajustement structurel

(stabilisation macro-financière, désengagement de l’État de l’appareil productif, privatisation),

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les accords de libre-échange, l’appel aux investissements étrangers, et les incitations à

l’entreprise privée, allaient enfin faire émerger une nouvelle classe moyenne qui, en symbiose

avec d’autres forces nationales et internationales, engagerait résolument la région dans la voie

de l’économie de marché. Comme en Amérique latine et en Europe du Sud (Espagne, Grèce),

des élites ingénieuses serviraient de catalyseurs des transformations institutionnelles

économiques et politiques. Sur le plan politique, la chute du mur de Berlin et la première

guerre du Golfe ont amené un nouvel ordre mondial où les règles du droit international et les

résolutions des Nations-Unies seraient dorénavant appliquées partout. Une vague de

démocratisation allait déferler sur tout le monde arabe et les régimes autoritaires seraient

fortement incités (mais non contraints) à se démocratiser. Ainsi, la région arabe allait pouvoir

rejoindre ce qui était alors perçu comme un mouvement de progrès planétaire.

Vingt ans plus tard, le bilan est sans appel : des réformes, certes, mais sans changement. Sur le

plan économique, si les politiques néolibérales ont stimulé la croissance, elles n’ont permis ni

d’absorber le chômage de masse, particulièrement important chez les jeunes [World Bank,

2003c, 2003d] (voir annexe 1), ni d’impulser l’investissement privé [Aysan et al., 2006 ; World

Bank, 2003a] (voir annexe 2) et encore moins d’endiguer le phénomène de la corruption

devenu « endémique » [Transparency International, 2003] (voir annexe 3). Les pays arabes

exportateurs d’hydrocarbures ont certes accumulé des réserves considérables en devises, mais

ceci est surtout le résultat de la hausse des prix mondiaux du pétrole et nullement le reflet

d’une innovation structurelle du modèle de développement. Sur le plan politique, les

bouleversements qui ont déstabilisé bien des régimes dans les pays en développement n’ont

pas permis d’ébranler l’autoritarisme des régimes arabes [Camau, 2006 ; Nabli et al., 2008].

Monarchique ou républicain, l’État autoritaire perdure, faisant preuve d’une grande faculté

d’adaptation. Une opposition efficace peine à émerger, alors que les dirigeants tentent de

« moderniser » l’autoritarisme en tolérant une forme de pluralisme dans le cadre d’une façade

parlementaire, donnant lieu à une forme de « démocratie sans démocrates » [Salamé, 1994].

Les élites, elles, restent dépendantes des relations clientélistes, qui n’ont pas été brisées

[Michalet et Sereni, 2006] et doivent à l’État leurs réseaux d’influence et leurs contrats [Gobe,

1999, 2007].

Ainsi, les réformes de libéralisation mises en œuvre sous la pression des institutions de

Washington ont franchi le seuil de la quasi-irréversibilité, sans pour autant conduire ces pays

sur ce chemin qui mènerait inexorablement de la libéralisation économique à la démocratie,

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en passant par la modernisation des institutions. Elles ont au contraire apporté la preuve

qu’aucun lien mécanique n’existe entre ces différents stades. La richesse économique

augmente dans ces pays, mais cela ne génère aucune transition ni vers l’économie de marché

ni vers la démocratie. C’est en effet le sens du constat du rapport du PNUD, selon lequel les

pays arabes seraient plus riches qu’ils ne sont développés.

La motivation première de ce travail est alors de chercher à comprendre les raisons des

blocages de la transition économique et politique dans les pays arabes. Comment explique-t-

on dans ces pays l’échec du triptyque - libéralisation-stabilisation-privatisation - du consensus

de Washington ? Pourquoi les réformes de « bonne gouvernance » n’ont-elles pas produit les

changements attendus ? Ces réformes sont-elles appropriées au processus de transformation

des modes de régulation spécifiques aux sociétés arabes ? Dans quelle mesure ces réformes

permettront-elles de sortir les pays arabes de la crise de développement ?

2. Objet de la recherche

La présente recherche a donc pour objet de faire ressortir, en en analysant les déterminants de

toutes natures, les facteurs explicatifs des blocages de la transition vers l’économie de marché

et vers la démocratie dans les pays arabes. Nous nous intéressons dans ce travail aux pays

arabes de la Méditerranée (désormais PAM) : Algérie, Égypte, Maroc, Syrie et Tunisie.

Les postulats et présupposés implicites autour desquels s’articule le raisonnement qui sera

suivi dans cette recherche sont multiples. Certains méritent d’être explicités d’emblée pour la

bonne compréhension de cette thèse. Ainsi, la transition économique renvoie-t-elle ici au

processus conduisant à l’instauration de l’économie de marché (cas des pays à économie

centralement planifiée) ou au renforcement des bases de l’économie de marché (cas des pays

à économie de marché, mais où l’implication de l’État demeure très forte). Par économie de

marché nous entendons un système économique qui repose principalement sur les lois du

marché et qui s’organise autour du rapport salarial. La transition politique décrit le processus

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permettant d’établir un système démocratique, où les dirigeants politiques sont librement élus

et tenus responsables de leur action et où les libertés politiques et civiles sont garanties.

Les analyses théoriques et empiriques de la transition [Andreff, 2007], qu’elles soient

économiques ou politiques, d’inspiration néolibérale ou hétérodoxes, semblent désormais

converger vers un consensus – par ailleurs appelé « consensus post-Washington » par Stiglitz

[1998] - selon lequel le fait central de la transition est le changement institutionnel. C’est le

lieu ici de dire ce qu’on entend par « institutions ». La définition est loin d’être figée, mais

celle qui fait le plus autorité dans l’analyse économique est due à Douglas North, qui définit

les institutions comme les règles du jeu dans une société [North, 1990]. Elles renvoient à un

ensemble de contraintes établies par les hommes, et qui structurent leurs interactions. Selon

cette conception, les institutions se composent à la fois de contraintes formelles (règles, lois,

constitutions), de contraintes informelles (normes de comportement, conventions, codes de

conduites auto-imposés, héritage du passé) et des caractéristiques de leur application [North,

1994]. Ces contraintes offrent la structure des incitations qui guident les comportements

humains, de façon plus ou moins propice à l’efficacité individuelle et collective. Ainsi, la

double transition économique et politique doit-elle être étudiée d’abord comme une transition

institutionnelle qui vise à instaurer les règles du jeu d’une économie de marché et celles d’un

système démocratique.

Il convient à ce niveau de souligner l’importance économique des institutions : quel est le lien

entre institutions et performance économique ? Une première réponse est apportée par

North [1990] : C’est par leurs effets sur les coûts de production et de transaction que les

institutions affectent la performance économique. Le rôle majeur des institutions est de

réduire l’incertitude en offrant une structure stable (mais non nécessairement efficiente) des

interactions humaines. En effet, elles génèrent des règles, posent des références

conventionnelles qui contraignent, canalisent, orientent les comportements des agents,

stabilisent leurs anticipations, favorisant ainsi les échanges économiques et permettant de tirer

pleinement parti de la spécialisation et de la division du travail. Elles sont contraignantes

(effet disciplinaire) mais, selon l’expression de Commons [1934 : p.73], elles « libèrent et

étendent l’action de l’individu », en lui permettant de réaliser bien davantage que ce qu’il

aurait pu faire de façon isolée (effet incitatif). La principale fonction des institutions est alors

d’édicter des règles établissant tout autant de contraintes que de cadres cognitifs favorisant la

prise de décision des agents économiques et les incitations stratégiques tournées vers des

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projets de long terme, actions qui sont au cœur de la création de richesse et de son extension.

Autrement dit, les institutions ont pour fonction de produire l’élément fondamental du

processus de création de richesse : la confiance, notamment la confiance des individus dans le

niveau d’autorité des règles régissant la société, et son corollaire, à savoir leur degré

d’adhésion à ces institutions [Pour le rôle de la confiance dans le développement, voir entre

autres : Arrow, 1974 ; Fukuyama, 1995 ; Putnam, 1993].

Néanmoins, si les institutions peuvent fournir les incitations nécessaires à une organisation

efficiente, et favorables aux activités productives, elles peuvent également créer des barrières

à l’entrée, encourager les restrictions monopolistes, empêcher la transmission à faible coût de

l’information, conduisant inévitablement à la régression économique. North souligne en effet

que « les institutions ne sont pas nécessairement ni même habituellement créées en vue d’être

socialement efficaces ; elles sont plutôt créées – tout au moins les règles formelles – afin de

servir les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir de négociation pour créer de nouvelles

règles » [1994 : pp.360-361]. Dans ses plus récents travaux, l’auteur montre que l’histoire

abonde d’illustrations de ce type de configuration institutionnelle, où les règles sont davantage

le produit de « choix institutionnels » visant à protéger les privilèges d’une minorité au

pouvoir plutôt que le produit de contraintes qui pèsent sur leur action. Suivant une approche

historique, North et al. [2007 ; 2006] décrivent ce modèle « d’ordre social à accès limité »

comme une caractéristique fondamentale – et la plus naturelle - du fonctionnement des

sociétés depuis 10 000 ans. Ce système institutionnel est dominé par une coalition d’élites qui

usent de leur pouvoir politique ou économique pour verrouiller l’accès aux ressources de

création des richesses ainsi que pour générer des rentes, si, par « rente », nous entendons une

redistribution de la richesse collective obtenue suite à une intervention publique qui, en

modifiant les règles du jeu économique, génère des situations de rentes - des transferts de

richesse - bénéficiant à un nombre limité de personnes [Tullock, 1967]. La pérennité de ce

système tiendrait à la perpétuation des arrangements institutionnels interpersonnels et à

l’entretien de relations hiérarchiques et de dépendance verticale entre les acteurs sociaux.

L’ordre social est davantage maintenu par la création et la distribution de la rente que par la

compétition économique ou politique. Cette approche préconise que ce système

institutionnel d’allocation discrétionnaire des ressources prédomine la plupart des économies

en développement, en transition et émergentes (DTE), et limite les possibilités de leur

développement économique. Elle présuppose que le développement de ces pays est

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inéluctablement lié à la transition vers des ordres sociaux à accès ouvert et à l’abandon des

systèmes institutionnels relationnels, au profit de la règle du droit impersonnel. Comment

peut-on permettre alors l’accès aux ressources du pouvoir économique et politique dans les

DTE ? Comment peut-on empêcher les élites dirigeantes de verrouiller l’accès à ces

ressources ? Comment peut-on les inciter à entreprendre les réformes institutionnelles

nécessaires à l’ouverture de l’ordre social ? Ces questionnements sont au centre de notre

analyse de la transition dans les PAM.

Ces réflexions nouvelles dans l’analyse du développement impliquent deux présupposés qu’il

est utile de souligner ici : d’une part, les systèmes économiques et politiques sont

indissociablement liés, et la compréhension du fonctionnement de l’un ne peut se faire que

par rapport à celle du fonctionnement de l’autre ; d’autre part, l’action des élites dirigeantes au

sein de l’État et la manière dont elles font usage de l’autorité publique sont des éléments-clé

de l’analyse de la transition dans les DTE, ces élites pouvant en effet confisquer les ressources

et instrumentaliser l’État à des fins privées. C’est en se basant sur ces postulats que la

transition politique, en tant que processus de redistribution des pouvoirs à un plus grand

nombre, prend tout son sens. Elle jouerait un rôle capital dans le processus de transition

économique dans la mesure où elle impliquerait la mise en place d’un dispositif institutionnel

systémique accordant des droits à tous sur une base égalitaire et impersonnelle. Cette

extension des droits à tous les citoyens serait de nature à ébranler le système discrétionnaire

d’allocation des rentes et à ouvrir l’accès aux ressources économiques et politiques. Elle

favorise également le développement des structures d’action collective qui permettent

d’exercer un pouvoir de contrôle sur l’action des élites dirigeantes, afin de limiter les

comportements prédateurs et d’obtenir un traitement plus égalitaire. Ainsi, la transition

politique contribue à faire émerger des institutions favorables à la compétition économique et

politique, au détriment des institutions tournées vers l’extraction des rentes.

Selon ces analyses, le problème central auquel sont confrontés les DTE dans leur processus

de développement peut se poser de la manière suivante : comment restreindre le pouvoir

discrétionnaire des élites dirigeantes et influencer leur action en vue d’une meilleure gestion

des rentes ? Répondre à cette question revient à déterminer quelles sont les institutions

permettant de délimiter l’espace discrétionnaire des élites et d’offrir une structure d’incitation

à une organisation efficiente. Dans cette perspective, nous présupposons que la transition

doit permettre l’émergence d’institutions qui visent à la fois (i) à discipliner les élites

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dirigeantes en contrôlant leur action et en sanctionnant leurs dérives, et (ii) à les inciter à la

poursuite régulière d’un intérêt général au lieu de leur intérêt propre. Ce sont précisément ces

mécanismes institutionnels et organisationnels que nous développons ici sous le concept de

« systèmes nationaux de gouvernance » (SNG), concept qui constitue l’un des principaux

outils analytiques utilisés dans ce travail, si ce n’est l’un de ses principaux apports.

L’analyse que nous proposons de mener sur la transition des PAM traite alors des problèmes

de gouvernance des élites dirigeantes. L’étude des blocages de la transition dans ces pays part

d’un présupposé qui, en réalité, a tout d’un constat : celui de l’échec des stratégies de

développement entreprises depuis leurs indépendances [Yousef, 2004], suivi de celui des

réformes menées depuis les années 80 en vue de préparer la transition vers l’économie de

marché [World Bank, 2003b]. L’économie de marché est un long processus, qui plonge ses

racines dans l’Europe médiévale et dont la genèse s’est produite au prix de révolutions

sociales qui étaient porteuses de nouvelles institutions et de nouveaux modes de régulation

des rapports sociaux, qui sont significativement différents de ceux prévalant dans les PAM.

L’histoire de ces pays est surtout jalonnée d’invasions et de colonisations dont ils gardent

encore maintes traces, l’héritage le plus emblématique étant l’emprise de l’État sur l’économie

et la prédominance des arrangements interpersonnels, en dehors et au sein même de l’appareil

étatique. Au regard de ce constat, la question qui se pose est de savoir si, même lorsque les

règles de bonne gouvernance – principaux produits de l’économie de marché - sont mises en

place, les systèmes économiques et politiques dans les PAM peuvent fonctionner selon les

principes du marché tout en respectant les règles du droit impersonnel. La réflexion qui sous-

tend notre analyse est que cela est peu plausible. Nous partons du postulat selon lequel, si les

mesures de bonne gouvernance qui visent par exemple à réduire la corruption ou à protéger

les droits de propriété sont aussi souhaitables que nécessaires, les objectifs qui leur sont

assignés ne peuvent être atteints sans une prise en compte des conditions socio-économiques

du changement institutionnel, c'est-à-dire des caractéristiques économiques, politiques et

socio-historiques qui déterminent les formations institutionnelles en cours dans les PAM.

C’est précisément l’étude de l’interaction de ces dimensions, par ailleurs ignorée par les

analystes standard et les réformateurs de Washington, que nous proposons d’associer à

l’analyse de la transition économique dans ces pays.

Tels sont, brièvement exposés, les termes du problème que nous proposons de traiter dans

cette étude.

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3. Hypothèses et objectifs analytiques

Cette analyse préconise que les principaux déterminants de la transition dans les PAM soient

essentiellement liés au « pouvoir d’État » et à la « rente publique ». Le premier renvoie à la

capture d’État par une coalition d’élites qui instrumentaliseraient le pouvoir public au profit

d’intérêts particuliers et qui, a fortiori, n’ont pas intérêt à la transition institutionnelle de peur

de partager le pouvoir avec le peuple. Le deuxième désigne les rentes générées essentiellement

par l’intervention de l’État, et qui provoquent des comportements exacerbés de recherche de

rente. C’est dans l’analyse de leur action combinée sur la formation des institutions dans les

PAM que nous proposons de rechercher les origines des défaillances des systèmes de

gouvernance et corollairement des blocages de la transition dans ces pays. L’hypothèse de

base est que, comme catégories d’analyse ou comme faits, pouvoir d’État et recherche de

rente dans les PAM définissent un système institutionnel économique et politique qui n’offre

qu’une faible possibilité d’action collective susceptible de peser sur l’action des élites

dirigeantes et, de surcroît, une faible prise sur les réformes institutionnelles.

La thèse que nous proposons de défendre tout au long de ces pages s’articule autour des

propositions suivantes. (i) La sortie de la crise de développement dans les PAM est tributaire

de la capacité de ces pays à assurer la transition économique et politique. Cette transition,

d’un système de production traditionnel à un système d’économie de marché, implique des

transformations radicales qui doivent être accompagnées pas à pas par des réformes

institutionnelles, lesquelles doivent être adaptées aux caractéristiques socio-historiques

propres à chaque pays. Cela suggère la prééminence du changement institutionnel sur le

changement des techniques économiques dans le processus de développement. (ii) La

transplantation dans les PAM des institutions de gouvernance qui ont fait le progrès des pays

développés n’est pas nécessairement génératrice de changement. Ces institutions ne peuvent

fonctionner que si elles sont adaptées et adoptées par les acteurs économiques locaux plutôt

qu’imposées par des acteurs extérieurs. Le processus de développement relève

inéluctablement d’un processus de production endogène d’innovations institutionnelles. (iii)

La transition institutionnelle doit aboutir à une formalisation et à une dépersonnalisation des

règles qui permettraient d’ébranler les arrangements interpersonnels et informels ainsi que

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l’établissement de systèmes institutionnels impersonnels et transparents propices à une

production systémique de la confiance. C’est de la confiance dans le respect des institutions

que dépend le niveau de sécurisation des transactions et des anticipations des acteurs

économiques, conditions fondamentales du processus de création de richesse et de son

extension. (iv) Néanmoins, le processus de formalisation et de dépersonnalisation des

institutions n’est pas sans heurter la résistance d’une élite qui n’a pas intérêt à remettre en

cause le système informel et interrelationnel. C’est précisément ce système qui permet à cette

élite un accès exclusif aux ressources du pouvoir. Les facteurs de destruction de la confiance

dans les PAM sont à rechercher, non seulement dans le non-respect des institutions par les

acteurs économiques, mais également dans les comportements prédateurs des élites

dirigeantes qui font planer l’incertitude quant à la sécurité et à la continuité des droits de

propriétés et des contrats. (v) Ceci nous amène à avancer que la formalisation des règles dans

les PAM est nécessaire mais non suffisante au processus de transition. Ce processus doit

permettre l’émergence de mécanismes institutionnels – baptisés ici « systèmes nationaux de

gouvernance » - qui délimitent le pouvoir discrétionnaire des élites dirigeantes et les incitent à

entreprendre les réformes institutionnelles nécessaires à l’ouverture de l’accès à un plus grand

nombre aux ressources du pouvoir économique (accès au marché des biens et services) et

politique (opportunités d’action collective et de contrôle de l’action publique).

Nous présentons brièvement dans ce qui suit les principaux éléments d’analyse théoriques et

empiriques nous permettant d’atteindre les objectifs analytiques explicités ci-dessus.

4. Questions de méthode

Le présent travail doit beaucoup à plusieurs courants de pensée en économie. Il s’inscrit dans

le cadre de l’économie de la transition [Andreff, 2007], s’inspire grandement de l’école de

l’économie institutionnelle, et s’appuie sur des éléments d’analyse des théories économiques

mettant au centre de leur intérêt l’étude du comportement des dirigeants privés ou publics,

notamment les théories de gouvernance de l’entreprise et les théories des choix publics.

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Depuis le début du XXIe siècle, un consensus assez large domine : en économie, les

institutions comptent (institutions matter). L’échec répété des modèles dominants de la

croissance, à rendre compte de façon satisfaisante des succès comme des échecs économiques

dans les DTE, a conduit à réintroduire les institutions dans l’analyse du développement.

D’autres courants se sont alors développés d’une manière concurrente ou complémentaire au

courant standard, contribuant au progrès de l’analyse économique du développement et de la

croissance durable. Dans ce travail, nous nous appuyons sur les apports de ces nouvelles

variantes de l’analyse économique. (i) L’économie de l’information, qui s’est constituée sur la

base des travaux de J. Stiglitz et de G. Akerlof, met en évidence les limites des hypothèses de

la théorie néoclassique en montrant la présence de fortes asymétries d’information et de

pouvoir. Ces imperfections altèrent sérieusement le caractère supposé parfait du marché et

justifient l’intervention publique. (ii) La micro-économie de l’action collective, qui s’est

développée grâce aux travaux de M. Olson, P. Bardhan ou A. Dixit, qui, en mobilisant les

apports de la théorie des jeux, ont mis en évidence les difficultés inhérentes à l’action

collective, notamment celles formulées sous le phénomène du « passager clandestin » et les

« problèmes de résistance au changement ». (iii) La « nouvelle économie institutionnelle »,

issue de l’institutionnalisme originaire (J. Commons, W. Hamilton, T. Veblen) et prolongeant

les travaux liés à l’économie des coûts de transaction (R. Coase et O. Williamson), s’est

développée sur la base des travaux de D. North, A. Greif ou M. Aoki qui analysent le

développement comme un processus historique de transformation institutionnelle. Ces

travaux soulignent le rôle prééminent des institutions par rapport aux facteurs traditionnels

du développement. Ils montrent que les variables explicatives traditionnelles (accumulation

du capital financier, humain et travail, progrès technologique) sont davantage des indices que

des facteurs de croissance. Selon ces auteurs, les sources d’une croissance durable sont à

rechercher d’abord dans l’existence d’arrangements institutionnels offrant les incitations

nécessaires à une organisation efficiente. Ce cadre théorique nous offre des éléments

d’analyse pertinents pour identifier les besoins en termes de capacités de gouvernance pour le

processus de développement et de transformation institutionnelle dans les PAM.

Que ce soit dans l’une ou l’autre des variantes de l’école institutionnelle, les concepts ne

prennent tout leur sens que replacés dans le contexte propre au pays étudié, ce qui revient à

étudier leur historicité. C’est ce qui donne toute sa valeur à l’approche historique en économie

institutionnelle, approche qui a particulièrement impulsé les travaux de North et de Greif.

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Nous les avons suivis dans cette voie. Nous proposons de combiner l’étude du processus

économique à celle du processus historique, afin d’examiner en profondeur les origines des

obstacles à l’émergence de systèmes de gouvernance dans les PAM. Nous nous sommes

inspirés de l’institutionnalisme évolutionniste de T. Veblen, qui étudie le changement

économique comme un processus cumulatif des habitudes de pensée et d’actions dominantes

dans la communauté (les institutions). Le changement institutionnel est pour ainsi dire

endogène au processus économique de long terme. L’analyse de la genèse et de l’évolution

des institutions, ainsi que des modèles d’action collective qui prédéterminent leur sélection

peut nous être très utile à la compréhension du processus de formation des institutions en

cours dans les PAM. Pour ce faire, nous avons trouvé un appui chez Ibn Khaldoun, grand

historien arabe du XIIIe siècle, qui offre une vaste étude des comportements socio-

économiques des populations d’Afrique du Nord et du Proche Orient. Le but n’est pas

simplement de relater des faits antérieurs mais de pénétrer au cœur des habitudes de pensée

et des modes de domination hérités qui en découlent et qui donnent toute leur signification

aux configurations institutionnelles en œuvre aujourd’hui dans les PAM. Nous mettons

l’accent sur le mode institutionnel le plus marquant dans l’analyse khaldounienne de la

structure sociale, et qui semble survivre en dépit des apparences de modernité des États

bureaucratiques des PAM, à savoir « l’organisation clanique des rapports sociaux ».

Cette analyse historique du processus institutionnel dans les PAM va s’avérer très utile dans la

compréhension du phénomène de recherche de rente, dont l’ampleur ne cesse de croître au

regard de la constante augmentation de la corruption dans ces pays. Nous montrons que la

logique clanique qui influence les arrangements institutionnels dans ces pays favorise

particulièrement le développement des activités de recherche de rente. Afin d’apporter des

éclairages théoriques sur ce phénomène nous mobilisons la théorie de la recherche de rente. Il

nous semble important de remarquer à ce propos que, si ces questions ont été largement

traitées dans les travaux sur les pays en transition, elles restent très insuffisamment abordées

dans le cas des PAM. Les phénomènes relatifs à la rente dans ces pays sont en revanche

étudiés sous l’angle d’une autre littérature qui est celle de « l’État rentier ». Ce modèle fournit

des éléments d’analyse très utiles à la compréhension de la formation d’institutions rentières

dans ces pays.

Ce travail s’inscrit alors dans le prolongement des travaux critiques de l’analyse standard du

développement. Celle-ci semble attacher souvent plus d’intérêt à la dérivation de

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prescriptions pour l’action économique qu’à une analyse positive. En effet, les orientations

idéologiques de nombreux auteurs ont eu tendance à négliger « l’étude du comportement des

agents politiquement les plus décisifs » [Lafay, 1993b]. La théorie des choix publics, dans sa

variante « positive », propose des réponses à ces déficits analytiques au sein de l’économie du

développement, en mettant au centre de son analyse les « motivations réelles » des agents qui

décident des politiques publiques, et en abandonnant l’hypothèse de « l’État bienveillant »,

hypothèse selon laquelle l’État est motivé par la défense de l’intérêt général et la volonté de

rendre maximal le bien-être collectif. En réalité, l’État est un ensemble d’individus, agissant

dans un environnement institutionnel précis, conformément à leurs fonctions d’objectifs

propres, et jouant entre eux de façon coopérative ou non coopérative. En effet, les agents

publics, comme les agents privés, cherchent d’abord à maximiser leurs propres fonctions

d’utilité, soit au travers de la rente publique qu’il est possible de s’approprier, soit par

l’intermédiaire du simple objectif de maintien au pouvoir.

Dans cette mise en cohérence, nous sont apparus des déficits théoriques liés à l’incapacité de

construire un cadre d’analyse unifié pour définir les institutions susceptibles de contrôler

l’action et des agents publics et des agents privés les plus déterminants dans les pays en

développement. Nous tentons d’y apporter une première réponse en forgeant le concept de

« systèmes nationaux de gouvernance ». Ce concept a été introduit par Charreaux [2006] sur la

base des théories micro et macro de la gouvernance d’entreprise, notamment des théories

contractuelles de la firme : la théorie de l’agence [Jensen et Meckling, 1976] et la théorie des

coûts de transaction [Coase, 1937] ainsi que la théorie de la latitude managériale (ou de

l’enracinement) [Shleifer et Vishny, 1989]. Afin de doter la notion de gouvernance d’un

pouvoir explicatif à la hauteur de son contenu pluriel, nous nous appuyons sur les

fondements théoriques des approches contractuelles et disciplinaires relatives à la

« gouvernance d’entreprise », tout en tentant de dépasser leurs limites intrinsèques et de les

faire fructifier en investissant leurs apports respectifs à l’économie du développement et, de

surcroît, à l’économie de la transition. Dans cette perspective, les systèmes de gouvernance

sont compris comme les mécanismes institutionnels et organisationnels visant à résoudre les

problèmes d’agence au sein de l’entreprise (systèmes de gouvernance privée) ou au sein de

l’État (systèmes de gouvernance publique). Ces problèmes d’agence se manifestent quand les

managers, qui ont mandat d’entreprendre toute action conforme à l’intérêt des propriétaires,

recherchent leur intérêt propre et non celui de la firme ou quand les élus, qui ont mandat

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d’engager des actions conformes à l’intérêt général recherchent en fait leur intérêt propre et

non celui de la nation. Selon Charreaux, le problème traditionnel de la séparation des

pouvoirs est typiquement un problème de gouvernance. Que l’on traite de la relation entre les

dirigeants politiques et le peuple ou entre les dirigeants d’entreprise et les partenaires de celle-

ci, il s’agit d’un problème qui relève du champ de la gouvernance. L’étude du comportement

stratégique des dirigeants publics et privés, ainsi que la question de l’allocation discrétionnaire

de la rente publique ou organisationnelle, sont alors au centre de l’analyse de la

« gouvernance ». Selon cette approche, la gouvernance n’a pas pour objet d’étudier la façon

dont les dirigeants gouvernent – ce qui conduirait à confondre gouvernance avec

management d’entreprise ou administration des affaires publiques ou encore avec politique

publique -, mais celle dont ils sont gouvernés. Autrement dit, elle renvoie à l’exercice du

contrôle des « gouvernants » publics et privés, à travers des règles qui délimitent leur pouvoir

et qui agissent sur ces derniers comme « les rails qui contraignent le train », pour reprendre

l’expression du philosophe Wittgenstein. Cette gouvernance – des gouvernants - par les

règles induit inévitablement une perspective institutionnaliste et justifie en grande partie la

place centrale que nous accordons à l’analyse institutionnelle.

À travers le concept de systèmes nationaux de gouvernance, nous proposons de repenser la

notion de gouvernance et d’apporter une vision alternative à celle de la Banque mondiale, qui

souffre d’une double fragilité : théorique (i) et empirique (ii). (i) Le concept de « bonne

gouvernance » ne repose pas sur un corpus théorique établi. Il englobe une multitude de

mesures techniques décalquées des institutions en œuvre dans les pays développés, sans faire

référence à des préceptes théoriquement validés. Ses défenseurs se contentent de ne tenir

pour acquis que la réussite de ces institutions dans les pays développés, et laissent en suspens

la question de la réussite (ou non) de leur transposition dans les pays en développement

[Andreff, 2007]. (ii) En pratique, le modèle de « bonne gouvernance » est contesté à la fois

par le succès « économique » de DTE qui s’en sont démarqués, et par l’échec d’autres DTE

qui se sont appliqués à le suivre, tels que les PAM. À l’aide des indicateurs de gouvernance,

élaborés en vue de mesurer les progrès accomplis à ce niveau, des travaux contradictoires

[Khan, 2006 ; Meisel et Ould Aoudia, 2007a] ont montré que les évolutions en termes de

gouvernance ne sont pas nécessairement suivies de résultats économiques conformes aux

présupposés d’un lien positif entre « bonne gouvernance » et performance économique.

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Tel que précisé plus haut, notre concept de gouvernance propose une définition stricte qui

tire ses fondements à partir d’un cadre théorique existant. La question qui mérite davantage

de précision à ce niveau est celle qui concerne le lien existant entre systèmes de gouvernance

et performance économique. Nous procédons d’une démarche qui ne présuppose pas de lien

mécanique entre « qualité » des SNG (capacités de gouvernance) et croissance économique de

court terme. Contrairement aux réformes macroéconomiques, la mise en œuvre des réformes

institutionnelles visant à renforcer les capacités de gouvernance est plus étalée dans le temps,

et l’impact de ces réformes sur la croissance économique est difficilement mesurable à court

terme. De plus, les systèmes de gouvernance ne présagent ni du contenu des décisions

politiques ni de celui des mesures techniques que les dirigeants publics ou privés doivent

prendre dans la gestion de l’État ou de l’entreprise. Ils remplissent essentiellement une

fonction disciplinaire, la performance micro ou macro-économique de court terme étant

davantage tributaire des décisions politiques ou managériales des dirigeants. Ainsi, nous

émettons l’argument selon lequel l’existence de SNG efficaces ou leur amélioration ne

garantissent pas nécessairement de meilleurs résultats économiques à court terme, mais

peuvent faire en sorte que l’occurrence et la persistance de mauvais résultats deviennent

moins probables sur le long terme.

Sur le plan empirique, nous proposons d’opérationnaliser cet outil analytique (les SNG) en

essayant de mesurer le niveau d’application des institutions de gouvernance dans un ensemble

de DTE. Nous y sommes encouragés par l’apparition d’une nouvelle base de données

institutionnelles élaborée par le Ministère français de l’Économie, de l’Industrie et de

l’Emploi (MINEFE), qui décrit les caractéristiques institutionnelles d’un ensemble de pays en

développement, en transition et développés [Berthelier et al., 2003 ; Ould Aoudia, 2006a]. Ces

données, constituées à partir d’enquêtes réalisées auprès d’experts économiques exerçant dans

les pays retenus pour cette étude, offre deux photographies de l’état des institutions en 2001

et 2006 dans respectivement 51 et 85 pays. Cette base présente une double originalité qui lui

confère des atouts majeurs en comparaison avec d’autres bases de données institutionnelles.

D’une part, elle couvre un champ très vaste des institutions économiques, politiques et

sociales à travers plus de 100 indicateurs, ce qui permet de capter des aspects institutionnels

nouveaux que les bases existantes ne permettent pas de décrire. D’autre part, les auteurs de

cette base ont privilégié une approche « non normative » qui ne présuppose pas l’existence

d’un modèle institutionnel unique optimal qui s’imposerait dans n’importe quel pays [Ould

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Aoudia, 2006a : p.9]. Une institution est ainsi appréhendée en fonction de son niveau

d’application (ou non) dans le pays en question, tout en faisant abstraction de son effet

supposé ou probable sur la performance économique.

La richesse et la variété de cette base ont rendu possible l’élaboration d’analyses

multidimensionnelles qui permettent de rendre compte de la pluralité des variables qui

interagissent sur la question de la gouvernance et des institutions d’une manière générale.

C’est en effet de la combinaison d’une multitude d’institutions que dépend la mise en œuvre

d’un système de gouvernance contraignant pour les élites dirigeantes. Le principal outil

statistique mobilisé pour cet objectif est l’Analyse en Composantes Principales (ACP).

L’intérêt premier de cet outil réside dans le fait qu’il permet d’obtenir une description aussi

fidèle que possible d’un ensemble d’observations trop nombreuses et dépendantes les unes

des autres pour être interprétables en première lecture. Ainsi, nous cherchons non seulement

à simplifier une réalité multidimensionnelle complexe mais également à explorer des aspects

non perceptibles de prime abord.

Notre étude empirique est centrée sur les PAM. Le choix des cinq pays retenus plus haut est

essentiellement motivé par deux raisons : d’une part, ceux-ci font parties des pays renseignés

dans la base de données du MINEFE ; d’autre part, ces pays ont en commun des accords de

partenariat avec l’UE. Par ailleurs, nous menons une analyse comparative entre les PAM et les

Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO : Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Lituanie,

Pologne et République tchèque), avec l’objectif de confronter leurs capacités de gouvernance

ainsi que leurs évolutions respectives. L’intérêt de cette comparaison tient à plusieurs raisons.

Outre la proximité géographique et l’appartenance à la zone d’influence de l’Europe, ces deux

groupes de pays partagent, depuis le début des années 1990, une double transition

économique et politique. En outre, ces deux groupes de pays connaissent depuis le milieu des

années 90 un approfondissement, sous différentes formes institutionnelles, de leurs relations

avec le grand voisin européen : adhésion pour les PECO, processus de Barcelone complété

par la nouvelle politique européenne de voisinage (PEV) pour les PAM. Notons que ces deux

groupes de pays peuvent être considérés comme un « laboratoire » de l’analyse de l’évolution

institutionnelle dans les pays en transition, dans la mesure où ils connaissent des dynamiques

institutionnelles plus ou moins importantes depuis une vingtaine d’années. Cette analyse

comparative apparaît alors comme un complément utile aux analyses de l’évolution des

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systèmes nationaux de gouvernance dans les économies développées [Charreaux, 2006] ou

dans les économies émergentes [Lin, 2001 ; Oman et al., 2003a ; Thillainathan et al., 2004].

Nous avons fait le choix d’emprunter à différents outils méthodologiques avec l’objectif de

retenir ce qui nous paraît le plus utile dans chacun, et de fondre en un nouveau concept

cohérent (les SNG) les éléments ainsi empruntés. Cet éclectisme méthodologique est

également de nature à fournir des éclairages multiples à un même fait : l’échec de la transition

institutionnelle dans les PAM.

5. Structure et contenu de la recherche

Le premier chapitre a pour objectif de cerner le concept de « gouvernance » et de délimiter le

cadre d’analyse sous-jacent qui nous servira de point d’appui pour l’analyse de la transition et

du développement économique dans les PAM. Nous proposons de construire ce cadre

d’analyse en nous appuyant sur une définition stricte de la gouvernance, qui met au centre de

son étude le comportement discrétionnaire des dirigeants publics et privés. Nous mobilisons

les théories contractuelles et disciplinaires de la gouvernance d’entreprise et exploitons leurs

apports respectifs afin de poser les fondements théoriques du concept de gouvernance. Nous

montrons comment notre approche institutionnaliste conduit à étudier et à évaluer les

systèmes de gouvernance en vertu de leur capacité (ou non) à favoriser la création de richesse

économique en produisant un double effet disciplinaire et incitatif vis-à-vis de l’action des

dirigeants. Dans une démarche critique du modèle de « bonne gouvernance », nous montrons

que la grille d’évaluation des institutions de gouvernance doit être élargie afin de prendre en

compte les facteurs de destruction de la confiance, notamment ceux relatifs aux conséquences

des stratégies d’enracinement et des conflits sur la redistribution de la rente publique ou

organisationnelle.

Le deuxième chapitre traite de la question de la mesure des institutions et présente la base de

données institutionnelles du MINEFE. Nous soulignons les difficultés à quantifier les

institutions et mettons en évidence les divers biais qui en découlent, tout en rappelant la

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prudence avec laquelle il convient d’interpréter les indicateurs institutionnels. Nous

présentons la démarche de conception et de construction des indicateurs institutionnels de la

base de données du MINEFE qui constitue notre principal support empirique. Nous passons

en revue les principaux arguments qui justifient le choix de cette base de données,

notamment par rapport à celles qui sont disponibles dans la littérature.

Le troisième chapitre propose de décrire empiriquement les caractéristiques institutionnelles

des systèmes de gouvernance dans les PAM afin d’en ressortir les principales spécificités.

Nous construisons des indicateurs de gouvernance qui permettent de rendre compte du

niveau de discipline qui s’exerce par les institutions de gouvernance sur les élites dirigeantes à

partir des enquêtes de 2001 et de 2006. Nous faisons ressortir les principales divergences en

termes de capacités de gouvernance entre les PAM et les PECO. Nous approfondissons

notre étude des systèmes nationaux de gouvernance à travers une approche statistique

multidimensionnelle qui permet d’établir des profils institutionnels par pays et de pouvoir

identifier les principaux facteurs discriminants des SNG.

Le quatrième chapitre propose d’étudier les dynamiques institutionnelles relatives aux

institutions de gouvernance sur la base d’une comparaison des résultats des enquêtes de 2001

et 2006 du MINEFE. Nous passons en revue les principaux arguments théoriques qui

expliquent les divergences des SNG au sein des DTE, et discutons leur pouvoir explicatif

respectif dans l’analyse des différences dans le rythme de la transition entre les PAM et les

PECO. Nous focalisons notre analyse de ces divergences sur l’impact de la politique

européenne de voisinage qui, selon la stratégie adoptée avec ses voisins du Sud (PAM) et de

l’Est (PECO), peut influer le niveau de contraintes institutionnelles de gouvernance imposées

aux dirigeants des deux groupes de pays.

Le cinquième chapitre cherche à analyser en profondeur les origines des défaillances des

systèmes de gouvernance dans les PAM et par voie de conséquence des blocages de la

transition. Nous adoptons une approche qui vise moins à expliquer le changement

institutionnel, mais davantage à identifier les entraves qui le paralysent. Nous proposons de

rechercher les origines de ces entraves dans les facteurs qui discriminent les PAM par rapport

aux autres DTE. Nous retenons principalement deux facteurs : d’une part, l’impact des

survivances institutionnelles antérieures sur la formation et le fonctionnement des systèmes

de gouvernance et par conséquent sur l’exercice du contrôle des élites dirigeantes ; d’autre

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part, le poids de la rente publique et en particulier des comportements de recherche de rente.

Ainsi, nous menons une économie politique de la transition institutionnelle, qui cherche à

expliquer les blocages de la transition institutionnelle par des problèmes de résistance au

changement de la part des bénéficiaires de la rente.

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Chapitre 1.

Un cadre analytique : les systèmes nationaux de gouvernance

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Préambule

Les innovations lexicales doivent toujours être prises au sérieux, même si cela ne dispense pas de se demander si elles tiennent uniquement à la fantaisie du moment ou si elles répondent à une exigence sémantique que la langue ne comble pas encore.

[Ogien, 2007]

Le terme de « gouvernance » est une de ces innovations lexicales qui est venue enrichir le vocabulaire des sciences sociales et politiques. Il est cependant difficile de cerner l’étendue de ce concept. Si certains s’appliquent à reprendre ce substantif anglais parce qu’il sonne plus moderne que des verbes apparemment dépréciés (« administrer », « gouverner », « diriger ») ou qu’il est plus concis que l’expression qu’il semble remplacer (les règles de fonctionnement d’une organisation publique ou privée), d’autres utilisent ce terme parce qu’il n’en existe pas d’autres pour qualifier des pratiques nouvelles. Ainsi, depuis le début des années 1990, ce terme est devenu le mot-clé censé condenser et résumer à lui seul l’ensemble des transformations des modalités d’exercice du pouvoir dans les sociétés contemporaines. On ne compte plus dès lors les travaux mettant la gouvernance au centre de leurs analyses1.

Mais au-delà de l’intérêt que suscite ce thème au sein du monde académique, la « gouvernance » est devenue un instrument privilégié du discours politique où on le retrouve aussi bien à l’échelle internationale2 ou européenne3 que nationale ou locale. Appelé à l’aide tout autant au sein des courants de pensée néo-libérale que des mouvements marxistes, ce concept a tendance à englober une multiplicité de significations extrêmement diverses et parfois contradictoires. Mais en servant de point d’appui à ces discours politiques, il leur permet d’acquérir une certaine aura de « scientificité » ; ce concept est apparu d’abord comme un paradigme scientifique construit par des universitaires.

Par ailleurs, le terme « gouvernance » peut également être utilisé comme une simple facilité de langage. Comme le précise Jacques Chevallier, « parler de « gouvernance » plutôt que de « gouvernement » ou de « politique » permet d’activer les connotations positives qui

1 Dans un document élaboré en 1998 intitulé « Vers un plan de recherche sur la gouvernance », Tim Plumptre, directeur général de l'Institut sur la Gouvernance au Canada, donne les résultats de ses recherches documentaires dans différentes banques de données qui font ressortir plus de 1000 titres relatifs à la « gouvernance » repérés depuis l’apparition de ce terme en 1974 dans les revues internationales. Ce recensement révèle de multiples significations. Nous pouvons citer entre autres : corporate governance, qui concerne les entreprises privées ; educational governance, relative aux commissions scolaires et à la gestion des universités ; local governance, renvoyant aux collectivités locales ; self governance, dans le cadre de la décolonisation ; etc. Plus récemment, cette logique de la gouvernance va s’emparer d’autres domaines comme la santé, l’armée, le sport, l’internet, etc.

2 La gouvernance occupe désormais une place de choix dans le discours des organisations internationales, qu’il s’agisse des Nations Unis ou des institutions financières spécialisées (la Banque mondiale, Fond monétaire international).

3 Voir à cet égard le livre blanc sur la gouvernance européenne [European Commission, 2001b] et plus récemment le livre de Georgakakis et de Lassalle [2008].

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s’attachent au vocable ; l’action engagée est symboliquement placée sous le signe de la modernité et de l’efficacité. Le rapport sur les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale, présenté en annexe de la loi de financement de la sécurité sociale, (…) parle ainsi d’une « nouvelle gouvernance du système de santé et d’assurance-maladie » — qui n’est en fait tout au plus qu’une nouvelle « politique » (...) » [Chevallier, 2003 : p.204]. Pourquoi alors utiliser le terme « gouvernance » pour désigner « politique » si ce n’est par effet de mode ?

Devenu ainsi l’étiquette de toute sorte de marchandises, ce concept forme un lieu commun où les commodités d’un mot de passe permettent de se parler sans savoir ce que l’on dit, ce qui évite de trop se disputer. La gouvernance apparaît ainsi comme un thème consensuel dont le bien-fondé ne saurait être mis en doute. Mais l’usage immodéré de ce vocable ne risque-t-il pas de l’amener vers le mépris, voire l’abandon ? La « gouvernance » ne risque-t-elle pas d’acquérir le statut peu enviable de concept « attrape tout » ? L’utilisation non critique de ce terme ne risque-t-elle pas de pousser les chercheurs à prendre de la distance par rapport à un concept désormais instrumentalisé à des fins idéologiques ?

Ce contexte nous amène à une prise de distance critique par rapport au thème de la gouvernance. Nous tentons dans ce travail de cerner le contenu conceptuel de la « gouvernance » devenu de plus en plus vague et incertain. Nous essayons alors de donner un sens strict à cette notion en se basant sur un corpus théorique établi, à savoir les théories de la firme et la théorie des choix publics.

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1. Introduction

Ce premier chapitre propose de construire une grille de lecture de la gouvernance dans une

perspective de développement économique. Nous procédons d’une approche critique qui vise

à contester la célébration récente du concept de « bonne gouvernance » par les organisations

internationales comme une solution ingénieuse qui viendrait pallier les carences des modèles

de développement économique. Les promoteurs de ce modèle semblent avoir sous-estimé la

fragilité inhérente de son cadre conceptuel qui a fortiori en limite la portée. L’usage de ce

concept, tant dans le domaine académique, que dans les cercles de politiques économiques,

est souvent basé sur des convictions idéologiques et une adulation non critique (analyse

normative) plutôt que sur l’évidence empirique ou sur une analyse rigoureuse de l’existant

(analyse positive). Nous tentons dans ce chapitre de délimiter le cadre conceptuel relatif à la

« gouvernance » en répondant à cette fragilité dont l’origine pourrait être appréhendée au

travers d’une double incapacité. (i) La première est liée à la définition de ce que l’on entend

par « bonne gouvernance ». Cette incapacité peut être expliquée, d’une part, par la variété et la

multiplicité de sens que revêt cette notion, d’autre part, par l’absence d’une confirmation

empirique robuste du lien « bonne gouvernance » vs performance économique. En puisant

dans la littérature – originelle – relative à la « gouvernance d’entreprise », nous proposons de

dévoiler la nature de la fonction que ce concept serait supposé remplir et surtout d’exposer

les arguments théoriques qui justifient que l’on puisse lui attribuer une fonction dans l’analyse

du développement économique. Nous ne cherchons pas ici à élaborer une définition

sémantiquement parfaite de la « gouvernance ». Nous entreprenons plutôt de construire

l’objet « gouvernance » en nous appuyant sur une définition stricte issue des travaux de

Charreaux [1997 ; 2006]. Cette définition renvoie à une question-clé : comment délimiter le

pouvoir discrétionnaire des dirigeants – managériaux et politiques – et influencer leurs

décisions ? Nous soulignons qu’elle concerne principalement la « fonction disciplinaire » des

dirigeants, censée contrôler leur action, que nous distinguons de la « fonction décisionnelle »,

supposée être l’apanage des dirigeants. Nous soutenons que la question de la gouvernance

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s’inscrivait dès l’origine dans une perspective de « régulation » du comportement des

dirigeants, de définition des « règles du jeu », qui induit nécessairement une approche

institutionnelle [North, 1990]. Dans cette perspective institutionnaliste, nous essayons

d’élargir la grille de lecture relative à la « gouvernance d’entreprise » à celle des « systèmes

nationaux de gouvernance » (Partie 1). (ii) La deuxième incapacité est liée à la définition du

rôle de la « confiance », à la fois dans l’efficacité des mécanismes de gouvernance (ceux

relatifs aux entreprises ou aux États) et dans le développement économique. Si la confiance

est un phénomène dont chacun perçoit intuitivement l’importance, étant difficile à mettre en

équation, la théorie économique se retrouve à son propos largement démunie. Nous

mobilisons des travaux tels que ceux d’Arrow [1974], et plus récemment de Putnam [1993] ou

de Fukuyama [1995], pour tenter d’introduire la notion de confiance comme un ingrédient

essentiel dans l’efficacité institutionnelle et dans le processus de création de la richesse. Plus

particulièrement, nous soutenons que l’analyse des trajectoires économiques et

institutionnelles dans les DTE sous le seul prisme des critères anglo-saxons semble

insuffisante pour rendre compte des réussites (ou des échecs) économiques de ces pays. Nous

soutenons, ne serait-ce que d’une manière provisoire, que la réussite économique de certains

pays qui se sont écartés du modèle de « bonne gouvernance » pourrait être expliquée par leur

capacité à produire la confiance. Nous expliquons en quoi la confiance est nécessaire à la

transformation institutionnelle et au décollage économique. Nous soulignons que les

défaillances des systèmes de gouvernance peuvent engendrer des pertes de richesses

potentiellement dommageables en raison de leur effet négatif sur la confiance du public

(Partie 2).

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2. De la « gouvernance » aux « systèmes nationaux de gouvernance » : une approche institutionnelle

2.1. De la difficulté à définir la gouvernance : un concept polysémique aux usages disparates

Le concept de gouvernance a émergé de manière concomitante comme paradigme

scientifique et comme référentiel politique. Il a été d’emblée chargé d’une dimension

normative et prescriptive en servant à la fois d’argument d’autorité et de moteur de

changement. Depuis le milieu des années 70, il a investi progressivement la plupart des

sciences sociales. En sciences économiques, il permettra dans la perspective institutionnaliste

ouverte par Coase4 de formaliser les mécanismes assurant la coordination des activités

économiques autrement que par l’échange ou la hiérarchie, notamment au sein de l’entreprise

(Williamson5), en créant des « structures de gouvernance »6. Au sein des théories des relations

internationales, le concept de gouvernance désignera les nouvelles formes d’organisation

d’une société internationale de plus en plus fragmentée et hétérogène dans un contexte

mondial désormais multipolaire7. En science politique, l’apparition de ce terme vient

annoncer le glissement du concept de « gouvernement » à celui de « gouvernance » qui remet

en question le modèle étatique d’exercice du pouvoir face à la montée en puissance d’autres

4 Voir entre autres Coase [1937 ; 1960].

5 Voir entre autres Williamson [1985 ; 1996 ; 2000].

6 Ces structures sont regroupées chez Coase sous l’expression de « institutional structure of production » et de « mechanisms of governance » chez Williamson. Pour une synthèse, voir [Ménard, 2000a, 2000b ; Ménard et Shirley, 2005].

7 Voir entre autres l’ouvrage pionnier en la matière coordonné par Rosenau et Czempiel [1992] qui s’intitule « Governance without government ».

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acteurs, publics et privés, internes et externes, qui entendent peser sur les choix collectifs et

avec lesquels il est devenu nécessaire de composer8.

La logique de gouvernance s’est imposée ainsi dans les organisations sociales de toute nature

et a été promue à tous les niveaux de la vie sociale. Elle allait devenir un puissant moteur de

réforme, en alimentant la croyance en la nécessité de la promotion de nouvelles méthodes

d’action. La multiplication des acteurs parties prenantes dans le processus décisionnel et la

complexification toujours plus grande qui découle du partage du pouvoir appelle la recherche

de formules plus souples de coopération. Trois formules essentiellement témoignent de

l’emprise de cette nouvelle logique. La Global Governance : après la chute du Mur de Berlin

(1989), la gouvernance était alors accolée au terme « global » qui vise à rendre compte des

nouvelles modalités de relations entre les États, qui devaient se mettre en place dans un

monde désormais multipolaire pour régler des problèmes dont l’ampleur devenait planétaire9.

La Corporate Governance qui illustre la reprise en main du management d’une entreprise par ses

principaux actionnaires. Elle vise à construire un nouveau modèle de gestion de l’entreprise

reposant sur l’interaction entre les différents pouvoirs, notamment celui détenu par les

actionnaires et les dirigeants. La Good Governance qui est prônée par les organisations

internationales comme moyen de réforme des institutions des pays en transition et en

développement. Ces pays souffrent selon les divers rapports de la banque mondiale d’un

« problème de Gouvernance » (Governance Matters)10. Elle appelle globalement à une « gestion

saine du développement » en exigeant l’instauration de normes et des institutions assurant un

cadre prévisible et transparent pour la conduite des affaires publiques et en demandant un

contrôle démocratique sur les tenants du pouvoir [World Bank, 2002].

Derrière cette variété de sens et d’initiatives, la gouvernance semble caractériser en définitive

un changement de pratiques survenant dans un milieu considéré jusque-là comme stable

(monde bipolaire, gestion régalienne de l’État, concentration du pouvoir dans les mains du

8 Voir entre autres : [Calame et Talmant, 1997 ; Howlett, 2000 ; Leca, 1996b ; Milward, 2003 ; Moreau Defarges, 2001, 2003 ; Peters, 1993].

9 Plusieurs centres de recherche ont été créés afin d’étudier ce nouveau concept de « gouvernance globale ». A titre d’exemple nous pouvons citer le « centre pour l’étude de la gouvernance globale » créé en 1992 au sein de la London School of Economics. Notons également le lancement en 1995 du Global Governance Journal au sein des Nations unies qui regroupe 50 membres institutionnels.

10 Voir entre autres [World Bank, 1994, 2003b]. De nombreux travaux ont été réalisés au sein de la Banque Mondiale sous la direction de Daniel Kaufamnn ayant pour titre « Governance Matters » [Kaufmann et al., 2003, 2005, 2006, 2007, 2008 ; Kaufmann et al., 1999, 2002].

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dirigeant d’entreprise). Elle correspond aux nouveaux modes de relation qui se mettent en

place entre de nouveaux acteurs partageant désormais le pouvoir. Il y a donc une

augmentation du nombre d’acteurs parties prenantes et une réduction corollaire du pouvoir

que possédait auparavant l’acteur unique. Dès lors, le nouveau mode de gouvernement de

l’État et de l’entreprise ne peut plus être seulement autoritaire, hiérarchique, mais il doit être

partagé, discuté, voire négocié. En arrière-plan du discours politique, la gouvernance tend à

véhiculer l’image d’un monde apaisé, réconcilié, par la résorption des conflits et l’éradication

des antagonismes irréductibles ; l’effacement du pouvoir, les choix collectifs n’étant plus

affaire de politique, mais de technique [Bouvier, 1986] ; la banalisation de l’État, qui ne serait

plus qu’un acteur parmi d’autres [Leca, 1996b ; Saint Martin, 2005] ; la croyance en la

possibilité d’une auto-régulation des groupes sociaux [Calame, 2003] ; la possibilité d’un

accord collectif sur certaines règles du jeu [Moreau Defarges, 2001].

Il ressort clairement de cet état des lieux du paysage dans lequel se cristallise la notion de

« gouvernance » une réalité de gestion complexe. La diversité des définitions de la

gouvernance (des entreprises ou des États), aussi bien au sein du monde académique qu’au

sein des organisations internationales, témoigne de la complexité que recouvre ce concept. En

voici quelques exemples :

Pour la banque mondiale, la gouvernance est définie comme l’ensemble des institutions et

traditions au travers desquelles s’exerce l’autorité dans un pays en vue du bien commun. Cela

englobe : (i) le processus par lequel les gouvernants sont choisis, contrôlés et remplacés ; (ii)

la capacité des gouvernants à gérer de manière effective les ressources à leur disposition, et à

mettre en œuvre des politiques appropriées ; (iii) le respect des citoyens et de l’État pour les

institutions régissant leurs interactions économiques et sociales.

La Commission européenne a fait inscrire sa propre notion de gouvernance dans le Livre

blanc de la gouvernance européenne [Commission Européenne, 2001]. Ainsi, l’expression

« gouvernance européenne » désigne « les règles, les processus et les comportements qui

influent sur l’exercice des pouvoirs au niveau européen, particulièrement du point de vue de

l’ouverture, de la participation, de la responsabilité, de l’efficacité et de la cohérence ». Ces

cinq « principes de la bonne gouvernance » renforcent ceux de subsidiarité et de

proportionnalité. Dans son Livre blanc de la gouvernance européenne, la Commission dit que

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celui-ci porte sur la manière dont l’Union utilise les pouvoirs qui lui sont conférés par ses

citoyens11.

Pour le Programme des Nations unies au Développement, la bonne gouvernance « assure que

les priorités politiques, sociales et économiques sont fondées sur un large consensus dans la

société et que les voix des plus pauvres et des plus vulnérables sont au cœur du processus de

décision sur l’allocation des ressources pour le développement ».

Selon Pierre Calame, « La gouvernance, c’est la capacité des sociétés humaines à se doter de

systèmes de représentation, d’institutions, de processus, de corps sociaux pour se gérer elles-

mêmes dans un mouvement volontaire » [Calame, 2003 ; Calame et Talmant, 1997].

Selon Jean Leca, la gouvernance désigne un « mode de coordination sociale ne présupposant

pas l’autonomie, encore moins la souveraineté d’un gouvernant public, mais consistant dans

l’interaction d’une pluralité d’acteurs « gouvernants » qui ne sont pas tous étatiques ni même

publics » [Leca, 1996a].

Par ailleurs, Williamson – dans le prolongement des travaux de John Commons – définit les

mécanismes de gouvernance comme les moyens mis en œuvre pour résoudre les conflits

potentiels qui seraient de nature à compromettre les opportunités de réaliser des gains

mutuels [Williamson, 1996]. Au sein du modèle financier, La Porta et al. [2000] définissent la

gouvernance comme l’ensemble des mécanismes par lesquels les investisseurs externes se

protègent contre le risque d’expropriation par les dirigeants et les administrateurs dominants.

Oman et al. [2003b] désignent la « gouvernance » comme « l’ensemble des institutions

publiques et privées, formelles et informelles, incluant les lois, les codes et les pratiques

courantes du monde des affaires, qui ensemble déterminent la relation entre les dirigeants des

entreprises (insiders) et tous ceux qui y investissent des ressources. Ces investisseurs peuvent

être des apporteurs de capitaux propres (actionnaires), de dette (créanciers), de capital humain

spécifique (les salariés), ou de tout autre actif matériel ou immatériel dont les entreprises

pourront avoir l’usage dans leurs opérations courantes et leur développement ».

De façon synthétique, nous pouvons considérer que la gouvernance cherche à élaborer un

cadre d’analyse. Si ce concept n’a pas de définition homogène et fait l’objet de nombreuses 11 Voir Georgakakis et de Lassalle [2008] pour une analyse critique de l’usage du concept de gouvernance européenne au sein des Etats européens.

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réflexions, qui se traduisent de ce fait par des définitions variées, il est tout de même possible

d’en dégager certaines caractéristiques convergentes. Il ressort en effet de cette variété de

définitions que la gouvernance - des entreprises ou des États – tend principalement à

remettre en cause le système de « gouvernement » pour lui substituer un processus plus ou

moins durable d’ajustement mutuel entre plusieurs acteurs. Elle s’appuie sur le postulat qu'il

existe des buts communautaires reliés à la gestion de biens et services collectifs et au

développement social, culturel et économique. De nature universelle, les principes qui lui

servent de fondement concernent la démocratie, la justice sociale, l’efficacité économique, la

cohérence administrative et la soutenabilité à long terme des actions humaines. La

gouvernance, que sous-tend l’idée d’efficacité, implique d’agir globalement, en mettant en

œuvre une politique partagée qui se caractérise par la préoccupation de transparence et de

confiance, ainsi que par l’exigence de rendre des comptes (accountability).

La polysémie du concept de « gouvernance » est alors si manifeste qu’elle peut nous dispenser

d’en faire la démonstration. Mais, surtout, elle rend inévitable pour chacun de nous le choix

d’un sens pour ce vocable, et de le placer dans un cadre d’analyse cohérent.

2.2. Une définition stricte de la gouvernance

C’est le lieu ici de préciser ce que nous entendons par « gouvernance ». En s’appuyant sur les

travaux de Charreaux, le concept de gouvernance sera défini ici comme l’ensemble des

mécanismes organisationnels et institutionnels ayant pour effet de délimiter les pouvoirs et

d’influencer les décisions des dirigeants, managériaux ou politiques, autrement dit « qui

gouvernent leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire » [Charreaux, 1997].

Précisons tout de suite que cette conception de la gouvernance ne confond pas

« gouvernance » et « gouvernement ». Selon Charreaux, les théories de la gouvernance n’ont

pas pour objet d’étudier la façon dont les dirigeants gouvernent mais celle dont ils sont

gouvernés. Afin d’illustrer cette signification, Charreaux propose une analogie avec les rôles

dévolus à la gouvernante des enfants. Ces rôles sont notamment de surveiller et de définir les

règles du jeu pour les enfants et leur latitude. Ce faisant, la gouvernante accomplit deux

fonctions : une fonction disciplinaire contraignante et une fonction éducative « habilitante »,

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les deux étant liées : la définition de l’aire et de la nature des jeux, tout en facilitant la

surveillance, conditionne également l’apprentissage.

Cette définition s’articule autour d’une idée-clé selon laquelle les dirigeants, qui sont soumis à

des mécanismes de contrôle censés encadrer leur action, disposent de marge de manœuvre

leur permettant de développer des stratégies individuelles en vue de contourner – ou

d’influencer - ces règles et de maximiser leur intérêt personnel. Cette conception du

comportement « actif » des dirigeants remet en question une vision plus traditionnelle qui

suppose que le choix des modes de contrôle se fait librement, et s’impose aux dirigeants qui

les subissent de manière passive. Qu’ils soient mandatés pour défendre l’intérêt d’une

entreprise ou d’une nation, les dirigeants – managériaux ou politiques – sont d’abord animés

par des ambitions personnelles. De même que les managers disposent d’une « latitude

managériale » leur permettant de neutraliser les mécanismes disciplinaires et de satisfaire leur

fonction d’utilité, de même les acteurs publics disposent d’un « pouvoir discrétionnaire » leur

permettant d’empêcher la remise en cause de leur position et leurs privilèges, et de maximiser

leur fonction d’objectif.

Ainsi, la gouvernance, telle que nous la concevons, renvoie à la mise en place d’un dispositif

institutionnel contraignant, qui vise à contrôler l’action des dirigeants managériaux et publics

et à les pousser à agir en faveur de l’intérêt de l’entreprise et de la nation.

La définition du rôle de la gouvernance peut être alors construite sur la base de trois idées : (i)

faciliter et stimuler l’efficience des entreprises et des États, en instaurant un système

d’incitations qui encourage les dirigeants à assurer une allocation efficace des ressources en

vue de créer de la richesse ; (ii) restreindre les abus de pouvoir des dirigeants – que ces abus

prennent la forme d’abus de biens sociaux ou de gaspillage significatif des ressources

collectives – et limiter les dérives qui les amènent à maximiser leur propre intérêt au

détriment de l’intérêt général ; (iii) fournir les moyens de surveillance du comportement des

dirigeants afin de permettre une meilleure responsabilisation, de pouvoir garantir une

meilleure transparence de leur action et de protéger au « meilleur coût » les ressources

collectives et l’intérêt général.

Il convient de souligner à ce niveau que notre ambition de ramener les transformations qui

affectent les modes d’exercice de pouvoir au sein de l’État et des entreprises à une grille

unique d’explication, comporte un risque qui est de réduire la complexité des évolutions en

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cours, notamment dans les pays en transition et en développement. Toutefois, cette tentative

présente l’avantage de cerner le concept de gouvernance en lui donnant un sens strict et

précis d’une part, et, d’autre part, en l’associant à un cadre conceptuel établi.

Notons, par ailleurs, que nous privilégions la notion de « systèmes de gouvernance » à celui de

« gouvernance ». Ce choix tient à la définition même de la gouvernance qui renvoie selon

nous à un ensemble de mécanismes dont la combinaison permet d’établir un cadre

structurant pour les dirigeants ; il s’agit, en effet, de « systèmes », en ce sens qu’ils désignent la

mise en ouvre d’un ensemble de forces supposées agir simultanément sur le dirigeant. Mais,

également, parce que nous avançons l’idée qu’il n’y a pas qu’un seul modèle de gouvernance

mais des systèmes de gouvernance. C’est ce que nous essayons de montrer dans cette thèse.

Nous proposons dans ce qui suit d’expliciter les mécanismes organisationnels et

institutionnels qui constituent les systèmes de gouvernance, et d’exposer les implications de

cette approche. Mais nous revenons d’abord sur les fondements théoriques sur lesquels

repose notre approche de la gouvernance.

2.3. De la gouvernance d’entreprise aux systèmes nationaux de gouvernance

Nous proposons dans cette section de décrire le cadre conceptuel qui sert de point d’appui à

notre définition de la gouvernance. En ce qui concerne la gouvernance des dirigeants des

entreprises, ce cadre est celui que tend à imposer ce que nous pouvons nommer le modèle

gestionnaire d’exercice de pouvoir : les théories de la corporate governance12. Concernant la

gouvernance des dirigeants des États, la théorie des choix publics est à la base de nos

réflexions.

12 Voir Charreaux [2006] pour une synthèse des théories de la corporate governance.

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2.3.1. La théorie de l’agence et la théorie des choix publics : un cadre théorique

Notre définition de la gouvernance trouve son origine dans la littérature relative à la

gouvernance des entreprises qui s’est développée avec l’avènement, notamment aux Etats-

Unis, de la grande société cotée à actionnariat très dispersé. Le problème de gouvernance des

dirigeants est alors né – selon les termes de Charreaux - du « démembrement » de la propriété

en une fonction disciplinaire et une fonction décisionnelle, plus précisément, du constat de la

séparation entre propriété du capital et direction effective des affaires [Berle et Means, 1932].

En effet, au début du XXe siècle, la direction des grandes firmes américaines a régulièrement

été déléguée par les héritiers des fondateurs à des managers professionnels. Ces derniers ont

progressivement mis la main sur le processus d’allocation des ressources, s’affranchissant

ainsi de tout contrôle de la part des propriétaires [Roe, 1994]. Ces conflits d’intérêts entre

actionnaires-mandants (principals) et dirigeants-mandataires (agents) auraient provoqué une

dégradation de la performance des entreprises et une spoliation des actionnaires à cause de la

défaillance des systèmes chargés de discipliner les dirigeants.

Depuis ses origines, ce débat reliant la structure de propriété au niveau de performance, s’est

organisé essentiellement autour de deux éléments récurrents au sein de la firme13. Le premier

renvoie à la permanence des conflits d’intérêts entre les différents pouvoirs au sein d’une

entreprise. En 1776, Adam Smith estimait déjà que « l’on ne peut guère s’attendre à ce que les

régisseurs de l’argent d’autrui y apportent cette vigilance exacte et soucieuse que les associés

d’une société apportent souvent dans le maniement de leurs fonds ». Deux siècles après la

parution de « La Richesse des Nations », Jensen et Meckling [1976] remettent au centre de

l’analyse de la gouvernance de l’entreprise l’impact problématique des conflits d’intérêts entre

propriétaires et managers aux comportements opportunistes14. Dès lors qu’il existe une

distinction entre la propriété et la gestion d’une entreprise une relation d’agence s’instaure.

Cette relation qui lie un mandant (principal) et un mandataire (agent), est définie comme : 13 Voir à ce propos [Chatelin et Trébucq, 2003].

14 Voir à ce propos Jensen [1998] et Jensen et Meckling [1994] qui rappellent l’importance de l’étude de la nature humaine dans la compréhension du fonctionnement des organisations et dans la mise en place d’un dispositif de gouvernance censé encadrer le comportement humain. Ces auteurs proposent un modèle (REMM : Resourceful, Evaluative, Maximizing Model) qui présente les individus comme étant insatiables, maximisateurs de leur propre fonction d’utilité, et dotés en outre de capacités d’adaptation et de créativité. Ainsi, les systèmes de contrôle au sein d’une entreprise viennent faire face à un problème de conflictualité potentielle des relations humaines. Les aspirations des individus pouvant diverger, des tensions peuvent apparaître.

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« un contrat dans lequel une (ou plusieurs personnes) a recours aux services d’une autre

personne pour accomplir en son nom une tâche quelconque, ce qui implique une délégation

de nature décisionnelle à l’agent » [Jensen et Meckling, 1976]. Le conflit prend alors racine

dans la possibilité d’un comportement de l’agent non conforme aux intérêts du principal.

Afin d’illustrer la récurrence de ces conflits, Crozier et Friedberg [1977] expliquent comment

l’individu (l’agent) est conduit à développer des stratégies, soit dans une optique offensive, en

saisissant des opportunités lui permettant d’améliorer sa situation, soit de façon défensive, en

maintenant ou en élargissant sa marge de liberté, et par conséquent sa capacité à agir15.

Le deuxième élément souligne les problèmes qui peuvent résulter de l’existence d’une

asymétrie d’information16. La récurrence de ce problème tient à la constance des controverses

concernant la qualité de l’information financière, et sur la possibilité d’une manipulation de

celle-ci à des fins personnelles. Dans le cadre de leurs stratégies d’enracinement [Shleifer et

Vishny, 1989], le contrôle de l’information et sa manipulation constituent un vecteur

privilégié pour les managers leur permettant de neutraliser les systèmes disciplinaires et

d’élargir leur latitude discrétionnaire [Edlin et Stiglitz., 1995]. Ces stratégies peuvent être

mises en place par exemple à travers des décisions stratégiques spécieuses où le manager

dispose d’un avantage informationnel, ou par des choix judicieux d’investissements dont la

rentabilité dépend de l’information spécifique qu’il contrôle ou dont l’asymétrie d’information

est la plus forte. Cette asymétrie est de nature à renforcer l’aléa moral qui empêche les

partenaires de l’entreprise d’apprécier les performances du manager et de le sanctionner le cas

échéant17. La rétention de l’information de la part des managers ou la dilution de

l’information dans des structures de péréquation extra-budgétaires, comme les holdings, peut

15 Pour une lecture critique des modèles d’agence fondés sur l’opportunisme de l’individu, lire Brennan [1994].

16 Voir Akerlof [1970].

17 Labaronne [1998] offre une parfaite illustration des stratégies des managers basées sur le contrôle et la manipulation de l’information dans les économies en transition. « … dès le lancement de la privatisation, les managers (…) ont eu recours à des investissements dont la « visibilité » est difficilement appréciable. Le développement des investissements immatériels observés dans les PECO peut s'inscrire dans le cadre de cette stratégie. Qu'il s'agisse des sommes consacrées à la recherche de « partenaires occidentaux », à l'élaboration de « plans marketing », à la mise en place de nouveaux procédés techniques, adaptés aux normes occidentales, à l'installation de nouveaux circuits de distribution, etc. ». Et l’auteur d’ajouter : « En Roumanie, les décisions gouvernementales nombreuses concernant la réévaluation des patrimoines des entreprises, afin de tenir compte de l'inflation, a permis aux managers de recalculer la valeur comptable de leur entreprise sur la base d'un barème d'une grande complexité. Ce barème comportait plus de cinquante coefficients, en fonction des biens sur lesquels il s'appliquait. Ces coefficients ont été autant de possibilités, pour les dirigeants, d'introduire des biais informationnels et moraux qui leur ont permis de surévaluer le patrimoine de leur entreprise. Devenue trop chère, elle ne risquait plus de trouver des acquéreurs potentiels nationaux susceptibles de remplacer l'équipe dirigeante. »

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également faire partie de ces stratégies. Elles élèvent le coût d’opportunité de la recherche

d’information pour les partenaires qui sont chargés de contrôler l’action des managers18.

Les systèmes de gouvernance émergent alors comme des moyens pour réduire les coûts

d’agence et de transactions. Ils visent à résoudre les problèmes d’agence qui se manifestent

quand les managers, qui ont mandat d’entreprendre des actions conformes à l’intérêt des

propriétaires, recherchent leur intérêt propre et non celui de la firme. Mais les problèmes

d’agence peuvent également apparaître au niveau de l’État [Banerjee, 1997], notamment

lorsque les élus politiques, qui ont mandat d’engager des actions conformes à l’intérêt général

- hypothèse de l’État bienveillant - recherchent en fait leur intérêt propre et non celui de la

nation - hypothèse de l’État non bienveillant développée dans les années 60 par les tenants de

la théorie des choix publics [Buchanan et Tullock, 1962 ; Olson, 1965 ; Tullock, 1967]. Celle-

ci suggère que les entités les plus riches ou les groupes les mieux organisés finissent par dicter

entièrement la loi à leur profit sous couvert de défense de l’intérêt général.

Nous mobilisons les apports de la théorie des choix publics pour tenter de comprendre les

blocages de la transition vers la démocratie et l’économie de marché dans les pays en

développement et en transition. Cette théorie entend appliquer la théorie économique à la

science politique ; elle aborde selon une approche économique le processus de décision non

marchand [Mueller, 1989]. Dans le cadre de cette analyse, l’État, les hommes politiques, les

bureaucrates, et les électeurs, sont les différents éléments d’un véritable marché politique

[Wittman, 1995], qui aboutit, non pas à un optimum collectif, mais, au travers de la

défense des intérêts particuliers, à une allocation des ressources non optimale.

Nous nous intéressons particulièrement à l’étude du comportement des dirigeants politiques

et des bureaucrates qui comptent le plus dans le processus de décisions économiques et

politiques. Nous privilégions l’approche positive de la théorie des choix publics qui récuse

l’hypothèse émanant de la théorie néoclassique selon laquelle l’État serait motivé par la

défense de l’intérêt général et la volonté de rendre maximal le bien-être collectif [Lafay,

1993b].

18 La rétention de l’information explique en partie l’incapacité des fonds de privatisation tchèque à exercer leur contrôle sur les entreprises de leur portefeuille. Le développement des holdings en Hongrie ou en République tchèque ou leur apparition dans les secteurs en difficulté, les mines en Pologne, l’approvisionnement agricole en Roumanie, se traduisent par un manque de transparence dans les informations comptables des entreprises, opacité qui profite aux managers les moins performants [Labaronne, 1999].

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La plupart des travaux qui examinent les transformations institutionnelles dans les pays en

transition et en développement mises en œuvre par les acteurs publics, retiennent comme

cadre formel la théorie traditionnelle néoclassique. Celle-ci repose sur un ensemble de

postulats : les agents économiques sont rationnels ; ils maximisent leur fonction d’utilité par la

recherche de leur intérêt personnel ; la maximisation des utilités individuelles est génératrice

d’une plus grande utilité sociale ; l’allocation optimale des ressources est assurée par le

marché. À partir de ce cadre « paréto-optimal », la conception « orthodoxe » du

comportement des acteurs publics retient une approche selon laquelle ces derniers cherchent

à maximiser l’utilité totale qui correspond à la somme algébrique des utilités individuelles des

citoyens-consommateurs. Les décideurs publics ne sont que les exécutants d’une politique

définie en fonction des préférences révélées par les usagers électeurs. Cette conception décrit

le bien-être social comme résultant de l’agrégation des utilités individuelles, il n’y a pas

d’utilité propre de l’État autre que celle qui dérive des utilités personnelles. Ce dernier n’existe

que pour concrétiser les préférences personnelles sur le plan collectif. Il sert l’intérêt général.

La théorie des choix publics notamment dans son approche positive rejette cette conception.

Elle débouche sur une réfutation des postulats économiques de la théorie néoclassique en

termes d’intérêt général. Alors que la vision traditionnelle considère les hommes politiques et

les fonctionnaires comme des acteurs cherchant à maximiser l’utilité collective, les tenants de

la théorie des choix publics proposent une vision radicalement différente. Les autorités sont

perçues comme des groupes d’individus ayant leur intérêt propre et qui cherchent à

maximiser leur utilité dans l’exécution de la fonction qui leur est confiée. Les biais cognitifs et

émotionnels propres à l’économie comportementale que l’on constate au niveau du marché se

retrouvent aussi au niveau des décisions publiques, alors qu’ils sont moins soumis à des

mécanismes auto-correcteurs naturels. Les décisions publiques émanant des dirigeants

politiques, des bureaucrates ou des managers publics sont influencées par leur souci

permanent d’optimiser leur propre utilité. Les premiers chercheraient à maximiser les

probabilités d’une (ré)élection. Les seconds seraient préoccupés par le volume de leur budget

et l’importance de leur fonction administrative qui leur permette d’étendre leur pouvoir et

leur moyen de contrôle. Les troisièmes seraient animés par l’objectif de se maintenir à la tête

de leur entreprise.

En définitive, les problèmes de séparation de pouvoir, qu’ils apparaissent au niveau de la

relation entre dirigeants politiques et le peuple ou entre dirigeants des entreprises et leurs

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partenaires, relève du champ de la gouvernance. Ainsi, la gouvernance apparaît ici comme

l’ensemble des mécanismes et des institutions qui visent à résoudre les problèmes d’agence au

niveau des entreprises (entre managers et propriétaires), et au niveau des États (entre les

dirigeants politiques et le peuple). Charreaux [2006] fait remarquer que, dans le cas des

dirigeants politiques, les institutions de gouvernance ne visent pas uniquement à protéger le

patrimoine financier et le revenu des électeurs mais, également, d’autres droits plus

fondamentaux tels que le droit à l’éducation, bénéficier d’un système de santé et de sécurité

sociale, etc.19.

2.3.2. L’approche disciplinaire de la gouvernance

Dans la plupart des théories de la firme, la gouvernance s’inscrit dans la perspective de

l’efficience. Elles reposent toutes, plus ou moins explicitement, sur un modèle particulier de

création et de répartition de la valeur, associé à une théorie de l’organisation fondée sur

l’efficience. Toute organisation est supposée avoir pour but, via la coopération, de produire

un surplus – la rente organisationnelle – par rapport aux ressources déployées. La répartition

doit se faire de façon à garantir la pérennité de l’organisation en obtenant le concours de

différents partenaires. La conception de la gouvernance, entendue comme l’ensemble des

règles du jeu managérial, s’adapte au modèle de création et/ou de répartition de la valeur

retenue.

Dans le cadre du paradigme disciplinaire de l’efficience, la fonction des systèmes de

gouvernance est alors de contribuer à l’accroissement de l’efficience de la firme. L’idée

centrale est de supposer, qu’en assurant une meilleure discipline des dirigeants, ils contribuent

à accroître l’efficacité de la firme en lui permettant de créer davantage de valeur. Ces théories

reposent également sur une conception « darwinienne » des organisations, conduisant à

établir une relation entre la sélection par la concurrence entre les firmes et l’efficience des

systèmes de gouvernance. Selon le principe de la sélection naturelle appliqué au domaine de la

19 Une littérature plus ancienne s’est penchée sur la question de la gouvernance des dirigeants politiques. Becht et al. [2002], par exemple, montrent que le modèle politique était explicite lors de la conception du droit des sociétés américain. Par ailleurs, certains hommes politiques font le parallèle entre les actionnaires et les citoyens, c’est le cas de John Kerry lors qu’il a déclaré « on november 2 we will have a national shareholders meeting » (The Wall Street Journal, 15 septembre, 2004).

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gouvernance, seuls les systèmes efficients, permettant de créer de la valeur de façon durable,

survivent à terme. Les autres finissent par disparaître20.

Les théories constitutives du paradigme de l’efficience se sont formées suivant deux

courants : disciplinaire et cognitif21. Nous nous intéressons particulièrement ici au courant

disciplinaire, en ce sens qu’il met au centre de son analyse la délimitation des pouvoirs comme

critère principal pour améliorer l’efficience de la firme. L’argument disciplinaire est jugé

essentiel dans le processus de création de valeur. Nous avons fait le choix ici de ne pas

aborder les théories de la gouvernance relatives à l’approche cognitive. Deux raisons

principalement ont motivé notre choix : d’une part, notre conception de la gouvernance

cherche à étudier les moyens d’améliorer l’efficience économique essentiellement via les

mécanismes disciplinaires permettant de restreindre l’appropriation des rentes et de résoudre

les problèmes d’agence, l’approche cognitive apporte peu d’éléments d’analyse permettant de

rendre compte de cet aspect dans la mesure où elle s’intéresse au processus de création de

valeur via un autre canal, celui lié à l’apprentissage, la création de la connaissance et

l’innovation ; d’autre part, il est difficile d’appréhender empiriquement les aspects relatifs à

l’innovation ou aux compétences des dirigeants dans le cadre d’une approche macro-

économique, les données institutionnelles que nous mobilisons pour les besoins de notre

étude ne permettent pas de les renseigner.

L’approche disciplinaire s’appuie sur les apports des théories contractuelles de la firme22.

Dans ce cadre, la firme existe car elle permet de réduire, mieux que le marché [Coase, 1937],

les pertes d’efficience dues aux conflits d’intérêts entre parties prenantes. La firme est alors

présentée comme un nœud de contrat, c’est-à-dire un centre décisionnel chargé de contracter

et de gérer, de façon centralisée, l’ensemble des contrats nécessaires à son activité. En raison

de l’asymétrie d’information entre les acteurs économiques et des conflits d’intérêts qui les

opposent, la gestion spontanée de tous les contrats par le marché ne permet pas de créer le

maximum de valeur, autrement dit d’exploiter au mieux l’ensemble des opportunités

20 Notons à cet égard que cette association entre survie et efficience est contestée par certains travaux. Cette critique vise essentiellement le postulat selon lequel les systèmes observés seraient réputés efficients. Autrement dit, lorsque la sélection naturelle s’opère au niveau des organisations, l’efficience serait garantie et les systèmes de gouvernance auraient tendance à atteindre systématiquement l’optimum. En effet, les systèmes de gouvernance existants ne sont pas présumés efficients dans l’absolu, mais seulement de façon relative et précaire, en raison notamment de l’innovation institutionnelle et organisationnelle.

21 Voir Charreaux [2006] pour une présentation détaillée.

22 Voir à cet égard les analyses pionnières de Jensen et Meckling [1976] et de Alchian et Demsetz [1972].

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d’investissement. Dans ce cadre, la source de l’efficience est alors disciplinaire ; il faut inciter

et surveiller pour éviter que les gains issus de la coopération ne soient dissipés.

Dans la perspective disciplinaire ouverte par Jensen et Meckling [1976], complétée

notamment par l’analyse de Fama [1980], les systèmes de gouvernance se composent de

mécanismes de contrôle « internes » et « externes ». (i) Les premiers sont mis en place par les

parties prenantes ou par le législateur et peuvent renvoyer à des mécanismes tels que le droit

de vote attribué aux actionnaires, le conseil d’administration, les systèmes de rémunération,

les audits. (ii) Les seconds résultent principalement du fonctionnement spontané des

marchés, tels que le marché des dirigeants et celui des prises de contrôle. Selon Fama, le

mécanisme dominant dans le cadre des firmes managériales est le marché des dirigeants. Ces

derniers cherchent à maximiser la valeur actionnariale pour accroître leur réputation et leur

valeur sur le marché. Ce mécanisme s’appuie sur l’évaluation de la performance par le marché

financier. Il est complété par des mécanismes internes comme la hiérarchie, la surveillance

mutuelle entre membres de l’équipe dirigeante et surtout le conseil d’administration. Celui-ci

n’a qu’une fonction disciplinaire, s’appuyant soit sur l’incitation en liant la rémunération des

dirigeants à la performance actionnariale, soit sur la sanction par l’éviction du dirigeant, soit

encore sur la surveillance exercée, par exemple, par les comités d’audits. Ces mécanismes

internes et externes sont alors apparus et ont survécu en vertu de leur capacité à réduire les

coûts d’agence nés des conflits entre dirigeants et actionnaires. Parallèlement, d’autres

mécanismes ont vu le jour en vue de résoudre les conflits d’intérêts existants entre la firme et

les créanciers financiers, tels que les garanties contractuelles, les procédures de règlement

judiciaire, le marché de l’information financière, voire un mécanisme informel comme la

réputation.

Cependant, ce modèle dominant – dit actionnarial -, inspiré de la firme anglo-saxonne, a

connu une évolution majeure sous l’influence, d’une part, de la concentration du capital des

sociétés dans les pays non anglo-saxons, et d’autre part de la spoliation importante des petits

porteurs par les actionnaires dominants, notamment lors de certaines privatisations dans les

pays d’Europe de l’Est23. Focalisée initialement sur l’analyse de la relation entre le dirigeant et

les actionnaires, considérés comme seuls créanciers résiduels, l’attention s’est déplacée pour

se porter sur d’autres relations d’agence incluant d’autres partenaires. Les résultats souvent

23 Voir à cet égard les travaux d’Andreff [1995 ; 1999 ; 2003b] et de Labaronne [1999]

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ambigus [Becht et al., 2002] des études empiriques qui tentent de mesurer l’efficacité des

mécanismes de gouvernance - sur la base de la seule valeur actionnariale – ont fait apparaître

les limites du modèle actionnarial. Outre la relation ambiguë liant les systèmes disciplinaires à

la performance actionnariale, le pouvoir explicatif de ce modèle se trouve affaibli dès lors

qu’on tente d’expliquer la structure et le fonctionnement des systèmes non anglo-saxons,

notamment au vu du rôle mineur joué par les actionnaires dans le financement des entreprises

dans ce contexte. Ceci a conduit à élargir le modèle actionnarial de manière à prendre en

compte d’autres parties prenantes de la firme, autres que les actionnaires, et à donner

naissance à la conception disciplinaire partenariale.

Le modèle disciplinaire partenarial part d’une remise en cause du statut de créanciers résiduels

exclusifs des actionnaires [Charreaux et Desbrière, 1998]. L’abandon de cette hypothèse

conduit à s’interroger sur les conditions de partage de la rente, lesquelles ont également une

influence sur la création de la valeur au sein de l’entreprise. Les apporteurs de facteurs de

production, autres que les actionnaires, ne seront incités à la création de valeur que s’ils

perçoivent également une partie de la rente, accédant ainsi au statut de créancier résiduel.

Dans cette perspective, la gouvernance n’influe sur la création de la rente organisationnelle

qu’à travers la répartition [Zingales, 1998]. Les systèmes de gouvernance apparaissent selon

cet auteur comme un ensemble de contraintes régissant la négociation ex post sur le partage

de la rente entre les différents partenaires.

Cette conception partenariale trouve son origine dans le renouvellement de l’analyse de la

propriété au sein de la théorie des contrats incomplets [Grossman Sanford J. et Hart, 1986 ;

Hart et Moore, 1990]. Dans ce cadre, la propriété se définit tant par les droits de décision

résiduels – c'est-à-dire les droits décisionnels non prévus explicitement par les contrats ou par

la loi – que par l’appropriation des gains résiduels. Le statut de propriétaire peut ainsi être

étendu à l’ensemble des parties prenantes au nœud de contrats. Un salarié à qui on attribue un

pouvoir de décision, de façon à mieux exploiter ses connaissances, devient partiellement

propriétaire. Il est d’autant plus incité à améliorer ses compétences qu’il perçoit une partie de

la rente organisationnelle. La question de l’origine de la rente conduit alors à mettre en avant,

outre le capital managérial, les compétences spécifiques des salariés [Rajan et Zingales,

1998b]. La firme devient un nœud d’investissements spécifiques : - selon les termes de

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Charreaux [2006] - « une combinaison d’actifs et de personnes co-spécifiques »24. Néanmoins,

la spécificité du capital humain, si elle est à l’origine de la rente, la rend également vulnérable

aux tentatives d’expropriation. La rente est en effet dépendante du processus d’accumulation

d’investissements spécifiques autour des ressources critiques détenues par le dirigeant. Le

système de gouvernance se justifie alors par sa capacité à protéger ce capital et à empêcher la

« triche » managériale.

L’aboutissement logique de la démarche partenariale est sa généralisation à l’ensemble des

parties prenantes au nœud de contrats qui contribuent à la formation de la rente

organisationnelle. Cette dernière dépend également des compétences particulières offertes,

notamment dans des relations de coopération de longue durée, par certains fournisseurs,

sous-traitants ou clients. Une telle approche suppose que les relations entre la firme et les

différentes parties prenantes ne se réduisent pas à de simples échanges marchands régis par

les prix, mais sont fréquemment co-construites. Proposée par Charreaux [1995] et Charreaux

et Desbrière [1998], elle conduit à étudier et à évaluer les systèmes de gouvernance en vertu

de leur capacité à créer de la valeur pour l’ensemble des partenaires, en réduisant les pertes de

valeur dues aux conflits sur la redistribution de la rente entre les différentes parties prenantes.

2.3.3. Les systèmes de gouvernance des entreprises dépassent le seul cadre de la relation d’agence : le pouvoir discrétionnaire du dirigeant est au centre de l’analyse de la gouvernance

Dans ce travail, la question de la gouvernance des dirigeants des entreprises dépasse

largement celle des seules relations d’agence entre les actionnaires et les managers. Elle ne se

résume pas au contrôle du comportement des managers par les actionnaires. Ce contrôle peut

ne pas être uniquement exercé par les propriétaires. Il peut être aussi exercé par d’autres

acteurs comme par exemple les banques, en leur qualité de bailleurs de fonds, ou les

créanciers et les clients qui peuvent imposer une discipline de faillite aux gestionnaires.

Comme le supposent Oman et al. [2003a], la « gouvernance d’entreprise » revient à considérer

« les institutions qui régissent les relations entre ceux qui dirigent les entreprises et tous ceux

24 La co-spécificité signifie que la rentabilité dépend de la coopération de la combinaison des différents facteurs. Voir également à sujet [Rajan et Zingales, 1998b ; Zingales, 1998, 2000].

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qui y investissent des ressources ». Selon ces auteurs, les investisseurs peuvent inclure les

fournisseurs de capitaux propres (actionnaires), les prêteurs de capitaux (créanciers), les

fournisseurs de capital humain relativement spécifique à l’entreprise (salariés) et les

fournisseurs d’autres actifs corporels et incorporels, que les entreprises utilisent pour

fonctionner et se développer. Ainsi, notre conception des systèmes de gouvernance des

dirigeants des entreprises vise un champ plus large que celui des mécanismes de contrôle fixés

par les actionnaires. Nous incluons les dispositifs permettant de gérer les conflits qui existent

entre les shareholders, c’est-à-dire les actionnaires, et les stakeholders, c’est-à-dire tous ceux pour

qui la création de richesse de l’entreprise constitue un enjeu (stake) : les salariés, les

fournisseurs, les clients, les autorités publiques et politiques25. Le comportement des

managers et leurs décisions auront des conséquences sur les intérêts des stakeholders et pas

seulement sur celui des shareholders [Charreaux, 1996]. Dans cette perspective, les systèmes de

gouvernance apparaissent comme des dispositifs disciplinaires qui encadrent le

comportement des dirigeants des entreprises en vue de permettre à un intérêt général de se

réaliser. Ils n’ont pas pour seule vocation de protéger les actionnaires contre les dérives des

managers, mais également de protéger les intérêts de tous les acteurs parties prenantes dans la

firme en imposant une discipline contractuelle qui serait de nature à contraindre les managers

à respecter les différents engagements de la firme.

Cette conception dépasse alors l’approche traditionnelle de la gouvernance d’entreprise26, qui

se limite à l’explication de la structure de financement à travers un modèle simplifié ne

considérant que la relation d’agence qui lie le dirigeant aux actionnaires. Elle se distingue de

cette approche en ce sens qu’elle implique l’ensemble des partenaires de l’entreprise

(stakeholders et shareholders) et tient compte du contexte politique, économique, social et

culturel dans lequel évoluent les systèmes de contrôle des managers. En outre, il convient de

souligner que l’analyse traditionnelle avait tendance à réduire le rôle des dirigeants au

minimum en les présentant comme des acteurs soumis à des modes disciplinaires qu’ils

subissent de façon passive. Contrairement à cette vision, la nouvelle approche reconnaît le

pouvoir discrétionnaire du manager, c’est-à-dire le comportement actif des dirigeants des

entreprises dans la gestion des contrats et leur exploitation à des fins opportunistes. À l’instar

25 Voir à ce propos [Charreaux, 1996], [Berglöf et Von Thadden, 1999], [Blair, 1995], [Labaronne, 1998] et [Nutti, 1995].

26 Celle construite notamment sur la base des travaux des auteurs [Alchian et Demsetz, 1972 ; Fama, 1980 ; Fama et Jensen, 1983 ; Jensen et Meckling, 1976].

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de Charreaux [1996], cette conception de la gouvernance d’entreprise récuse l’hypothèse de la

passivité du comportement du manager au profit d’une analyse positive et active. Pour cet

auteur, les théories, qui, implicitement, s’en tiennent à un comportement passif des dirigeants,

semblent sous-estimer le caractère incomplet des marchés et des contrats. Cette incomplétude

donne, pour lui, toute son importance à la notion de « latitude managériale » (ou pouvoir

discrétionnaire), qui est indissociable de la question de la gouvernance d’entreprise. Le

dirigeant, au centre du nœud de contrats ou de la coalition que constitue la firme, joue un rôle

principal dans les décisions déterminant la création et la répartition de la valeur, ces deux

aspects n'étant pas indépendants. La latitude managériale conditionne le processus de création

de valeur, d’une part, parce qu'elle détermine les décisions stratégiques et financières, et

d’autre part, parce qu’ elle peut être un des objectifs visés par ces décisions ; ainsi, une

décision d’investissement peut avoir pour objectif, en élargissant le champ d’activité de

l’entreprise, de rendre plus complexe l’évaluation de la performance du dirigeant et d’élargir

son pouvoir discrétionnaire en affaiblissant le système de contrôle.

Dans un contexte d’économie de marché, et a fortiori dans un pays en phase de transition

vers l’économie de marché, les contrats réels ne sont pas complets [Andreff, 2007]. Cela tient

à l’asymétrie informationnelle et aux incertitudes morales qui profitent aux managers. Ces

derniers sont les seuls à émettre des informations à travers des déclarations ou des rapports

d’activité. Les efforts qu’ils déploient et les décisions qu’ils prennent dans l’accomplissement

de leurs obligations sont difficiles à apprécier au regard des objectifs des partenaires de

l’entreprise [Aoki, 1990]. L’incomplétude des contrats dans un environnement économique et

juridique incertain, comme celui qui caractérise les pays en transition, offre aux managers de

multiples possibilités d’exploiter les failles des contrats afin d’optimiser leurs objectifs

[Labaronne, 1998].

Suivant cette analyse, l’efficacité des systèmes de gouvernance au sein de la firme peut être

appréhendée sous l’angle de la capacité de ceux-ci à atteindre au moins deux objectifs : (i)

éviter la spoliation d’une catégorie d’agents parties prenantes dans la firme en assurant une

meilleure discipline des managers ; (ii) favoriser via des mécanismes incitatifs la création de

valeur qui permettrait de satisfaire l’ensemble des stakeholders. La réalisation de ces deux

objectifs serait de nature à favoriser la survie de la coalition que représente la firme.

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À travers les trois sections précédentes, nous avons passé en revue de manière synthétique les

principaux fondements théoriques de notre approche de la gouvernance. Nous avons émis

l’argument selon lequel il y a convergence de la nature des problèmes d’agence liés au

comportement discrétionnaire des dirigeants au niveau de l’entreprise et de l’État. La

gouvernance aurait pour fonction de résoudre ces problèmes à travers la mise en œuvre de

mécanismes institutionnels et organisationnels en vue de contrôler l’action des dirigeants.

Nous proposons dans la section suivante d’expliciter ces mécanismes en distinguant ceux qui

s’appliquent aux dirigeants des entreprises de ceux concernant les dirigeants publics.

2.3.4. Les systèmes nationaux de gouvernance

Dans ce travail, nous distinguons deux niveaux de systèmes de gouvernance. D’une part, les

systèmes de gouvernance des entreprises, ceux relatifs aux institutions qui régissent le

comportement des dirigeants des entreprises, que nous désignerons ici par la « Gouvernance

Privée ». D’autre part, les systèmes de gouvernance des États, ceux relatifs aux institutions qui

visent à contrôler l’action des dirigeants publics (hommes politiques, bureaucrates et

managers des entreprises publiques), que nous désignerons ici par la « Gouvernance

Publique ». Nous montrons que ces deux niveaux de systèmes de gouvernance sont

étroitement liés, en ce sens que le fonctionnement des systèmes de gouvernance privée est

tributaire de l’efficacité des systèmes de gouvernance publique.

2.3.4.1. Les systèmes de gouvernance des dirigeants des entreprises : la « Gouvernance Privée »

La Gouvernance Privée27, ou encore les systèmes de gouvernance de la firme et de ses

dirigeants, vise à améliorer l’efficience de la firme en assurant une meilleure discipline des

dirigeants. La mise en place d’un cadre disciplinaire permet d’améliorer les performances de la

firme à travers deux mécanismes interdépendants : (i) un mécanisme de contrôle, qui permet

de restreindre les dérives qui poussent les managers à maximiser leur utilité propre plutôt que

27 L’emploi de la notion de « privée » est surtout motivé par la recherche d’une meilleure commodité lexicale. Dans ce travail, nous utilisons alors « gouvernance privée » pour désigner les « systèmes de gouvernance des dirigeants des entreprises privées ».

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celle de l’entreprise et de ses partenaires ; (ii) un mécanisme d’incitation, qui pousse les

managers à améliorer la performance de leur entreprise sous peine de sanctions ou d’éviction.

Comme nous l’avons souligné supra, les moyens disciplinaires et incitatifs sont regroupés

selon une distinction entre systèmes internes et systèmes externes de contrôle.

Dans le système interne, le contrôle repose essentiellement sur des mécanismes comme le

vote des actionnaires lors des assemblées générales qui approuvent ou sanctionnent la gestion

des dirigeants, ou d’organes, au premier rang desquels le Conseil d’administration qui surveille

et oriente la gestion de l’entreprise. Nous ne nous attarderons pas sur ces mécanismes

internes qui s’appliquent quasi exclusivement aux modèles de firmes anglo-saxonnes

caractérisés par la séparation propriétaire-dirigeant, ce qui affaiblit son pouvoir explicatif.

Dans un contexte non anglo-saxon, notamment dans les pays en transition et en

développement, ce type de structure de propriété ne constitue qu’une faible part dans le tissu

des entreprises privées. En outre, la très faible disponibilité de l’information financière dans

les pays en développement et en transition ne nous permet pas d’évaluer empiriquement la

qualité des mécanismes internes de gouvernance.

Nous mettons l’accent sur les structures externes d’incitation et de contrôle des dirigeants

d’entreprise. Dans le système externe, le contrôle s’exerce principalement par le cadre

réglementaire et le marché qui soumettent les managers à un certain nombre de disciplines.

L’importance du cadre réglementaire se traduit par la nécessité d’instaurer un dispositif

institutionnel qui garantit l’État de droit, permet la sécurisation des contrats, protège les

droits de propriété, et veille à l’indépendance et à l’efficacité des tribunaux. Ce dispositif est

efficace s’il permet de soumettre le comportement des managers à trois types de disciplines :

(i) Une discipline contractuelle, qui résulte de l’application effective des contrats liant les

managers aux différents partenaires de la firme (propriétaires, salariés, clients, fournisseurs).

Dans le cadre d’une entreprise managériale, par exemple, cette discipline peut résulter du

contrat de travail qui lie dirigeants et propriétaires, et qui peut être révisé en fonction des

résultats de l’entreprise. Dans le cadre d’une entreprise capitaliste, elle peut résulter de

l’obligation d’honorer les engagements de la firme vis-à-vis de ses salariés, fournisseurs,

clients ou des autorités publiques ;

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(ii) une discipline de surenchère, imposée par des entreprises plus performantes qui, en

présence d’un environnement concurrentiel dynamique, peut conduire à la disparition des

entreprises inefficaces, ce qui serait de nature à contraindre les managers à améliorer la

performance de leur entreprise afin de permettre sa survie. Dans le cas d’une entreprise

managériale évoluant dans le cadre d’un système financier fonctionnel et viable, les

propriétaires peuvent vendre leurs titres pour sanctionner l’inefficacité de la direction ou la

faible rentabilité de l’entreprise ;

(iii) une discipline de faillite, imposée par les créanciers qui sont en droit de demander la

liquidation d’une société défaillante.

En ce qui concerne la pression du marché, le contrôle des managers joue à travers un double

effet d’incitation et d’information. Dans le premier cas, la discipline de marché dépend

essentiellement du dynamisme de la concurrence. Dans les pays en développement et en

transition, la concurrence des firmes domestiques est particulièrement favorisée par la

privatisation des firmes publiques et la libéralisation du marché intérieur. Cette pression

concurrentielle est d’autant plus intense que l’ouverture vers le marché international est

importante, favorisant ainsi l’entrée de firmes étrangères. Cette concurrence, dès lors qu’elle

est régulée pour éviter les ententes et les abus de position dominante et qu’elle est facilitée par

un environnement légal favorisant la libre entrée de nouvelles entreprises, crée alors une

structure d’incitations qui impose aux managers (des entreprises managériales ou capitalistes)

d’être efficaces sous peine d’être sanctionnés par des pertes de marché pour leur entreprise.

Par exemple, dans le cas d’une entreprise capitaliste, si le propriétaire-manager s’octroie des

rémunérations trop élevées, la compétitivité de son entreprise peut se dégrader et son activité

serait menacée. La pression concurrentielle du marché des biens et des services doit

permettre de discipliner le comportement du chef d’entreprise en vue de maintenir un certain

degré de compétitivité (en l’empêchant de trop prélever, par exemple). Dans le cas d’une

séparation propriétaire-dirigeant, si le manager s’attribue des rémunérations trop importantes

au détriment du personnel ou des propriétaires, l’entreprise risquerait de s’appauvrir sur un

plan à la fois humain et financier ; les meilleurs salariés peuvent quitter l’entreprise tandis que

les propriétaires peuvent vendre leurs titres de propriété, provoquant ainsi une baisse de la

valeur de la société. Ces fuites de capital humain ou financier peuvent se traduire par des

baisses de rémunération des managers.

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L’efficacité de cette structure d’incitation requiert une évaluation de la performance des

firmes qui s’appuie sur une information fiable, complète et véritable de leurs comptes. La

mise en place de normes comptables et fiscales est dans ce cas indispensable. Si cette

information révèle une mauvaise gestion des dirigeants, ceux-ci peuvent être sanctionnés

(perte de leur emploi) à la suite, soit de la vente des firmes inefficaces à des firmes plus

performantes (une discipline de surenchère s’exerce alors), soit de la liquidation des firmes

défaillantes exigée par des créanciers (c’est la discipline de faillite qui joue dans ce cas).

Pour que ces mécanismes de gouvernance fonctionnent, il faut que la qualité de l’information

soit élevée et que sa disponibilité soit assurée afin de garantir la transparence quant à la

viabilité des entreprises ; que les droits de propriété soient protégés par des dispositifs

institutionnels impersonnels et indépendants ; qu’une discipline contractuelle intervienne en

assurant l’application effective des contrats ; que la menace de faillite soit réelle, avec des

dispositifs juridiques qui la prévoient et l’appliquent ; que le marché du travail, comme le

marché financier, soit opérationnel afin que des pressions adéquates s’exercent sur les

managers et les conduisent à améliorer l’efficience de leur entreprise. Or, cet ensemble de

dispositifs institutionnels ne peut être garanti sans un État transparent et responsable. Une

structure institutionnelle contraignante visant à contrôler l’action des dirigeants publics est

alors indispensable au bon fonctionnement des systèmes de gouvernance privée28.

2.3.4.2. Les systèmes de gouvernance des dirigeants des États : la « Gouvernance Publique »

La Gouvernance Publique, ou encore les systèmes de gouvernance de l’État et de ses

dirigeants publics, renvoie aux institutions qui visent à améliorer l’efficacité et la transparence

de l’État29 en assurant une meilleure discipline de ses dirigeants politiques, bureaucratiques et

des managers des entreprises publiques. Ces institutions permettent de structurer le processus

par lequel les gouvernants sont choisis, rendus responsables, contrôlés et remplacés. Elles

garantissent les droits politiques et civils, en ce sens que tous ceux qui sont concernés par ce

28 Des systèmes de gouvernance publics efficaces sont indispensables au bon fonctionnement des mécanismes de gouvernance des entreprises et de leurs dirigeants. Voir à ce propos les travaux de l’OCDE, entre autres [Oman, 2003 ; Oman et al., 2003a, 2003b] et [Meisel, 2004].

29 L’Etat est considéré ici comme étant l’ensemble des « organisations » publiques au sens de North. Un éclairage sera apporté dans la section suivante quant au concept d’« organisation » ainsi qu’aux caractéristiques qui le distinguent du concept d’« institution » selon North.

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processus et qui veulent y participer, hommes ou femmes, riches ou pauvres, urbains ou

ruraux, peuvent le faire sur une base égale : principe d’inclusivité. Ces institutions doivent

également permettre à tous les citoyens de tenir leur gouvernement pour responsable de la

manière dont il fait usage de l’autorité de l’État et des ressources du peuple : principe de

responsabilisation30. En outre, ces institutions doivent établir une séparation claire et effective

des pouvoirs et des responsabilités entre les trois branches majeures de l’État : un parlement

représentatif doté d’un pouvoir de surveillance, un pouvoir exécutif compétent et responsable

(incluant son administration publique), et un système judiciaire équitable et indépendant : il

s’agit ici du principe de séparation des pouvoirs. Ces principes constituent le fondement d’un

système de gouvernance publique et font ressortir la nécessité de disposer d’un système

efficace de poids et de contrepoids au sein de la sphère de l’État.

L’efficacité des systèmes de gouvernance publique est appréhendée en vertu de la capacité de

ceux-ci à contraindre les dirigeants publics à en respecter les principes. De façon plus concise,

les systèmes de gouvernance des dirigeants publics renvoient aux mécanismes

organisationnels et institutionnels qui permettent de délimiter leur pouvoir discrétionnaire et

de restreindre les dérives les poussant à poursuivre des intérêts particuliers au détriment de

l’intérêt général. Ces dérives peuvent se manifester par exemple lorsque les dirigeants publics

usent de leur pouvoir afin de contourner certaines règles (par exemple, violer les droits de

propriété pour s’approprier des actifs d’autrui, contourner les règles du marché pour créer et

s’approprier des rentes publiques), voire influencer leur contenu afin de servir l’intérêt d’un

groupe particulier31. Elles peuvent également avoir lieu lorsqu’elles conduisent à la violation

de certains principes fondamentaux tels que l’indépendance du système judiciaire, à la

restriction des libertés civiles ou au non-respect de certains droits politiques, ces mécanismes

étant destinés à contester et à contrôler leur action.

Comme pour la gouvernance privée, les systèmes de gouvernance publique exercent un

double effet d’incitation et de discipline à travers des mécanismes institutionnels qui peuvent

être regroupés selon deux dimensions. (i) Grâce à un marché politique32 qui offre des choix

30 Les deux principes évoqués ci-dessus, l’inclusivité et la responsabilisation, ont été introduits par la Banque Mondiale [World Bank, 2003b] dans le cadre d’une définition large de la gouvernance, « l’exercice de l’autorité au nom de la population », qui reconnaît la nécessité d’impliquer le citoyen dans le processus de gouvernance. Voir également à cet égard [Isham et al., 1997].

31 Voir à ce propos [North, 1994].

32 Il est important de souligner à cet égard que le marché politique, comme le marché économique, ne conduit que rarement à une allocation optimale des ressources [North, 1994]. Néanmoins, nous retenons l’hypothèse que le

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alternatifs entre candidats et partis antagonistes, les dirigeants politiques seront amenés à

engager des réformes en faveur des populations et seront moins enclins à abuser de leur

pouvoir à des fins personnelles sous peine d’être sanctionnés par le vote des citoyens. La

contrainte du marché politique doit inciter les dirigeants à agir en faveur de l’intérêt général.

Pour cela, les libertés politiques doivent être protégées, la légalité des élections doit être

surveillée et garantie, les dirigeants publics doivent rendre compte de leur action qui doit être

transparente. (ii) Les dirigeants publics doivent être soumis aux institutions et organisations

de contre-pouvoir, celles-ci émanant essentiellement de la sphère privée (indépendamment de

l’État) et exerçant leur action par le biais de structures d’action collective, au premier rang

desquelles les syndicats, les associations citoyennes et les organisations non

gouvernementales33. Dès lors qu’ils sont autonomes et libres, ces organes réagissent sur les

obligations des dirigeants publics ainsi que sur leur légitimité. Ainsi, ils exercent sur ces

derniers une pression destinée à réprimer dérives et abus de pouvoir. Cette discipline est

favorisée par une presse libre, autonome et plurielle ainsi que par la liberté de circulation de

l’information et sa large diffusion.

Les systèmes de gouvernance publique doivent alors permettre de contrôler l’action des

dirigeants publics et les éventuelles coalitions au pouvoir afin de restreindre les pratiques

prédatrices et l’arbitraire (générer des rentes publiques et les employer à des fins non

productives, appropriation des revenus ou investissements d’autrui, abus de pouvoir,

corruption, etc.) et de permettre un traitement plus égalitaire s’appuyant sur des règles

formelles impersonnelles. L’instauration d’un dispositif contraignant de gouvernance des

dirigeants publics les empêcherait de fausser les règles du jeu en société, et serait de nature à

favoriser la mise en œuvre des conditions nécessaires au bon fonctionnement d’un État de

droit.

marché politique exerce une pression sur les acteurs politiques qui les poussent à prendre en compte les éventuelles sanctions par le vote dans leur action.

33 Le rôle des structures d’action collective indépendante de l’Etat dans l’amélioration de la qualité institutionnelle a été mis en évidence par de nombreux travaux ces vingt dernières années [Bermeo et Nord, 2000 ; Keane, 1988 ; Perez-Diaz, 1993 ; Putnam, 1993]. Des études empiriques ont montré l’existence d’un lien nettement positif entre les libertés civiles et l’action civique, d’une part, et la qualité institutionnelle et le développement économique, d’autre part [Isham et al., 1997 ; Kaufmann et Pritchett, 1998 ; Knack et Keefer, 1997]. Dans le même registre, le rapport de la Banque Mondiale élaboré par Aidt et Tzannatos [2002] soulignant l’impact positif du pouvoir de négociation des syndicats dans la réduction des inégalités et l’amélioration de la performance à long terme des économies en développement.

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2.4. Les systèmes nationaux de gouvernance : les spécificités d’une nouvelle approche

2.4.1. Les systèmes nationaux de gouvernance : un cas particulier de l’analyse des institutions de North

La question de la gouvernance s’inscrivait dès l’origine dans une perspective de régulation du

comportement des dirigeants. Elle peut être appréhendée également comme la définition des

règles du jeu managérial pour une firme, et comme l’ensemble des règles du jeu en société

pour une nation. Cette conception implique nécessairement une perspective institutionnaliste.

Notre approche de la gouvernance peut être considérée comme un cas particulier de l’analyse

des institutions de North [1990] appliquée aux dirigeants publics et privés.

Les institutions sont définies comme un ensemble de contraintes, établies par les hommes,

qui structurent les interactions humaines [North, 1994]. Ces contraintes, formelles ou

informelles, offrent la structure des incitations qui guident les comportements humains, de

façon plus ou moins propice à l’efficacité individuelle et collective. Ainsi, les institutions

apparaissent comme les « règles du jeu » où « les organisations et leurs entrepreneurs sont les

joueurs » [North, 1990].

Plusieurs points méritent d’être soulignés dans cette conception des institutions. Nous

retenons deux aspects qui présentent un intérêt particulier au regard de notre analyse des

systèmes de gouvernance, à savoir la notion de « contrainte » et la distinction entre institution

et organisation34.

Le concept du « choix sous contrainte » est fondamental dans la définition des institutions.

Depuis Hamilton et Commons, la notion de « contrainte » revient dans la plupart des travaux

consacrés à l’étude économique des institutions. Elle confère à l’institution une double

caractéristique : elle est contraignante vis-à-vis du comportement de l’individu (effet

disciplinaire) et elle libère l’action humaine en réduisant l’incertitude (effet incitatif).

34 Il convient également de relever la distinction entre les institutions formelles et informelles et la prise en compte des modalités de la mise en œuvre ou de l’application (enforcement) de ces deux genres de contraintes. Cette distinction, cruciale dans les travaux de North, sera largement discutée dans la suite de ce travail.

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Les institutions se transposent dans la société sous forme de règles contraignantes exerçant

une pression de nature à structurer les incitations et à restreindre les comportements

opportunistes35 néfastes pour la société. Lorsqu’elles sont informelles, ces règles impliquent

des sanctions et imposent des tabous. Lorsqu’elles sont formelles, elles émettent des

directives, mettent en œuvre des pénalités et exercent une certaine autorité sur les individus.

Dès lors qu’elles sont appliquées, elles soumettent les individus à une discipline qui tente de

délimiter une zone de tolérance pour leurs actions.

Or, l’institution dans sa conception contraignante ne se résume pas à la seule fonction

répressive et disciplinaire. Dans le cadre d’une définition plus large, elle peut également

libérer et étendre l’action individuelle [Commons, 1934]. C’est en effet le caractère

contraignant de l’institution elle-même qui confère à cette dernière une dimension libératrice

pour l’individu, en le protégeant de l’arbitraire et d’un traitement inéquitable de la part des

autres individus, et qui élargit aussi considérablement sa capacité d’action en lui permettant de

réaliser bien davantage que ce qu’il aurait pu faire de façon isolée. Un système institutionnel

contraignant et efficace doit permettre de canaliser les comportements individuels et les

anticipations de chacun sur le comportement d’autrui. En offrant des sécurités et des

protections aux individus, elles mettent en œuvre une structure incitant à la recherche et à la

réalisation de gains de productivité, et favorable à l’accroissement des richesses.

C’est dans ce cadre que nous situons notre approche des systèmes nationaux de gouvernance.

La mise en œuvre d’une structure institutionnelle et organisationnelle de discipline et

d’incitation des dirigeants publics et privés est essentielle à une meilleure efficacité

individuelle et organisationnelle. Elle offre des conditions plus ou moins propices à la

création de la richesse et à son expansion.

Contrairement à l’économie institutionnelle originelle, North affirme qu’il est essentiel de

distinguer institution et organisation. Selon sa métaphore du jeu sportif, les règles (les

institutions) définissent la manière dont on joue le jeu, tandis que les équipes (les

organisations et leurs entrepreneurs) cherchent à gagner dans le cadre de ces règles, en

utilisant la stratégie et/ou la coordination des compétences et des moyens, honnêtes ou pas.

Les organisations sont faites de groupes d’individus liés à un projet commun en vue

35 North, comme Williamson, se démarque de la tradition néoclassique quant à son hypothèse relative à la rationalité de l’individu. Ils empruntent à Simon - en partie – sa thèse de l’«opportunisme » : l’homme « contractuel » diffère de l’Homo oeconomicus en ce sens qu’il est prêt à mentir et à tricher pour défendre ses intérêts.

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d’atteindre des objectifs [North, 1990]. On peut distinguer des organisations politiques (les

partis politiques, le Sénat, le Conseil municipal, les agences de régulation), économiques (les

firmes, les syndicats, les coopératives, les entreprises familiales), sociales (les églises, les clubs,

les associations) et éducationnelles (les écoles, les universités)36.

L’interaction entre organisations et institutions est essentielle selon l’auteur : le cadre

institutionnel conditionne le genre d’organisations qui seront créées, de même que leur

évolution. Mais, à leur tour, les organisations vont être à la source du changement

institutionnel37. « Les organisations qui se constituent vont refléter les opportunités créées par

la matrice institutionnelle. Si le cadre institutionnel récompense la piraterie, des organisations

pirates seront créées ; s’il récompense les activités productives, des organisations – des firmes

– seront créées afin de s’engager dans des activités productives » [North, 1994 : p.361].

Suivant cette lecture, les institutions conjuguent chez North des aspects incitatifs opposés38 ;

le cadre institutionnel serait en effet un mélange d’institutions qui peuvent promouvoir les

activités accroissant la productivité, et d’institutions qui créent des barrières à l’entrée,

encouragent les restrictions monopolistes et empêchent la transmission à faible coût de

l’information, autrement dit, des institutions qui verrouillent l’accès aux ressources du

pouvoir économique et politique39. Les institutions en place déterminent alors des incitations

ou des occasions dont vont profiter des organisations préexistantes ou bien des entrepreneurs

qui vont créer de nouvelles organisations ; à leur tour, les organisations vont évoluer dans le

cadre institutionnel établi, mais aussi chercher à le modifier. Cette opposition – activités

prédatrices vs activités productives – évoque indirectement le conflit mis en évidence par la

théorie des choix publics entre la vision de l’État bienveillant et celle de l’État non

bienveillant qui sert d’abord à maximiser la fonction d’utilité de ses membres. Ainsi, North

[1994] reconnaît que les institutions ne sont pas nécessairement efficientes économiquement ;

elles sont d’abord créées afin de servir les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir de

négociation pour créer de nouvelles règles.

36 Voir Ménard [1997] qui offre un éclairage sur l'analyse économique des organisations. Pour une analyse plus détaillée de la distinction entre organisations et institutions, voir [Ménard, 1995, 2005].

37 L’analyse des mutations institutionnelles dans les économies postsocialistes est très utile à la compréhension de ce processus [Andreff, 2003a].

38 La théorie des incitations constitue un cadre d’analyse intéressant pour cet aspect. Le travail de Laffont et Martimort [2002] est très éclairant à ce propos, notamment à travers le modèle Principal-agent.

39 Voir [North et al., 2007] et [Olson, 1993].

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Dans cette perspective, les institutions ne sont plus présentées seulement comme étant des

solutions efficaces à des problèmes économiques. Cette conception est clairement élargie

pour mettre en avant l’idée que les institutions sont fondées sur le « pouvoir », qui influence

leur évolution. Notons ici que les entrepreneurs demeurent malgré tout des « maximisateurs

utilitaristes » selon North. Ce dernier affirmait déjà que « les institutions sont des ensembles

de règles, (…) conçues afin de contraindre le comportement des individus dans le but de

maximiser la richesse ou l’utilité des dirigeants » [1981 : p.202].

Ainsi, la question du pouvoir des dirigeants et de son rôle dans l’efficacité allocative des

ressources s’avère centrale dans l’analyse économique des institutions. Le comportement des

dirigeants politiques ou managériaux, qui varie en fonction de leur pouvoir discrétionnaire,

apparaît comme un élément-clé dans l’analyse du développement institutionnel et

économique, notamment dans un contexte de transition [Andreff, 2007 ; Labaronne, 1998].

Un nombre de plus en plus croissant de travaux met en avant le rôle déterminant des

dirigeants publics et privés dans le développement économique et institutionnel des pays en

développement et en transition ; nous pouvons citer entre autres les travaux d’Acemoglu et

Robinson [2006], North et al. [2007], Olson [1993], Haber [2002] ou encore Oman et al.

[2003a]. Selon des approches différentes, ces auteurs expliquent les blocages de la transition

vers l’économie de marché et vers des systèmes plus démocratiques par la résistance des élites

dirigeantes, qui n’ont pas intérêt à la transformation institutionnelle que nécessite le processus

de transition.

Précisons ici que, d’une manière générale, ces élites désignent une minorité sociale qui

présente la particularité de contrôler les trois institutions qui dominent l’État et la société : le

politique, le militaire et l’économique40. Il s’agit d’un groupe dominant qui se répartit entre

ces trois centres-clé du pouvoir au sein de la société. De ce fait, il est le groupe le mieux

informé de la société. Ceci s’explique en partie par sa main mise sur les principaux canaux de

diffusion de l’information et par des pratiques informelles qui lui permettent de verrouiller

l’accès à une frange plus large de la population. Ainsi, cette asymétrie d’information procure

aux élites dirigeantes publiques ou privées un pouvoir discrétionnaire qui, en l’absence de

mécanismes de contrôle, leur permettent d’accumuler certains privilèges et d’accéder à des

40 Nous pouvons y ajouter les institutions religieuses dont le poids peut être aussi important que celui des autres institutions dans certains pays. Pour une analyse approfondie de la définition des élites, celle utilisée notamment dans les travaux de sciences politiques, voir [Mills, 1956].

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rentes. Ces élites n’ont pas intérêt alors à s’engager dans des réformes institutionnelles qui

risqueraient de remettre en question leurs privilèges. Elles vont alors développer des

stratégies qui visent à verrouiller l’accès aux ressources du pouvoir (économique, politique,

information) et à en limiter l’accès au reste de la population.

À travers cette analyse, nous avons tenté de montrer comment notre conception des systèmes

de gouvernance peut être considérée comme un cas particulier de l’analyse institutionnelle de

North, en ce sens que ces derniers considèrent la mise en œuvre de certains mécanismes

institutionnels contraignants afin de restreindre les abus de pouvoirs et d’inciter à une

meilleure allocation des ressources. North offre un cadre d’analyse des institutions très large

qui considère les contraintes formelles et informelles régissant les interactions entre les

individus à tous les niveaux de la société. À travers notre approche des systèmes de

gouvernance, nous entendons la mise en place de contraintes qui visent à contrôler une

catégorie particulière des acteurs de la société, à savoir les élites qui dirigent les organisations

publiques (dirigeants politiques, bureaucrates et managers des entreprises publiques) et les

organisations privées (les managers des entreprises privées).

2.4.2. Du « gouvernement » aux « systèmes de gouvernance »

North [1990] souligne que la distinction entre les règles du jeu et les stratégies des joueurs est

un prérequis nécessaire pour construire une théorie des institutions. Dans le même ordre

d’idées et dans l’optique de cerner notre conception de la gouvernance, nous opérons une

distinction fondamentale entre « systèmes de gouvernance » (les règles du jeu) et « modes de

gestion », au sein des entreprises, ou « administration des affaires publiques », au sein d’un

État (les stratégies des joueurs). Autrement dit, gouvernance n’est pas gouvernement de

l’entreprise ou de l’État. Comme énoncé plus haut, nous soulignons avec Charreaux [2006]

que la gouvernance n’a pas pour objet d’étudier la manière dont les dirigeants des entreprises

mettent en œuvre des techniques de gestion et établissent des stratégies commerciales. Cela

mènerait à confondre « gouvernance » et « management » qui peut être défini comme

l’ensemble des techniques d’organisation permettant de mettre en œuvre des moyens

financiers et humains en vue de réaliser un profit. De même, la gouvernance n’a pas pour

objet d’étudier comment les dirigeants publics gèrent les affaires de l’État, comment ils

définissent les mesures économiques nécessaires à la croissance économique, ou quelles

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réformes entreprendre pour adapter la société aux évolutions nationales et internationales.

Cela mènerait à confondre « gouvernance » et « administration publique » ou « politique

économique et sociale ». En effet, les systèmes de gouvernance publique ne présagent pas

du contenu des décisions politiques. Ils ne disent pas suivant quels présupposés

économiques les dirigeants politiques doivent agir. Ce qui est important en matière de

gouvernance ce sont les règles qui encadrent les décisions souveraines des représentants

du peuple au sein de l’État et les décisions managériales du dirigeant-mandataire au sein

d’une entreprise. Le critère qu’il convient de retenir pour juger de la qualité des systèmes

de gouvernance est alors leur capacité à contenir l’action des dirigeants à l’intérieur de

certaines frontières fixées par les règles de gouvernance. Ces dernières ont pour principale

fonction de restreindre les dérives des dirigeants en délimitant leur espace discrétionnaire

et de les contraindre à agir dans l’intérêt général41.

Suivant cette analyse, la gouvernance peut être interprétée comme le « gouvernement des

gouvernants » à travers des règles qui peuvent transcender leurs pouvoirs absolus acquis sous

le principe de la souveraineté. Elle s’oppose à une vision des plus courantes de la

gouvernance qui renvoie à l’exercice de l’autorité pour conduire les affaires publiques

[Kaufmann et al., 2003 ; World Bank, 1994]. Elle implique que l’exercice de l’autorité doit être

soumis aux contraintes institutionnelles de gouvernance permettant de délimiter les marges

discrétionnaires de ceux qui détiennent cette autorité. Autrement dit, la gouvernance est

l’exercice du contrôle des gouvernants42.

En définitive, le terme de gouvernance se distingue de celui de gouvernement en ce qu’il

désigne désormais la mise en œuvre des conditions appropriées à l’émergence et au bon

fonctionnement d’un État de droit. Il vise en particulier à faire valoir la règle du droit

impersonnel au détriment des pratiques interrelationnelles afin de garantir un exercice de

l’autorité orienté vers l’intérêt général et non vers des fins personnelles ou en faveur de

groupes d’intérêts particuliers.

41 Derrière cette vision de la gouvernance, on retrouve l’idée non pas de gestion mais plutôt de pilotage qui doit obéir à certaines règles. Ce qui nous renvoie à l’origine étymologique du terme de gouvernance dans sa signification première « gouverner » qui consiste à maintenir un navire à un cap donné au moyen du gouvernail tout en tenant le vent dans les voiles sous l’angle le plus aigu possible et en corrigeant les dérives à chaque fois que c’est nécessaire (selon la définition donné par le Dictionnaire de l’Académie française [ATILF, 2007]).

42 Cette conception de la gouvernance évoque une certaine idée de la démocratie proposée par Alain [1925] qui renvoie à l’exercice du contrôle des gouvernés sur les gouvernants.

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Il nous semble important de préciser à ce niveau d’analyse que cette vision de « gouvernance

par les règles » peut voir apparaître des limites dès lors qu’on peut démontrer la persistance

des rapports de force et des luttes de pouvoir au sein des élites dirigeantes. Néanmoins, la

généralisation de la règle formelle et impersonnelle ainsi que l’amélioration de son application

effective tend à réduire les coûts transactionnels en limitant les abus de pouvoirs et les

comportements prédateurs nuisibles, de façon générale, au développement économique.

Ainsi, Commons [1934] reconnaissait déjà que la règle n’établit pas une harmonie a priori des

intérêts, car le conflit est irréductible, mais crée une « mutualité praticable » et une relative

sécurité des anticipations pour les individus dans leurs transactions.

Une fois la primauté de la règle de gouvernance par rapport au pouvoir du dirigeant

reconnue, deux questions méritent d’être posées : (i) Qui veille sur le respect des règles de

gouvernance ? (ii) Qui est chargé d’appliquer les règles de gouvernance ? Si la mission de la

dénonciation des dérives conduisant au contournement des règles revient à des organes de

contre-pouvoirs autonomes et libres (organes de surveillance, syndicats, presse libre, etc.), la

question de la répression de ces dérives appelle la nécessité de l’existence d’un gendarme doté

de pouvoirs légitimes.

L’incontournable question du gendarme

Un ordre social sans gendarme est-il possible ? L’ordre social le plus achevé ne serait-il pas

aujourd’hui celui qui n’a plus besoin de gendarme, tous ceux relevant de lui (individus et

organisations) ayant si profondément intériorisé les règles de gouvernance qu’aucun système

de sanctions n’est nécessaire ? Ce serait sous-estimer le comportement opportuniste et

« l’inclination naturelle de tout individu à subvertir les institutions sociales » pour en tirer un

profit personnel43. C’est au niveau des élites dirigeantes en particulier, lieu des luttes des

pouvoirs et de conflits entre intérêts et idéologies, que se manifestent le plus les

comportements opportunistes et les dérives qui conduisent à transgresser les règles de la loi.

Si la gouvernance repose sur certaines règles et mécanismes institutionnels auto-exécutoires, il

n’en demeure pas moins, qu’en cas de violation de la règle ou de défaillance de ces

mécanismes, l’existence d’organes correcteurs qui ont la volonté et la capacité de recourir à la

force pour imposer l’ordre est indispensable [Olson, 2000]. Seules les organisations étatiques

peuvent prétendre à l’usage légitime de la force pour faire respecter la règle de droit. Les

43 Voir [Glaeser et al., 2003].

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défaillances des systèmes de gouvernance des entreprises aux Etats-Unis (suite aux pratiques

frauduleuses de grandes firmes américaines comme Enron et BMIS44) et plus récemment la

crise financière mondiale qui a fait apparaître de graves dysfonctionnements dans les systèmes

de surveillance, ont déclenché l’intervention de l’État. Par ses moyens législatifs,

juridictionnels et policiers, l’État serait le garant ultime de l’ordre social. Il lui appartient de

corriger les défaillances des mécanismes du marché et de sanctionner les élites dirigeantes en

cas de violation des règles de gouvernance45.

Nous ne soulevons pas ici des questions liées aux confrontations idéologiques et des débats

théoriques sur le rôle de l’État dans l’économie, telles que celle de savoir quelle dose de

propriété étatique est souhaitable ou dans quelle mesure l’État devrait se désengager de

l’appareil productif. Nous insistons en revanche sur son rôle dans le bon fonctionnement des

systèmes de gouvernance. Il est le garant ultime lorsque les règles de gouvernance s’avèrent

insuffisantes pour endiguer les dérives prédatrices et les abus de pouvoir des élites dirigeantes.

Outre leurs capacités de coercition, les organisations étatiques jouent le rôle d’un maillon

majeur dans les mécanismes institutionnels de gouvernance privée et publique. Elles

disposent d’un pouvoir d’incitation au niveau des systèmes de gouvernance privée qui ne

repose pas seulement sur leur pouvoir de réglementation mais également sur une forte

capacité de pression financière et fiscale qui, dès lors qu’elle est accompagnée de mesures

contraignantes efficaces, soumet les managers et leurs entreprises aux disciplines

contractuelles et de marché.

De nombreux travaux mettent en évidence le rôle majeur que doivent jouer les organisations

étatiques dans la consolidation des systèmes de gouvernance, notamment à partir des

expériences de la transition dans les économies postsocialistes [Andreff, 2003a, 2003b, 2007].

En analysant les privatisations à l’Est, Labaronne [1999] par exemple souligne que le bon

fonctionnement des mécanismes de contrôle (de l’action des managers des entreprises

privatisées) doit être garanti par la puissance publique afin que la privatisation permette

réellement aux nouveaux propriétaires des entreprises de rentrer en pleine possession de leurs

droits et de leurs pouvoirs de propriété sur les actifs. Sans l’instauration de systèmes de

gouvernance privée efficaces, la privatisation risquerait de se réduire à une simple opération

de transfert juridique de la propriété publique à des agents privés, mais elle s’accompagnerait 44 Bernard Madoff Investment Securities.

45 Voir l’analyse d’Andreff [2007: pp.365-370] sur « l’Etat correcteur des défaillances institutionnelles ».

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surtout d’une conservation des anciens pouvoirs de décision et de contrôle dans les mains des

acteurs publics46. Par ailleurs, les organisations étatiques sont cruciales dans le maintien d’un

ordre concurrentiel, lequel constitue un mécanisme majeur dans le fonctionnement des

systèmes de gouvernance. La concurrence ne peut se développer et s’entretenir

spontanément, avec un État qui se limiterait à garantir les droits de propriété ; livrée à elle-

même, celle-ci tend à être minée par les tendances monopolistes et les groupes d’intérêt. C’est

le rôle des organisations étatiques d’assurer l’établissement et le maintien de la concurrence47.

2.4.3. La gouvernance publique et la gouvernance privée sont indissociablement liées

Notre définition des systèmes nationaux de gouvernance tente de proposer une grille unique

d’explication des problèmes de gouvernance et des moyens de les résoudre, en l’occurrence

de la manière dont il faudra délimiter le pouvoir des dirigeants à la fois publics et privés.

Comme nous l’avons souligné plus haut, cette tentative comporte un risque lié au fait qu’elle

peut conduire à sous-estimer la complexité de la mise en œuvre d’un tel processus et minorer

le poids des spécificités liées à chacune des sphères publiques (l’État et ses dirigeants) et

privées (les entreprises et leurs managers). Néanmoins, cette approche se justifie en

s’appuyant au moins sur deux arguments. Le premier réside dans la centralité du rôle du

comportement des dirigeants dans l’analyse de la gouvernance qu’elle soit publique ou privée.

Nous avons tenté de montrer dans les sections précédentes que les systèmes de gouvernance

visent à résoudre en partie les problèmes d’agence qui peuvent avoir lieu entre les dirigeants

politiques et leurs électeurs d’une part, et entre les managers des entreprises et les partenaires

de celle-ci d’autre part. Le comportement opportuniste des dirigeants et leurs stratégies

individuelles sont au cœur des problèmes de gouvernance. Le deuxième argument repose sur

l’interaction étroite entre les systèmes de gouvernance publique et privée. Nous soutenons ici

que gouvernance privée et gouvernance publique ne prennent sens que l’une par rapport à

l’autre.

46 Ainsi Olson [2000] explique que la privatisation massive des entreprises ne suffit pas à gommer les traces des gaspillages commis pendant la phase sénile du communisme soviétique ; « le pouvoir n’a guère changé de mains au bénéfice de vrai managers, faute de pouvoir bénéficier de la relève des élites dirigeantes ».

47 On peut évoquer à cet égard ce que soutenait Walras il y a plus d’un siècle : « instituer et maintenir la libre concurrence économique dans une société est une œuvre de législation, et de législation très compliquée, qui appartient à l’Etat » [Cité dans : Chavance, 2007 : p.57].

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Nous nous appuyons sur une littérature récente qui montre que l’analyse de la gouvernance

privée ne peut être dissociée de celle de la gouvernance publique48 [Haber et al., 2002 ; Meisel,

2004 ; Oman et al., 2003a ; Sullivan, 2002]. Ces travaux soulignent que l’efficacité et la

promotion de la gouvernance privée sont intrinsèquement dépendantes de la qualité des

systèmes de gouvernance publique. Ces derniers jouent un rôle décisif dans le bon

fonctionnement des systèmes de gouvernance privée en ce sens que c’est à son niveau que les

règles formelles du jeu économique, de façon générale, et que celles qui sont censées réguler

l’action des dirigeants des entreprises en particulier, sont établies et leur application contrôlée.

L’interaction étroite entre les institutions de gouvernance publique et de gouvernance privée

transparaît alors sur trois niveaux : (i) Le rôle central que jouent les principaux organes

législatifs, réglementaires et judiciaires dans la création et l’évolution d’un grand nombre

d’institutions-clé de la gouvernance des entreprises et de leurs dirigeants. Par exemple, les

contrats et les droits de propriété, qui définissent l’usage, les droits au revenu et l’aliénabilité

des actifs, constituent le cœur des institutions formelles de gouvernance privée. Ils sont

établis par les organisations de l’État qui sont censées également les adapter aux évolutions

économiques et politiques en cours. Des systèmes de gouvernance publique efficaces sont

alors indispensables pour assurer le bon fonctionnement de ces organisations. À cet égard,

North précise que l’on obtient des institutions économiques efficientes par un « système

politique (polity) » qui incorpore des incitations à créer et à faire respecter des droits de

propriété efficaces [1990 : p.140]. (ii) L’importance du problème de l’application des lois et

règlements qui dépend fortement de l’efficacité des organisations publiques. (iii) Les

interdépendances politico-économiques et l’importance du pouvoir que les groupes d’intérêts

prédateurs exercent à la fois dans la sphère économique et la sphère politique d’un pays

[Haber, 2002 ; Olson, 2000 ; Oman et al., 2003a].

Cette interaction est d’autant plus marquée dans les pays en développement où les frontières

entre sphère privée et sphère publique sont quasi absentes49. L’enchevêtrement des intérêts

privés et publics50 est tel que les opportunités de changement des systèmes de gouvernance

48 Dans le cadre de notre analyse empirique, nous montrons statistiquement sur la base d’indicateurs de la qualité des systèmes de gouvernance qu’il existe une corrélation entre les deux niveaux de gouvernance publique et privée. Cf. chapitre 3.

49 Voir par exemple l’analyse du cas maghrébin par [Michalet et Sereni, 2006].

50 Notamment lorsque des entrepreneurs privés viennent à occuper des responsabilités politiques. Les travaux de Bunkanwanicha et Wiwattanakantang [2006 ; 2008] sont très éclairants à cet égard. Voir également entre autres [Shleifer et Vishny, 1994], [Becker, 1983] et [Faccio, 2006].

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privée deviennent très rares. Les systèmes politiques, étant dominés par des relations

interpersonnelles voire clientélistes dans la plupart des pays en développement, rendent peu

probables les réformes institutionnelles nécessaires à l’amélioration des systèmes de

gouvernance des entreprises [Oman et al., 2003a]. D’où l’importance d’établir une séparation

effective des pouvoirs et des responsabilités dans ces pays entre un secteur des entreprises

puissant, capable de générer des gains de productivité soutenus d’un côté, et de l’autre côté,

de solides institutions de gouvernance publique fondées sur des règles formelles explicites

incluant des droits de propriété bien définis et sécurisant les contrats. Tout aussi importante

est la nécessité fondamentale d’assurer une séparation effective entre intérêts privés et publics

[CIPE, 2002].

Ainsi, la promotion de la gouvernance privée nécessite des systèmes de gouvernance publique

efficaces. Le développement économique et institutionnel à long terme exige l’un et l’autre.

Comme le montre l’expérience récente des économies en transition où l’économie de marché

et l’entreprise privée sont relativement établies, mais où les progrès accomplis au plan de la

gouvernance publique restent plus inégaux [Oman et al., 2003a]. Ces pays sont alors tenus de

prêter une grande attention aux incitations et aux moyens à mettre en ouvre afin d’assurer un

meilleur contrôle des dirigeants publics, faute de quoi les efforts déployés pour améliorer les

systèmes de gouvernance des entreprises pourront se révéler vains.

2.4.4. « Bonne Gouvernance » et performance économique

Les organisations internationales, au premier rang desquelles la Banque mondiale et le FMI,

accordent une attention particulière à la question de la « Bonne gouvernance »51 en tant que

facteur essentiel au processus de rattrapage économique dans les pays en développement et

en transition. La qualité des institutions de gouvernance, aussi bien celles relatives aux

organisations publiques [Kaufmann et al., 1999 ; World Bank, 1994, 2002] que celles relatives

aux entreprises [CIPE, 2002 ; Meisel, 2004 ; Oman et al., 2003b], est fondamentale dans le

développement économique à long terme. Cette idée s’appuie pour une grande partie sur les

51 Précisons ici que la notion de « gouvernance » telle que définie par les organisations internationales diffère de celle que nous proposons dans ce travail sous le concept de « systèmes nationaux de gouvernance ». Dans cette section, nous focalisons notre attention sur les liens empiriques entre « gouvernance » et performances économiques sur la base des avancées de la littérature dans ce domaine.

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travaux de la nouvelle économie institutionnelle, qui expliquent la croissance économique

soutenue qu’a connue l’Europe durant les deux derniers siècles par l’émergence d’institutions

efficaces [Hall Robert E. et Jones, 1999 ; Keefer et Knack, 1997 ; North, 1981 ; North et

Thomas, 1976]. Si l’accumulation des facteurs de production (le capital, le travail, le progrès

technologique) a un impact positif sur la croissance économique, leur mobilisation n’est

durablement productive que s’il existe une structure institutionnelle qui génère les incitations

nécessaires à une allocation efficiente52. North [1981] souligne que la source de la prospérité

de l’Occident est d’abord à rechercher dans l’émergence d’institutions qui ont conduit à des

droits de propriété sûrs et clairement définis. Tout en s’appuyant sur cette évidente réussite

économique des pays occidentaux les plus développés, les organisations internationales ont

élaboré un outillage opérationnel en matière de politiques de développement décalqué des

institutions existantes dans ces pays. Cet outillage renvoie à un ensemble de règles et de

critères regroupés sous le label de « bonne gouvernance », que les pays en développement et

en transition doivent « s’approprier » afin d’amorcer leur développement. Il vise globalement

à garantir les droits individuels, sécuriser les transactions, assurer une administration publique

efficace, contrôler la corruption, permettre un fonctionnement démocratique des systèmes

politiques53. La « bonne gouvernance » est alors présentée comme une solution universelle

permettant à tous les pays en développement de relever leurs régimes de croissance.

Toutefois, des constats empiriques récents viennent remettre en question cette vision. Nous

proposons dans ce qui suit d’avancer quelques observations critiques à l’encontre de cette

approche de la gouvernance.

52 « Les récents modèles néoclassiques de croissance construits autour des rendements croissants [Romer, 1986] et de l’accumulation du capital [Lucas, 1988] dépendent de façon cruciale de l’existence d’une structure implicite d’incitation qui oriente ces modèles. (…) Essayer de rendre compte de la diversité des expériences historiques des économies ou de la différence actuelle de performance entre économies avancées, centralement planifiées et moins développées, sans faire de cette structure des incitations dérivée des institutions un ingrédient essentiel m’apparaît être un exercice stérile » [North, 1990 : p.133].

53 La Banque mondiale identifie six principales composantes de la bonne gouvernance, reprises par Kaufmann et al. pour construire leurs indicateurs de gouvernance : (i) Voice and accountability qui renvoie au processus par lequel le gouvernement est désigné, contrôlé et remplacé ; (ii) Polical stability qui qui rend compte des possibilités de déstabilisation de l’Etat par des moyens non constitutionnels comme le coup d'Etat, l'insurrection populaire, le terrorisme ; (iii) Governement effectivenes qui tente de capturer la qualité des services publics, de l'efficacité de l'administration publique, de la compétence des fonctionnaires publics, de la crédibilité des autorités dans la mise en œuvre des réformes ; (iv) Regulatory quality qui mesure l'incidence des politiques publiques (et des réformes) sur la libéralisation de l'activité économique (contrôle des prix, supervision bancaire, entraves aux échanges) ; (v) Rule of law qui indique le niveau du respect par les citoyens et l’Etat des institutions qui régissent leurs interactions ; (vi) Control of corruption qui tente de mesurer la corruption (la capture de l'Etat et la corruption administrative).

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Placée parmi les priorités des programmes d’aide au développement par tous les bailleurs de

fonds, la « bonne gouvernance » semble néanmoins avoir laissé en suspens certaines

questions majeures. Le modèle de « bonne gouvernance » est-il transposable dans les pays en

développement, quelles que soient leurs ressources, leur histoire, leur dynamique ? Les

réformes de « bonne gouvernance » produiront-elles d’une manière mécanique des régimes de

croissance à long terme ? Le modèle de « bonne gouvernance » est-il l’unique moyen de

produire une croissance soutenue dans les pays en développement ?

À examiner les statistiques reliant les indicateurs de gouvernance et les différents indicateurs

de performance économique, force est de constater que de nombreux pays en développement

réalisant des taux de croissance très élevés ne répondent que partiellement aux critères de

« bonne gouvernance ». Certains pays des plus performants (par exemple, la Chine) ont même

souffert d’une corruption endémique et d’autres déficits en matière de gouvernance pendant

leur phase de forte croissance. Des travaux contradictoires récents ont permis de remettre en

question la relation annoncée comme évidente entre « bonne gouvernance » et performance

économique [Khan, 2004, 2006 ; Meisel et Ould Aoudia, 2007b]. A titre d’exemple, selon les

indicateurs de gouvernance de Kaufmann et al. [2008], la Chine et le Zimbabwe affichent des

scores de gouvernance très proches54. Pourtant, sur les 15 dernières années, le premier pays a

enregistré une croissance annuelle moyenne de 10 %, contre une récession moyenne de 4 %

par an pour le deuxième55. Dans un registre plus large, celui de la remise en question du

consensus de Washington, Rodrik [2006] souligne le paradoxe selon lequel des pays comme la

Chine et l’Inde, dont les économies reposent de plus en plus sur les mécanismes du marché,

continuent de poursuivre des politiques économiques complètement opposées aux

recommandations majeures des organisations internationales relevant de la « bonne

gouvernance ».

Selon les travaux de Meisel et Ould Aoudia [2007a], la seule relation de corrélation qui semble

être plausible est celle qui relie bonne gouvernance et niveau de développement mesuré par le

revenu par habitant. Ces auteurs ont construit un indicateur de gouvernance à partir de la

base de données institutionnelles du MINEFE en mobilisant des variables dont le contenu se

rapproche de ceux des indicateurs de gouvernance de Kaufmann et al. [2007]. Les résultats

54 Données disponibles sur le site internet du projet de la Banque mondiale consacré à la mesure de la « bonne gouvernance » : The Worldwide Governance Indicators (WGI) : http://info.worldbank.org/governance/wgi/index.asp

55 Source : calculs effectués à partir des données du World Development Indicators (WDI).

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présentés dans la figure 1 montrent un niveau de corrélation élevé entre la « bonne

gouvernance » et le niveau de développement économique. Ils confirment ceux qui ont été

mis en évidence par le World Bank Institute [Kaufmann et al., 1999]. Néanmoins, cette

relation ne fournit aucune indication quant aux réformes de gouvernance les plus

déterminantes dans le processus de rattrapage économique. Elle ne fait que traduire

empiriquement le postulat selon lequel les pays les plus développés ont réussi au cours du

temps à mettre en place des institutions de gouvernance efficaces, institutions dont les pays

en développement sont par définition dépourvus (ils seraient sinon déjà développés).

Figure 1. « Bonne gouvernance » et niveau de développement économique : un lien positif

Note : Le niveau de revenu est mesuré par le PIB/tête en 2006 selon les indicateurs du WDI. Voir l’annexe 4 pour la

liste complète des pays.

Source : [Meisel et Ould Aoudia, 2007a] Si la « bonne gouvernance » apparaît fortement corrélée au niveau de développement, cette

relation est beaucoup moins évidente en ce qui concerne le rythme de développement de

moyen/long terme mesuré par le taux de croissance moyen du PIB par tête calculé pour les

15 dernières années (Figure 2).

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Figure 2. « Bonne gouvernance » et niveau de croissance économique : une corrélation non établie

Note : La performance économique est ici mesurée par la croissance du PIB par tête sur la période 1990-2004.

Source : [Meisel et Ould Aoudia, 2007a].

La relation entre « bonne gouvernance » et croissance à long terme est alors non établie.

Remarquons également que la question du sens de la causalité demeure sans réponse claire.

La « bonne gouvernance » est-elle cause ou effet du niveau de revenu ? Après avoir démontré

dans un premier travail [Kaufmann et al., 1999] qu’une meilleure gouvernance entraînait la

hausse du niveau du revenu, Kaufmann et Kraay [2002] concluent que la relation de causalité

n’est pas circulaire : si une meilleure gouvernance tend à promouvoir la croissance

économique, la croissance, elle, n’améliore pas nécessairement la gouvernance. Arndt et

Oman [2006] réexaminent les travaux de Kaufmann et al. et mettent en évidence une relation

de causalité circulaire entre gouvernance et niveau de revenu, sans apporter de conclusion

claire sur le sens de cette causalité. Cependant, ces travaux souffrent d’un certain nombre de

limites. Par exemple, le modèle de Kaufmann et al. se base sur l’hypothèse d’une quasi-

constance de la gouvernance sur le long terme, ce qui peut paraître paradoxal eu égard aux

politiques de développement des organisations internationales visant à améliorer la

gouvernance. Nous relevons également dans ces travaux une ambiguïté due au manque de

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précision quant à la spécification de la variable relative à la mesure de la performance

économique, selon qu’il s’agisse de niveau du revenu ou de croissance du revenu56.

Nous ne cherchons pas dans ce travail à approfondir la question relative au sens de la

causalité de la relation « bonne gouvernance » vs croissance économique. Nous retenons en

revanche qu’à long terme la qualité des institutions de gouvernance est positivement liée au

niveau de développement économique57. Son influence sur la croissance économique à court

terme est nettement moins évidente. Précisons que nous obtenons les mêmes tendances

lorsque nous croisons nos propres indicateurs de qualité des systèmes de gouvernance58 avec

les indicateurs de performance économique.

Dans le cadre de notre analyse empirique, nous procédons d’une approche qui ne présuppose

pas de lien mécanique entre la qualité des systèmes nationaux de gouvernance et la croissance

économique à court terme. Nous privilégions une démarche qui cherche à appréhender la

« bonne gouvernance » à travers la qualité du processus de transformation institutionnelle –

relatif à la mise en place des mécanismes institutionnels de gouvernance – plutôt qu’à travers

les résultats macroéconomiques de celle-ci. Notre attention est portée plutôt sur la démarche

que sur l’aboutissement, ce dernier étant difficilement mesurable à court terme. En effet, la

question, qui reste particulièrement difficile à démêler à cet égard, consiste à pouvoir

discerner la part du taux de croissance économique annuel générée par des réformes

institutionnelles de celle induite par des réformes macroéconomiques. Contrairement aux

politiques (réformes) monétaires ou fiscales dont les incidences économiques à court terme

peuvent plus ou moins être mesurées [Corden, 1990 ; De Gregorio, 1993 ; Fischer, 1993 ;

Kormendi et Meguire, 1985], les retombées économiques de la mise en place de dispositifs

institutionnels sont beaucoup moins faciles à cerner. D’où la distinction importante que nous

avons soulignée supra entre, d’une part, les systèmes de gouvernance, censés soumettre les

mettre élites dirigeantes à un dispositif contraignant et, d’autre part, les politiques

économiques, supposées mettre en œuvre des mécanismes complexes en vue de stimuler la

croissance économique. Les systèmes de gouvernance ne disent pas sous quelles règles

constitutionnelles les dirigeants publics sont obligés d’agir. Également, ils ne disent pas 56 Cette ambigüité a déjà été soulignée par Rodrik [2006] dans de nombreux travaux qui cherchent à établir un lien entre qualité institutionnelle et croissance économique.

57 De nombreux travaux avancent des arguments théoriques et empiriques à l’appui de cette thèse. Voir entre autres ceux de [Hall Robert E. et Jones, 1999], [Knack et Keefer, 1995], [Mauro, 1995] et [North, 1990].

58 Les résultats sont présentés dans le chapitre 3 (figures 3, 4, 5 et 6).

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quelles règles de management les dirigeants des entreprises devraient emprunter. Ils visent

d’abord à mettre en place les règles qui encadrent les décisions des dirigeants publics et privés

et fixent les limites de leurs actions. Autrement dit, des systèmes de gouvernance efficaces

doivent faire en sorte que les politiques économiques ou les stratégies de management

entreprises par les dirigeants soient orientées vers des fins d’intérêt général et non d’intérêts

particuliers.

Nous soutenons alors que des systèmes de gouvernance efficaces ne garantissent pas

nécessairement des résultats économiques meilleurs, notamment en termes de croissance à

court terme. Néanmoins, en réduisant l’arbitraire, la prédation et les coûts des transactions

économiques, ils contribuent à rendre l’occurrence et la persistance de mauvais résultats

économiques moins probables sur le long terme59. Notre approche empirique de la

gouvernance s’inscrit ainsi dans un cadre plus large fixé par North [1990 : p.6] qui considère

que « le rôle majeur des institutions dans la société est de réduire l’incertitude en établissant

une structure stable, mais non nécessairement efficiente, des interactions humaines ».

À ce niveau d’analyse, deux questions particulièrement méritent d’être posées : (i) Comment

expliquer que des pays qui se sont démarqués du modèle de gouvernance affichent des

performances économiques élevées ? (ii) Comment expliquer que des pays qui ont réalisé des

progrès notables en matière de « bonne gouvernance » ne parviennent pas à amorcer leur

développement ? Nous proposons dans ce qui suit de nous interroger sur la pertinence de la

grille de lecture prédominante qui sert de point d’appui analytique aux problèmes de

développement économique des pays en transition et en développement.

59 Nous soulignons que la qualité des systèmes de gouvernance ne doit pas être appréhendée uniquement sous l’angle de leur capacité à produire de la richesse économique, mais doit également tenir compte des avancées en termes de développement humain [Ben Abdelkader et Labaronne, 2006b]. Dans le prolongement des travaux de Sen [1983 ; 1999], le développement ne doit pas se résumer à une mesure du PIB ou du revenu par habitant, mais doit être compris comme un processus d’expansion des libertés et des droits les plus fondamentaux. Ces facteurs sont d’une importance cruciale dans le processus du développement.

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3. Les systèmes nationaux de gouvernance dans les pays en développement : une nouvelle grille de lecture

À examiner l’historique des recherches sur la gouvernance, force est de constater que celles-ci

ont été consacrées pour l’essentiel aux firmes managériales et aux systèmes politiques anglo-

saxons. Ce faisant, l’étude des systèmes de gouvernance s’est faite dans un contexte

institutionnel donné, que ce soit pour les règles formelles (le droit et le système judiciaire,

l’organisation des marchés financiers) ou informelles (la religion, la culture nationale). La

grille d’analyse offerte par ce modèle, construite sur la base de l’expérience des États-Unis ou

du Royaume-Uni, apparaît insuffisante dès lors qu’on cherche à analyser des systèmes

éloignés du modèle institutionnel et culturel anglo-saxon. C’est le cas de la plupart des pays en

développement et en transition, qui présentent des structures institutionnelles différentes. Se

pose alors la question de la pertinence des critères anglo-saxons utilisés pour juger de la

qualité des institutions de gouvernance dans ces pays dont les règles formelles et informelles

diffèrent considérablement de celles qui s’observent aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Dès

lors, plutôt que de chercher à appréhender la multitude des profils institutionnels existant

parmi les pays en développement et en transition à travers le seul prisme de critères dérivés

de l’expérience anglo-saxonne, ne faudrait-il pas mieux s’efforcer de rendre plus opératoire,

en l’élargissant, notre grille de lecture des systèmes nationaux de gouvernance ?

Nous proposons d’élargir notre grille de lecture des SNG en montrant la nécessité de prendre

en compte les architectures institutionnelles nationales pour la compréhension de la variété

ainsi que de la logique de fonctionnement des systèmes nationaux de gouvernance. Nous

montrons d’abord en quoi le schéma anglo-saxon s’applique mal aux pays en développement

et en transition. Nous tentons ensuite d’examiner les systèmes de gouvernance sous l’angle de

leur capacité à produire « la confiance » et l’information.

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3.1. Les institutions de gouvernance anglo-saxonnes constituent-elles un cadre d’analyse pertinent pour les pays en développement ?

Même si les institutions de gouvernance anglo-saxonnes fournissent la principale référence en

la matière60, leur pouvoir explicatif se trouve limité dès qu’on cherche à expliquer la structure

et le fonctionnement des systèmes non anglo-saxons, notamment au niveau de la

gouvernance privée61. Les limites de ce modèle tiennent essentiellement au rôle mineur joué

par le marché des capitaux dans le financement des entreprises ainsi que la structure de

propriété du capital dans les entreprises des pays en développement. D’une manière plus

générale, les structures de gouvernance des entreprises dans les pays en développement

diffèrent de celles qui s’observent aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni sur plusieurs niveaux.

Certaines caractéristiques communes aux pays en développement peuvent être relevées : (i)

une très forte concentration de la propriété du capital au sein des entreprises ; (ii) l’absence de

véritables contre-pouvoirs aussi bien internes qu’externes aux entreprises ; (iii) l’indépendance

du pouvoir judiciaire n’est pas souvent garantie ; (iv) des systèmes financiers organisés autour

de l’État ou de banques contrôlées par lui ; (v) la prédominance des relations claniques et

familiales dans l’organisation des structures de gouvernance des entreprises, (vi) des systèmes

sociaux régulés essentiellement par des relations informelles entre intérêts ou groupes

d’intérêts privés. En outre, l’origine et la tradition juridique sont présentées comme un

déterminant majeur des choix institutionnels nationaux [La Porta et al., 1997a, 2000]62. Un

très grand nombre de pays en développement est considéré comme relevant d’une tradition

juridique de droit civil qui, selon ces travaux, offre moins de protection légale que les

systèmes régis par le droit commun. Ce qui inciterait les investisseurs à ne pas rester 60 Les principes généraux de la gouvernance des entreprises qui font référence dans la littérature anglo-saxonne peuvent être résumés en 6 points [OCDE, 2004] : 1 - Mettre en place un régime de gouvernance efficace qui soit compatible avec l’état de droit et le cadre réglementaire. 2 - Assurer la protection des droits des actionnaires. 3 - Tous les actionnaires doivent être traités d’une manière équitable. 4 – Reconnaître les droits des différentes parties prenantes à la vie de l’entreprise et favoriser leur coopération. 5 – Garantir la transparence et la diffusion de toute information pertinente sur l’entreprise. 6 – S’assurer que le conseil d’administration assume ses responsabilités vis-à-vis de l’entreprise, des actionnaires ainsi que des parties prenantes.

61 De nombreux travaux méritent d’être consultés à ce propos. Voir entre autres : [Aoki, 1990 ; 2001a : cas des firmes japonaises], [Andreff, 1996 : cas des pays de l'Est en transition ], [Oman, 2003 : cas des pays émergents et en développement], [Huchet et al., 2007 ; Huchet et Ruet, 2006 ; Richet et Huchet, 2005: cas de la Chine, de l'Inde et de la Russie].

62 Cette thèse est par ailleurs critiquée par Rajan et Zingalez [2003].

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minoritaires mais plutôt à acquérir des blocs de contrôle afin de pouvoir exercer une

influence réelle sur les dirigeants.

Ces éléments qui caractérisent les structures institutionnelles dans la plupart des pays en

développement vont à l’opposé de ce qui constituerait a priori la base de saines institutions de

gouvernance selon les standards anglo-saxons. En effet, l’analyse standard reste clairement

marquée par la configuration institutionnelle dans laquelle elle a vu le jour et dans laquelle elle

s’est développée. Le paysage institutionnel sur la base duquel s’est développée cette littérature

dominante présente des caractéristiques quasi propres aux pays anglo-saxons. Les systèmes

institutionnels relatifs à la sphère privée, par exemple, présentent quelques traits spécifiques :

(i) une large dispersion de la propriété du capital entre les mains d’investisseurs relativement

passifs, sur des marchés boursiers présentant un haut degré de liquidité ; (ii) une distinction

nette entre dirigeants et actionnaires, (iii) l’autonomie de la sphère privée (institutions

financières, entreprises, investisseurs et marchés des titres) par rapport à l’État dans le

financement des entreprises, (iv) un pouvoir judiciaire indépendant en mesure de faire

respecter les droits de propriété et les contrats privés.

Force est de constater que les systèmes de gouvernance dans les DTE ne peuvent être que

partiellement appréhendés avec une approche prenant appui sur une infrastructure

institutionnelle radicalement opposée. En outre, les transformations dans les institutions de

gouvernance de ces pays n’obéissent que marginalement aux recommandations anglo-

saxonnes, tant ces dernières présupposent implicitement un référentiel qui est issu d’un long

processus de construction institutionnelle et d’imprégnation culturelle spécifiques aux

caractéristiques propres et à l’histoire de ces pays. Selon Aoki [2000 ; 2001b] et Rajan et

Zingales [1998a], l’émergence des nouvelles formes d’entreprise et des modèles de

développement s’inscrit dans une configuration très différente du schéma associé à la

« gouvernance financière ».

Le schéma d’analyse standard se trouve alors confronté depuis les deux dernières décennies à

des thèses telles que celles de Hayami [1999], de Aoki [2001b] ou de Platteau [2000], qui

soutiennent qu’il est possible pour chaque pays en développement de construire son propre

modèle institutionnel de développement, sans forcément faire recours à l’importation des

institutions et des savoir-faire occidentaux :

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« Indeed, the traditional culture or value system is an important basis of economic modernization. However, it does not appear that the value system consistent with modernization is limited to a specific culture ... the forms of organization of modernization are different for different cultural traditions and historical paths, as evident from the contrast between Japan and the West ... the historical fact that Japan, Korea, Taiwan and Thailand, among others, succeded in getting on the track of sustained economic development, each based on their own unique system and tradition, strongly suggests the possibility that many low-income economies today will be able to achieve modern development in the future, not along a monolithic path, but along multiple paths according to their different traditions » [Hayami, 1999 : pp.280-282]

Néanmoins, au sein même des travaux sur la gouvernance dans les pays en développement,

les pratiques anglo-saxonnes restent de loin les plus analysées et les plus utilisées comme

référence. Si bien qu’un grand nombre de ces travaux ne tient pour acquis que l’existence ou

le bon fonctionnement de certaines institutions63, notamment celles qui sont relatives aux

mécanismes de contrôle externe des dirigeants des entreprises dans les pays en

développement. Il nous semble, en effet, que nous pourrons tirer des leçons des pratiques et

des expériences anglo-saxonnes sans pour autant céder aux mythes de la « transposition » de

ce modèle dans les pays en développement [Hayami, 1999] et en transition [Andreff, 2002,

2007 ; Facchini, 2005 ; Labaronne, 2002a]. Une littérature récente, y compris au sein du

courant standard, montre que la transplantation des institutions générées par le modèle anglo-

saxon dans les pays en développement ou en transition n’est pas systématiquement

productive de développement économique. Il est illusoire de vouloir appliquer dans ces pays

les « bonnes recettes » qui ont fait leurs preuves dans un contexte bien particulier, mais dont

certains paramètres déterminants pour leur réussite s’évaporent aussitôt qu’ils sont extraits de

leur contexte d’origine [Stiglitz Joseph, 2002]. Les expériences, avortées mais coûteuses, des

politiques de privatisation de masse [Ben Abdelkader et Labaronne, 2007] ou de mise en

place de marchés boursiers dans certains pays en transition ou en développement, sont un

bon exemple de l’échec des tentatives de transplantation des institutions anglo-saxonnes.

Néanmoins, l’analyse des expériences anglo-saxonnes en matière d’institutions de

gouvernance ainsi que l’étude de leur évolution pourrait éviter bien des gaspillages aux pays

en développement et en transition. Ils pourraient apprendre des expériences des pays

développés sans avoir à payer les coûts générés par l’instauration de nouvelles institutions

[Chang, 2002].

63 Par exemple, Huang [2008 ; 2009] soutient que la source du miracle économique chinois réside avant tout dans des réformes – inspirées du modèle anglo-saxon - relatives à la propriété privée.

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Cette prise de distance critique vis-à-vis du courant dominant permet également d’offrir des

repères très utiles pour les transformations institutionnelles, voire les innovations

institutionnelles, dans ces pays. Dans notre travail, ces repères renvoient essentiellement à la

question-clé qui consiste à s’interroger sur les mécanismes et les institutions permettant de

contrôler l’action des dirigeants et de délimiter leur pouvoir. Comment peut-on améliorer la

compréhension du fonctionnement des SNG dans les pays en développement sans céder aux

mythes du modèle optimal et unique ? Comment peut-on analyser les SNG dans ces pays

sans se cloîtrer dans les seuls critères juridico-financiers du courant standard ?

3.2. Les institutions de gouvernance et la confiance

Au-delà des critères utilisés pour juger des institutions de gouvernance et, outre le contenu de

ces institutions ou encore les spécificités nationales et culturelles dans lesquelles elles

évoluent, pouvons-nous identifier un objectif commun aux institutions de gouvernance ?

Pouvons-nous définir une fonction institutionnelle qui soit universelle et atemporelle ? Nous

n’avons pas la prétention d’apporter une réponse claire et définitive à cette question, mais

nous proposons d’explorer une piste susceptible d’apporter quelques éléments de réponse,

piste qui consiste à s’interroger sur le rôle de la « confiance » dans le fonctionnement des

institutions de gouvernance et sur son impact sur le développement d’un pays. Nous y

sommes encouragés par des travaux audacieux qui tentent de mesurer empiriquement le

niveau de confiance [Glaeser et al., 2000]. Ces travaux mettent en évidence le lien positif entre

un niveau élevé de confiance et la croissance économique [Knack et Keefer, 1997 ; Temple et

Johnson, 1998], l’investissement [Knack et Zak, 2001], ou encore l’impact positif de la

confiance sur l’efficacité institutionnelle en termes de systèmes judiciaires ou de réduction de

la corruption [La Porta et al., 1997b ; Teraji, 2008].

L’idée selon laquelle la confiance est indispensable dans le fonctionnement des systèmes

économiques est aussi répandue que l’absence de consensus sur la définition du concept

[Simon, 2007]. Si chacun en perçoit intuitivement l’importance, sa place dans l’analyse

théorique économique demeure infime [Levi, 1998]. L’introduction de ce concept dans le

débat sur les sources du développement est due aux travaux d’auteurs tels que Arrow [1972 ;

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1974] Putnam64 [1993], Fukuyama [1995] ou [Coleman, 1990]. Ce concept – qualifié

« d’institution invisible » par Arrow [1974] – est présenté comme étant « le tiers facteur

immatériel » essentiel à tout processus de développement, dont l’importance est au moins

aussi déterminante que les facteurs économiques traditionnels, à savoir le capital et le travail

[Peyrefitte, 1998]. Selon Fukuyama, les origines de la prospérité d’une nation sont à

rechercher d’abord dans le niveau de confiance que les individus accordent aux institutions

nationales ainsi que dans leur degré d’adhésion aux règles et aux normes qui régissent la

société. La fonction sociale de base de ces normes réside dans leur capacité à canaliser les

comportements individuels et les anticipations de chacun sur le comportement d’autrui, de

manière identique pour tous les individus [Luhmann, 1979]. En effet, ce sont les règles, les

systèmes d’incitations, les institutions formelles et informelles qui créent, à des degrés divers

et selon de multiples modalités, le cadre essentiel permettant à un agent de nouer (ou non)

une transaction avec autrui, de s’engager (ou non) dans un projet à long terme [North, 1990].

À travers la sécurisation des transactions et des anticipations des agents, ce cadre permet (ou

non) d’offrir un élément essentiel à la création de richesse : la réduction de l’incertitude. C’est

de la réalisation de cette condition que dépend le niveau de confiance des individus dans les

règles qui régissent la société [UNDP, 2008].

Putnam [1993] soutient que la confiance a constitué un ingrédient majeur dans le génie qui a

soutenu le dynamisme économique et la « performance institutionnelle » en Italie. Son

ouvrage Making democracy work est d’une importance fondamentale dans l’analyse des

différences en matière de « performance institutionnelle ». À travers sa recherche qui porte

sur les origines des inégalités de « performance institutionnelle » entre les gouvernements

régionaux en Italie, il montre que la confiance est l’un des facteurs majeurs dans l’explication

des différences d’efficacité institutionnelle. Il conclut que la « performance institutionnelle »

est mieux entretenue dans une société qui a hérité d’un élément substantiel de « capital

social » sous la forme de confiance qui favorise l’efficacité des systèmes économiques en

améliorant la coopération volontaire. En définitive, la confiance renvoie à la façon dont les

agents abordent leur environnement institutionnel [Listhuag et Wiberg, 1995], mais elle est

surtout le fondement des transactions à l’échelle mutuelle [Coleman, 1987 ; Putnam,

64 La notion de confiance dans les travaux de Putnam est intimement liée à celle de capital social. Néanmoins, ces travaux précurseurs ont donné naissance à une littérature foisonnante comme en témoigne la série de travaux présentée par Groote [1998]. Ces derniers constituent un prolongement des travaux de Putnam. Dans le cadre d’une approche institutionnaliste, ils mettent l’accent sur le rôle des pouvoirs publics et de l’action collective dans la réflexion sur la confiance et la coopération [Braithwaite et Levi, 1998 ; Levi, 1998].

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1993]. Selon les termes d’Arrow, elle « lubrifie la coopération ». Plus grand est le niveau de

confiance, plus forte est la probabilité de coopération et moins les coûts de transaction sont

élevés.

En nous appuyant sur ces travaux, nous avançons l’hypothèse selon laquelle la mission

fondamentale des institutions de gouvernance est de préserver durablement la « confiance du

public », autrement dit, de prévenir les risques potentiels de destruction de la confiance. La

mission des systèmes de gouvernance ne consiste pas à assurer une allocation « juste » des

ressources mais surtout une allocation qui minimise la violence des protestations anticipées

des acteurs ou des groupes sociaux. Les facteurs de risque étant variables d’un pays à un

autre, d’une entreprise à une autre, la forme ainsi que le contenu que doivent avoir les

institutions de gouvernance sont nécessairement tributaires des spécificités de chaque pays. A

ce niveau de l’analyse, il nous semble important d’insister sur la distinction fondamentale que

nous opérons entre d’une part, (i) la « fonction » des systèmes de gouvernance, universelle et

atemporelle, qui est notamment de produire de la confiance, et d’autre part, (ii) les

« instruments de gouvernance » - mécanismes institutionnels et organisationnels - qui

constituent le contenu des systèmes de gouvernance et qui prennent des formes et des visages

différents selon les pays, et leurs niveaux de développement, leurs histoires, leurs cultures.

Knack et Keefer [1997], montrent que la confiance est plus élevée dans les pays dotés

d’institutions capables de restreindre les pratiques prédatrices des dirigeants. La confiance du

public n’augmente durablement que si les institutions de gouvernance mises en œuvre

bénéficient autant aux individus qu’à la société. Dans cette perspective, notre conception des

systèmes de gouvernance gagnerait à être élargie pour dépasser la seule fonction disciplinaire

et viser un objectif plus large, celui de permettre continuellement à l’intérêt général d’émerger

et d’être réalisé65.

Il est à noter que la conception de l’intérêt général diffère selon la tradition juridique sur

laquelle est basé le système judiciaire, qu’il s’agisse du droit civiliste ou coutumier. Alors que

le premier place l’intérêt général au centre de la conception même du droit, le second

conditionne sa réalisation à la capacité des institutions à assurer l’arbitrage entre intérêts

65 A travers l’étude du cas français pendant les trente glorieuses, Meisel [2004] montre que « le rôle majeur des institutions de gouvernance avait consisté à modifier la structure des incitations dans les jeux d’intérêts privés afin qu’ils servent (aussi) l’intérêt public (en l’occurrence l’intérêt de la collectivité nationale)». Comme le disait J. Monnet, il s’agissait de faire en sorte que « l’initiative privée se pliât d’elle-même aux exigences de l’intérêt général » [Monnet, 1976].

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particuliers (encadré 1). Les processus permettant l’émergence d’un intérêt commun diffèrent

alors d’un pays à un autre, intérêt dont la réalisation reste essentielle pour créer un climat de

confiance.

Encadré 1. L’intérêt général ou comment s’organise la fusion des intérêts particuliers dans l’intérêt social ?

L’intérêt général désigne à la fois la somme des intérêts des individus qui composent la société et en même temps un intérêt propre à la collectivité qui transcenderait celui de ses membres. Malgré son caractère complexe et flou, cette notion se trouve au fondement même du droit, notamment du droit codifié, c’est pour ainsi dire la raison d’être de son existence. En effet, la tradition juridique née en Europe continentale, fondée sur les textes, est construite autour de la notion de « l’intérêt général » organisant le système de droit d’une manière abstraite et supposée parfaite. Le conflit entre intérêts particuliers est a priori considéré comme une défaillance du droit. Au niveau de l’entreprise, les systèmes juridiques considèrent que toutes les parties prenantes à la vie de l’entreprise sont soumises à l’obligation d’agir en fonction de « l’intérêt social », l’intérêt de l’entreprise dans son ensemble n’étant pas réductible à celui d’aucune partie prenante. Ce qui se traduit au niveau de la société par « l’intérêt général » en droit public. Dans les pays du droit coutumier, la résolution des conflits entre intérêts particuliers est soumise aux juges et se fait au cas par cas. Ce sont la reprise des solutions établies antérieurement et leur sédimentation qui forment la jurisprudence, principale source du droit et sa légitimité. Le procès, dans lequel s’opposent les prérogatives des individus, occupe une place majeure dans le droit coutumier. Ce dernier est perçu comme étant les systèmes permettant de « tenir les intérêts de chacun en balance »66.

L’incapacité des institutions de gouvernance à délimiter le pouvoir des dirigeants ou des

groupes d’intérêts particuliers peut considérablement affecter le climat de confiance et par

conséquent, avoir des répercussions sur les performances économiques d’un pays. La vague

de faillites de grandes firmes multinationales américaines, de type Enron au début du second

millénaire et plus récemment la société BMIS du courtier Bernard Madoff67, peut donner un

exemple des conséquences potentiellement dommageables68, tant au niveau de la sphère

économique que politique, en cas « d’abus de confiance » de la part des dirigeants. Witherell

[2002] montre comment la série de scandales financiers du début des années 2000 a sapé la

confiance du public, en l’occurrence, dans l’information financière, dans les dirigeants des

firmes et dans le système juridique, voire même, dans le système de marché dans son

intégralité. De même, la nouvelle crise financière de 2008, déclenchée pour l’essentiel par les

66 Pour une lecture plus approfondi, voir Frison-Roche [2002].

67 Voir à ce propos, « Ponzi Squared » paru dans The Economist le 15.12.2008.

68 Voir à ce propos « La société de Madoff mise en liquidation, des centaines de millions de pertes déclarées », parues le 16.12.2008 au Journal Le Monde.

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crédits dit subprime, a révélé de profonds dysfonctionnements dans les systèmes de contrôle

du marché financier et mis à jour l’opacité qui caractérise les systèmes d’information

financière américaine69. De nombreux experts s’accordent à dire que la transgression de la

réglementation prudentielle des banques70 et le déficit en matière de gouvernance financière

sont en grande partie à l’origine de cette crise [Artus et al., 2008]. L’ampleur des dégâts causés

par cette crise financière mondiale – dont on n’a pas encore mesuré les conséquences - risque

d’entraîner une crise de confiance très grave et durable dans le temps. Ces exemples de

scandales financiers montrent à quel point le rôle des systèmes de gouvernance, en tant que

dispositif chargé d’encadrer et de contrôler l’action des élites dirigeantes, est crucial dans le

bon fonctionnement d’une économie.

Par ailleurs, la défaillance des systèmes de gouvernance américains lors de cette série de

scandales, ces systèmes étant considérés sur le papier comme la référence en la matière, met

en évidence le fait que disposer de « bonnes » institutions de gouvernance est une condition

nécessaire mais non suffisante pour le bon fonctionnement d’une économie de marché.

D’autres facteurs sont alors aussi essentiels, notamment la confiance du public dans ces

institutions [Braithwaite et Levi, 1998]. Les systèmes de gouvernance doivent non seulement

être efficaces dans le contrôle de l’action des dirigeants, mais ils doivent également faire en

sorte que la confiance du public dans ces systèmes soit durablement assurée. Ainsi, la mise en

place de dispositifs relatifs aux droits de propriété par exemple, élément essentiel au

fonctionnement d’une économie [North et Thomas, 1976], n’est productive que si elle fait

l’objet d’un engagement crédible de la part des autorités chargées de l’appliquer et d’un

consensus autour de l’utilité de son adoption [Facchini, 2005 ; Platteau, 2000]. North et

Weingast [1989] affirment : « for economic growth to occur, the sovereign or government must not merely

establish set of rights but make a credible commitment to them »71. À cet égard, l’Afrique du Sud nous

offre un bon exemple de l’importance majeure de la confiance dans la construction

démocratique de ce pays. Après 1994, date de l’institution du premier gouvernement

démocratique de l’histoire de l’Afrique du Sud, une série d’enquêtes a été réalisée en vue de

69 Les agences de notations financières ont été particulièrement critiquées aussi bien par le secteur privé que par les autorités politiques. Depuis octobre 2007, les ministres des Finances des pays du G7 ont appelé à une plus grande transparence des agences de notation financières, notamment américaine, lors de leur réunion à Washington (Voir le Financial Times du mardi 9 octobre).

70 Lire à ce propos Doise [2008].

71 Voir également Rodrik [1995] qui analyse le rôle du soutient des acteurs économiques aux réformes institutionnelles dans le processus de transition.

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suivre les tendances de la participation des acteurs de la société civile à la vie politique et

d’évaluer le niveau de confiance dans les institutions de gouvernance de ce pays. Les résultats

attestent d’un niveau très élevé de la confiance du public dans la qualité et la transparence de

ces institutions72 [Muthien et al., 2000]. Mafunisa [2004] montre que cette confiance de la

population à l’égard des institutions de gouvernance a constitué un facteur majeur dans la

consolidation du processus démocratique de l’Afrique du Sud. L’adhésion du public et son

adoption des institutions nouvellement mises en place ont ainsi été d’un soutien décisif à la

construction démocratique et l’émergence de l’État de droit dans ce pays. Le succès de la

deuxième élection démocratique en 1999 reflète une certaine durabilité de la confiance du

public dans les systèmes de gouvernance [Muthien et al., 2000]. Ceci nous amène à supposer

que, sans la confiance du public dans les institutions de gouvernance, ces dernières ne

peuvent jouer leur rôle de contrôle de l’action des élites dirigeantes.

Si la confiance est tributaire de l’existence de systèmes de gouvernance aptes à protéger les

droits individuels et à sécuriser les transactions, comment expliquer le fait que des pays,

disposant de très faibles institutions de gouvernance et par ailleurs réalisant des performances

économiques importantes, parviennent à produire de la confiance ? Nous proposons dans la

section suivante d’examiner les principaux modes de production de la confiance dans les

DTE.

3.3. Les systèmes institutionnels personnels vs impersonnels : deux structures distinctes de production de la confiance

Le modèle juridico-financier au sein du courant standard avance l’hypothèse selon laquelle

des règles juridiques et des incitations financières adéquates peuvent suffire à résoudre les

problèmes de gouvernance des entreprises. Cependant, si l’on peut supposer que des SNG

basés sur des institutions financières et juridiques efficaces, comme celles qui s’observent

72 A titre d’exemple, selon l’enquête de 1999, plus de 54% de la population avait confiance dans la transparence et l’indépendance de la commission électorale indépendante, institution-clé dans cette période électorale. Seul 17% n’avaient pas confiance dans cette institution. Pour plus de détail sur les résultats de cette enquête voir [Muthien et al., 2000].

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dans les pays développés, peuvent constituer des leviers importants pour la production de la

confiance dans ces pays, on ne peut émettre une telle hypothèse pour le cas des pays en

développement. En effet, dans la grande majorité de ces pays, les ressources financières et le

pouvoir dissuasif des institutions juridiques sont souvent limités. Ce qui pousse à penser que

le seul recours à des incitations financières et juridiques pour produire de la confiance est tout

simplement illusoire, sachant que, pour qu’elles soient efficaces, il faut que ces institutions de

gouvernance soient suffisamment massives afin de contraindre ceux qui détiennent le pouvoir

à agir en faveur de l’intérêt général.

Mais l’incompatibilité du modèle juridico-financier par rapport au contexte des pays en

développement dépasse le simple déficit en termes de ressources financières ou d’institutions

de contrôle appropriées. Ses origines sont surtout à rechercher au niveau des différences

existant entre les systèmes régissant les relations sociales [Platteau, 2000]. Ces différences

apparaissent essentiellement au niveau des fondements sur lesquels s’établissent les règles du

jeu en société [Denieuil, 1992], selon que ces systèmes sont fondés sur le droit, la loi et les

règles formelles ou selon qu’ils sont davantage tributaires des institutions traditionnelles et

des relations interpersonnelles et informelles. Suivant ce postulat, le problème n’est plus alors

de se demander si ces institutions financières et juridiques existent ou non - nombreux sont

les DTE qui, sous l’impulsion des organisations internationales, se sont dotés d’institutions

financières et juridiques conformes au modèle anglo-saxon -, mais il semble plus approprié de

se poser la question de savoir pourquoi ces systèmes, a priori efficaces, stables et sécurisés, ne

parviennent pas à prévaloir dans les DTE73. Autrement dit, pourquoi ces institutions de

gouvernance ne sont pas adoptées et respectées par les acteurs économiques et politiques de

ces pays ?

Si cette question peut paraître pertinente d’un point de vue anglo-saxon, il nous semble

indispensable de reconnaître que le processus d’émergence et d’imprégnation des institutions

de gouvernance est long, complexe et difficile, notamment en raison des changements

radicaux qu’il implique à tous les niveaux du fonctionnement des sociétés, tant au niveau de la

sphère économique que politique [North et al., 2007 ; North et al., 2006]. En effet, le modèle

de société auquel sont parvenus les pays développés est le fruit d’un processus long qui a pris

naissance en Europe depuis la Renaissance et s’est affirmé avec l’apport des Lumières au

73 Voir à ce propos les travaux de De Soto [2005].

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XVIIIe siècle, aboutissant à l’affirmation de l’individu libre et l’organisation de la société en

démocratie. La mise en place de ces systèmes de gouvernance était donc progressive et s’est,

surtout, faite au prix de luttes sociales et politiques de grande envergure. Il s’agit alors d’un

processus historique et les voies qui permettent de le réaliser peuvent différer d’un pays à

l’autre compte tenu de l’héritage culturo-civilisationnel propre à chaque pays. C’est en tenant

compte de cet aspect que l’analyse de l’émergence des institutions de gouvernance doit être

envisagée, notamment dans les DTE qui jusque-là sont caractérisés par la prédominance des

relations informelles et personnalisées.

Le développement d’un pays doit alors être compris comme un processus de

dépersonnalisation des systèmes de gouvernance, l’amenant à rompre avec les caractéristiques

d’une société dominée par le lien et les relations informelles. Les travaux de Greif [1993 ;

1994a ; 1998] sont particulièrement éclairants sur ce point. Cet auteur met en œuvre les

notions opposées d’échange personnel/impersonnel, de relations formelles/informelles

d’échange. Il aborde le changement institutionnel comme un phénomène endogène à la

communauté, fondé sur les comportements individuels, et utilise la théorie des jeux pour le

modéliser, dans une démarche proche de celle d’Aoki [2001b]. Dans ce cadre et, comme le

soulignent Meisel et Ould Aoudia [2007a], le défi consiste alors à passer d’une société où

l’existence d’un individu n’a de sens que par l’appartenance héritée à un groupe (famille, clan,

village) à une société où les êtres sont avant tout des individus libres de choisir leur identité et

de disposer d’eux-mêmes ; d’une société où prévaut la soumission à l’autorité du dirigeant, du

père, de la tradition et des croyances à celle où la liberté de l’individu est établie sur la base de

droits impersonnels ; d’une société où les mécanismes de solidarité face à la maladie, au

chômage, à la vieillesse sont fondés sur le partage des risques au niveau familial ou villageois à

des solidarités plutôt institutionnalisées, fondées sur des droits impersonnels ; d’un système

où c’est le capital social de chacun qui détermine sa position dans la société à des systèmes où

le mérite individuel est reconnu quelle que soit son origine ou son milieu social ; d’un système

où l’accès au marché est verrouillé par les élites en place vers des systèmes où l’accès au

crédit, la création d’une entreprise, la sécurité des droits de propriété pour tous permettent à

un grand nombre de se lancer à une échelle significative dans l’entreprenariat ; d’un système

où les organisations (État, entreprises) sont indissociablement liées aux personnes qui les

animent à des systèmes où ces organisations subsistent au-delà de leurs dirigeants, où les

dispositions juridiques sont indépendantes des personnes, où ceux qui sont au pouvoir ont

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été élus selon un mode démocratique, sont tenus responsables et doivent rendre compte de

leurs actions ; d’une société où la menace permanente de déstabilisation de l’ordre social

réduit l’horizon des acteurs à une société où les conflits politiques et sociaux sont encadrés

par des règles formelles et acceptées, permettant d’élargir l’horizon pour une prise de risque

individuelle et collective dans l’investissement, la création, l’innovation.

D’une manière générale, ces différentes mutations renvoient à un changement radical de

systèmes établissant les relations sociales, économiques et politiques sur la base de relations

personnelles et des règles le plus souvent non écrites, vers des systèmes fondés sur le droit

écrit et impersonnel. Elles traduisent le passage d’une « relationnalité » familiale à une

coopération sociétale élargie [Fukuyama, 1995]. Ce faisant, les modes de production de la

confiance dans les DTE diffèrent selon le niveau d’avancement dans le processus de

transformation institutionnelle et se distinguent de ceux qui s’observent dans les pays

développés. De manière à pouvoir décrire les principaux traits caractéristiques de ces

différents modes de production de la confiance nous supposons - à l’instar des récents

travaux de l’OCDE - qu’il existe principalement deux tendances : des systèmes institutionnels

que l’on peut qualifier d’impersonnels et formels, régissant les pays développés, et des

systèmes institutionnels plutôt personnels informels caractérisant – à des degrés divers - la

plupart des DTE.

Le premier modèle se caractérise par des systèmes institutionnels régissant les interactions

entre les individus en s’appuyant sur des règles formelles, impersonnelles et explicites. Ces

règles s’appliquent à tous en faisant abstraction des caractéristiques intrinsèques à chaque

individu. Les institutions de gouvernance sont ainsi détachées des personnes, ce qui permet

d’assurer un niveau élevé de confiance dans le respect et l’application des règles. Dans ce

cadre, les dirigeants des entreprises et les dirigeants politiques sont soumis à de fortes

contraintes institutionnelles formelles qui les obligent à rendre compte de leurs actions et les

poussent à agir en faveur de l’intérêt général. Précisons néanmoins que ces systèmes

n’excluent pas l’existence de règles informelles (au sens de North). Elles sont une partie de

l’héritage culturel et peuvent prendre la forme de codes de conduite, de normes de

comportement et de conventions largement répandus au sein de la société et connus par

tous74. Elles peuvent produire de la confiance dans la mesure où elles impliquent des

74 Voir [North, 1990 : pp.36-45].

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sanctions et imposent des tabous. Elles peuvent également jouer un rôle déterminant dans

des réseaux de communication et d’échange interpersonnels et informels tels que ceux qui se

sont construits sur les anciennes fondations des guildes ou des coopératives en Italie du nord.

Putnam [1993] montre que ces dernières ont constitué des leviers importants dans la

production de la confiance. Ces réseaux se caractérisent particulièrement par des interactions

horizontales75 intenses qui seraient de nature à favoriser la coopération pour un bénéfice

mutuel. Elles peuvent constituer également des organes de pression efficaces vis-à-vis de

l’action des dirigeants politiques et des entreprises (voir aussi l’encadré 2). Ce mode de

production de la confiance caractérise les pays développés qui ont généralement connu un

long processus de formalisation des règles aboutissant à la dépersonnalisation des relations

sociales. La production de la confiance peut être qualifiée ici de systémique.

Encadré 2. La production systémique de la confiance et le rôle des mécanismes communautaires

Il nous semble important d’apporter une nuance à cette nécessité de mutation radicale qui transformerait les systèmes traditionnels de production de la confiance en systèmes modernes et impersonnels. L’idée qui consiste à soutenir que les pratiques informelles et communautaires doivent catégoriquement disparaître afin de permettre la transition vers des institutions modernes, risque de déraper vers une vision simpliste en termes de progrès linéaire qui se fixe comme horizon la modernité occidentale. Non seulement la prise en compte des conditions socio-historiques est nécessaire dans le processus du changement institutionnel, mais il faut remarquer aussi que les mécanismes communautaires et informels peuvent s’avérer essentiels dans la production de la confiance, même à une échelle systémique. Comme le montre [Giddens, 1991] dans sa théorie de la confiance, même lorsque celle-ci est essentiellement produite à un niveau systémique, les comportements individuels tangibles des acteurs restent essentiels au processus-même de production de la confiance systémique. En s’engageant en situation de face à face envers les clients ou usagers potentiels d’un système abstrait et formel (par exemple la loi, la monnaie, la démocratie), les individus situés à ces « points d’accès » accomplissent une tâche cruciale de retranscription des règles formelles en des pratiques concrètes. En d’autres termes, même si les contacts de face à face ne sauraient par eux-mêmes permettre d’atteindre un niveau élevé de confiance systémique, ils rendent possible la « réincarnation » (re-embedding) des structures institutionnelles formelles dépersonnalisées (règles, procédures anonymes, etc.) dans les interactions individuelles, opérations sans lesquelles la confiance systémique n’existerait pas [Meisel, 2004 : p75]. Le travail de Denieuil [1992] est particulièrement éclairant à cet égard. À travers une étude de cas qui porte sur les caractéristiques de la dynamique

75 Contrairement aux réseaux structurés verticalement caractérisés par des relations hiérarchiques tels ceux que l’on retrouve en Italie du sud, à savoir la mafia ou l’église catholique.

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industrielle de Sfax76, l’auteur montre – à l’instar de Putnam [1993] - l’atout que peut représenter la dimension communautaire de l’économie pour l’insertion professionnelle et l’intégration sociale. Il souligne que la compréhension de la complexité et des ambiguïtés qui caractérisent le processus de changement institutionnel ne peut se faire que dans une approche compréhensive des manifestations communautaires. Les institutions modernes, impersonnelles, formalisées et codifiées sont peu ouvertes sur la subjectivité des relations interrelationnelles, indéniablement présentes dans tout système économique ou politique. Ainsi, l’auteur présente le processus de modernisation en œuvre à Sfax comme adaptation et réinterprétation de la tradition, réagencement plutôt que suppression, intégration et coexistence progressive plutôt qu’assimilation et atomisation, reconversion plutôt que mutation.

Source : d’après les auteurs.

Le deuxième modèle se caractérise par des systèmes institutionnels reposant – d’une manière

plus ou moins prononcée selon les pays - sur des relations interpersonnelles qui concernent

généralement des personnes connaissant leurs préférences et leurs intérêts mutuels. La

confiance et l’information sont produites et partagées sur une base idiosyncratique, c'est-à-

dire liée aux caractéristiques fondamentales d’une personne telle que sa famille ou son

appartenance ethnique. Les structures de communication et d’échange se font alors d’une

manière interpersonnelle et obéissent le plus souvent à des relations verticales. En outre, ces

systèmes peuvent connaître ce qu’on pourrait qualifier de « personnalisation » du pouvoir.

Celle-ci découle souvent de l’absence de distinction entre les domaines publics et privés. Les

détenteurs de pouvoir se l’approprient et créent ainsi une confusion entre la fonction et celui

qui l’occupe. La confiance est produite et partagée essentiellement sur la base de ce mode77.

Ces systèmes n’excluent pas l’existence de règles, mais elles sont souvent tacites, non écrites,

et leur respect est difficilement vérifiable par un tiers en position de neutralité, qui ne

disposerait pas des informations nécessaires pour formuler un arbitrage impartial. Ces règles

sont dépourvues d’exactitude, ce qui est de nature à provoquer des conflits. De plus, Putnam

[1993] montre que les relations verticales, qu’il qualifie de « patron-client »78, sont moins

efficaces que les réseaux horizontaux pour soutenir la confiance. Elles impliquent en effet des

échanges interpersonnels et des obligations réciproques, mais les échanges sont verticaux et

les obligations sont asymétriques. Dans ce cadre, les élites dirigeantes évoluent dans un

76 Une ville du Sud tunisien qui a connu un important développement industriel depuis l’indépendance de ce pays.

77 Voir Eisenstadt et Roniger [1980 ; 1984] pour une analyse approfondie de ce mode de production de la confiance dans la société.

78 Voir entre autres Leca et Schemeil [1983] Gellner et Waterbury [1977] pour une analyse approfondie de ce concept.

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système peu contraignant et les mécanismes de contrôle et de contre-pouvoir sont quasi

inexistants79.

Ce modèle institutionnel de production de la confiance caractérise la plupart des pays en

développement. Toutefois, il nous semble intéressant de remarquer qu’il a constitué

également le mode de fonctionnement privilégié au niveau des institutions de gouvernance

d’entreprise dans certains pays asiatiques [Li, 2003], ou même au sein des grands corps de la

fonction publique en France [Meisel, 2004]. Ces travaux montrent que ce mode de

production de la confiance peut s’avérer efficace dans certains contextes socio-économiques

et à un moment historique donné. Précisons néanmoins que les pratiques informelles et

interrelationnelles dans ce contexte n’opèrent qu’au sein de quelques organisations privées ou

publiques qui ont pour mission de coordonner les intérêts particuliers en vue de réaliser un

objectif public commun. Dans ce cas, les pratiques informelles et personnalisées ne sont pas

nécessairement généralisées à tous les niveaux de la société. La meilleure illustration

analytique de ce mode est donnée par Meisel [2004] sous le concept du « monopole focal de

gouvernance ». Ce travail nous semble novateur dans l’analyse du rôle des transformations

institutionnelles dans le processus de développement. Dans le prolongement des travaux tels

que ceux d’Oman et al. [2003a], il dessine une nouvelle grille de lecture des institutions de

gouvernance, notamment dans les pays en développement, qui peut être considérée comme

en rupture avec l’analyse standard.

Dans la sous-section suivante, nous exposons le concept du « monopole focal de

gouvernance » en tant que mode de production de la confiance basé sur des pratiques

informelles et interrelationnelles. Nous décrivons sur la base des travaux de Meisel comment

ce modèle de « gouvernance » a permis de réaliser des niveaux de performance économique

importants et déclinons les principaux bénéfices qu’un pays en développement pourrait tirer

en adoptant ce système de gouvernance en monopole focal. Nous formulons ensuite des

observations critiques à l’encontre de cette approche dans une démarche comparative avec

notre conception des systèmes de gouvernance.

79 Ce que nous nous efforcerons de montrer empiriquement dans le chapitre 3.

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3.4. « Le monopole focal public de gouvernance » : un mode informel et personnalisé de production de la confiance

Dans son étude menée au sein de l’OCDE, Meisel [2004 ; 2005] propose une analyse

systémique des mécanismes institutionnels de production et de partage de la confiance, du

pouvoir et de l’information. Il pose la question de savoir comment les institutions de

gouvernance parviennent à contenir les luttes de pouvoir entre groupes d’intérêts

« prédateurs » (les distributional coalitions, selon le concept d’Olson [1982]) et à empêcher leur

propagation à travers les sphères économiques et politiques nationales. La dégénérescence de

ces luttes de pouvoir peut causer d’importantes pertes de richesse pour les pays concernés

[Oman et al., 2003a], et peut même constituer un facteur explicatif de la stagnation de la

croissance économique dans certains pays [Cameron, 1988 ; Tang et Hedley, 1998]. Dans ce

cadre, le rôle des institutions de gouvernance consiste non seulement à résoudre les

problèmes nés de l’interaction des intérêts particuliers, mais également, selon Meisel, à

permettre à un intérêt commun d’émerger et d’être réalisé. Meisel [2005] identifie

essentiellement deux paradigmes de régulation des luttes d’intérêt selon les pays : (i) Le

premier paradigme est celui d’une régulation concurrentielle, où nul agent n’est censé détenir

suffisamment de pouvoir pour fausser le jeu de la concurrence. Ce jeu est susceptible de

produire de la confiance, dès lors qu’il est encadré par des règles juridiques connues de tous,

qu’il est structuré par des institutions chargées de faire appliquer les règles et assurant un

arbitrage et un certain équilibre entre intérêts particuliers ; (ii) Le deuxième paradigme

s’articule autour du concept du « monopole focal de gouvernance » : « celui d’une régulation

hiérarchique (voire hégémonique) des intérêts particuliers qui arrange leur convergence vers

l’intérêt général et national » [Meisel, 2005 : P16]. Ce concept s’appuie sur les travaux d’Olson

[1965 ; 1982] qui offrent un cadre théorique pertinent à la logique de l’action collective et au

comportement des groupes d’intérêts particuliers. Le monopole focal de gouvernance trouve,

en effet, la justification de son utilité en le comparant à une organisation largement inclusive

(encompassing) des groupes d’intérêts privés, notamment des plus influents, qui aurait donc une

base suffisamment large (broadly based versus narrowly based) pour servir l’intérêt général

[Meisel, 2005].

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Certains pays peuvent connaître une multiplicité, voire une prolifération potentiellement

conflictuelle de points focaux de gouvernance. Dans ce type de configurations, le risque est

que le champ d’interaction des intérêts devienne un pur jeu de forces sans qu’aucune forme

d’intérêt général ne parvienne à émerger. L’absence de point focal unique de gouvernance

reflète généralement le faible rôle de l’État en matière de coordination des intérêts

particuliers. Poussée à l’extrême, cette configuration peut conduire à une situation

d’anarchie80. La configuration inverse serait caractérisée par un système de coordination

hiérarchisée dominée par un seul point focal, généralement monopolistique. Cette situation

correspond alors à celle du monopole focal de gouvernance. Elle se traduit par la mise au

point de « systèmes de coordination des acteurs et de sécurisation des anticipations »

permettant de favoriser la production de la confiance dans la société [Meisel et Ould Aoudia,

2007a].

Parmi les institutions les plus propices à la coordination des intérêts, Meisel [2004] en

identifie principalement deux : l’État et le marché. Il n’écarte pas, cependant, le fait qu’il

puisse exister d’autres institutions pouvant assurer la coordination des intérêts dans un pays,

notamment les communautés, les réseaux, les associations, les grands groupes (par exemple

les zaibatsus, puis les keiretsus japonais) ou même les gouvernements locaux (cas de la Chine

après 1978). Historiquement, le monopole focal de gouvernance s’est matérialisé par une ou

quelques organisations-clé qui coordonnent (qui focalisent) l’ensemble des relations entre les

groupes d’intérêts prédominants aux différents niveaux de la société (international, national,

local). À titre d’exemple, nous pouvons citer le Commissariat au Plan en France [Meisel,

2004], le Conseil de planification économique en Corée ou la Commission pour le

développement industriel à Taïwan [Rodrik et al., 1995 : Cas de Taïwan et de la Corée], et plus

généralement d’autres structures institutionnalisant l’échange régulier d’informations entre

responsables politiques et économiques dans plusieurs pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est

[Amsden, 1997 : cas de la Corée du Sud ; Root, 1996 : cas des pays d'Asie de l'Est].

80 Voir aussi à cet égard l’analyse éclairante d’Andreff [2006] sur le concept de frontière des possibilités institutionnelles.

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3.4.1. En quoi le monopole focal de gouvernance est-il favorable au développement ?

La principale fonction du monopole focal de gouvernance consiste à infléchir la logique

privée des coalitions d’intérêts particuliers dans le sens de l’intérêt général. Sa mission est de

rendre compatible entre eux les intérêts des élites économiques, sociales, administratives et

politiques, et de promouvoir leur intérêt collectif en évitant les situations de conflits

permanents. L’institution en monopole focal doit avoir la capacité, d’une part, d’associer les

intérêts particuliers qui comptent le plus dans la définition d’un intérêt commun et, d’autre

part, de faire en sorte que la structure des incitations et des informations dans les jeux

d’intérêts particuliers soit favorable à la réalisation d’un intérêt plus large que le leur propre.

La force du monopole focal dépend alors de sa capacité à « attirer dans son orbite » les

négociations entre groupes d’intérêt, et de dépasser les luttes oligopolistiques entre ces

groupes ou entre coalitions d’insiders pour l’accès aux rentes. En résumé, le monopole focal de

gouvernance agit comme un puissant réducteur d’incertitudes, il favorise la croissance

économique en permettant une réduction des coûts de transaction et en assurant une

meilleure sécurisation des anticipations, notamment pour les acteurs et organisations les plus

déterminantes économiquement à l’échelle nationale [Meisel, 2004, 2005 ; Meisel et Ould

Aoudia, 2007a].

La formation d’un monopole focal de gouvernance au sein des pays en développement peut

également être considérée comme une option pertinente aux regards de ces deux arguments :

(i) Étant donné le coût très élevé - en termes de temps, d’investissement financier et humain -

qu’implique l’établissement d’un cadre institutionnel formalisé et impersonnel, l’option du

monopole focal de gouvernance constitue une alternative plus réaliste pour les pays en

développement. (ii) La gouvernance en monopole focal permet de produire la confiance en

opérant dans le cadre de l’ordre social traditionnel existant et en utilisant les modes de

régulation sociale ancrés dans les liens interpersonnels. Ainsi, selon Meisel et Ould Aoudia

[2007a], la constitution d’un monopole focal de gouvernance dans un pays en développement

permet d’amorcer le processus de création de confiance sur une base suffisamment large pour

élever durablement le rythme de la croissance, alors même que le corps social n’est pas encore

à même de se doter de règles formalisées impersonnelles à un niveau systémique.

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3.4.2. Les expériences de monopole focal de gouvernance

Plusieurs pays ont mis en place des institutions incarnant le concept de monopole focal de

gouvernance à un niveau local, régional, sectoriel ou national. C’est au sein de la France

d’après-guerre et de certains pays de l’Asie de l’Est et Sud-Est (à partir des années 50) que se

manifestent avec le plus d’éclat les mécanismes institutionnels illustrant le monopole focal de

gouvernance. Meisel [2005] recense entre autres le cas de Taïwan à partir de 1949, Singapour

sous Lee Kuan Yew à partir de 1959, la Corée du Sud sous Park Chong Hee à partir de 1961,

la Chine à partir de 1949 et la France des Trente Glorieuses, ce dernier cas ayant fait le

principal objet d’étude de Meisel. La caractéristique commune à ces exemples est l’émergence

en leur sein d’institutions publiques de gouvernance destinées à coordonner les intérêts privés

en se positionnant comme un point focal unique.

3.4.3. Systèmes nationaux de gouvernance et monopole focal de gouvernance : deux approches distinctes

Si les deux approches s’accordent sur la finalité de la gouvernance qui réside in fine dans la

production de la confiance, la logique permettant d’y parvenir est néanmoins différente selon

l’approche adoptée81. Une analyse comparative des deux approches de la gouvernance nous

semble particulièrement utile pour une meilleure compréhension de notre conception des

systèmes de gouvernance décrite plus haut.

Tout d’abord, commençons par identifier quelques dénominateurs communs à ces deux

approches. Nous retenons particulièrement trois points qui peuvent être considérés comme

des éléments-clé autour desquels s’articulent les deux concepts de gouvernance. (i) Les deux

approches sont fondées sur le principe de la primauté de l’intérêt général sur les intérêts

privés ou ceux des groupes particuliers. (ii) Elles posent alors la question de savoir quels sont

les mécanismes de « gouvernance » permettant de réduire la probabilité de l’occurrence des

comportements prédateurs et de restreindre leurs effets nuisibles sur l’économie et la société.

(iii) L’ultime finalité des mécanismes de gouvernance est de produire de la confiance au sein

de la société. Ainsi, les deux approches tentent d’appréhender la qualité des mécanismes de 81 Précisons que l’hypothèse du monopole focal est construite par Meisel [2004] essentiellement sur la base de la description de l’exemple français des Trente Glorieuses. Il montre que ce modèle de gouvernance, bien qu’il s’écarte des modèles occidentaux de gouvernance, a connu des performances économiques particulièrement importantes.

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gouvernance sur la base de leur capacité à minimiser les coûts de transactions et à sécuriser

les anticipations. Autrement dit, de « bonnes » institutions de gouvernance sont celles qui

permettent de réduire l’incertitude et de produire la confiance.

En revanche, notre approche de la « gouvernance » se distingue de celle de Meisel sur un

certain nombre de points que nous passons en revue dans ce qui suit.

Une première distinction se trouve au niveau de la définition-même de « gouvernance ». Si

Meisel ne fournit pas une définition explicite du terme gouvernance82, il ressort globalement

de ses travaux une signification marquée par le rôle de la régulation des intérêts particuliers

que les institutions de gouvernance en monopole focal sont censées assurer. La gouvernance

selon Meisel est comprise comme étant la régulation ou la gestion (de la négociation) des

affaires publiques qui cristallisent les « luttes oligopolistiques entre groupes particuliers

(…) comptant le plus dans la définition d’un intérêt commun ». Notre approche aspire à une

définition plus stricte de la gouvernance. Elle désigne les mécanismes institutionnels et

organisationnels qui délimitent le pouvoir des dirigeants (politiques et managériaux) et

définissent leur espace discrétionnaire. La gouvernance selon cette définition n’a pas pour

objet de contrôler la gestion des affaires publiques ou privées mais plutôt de contrôler l’action

des dirigeants en vue spécifiquement d’éviter les dérives qui les conduiraient à maximiser leur

fonction d’utilité propre au détriment de celle de la société ou de l’entreprise. Sous cet angle,

la gouvernance doit être comprise comme l’ensemble des mécanismes institutionnels mis en

œuvre afin de discipliner le comportement des dirigeants et de les inciter à favoriser le

processus de création des richesses.

De cette distinction, faite au niveau de la définition-même du concept de gouvernance,

découle une deuxième distinction liée à l’approche « disciplinaire » qui prédomine dans notre

conception des systèmes de gouvernance. Dans cette perspective, la crédibilité de la

contrainte est le principal critère d’efficacité de ces derniers. En effet, selon nous, les systèmes

de gouvernance sont censés accomplir une fonction disciplinaire et contraignante à l’égard

des dirigeants politiques et managériaux, en s’appuyant sur des mécanismes à la fois de

82 Meisel [2004] suit Oman et al. [2003b] pour définir la « gouvernance d’entreprise ». Celle-ci désigne « l’ensemble des institutions publiques et privées, formelles et informelles, incluant les lois, les codes et les pratiques courantes du monde des affaires, qui ensemble déterminent la relation entre les dirigeants des entreprises (insiders) et tous ceux qui y investissent des ressources. » [Meisel, 2004 : P9]. En ce qui concerne - ce qu’il appelle - « la gouvernance politique », Meisel [2004] ne donne pas une définition explicite du concept, si ce n’est celle relative au concept du monopole focal de gouvernance.

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surveillance et d’incitation. L’idée sous-jacente est qu’une meilleure discipline des dirigeants,

obtenue par une application effective des règles et l’instauration d’un environnement

concurrentiel, contribue à accroître la transparence et l’efficacité des États et des entreprises.

Face à cette « gouvernance disciplinaire par les règles », Meisel décrit un modèle – de

monopole focal de gouvernance - qui privilégie la coordination des intérêts particuliers par

l’intermédiaire d’un organe de régulation. L’efficacité de ce dernier est en effet jugée en vertu

de sa capacité à coordonner des intérêts divergents pour faire émerger et réaliser un intérêt

commun. Il est à remarquer, toutefois, que cette propriété du monopole focal de

gouvernance est de nature à limiter son champ d’action, en ce sens que ce dernier, représenté

par son organe de régulation, se charge de coordonner les intérêts qui lui semblent les plus

prédominants à l’échelle nationale. Ainsi, la coopération entre l’organe de régulation et le

secteur privé s’opère entre les groupes d’individus les plus puissants et les mieux organisés

des deux côtés. Les systèmes nationaux de gouvernance tels que nous les avons présentés

dans ce travail s’appliquent aussi bien aux dirigeants publics qu’aux dirigeants des entreprises

et concernent non seulement une partie du secteur privé mais la totalité des (dirigeants des)

entreprises. En résumé, si le monopole focal de gouvernance s’intéresse aux seuls groupes

d’intérêts – qu’il considère comme - les plus prédominants et les mieux organisés de la

société, le concept des systèmes nationaux de gouvernance se veut plus large en agissant sur

l’ensemble des dirigeants publics et privés susceptibles de causer des pertes de richesse via

l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

Une troisième distinction réside dans le fait que la « gouvernance » dans le cadre du

monopole focal peut s’appuyer sur des pratiques informelles et des relations interpersonnelles

pour coordonner les intérêts des différents groupes particuliers. En effet, Meisel [2004]

montre comment la « culture de gouvernance » qui prévalait dans la France des Trente

Glorieuses était fondée sur des relations interpersonnelles très peu transparentes, avec un

environnement institutionnel caractérisé par une « absence manifeste d’organes de contrôle et

de contre-pouvoir ». Notre approche souligne la primauté des règles impersonnelles et

l’importance cruciale de leur application effective. Sur le long terme, l’existence et

l’application des règles de contrôle (gouvernance) des dirigeants constituent une condition

nécessaire au bon fonctionnement des systèmes de gouvernance dans la mesure où ceux-ci

doivent constituer un dispositif contraignant dont le cheval de bataille est la règle

impersonnelle connue et reconnue par l’ensemble des membres de la société. Les systèmes de

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gouvernance doivent faire en sorte que le recours aux pratiques informelles soit réduit au

minimum afin d’éviter les arrangements interpersonnels qui risqueraient de servir d’abord un

groupe d’intérêt restreint ou une personne au détriment de l’intérêt de l’entreprise ou de la

société83. Nous soutenons alors que la promotion de la règle de droit contre toute pratique

informelle personnalisée serait de nature à réduire l’incertitude et à faciliter les engagements à

moindre coût dans des relations durables de coopération (coordination des anticipations,

transmission de l’information, connaissance commune des mécanismes d’ajustement,

réduction des coûts de surveillance). Remarquons à cet égard que si le monopole focal de

gouvernance à la française a permis d’atteindre une grande efficacité (qui s’est traduite par des

performances économiques élevées) « c’est qu’au moins une condition institutionnelle était

remplie : (…) le respect effectif par l’élite politique de la règle d’or de la démocratie qu’est le

droit des gouvernés à changer de gouvernants par la voie des urnes » [Meisel, 2004]. L’État de

droit qui régnait en France est un facteur déterminant dans la réussite du modèle de

gouvernance en monopole focal dans la mesure où, même si ce dernier était marqué par des

pratiques interrelationnelles et informelles, le cadre institutionnel général était imprégné des

règles de droit et des mécanismes démocratiques qui supplantaient les formes de coordination

personnalisée du monopole focal84.

Une dernière distinction peut être relevée en abordant la question de la gouvernance sur un

plan empirique et qualitatif. Comment mesure-t-on la qualité de la « gouvernance » ?

L’efficacité du monopole focal de gouvernance dépend de sa capacité à coordonner les

intérêts particuliers en vue d’atteindre un objectif commun. Bien que la nouvelle enquête

réalisée par le MINEFE en 2006 ait produit des indicateurs qui tiennent compte de la

capacité coordonnatrice de l’État ou de certaines organisations publiques, l’évaluation de la

qualité de coordination semble peu évidente, notamment lorsque celle-ci est basée sur des

pratiques informelles et interrelationnelles. Meisel et Ould Aoudia [2007a : P43] construisent

des indicateurs permettant de rendre compte de la qualité de « coordination-anticipation » de

certaines organisations publiques85 : par exemple la capacité de l’État à animer des formes de

concertation pour faire émerger un intérêt commun, la capacité d’arbitrage autonome de

83 Voir à cet égard les travaux du programme des Nations Unis au développement [UNDP, 2008].

84 Il faut noter à cet égard que l’Etat, monopole focal de gouvernance, jouissait d’une légitimité suffisamment élevée auprès de la majeure partie de la société, ce qui a contribué à la réussite de ce modèle de gouvernance dans la France des Trente Glorieuses.

85 Voir Meisel et Ould Aoudia [2007a : P43] pour les détails de construction de ces indicateurs et des variables élémentaires tirées du questionnaire.

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l’État, la priorité des élites pour le développement, la coordination au sein et entre les

administrations, etc. Si nous pouvons reconnaître le côté innovateur de ces indicateurs

institutionnels ainsi que l’originalité de la problématique traitée, il nous semble toutefois qu’ils

présentent certains inconvénients qui en limitent la portée. Outre les limites inhérentes à tous

les indicateurs institutionnels (qui sont exposées dans le chapitre 2), il n’existe pas

d’équivalent à ces indicateurs dans les principales bases de données institutionnelles qui

permettrait de valider - ou de vérifier - la robustesse de ces derniers. Par ailleurs, ces

indicateurs posent le problème de savoir comment évaluer la « capacité d’une institution à

animer des formes de concertation pour faire émerger un intérêt commun » si les modes

utilisés sont informels personnalisés et très peu transparents ? Comment rendre compte de la

qualité de mécanismes de coordination, qui sont l’apanage d’un groupe restreint de personnes

dotées d’un pouvoir et d’un capital influence assez important à l’échelle de la société ? Si, par

exemple, les experts du MINEFE peuvent juger du degré d’opacité - ou de transparence -

d’un programme de privatisation en se renseignant sur les structures de propriété des

entreprises privatisées, il nous semble difficile de détecter des indices permettant de juger de

la qualité des mécanismes de coordination et des arbitrages mis en œuvre pour faire

converger les intérêts particuliers vers un intérêt commun. Dans le cadre de notre approche

empirique qui vise à évaluer les systèmes nationaux de gouvernance, nous nous attachons

plutôt à mesurer le degré de formalisation des règles et de leur effective application. Nous

nous appuyons pour cela sur l’approche de facto adoptée par les concepteurs de la base du

MINEFE (voir chapitre 2). Nous émettons l’hypothèse selon laquelle l’application effective

des règles formelles implique nécessairement une contrainte qui pèse sur les dirigeants

politiques et managériaux. La non-existence de la règle formelle impersonnelle ou sa non-

application traduit au contraire la prédominance des systèmes informels et interrelationnels.

Dans cette perspective, nous ne cherchons pas à mesurer le degré d’efficacité des systèmes de

gouvernance à travers leur capacité à coordonner les différents intérêts particuliers, mais nous

mettons l’accent plutôt sur l’étendue des institutions formelles dont la combinaison permet

de construire un dispositif contraignant pour les acteurs économiques et politiques d’un pays.

C’est de l’efficacité d’un tel dispositif que dépend l’efficience des entreprises et des États

[Charreaux, 2006] et la croissance économique à long terme [North, 1990].

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4. Conclusion

Partant du modèle financier, centré sur la protection des intérêts des actionnaires, les théories

de la gouvernance – influencées par les théories de la firme - ont évolué vers des modèles

plus complexes faisant intervenir l’ensemble des parties prenantes dans l’entreprise et

accordant une plus grande importance aux mécanismes disciplinaires externes (le marché et le

cadre réglementaire). Les récents développements montrent également l’interdépendance

entre gouvernance des entreprises et gouvernance publique, ces deux modes de gouvernance

ne prenant sens que l’une par rapport à l’autre. Cette complexité croissante s’est

néanmoins traduite par un meilleur pouvoir explicatif. Nous avons en effet proposé d’élargir

la grille de lecture des systèmes de gouvernance afin de mieux comprendre leur

fonctionnement et leur évolution, tant au niveau des entreprises qu’au niveau des États,

notamment en dehors du contexte anglo-saxon. Les critiques théoriques d’une part, et les

résultats d’études empiriques et historiques qui révèlent une influence importante des facteurs

politiques et culturels spécifiques d’autre part, mettent en cause l’analyse standard ainsi que la

validité du lien présumé positif entre « bonne gouvernance » et performance économique. Le

modèle anglo-saxon de gouvernance, qui reste marqué par le contexte dans lequel il a vu le

jour et dans lequel il a évolué, ne constitue ni une condition nécessaire, ni une condition

suffisante en termes de performance économique dans les DTE, qui présentent des structures

institutionnelles bien différentes.

Notre approche de la gouvernance se veut institutionnaliste. Elle s’appuie sur les travaux de

North qui soutient que les sources de la performance économique sont à rechercher d’abord

dans l’existence de contraintes formelles et informelles qui fournissent les incitations

nécessaires à une organisation efficiente. Des arrangements institutionnels inefficaces (coûts

transactionnels et informationnels élevés, faible sécurisation des contrats et des droits de

propriété) ou inéquitables (lorsqu’ils servent les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir,

bénéficiant bien davantage à certains individus ou groupes particuliers qu’à l’ensemble de la

société), auront tendance à favoriser les organisations prédatrices au détriment de celles qui

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s’engagent dans des activités productives. Ils sont de nature à détruire la confiance mais

surtout à créer des institutions de blocages du changement. Ce double critère d’efficacité et

d’équité nous semble fournir un cadre d’analyse pertinent pour identifier les besoins en

termes de capacités de gouvernance pour le processus de développement et de

transformation institutionnelle dans les DTE.

Nous avons soutenu que de « bonnes institutions de gouvernance » sont celles qui permettent

de produire et de préserver la confiance. Celle-ci ne peut augmenter durablement que si les

arrangements institutionnels mis en œuvre bénéficient autant aux individus qu’à l’ensemble

des acteurs de la société et pas seulement à ceux qui détiennent le pouvoir, les élites

dirigeantes. La gouvernance, entendue alors comme l’exercice du contrôle des gouvernants, a

pour principal objet de restreindre le pouvoir discrétionnaire des dirigeants, publics et privés,

et de les inciter à la poursuite régulière de l’intérêt général.

Nous avons ainsi tenté de délimiter le cadre d’analyse de la gouvernance. Nous avons

construit ce concept avec le souci de le rendre plus opérationnel : d’une part, en élargissant la

grille de lecture au-delà des seuls critères anglo-saxons, et d’autre part, en explicitant les

mécanismes de gouvernance, censés discipliner les dirigeants, en vue de pouvoir les

appréhender empiriquement. Nous avons distingué les fonctions des systèmes de

gouvernance, atemporelles et universelles (telles que produire de la confiance, produire de

l’information et réduire l’incertitude) des mécanismes des systèmes de gouvernance, qui

prennent des formes différentes selon les pays, leur niveau de développement, leur histoire.

L’efficacité de ces mécanismes dépendrait des fondements sur lesquels s’établissent les règles

du jeu en société selon que les systèmes institutionnels sont essentiellement fondés sur le

droit, la loi et les règles formelles ou qu’ils sont davantage tributaires des arrangements

interpersonnels et informels.

À partir des indicateurs institutionnels issus des enquêtes du MINEFE, nous proposons dans

les chapitres suivants de rendre compte de la qualité des mécanismes de gouvernance –

niveau de discipline exercé sur les dirigeants - dans 51 pays en développement et en

transition. Nous tentons de mettre en évidence empiriquement la diversité des profils

institutionnels, qui peuvent se décliner en deux tendances principales : informels et

interrelationnels vs formels et impersonnels. Nous essayons ensuite de valider l’hypothèse

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selon laquelle les systèmes institutionnels formels et impersonnels seraient associés à des

systèmes de gouvernance plus efficaces sur le long terme.

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Chapitre 2.

« Mesurer » les institutions de gouvernance : la base du MINEFE comme support empirique

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Une société ne se sent, presque jamais, réellement concerné par un problème tant qu’elle n’a pas appris à le mesurer.

Mancur Olson

1. Introduction

Les institutions économiques et politiques d’un pays sont particulièrement difficiles à

appréhender sous une forme synthétique et objective [Arndt et Oman, 2006 ; Glaeser et al.,

2004]. Cette difficulté peut être expliquée, d’une part, par la diversité et l’hétérogénéité des

systèmes et des pratiques institutionnelles entre les pays et au sein d’un même pays [Aoki,

2001b ; Platteau, 2000] et, d’autre part, par la pluralité des phénomènes (politiques,

économiques, historiques, culturels, etc.) qui interagissent sur les institutions, rendant leur

définition complexe et incertaine [Commons, 1931]. En outre, moins que toute autre variable

pertinente de l’économie, elles ne peuvent se résumer à un équivalent général comme une

grandeur monétaire ou macro-économique. Ainsi, l’absence d’un cadre unifié et normalisé

pour appréhender les institutions explique l’absence d’outils d’observation standardisés.

Toutefois, ces difficultés n’ont pas empêché la croissance exponentielle de la production des

indicateurs institutionnels [Arndt et Oman, 2006]. Ceux-ci sont fournis par une grande variété

d’acteurs (organisations financières internationales, agences de rating, fondations politiques,

organisations non gouvernementales), aux motivations variées, avec des approches diverses

en termes d’objectifs et de mode d’élaboration. Ces difficultés n’ont pas dissuadé non plus les

chercheurs de multiplier leurs travaux empiriques mettant en équation qualité institutionnelle

et performance économique86. Outre l’intérêt grandissant que ces indicateurs suscitent auprès

86 Voir Malik [2002] pour une revue de littérature des travaux qui cherchent à tester empiriquement la solidité des liens entre la qualité des institutions et la performance économique.

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des investisseurs internationaux et des pourvoyeurs d’aide au développement, leur utilisation

est indispensable au développement de l’analyse théorique des institutions et à la

compréhension de leur dynamique.

“…as long as we are unable to put our arguments into figures, the voice of our science, although occasionally it may help to dispel gross errors, will never be heard by practical men. They are, by instinct, econometricians all of them, in their distrust of anything not amenable to exact proof.”

[Schumpeter, 1933]

Depuis les travaux initiateurs de Knack et Keefer [1995] et de Mauro [1995] qui ont

popularisé la quantification des institutions, la dernière décennie a connu l’émergence d’une

véritable industrie des indicateurs institutionnels87. La base de données « profils

institutionnels » du MINEFE est l’une des dernières productions dans ce domaine [Berthelier

et al., 2003 ; Ould Aoudia, 2006a]. Dans ce travail, nous proposons d’exploiter cette base, qui

offre des données originales sur les caractéristiques institutionnelles d’un ensemble de pays en

développement, en transition et développés, afin de tenter d’évaluer la qualité des institutions

de gouvernance dans les PAM et les PECO. Les données ont été recueillies au moyen d’un

questionnaire adressé aux fonctionnaires français des Missions Économiques dans 51 pays

(liste des pays, annexe 4, tableau 9) lors d’une enquête menée en 2001 et dans 85 pays (liste

des pays, annexe 4, tableau 10) lors du renouvellement de cette enquête en 200688. La base

MINEFE présente la particularité de couvrir un champ très large des institutions

économiques, politiques et sociales de chacun des pays retenus. Elle se distingue des autres

bases disponibles par un nombre particulièrement élevé de variables « élémentaires » issues

des réponses au questionnaire (356 variables), qui ont permis de construire plus de 100

indicateurs institutionnels. En outre, les auteurs de la base ont privilégié une approche « non

normative » qui ne présuppose pas l’existence d’un modèle institutionnel unique optimal qui

s’imposerait dans n’importe quel pays [Ould Aoudia, 2006a : p.9]. Les expériences avortées de

transformation institutionnelle dans certains pays en transition nous enseignent que les

modèles institutionnels des pays développés ne sont pas à transposer tels quels dans des pays

87 A titre d’exemple, nous pouvons citer : les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale [Kaufmann et al., 2008 ; World Bank, 2008], les indicateurs de libertés économiques du Fraser Institute [Gwartney et Lawson, 2007], l’indice de perception de la corruption de Transparency International [Transparency International, 2007], les indicateurs de libertés politiques de Freedom House [Freedom House, 2008], les indicateurs de démocratie de la base Polity IV [Marshall et Jaggers, 2005].

88 La base de données du MINEFE est en libre accès sur le site du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) : http://www.cepii.fr. Dans ce travail, nous limitons notre champ d’étude aux 51 pays renseignés par l’enquête 2001, afin de pouvoir procéder à des comparaisons avec les données recueillies en 2006.

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dont l’héritage institutionnel et les caractéristiques socio-économiques sont très différents

[Andreff, 2007 ; Aoki, 2001b ; North, 1994, 2005b].

Nous proposons dans ce qui suit d’exposer, dans un premier lieu, les principales limites

conceptuelles et méthodologiques des mesures quantitatives dans ce domaine qui sont

inhérentes à la nature même des institutions (1). En second lieu, nous présentons la base de

données du MINEFE ainsi que les principales particularités relatives à sa construction (2). En

troisième lieu, nous discutons les limites méthodologiques des indicateurs de la base

MINEFE et mettons en évidence les atouts qui justifient notre choix de préférence à d’autres

bases de données institutionnelles (3).

2. De la difficulté à mesurer les institutions

La difficulté à évaluer empiriquement les institutions pose un problème majeur dans le

développement de l’analyse institutionnelle. Moins que toute autre variable pertinente de

l’économie, les institutions ne peuvent se résumer à un équivalent général comme une

grandeur monétaire ou macro-économique. Les outils dont disposent les décideurs

économiques découlent d’une lente maturation technique et conceptuelle, chacune de ces

deux dimensions interagissant de manière étroite avec l’autre. Sur le plan technique, la

connaissance des grandeurs économiques pertinentes découle du développement des outils

comptables (la comptabilité nationale, la balance des paiements, les indicateurs financiers,

etc.) et des méthodes statistiques et économétriques. Sur le plan conceptuel, cette

connaissance est fortement tributaire de l’évolution de la pensée économique. En effet,

l’évolution des théories néo-classiques et keynésiennes a bénéficié du progrès remarquable

des outils statistiques et des instruments comptables qui permettent d’appréhender les flux et

les stocks de richesses et qui ont constitué un support majeur dans la validation des thèses

économiques. Ces instruments tentent alors d’appréhender les transactions qui peuvent être

évaluées en équivalent monétaire, même si cette évaluation peut être sujette à caution comme

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c’est le cas lorsque celles-ci sont libellées dans une monnaie non-convertible ou effectuées

dans un pays où le pouvoir d’achat diffère grandement de celui de la monnaie de référence.

En revanche, mesurer les variables institutionnelles qui déterminent les décisions

économiques apparaît particulièrement difficile. Contrairement à la macro-économie standard

qui peut s’adosser aux instruments de la comptabilité nationale, il n’existe pas de cadre

assurant la cohérence du champ des institutions [Ould Aoudia, 2006a : p.8]. Ce champ n’est

ni structuré ni borné comme peut l’être la comptabilité, qui offre des mesures exprimées en

unités monétaires et en quantités. Les phénomènes politiques, culturels, et juridiques qui

interagissent avec les mécanismes institutionnels ne sont normalement pas réductibles à un

équivalent général à la fois en raison de leur nature, de leur hétérogénéité et d’une manière

générale de la faiblesse du cadre conceptuel sous-jacent.

Le champ institutionnel emprunte alors à d’autres disciplines que la science économique. Il

peut aborder le champ des sciences politiques [Olson, 1993 ; Roe, 2002], de l’histoire

[Acemoglu et al., 2001 ; North et al., 2006], du droit [Glaeser et Shleifer, 2002 ; La Porta et al.,

1997a], de la sociologie [Putnam, 1993, 1995], de la culture [Stulz et Williamson, 2003], de la

géographie [Sachs, 2001]. Il peut également toucher au champ religieux [Beck et al., 2003b ;

Platteau, 2008], posant ainsi des problèmes de normativité et de valeurs, qui peuvent conduire

à une confrontation entre les valeurs « universelles » défendues et recommandées par les

organisations internationales (inclusion, transparence, redevabilité) et des valeurs religieuses

ou identitaires parfois incompatibles avec certaines de ces recommandations [Huntington,

1984 ; Lewis Bernard, 2005]. Ainsi, la diversité et l’hétérogénéité des disciplines auxquelles les

institutions font référence rendent leur définition complexe et leur quantification difficile.

Dans la pratique, l’élaboration des « indicateurs institutionnels » nécessite le recours à des

notations effectuées par des observateurs de la vie économique en fonction de leur

appréciation de la situation. D’où le caractère subjectif de ces indicateurs qui en constitue la

principale limite. Ces derniers sont donc imparfaits et doivent être interprétés avec prudence.

Néanmoins, pour de nombreux indicateurs institutionnels, tels ceux qui mesurent la

corruption, il semble très difficile d’avoir une évaluation objective d’un phénomène par

nature caché et difficile à mesurer. De plus, certains pays peuvent afficher une volonté de

s’aligner sur les standards internationaux de gouvernance, et prendre des dispositions

législatives en ce sens (des mesures anti-corruption par exemple), tout en bloquant la mise en

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œuvre effective de ces mesures. Des indicateurs « objectifs », fondés sur un cadre

réglementaire « adopté » mais non « appliqué » risquent d’introduire un biais d’apparence, là

où une évaluation subjective d’acteurs au contact de la réalité permettra de mieux tenir

compte de l’application effective des mesures adoptées. Par ailleurs, le calcul d’indicateurs

objectifs (salaire dans la fonction publique ou temps d’attente pour une ligne téléphonique,

par exemple) n’est pas exempt de difficultés méthodologiques, les sources statistiques

nationales, les définitions et le champ des variables prises en compte n’étant pas toujours les

mêmes selon les pays.

Faute de données objectives, l’évaluation subjective apparaît donc nécessaire, sachant que

celle-ci introduit des biais qu’il ne faut pas négliger. En effet, un biais culturel ou

informationnel peut apparaître, car cette évaluation dépend de la connaissance intime que

chaque expert a des rouages politiques, économiques et sociaux du pays en question. Si un

pays par exemple affiche une bonne (mauvaise) santé économique, il bénéficiera de la part

des experts d’un a priori favorable (défavorable) concernant la qualité de ses institutions de

gouvernance. Ce pays sera donc bien (mal) noté sans que l’on sache si c’est sa « bonne »

(mauvaise) gouvernance qui détermine ses performances économiques ou l’inverse89. Le

risque d’un biais idéologique n’est également pas négligeable. Les experts peuvent être tentés

de sanctionner des pays qui suivraient des politiques économiques contraires à leurs

conceptions ou aux recommandations des institutions auxquelles ils appartiennent. Un pays

qui n'adhérerait pas au consensus de Washington, par ailleurs critiqué [Andreff, 2007 ; Chang,

2002 ; Stiglitz Joseph, 2002], mais qui obtiendrait de bons résultats économiques ne risque-t-il

pas d’être mal noté par rapport à un autre pays qui mettrait en œuvre ce consensus sans

résultats probants ?

Par ailleurs, les chercheurs sont confrontés à un autre type de difficulté lié à la lenteur et la

complexité de la mise en œuvre des réformes institutionnelles. Il convient en effet de situer la

question des institutions dans le champ opérationnel des politiques publiques, afin de saisir le

fondement des démarches de quantification des mécanismes institutionnels. La comparaison

entre les réformes macro-économiques et les réformes institutionnelles ainsi que de leurs

implications respectives peut nous aider à comprendre la difficulté à évaluer les résultats des

89 On peut lire à cet égard : « (…) One critique of subjective or perceptions-based governance measures is that they are subject to “halo effects” – respondents rating countries might provide good governance scores to richer countries simply because they are richer. (…) » [Kaufmann et al., 2005 : p.3].

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différents choix institutionnels. Ces deux types de réformes diffèrent aussi bien au niveau de

leur mise en place que de celui de leurs implications au sein de la société et de l’économie. Les

leviers d’action des réformes macro-économiques sont clairement identifiés (politiques

monétaires, politiques budgétaires, etc.). La mise en œuvre de ces réformes est relativement

facile et mobilise un nombre d’acteurs restreint. Les populations concernées par ces réformes

sont en général diffuses, peu informées et peu organisées. De plus, l’évaluation des effets

d’une politique macro-économique est rendue facile par l’existence d’indicateurs et de

variables quantifiées (déficit budgétaire, déficit commercial, inflation, etc.). En revanche, une

réforme institutionnelle est beaucoup plus complexe à concevoir et à mettre en œuvre, car

elle modifie en profondeur certains équilibres socio-économiques au sein de la société. En

effet, une telle réforme requiert un niveau de formation élevé de la part des concepteurs mais

aussi de la part de ses relais publics et privés ; elle mobilise un nombre important d’acteurs et

elle peut concerner toute la société ; elle se confronte à la culture de changement d’une

société (poids des traditions et de la religion, par exemple) ; elle peut se heurter à la résistance

d’intérêts concentrés et organisés bénéficiant de rentes de situation que le changement

institutionnel est censé éroder ; elle oblige à agir avec des outils anciens pour en forger de

nouveaux (destinés, par exemple, à faire appliquer des dispositifs anti-corruption par une

administration corrompue) [Ould Aoudia, 2006a : pp. 8-9]. Il faut remarquer également que

certaines mesures institutionnelles requièrent la construction d’infrastructures légales et

judiciaires ou d’organes de contrôle impliquant des coûts financiers et humains très élevés,

notamment pour les pays en voie de développement. Leur mise en place, mais aussi leur

adoption effective par les populations concernées, est alors longue dans le temps. La réforme

institutionnelle, qui se traduit sur le papier par l’adoption d’une nouvelle loi ou d’une nouvelle

législation ne garantit pas nécessairement son application.

North [1990] définit les institutions comme étant les règles de jeu dans la société, et plus

formellement, les contraintes humainement conçues pour encadrer et influencer les

interactions entre les individus. Si cette définition des institutions fait désormais l’objet d’un

large consensus, la littérature demeure en revanche beaucoup moins consensuelle sur la

manière dont les institutions sont empiriquement approchées. Comment peut-on juger de la

qualité des institutions économiques aux États-Unis par rapport à celles qui existent en

France ? Les différences en termes de qualité institutionnelle expliquent-elles les différences

en termes de performance économique entre les deux pays ? Et si oui dans quelle mesure ?

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De nombreux travaux empiriques ont cherché à identifier les liens de causalité entre

institutions et croissance. Knack et Keefer [1995] et Mauro [1995], par exemple, ont mis en

évidence une corrélation entre les mesures du risque d’expropriation et de la corruption d’une

part, et de la performance économique d’autre part. La question devient alors de déterminer

le sens de la causalité. Est-ce la corruption qui affecte négativement la performance

économique, ou bien est-ce la faible performance économique qui entraîne une plus grande

corruption ? À cet égard, les travaux d’Acemoglu et al. [2001] et de Engerman et Sokoloff

[2000] ont été particulièrement enrichissants. Ces auteurs ont abordé les liens de causalité en

examinant en profondeur, dans les anciennes colonies des puissances européennes, l’impact

de l’histoire coloniale sur la formation des institutions.

Si l’on admet l’idée selon laquelle les institutions produisent de la croissance économique, une

autre question s’impose, à savoir celle d’identifier quelles sont les institutions fondamentales

dans ce processus. L’un des problèmes qui se posent à cet égard sur le plan empirique est que

les indicateurs institutionnels, tels que les indicateurs de gouvernance de Kaufmann et al.

[2008], sont très corrélés les uns aux autres, ce qui rend plus difficile la recherche des effets

isolés de chacun de ces indicateurs. Notons toutefois que quelques tentatives ont été

entreprises dans la littérature récente, telle que celle d’Acemoglu et Johnson [2005], qui

cherchent à examiner les effets sur la performance économique des institutions relatives aux

droits de propriété et des institutions relatives à la sécurisation des contrats entre acteurs

privés. Ils montrent en particulier que les institutions de protection des droits de propriété

ont un impact important sur la croissance de long terme, sur l’investissement et sur le

développement financier.

Malgré l’apport positif de ces contributions dans l’analyse institutionnelle, il n’existe toujours

pas un assentiment général quant à la solidité des résultats de ces études empiriques90. Glaeser

et al. [2004] font remarquer que la plupart des mesures actuelles des institutions utilisées dans

la littérature sont des mesures des effets des institutions, plutôt que des institutions elles-

mêmes. Le risque est que certaines dictatures qui entreprendraient de bonnes politiques

économiques peuvent bénéficier d’une appréciation aussi favorable qu’un pays démocratique.

Ces auteurs soulignent que les mesures empiriques des institutions utilisées dans la littérature

« ne peuvent pas être interprétées d’une manière plausible comme reflétant des règles

90 Pour une analyse critique et détaillée des indicateurs institutionnels, voir entre autres les travaux de Knack et al.[2003], Arndt et Oman [2006] et de Knack et Manning [2000].

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durables, des procédures ou des normes auxquelles le terme « institutions » fait référence ». Ils

suggèrent que les différences entre les institutions sont mieux appréhendées par des règles

institutionnelles « objectives », qui renvoient essentiellement aux règles définissant la

constitution telles que les lois relatives aux élections politiques ou celles liées à l’indépendance

de la justice. Glaeser et al. [2004] montrent que ces mesures sont faiblement liées aux

performances économiques.

Il convient à ce niveau de l’analyse de revenir sur les principales méthodes de mesure des

institutions. La distinction entre les institutions formelles et les institutions informelles à cet

égard est primordiale. La mesure des institutions formelles qui renvoient à l’ensemble des

règles écrites (Constitution, lois et règlements, systèmes d’élections politiques, droits de

propriété, etc.) tire sa source des documents officiels qui sont vérifiables et ne sont pas sujets

à un jugement subjectif91. La mesure des institutions informelles (Systèmes de valeurs et

croyances, coutumes, représentations, normes sociales, etc.) est basée sur des évaluations et

des appréciations subjectives de la part d’experts ou de participants à l’activité économique et

politique.

La mesure des règles institutionnelles objectives présente l’avantage d’échapper à la critique

relative à la subjectivité qui caractérise les mesures des institutions. De plus, elle n’est pas

influencée par les variables que ces règles sont censées prédire. Par exemple, un expert

pourrait juger un pays plus corrompu après une crise économique, tandis que la mesure de la

durée des mandats de la Cour suprême de Justice ne peut être affectée par de telles variables.

En outre, ces mesures peuvent plus facilement surmonter les éventuels problèmes

d’endogénéïté ou de variables omises en utilisant des variables instrumentales92. Dès lors, la

mesure des institutions formelles permet de résoudre le problème de subjectivité et

d’endogénéïté. Mais comment peut-on avoir une image complète de l’environnement

institutionnel ? Comment capturer les aspects institutionnels qui échappent à la mesure des

règles formelles ? L’exemple de l’indépendance judiciaire au Pérou telle que mesurée par La

Porta et al. [2002] peut illustrer notre propos. Afin de mesurer l’indépendance de la justice,

ces auteurs se basent sur la durée des mandats de la Cour suprême et des juges des cours

administratives, le degré de contrôle exercé par la Cour suprême sur les cours administratives, 91 Glaeser et al. [2004] proposent une discussion du bien-fondé de cette approche de mesure des « règles institutionnelles objectives ».

92 Glaeser et al. [2004] montre par exemple comment les institutions politiques formelles sont fortement corrélées à l’origine légale.

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et le pouvoir des juges administratifs. Le Pérou affiche un score parfait de sept (sur une

échelle de sept) qui traduit, constitutionnellement, une indépendance totale de la justice en

1995, date à laquelle les données ont été collectées. Or, comme l’ont si bien démontré

McMillan et Zoido [2004], la réalité était totalement différente93. Malgré une constitution

répondant parfaitement aux critères de la démocratie, une bonne partie des acteurs de

l’appareil judiciaire a été « achetée » pour servir les intérêts du gouvernement au pouvoir. Cet

exemple montre clairement que les mesures des règles formelles sont insuffisantes pour

rendre compte d’une manière fidèle des caractéristiques de l’environnement institutionnel.

Plusieurs aspects échappent en effet à ces mesures. Comment mesurer alors les aspects non

capturés par les mesures objectives ?

Cette analyse nous conduit à souligner que l’étude empirique de l’environnement

institutionnel ne doit pas s’arrêter au constat de l’existence d’une institution ou à une

spécification de sa nature et de sa forme juridique, mais qu’il est indispensable de prendre en

compte son degré d’application et celui de son acceptation par les acteurs concernés par cette

institution. En effet, l’adoption d’une règle, la promulgation d’une loi ou encore la mise en

place d’un dispositif de régulation, ne garantissent pas systématiquement leur application.

Dans les pays en transition, l’imprégnation des nouvelles règles formelles par les populations

requiert des périodes plus ou moins étalées dans le temps selon les pays. Le processus menant

à la généralisation de leur application à travers toute la société peut parfois nécessiter le

recours à des mécanismes ou instruments informels pour permettre la consolidation d’une

institution formelle. Dans les pays démocratiques, l’exemple du Pérou montre que derrière les

institutions démocratiques réellement existantes, des pratiques informelles peuvent

dangereusement transgresser les règles formelles mettant en cause leur efficacité. Dès lors, la

qualité d’une institution formelle doit être appréhendée sur la base du niveau d’autorité que

celle-ci impose, et de l’étendue de son application. Seule une évaluation subjective d’acteurs

au contact de la réalité permettra de mieux tenir compte de l’application effective des règles

formelles. La qualité de cette évaluation dépendra de la connaissance intime que chaque

expert a des systèmes politiques, économiques et sociaux du pays en question. C’est ainsi que

93 « Peru has in place the full set of democratic mechanisms: a constitution, opposition parties, regular elections, a presidential term limit, safeguards for the independence of the judiciary, and a free press. In the 1990s, Peru was run, in the name of President Alberto Fujimori, by its secret-police chief, Vladimiro Montesinos Torres. In the course of exercising power, Montesinos methodically bribed judges, politicians, and the news media. (…) Montesinos and Fujimori maintained the facade of democracy - the citizens voted, judges decided, the media reported - but they drained its substance. (…) » [McMillan et Zoido, 2004 : p.69].

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se sont multipliées les enquêtes auprès d’experts – universitaires, praticiens ou consultants du

privé – qui ont permis le développement des indicateurs institutionnels.

La distinction entre d’une part l’existence d’une institution et d’autre part son niveau

d’application nous semble fondamentale dans la mesure empirique des institutions.

L’évaluation de la qualité d’une institution dépend nécessairement de l’appréciation du degré

de son application et de sa prévalence auprès des acteurs concernés. Nous faisons de cette

distinction un élément majeur de notre analyse empirique.

Afin de rendre compte de ces aspects relatifs à l’appréciation du niveau de respect des

institutions, la nouvelle base de données institutionnelles du MINEFE nous semble un outil

approprié. Les concepteurs de cette base ont privilégié une approche de facto qui cherche à

évaluer l’efficacité des dispositifs institutionnels, et pas seulement à en signifier l’existence et

la forme juridique, approche de jure [Berthelier et al., 2003 ; Ould Aoudia, 2006a]. La question

du respect des règles et de leur niveau d’application est clairement mise au centre de leur

étude. Cet argument constitue l’une des motivations majeures de notre choix d’utiliser les

indicateurs de la base du MINEFE. Nous présentons, dans ce qui suit, le contenu des

indicateurs de cette base de données ainsi que les méthodes qui ont permis leur élaboration.

3. La base de données « profils institutionnels » du MINEFE est notre support empirique

La base de données « profils institutionnels » a été créée par le MINEFE en vue de contribuer

à la compréhension et à la quantification des phénomènes institutionnels94. Elle constitue un

nouvel outil pour les politiques d’aide au développement, mais également pour les recherches

94 Cette section emprunte aux documents de travail élaborés par les auteurs de cette base de données dans lesquels ceux-ci présentent la démarche de conception et de construction des indicateurs institutionnels [Berthelier et al., 2003 ; Meisel et Ould Aoudia, 2007b]. Ces documents de travail ainsi que d’autres travaux de recherche utilisant les données de la base MINEFE (tels que ceux de Kaufmann et al. [2008] ou de Bénassy-Quéré et al. [2005]) sont disponibles également sur le site du CEPII (http://www.cepii.fr/).

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académiques qui visent à approfondir le lien entre institutions et développement. Elle est

mise en accès libre à la disposition des experts et des universitaires.

Cette base est construite à partir d’une approche économique et couvre un champ très vaste

des institutions. Pour cela, les concepteurs de cette base se sont appuyés sur la définition des

institutions de North [1990] qui renvoie à l’ensemble des règles formelles et informelles

régissant les comportements des individus et des organisations. Dans ce contexte, les

institutions structurent les incitations qui agissent sur les comportements et offrent un cadre

aux échanges économiques [North, 1990].

Les variables ont été construites sur la base d’indicateurs élaborés au terme d’un processus

maîtrisé à toutes ses étapes par la même équipe de travail (la conception du cadre d’ensemble,

l’élaboration du questionnaire, le pilotage du recueil des données brutes, l’élaboration de la

base de données à partir des réponses recueillies). Les réponses ont été recueillies auprès des

experts des Missions économiques du MINEFE et, pour certains pays, par les agences locales

de l’Agence Française de Développement (AFD). Ces réponses ont été ensuite traitées de

manière centralisée, c’est-à-dire confrontées aux indicateurs institutionnels déjà existants dans

l’objectif de valider les réponses, d’identifier d’éventuelles distorsions des données recueillies

et de procéder à des redressements, et enrichies par des indicateurs provenant d’autres bases

[Meisel et Ould Aoudia, 2007b : p.6].

La base du MINEFE offre deux photographies de l’état des institutions : une première

enquête a été menée en 2001 couvrant 51 pays, une deuxième enquête a été réalisée en 2006,

élargissant le champ d’étude à 85 pays95. Le champ géographique couvre toutes les zones en

développement, en transition et développées (voir annexe 4). L’ensemble des pays sous revue

couvre 90 % du PIB mondial et de la population mondiale.

Cette base propose une grille de « capture » des caractéristiques institutionnelles des pays,

obtenue en croisant neuf thèmes décrivant les fonctions essentielles remplies par les

institutions du pays et quatre secteurs qui renvoient aux espaces dans lesquels se déploient ces

fonctions (Tableau 1).

95 La prochaine enquête est prévue pour 2009.

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Tableau 1. Grille de capture des institutions96

Secteurs institutionnels

(en colonnes)

Fonctions institutionnelles

(en lignes)

A. Institutions publiques

et sociétés civiles

B. Marchés des biens et services

C. Marché des capitaux

D. Marché du travail et

relations sociales

1. Institutions politiques

Droits et libertés publiques

Libertés, pluralisme

syndical

2. Sécurité et ordre public

Sécurité des personnes et des

biens

3. Gouvernance publique

Transparence, contrôle de la

corruption, efficacité de l’administration, indépendance de la

justice

Collusion État/entreprises

Collusion État/banques

Travail informel

4. Liberté de fonctionnement des marchés

Part du secteur privé, privatisation,

distorsions de prix introduites par l’État

Part du secteur privé, liberté des taux d’intérêt,

indépendance de la Banque centrale

Flexibilité du marché du travail

formel

5. Environnement technologique,

dispositions pour le futur

Innovations et R&D, dispositions pour le

futur

Capital-risque, accès au crédit

Formation professionnelle

6. Sécurité des contrats et obligation

d’information

Sécurité des droits de propriété et des contrats, justice

commerciale, droit sur la faillite

Information sur la qualité des biens, sur

la situation des entreprises, propriété

intellectuelle

Systèmes de garanties, obligations

d’information

Respect du droit du travail

7. Régulations Régulation de la concurrence

Concurrence

Concurrence, règles

prudentielles, supervision

Dialogue social

8. Ouverture sur l’extérieur

Circulation des personnes, de l’information

Ouverture commerciale

Ouverture financière

Circulation des travailleurs

9. Cohésion sociale

Équilibre social, égalité de traitement, mobilité sociale,

solidarités

Micro-crédit Segmentation du

marché

Source : [Berthelier et al., 2003].

96 Dans l’édition 2006 de l’enquête MINEFE, certains thèmes ont été enrichis par de nouvelles variables. Le thème 5 par exemple a fait l’objet d’un ajout significatif en intégrant la dimension relative à la coordination des acteurs.

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Les auteurs de la base « profils institutionnels » précisent que cette grille de capture des

institutions a été orientée dès sa conception vers les problématiques de croissance de long

terme et de développement. Contrairement à d’autres bases de données qui sont orientées

différemment (Freedom House mesure le niveau de liberté politique ; Transparency International

fournit un indice de corruption ; la Banque mondiale produit des indicateurs de gouvernance,

etc.), la base MINEFE vise un champ institutionnel qui dépasse largement celui qui concerne

la « gouvernance publique » ou « les libertés politiques ». Ces aspects ne constituent qu’une

partie des composantes du champ institutionnel nécessaires au développement économique.

Les variables institutionnelles qui composent la base du MINEFE tentent ainsi de décrire de

multiples aspects : le niveau de respect des règles formelles (par exemple, les droits de

propriété, les libertés politiques), l’appréciation des phénomènes institutionnels informels (par

exemple, la corruption, les activités informelles), évaluer l’efficacité de certains dispositifs

institutionnels issus des politiques publiques (par exemple, le dispositif de régulation de la

concurrence), l’évaluation des résultats de ces politiques et dispositifs institutionnels (par

exemple, la qualité des biens publics de base, école et santé).

Subjectives par construction, les appréciations des experts interrogés sont transposées sur une

échelle de notation et forment des variables qualitatives ordonnées. Elles peuvent ainsi être

traitées comme des variables quantitatives. En complément de ces indicateurs subjectifs, les

auteurs de la base MINEFE ont eu recours à des grandeurs « objectives », dans le champ

économique (par exemple, la part du secteur privé dans le PIB) ou social (par exemple, les

indicateurs de développement humain), qui peuvent servir de valeurs approchées (proxies) des

indicateurs institutionnels.

Les réponses aux questions sont ordonnées selon une échelle de notation allant de 0 ou 1 à 4.

La notation peut varier de 1 à 4 lorsque la question portait sur l’évaluation d’un phénomène

(par exemple, le niveau de corruption). Elle peut varier de 0 à 4 quand la question portait sur

l’existence d’un dispositif institutionnel (si non = 0) et sur la qualité de sa mise en œuvre (si

oui, notez de 1, qui équivaut un à faible niveau d’application, à 4 qui est synonyme d’un

niveau élevé d’application). Par exemple, « existence et efficience de la mise en œuvre du

dispositif de régulation de la concurrence » [Meisel et Ould Aoudia, 2007b].

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L’ensemble des aspects institutionnels est couvert par 356 variables élémentaires issues des

réponses au questionnaire. Le nombre important de variables est de nature à réduire la

subjectivité des réponses (voir encadré 3).

Encadré 3. Réduire la subjectivité des réponses

Afin de réduire la subjectivité des réponses, les questions ont été, chaque fois que possible, décomposées en variables élémentaires les plus objectives possible. Par exemple, la question sur la « transparence de l’action publique dans le champ économique » est décomposée en six variables élémentaires. Exemple extrait du questionnaire : Transparence de l’action publique dans le champ économique Si pas de publication, mettre 0 Si publication, noter de 1 = pas fiable à 4 = totalement fiable

0 ou note de 1 à 4 1 Budget de l’État � 2 Fonds extra-budgétaires (s’il n'y a pas de fonds extra-budgétaires, mettre 4) �

3 Comptes des entreprises publiques � 4 Comptes des banques publiques � 5 Statistiques économiques et financières de base (comptabilité nationale, indices de prix, commerce extérieur, monnaie et crédit…)

6 La consultation du FMI au titre de l’article IV est-elle publiée ? (non = 0, oui partiellement = 2 oui totalement = 4) �

L’indicateur de « transparence de l’action publique dans le champ économique » que nous retiendrons finalement sera formé par agrégation des 6 variables élémentaires ci-dessus. Source : [Meisel et Ould Aoudia, 2007b : p.14].

Une première agrégation de ces variables a permis de produire plus de 100 indicateurs

institutionnels, composés pour la plupart d’indicateurs dits de « stocks », décrivant l’état des

institutions au moment de l’enquête, et, dans une moindre proportion, des indicateurs de

« flux », qui tentent d’appréhender les dynamiques institutionnelles au cours des trois

dernières années (par exemple, des questions qui portent sur la perception des résultats d’une

réforme ou du programme de privatisation) (Voir encadré 4). Par ailleurs, 80 % des

indicateurs du questionnaire de 2001 ont été reconduits dans l’enquête de 2006, ce qui permet

de mener des analyses comparatives et d’étudier les évolutions institutionnelles entre 2001 et

2006.

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Encadré 4. Variables de « stock » et variables de « flux »

L’essentiel des questions porte sur l’état des institutions (les 110 indicateurs de « stock ») au moment de l’enquête. Ont été ajoutées des questions portant sur la perception des dynamiques institutionnelles au cours des trois dernières années (les 22 indicateurs de « flux »). Deux types d’indicateurs de flux sont ainsi présentés. a) Quand les dispositifs de réformes portent sur des politiques publiques clairement identifiables (réformes fiscales, privatisations, ouverture commerciale, ouverture financière), des questions détaillées ont été posées sur leurs différents aspects, constituant autant de variables élémentaires. Exemple extrait du questionnaire :

Depuis 3 ans, réformes fiscales visant à… Si pas de réforme, mettre 0 Si réforme, noter de 1 = pas d’effets à 4 = effets importants

0 ou note de 1 à 4 … améliorer le recouvrement dans le cadre des dispositifs existants (renforcement de la discipline fiscale) � ... réduire les exonérations (distorsions fiscales) � … élargir les assiettes fiscales sur les revenus, l’assiette de la TVA… � ... simplifier les dispositifs � Cohérence, continuité et prévisibilité de ces réformes fiscales - n (de 1 = faible cohérence, continuité à 4 = forte cohérence) �

Comme précédemment, l’indicateur de réforme fiscale sera formé par agrégation des cinq variables élémentaires selon la méthode décrite ci-dessus. b) Dans les autres cas, on a cherché à mesurer la dynamique récente d’une façon globale : concernant, par exemple, « les libertés publiques et l’autonomie de la société civile ». Exemple extrait du questionnaire :

Depuis 3 ans : estimez-vous que cette autonomie et ces libertés se sont globalement… 0 ou note de 1 à 4

... fortement améliorées (4), moyennement améliorées (3) sont restées stables (2), se sont détériorées (1) se sont fortement dégradées (0) ? �

Source : [Meisel et Ould Aoudia, 2007b : p.16]

Les variables élémentaires sont ensuite agrégées pour donner un indicateur institutionnel. La

méthode d’agrégation retenue par les auteurs de la base MINEFE est la somme des variables

pondérées par chacun de leur écart-type (pour tous les pays). L’objectif recherché est

d’augmenter la dispersion des indicateurs afin de mieux discriminer les pays. En effet, avec

cette méthode, un item qui aurait une note égale pour tous les pays (donc non discriminant)

aurait un poids nul dans l’indicateur agrégé.

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4. La base du MINEFE est en mesure de remplir notre objectif analytique

Avant de présenter la manière dont nous avons exploité cette base de données, il convient de

s’arrêter sur les réserves méthodologiques et statistiques que l’on peut formuler à l’encontre

de cette nouvelle base. Nous exposons également les arguments pour lesquels la base du

MINEFE est en mesure de remplir notre objectif analytique.

De très nombreuses agences de rating, fondations diverses, organisations non

gouvernementales, institutions internationales ou financières, universités et unités de

recherche, proposent aujourd’hui des bases de données internationales dans le champ

économique, politique ou social [Arndt et Oman, 2006 ; Knack et al., 2003]. Comment évaluer

la fiabilité de ces bases, notamment celles qui produisent des données qualitatives, comme

celle du MINEFE, dont l’élaboration repose sur la perception subjective d’experts interrogés

sur la situation donnée d’un pays ? Malik [2002] propose cinq critères d’appréciation d’une

base qualitative. (i) Le nombre d’experts, d’investisseurs et de citoyens interrogés. (ii) Sa

valeur marchande ou encore son « market test ». (iii) Le nombre de pays étudiés qu'elle

représente. (iv) Le nombre d’études théoriques et empiriques qui y font référence. (v) Sa

corrélation avec d’autres indicateurs provenant de sources différentes.

La base MINEFE repose sur des données recueillies auprès d’experts de nationalité française

(les membres des Missions françaises du MINEFE et des experts de l’Agence Française de

Développement). Un biais culturel peut en résulter. Les fonctionnaires français, qui sont issus

d’un environnement culturel comparable, auront-ils la même conception que leurs

homologues anglo-saxons du rôle et de l’importance, par exemple, des institutions publiques

dans la régulation du marché ou dans la préservation de la cohésion sociale ? Adopteront-ils

les mêmes critères d’évaluation de l’étendue des libertés publiques, syndicales notamment,

que ceux qui pourraient être retenus par des chefs d’entreprises résidents ou étrangers ? La

variété des sources d’évaluation en provenance d’experts d’horizons différents n’est-elle pas

de nature à neutraliser le risque de ce biais culturel ? Par ailleurs, l’accès à cette base est

gratuit. Faut-il y voir la marque d’un « market test » négatif et donc celle d’un relatif désintérêt

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des entreprises pour l’acquisition marchande de ces indices jugés par elles non opérationnels ?

À ce jour, et à notre connaissance, seules quelques études ont utilisé les résultats de cette base

dans leurs travaux économétriques97. Le nombre de pays retenus dans la base est faible (51

pays en 2001 et 85 en 2006), comparé aux 212 pays de la dernière livraison d’indicateurs de

gouvernance de Kaufmann et al. [2008]. De plus, la base MINEFE ne propose que deux

photographies, en 2001 et 2006, de la situation institutionnelle des pays, là où les indicateurs

de Kaufmann et al. peuvent être suivis à travers des séries temporelles établies depuis 1996, à

une fréquence bi-annuelle jusqu’en 2003, et à une fréquence annuelle depuis cette date.

Au-delà des limites méthodologiques inhérentes à la nature-même des institutions

(développées plus haut), ces observations critiques doivent être resituées par rapport à la

spécificité de la base du MINEFE, aussi bien au niveau de la démarche selon laquelle les

indicateurs ont été construits qu’au niveau de la diversité des champs institutionnels abordés.

Nous exposons ici les raisons qui justifient notre choix d’utiliser la base de données du

MINEFE :

(i) Cette base présente les caractéristiques institutionnelles sous forme de profil par pays,

en évitant tout classement ou indicateur synthétique de performances (compétitivité,

libéralisme économique, etc.). L’approche est donc non normative et ne présuppose pas

l’existence d’une norme institutionnelle a priori [Meisel et Ould Aoudia, 2007b : p.9]. Les

auteurs de cette base ne présupposent pas l’existence d’un modèle institutionnel unique

optimal qui s’imposerait dans n’importe quel pays. L’échec de la transformation

institutionnelle dans certains pays en transition nous ramène à l’évidence qu’il est illusoire de

croire que la réussite d’un tel processus proviendrait de la transposition de « recettes »

institutionnelles inspirées des modèles des pays développés [Chang, 2002]. Certains

paramètres déterminants pour leur réussite s’évaporent aussitôt qu’on les extrait du contexte

d’origine. Même si certaines institutions font preuve d’efficacité dans les pays développés,

leur reproduction dans les pays en développement ne garantit pas nécessairement la même

efficacité ; ces pays ont un héritage institutionnel et des caractéristiques socio-économiques

très différentes de ceux des pays développés98. La prise en compte des trajectoires

97 Voir le site du CEPII pour les principaux travaux ayant utilisé les données de la base MINEFE. http://www.cepii.fr/francgraph/bdd/instit_form/documents.asp

98 On peut lire dans Rodrik et al. [2004] : « Economies that adopt the formal rules of another economy will have very different performance characteristics than the first economy because of different informal norms and enforcement. The implication is that transferring

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institutionnelles différenciées et de la diversité des modèles institutionnels est essentielle dans

l’analyse institutionnelle [Andreff, 2007 ; Aoki, 2001b ; North, 1994, 2005b]. Les auteurs de

cette base émettent alors l’hypothèse que ce sont avant tout les combinaisons

institutionnelles, plus que les caractéristiques des institutions prises séparément, qui influent

sur les performances économiques [Meisel et Ould Aoudia, 2007b : p.13]. Ainsi, ils

n’avancent aucun a priori normatif sur ce qui peut constituer des « bonnes » ou des

« mauvaises » institutions pour le développement économique99.

(ii) En outre, cette base porte sur un champ large des institutions politiques et

économiques. Elle examine de façon moins conventionnelle que d’autres bases de données

institutionnelles le champ des « opportunités sociales » à travers des indicateurs de cohésion

sociale (thème 9 du tableau 1) qui permettent par exemple de rendre compte du niveau

d’équilibre social, de l’égalité de traitement, de la mobilité sociale, des solidarités

(traditionnelles ou institutionnelles) ainsi que du niveau de développement du micro-crédit.

Dès lors, cette base n’a pas le même caractère d’opérationnalité que la plupart des autres

sources de données. Elle est avant tout un outil de recherche au service de la communauté

scientifique et moins une banque de données destinée à satisfaire les besoins spécifiques du

monde économique. C’est ce qui explique aussi qu’elle soit disponible gratuitement. Ainsi,

l’absence de valeur marchande de la base MINEFE ne peut pas être retenue contre elle. À cet

égard, notons que les bases de données de Kaufmann et al. [2003 ; 2005 ; 2006 ; 2007 ; 2008]

sont également gratuites. Ce qui ne les empêche pas d’être parmi les plus citées dans les

travaux académiques. Il nous semble intéressant de noter, par ailleurs, que Kaufmann et al

[2008] ont très récemment intégré les données de la base du MINEFE dans le calcul de leurs

indicateurs de gouvernance. Ce qui témoigne de l’appréciation positive dont bénéficie cette

base dans les milieux académiques et d’une certaine crédibilité quant à la fiabilité des résultats

de ses enquêtes.

(iii) Bien que le nombre de pays de la base MINEFE soit largement inférieur à celui de la

base de Kaufmann, les pays retenus représentent néanmoins plus de 90 % du PIB mondial et

de la population de la planète. Vouloir quantifier les aspects politiques, économiques et

the formal political and economic rules of successful Western economies to third-world and Eastern European economies is not a sufficient condition for good economic performance ».

99 Si cette base ne présuppose pas l’existence d’un optimum institutionnel unique pour tous les pays, elle n’empêche pas pour autant l’utilisateur de suggérer après un examen empirique que certaines configurations institutionnelles peuvent être considérées comme handicapantes ou favorables au développement économique et humain d’un pays.

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sociaux d’un maximum de pays n’est-il pas une gageure dont la base MINEFE s’affranchit ?

Un biais informationnel ne peut-il apparaître quand cette évaluation concerne des pays au

sujet desquels la qualité et la quantité de l’information font défaut, soit parce que ces pays

sont en dehors des circuits classiques de l’économie mondiale, donc mal connus des experts

étrangers, soit par suite de tricheries informationnelles ou de black out de l’information de la

part des autorités ?

(iv) La neutralité « supposée » des fonctionnaires français dans l’appréciation non

normative des profils institutionnels des pays pourrait éviter l’apparition de biais idéologiques.

Ces biais apparaissent quand les experts interrogés sont tentés de sanctionner des pays qui

suivraient des politiques économiques contraires à leurs conceptions ou aux

recommandations des organisations auxquelles ils appartiennent. Précisons, par ailleurs, que

la structure du questionnaire, extrêmement fractionné en des questions élémentaires multiples

et les plus objectives possibles, est de nature à réduire la subjectivité des réponses. Cette

caractéristique constitue un avantage comparatif de la base MINEFE par rapport aux autres

bases.

(v) Le questionnaire a été construit en adoptant une approche qui cherche à évaluer

l’efficacité des dispositifs institutionnels, et non seulement à signifier leur existence et leur

forme juridique. L’objectif est de rendre compte du degré d’application des règles et du

niveau d’autorité exercé par les institutions sur les acteurs économiques et politiques. Il reflète

par là le niveau d’acceptation et, d’une manière générale, le niveau du crédit qu’accorde la

population aux institutions du pays. Ce point constitue un avantage comparatif d’importance

majeure pour la base de données du MINEFE, notamment en comparaison avec les bases de

données institutionnelles disponibles. En effet, l’adoption des règles ne garantit pas en soi

leur application effective, c’est du respect de ces règles que dépend la qualité des institutions.

La prise en compte de cet aspect est essentielle dans l’analyse du lien entre institutions et

développement.

La base du MINEFE constitue ainsi un support empirique en mesure de répondre à nos

besoins analytiques dans l’étude des systèmes institutionnels dans les PAM. En effet, nous

partons du postulat que le faible niveau d’application des règles formelles et impersonnelles

réduit le niveau de contraintes institutionnelles susceptibles de peser sur l’action des

dirigeants et affecte ainsi l’efficacité des systèmes de gouvernance. Ce faible respect de la règle

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de droit peut expliquer les blocages de la transition vers le marché et la démocratie dans ces

pays. Nous tentons alors de nous appuyer sur les résultats des enquêtes du MINEFE, afin de

mettre en évidence le fait que malgré l’adoption de règles formelles - sous la pression des

organisations internationales -, la règle du droit impersonnel a du mal à s’imposer dans ces

pays laissant le champ libre au développement des pratiques informelles et interrelationnelles.

Le dernier critère, qu’il convient d’examiner avec davantage d’attention, nous semble-t-il,

concerne la convergence des indicateurs de la base MINEFE avec les indicateurs proposés

habituellement dans d’autres bases, notamment celle de Kaufmann et al ou de POLITY IV.

La définition des indicateurs qui cherchent à décrire l’environnement institutionnel n’est pas

toujours la même selon les différentes bases. Des rapprochements sont donc nécessaires pour

en favoriser la comparaison. Les auteurs de la base MINEFE ont calculé des coefficients de

corrélation qui apparaissent significatifs quand le contenu de leurs indicateurs est assez

proche de celui des autres bases [Berthelier et al., 2003 : pp. 26-31]. D’une façon générale, ils

concluent que la confrontation des données indique une forte convergence de leurs

indicateurs avec ceux de Kaufmann et al. [1999 ; 2002]. Les études comparatives montrent

l’existence de biais ponctuels et peu nombreux avec ceux des autres bases de données, biais

qu’ils redressent par la suite grâce à l’apport d’informations supplémentaires.

Nous prolongeons ici cette analyse de la convergence des indicateurs institutionnels du

MINEFE avec ceux d’autres bases de données institutionnelles. Nous confrontons notre

indicateur de « gouvernance publique »100, construit à partir des données de la base MINEFE,

aux indicateurs institutionnels issus de la base de données POLITY IV [Marshall et Jaggers,

2005]. Cette base fournit des indicateurs institutionnels qui décrivent les caractéristiques des

systèmes politiques dans 161 pays depuis l’année 1800. Pour les besoins de notre analyse

comparative, nous avons retenu deux indicateurs, « DEMOC » et « POLITY », dont le contenu

se rapproche sensiblement de celui de notre indicateur de gouvernance.

À travers l’indicateur de gouvernance publique, nous tentons de rendre compte de la qualité

des mécanismes et des institutions qui visent à délimiter le pouvoir de l’État et de ses

dirigeants et à assurer une meilleure efficacité et transparence de leurs actions. Les variables

choisies tentent alors d’évaluer le niveau de discipline exercé sur les acteurs du secteur public.

100 La définition ainsi que la méthode de construction de cet indicateur sont exposées dans le chapitre n°3.

Page 124: Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes ... · Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée. Analyse économique

Page | 122

« DEMOC » est un indicateur composite qui décrit le niveau de démocratisation du système

politique d’un pays. Selon les auteurs du projet POLITY IV, une démocratie

« institutionnalisée » est fondée sur trois éléments essentiels et interdépendants101 : le premier

renvoie à la nécessité de mettre en place des institutions et des règles à travers lesquelles les

citoyens peuvent exprimer leurs préférences par rapport à des politiques alternatives, et

désigner des dirigeants issus de partis politiques pluriels. Le deuxième est lié à l’existence de

contraintes institutionnelles qui pèsent sur le pouvoir de l’appareil exécutif et des dirigeants

politiques. Le troisième souligne l’importance de garantir à tous les citoyens les libertés civiles

et politiques pour leur permettre de participer aux processus décisionnels. D’autres aspects

doivent être pris en compte tels que l’autorité de la loi, les systèmes de contre-pouvoir – checks

and balances -, la liberté de la presse, etc. Ces éléments constituent, selon les auteurs, des

ingrédients indispensables à une démocratie « plurielle » [Marshall et Jaggers, 2005 : p.13].

Cet indicateur est construit à partir de la somme des notations relatives à quatre variables

élémentaires selon, la pondération définie dans le tableau 2. Il varie de 0 qui désigne un

système faiblement ou non démocratique, à 10 qui traduit un système parfaitement

démocratique où « (i) la participation politique est parfaitement compétitive, (ii) le

recrutement au sein de l’appareil exécutif se fait sur une base élective, et (iii) les contraintes

sur les dirigeants politiques sont substantielles » [Marshall et Jaggers, 2005 : p.14].

101 Aspects que l’indicateur DEMOC tente de capturer.

Page 125: Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes ... · Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée. Analyse économique

Page | 123

Tableau 2. Variables institutionnelles composant l’indicateur DEMOC

Authority Coding Scale Weight

Competitiveness of Executive Recruitment (XRCOMP) : Election +2 Transitional +1 Openness of Executive Recruitment (XROPEN) : only if XRCOMP is Election (3) or Transitional (2)

Dual/election +1 Election +1 Constraint on Chief Executive (XCONST) : Executive parity or subordination +4 Intermediate category +3 Substantial limitations +2 Intermediate category +1 Competitiveness of Political Participation (PARCOMP) : Competitive +3 Transitional +2 Factional +1

Source : [Marshall et Jaggers, 2005 : p.14]

L’indicateur POLITY est obtenu en effectuant une simple soustraction de l’indicateur DEMOC

par l’indicateur AUTOC. Ce dernier permet de rendre compte du niveau d’autocratie

« institutionnalisé » du régime politique d’un pays. Il est construit à partir de la somme de

notations relatives à quatre variables élémentaires selon la pondération définie dans le

tableau 3. Il varie de 0 (faiblement autocratique) à 10 (fortement autocratique). POLITY varie

alors entre -10 (fortement autoritaire) et +10 (fortement démocratique). Selon les auteurs de

POLITY IV, un système politique autocratique est caractérisé par une large restriction - ou

une suppression - de la participation et de la compétition politique. Les dirigeants politiques

sont choisis selon un mode de sélection parmi l’élite. Une fois désignés, ces dirigeants

exercent leur pouvoir avec très peu de contraintes institutionnelles.

Page 126: Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes ... · Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée. Analyse économique

Page | 124

Tableau 3. Variables institutionnelles composant l’indicateur AUTOC

Authority Coding Scale Weight

Competitiveness of Executive Recruitment (XRCOMP) : Selection +2 Openness of Executive Recruitment (XROPEN) : only if XRCOMP is coded Selection Closed +1 Dual/designation +1 Constraints on Chief Executive (XCONST) : Unlimited authority +3 Intermediate category +2 Slight to moderate limitations +1 Regulation of participation (PARREG) : Restricted +2 Sectarian +1 Competitiveness of Participation (PARCOMP) : Repressed +2 Suppressed +1

Source : [Marshall et Jaggers, 2005 : p.14]

Nous avons testé le degré de convergence entre ces deux indicateurs et notre indicateur de

gouvernance publique (IGP). Afin de mesurer ce rapprochement, nous avons procédé à des

régressions linéaires sur l’ensemble des 51 pays renseignés par la base MINEFE. Afin de

faciliter la comparaison, nous avons normalisé les variables de POLITY IV, c'est-à-dire que

nous les avons transformées par translation et homothétie afin d’harmoniser les

ordonnancements, de telle sorte qu’elles varient dans le même intervalle que la variable IGP,

c'est-à-dire de 1 à 4. Les résultats obtenus sont présentés dans le tableau 4.

Page 127: Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes ... · Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée. Analyse économique

Page | 125

Tableau 4. Comparaison de l’indicateur de gouvernance publique avec les indicateurs de la base POLITY IV

Régression MCO

Variable dépendante : Indicateur de gouvernance publique Source : calcul des auteurs à partir des données du MINEFE

(1) (2)

Variable Coefficient t-student Coefficient t-student

DEMOC 0.59*** 10.26

POLITY 0.69*** 10.57

Constante 0.97 5.17 0.44 4.97

R² 0.72 0.69 Nombre d’observations 50 50

*** significatif au seuil de 1 %. L’hétéroscédasticité est corrigée à l’aide de la méthode de White (1980)

Source : Calcul des auteurs

Les deux régressions montrent une corrélation fortement significative indiquant une nette

convergence entre notre indicateur de gouvernance publique et ceux de la base POLITY IV

pour les 50102 pays sous revue.

102 La base du MINEFE couvre 51 pays dont seul Hong Kong n’est pas renseigné par la base POLITY IV. C’est ce qui explique que le nombre d’observations soit à 50.

Page 128: Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes ... · Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée. Analyse économique

Page | 126

5. Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons tenté de mettre en évidence les difficultés de mesurer les

institutions, celles qui sont liées à la diversité et à l’hétérogénéité des dimensions qui

interagissent dans le processus de formation des institutions, mais aussi celles qui sont liées à

la subjectivité qui caractérise les outils de mesure de la qualité des institutions. Néanmoins,

ces limites méthodologiques et conceptuelles ne doivent pas conduire à éluder la question

institutionnelle ni dissuader de tout effort visant à quantifier les institutions, tant cet exercice

reste essentiel dans l’avancement de l’analyse économique des institutions.

Nous avons également exposé les arguments qui justifient le recours aux indicateurs

institutionnels de la base du MINEFE. Outre la variété des dimensions institutionnelles que

tente de capter cette base, l’approche non normative adoptée par ses concepteurs lui confère

un atout majeur qui s’avère très utile dans l’analyse du développement. La qualité d’une

institution est en effet appréhendée moins à travers son impact sur la performance

économique que par le niveau de son application au sein de la société. Cette démarche est

particulièrement utile pour notre analyse empirique, qui cherche à mettre en évidence le faible

respect de la règle du droit impersonnel dans les PAM. Cette caractéristique constitue l’un des

principaux facteurs explicatifs de la défaillance des systèmes de gouvernance dans ces pays.

Page 129: Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes ... · Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée. Analyse économique

Page | 127

Chapitre 3.

Analyse empirique des spécificités institutionnelles dans les PAM : une approche multidimensionnelle103

103 Une large partie de ce chapitre a été publiée sous la forme de document de travail dans les European Union Institute Working papers [Ben Abdelkader et Labaronne, 2006a].

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Page | 128

1. Introduction

Dans ce chapitre, nous mobilisons la base du MINEFE afin de mener une analyse empirique

qui vise à mesurer le niveau d’application effective des règles formelles et à évaluer la qualité

de fonctionnement des systèmes nationaux de gouvernance dans l’ensemble des pays sous

revue. Nous nous intéressons particulièrement aux PAM et aux PECO.

Dans une première section, nous construisons deux indicateurs institutionnels qui tentent de

mesurer le niveau de discipline exercé par les institutions de gouvernance sur les acteurs

publics (les dirigeants politiques et bureaucratiques) et les acteurs privés (les dirigeants des

entreprises). Dans le cadre d’une analyse comparative PAM/PECO, nous tentons de mettre

en évidence les divergences en termes de qualité des mécanismes de contrôle des élites

dirigeantes mis en œuvre au sein des deux groupes de pays.

Dans une deuxième section, nous approfondissons notre étude des systèmes nationaux de

gouvernance à travers une approche statistique multidimensionnelle, en mobilisant les outils

de l’analyse de données, notamment l’analyse en composantes principales. Nous y sommes

invités par la richesse de la base MINEFE qui nous offre la possibilité de conduire ce type

d’investigations statistiques. Nous y sommes encouragés par des travaux récents de l’OCDE

dont les hypothèses théoriques n’ont pas encore fait l’objet de vérifications empiriques. En

particulier, les travaux de Meisel qui, dans son ouvrage Culture de gouvernance et développement

[Meisel, 2004], suggère, à partir d’une confrontation du paradigme français de gouvernance

avec le paradigme anglo-américain, qu’il existerait deux modèles génériques de « culture de

gouvernance ». Le premier reposerait sur des règles informelles et des relations

interpersonnelles (relationship-based systems). Le second s’appuierait sur un ensemble de règles

formelles et d’institutions impersonnelles pour produire et partager la confiance, le pouvoir et

l’information nécessaires au bon fonctionnement de la société (formal rules-based systems)104.

Nous tentons alors de mettre en évidence empiriquement cette opposition, celle qui suppose

l’existence de deux tendances principales (cultures) : des systèmes institutionnels plutôt

104 Voir également à ce propos les travaux les travaux de l’OCDE sous la direction de Charles Oman [Oman, 2003 ; Oman et al., 2003a].

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Page | 129

informels et personnalisés vs des systèmes davantage formels et impersonnels. En suivant

Meisel [2004], nous utilisons ici le terme « culture » (de gouvernance) afin de rendre compte

de la multiplicité des facteurs qui influencent les systèmes nationaux de gouvernance. Définie

par ailleurs par Hamilton [1932] comme « l’agrégation de diverses institutions », la notion de

culture dans ce cadre d’analyse intègre en effet plusieurs dimensions non exclusivement

économiques, mais aussi politiques, judiciaires, historiques et culturelles. L’interdépendance

des systèmes de gouvernance publique et privée dans certains pays en développement peut

également révéler des spécificités pouvant donner lieu à des typographies diverses. L’usage de

« culture de gouvernance » vient alors englober cette multiplicité des influences sur les

institutions de gouvernance, et mettre en évidence la diversité des modèles de SNG.

Précisons tout de suite que notre objectif n’est point de classer les 51 pays considérés en deux

groupes distincts et diamétralement opposés. Nous partons de l’idée, désormais confirmée

par les analyses théoriques et empiriques, que le changement institutionnel à long terme se

traduit par une transformation des systèmes de régulation des sociétés humaines, de systèmes

reposant sur le lien social et sur les liens interpersonnels, en des systèmes fondés sur des

régulations formalisées et détachées des personnes [Meisel et Ould Aoudia, 2008]. Dans une

perspective évolutionniste des systèmes institutionnels, nous tentons de situer nos 51 pays en

fonction de leur degré d’avancement dans ce processus de transition institutionnelle. Dans ce

travail nous nous intéressons particulièrement aux changements institutionnels qui affectent

la qualité des systèmes de gouvernance.

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Page | 130

2. Les indicateurs de gouvernance : une analyse statistique descriptive

Nous proposons de conduire notre analyse comparative des mécanismes de gouvernance

PAM/PECO à partir des données issues de la base MINEFE. Notre analyse vise tout

particulièrement ici à identifier les facteurs institutionnels et organisationnels qui permettent

de contrôler l’action des dirigeants des entreprises et des dirigeants politiques et

bureaucratiques. Nous avons alors construit des indicateurs qui tentent d’évaluer, pour

chacun des pays retenus, la qualité des systèmes de gouvernance privée et publique (Schéma

1). Ces indicateurs sont obtenus par agrégation des variables retenues pour la définition de

chacun de nos indicateurs. L’agrégation des variables est effectuée en utilisant la moyenne

pondérée par les écarts types de ces variables105.

S’agissant de la gouvernance privée, les indicateurs retenus tentent de capturer le niveau de

discipline de marché et de discipline contractuelle imposées aux managers. Ces indicateurs ne

concernent par conséquent que le seul système de contrôle externe qui s’exerce sur le

comportement des managers106.

105 L’opérateur d’agrégation retenu ici est celui privilégié par les auteurs de la base du MINEFE [Berthelier et al., 2003]. Cette méthode a été appliquée d’abord sur les items élémentaires pour construire des indicateurs pertinents à partir des réponses au questionnaire. L’opérateur d’agrégation correspondait alors à la somme des items élémentaires, pondérée par chacun de leur écart-type. L’adoption de cette méthode d’agrégation se justifie essentiellement par la recherche d’une discrimination plus grande des pays sous revue. (Ainsi, un indicateur qui affiche la même note pour tous les pays aura un écart-type nul, ce qui veut dire que cet indicateur ne contribuera pas à la note finale de l’indicateur agrégé).

106 C’est une limite de notre travail qui tient à l’absence de données, dans la base MINEFE, sur le rôle comparatif joué par les actionnaires ou les conseils d’administration dans le système de contrôle interne des firmes des pays étudiés.

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Page | 131

Schéma 1. Construction des indicateurs de gouvernance à partir de la base du MINEFE

Source : d’après les auteurs.

Ici, la discipline de marché jouera à travers la liberté de fonctionnement des marchés

(Fonction institutionnelle (FI) n° 4, tableau 1). Elle se manifestera par les pressions exercées

par l’ouverture sur l’extérieur (FI n° 8) sur les marchés domestiques. Elle sera favorisée par la

sécurisation des contrats (FI n° 6), issue de l’environnement institutionnel (Secteur

institutionnel (SI) A), mais aussi par l’obligation d’information sur le marché des biens et

services (SI B) et par la régulation de la concurrence (FI n° 7). Nous définissons ainsi cinq

indicateurs de discipline de marché qui, une fois agrégés, nous donneront notre indicateur

pays de gouvernance privée :

(1) Liberté de fonctionnement des marchés ;

(2) Pressions des marchés internationaux ;

(3) Sécurisation des transactions et des contrats ;

(4) Information sur les entreprises et les marchés des capitaux ;

(5) Régulation et dynamisme de la concurrence.

Concernant la gouvernance publique, les indicateurs choisis tentent d’évaluer le caractère

disciplinaire du marché politique. Les notions d’inclusivité et de responsabilisation sont

approchées à travers les institutions politiques (FI n° 1), qui rendent compte du niveau des

droits et des libertés publiques (SI A) dans les pays documentés. Ces droits et libertés

concernent notamment la liberté et la légalité des élections nationales, régionales et locales ;

l’autonomie de la société civile avec la liberté de la presse, d’association, de réunion et de

manifestation ; la liberté syndicale, le respect des droits dans les rapports entre citoyens et

administrations, la liberté de circulation des hommes et des idées, en particulier l’accès à

Internet ou aux médias internationaux, le respect des minorités (ethniques, religieuses,

linguistiques). Ainsi, afin d’élaborer notre indicateur de gouvernance publique, nous avons

construit sept indicateurs qui tentent de rendre compte du niveau de respect des aspects

suivants :

(1) Droits politiques et fonctionnement des institutions politiques (liberté et légalité des

élections) ;

Base de données du MINEFI Profils Institutionnels

Institutions politiques

Sécurité et ordre public

Gouvernance publique

Liberté de fonctionnement des marchés

Environnement technologique, Dispositions pour le futur

Sécurité des contrats et obligation d’information

Régulation de la concurrence

Ouverture sur l’extérieur

Cohésion sociale

Indicateur de gouvernance publique

Indicateur de gouvernance

privée

Liberté de fonctionnement des marchés

Sécurité des transactions et des contrats

Dispositif de régulation de la concurrence et dynamique de la

concurrence

Pressions des marchés internationaux

Droits politiques et fonctionnement des institutions politiques

Libertés publiques et autonomie de la société civile

Pluralisme des médias et forces sociales

Pluralisme et liberté des syndicats

Informations sur les entreprises et sur le marché des capitaux

Liberté de circulation des personnes et de l’information

Transparence de l’action du gouvernement

Indépendance de la justice par rapport à l’Etat

Fonctions institutionnelles

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(2) Libertés publiques et autonomie de la société civile ;

(3) Pluralisme des médias et forces sociales ;

(4) Pluralisme et liberté des syndicats ;

(5) Transparence de l’action du gouvernement ;

(6) Indépendance de la justice par rapport à l’État ;

(7) Liberté de circulation des personnes et de l’information.

Pour conduire la comparaison de la qualité des mécanismes de contrôle de l’action des

dirigeants, managériaux ou politiques, nous présentons dans ce qui suit les indicateurs qui

tentent d’évaluer par pays le niveau de discipline du marché économique (1) et politique (2)

atteint par chacun des pays, compte tenu de son niveau de revenu par habitant. Précisons à ce

niveau, qu’à travers ce croisement des indicateurs de gouvernance et de revenu par habitant,

nous ne cherchons pas à discuter le lien de corrélation entre développement économique et

qualité des institutions de gouvernance107. L’examen de cette relation mérite une analyse

approfondie qui fera l’objet d’un travail de recherche futur. L’objectif est principalement de

pouvoir situer les PAM et les PECO par rapport au reste des pays de l’échantillon, selon le

niveau de la qualité de leurs systèmes de gouvernance. Nous examinons ensuite le lien entre

les institutions relatives à la gouvernance publique et privée, en confrontant leurs indicateurs

respectifs sur un même graphique (3).

2.1. L’indicateur de gouvernance privée : les PECO ont une longueur d’avance sur les PAM

Si l’on examine globalement le niveau de discipline de marché économique qui s’exerce dans

les 51 pays de notre étude, niveau obtenu par l’agrégation des valeurs des indicateurs de

gouvernance privée pour chacun des pays, nous pouvons situer les PAM par rapport aux

107 Plusieurs travaux ont cherché à faire avancer le débat sur l’importance de la qualité institutionnelle dans le développement économique en testant la solidité empirique de ce lien. Voir entre autres Acemoglu [2003], [Knack et Keefer, 1995], Rodrik et al. [2004], Edison [2003], etc.

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PECO, pays benchmark de notre analyse comparative. Nous avons procédé à une régression

de notre indicateur de gouvernance privée en fonction du PIB par tête. La position de chaque

pays dans ces graphiques est examinée par rapport à la droite de régression. Ainsi on peut

lire : un pays dont le point représentatif est placé sur la droite de régression exhibe un niveau

de qualité institutionnelle qui serait en concordance avec son niveau de développement

économique. Pour un pays placé au-dessous de cette droite, on peut supposer qu’on aurait pu

avoir une qualité institutionnelle plus élevée compte tenu du niveau de PIB par tête de ce

pays. Enfin, pour un pays placé au-dessus de la droite de régression, on peut suggérer qu’il a

fait mieux – en matière de qualité institutionnelle - que ne l’autoriserait son niveau de

développement économique.

Les figures 3 et 4, présentant respectivement les résultats pour les années 2001 et 2006,

montrent que les PAM se positionnent au-dessous de la droite de régression, à l’exception du

Maroc qui se détache par rapport aux autres PAM, se positionnant à proximité de la droite de

régression sur les deux années observées. Les PECO apparaissent au-dessus de la droite de

régression, pour les deux années. Bien que se situant au-dessous de cette droite en 2001, la

Roumanie et dans une moindre mesure la République tchèque, ont rejoint le groupe des

PECO en 2006, rattrapant ainsi leur retard en terme de gouvernance privée. En d’autres

termes, nos calculs, à partir des notations des experts du MINEFE, montrent que la qualité

des mécanismes de gouvernance privée dans les PAM (PECO) se situe à un degré inférieur

(supérieur) à ce qu’elle devrait être compte tenu de leur revenu par tête, les points représentant

ces pays se plaçant au-dessous (au-dessus) de la moyenne des 51 pays ajustés selon le PIB par

habitant.

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Page | 134

Figure 3. L’indicateur de Gouvernance Privée et le revenu par habitant – enquête 2001

ALG

ARGBRABUL

CAM

CHL

CHN

COL

COT CZE

EGY

FRAGER

GHA

GREHKO

HUN

IND

INO

IRA

IRE

ISR

JAP

KOR

LIT

MAL

MEX

MOR

NIG

NOR

PAK

PER

PHI

POL

POR

ROM

RUS

SAR

SIN

SOA

SYR

TAI

THA

TUN

TURUGA

UKR

USA

VEN

VIE

ZIM

y = 0,3229x - 0,007R² = 0,5169

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

4

5 6 7 8 9 10 11

Log PIB / tête (US$ courants) - Source : Chelem

Iindicateur de Gouvernance privée

Source : Calcul des auteurs à partir de la base « profils institutionnels », MINEFE (2001-2006).

PAM PECO

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Page | 135

Figure 4. L’indicateur de Gouvernance Privée et le revenu par habitant – enquête 2006

ARG6

BUL6

BRA6

CHL6

CHN6

COT6

CAM6

COL6

CZE6

GER6

ALG6

EGY6

FRA6

GHA6

GRE6HKO6HUN6

INO6

IND6

IRE6

IRA6

ISR6

JAP6

KOR6

LIT6

MOR6

MEX6

MAL6

NIG6

NOR6

PAK6

PER6

PHI6

POL6

POR6

ROM6

RUS6

SAR6

SIN6

SYR6

TAI6

THA6

TUN6

TUR6

UGA6

UKR6

USA6

VEN6VIE6

SOA6

ZIM6

y = 0,2466x + 0,6926R² = 0,412

0,5

1,0

1,5

2,0

2,5

3,0

3,5

4,0

5 6 7 8 9 10 11

Log PIB/tête 2005 - Source : WDI

Indicateur de Gouvernance Privée

Source : Calcul des auteurs à partir de la base « profils institutionnels », MINEFE (2001-2006).

PAM PECO

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Page | 136

2.2. L’indicateur de gouvernance publique : un déficit important chez les PAM

Si l’on examine d’un point de vue global le niveau de discipline qui s’exerce sur le marché

politique dans les 51 pays de notre étude (Figures 5 et 6), niveau obtenu par l’agrégation des

valeurs des indicateurs de gouvernance publique pour chacun des pays, nous pouvons

conduire là encore une comparaison entre la situation des PAM et celle des PECO. Nous

constatons que les résultats relatifs à la gouvernance publique reproduisent à peu près ceux

obtenus à partir des indicateurs de la gouvernance privée, à savoir que la qualité des

mécanismes de contrôle de l’action politique au sein des PECO est largement supérieure à

celle observée dans les PAM, et qu’au sein de ce groupe de pays, le Maroc obtient de bien

meilleurs résultats que les autres PAM. Néanmoins, il faut remarquer que le déficit en termes

de gouvernance publique au sein des PAM semble être plus prononcé que celui observé au

niveau de la gouvernance privée, et ce pour les deux années étudiées.

Les PECO affichent des niveaux de gouvernance publique à peu près similaires entre eux, et

comparables à ceux du Chili, du Brésil ou de l’Afrique du Sud. Le PIB par tête dans chacun

des PECO est cependant assez différent d’un pays à l’autre, celui des PEC étant

systématiquement supérieur à celui des PEO. Les PAM présentent un profil exactement

inverse. Ils disposent chacun d’un revenu par habitant à peu près similaire, mais ils exhibent

des niveaux très différents en matière de qualité des mécanismes de gouvernance publique, le

Maroc se situant à l’échelon le plus élevé (proche de la droite de régression), l’Algérie, la

Tunisie et les autres PAM se situant à un niveau parmi les plus bas de l’échantillon (largement

au-dessous de la droite de régression, proche de la Chine).

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Figure 5. L’Indicateur de Gouvernance Publique et le revenu par habitant – enquête 2001

ALG

ARG

BRA

BUL

CAM

CHL

CHN

COLCOT

CZE

EGY

FRA

GER

GHA

GRE

HKO

HUN

IND

INO

IRA

IRE

ISRJAP

KOR

LIT

MAL

MEX

MOR

NIG

NOR

PAK

PER

PHI

POL

POR

ROM

RUS

SAR

SIN

SOA

SYR

TAI

THA

TUN

TUR

UGA

UKR

USA

VEN

VIE

ZIM

y = 0,2873x + 0,4037R² = 0,2712

0,50

1,00

1,50

2,00

2,50

3,00

3,50

4,00

4,50

5 6 7 8 9 10 11

Log PIB / tête (US$ courants) - Source : Chelem

Iindiacteur de Gouvernance Publique

Source : Calcul des auteurs à partir de la base « profils institutionnels », MINEFE.

PAM PECO

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Figure 6. L’Indicateur de Gouvernance Publique et le revenu par habitant – enquête 2006

ARG6

BUL6

BRA6

CHL6

CHN6

COT6

CAM6

COL6

CZE6

GER6

ALG6

EGY6

FRA6

GHA6

GRE6

HKO6

HUN6

INO6

IND6

IRE6

IRA6

ISR6

JAP6

KOR6

LIT6

MOR6MEX6

MAL6

NIG6

NOR6

PAK6

PER6

PHI6POL6

POR6

ROM6

RUS6

SAR6

SIN6

SYR6

TAI6

THA6TUN6

TUR6

UGA6UKR6

USA6

VEN6

VIE6

SOA6

ZIM6

y = 0,2487x + 0,8621R² = 0,219

0,5

1,0

1,5

2,0

2,5

3,0

3,5

4,0

4,5

5,0 6,0 7,0 8,0 9,0 10,0 11,0

Log PIB/tête 2005 - Source : WDI

Iindiacteur de Gouvernance Publique

Source : calcul des auteurs à partir de la base « profils institutionnels », MINEFE.

PAM PECO

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Page | 139

2.3. Le lien Gouvernance publique/privée par pays : y a-t-il une interdépendance ?

Nous confrontons, dans les figures 7 et 8, les indicateurs de gouvernance publique et privée,

respectivement pour les années 2001 et 2006. Les points-pays obtenus sur ces figures

illustrent le niveau de la qualité des systèmes nationaux de gouvernance pour chacun des pays

étudiés. Nous avons formulé l’hypothèse selon laquelle il existerait, pour un pays ou un

groupe de pays, une relation d’interdépendance intrinsèque entre ces deux niveaux de

gouvernance, publique et privée. En comparant dans ces figures la situation des PAM avec la

position des PECO, il semble que cette hypothèse se vérifie. Observons, tout d’abord, qu’il

existe bien une corrélation empirique forte (proche de 0,65 pour 2001 et 0,55 pour 2006)

entre les niveaux d’indicateurs de discipline de marché économique (gouvernance privée) et

de marché politique (gouvernance publique). Nous avons souligné dans le premier chapitre

en quoi la qualité des systèmes de gouvernance privée était dépendante de celle des systèmes

de gouvernance publique. Ces premiers résultats statistiques confirment alors cette

interdépendance, qui est particulièrement forte dans les pays en développement. Ils viennent

également appuyer les analyses de Meisel [2004] et Oman et al. [2003a] ou celle de Michalet et

Serini [2006] qui, à partir d’une étude des structures de gouvernance au Maghreb, concluent à

l’absence de frontière entre la gouvernance publique et la gouvernance privée, ou encore celle

de Chatelain et Ralf [2008] qui suggèrent que la promotion de la « gouvernance d’entreprise »

dépend essentiellement de la qualité de la gouvernance publique. Dans un cadre plus large, ce

constat semble plaider en faveur d’une nouvelle approche du développement, qui lie

indissociablement dans son analyse le fonctionnement des systèmes économiques à celui des

systèmes politiques, une approche que l’on retrouve dans des travaux récents tels ceux de

North et al. [2007], Khan [2006], Olson [1993] ou Ben Abdelkader et Labaronne [2008b].

Les résultats des figures 7 et 8 montrent que les PAM se situent dans le quadrant Sud-Ouest,

espace qui combine faibles niveaux de gouvernance publique et privée. À l’exception du

Maroc, dont la position est relativement proche du niveau moyen des 51 pays, les PAM

semblent en être particulièrement éloignés, notamment la Syrie avec le niveau le plus bas de

l’échantillon. À l’inverse, les PECO sont placés dans le quadrant Nord-Est qui associe des

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Page | 140

niveaux de gouvernance publique et privée élevés, comparables à ceux observés dans les pays

européens, aux Etats-Unis ou encore au Japon. Les PEO (Bulgarie, Roumanie) sont dans une

situation plus inédite. Selon l’enquête 2001, leur point de rencontre apparaît dans le quadrant

Nord-Ouest, indiquant un niveau de gouvernance publique supérieur à la moyenne, mais un

niveau de gouvernance privée inférieur à la moyenne de l’échantillon. La position de ces deux

pays, au-dessus de la droite de régression, souligne qu’ils ont davantage progressé sur la voie

du contrôle démocratique de leurs dirigeants politiques que sur celle de la mise en œuvre des

mécanismes de contrôle des managers des firmes. Les résultats de l’enquête 2006 semblent

montrer que les PEO ont fortement réduit le déficit en termes de gouvernance privée,

atteignant ainsi un niveau de qualité des SNG supérieur à celui de la moyenne de

l’échantillon, et relativement proche de celui des PEC.

La comparaison des résultats des deux enquêtes, 2001 et 2006, montre une évolution

nettement positive de la qualité des SNG dans les PECO, contre une quasi-stagnation chez

les PAM. En effet, les PECO affichent des niveaux de qualité des SNG supérieurs à la

moyenne, et se positionnent à proximité de la droite de régression, soulignant un certain

équilibre entre leur niveau de gouvernance publique et privée. À l’exception du Maroc et de

l’Algérie qui ont connu une légère appréciation au niveau de la qualité de leurs systèmes de

gouvernance publique, les PAM demeurent parmi les pays exhibant les plus faibles niveaux de

discipline de marché, politique et économique. En outre, la Tunisie et l’Égypte se distinguent

par un retard notable au niveau de la mise en œuvre des institutions de gouvernance des

dirigeants politiques, par rapport aux institutions relatives au contrôle des managers des

firmes.

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Page | 141

Figure 7. Les indicateurs de Gouvernance publique et privée par pays - enquête 2001

ALG

ARG

BRA

BUL

CAM

CHL

CHN

COL

COT

CZE

EGY

FRA

GER

GHA

GRE

HKO

HUN

IND

INO

IRA

IRE

ISRJAP

KOR

LIT

MAL

MEX

MOR

NIG

NOR

PAK

PER

PHI

POL

POR

ROM

RUS

SAR

SIN

SOA

SYR

TAI

THA

TUN

TUR

UGA

UKR

USA

VEN

VIE

ZIM

y = 0,9944x + 0,1398R² = 0,6555

0,50

1,00

1,50

2,00

2,50

3,00

3,50

4,00

4,50

0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5 4,0

Gouvernance Privée

Gouvernance Publique

Moyenne

Moyenne

Enquête 2001

Source : Calcul des auteurs à partir de la base « profils institutionnels », MINEFE.

PAM PECO

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Page | 142

Figure 8. Les indicateurs de Gouvernance publique et privée par pays - enquête 2006

ARG6

BUL6

BRA6

CHL6

CHN6

COT6

CAM6

COL6

CZE6

GER6

ALG6

EGY6

FRA6

GHA6

GRE6

HKO6

HUN6

INO6

IND6

IRE6

IRA6

ISR6

JAP6

KOR6

LIT6

MOR6MEX6

MAL6

NIG6

NOR6

PAK6

PER6

PHI6

POL6

POR6

ROM6

RUS6

SAR6

SIN6

SYR6

TAI6

THA6TUN6

TUR6

UGA6UKR6

USA6

VEN6

VIE6

SOA6

ZIM6

y = 1,0339x + 0,0944R² = 0,559

1,0

1,5

2,0

2,5

3,0

3,5

4,0

4,5

1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5 4,0

Gouvernance Publique

Gouvernance Privée

Enquête 2006

Moyenne

Moyenne

Source : Calcul des auteurs à partir de la base « profils institutionnels », MINEFE.

PAM

PECO

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3. Les systèmes nationaux de gouvernance dans les PAM et les PECO : une approche empirique multidimensionnelle à partir d’une Analyse en Composantes Principales

L’analyse statistique à partir des indicateurs du MINEFE des mécanismes institutionnels et

organisationnels décrit des systèmes de gouvernance publique et privée qui révèle des

spécificités propres aux PAM par rapport aux PECO. Cette première analyse statistique reste

cependant insuffisante pour caractériser les cultures de gouvernance des deux groupes de

pays. Un approfondissement statistique est alors nécessaire. Pour ce faire, nous mobilisons les

outils de l’analyse de données, notamment l’analyse en composantes principales.

3.1. L’analyse en composantes principales est notre outil d’analyse des systèmes de gouvernance

En raison du nombre important de variables institutionnelles que nous envisageons

d’explorer (36 variables), nous avons choisi d’utiliser les outils de la statistique descriptive

multidimensionnelle (ou l’analyse des données). L’intérêt premier de ces outils réside dans le

fait qu’ils permettent d’obtenir une description aussi fidèle que possible d’un ensemble

d’observations trop nombreuses et dépendantes les unes des autres pour être interprétables

en première lecture.

Ces méthodes permettent généralement d’élaborer des représentations synthétiques sous

forme de graphiques. Afin d’obtenir une visualisation claire de ces derniers, il est alors

nécessaire de réduire les dimensions du tableau de données en représentant les associations

entre individus et entre variables dans des espaces factoriels à deux dimensions. On obtient

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Page | 144

ainsi des plans définis par des axes factoriels construits sur la base des combinaisons linéaires

des variables et de la variance de toutes les observations. Ces axes sont ordonnés selon le

niveau de variance du nuage de point qu’il peut concentrer, c'est-à-dire du niveau

d’information qu’il peut fournir. Ainsi, le premier axe est celui qui concentre le maximum

d’information. L’interprétation des premiers axes est alors déterminante dans l’analyse

factorielle. Elle est effectuée essentiellement sur la base de l’identification des variables qui

contribuent le plus à la définition des axes en question.

En résumé, l’analyse des données est un outil statistique qui vise à représenter une réalité

multidimensionnelle sous une forme synthétique et interprétable. Mais, elle présente

particulièrement deux spécificités qui justifient l’adoption de cette méthode dans notre travail.

(i) Premièrement, l’approche multidimensionnelle permet un gain de signification dans la

mesure où l’analyse ne se limite pas à une simple description des données mais ouvre la voie

de l’exploration, de la recherche d’une information cachée et parfois de mettre à l’épreuve

certaines hypothèses. Selon les termes de Berthelier et al. [2003], « la réalité

multidimensionnelle n’est pas seulement simplifiée parce que complexe, mais aussi explorée

parce que cachée ». Alain Morineau explique, lui, que l’analyse de données revient à

« consentir une perte d’information pour un gain de signification ». (ii) Deuxièmement, cette

technique de représentation des données, qui possède un caractère optimal selon certains

critères algébriques et géométriques, ne nécessite pas d’hypothèse de nature statistique sur la

distribution jointe des données ni de référence à un modèle particulier. Elle n’emprunte pas à

la modélisation ni aux procédures inférentielles : on laisse les données « parler d’elles-mêmes »

[Meisel et Ould Aoudia, 2007b].

3.2. Analyse en composantes principales de 36 indicateurs institutionnels

Nous proposons alors d’approfondir l’exploitation statistique de la base MINEFE au moyen

des outils relatifs à l’analyse des données. L’outil adopté à ce niveau est l’Analyse en

Composantes Principales (ACP). Nous nous intéressons ici aux seules variables

institutionnelles qui permettent de caractériser les systèmes nationaux de gouvernance des

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Page | 145

pays sous revue. Pour ce faire nous réduisons le nombre de variables de la base initiale de 115

à 36 108 (annexe 5, tableaux 11 et 12).

Les variables, élémentaires ou agrégées, retenues dans ce travail empirique, décrivent

essentiellement les mécanismes institutionnels de gouvernance, tant au niveau public que

privé, ceux-ci ayant pour objectif d’instaurer un dispositif disciplinaire pour les dirigeants des

entreprises et les dirigeants des États. Concernant les systèmes de gouvernance privée, les

variables sélectionnées tentent de mesurer le niveau de sécurisation des transactions et des

contrats, la qualité de l’information sur les entreprises et sur le marché des capitaux, le niveau

de liberté de fonctionnement des marchés et le poids de l’État dans la sphère économique, la

qualité du dispositif de régulation de la concurrence, le niveau de dynamisme de la

concurrence et le degré des pressions exercées par les marchés internationaux et les

organisations internationales. Ces aspects sont appréhendés par 29 variables institutionnelles

énumérées au niveau de l’annexe 5 (tableau 11). Concernant les systèmes de gouvernance

publique, les variables mobilisées tentent de capter le niveau d’exercice des droits politiques et

des libertés publiques, le niveau du pluralisme (ou non) des médias et des forces sociales et

syndicales, le degré de transparence de l’action du gouvernement, le degré d’indépendance de

la justice par rapport à l’État, et le niveau de la liberté de circulation des personnes et de

l’information109. Les sept variables institutionnelles permettant de rendre compte de ces

aspects sont détaillées dans l’annexe 5 (tableau 12). Les questions élémentaires, au niveau le

plus détaillé, correspondant à nos indicateurs cités ci-dessus, sont présentées dans l’annexe 6.

Pour conduire notre approche multidimensionnelle, nous appliquons une analyse en

composantes principales sur les 36 variables constituant notre base réduite. La représentation

des 36 variables institutionnelles sur le cercle de corrélation (annexe 7, figure 19) nous permet

108 Compte tenu du nombre élevé des variables de la base nous construisons une base plus réduite comprenant 36 variables. En suivant la méthodologie adoptée par Berthelier et al. [2003], la réduction de la base de données initiale a été effectuée en agrégeant certaines variables institutionnelles tout en respectant la structuration en 9 chapitres et 4 secteurs. La sélection des variables repose sur l'analyse des cercles de corrélations issus de l’ACP appliquée aux différents chapitres constituant la base MINEFE. Les variables retenues sont celles dont la contribution à l’inertie des nuages est la plus importante.

109 La plupart des études empiriques qui traitent de la question de la gouvernance intègre l’indicateur de corruption comme déterminant de la qualité de la gouvernance publique. Dans cette section, nous avons exclu l’indicateur de corruption de notre ACP. En effet, nous considérons (avec Glaeser et al. [2004]) l’indice de corruption comme étant un indicateur de résultat de la qualité des institutions de gouvernance. Suivant la définition de la gouvernance que nous avons retenue, notre intérêt porte essentiellement ici sur la façon d’appréhender les mécanismes institutionnels qui permettent de contrôler l’action des dirigeants politiques et managériaux. En l’occurrence, certaines de ces mécanismes permettent de limiter les situations d’abus de position publique de la part des dirigeants politiques par exemple. Ceci nous amène à penser qu’un faible niveau de corruption indiquerait une meilleure qualité des SNG.

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Page | 146

d’interpréter la figure 9 et de définir une typographie des espaces sur le premier plan factoriel

issu de l’ACP, ce plan étant construit à partir des deux premiers axes de dispersion des

variables révélés par l’ACP. Ces dernières sont celles, parmi les variables, qui recueillent le

plus d’informations.

L’examen du cercle de corrélation nous permet de mener l’analyse suivante :

Le premier axe (horizontal), qui représente 43 % de l’inertie (ou de la dispersion) du nuage de

points (annexe 8, tableau 13) oppose deux types de culture de gouvernance. Cet axe reflète le

degré de « personnalisation versus dépersonnalisation » dans le fonctionnement des institutions

de gouvernance. En effet, le cercle de corrélation fait ressortir d’une façon non équivoque la

famille des indicateurs marquant le niveau de formalisation des institutions de gouvernance

qui traduisent le niveau de détachement de ces institutions des personnes, c'est-à-dire leur

niveau de dépersonnalisation. Les principaux indicateurs ayant contribué à la construction de

cet axe sont ceux qui rendent compte du niveau de respect des règles formelles, telles

que celles relatives : au droit de propriété (A601) ; à la propriété intellectuelle (R0040) ; aux

contrats entre acteurs privés (A603) ; aux règles prudentielles et à la supervision du système

bancaire (R0043) ; au dispositif de régulation de la concurrence (A701) ; à la qualité de

l’information sur les marchés (R0039) et (R0052) ; à la loi relative à la faillite des entreprises

(R0038) ; aux droits politiques (A100) et aux libertés publiques (R0044)110.

Cet axe discrimine alors les pays selon leur degré de formalisation des institutions qui

constituent les systèmes de gouvernance, autrement dit, à partir des fondements sur lesquels

s’établissent les règles du jeu en société, selon qu’elles sont davantage soutenues par des liens

personnels et informels, ou davantage par le droit écrit et des procédures. À gauche de cet axe

on observe des systèmes de gouvernance qui reposent sur le respect du droit et sur des

institutions modernes. À droite, on relève des systèmes dominés par des relations

interpersonnelles où les mécanismes de contrôle formels sont limités ou faiblement respectés.

Le second axe (vertical), qui concentre 8 % de la dispersion, distingue les pays soumis aux

fortes pressions des marchés internationaux de ceux qui la subissent moins. Ceci s’explique

soit parce que l’ouverture sur l’extérieur est contrôlée par les gouvernements qui sont souvent

fortement interventionnistes (cas de certains pays du cadrant Nord-Est), soit parce que

110 Voir l’annexe 7 pour la position des variables dans le cercle de corrélation et l’annexe 5 pour le détail des indicateurs.

Page 149: Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes ... · Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée. Analyse économique

Page | 147

l’économie locale est suffisamment compétitive pour résister à la concurrence internationale

(pays du cadrant Nord-Ouest). Les principaux indicateurs ayant contribué à la construction

de cet axe sont essentiellement ceux qui rendent compte du niveau de pression exercée par

les organisations internationales et par les divers marchés internationaux sur les marchés

locaux et sur les acteurs économiques et politiques (R0051 et R0050). Nous retrouvons

également un indicateur de liberté de circulation de l’information (A800) qui, selon le niveau

d’accès aux moyens d’information, locaux ou étrangers, pourrait traduire une certaine

pression, notamment sur les acteurs politiques.

Les résultats de notre ACP, à travers la projection des 51 pays sur le plan factoriel (figure 9),

permettent de mettre en évidence l’extrême diversité des SNG dans les pays en

développement, développés et en transition. L’analyse de cette diversité institutionnelle serait

selon nous d’une grande utilité dans la compréhension des phénomènes susceptibles de

favoriser (ou de bloquer) le décollage économique.

Une lecture approfondie de la figure 9 nous permet de distinguer essentiellement trois

groupes de pays selon les caractéristiques institutionnelles de leurs SNG.

Le groupe 1, dans le quadrant Nord-Ouest, associe des pays dont les systèmes de

gouvernance seraient basés sur des règles formelles et le respect du droit, tant au niveau de la

sphère privée (sécurité des contrats et des transactions assurée par une justice efficace et des

réglementations prudentielles, fonctionnement concurrentiel des marchés, information de

qualité sur les marchés, existence de dispositifs juridiques encadrant la faillite des entreprises

et assurant son application, respect du droit de travail, fluidité du marché de travail), qu’au

niveau de la sphère publique (respect des droits politiques : liberté et légalité des élections ;

liberté et droit de contester les décisions politiques ; libertés publiques garanties : liberté de la

presse, liberté d’association ; respect du droit dans les rapports entre citoyens et

administrations). Dans ce groupe, nous retrouvons tous les pays d’Europe centrale. Les

dirigeants politiques comme les managers d’entreprise de ces pays apparaissent soumis à de

fortes contraintes disciplinaires censées contrôler leurs actions. Les contraintes sont tout

d’abord démocratiques pour les acteurs publics. Elles favorisent, à l’instar de ce que l’on

observe dans les démocraties Nord-Américaines (les Etats-Unis), européennes (la France,

l’Allemagne, l’Irlande et la Norvège) ou asiatiques (Japon, Hong-Kong, Singapour), la mise en

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Page | 148

œuvre des valeurs d’inclusivité (participation de tous au processus démocratique) et de

responsabilisation des élus (transparence de l’action publique, libre accès à l’information,

contestabilité des dirigeants grâce au fonctionnement du marché politique). Ces contraintes

sont ensuite de nature économique pour les managers des firmes. Elles reposent sur un

système de contrôle externe fort, de nature impersonnelle, qui s’exerce au moyen du marché,

des contrats et du cadre réglementaire (concurrence, information sur la qualité relative de la

gestion managériale, discipline contractuelle, menace réelle de faillite, pressions adéquates du

marché du travail et du marché financier).

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Page | 149

Figure 9. Analyse empirique multidimensionnelle des variables institutionnelles de gouvernance (Enquête MINEFE 2001)

Note : Cette figure est le résultat de l’application d’une ACP sur 36 variables institutionnelles (actives). Elle représente la projection des points-pays sur le premier plan factoriel.

Visualisation des résultats à l’aide du logiciel SPAD111.

Source : Calcul des auteurs à partir des données de la base de données du MINEFE.

111 Pour une lecture plus détaillée de l’analyse en composante principale ainsi qu’une illustration à l’aide du logiciel SPAD, voir Morineau [1998].

Groupe 3

Faibles pressions des marchés internationaux

PAM PECO

Systèmes de gouvernance impersonnels basés sur des

règles formelles

Systèmes institutionnels dominés par les arrangements interpersonnels et informels

Groupe 2

Ouverture sur l’extérieur / fortes pressions des marchés internationaux

Groupe 1

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Ces contraintes, démocratiques - imposées par le marché politique -, et économiques,

émanant des institutions de marché, résultent sans doute de l’effet « d’ancrage extérieur »

[Roland et Verdier, 1999] que joue l’Union européenne à l’égard de ces pays (les PEC). Les

perspectives d’adhésion auraient ainsi encouragé les réformes institutionnelles. De surcroît,

dans notre figure, le positionnement des PEC souligne l’exposition forte de ces pays aux

pressions des marchés extérieurs. Cette caractéristique les rapprocherait du modèle

économique libéral américain, chilien ou hongkongais, davantage que du mode de régulation

économique européen (France, Allemagne, Irlande).

Le groupe 2, dans le quadrant Nord-Est, rassemble des pays dont les systèmes de

gouvernance semblent moins contraignants en raison du faible niveau de respect des règles

formelles. Ils sont situés à droite du premier axe, position qui traduit la prédominance des

relations interpersonnelles et des arrangements informels. Dans ce quadrant, au niveau de la

gouvernance privée, on observe un impact fort de l’État sur le fonctionnement de

l’économie, une part relativement faible du secteur privé dans le PIB, une relative insécurité

des contrats et des transactions, des programmes de privatisation opaques, des marchés peu

concurrentiels et peu ouverts sur l’extérieur, un poids élevé des traditions sur la mobilité

sociale, un secteur informel important. Sur le plan de la gouvernance publique, les restrictions

et la répression l’emportent et freinent l’application des principes d’inclusivité : restrictions

des droits politiques et des libertés publiques ; faible liberté de circulation des hommes, des

idées et des biens ; faible autonomie de la société civile ; concentration des médias ;

restrictions des libertés d’expression et d’association. Pour un grand nombre de ces pays, la

rente pétrolière permet, par sa redistribution partielle112 (subventions aux produits de base

notamment) ou par la mise en place d’un système de crony capitalism [Haber, 2002 ; Michalet et

Sereni, 2006], d’asseoir une certaine légitimité des dirigeants politiques, sans grande

redevabilité de ces derniers [Ben Nefissa, 2002 ; Crystal, 1994]. C’est particulièrement

l’exemple de la Syrie, l’Iran, l’Arabie Saoudite et l’Algérie. Dans d’autres pays, cette légitimité

est assurée par une certaine capacité à amorcer le développement du pays ou par la réalisation

de taux de croissance économique élevés (exemples : la Tunisie, la Chine, le Vietnam et la

Malaisie).

112 L’impact de la rente pétrolière sur les stratégies de neutralisation des systèmes de gouvernance par les tenants du pouvoir est analysé dans le chapitre 5.

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Page | 151

Dans ce groupe, nous observons la présence de tous les PAM, à l’exception du Maroc, mais

aussi des pays comme la Russie, la Chine ou l’Arabie Saoudite et l’Iran. Dans ces pays, les

élites dirigeantes apparaissent moins soumises que leurs homologues d’Europe centrale,

d’Europe de l’Ouest, des Etats-Unis ou de certains pays asiatiques, à des contraintes

disciplinaires instaurées pour contrôler leur action. Cela confère aux pays situés dans ce

quadrant une spécificité de leur culture de gouvernance, qui repose sur la permanence d’une

société de lien associée à une inclusivité fragile, une « redevabilité » déficiente, une forte

emprise de l’État sur l’activité économique et, relativement, une faible exposition aux

pressions extérieures.

Le groupe 3, quadrant Sud Est, regroupe des pays dont la culture de gouvernance est hybride.

Dans ce quadrant, les pressions extérieures s’exercent davantage que dans le quadrant

précédent. C’est le résultat d’une libéralisation de l’activité économique et d’une ouverture de

plus en plus importante à l’économie mondiale qui impose des contraintes externes fortes sur

l’action des managers. Ces contraintes se manifestent par l’apparition de nouveaux

partenaires, non-résidents, qui ne sont pas parties prenantes au système national ou local,

essentiellement fondé sur des relations interpersonnelles. Ces partenaires extérieurs,

importateurs, exportateurs, investisseurs étrangers ou bailleurs de fonds internationaux,

exigent des systèmes de gouvernance privée qui reposent sur des règles formelles,

impersonnelles et explicites. Cette exigence est sans doute à l’origine d’une progression vers

davantage de formalisation des règles, dans les pays en développement qui font le choix d’une

insertion internationale forte de leur économie. Dans ce quadrant, cette ouverture

s’accompagne, toutefois, du maintien d’un secteur informel important, d’un respect

insuffisant du droit du travail et d’une application déficiente de la réglementation sur la faillite

des entreprises. En outre, ce groupe s’inscrit dans un contexte encore marqué par de fortes

solidarités traditionnelles, par des relations qui n’ont pas totalement perdu leur caractère

interpersonnel et informel, et par le retard pris dans la mise en œuvre de certaines réformes

institutionnelles, notamment celles qui sont liées aux libertés individuelles dans le champ

politique.

Dans ce groupe, nous constatons la présence du Maroc et de la Roumanie, aux côtés de pays

comme le Ghana, l’Indonésie ou l’Ukraine. Nous pouvons incorporer à ce groupe la Bulgarie,

bien qu’elle semble plus proche d’un ensemble constitué par les pays d’Amérique latine.

Comme pour les pays d’Europe centrale, la Bulgarie et la Roumanie bénéficient de l’effet

Page 154: Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes ... · Du droit de l’État à l’État de droit dans les pays arabes de la Méditerranée. Analyse économique

Page | 152

d’ancrage extérieur à l’Union, tandis que le Maroc profite de sa forte ouverture

internationale113. Le positionnement de ces trois pays dans le groupe 3 suggère un

mouvement de rotation (dans le sens des flèches illustrées dans la figure 9) qui caractériserait

l’évolution de la culture de gouvernance des pays en développement. On assisterait ainsi à

une transformation du système de gouvernance de ces pays, sous la pression de la

libéralisation du marché intérieur et extérieur et de l’intégration dans la communauté

internationale, avec l’abandon d’une culture de gouvernance fondée sur des relations

interpersonnelles et l’instauration progressive de systèmes de gouvernance reposant sur un

ensemble de règles formelles, impersonnelles et explicites. Les pays actuellement développés

n’ont-ils pas connu ce long processus allant de la prévalence des logiques communautaires

aux logiques individualistes et impersonnelles ? Nous revenons sur ce point d’une manière

plus approfondie dans le chapitre suivant qui sera consacré à l’analyse de la dynamique

institutionnelle dans l’ensemble des pays sous revue.

3.3. Le degré de respect des règles formelles est le principal facteur de discrimination des systèmes nationaux de gouvernance : le processus de dépersonnalisation dans les PAM est en panne

Il ressort clairement de la section précédente que le principal facteur de discrimination des

pays représentés sur le plan factoriel est le facteur relatif au degré de respect des règles

formelles, qui n’est autre que le reflet du niveau de discipline qui s’exerce sur les acteurs

économiques et politiques d’une manière générale. L’axe horizontal offre une photographie

au moment de l’enquête de la situation des pays sous revue selon le degré de formalisation de

leurs systèmes de gouvernance et de prévalence de la règle formelle. Il décrit alors de droite à

gauche le niveau de dépersonnalisation des systèmes institutionnels permettant de distinguer

ainsi entre deux modes de production de la confiance : l’un est informel et fondé sur des

arrangements interpersonnels, c’est le cas des pays à droite sur le plan factoriel, où l’on

retrouve la plupart des PVD dont les PAM. L’autre est formalisé, écrit et opposable, c’est le 113 Membre de l’OMC – 1987 -, Accord d’association avec l’Union européenne – 2000 -, Accord de libre-échange avec les Etats-Unis – 2004 - premier pays réformateur dans la région MENA selon le dernier rapport Doing Business en 2007 de la Banque Mondiale.

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cas des pays à gauche sur le plan factoriel, qui regroupent les pays développés et les pays

d’Europe centrale. Les pays situés au milieu, pour la plupart des PVD ou des pays en

transition, semblent être dans une phase transitoire, qui reste néanmoins marquée par les

pratiques informelles héritées. Ce constat empirique, selon lequel il existerait un processus de

dépersonnalisation des systèmes institutionnels, rejoint des analyses, classiques en sociologie,

élaborées dès le début du XXe siècle, telles que celles de Weber ou de Durkheim et reprises

par North [2005b ; North et Thomas, 1976] ou Greif [1993 ; 2004]. En effet, les pays

actuellement développés ont connu d’importantes mutations les amenant du stade où la

confiance était construite sur la base d’arrangements interpersonnels à une échelle limitée, à

des systèmes institutionnels où la confiance est davantage systémique. Ces pays ont donc

procédé à la dépersonnalisation de leurs systèmes institutionnels, en construisant

progressivement des mécanismes de gouvernance plus formels, plus complexes, fondés sur

l’écrit, en vue de réduire l’incertitude des interactions entre acteurs économiques, fournir des

mécanismes crédibles d’application des règles, partager l’information à un niveau systémique,

détacher le pouvoir des personnes, et, d’une façon plus générale, assurer un niveau plus élevé

de respect des règles et soumettre les acteurs économiques et politiques à des contraintes

formelles et impersonnelles.

D’après notre analyse empirique, il apparaît clairement que les PAM demeurent marqués par

les caractéristiques d’un système de gouvernance dominé par les relations interpersonnelles et

les pratiques informelles. Cependant, il est intéressant de remarquer que, durant la deuxième

moitié du XXe siècle, la plupart des PAM ont connu des événements majeurs qui ont

contribué à l’émergence d’un ensemble de règles et d’institutions formelles [Ould Aoudia,

2006b ; Yousef, 2004]. En effet, la vague de décolonisation qu’ont connue ces pays, la quasi-

disparition des régimes socialistes, l’engagement auprès des organisations internationales ainsi

que l’adoption de programmes de développement divers, ont progressivement permis de

mettre en place des institutions formelles, dans les champs politique (Constitution,

Parlement), économique (Code du commerce, Code des investissements, loi bancaire) et

social (Droit du travail, Code civil). De ce fait, la quasi-totalité des PAM disposent, dans des

proportions plus ou moins importantes, de corpus de règles écrites et d’institutions formelles

parfaitement au point sur le papier et parfois même identiques à celles qu’on retrouve dans les

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pays développés114. Néanmoins, derrière le consentement – apparent - aux transformations

institutionnelles préconisées par les institutions internationales, et l’adoption - de façade - de

nombreuses règles formelles importées, le niveau d’application de ces règles demeure très

limité dans ces pays, comme en témoignent nos indicateurs institutionnels. Ainsi, les élites

dirigeantes économiques et politiques des PAM échappent aux contraintes que pourrait

impliquer une application effective des règles formelles, et demeurent exemptées de la

discipline à laquelle sont soumis leurs homologues dans les pays dotés de systèmes de

gouvernance impersonnels. Ceci confère une spécificité des systèmes de gouvernance de ces

pays, voire un paradoxe, qui réside dans la coexistence de pratiques informelles basées sur les

relations personnelles et d’un système institutionnel formel incorporant des réglementations

similaires à celles que l’on peut retrouver dans les pays développés.

Par ailleurs, notre étude empirique montre clairement, qu’au moment de l’enquête, les pays

d’Europe centrale affichent un niveau de respect des règles formelles assez élevé par rapport

aux pays en développement et aux PAM, ce qui suggère un niveau de discipline plus

important vis-à-vis des élites dirigeantes de ces pays et des systèmes de gouvernance moins

personnalisés. Les pays d’Europe orientale semblent être dans une situation intermédiaire du

processus de dépersonnalisation des systèmes de gouvernance.

114 D’après une étude menée par les experts de la Banque Mondiale [World Bank, 2003b], la région MENA (qui regroupe les PAM et les pays du Golfe) affiche des performances supérieures à celles des pays à revenu par habitant similaire en termes de « qualité de l’administration ». Ce résultat, établi à partir d’un indicateur de qualité de l’administration, construit sur la base des critères de la banque, indique clairement que les PAM sont dotés de certaines institutions formelles qui correspondent, pour le moins, aux recommandations de cette institution.

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4. Conclusion

La richesse de la base de données institutionnelles du MINEFE nous a permis

« d’opérationnaliser » notre conception des systèmes nationaux de gouvernance, en menant

une analyse empirique qui tente de mesurer la qualité des mécanismes institutionnels et

organisationnels de gouvernance dans un ensemble de pays en développement, en transition

et développés.

En premier lieu, nous avons construit deux indicateurs synthétiques de qualité

institutionnelle, dans les champs de la gouvernance publique et de la gouvernance privée. Ces

indicateurs visent à rendre compte du niveau de discipline qui s’exerce sur les élites

dirigeantes politiques et économiques dans les PAM et les PECO. Nos résultats, obtenus sur

la base des appréciations des experts du MINEFE, montrent que la qualité des mécanismes

de contrôle de l’action des élites dirigeantes au sein des PECO est largement supérieure à

celle observée dans les PAM. Ces derniers affichent de très faibles notations qui indiquent des

dispositifs de gouvernance beaucoup moins contraignants que ceux observés dans les PECO,

mais aussi dans les pays à revenu par habitant similaire. Le déficit est particulièrement

prononcé pour les systèmes de gouvernance publique où les dirigeants politiques et

bureaucratiques semblent moins soumis à des contraintes disciplinaires que leurs homologues

des PECO. Ce constat n’a guère évolué sur la période d’étude retenue, 2001-2006.

En second lieu, nous avons essayé d’approfondir ces résultats à partir d’une approche

empirique multidimensionnelle. Nous avons alors construit 36 indicateurs institutionnels à

partir de la base MINEFE, qui permettent d’examiner de plus près les principaux traits

caractéristiques des systèmes nationaux de gouvernance des 51 pays sous revue, sur la base de

l’enquête réalisée en 2001. L’analyse en composantes principales nous a permis de dégager les

principaux facteurs discriminants, distinguant ainsi les pays selon deux facteurs dominants : (i)

le degré de formalisation et de dépersonnalisation des systèmes de gouvernance d’une part, et

(ii) le niveau de pression externe (organisations internationales, accords commerciaux,

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libéralisation du commerce extérieur) exercée sur les marchés locaux et sur les acteurs

économiques et politiques, d’autre part. Il ressort de cette analyse multidimensionnelle une

grande variété des profils institutionnels de gouvernance. Néanmoins, il est possible

d’observer trois principales tendances.

La première concerne des pays avancés dans le processus de dépersonnalisation des systèmes

de gouvernance. Ces derniers seraient basés sur des règles formelles et le respect du droit.

Dans ce groupe, nous retrouvons tous les pays d’Europe centrale. Les dirigeants politiques

comme les managers d’entreprise de ces pays apparaissent soumis à de fortes contraintes

disciplinaires censées contrôler leurs actions. La deuxième rassemble des pays dont les

systèmes de gouvernance sont moins contraignants en raison du faible niveau de respect des

règles formelles. Les PAM (à l’exception du Maroc) figurent parmi ces pays, qui restent

marqués par la prédominance des arrangements interpersonnels et des règles informelles. En

l’absence de dispositifs disciplinaires crédibles, les élites dirigeantes de ces pays semblent

résister au processus de dépersonnalisation des institutions ainsi qu’aux éventuelles pressions

provenant de l’étranger. En outre, ces élites contrôlent étroitement l’économie et appliquent

des restrictions sévères aux libertés politiques et civiles. Ainsi, elles entretiennent un système

relativement fermé, opaque, largement fondé sur des pratiques anti-démocratiques et

contraires aux règles de l’économie de marché.

La Bulgarie, la Roumanie et le Maroc appartiennent à un troisième groupe de pays qui

correspond à une culture de gouvernance hybride dans la mesure où les institutions de ces

pays, qui ont enregistré - à des degrés divers - une certaine progression dans le processus de

formalisation, n’ont pas totalement perdu leur caractère interpersonnel. Plus proche alors de

la deuxième tendance que de la première, leur situation semble mettre en avant l’idée d’une

évolution des cultures de gouvernance vers des schémas institutionnels davantage formalisés.

C’est le résultat d’une libéralisation de l’activité économique et d’une ouverture de plus en

plus importante à l’économie mondiale qui impose des contraintes externes fortes sur les

acteurs économiques et politiques, et qui exige un cadre institutionnel plus formalisé.

Par ailleurs, nous avons mis en lumière un paradoxe qui confère aux PAM une spécificité

quant à leurs systèmes institutionnels. Ces pays disposent - en apparence - d’institutions

formelles répondant aux critères des organisations internationales, au premier rang desquelles

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la Banque mondiale, qui a classé les PAM115 parmi les pays affichant un niveau de « qualité de

l’administration » relativement élevé en 2003. Toutefois, nos résultats, issus des appréciations

des experts du MINEFE, montrent un très faible niveau de respect de ces institutions

formelles. Ceci peut s’expliquer par le peu de crédit que la population accorde à des

institutions formelles importées, mais également par la récurrence des pratiques

interpersonnelles chez les élites dirigeantes dans ces pays qui, à travers des stratégies diverses,

contournent les règles formelles qui sont censées contrôler leur action. La non-application

effective des règles formelles et l’absence de dispositifs crédibles de gouvernance seraient à

l’origine des blocages de la transition vers le marché et à la démocratie dans les PAM.

Dans ce qui suit, nous entreprenons d’examiner en profondeur les principaux constats qui se

dégagent de notre étude statistique.

Dans le chapitre 4, nous examinons empiriquement les dynamiques institutionnelles au sein

des 51 pays, à partir d’une comparaison de l’état des institutions entre 2001 et 2006, sur la

base des résultats des deux enquêtes du MINEFE. Nous cherchons particulièrement à valider

– ne serait-ce que d’une manière provisoire – l’hypothèse de l’évolution des pays en

développement et en transition vers une formalisation et une dépersonnalisation des systèmes

de gouvernance. La libéralisation économique et l’intégration dans la communauté

internationale pousseraient ces pays à abandonner progressivement les systèmes

institutionnels interpersonnels et informels au profit de systèmes de gouvernance

impersonnels et transparents. Cependant, le rythme de progression de ce processus de

transition institutionnelle diffère d’un pays à l’autre. Nous nous efforçons d’expliquer ces

divergences de rythme de transition, notamment dans les PAM et les PECO, sous l’angle de

la politique européenne de voisinage.

Dans le chapitre 5, nous tentons d’analyser les facteurs explicatifs du paradoxe, selon lequel

des pays disposant d’institutions formelles parfaitement établies sur le papier restent sous

l’emprise des arrangements informels et interpersonnels. Nous nous demandons comment les

élites dirigeantes échappent aux règles formelles censées délimiter leur espace

discrétionnaire ? Y a-t-il un lien entre la faiblesse des systèmes nationaux de gouvernance et le

retard pris dans le processus de transition institutionnelle vers la démocratie et le marché dans

115 Au sein de la région MENA.

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les PAM ? Dans quelle mesure les stratégies de neutralisation des SNG, mises en œuvre par

les élites dirigeantes de ces pays, bloquent-elles la transition ?

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Chapitre 4.

Dynamiques institutionnelles dans les PAM : étude de la convergence des systèmes de gouvernance des PAM et des PECO sous la politique européenne de voisinage

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1. Introduction

Dans le chapitre précédent, nous avons tenté de comprendre, dans une perspective statique,

la complexité et la diversité des SNG. Il convient, cependant, de ne pas s’arrêter à une analyse

atemporelle des institutions. En effet, une institution n’est jamais qu’un compromis

momentané, un ensemble d’interactions en équilibre plus ou moins dynamique [Aoki, 1996,

2001b ; Greif, 1998]. Dans une perspective de long terme, il nous semble que les institutions

seront plus adéquatement décrites comme un incessant processus d’institutionnalisation

fondé sur l’idée de la causalité cumulative (cumulative causation selon les termes de Veblen

[1899]). L’activité économique de l’individu est comparée à un « processus cumulatif

d’adaptation des moyens à des finalités qui changent de façon cumulative, au fur et à mesure

que le processus se poursuit, tant l’agent que son environnement étant à tout moment le

résultat du dernier processus » [Veblen cité par : Chavance, 2007 : P15]. Il est alors nécessaire

de tenir compte des dynamiques de constructions institutionnelles et de la transformation des

cultures de gouvernance à travers le temps, qu’elles soient inspirées de forces internes au pays

ou bien de facteurs externes liés à des mutations régionales ou internationales. L’analyse de la

transition vers le marché et la démocratie est alors appréhendée ici comme un processus de

transformation institutionnelle [Andreff, 2007]116.

Nous proposons dans ce chapitre d’examiner les dynamiques institutionnelles, qui

accompagnent la transition économique et politique dans les PAM et les PECO, à partir de

l’analyse de la politique européenne de voisinage sous ses différentes formes : processus de

négociations en vue de l’adhésion à l’UE pour les PECO [Andreff, 2007 : Chapitre 11],

processus de Barcelone sous la forme d’un partenariat en vue de la création d’une zone de

libre-échange pour les PAM [Ben Abdelkader et Labaronne, 2008a ; Haddar, 2008]. Il s’agit

de s’interroger alors sur le rôle que peut jouer l’Union européenne dans la transformation

institutionnelle et dans la mise en place de mécanismes de gouvernance censés délimiter le

pouvoir des dirigeants publics et privés de ses pays voisins.

116 Voir la 2ème partie de l’ouvrage d’Andreff [2007] qui étudie en détail la « transition institué » selon les courants économiques non standard de la transition.

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Dans un premier lieu, nous passons en revue les principaux arguments théoriques développés

dans la littérature en vue d’expliquer les divergences dans les trajectoires nationales des SNG

(1). Dans un second lieu, nous exposons les principaux éléments descriptifs du processus

institutionnel dans les pays en développement (2). Nous décrivons, dans un troisième lieu, les

évolutions des caractéristiques institutionnelles qui ressortent des résultats empiriques de

l’enquête 2006 du MINEFE (3). Nous tentons enfin d’analyser le rythme des évolutions des

SNG dans les PAM et les PECO sous l’angle de la politique européenne de voisinage.

2. Les origines de l’évolution des SNG : une analyse théorique

Une littérature récente s’est penchée sur les facteurs susceptibles d’expliquer l’émergence et le

développement des caractéristiques nationales des systèmes de gouvernance117. Ces travaux

mettent en avant de façon complémentaire ou concurrente un certain nombre de facteurs de

nature différente. Ces facteurs peuvent être d’ordre juridique, politique, géographique,

socioculturel ou économique. Nous passons en revue ces différents apports théoriques et

tentons de montrer leur pouvoir explicatif dans l’interprétation de l’origine de la spécificité

des SNG des PAM par rapport aux PECO.

2.1. L’argument juridique

Une première thèse, d’inspiration juridique, développée par La Porta et al. [1997a ; 2000],

tente de repérer l’origine des divergences de SNG dans leur capacité à assurer une protection

des mandants par rapport aux mandataires. Cette capacité protectrice des SNG à l’égard des

actionnaires, dans leurs relations avec les managers, ou du peuple, dans ses rapports avec ses

117 Pour une revue de littérature voir Charreaux [2006].

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élus, dépendrait de l’origine de la tradition juridique. Deux types de fonctionnement

s’opposeraient : le système du common law et celui du civil law. Les défenseurs de cette thèse

préconisent la supériorité du premier système face au deuxième en raison de sa plus grande

souplesse [Johnson et al., 2000] et d’une meilleure adaptabilité aux besoins du développement

économique [Beck et al., 2003a]. En effet, alors que les juges du système coutumier

disposeraient de plus de latitude qu’au sein du système civiliste, notamment pour combler les

vides dus à l’incomplétude des contrats, les juges du système civiliste seraient confinés à un

rôle d’interprétation du code. Ce système, dans lequel les juges sont des fonctionnaires de

l’État, et où le droit écrit prime sur la jurisprudence, place les tribunaux sous domination de

l’État et fait prévaloir le pouvoir étatique sur les droits des individus et sur la régulation de

l’activité économique. Le droit civil serait ainsi associé à une plus grande intervention de

l’État, à une plus faible protection des droits des propriétaires et à une moindre liberté

politique [Djankov et al., 2003 ; Glaeser et Shleifer, 2002].

De nombreuses critiques ont été formulées à l’encontre de cette thèse. Le système du common

law n’apparaît pas intrinsèquement meilleur que le système du civil law, les tests empiriques

n’offrant pas des résultats probants sur cette efficacité comparée [Pistor et al., 2003a, 2003b ;

Pistor et Xu, 2003]. Malgré ces critiques, le rôle du facteur légal dans l’explication des

différences des SNG entre les PAM et les PECO peut avoir un caractère explicatif, même si,

en première analyse, il apparaît non discriminant. En effet, ces deux groupes de pays

disposent d’un système juridique qui s’appuie sur le droit civil et non sur le common law118.

Certes, le droit civil instauré dans les PECO se différencie selon qu’il s’inspire de la tradition

française (Pologne, Roumanie, par exemple) ou germanique (Hongrie). Mais ces pays

entretiennent historiquement une plus grande proximité avec les pratiques du système de

droit civil que celui issu du common law. Les PAM quant à eux ont également une tradition de

droit civil. Si, durant plusieurs siècles, diverses formes de la loi islamique (Shari'a) y furent

dominantes, ces pays ont adopté durant le XIXe siècle les principes, méthodes et codes qui

relèvent de la famille du droit civil. Dans la mesure où les cadres légaux des deux groupes de

pays appartiennent au même système des cadres européens continentaux, on voit mal dans

118 Une étude réalisée par l’université d’Ottawa en 1998 présente les pays selon leur système juridique. L’étude retient six catégories de droit : droit civil (romano-germanique), common law, droit coutumier, droit musulman, droit talmudique, droit mixte (cette dernière catégorie désignant une combinaison des systèmes précédents). Cette étude est consultable sur le site http://www.droitcivil.uottawa.ca/world-legal-systems/fra-monde.html

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quelle mesure ils pourraient être discriminants dans l’explication des différences de SNG

entre les PAM et les PECO.

L’argument juridique ne doit cependant pas être rejeté sans un examen plus approfondi. Si les

systèmes légaux dans les PAM et les PECO reposent sur le droit civil, observons que depuis

1990, en raison de l’accent mis sur des réformes micro (la corporate governance) et macro

économiques (les politiques d’inspiration libérale119), une influence anglo-saxonne est apparue

dans les systèmes légaux des PECO et des PAM. Les deux groupes de pays partagent ainsi la

même difficulté à faire évoluer leur cadre juridique sous l’influence complexe d’une double

tradition, aux modalités de mise en œuvre quelquefois antagonistes120. Toutefois, les PECO

ont l’avantage, sur les PAM, de bénéficier d’une procédure de convergence de leur cadre légal,

avec celui adopté par l’Union européenne, à travers l’adoption de l’acquis juridique

communautaire121. Les PAM, qui ne bénéficient pas de cette perspective, ont en plus

l’inconvénient, par rapport aux PECO, d’être confrontés à une difficulté qui leur est propre.

Ils doivent en effet concilier ces deux traditions avec des éléments juridiques issus de la

Shari'a 122. Une plus grande complexité du cadre juridique en résulte, les principes légaux

islamiques n'étant pas toujours compatibles avec les principes anglo-saxons ou romano-

germaniques123 [Huntington, 1984 ; Lewis Bernard, 2005]. Dès lors, les PAM mettront sans

doute plus de temps que les PECO à faire évoluer leur système légal vers un système

moderne qui intégrera les apports des diverses écoles de pensée juridique. Le délai nécessaire

pour lever les contradictions ou tensions existantes aujourd’hui entre ces différentes écoles

peut être à l’origine du retard dans l’adaptation ou l’adoption des mécanismes de

gouvernement des managers ou des responsables politiques.

119 Voir [Andreff, 2007 : 1ère partie].

120 Aoki [2001a] explique l’échec des pays en transition, notamment, les pays d’Europe de l’Est, à transplanter les schémas anglo-saxon de la gouvernance par l’incompatibilité de ces derniers avec les institutions héritées de l’époque communiste.

121 Voir [Andreff, 2007 : Chapitre 11]

122 Voir Facchini [2008] pour une discussion de la thèse selon laquelle l’islam a été conduit à construire un droit rigide.

123 Radwan et Reiffers [2005] soulignent, par exemple, que la notion anglo-saxonne de trust law, essentielle pour la sécurisation des marchés financiers, apparaît contraire aux principes de la Shari'a. L’adaptation aux normes internationales de la régulation financière risque ainsi de se heurter aux principes légaux islamiques.

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2.2. L’argument politique

Une seconde thèse, de nature politique, a été avancée à l’appui d’une tentative d’explication

des différences des SNG. Elle est issue des travaux de Roe [1994]. Selon cette thèse, les

mécanismes de contrôle et d’incitation des managers seraient d’autant plus efficaces que les

pays s’éloigneraient de l’idéologie social-démocrate. Celle-ci en effet protégerait

excessivement les salariés et n’inciterait pas les managers à créer davantage de valeur ni à

accroître l’efficacité de l’entreprise. Cette idéologie est supposée être moins favorable au

caractère concurrentiel des marchés. Elle favoriserait ainsi les comportements de recherche

de rente. Dans les pays d’inspiration plus libérale, les mécanismes de contrôle du

comportement opportuniste des managers seraient mieux assurés, et les procédures de

surveillance du comportement prédateur des groupes d’intérêt, et du comportement

discrétionnaire des responsables politiques, mieux garanties.

La thèse de Roe a été critiquée par des auteurs qui montrent que les régimes politiques

d’inspiration social-démocrate peuvent être tout à fait favorables à l’économie de marché, au

caractère concurrentiel des marchés et à la protection des droits de propriété [Coffee, 2001 ;

Gourevitch, 2003]. Dans le cas d’une comparaison PAM/PECO, nous aurions du mal, depuis

1990, à opposer frontalement les systèmes politiques de ces deux groupes de pays. En

revanche, l’argument politique semble se situer à un autre niveau que celui retenu par Roe. En

particulier, l’ampleur des privatisations industrielles dans les PECO124, supérieure à celles des

PAM, a vraisemblablement poussé les nouveaux actionnaires de l’Est à faire pression

[Labaronne, 1997, 2002a], davantage que n’ont pu le faire leurs homologues dans les PAM,

sur les acteurs politiques, de façon à obtenir une réglementation juridique qui aille dans le

sens d’une plus grande protection de leurs intérêts. De même, la privatisation dans les

secteurs bancaire et financier, plus poussée dans les PECO que dans les PAM, a incité les

nouveaux acteurs de ce secteur à demander aux politiques de garantir leurs nouveaux droits

en abandonnant toute menace de prédation étatique [Labaronne, 2002a]. Ici, la politique

semble jouer un rôle déterminant en construisant le cadre légal en réponse aux demandes des

différents acteurs économiques. Ceci requiert, néanmoins, un fort pouvoir de contestabilité

124 Voir Andreff [1999 ; 2003b] et Labaronne [1999 ; 2001 ; 2002c].

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des systèmes politiques de la part de ces derniers, comme on peut l’observer dans les PECO

davantage que dans les PAM. Ces derniers, où les libertés politiques et les pratiques

démocratiques sont restreintes, se caractérisent par un système de gouvernance dominé par

un « pouvoir » politique omniprésent et de puissants groupes d’intérêts très restreints qui

entretiennent des relations étroites avec celui-ci [Crystal, 1994 ; Michalet et Sereni, 2006 ;

Yousef, 2004]. Outre la logique de rente qui caractérise ce modèle de gouvernance

[Amarouche, 2004 ; Ross, 2001], la construction du cadre institutionnel ainsi que le processus

de réformes sont conçus sur la base de critères politiques plutôt que sur la base d’une logique

d’efficience économique [Leca et Schemeil, 1983]. Les dirigeants politiques comme les

groupes d’intérêts des PAM ont tout à perdre de la privatisation, du développement de la

concurrence, de l’ouverture à l’internationale, de la modernisation des marchés financiers. Il

est clair qu'ils feront tout pour bloquer le processus de réforme économique. Cette

conception fait de l’argument politique un facteur à ne pas sous estimer dans l’explication

possibles des divergences des SNG entre les PECO et les PAM125.

2.3. La thèse des dotations

À côté des théories juridiques et politiques, une théorie des dotations, en liaison avec une

analyse de la colonisation, a été avancée pour expliquer les divergences des SNG [Sachs,

2001]. Elle s’appuie sur un déterminisme qui fait de la géographie, du climat ou de la géologie

un facteur discriminant. Les pays qui seraient proches de l’équateur, dans des régions très

chaudes où tombent régulièrement des pluies torrentielles seraient les pays les plus mal dotés

en termes de mécanismes de contrôle des dirigeants économiques ou politiques. La critique

de cette conception repose sur l’argument selon lequel une corrélation n'est pas la preuve

d’une causalité. Des auteurs tels que Beck et al. [2001b], Beck et al. [2001a] et Acemoglu et al.

[2001] ont alors cherché des facteurs endogènes qu'ils ont identifiés soit dans l’impact de

l’histoire coloniale sur la formation des institutions des anciennes colonies, soit dans l’impact

des facteurs religieux dans le processus institutionnel.

125 Cet aspect qui concerne le facteur politique dans l’explication de l’émergence des SNG impersonnels et formels sera largement analysé au niveau du chapitre 5.

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Concernant la colonisation, historiquement, deux stratégies opposées peuvent être observées.

L’une repose sur le pillage et l’exploitation des ressources, l’autre sur l’implantation de

population. La première se serait accompagnée d’institutions ne protégeant ni les droits de

propriété ni les droits civiques. La seconde aurait facilité l’instauration d’institutions

protégeant ces deux types de droit. Sur cette base, les auteurs montrent que les régions

prospères du fait de leurs avantages géographiques, avant la colonisation, au XVIe siècle, sont

aujourd’hui parmi les plus pauvres. C’est pour eux une preuve qui infirme la thèse

géographique, puisque dans les mêmes conditions géographiques on assiste à un

renversement de situation. Cette inversion est selon eux conforme à l’hypothèse

institutionnelle liée aux conditions de la colonisation. Les institutions de pillage, centralisées

et autoritaires, faiblement protectrices des droits auraient été maintenues par une élite à la

suite de la décolonisation, notamment en Afrique, ces élites ayant beaucoup à perdre dans la

réforme du cadre institutionnel [Acemoglu et Robinson, 2006]. Les institutions favorables à

l’intégration auraient été mises en place par les colons eux-mêmes soucieux de protéger leurs

propres droits. Ces institutions auraient perduré, comme dans le Nouveau monde, car elles

profitaient au plus grand nombre. Les auteurs n’appliquent pas cette analyse aux cas des PAM

et des PECO, absents de leurs études. On peut néanmoins considérer que le facteur colonial

est en mesure de jouer un rôle discriminant pour expliquer les différences de SNG entre les

deux groupes de pays. Les PAM, notamment les pays du Maghreb, ont eu clairement à subir

les effets, plus ou moins prononcés, d’une colonisation française, durant plus d’un siècle,

visant à l’extraction de ressources [Amarouche, 2004]. Si l’on ne peut pas parler d’institutions

de pillage mises en place par les autorités françaises, le caractère centralisé et autoritaire du

cadre institutionnel français s’est malgré tout retrouvé dans le design des institutions

transplantées dans ces pays [Michalet et Sereni, 2006]. Cette spécificité n’est pas de nature à

favoriser pleinement la contestabilité du régime, reproche que l’on ne peut pas faire aux

PECO dont les systèmes sont de nature beaucoup plus parlementaire.

2.4. L’argument socio-culturel et religieux

S’agissant des facteurs socioculturels, les travaux de Greif [1994a ; 1994b] montrent

l’influence des facteurs culturels sur l’évolution des systèmes institutionnels. L’influence des

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variables religieuses sur l’origine des différences de SNG a été testée par des auteurs tels que

Beck et al. [2003b] et Stulz et Williamson [2003]. Cette démarche s’inscrit dans une analyse

des mécanismes de contrôle de l’opportunisme des dirigeants. En effet, ce type de

comportement n'est pas indépendant du contexte socioculturel dans lequel il s’inscrit,

contexte qui peut être plus ou moins imprégné du facteur religieux et dépendant du niveau de

confiance et de capital social qui prévaut dans la société. Dans le prolongement des travaux

de Putnam [1993] et Fukuyama [1995], qui définissent la confiance et le capital social comme

la propension des individus qui acceptent de coopérer socialement afin d’accroître l’efficience

productive, La Porta et al. [1997a] montrent que le niveau de confiance qui s’établit dans une

société est corrélé positivement au niveau de respect des droits de propriété et des droits

civiques. Ce niveau de confiance dépendrait de la nature des liens d’autorité qui s’observent

dans les systèmes religieux nationaux. Ainsi, plus le système serait hiérarchique et centralisé

(religions catholique, orthodoxe, musulmane), plus les liens d’autorité seraient verticaux,

moins la confiance serait forte et moins la qualité des institutions serait élevée.

L’impact de la variable religieuse est cependant contesté. Coffee [2001] étudie le lien entre

norme morale et systèmes légaux. Il souligne qu'un plus grand sens moral peut faciliter

l’application de la loi mais qu'à l’inverse une plus grande moralité peut permettre de se

dispenser d’un contrôle juridique étroit. Dans le cas des PAM par rapport aux PECO, nous

constatons, certes, des différences dans le système religieux, musulman dans les PAM,

catholique ou orthodoxe dans les PECO126. Mais ces systèmes partagent à peu près les

mêmes caractéristiques du point de vue de la hiérarchisation et de la centralisation de leurs

structures, et n'apparaissent donc pas discriminants dans la littérature sur les divergences des

SNG, sauf à interpénétrer le système légal avec les difficultés que nous avons déjà signalées.

Pour Platteau [2008], les croyances religieuses ne sont que des conséquences des intérêts des

classes dirigeantes. Dans son étude qui porte sur les pays musulmans, il suggère que la

religion, en l’occurrence l’islam, est instrumentalisée par les dirigeants politiques et que seules

les variables d’ordre politique pourraient expliquer les trajectoires institutionnelles de ces

pays. Il rejoint en ce sens la thèse de Rodinson [1966] qui nie tout rôle de l’islam dans

l’explication des évolutions des architectures institutionnelles des pays musulmans.

126 Seule la Hongrie se caractérise par une propension relativement élevée de sa population se référant à la religion protestante.

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2.5. L’argument de la diversité des formes de capitalisme

Un dernier courant théorique doit être évoqué qui propose d’expliquer les divergences des

SNG à travers l’analyse des différentes formes de capitalisme. Hall et Soskice [2001]

suggèrent l’existence de deux grands types de SNG : les économies de marché dites libérales,

qualifiées encore d’impersonnelles, et celles dites coordonnées, appelées encore relationnelles.

Pour les auteurs, le système de coordination dominant dans la première économie repose sur

les mécanismes de marché. La coordination se ferait de façon spontanée, impersonnelle, par

l’intermédiaire des prix et du recours aux contrats formels. Dans la seconde économie, la

coordination passerait davantage par des relations non marchandes, où interviendraient des

mécanismes de réputation et d’échange d’information au sein de réseaux. Boyer [2002]

critique cette approche qui restreint les systèmes de coordination à deux types de modèle.

Pour cet auteur, il est possible de définir d’autres modes de coordination qui conduisent à une

typologie opposant non plus deux, mais quatre types de système de coordination. Cette

démarche identifie quatre configurations fondées sur un mode dominant de régulation. La

première correspond à l’économie impersonnelle ou au système du common law. Elle se

caractérise par une régulation marchande et un respect des contrats dans un cadre formel. La

seconde, qualifiée de social-démocrate, retient les négociations tripartites entre patronat,

syndicat et État comme fondement des formes institutionnelles. Elle correspond au schéma

d’économie relationnelle. La troisième est de nature méso corporatiste. Les ajustements se

font principalement au niveau intermédiaire, notamment au sein de la grande entreprise

conglomérale. La quatrième accorde un rôle central à l’État.

Cette grille d’interprétation des différentes formes de capitalisme, propre aux économies

développées, peut-elle être transposée dans le cas d’économies en transition ou en

développement ? Notre analyse statistique souligne que la typologie des SNG impersonnelles

vs relationnelles est principalement fondée sur le degré de formalisation des règles et la

prévalence des arrangements interpersonnels, plutôt que sur la base d’un mode de

coordination ou d’un système de régulation économique, thèse développée par le courant

régulationniste. Dès lors, nos observations se rapprochent davantage des travaux d’Oman

[2003] et Meisel [2004] qui suggèrent qu’il existerait deux modèles génériques de système de

gouvernance. Le premier reposerait sur des règles informelles et des relations

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interpersonnelles (relationship-based systems). Le second s’appuierait sur un ensemble de règles

formelles et des institutions impersonnelles pour produire et partager la confiance, le pouvoir

et l’information nécessaires au bon fonctionnement de la société (formal rules-based systems). La

formalisation des institutions et leur application effective seraient alors nécessaires pour les

économies en transition ou en développement en ce sens qu’elle contribuerait à diminuer les

coûts de transactions, à réduire l’incertitude, à produire une information viable et, par

conséquent, à produire un climat de confiance nécessaire au bon fonctionnement de la

société et de l’économie. Les résultats de notre étude statistique s’inscrivent dans le

prolongement de cette analyse en soulignant que les PAM accusent un retard important par

rapport aux PECO en matière de formalisation des règles, et qu’ils restent marqués par un

système basé plutôt sur le lien que sur le droit.

Nous proposons, dans la section suivante, d’apporter quelques éléments d’analyse du

processus de formalisation et de dépersonnalisation des institutions ainsi que les facteurs

susceptibles d’entraver son avancement dans les pays en développement.

3. La transition institutionnelle ou le processus de dépersonnalisation des systèmes de gouvernance : un processus de long terme mais indispensable au développement

Nous nous efforcerons dans cette section de répondre à une question qui nous semble

centrale dans la compréhension du changement institutionnel : pourquoi la progression vers

davantage de formalisation et de dépersonnalisation des institutions est quasiment

indispensable pour les pays en développement ?

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3.1. La transition institutionnelle : une analyse à partir de l’argument des coûts de transactions

Une première réponse proviendrait de North [1990] qui propose une lecture du processus

historique de développement à travers l’interaction entre économies d’échelle et

spécialisation, d’une part, et coûts de transactions127, d’autre part. À partir d’un exemple d’une

petite économie fermée, North tente d’illustrer les transformations auxquelles sont

confrontés les pays en développement au fur et à mesure de leur ouverture sur l’économie

mondiale.

Dans une petite économie fermée, les coûts de production sont élevés, étant donné que le

niveau de division du travail et d’innovation est limité, essentiellement, par la taille du marché.

Mais les coûts de transactions sont faibles, puisque ceux-ci s’établissent d’une manière

informelle et sur la base de relations interpersonnelles. Les coûts fixes sont également peu

élevés, car les infrastructures institutionnelles sont peu élaborées. Dans ce type de

configuration, le partage de l’information se réalise d’une manière informelle et les échanges

économiques sont régis et régulés sur la base de relations interpersonnelles et de règles

souvent non écrites. La quasi-totalité des pays en développement ont vu prédominer ce mode

de fonctionnement à un moment donné de leur processus de développement.

Cependant, au fur et à mesure que la population s’accroît, que la taille du marché s’élargit, que

les opportunités d’échanges se multiplient, le coût relatif à la sécurisation des transactions,

notamment sur la base du mode antérieur, devient de plus en plus important. En effet,

l’ouverture de l’économie sur l’extérieur et son intégration dans l’économie régionale ou

mondiale, l’impliquent dans des flux de plus en plus intenses d’informations,

d’investissements, de transactions commerciales et financières avec des acteurs économiques

qui ne sont pas parties prenantes au système national ou local, qui reste marqué par les

arrangements informels. L’apparition de nouveaux acteurs et partenaires potentiels sur le

marché local serait alors de nature à entraîner d’importants bouleversements dans la manière

dont sont gérées les transactions, générant ainsi des coûts supplémentaires. Certains individus

127 Voir Saussier et Yvrande-Billon [2007] pour une analyse complète de « l’économie des coûts de transactions ».

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peuvent être tentés de profiter du contact avec des partenaires évoluant dans un système

d’échange impersonnel en vue de réaliser des gains personnels (avec un concurrent moins

cher, par exemple). D’autres sont tentés de ne plus respecter leurs engagements dans le cadre

du système de relations traditionnelles informelles. Dans un contexte de plus en plus propice

aux comportements opportunistes, les coûts relatifs à la sécurisation des transactions

s’accroissent, notamment ceux nécessaires à la collecte d’information sur un nouveau

partenaire ou ceux qui servent simplement à fiabiliser l’échange.

Ayant atteint un certain niveau, ces coûts supplémentaires deviennent trop lourds à

supporter, notamment à une échelle individuelle. Les relations interpersonnelles de type face-

à-face, génératrices de confiance dans le système antérieur, ne peuvent plus être le seul moyen

de sécurisation des échanges et des transactions [Li, 1999 ; Zucker, 1986]. Une partie de ces

coûts doit être alors mutualisée, institutionnalisée, de manière à limiter la hausse des coûts de

transaction supportés individuellement. D’où la nécessité de mettre en place des règles

formelles, impersonnelles, explicites et l’importance de leur mise en application pour tous.

Des institutions formalisées et convenablement appliquées ont donc cet avantage de réduire

le coût marginal relatif à chaque transition et de traiter – ou de sécuriser – les transactions de

manière égale, quelle que soit l’origine ou la position des personnes ou des entités engagées

dans cet échange. Ainsi, un système institutionnel formalisé et dépersonnalisé permet de

canaliser les comportements individuels et les anticipations de chacun sur le comportement

d’autrui. Il offre des sécurités et des protections qui sont de nature à inciter les acteurs

individuels à profiter des gains potentiels de productivité, qui pourraient être réalisés à travers

des économies d’échelle ou du progrès technologique.

Cet exemple simplifié nous donne une idée sur les gains à tirer de la transition d’un système

informel fondé sur des relations interpersonnelles, vers un système formalisé et

dépersonnalisé, notamment en termes de réduction des coûts de transactions, de réduction de

l’incertitude et, par conséquent, de l’accroissement du niveau de confiance.

Les pays actuellement développés ont, en effet, procédé à la dépersonnalisation progressive

de leurs systèmes économiques et politiques en construisant des institutions plus formelles,

basées sur l’écrit et des règles connues par tous, tout en mettant en place des dispositifs

censés les appliquer et les faire respecter. L’instauration de ces institutions formelles et de la

règle de droit a indéniablement contribué au développement de ces pays, leurs systèmes de

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gouvernance ayant permis d’assurer, d’une manière systémique, un niveau de confiance très

élevé.

La grande majorité des pays en développement a, au contraire, vu le niveau de confiance

s’estomper suite à un certain nombre d’évolutions qui, par ailleurs, sont totalement exogènes

aux institutions : l’accroissement démographique qui entraîne une multiplication des acteurs,

l’urbanisation croissante, l’ouverture sur l’extérieur qui engendre l’extension de l’espace

géographique des échanges économiques internationaux et l’entrée de nouveaux acteurs

étrangers, l’élargissement de la taille du marché, la pression exercée par les institutions

internationales et les différents bailleurs de fonds d’aide au développement, la pression

exercée sur les acteurs politiques dans le cadre d’accords régionaux politiques ou

économiques, etc. Dans ces conditions, les systèmes de gouvernance informels et

interpersonnels se trouvent de plus en plus vulnérables et inaptes à produire le même niveau

de confiance qu’ils pouvaient jadis réaliser, à l’abri des protections et selon des pratiques

d’échanges traditionnelles.

3.2. Le système informel : un cadre non propice à la logique de maximisation du profit

Conjugué à un niveau d’incertitude et de complexité de plus en plus important, le système

informel devient d’autant plus inadapté qu’il laisse les agents économiques prendre des

risques élevés, à la fois sur le plan personnel (faire face à la corruption et à l’arbitraire

administratif, subir les faibles protections du système judiciaire, affronter la maladie) et sur le

plan collectif (accidents climatiques, instabilité sociale et politique). En l’absence d’institutions

formelles susceptibles de prendre en charge ces risques, un acteur économique – un

entrepreneur, par exemple - ne peut atteindre un haut niveau de rendement et son horizon

demeure court. Il cherchera d’abord à diversifier ses activités afin de minimiser les risques

encourus. Par conséquent, sur la base de ses investissements, souvent dispersés et de court

terme, il ne pourra tirer profit des éventuelles économies d’échelles ou d’accroissement de la

productivité lié au progrès technologique. La maximisation de ces gains potentiels n’est

possible, à grande échelle, que sous des institutions de marchés et des institutions publiques

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dépersonnalisées, offrant des protections et des sécurités institutionnalisées et généralisées à

l’ensemble de la société.

Greif [1994a ; 1994b] illustre parfaitement les effets positifs d’un cadre institutionnel formel

sur les échanges commerciaux. Dans le cadre d’une approche historique du processus

institutionnel, il compare les commerçants génois, de culture individualiste, et maghrébins

(des juifs au sein du monde musulman), de culture davantage collectiviste, pratiquant le

commerce au sein du bassin méditerranéen au XIe et XIIe siècles. Ces derniers ont développé

des réseaux de communication communautaires qui se sont révélés d’une efficacité limitée

pour assurer des relations avec des commerçants d’origine ethnique différente. Les

commerçants génois ont, quant à eux, mis en place des mécanismes bilatéraux de contrôle

avec un niveau limité de communication, qui ont débouché sur des organisations formelles et

politiques, pour suivre et sanctionner les accords établis, qui sont apparus plus favorables à

l’extension des échanges. Les commerçants génois ont finalement supplanté les commerçants

maghrébins. En outre, Greif observe une similitude entre l’organisation sociale des seconds et

les pays contemporains en développement, tandis que celle des premiers ressemble aux

institutions qui ont prévalu dans l’histoire occidentale.

3.3. La transition vers un système formalisé et dépersonnalisé reste laborieuse dans la majorité des pays en développement

Les pays en développement marquent encore un déficit important en termes d’institutions

formelles, et plus particulièrement en termes d’application de ces institutions. Comme nous

avons pu le constater au niveau de notre analyse empirique au chapitre précédent, le niveau

d’application des règles formelles et le degré d’autorité que celles-ci sont censées exercer sur

les acteurs économiques et politiques demeure faible. Le cadre réglementaire est opaque,

l’information est très peu disponible, les garanties de sécurité des transactions et des contrats

sont très faibles et la confiance y est produite et partagée sur la base d’arrangements basés sur

le lien. Les sociétés du Sud restent incapables de faire émerger des systèmes formalisés

suivant un processus élaboré d’une manière interne et émanant de l’action collective des

individus composant la société. Ce processus est en effet de nature à provoquer une érosion

considérable des pratiques traditionnelles et des rentes diverses. D’où les multiples difficultés

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et résistances internes qui rendent le processus de changement institutionnel plus complexe et

plus long dans le temps. Ainsi, comme le souligne [North, 2005a : p.216] le processus du

changement lui-même est un facteur aggravant, car il peut rendre les solutions issues de

l’expérience du passé impraticables dans des contextes nouveaux et sans précédent.

Ces pays doivent essentiellement relever un double défi : d’une part, la dépersonnalisation des

systèmes de gouvernance, d’autre part, la formalisation des règles et des institutions de

gouvernance. L’avancement dans le processus de transformation institutionnelle est

principalement fonction de l’avancement simultanée de ces deux mouvements qu’on pourrait

qualifier « d’asymétriques », selon les termes de Meisel et Ould Aoudia [2007a]. Cette

asymétrie constitue l’une des difficultés majeures à laquelle sont confrontés les pays en

développement dans leur processus de changement institutionnel. En effet, les sociétés

réagissent différemment face à cette coévolution des deux processus de formalisation et de

dépersonnalisation [Aoki, 1995]. Le processus de dépersonnalisation des systèmes

institutionnels implique nécessairement une baisse du respect de la parole au profit de celui

des règles formelles et de l’écrit. Or, celui-ci aura du mal à s’imposer aussi rapidement que la

mise en place des règles formelles dans certaines sociétés, celles notamment qui souffrent

d’un faible taux d’alphabétisation ou celles qui peinent à normaliser les procédures et à

construire des instances de recours accessibles, crédibles et efficaces. On peut assister

également à une juxtaposition, à un même moment, en un même lieu, d’activités formelles et

informelles128. Certains secteurs peuvent intégrer la sphère formelle alors que d’autres

demeurent sur un registre informel. Un même acteur peut jouer simultanément sur les deux

registres (Par exemple des clients formels et des fournisseurs informels)129.

Dans de nombreux pays en développement, le processus de dépersonnalisation des systèmes

institutionnels, conjugué à des évolutions exogènes aux institutions tels que l’exode rural, la

baisse de la taille des familles et la diffusion du modèle occidental d’individualisation des

comportements, a provoqué une grande érosion des différentes solidarités traditionnelles

interpersonnelles. Cette érosion s’est effectuée le plus souvent sans que des formes de

solidarités institutionnelles alternatives (Assurances maladie, Chômage, vieillesse) ne soient

instaurées. Ainsi, ce mouvement global de dépersonnalisation des sociétés du Sud fait perdre

128 Voir l’analyse éclairante à ce sujet de Richet et Huchet [2002] portant sur l’exemple particulier de la Chine.

129 Voir [Ben Abdelkader et Najman, 2005] pour le cas des pays du Maghreb.

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des sécurités informelles sans une protection équivalente sur le terrain des sécurités formelles

institutionnelles130.

L’introduction de nouvelles règles juridiques peut engendrer des conflits avec des juridictions

traditionnelles ou d’origines religieuses déjà établies depuis des siècles. Au niveau du droit de

propriété, par exemple, on peut voir coexister plusieurs systèmes juridiques : des systèmes

traditionnels fondés sur le témoignage des personnes, des systèmes religieux (par exemple, les

règles relatives à l’héritage dans la Shari'a islamique), des systèmes hérités des périodes

coloniales. Les résistances aux nouvelles formes juridiques, portées par des traditions et des

intérêts établis, poussent à une forme complexe de superposition de ces systèmes131. Ceci est

susceptible d’affecter l’environnement juridique, et serait de nature à freiner les transactions et

l’investissement, la sécurité des contrats et des droits de propriété n’étant pas assurée.

Les exemples, évoqués ci-dessus, de perturbations des équilibres sociaux, économiques ou

politiques, provoquées par les processus de dépersonnalisation et de formalisation des

systèmes institutionnels, témoignent de la complexité du processus de transition

institutionnelle. Ce dernier implique des phases d’incertitude accrue, où les règles et les

systèmes anciens deviennent inadaptés (loyauté, respect de la parole, solidarités

traditionnelles, etc.), tandis que les règles nouvellement instaurées fondées sur le droit

impersonnel et la primauté de l’écrit, peinent à s’imposer et à s’imprégner au sein de la

société. Dans certains cas, ces règles formelles, transplantées sur la base des modèles anglo-

saxons indépendamment des caractéristiques locales ou nationales, se retrouvent tout

simplement rejetées et mal appliquées, provoquant ainsi la superposition de deux sphères

formelle et informelle, ce qui se traduit souvent par un accroissement de la corruption et des

activités délictueuses. Ceci nous amène à dire que, selon les pays, la transition institutionnelle

peut être accompagnée d’une hausse de l’incertitude, d’une précarisation croissante et d’une

augmentation de l’insécurité des personnes, et par conséquent d’un recul de la confiance.

130 Voir [Andreff, 2007 : Chapitre 10] pour une analyse complète « des coûts sociaux de la transition ».

131 Voir à ce propos les travaux de Hibou [1999 ; 2006a ; 2006b] concernant le cas de la Tunisie.

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3.4. La construction d’une infrastructure formelle n’est pas à la portée de tous les pays en développement

Au-delà des résistances diverses et des bouleversements qui touchent les différents équilibres

de la société et qui viennent handicaper le processus de changement institutionnel, il convient

de souligner une difficulté supplémentaire qui concerne le financement de la formalisation

des règles. En dépit de leurs avantages indéniables, les systèmes de gouvernance formalisés et

impersonnels impliquent des coûts fixes très élevés à la charge de la collectivité. En effet, la

construction d’une infrastructure légale et juridique ainsi que la mise en place d’organismes de

surveillance et de régulation requièrent de lourds investissements financiers et humains. La

plupart des pays en développement ne disposent pas des moyens nécessaires à un tel

investissement à court ou à moyen terme. Lê Châu [1992] montre comment le Mali et le

Sénégal ont dû solliciter des aides internationales dont une partie était destinée au paiement

des fonctionnaires, les citoyens maliens ayant longtemps refusé de payer l’impôt [Champaud,

1992]. La formalisation des systèmes institutionnels dans les pays développés a été réalisée

moyennant des investissements considérables qui se sont étalés sur une très longue période132.

Si on peut aisément saisir l’utilité de ces investissements, en ce sens qu’ils permettent de faire

baisser considérablement le coût marginal de chaque transaction individuelle, en mutualisant

les coûts et les risques liés aux échanges entre divers acteurs par des institutions publiques (ou

privées, par exemple bancaires), leur mise à disposition pour les pays en développement est

une tâche beaucoup moins simple. À cet égard, il nous semble intéressant de nous interroger

dans quelle mesure l’aspect financier contribue à écourter la transition institutionnelle.

Nous proposons, dans ce qui suit, d’examiner les dynamiques institutionnelles au sein de

l’ensemble des groupes de pays concernés par la base MINEFE, sur la base de l’évolution des

indicateurs institutionnels relatifs entre les deux enquêtes 2001 et 2006. Nous tentons de

situer les différents pays selon leur niveau d’avancement dans le processus de formalisation

des institutions. Nous cherchons ensuite à examiner le rôle de l’UE dans le niveau

132 Selon Meisel et Ould Aoudia [2007a : p.26], la part des dépenses publiques rapporté au PIB, qui peut constituer un bon indicateur des coûts nécessaires au maintien d’une infrastructure formelle, oscille entre 35 et 50% dans les pays développés. Cet indicateur varie entre 15 et 25% du PIB dans les pays en développement.

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d’avancement dans la transition des PAM et des PECO. Dans cette perspective, nous

examinons l’impact des aides financières qui ont accompagné la politique européenne de

voisinage, sur le rythme de la transition de chacun des pays.

4. Dynamiques institutionnelles : analyse empirique comparative

Le renouvellement de l’enquête du MINEFE « profils institutionnels » en 2006, auprès de 85

pays, nous offre une deuxième photographie de l’état des institutions dans chacun des pays

observés et nous permet de suivre l’évolution des institutions de gouvernance de ces pays.

Afin d’appréhender les transformations institutionnelles au sein des PAM et les PECO, nous

avons procédé à la reproduction de l’analyse en composante principale en utilisant les

données de l’enquête 2006 du MINEFE. Nous adoptons ainsi la même démarche que nous

avons suivie au chapitre précédent à partir des données de 2001. Nous mobilisons les mêmes

variables institutionnelles133 (annexe 5) afin de pouvoir procéder à des comparaisons

susceptibles de nous renseigner sur les éventuelles évolutions au niveau des systèmes de

gouvernance. Les résultats de l’ACP appliquée aux données de 2006 sont présentés dans la

figure 10 (voir également l’annexe 7, figure 20 et l’annexe 8, tableau 14).

Les résultats issus de l’enquête 2006 sont globalement convergents avec ceux tirés de

l’enquête 2001. Les phénomènes décrits sont globalement peu susceptibles de subir des

modifications substantielles dans un laps de temps aussi court. Néanmoins, cette convergence

témoigne d’une certaine robustesse de la base de données du MINEFE.

133 L’ACP relative aux données de 2006 comporte 34 variables au lieu des 36 variables initialement retenues pour l’ACP de 2001. En effet, deux variables (B704 et A106 dans l’annexe 5) n’ont pas été reproduites par l’enquête 2006.

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Figure 10. Analyse empirique multidimensionnelle des variables institutionnelles de gouvernance (Enquête MINEFE 2006)

Note : Cette figure est le résultat de l’application d’une ACP sur 36 variables institutionnelles (actives). Elle représente la projection des points-pays sur le premier plan factoriel.

Visualisation des résultats à l’aide du logiciel SPAD

Source : Calcul des auteurs à partir des données de la base de données du MINEFE.

Systèmes de gouvernance

impersonnelle basés sur des

règles formelles

Faibles pressions des marchés internationaux

Systèmes de gouvernance dominés par les relations interpersonnelles et informelles

PAM PECO

Ouverture sur l’extérieur / fortes pressions des marchés internationaux

Groupe 1

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L’examen de la figure 10 (résultats de l’enquête de 2006) révèle un certain nombre de

mouvements des points représentatifs des pays sous revue par rapport à leurs positions dans

la figure 9 (résultats de l’enquête de 2001). Les pays qui ont connu une variation relativement

significative de leur position par rapport à celle de l’ACP 2001 ont été entourés par un

cercle134. Le sens du mouvement des points pays a été indiqué par une flèche.

Il ressort globalement de cette comparaison deux types de mouvements. Le premier concerne

la Roumanie et la Bulgarie qui ont migré dans les sens Est-ouest, se rapprochant ainsi des

PEO en particulier et des pays caractérisés par un système de gouvernance basée sur des

règles formelles. Le deuxième concerne l’Algérie, le Maroc et, dans une moindre mesure,

l’Égypte et la Syrie qui ont effectué un mouvement Nord-Sud. Seule la Tunisie a connu un

mouvement Est-Ouest de sa position sur la période 2001-2006. Ces deux principales

tendances semblent confirmer l’hypothèse que nous avons émise dans le chapitre précédent

qui suggère un mouvement de rotation des points-pays dans le sens des aiguilles d’une

montre. Autrement dit, ces tendances sont le reflet de la transition institutionnelle qui s’opère

au sein des PVD observés dans cette étude. Elles marquent une évolution du système de

gouvernance informelle de ces pays vers un système davantage formalisé, tout en soumettant

l’économie de ces pays aux contraintes de l’insertion internationale et aux pressions des

institutions et des marchés internationaux.

Un regard plus approfondi sur ces évolutions permet de mettre en évidence deux principaux

constats. D’une part, la Bulgarie et la Roumanie semblent rattraper le retard accumulé par

rapport aux PEO au niveau du processus de transition institutionnelle. Une convergence vers

un modèle davantage formalisé et respectueux des règles du droit semble ainsi en cours.

D’autre part, les PAM (à l’exception de la Tunisie), en se dirigeant vers le bas du plan

factoriel, semblent s’ouvrir d’avantage sur l’extérieur et s’exposer ainsi aux fortes pressions

des marchés internationaux et à celles des institutions internationales ou des accords

multilatéraux. Cependant, ces pays ne semblent pas progresser dans le sens d’une

dépersonnalisation de leurs systèmes de gouvernance et d’une application plus effective des

règles formelles. Ces résultats confirment ceux observés au niveau du chapitre 3 en ce sens

que la qualité des systèmes nationaux de gouvernance de ces pays, aussi bien au niveau public

que privé, reste en deçà du niveau nécessaire compte tenu du degré de développement

134 Dans le cadre de ce travail, nous limitons notre champ d’intérêt aux PAM et aux PECO.

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économique et du degré d’ouverture aux échanges internationaux. Malgré une pression

étrangère de plus en plus importante et la nécessaire transformation des institutions de

gouvernance en vue de répondre aux exigences de l’investissement étranger, les PAM ne

semblent pas s’engager vers la voie d’un renforcement des institutions formelles et des règles

de droit. Ce retard dans le processus d’institutionnalisation des PAM contraste avec le rythme

plus ou moins soutenu qu’ont connu les PECO. Ce décalage dans la transition institutionnelle

entre ces deux groupes de pays, qui disposaient de conditions initiales plus ou moins

similaires au début des années 90, s’explique-t-il par les différences dans la nature des

relations qui les unissent avec l’UE ?

5. Le rôle de l’UE dans les trajectoires différenciées des SNG des PAM et des PECO

Sur la base des résultats de notre analyse factorielle pour les années 2001 et 2006, nous avons

tenté de traduire les évolutions relatives au processus de transition institutionnelle durant

cette période dans le schéma 2 ci-dessous. Ce schéma illustre notre idée selon laquelle, au fur

et à mesure que les PVD sont insérés dans l’économie mondiale, leur SNG serait amené à

progresser d’un système institutionnel dominé par les arrangements informels vers un

système davantage formalisé et impersonnel. Suivant cette idée, les PVD qui se trouvent

initialement dans le cadrant Nord-Est (situation initiale dans le schéma 2) et correspondant

aux caractéristiques du groupe 2 (développées supra) auront tendance à converger vers le

modèle de gouvernance qui caractérise les pays du groupe 1. Cette évolution est un processus

complexe, plus ou moins long selon les pays, et ne se réalise pas spontanément sur un mode

qui permet la formalisation des systèmes de gouvernance d’une façon linéaire. Chaque pays

fera face à des situations ou à des acteurs, à des phases différentes de cette progression, qui

sont susceptibles d’accélérer ou de ralentir, voire de bloquer ce processus. Cependant,

l’intégration des PVD dans l’économie internationale requiert des institutions transparentes et

responsables, aptes à produire une information fiable et un climat de confiance propice à

l’investissement.

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Si l’objectif à atteindre – ou recommandé - est désormais connu, les moyens d’y parvenir

diffèrent d’un pays à un autre. Dans le schéma 2, on distingue essentiellement deux types de

trajectoires qui se différencient essentiellement par le rythme d’avancement dans le processus

de transformations institutionnelles. Le premier est représenté par la flèche n° 1, qui désigne

le chemin parcouru par les PECO sur le plan factoriel, pendant la période 2001-2006. Ce

parcours serait, selon nous, beaucoup plus court dans le temps que celui emprunté par les

PAM. Ces derniers sont supposés suivre le deuxième type de trajectoire, représenté dans

notre schéma par la flèche n° 2, qui suggère une transition plus longue. Comment peut-on

expliquer cette différence dans le rythme de la transition institutionnelle des deux groupes de

pays ?

Nous soutenons l’idée que le rythme de la transition institutionnelle peut être expliqué, du

moins en partie, par la nature de la PEV vis-à-vis de chacun des groupes de pays voisins de

l’UE. La PEV est considérée ici comme un vecteur déterminant de la transition

institutionnelle de ces pays. En effet, les PECO, dont le rythme de la transition a été

relativement rapide, ont bénéficié de « l’effet frontière » de l’UE qui, selon les analyses de

Berglöf et Roland [1997], joue un rôle déterminant dans le processus de réformes de ces pays.

L’ancrage offert à ces pays par les perspectives d’adhésion à l’UE a stimulé d’une manière

considérable les réformes institutionnelles de nature politique et économique [Roland et

Verdier, 1999]. Ces réformes, imposées par l’obligation de se conformer à l’acquis

communautaire selon un calendrier strict, ont fortement contribué à la mise en place d’un

dispositif de gouvernance censé contrôler l’action des managers des firmes et des dirigeants

politiques, ainsi qu’à restreindre les marges d’action des groupes d’intérêt privés.

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Systèmes institutionnels dominés par les arrangements interpersonnels et informels

Ouverture sur l’extérieur - Forte pression des marchés internationaux

Ouverture sur l’extérieur maîtrisée

Systèmes de gouvernance fondés

sur des règles formelles et

impersonnelles

Situation initiale (PVD)

Ouverture sur l’extérieur restreinte et contrôlée par l’Etat

ALG EGY

MAR

TUN

SYR

ROM

BUL

PEC

FRA

USA ALL

1

2 (1) Adhésion à l’UE (2) Partenariat et accord de libre échange

Schéma 2. Transition institutionnelle et impact de la PEV

Source : établi par les auteurs.

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Les PAM, au contraire, ont connu d’importantes résistances qui se sont manifestées,

notamment par la lenteur des négociations pour la signature des accords d’associations avec

l’UE, comme en témoigne le tableau 5. En effet, le partenariat proposé par l’UE aux PAM,

qui prévoit la constitution d’une zone de libre-échange avec pour horizon l’année 2010, n’a

été entamé que récemment, à l’exception de la Tunisie et du Maroc en avance sur ce plan, la

Syrie n’ayant toujours pas ratifié son accord avec l’UE. Les multiples résistances internes qui

entravent la mise en place du partenariat euro-méditerranéen, qu’elles proviennent des

régimes politiques en place ou des groupes de pressions privés, constituent un des facteurs les

plus déterminants dans l’explication de la lenteur de la transition des PAM (flèche n° 2 –

Schéma 2). La Banque Mondiale [World Bank, 2003b] décrit, d’une manière approfondie, la

structure politique de ces pays et désigne clairement leurs « élites », agissant tant au niveau

public que privé, comme étant les principaux obstacles aux réformes.

Tableau 5. Étapes de la constitution de la zone de libre-échange dans les PAM

PAYS Entrée en vigueur de l’accord

d’association Fin de la période de transition de 12

ans

Israël 2000 En ZLE depuis 1988, avant le

lancement du Partenariat euro-méditerranéen

Tunisie 1998, mais application unilatérale

dès 1996 2008

Autorité palestinienne 1997 (accord intérimaire)

Maroc 2000 2012 Jordanie 2002 2014 Liban 2003 (accord intérimaire) 2015 Égypte 2004 2016

Algérie 2005 2017

Syrie en cours de ratification

Source : Ould Aoudia J. [2006b]

Certes, le partenariat euro-méditerranéen ne présente pas les mêmes impératifs (l’alignement à

l’acquis communautaire), ni les avantages (aides financières, programmes d’aide au

développement), ni les retombées (flux d’IDE, transferts de technologie) du contrat

d’adhésion proposé aux PECO135. Le partenariat proposé par l’UE n’a pas permis de poser

les contraintes institutionnelles qui seraient de nature à influencer les dirigeants des PAM 135 Voir Andreff [2007 : Chapitre 11] pour une analyse des conditions d’adhésion des PECO à l’UE.

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dans le sens d’une relance du processus de réformes institutionnelles136. À cet égard, Michalet

et Sereni [2006] soulignent que le changement des systèmes de gouvernance (dans les pays du

Maghreb) ne peut être le résultat d’une auto-réforme du pouvoir en place. Le changement

proviendrait, selon ces auteurs, de la poussée des besoins du secteur privé pour faire face aux

nouvelles contraintes générées par l’ouverture des économies vers l’extérieur, à travers, dans

une première étape, les conséquences des accords de libre-échange qu’ils ont signés avec

l’Union européenne. La zone de libre-échange en cours d’application dans ces pays,

notamment via le désarmement douanier, est de nature à éroder les rentes constituées à l’abri

des protections douanières et à créer un levier puissant en faveur du processus de

transformations institutionnelles. Or, force est de constater que la faiblesse des systèmes de

gouvernance et la persistance des arrangements interpersonnels (Figure 9 et 10) laissent de

vastes plages discrétionnaires en faveur des élites dirigeantes. Soucieuses de préserver leurs

privilèges, elles vont conduire le processus de réformes en fonction de leurs agendas privés.

La forte imbrication des intérêts publics et privés et le difficile désengagement de l’État de

l’appareil productif dans la plupart des PAM, qui demeure encore largement sous l’empreinte

du modèle de développement auto-centralisé, sont des éléments déterminants dans

l’explication des blocages des réformes dans les PAM [Ould Aoudia, 2006b].

Outre les blocages internes au sein des PAM, d’autres aspects viennent expliquer la laborieuse

transition de ces pays par rapport à celle des PECO, à savoir ceux liés aux aides financières

accordées par l’UE. L’examen de la politique européenne en matière d’aides financières au

développement fait ressortir de larges disparités entre celles accordées aux PAM et celles

versées aux PECO (Tableau 6). En effet, durant la période 1995-2004, l’UE a adopté deux

stratégies d’aides totalement distinctes selon qu’il s’agit d’une intégration ou d’un partenariat.

La politique européenne d’aide au développement s’est soldée, à la fin de cette période, par

un écart marquant en faveur des PECO qui ont bénéficié d’une aide (19.96 milliards de €) six

fois supérieure à celle accordée aux PAM (3.25 milliards de €). Cette asymétrie est encore plus

marquante si l’on tient compte des montants de l’aide rapportés au nombre d’habitants : le

rapport est de l’ordre de 1 à 15 avec une aide par habitant de 18 € pour les PAM contre 270 €

pour les PECO, aide reçue depuis 1995 (Figure 11). Il est à noter également l’inefficacité du

programme MEDA137 en termes d’acheminement de l’aide. Sur la période 1995-2004, le

136 Voir Ould Aoudia [2006b] pour une analyse du retard dans le processus de réformes dans les PAM.

137 Les PAM sont liés à l'Union Européenne par un réseau d'accords de coopération et d'association, qui organisent les exportations de produits industriels et agricoles de ces pays et l'aide financière. La déclaration de Barcelone

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différentiel entre les engagements et les aides réellement versées est considérable (Figure 12).

Bien que la tendance à la hausse soit encourageante, ce dysfonctionnement dans

l’acheminement de l’aide et le manque d’opérationnalité du programme MEDA ont eu un

impact prépondérant dans la mise en place du partenariat euro-méditerranéen et, par voie de

conséquence, sur le processus de transition des PAM.

Tableau 6. L’aide au développement de l’UE

Dépenses de l’Union européenne

Programmation 1995-1999

(en milliards €)

Programmation 2000-2004

(en milliards €)

Cumul de 1995 à 2004

(en milliards €)

PHARE Instrument d’aide économique et

technique en faveur des pays candidats d’Europe centrale et orientale

6,767 6,24 13,007

ISPA Instrument de pré-adhésion

contribuant à la réalisation d’objectifs de cohésion sociale,

environnement, transports, assistance technique

4,16 4,16

SAPARD

Programme spécial d’adhésion pour l’agriculture et le développement rural

2,8 2,8

Total des programmes PECO

6,767 13,2 19,967

Programme MEDA PAM

(coopération bilatérale et régionale) 0,87 2,38 3,25

Source : Commission européenne [European Commission, 2005].

adoptée en 1995 a initié le partenariat euro-méditerranéen et a lancé le programme MEDA I (Mesures d’accompagnement) qui octroie des aides financières et une assistance technique aux PAM. Le programme MEDA II constitue la deuxième phase du partenariat pour la période 2000-2006. Il a pour objectif de renforcer l'intervention européenne dans les PAM: soutien de la stabilité politique et de la démocratie, création d'une zone de libre-échange, coopération dans le domaine social, culturel et humain.

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Figure 11. Poids démographique et aide européenne par habitant

Source : établi par les auteurs à partir des données de la Commission européenne [European Commission, 2005].

Figure 12. Engagement et paiement de l’aide européenne vers les PAM

0

200

400

600

800

1000

1200

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005

En M illions €

Engagements

Paiements

Source : établi par les auteurs à partir des données de la Commission européenne [European Commission,

2001a, 2006].

L’asymétrie en termes d’aides au développement, soulignée supra, peut expliquer, du moins

en partie, le retard accusé par les PAM au niveau de la transition institutionnelle par rapport à

celle des PECO. L’aide importante accordée à ces derniers a constitué un élément décisif

dans sa transition, en ce sens qu’elle a fortement contribué à la construction de

l’infrastructure institutionnelle et à combler, entre autres, les pertes en termes de recettes

douanières ou bien de rentes constituées jadis à l’abri des barrières à la frontière. Les aides

prévues pour les PAM n’étaient pas à la hauteur de ce défi. L’argument de l’aide financière en

tant que facteur explicatif du retard des PAM tient essentiellement à l’idée suivante : le

processus de transformation des systèmes de gouvernance d’un modèle institutionnel

informel à un modèle davantage formalisé et dépersonnalisé implique des coûts fixes très

élevés pour la collectivité [Andreff, 2007 : Chapitre 10]. La construction d’un environnement

institutionnel de type formel requiert d’importants investissements en infrastructures légales

et judiciaires et en organismes de surveillance et de régulation : pour définir et faire appliquer

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les codes, les normes, les standards, les garanties, le droit de propriété, le droit commercial, le

droit des sociétés, la réglementation relative à la faillite, etc. Comme la plupart des pays en

voie de développement, les PAM ne disposent pas des moyens nécessaires à un tel

investissement et doivent faire face à des contraintes aussi bien en termes de ressources

financières qu’humaines138. Cela nous mène à dire que, sans un appui financier efficace et

proportionnel aux besoins des PAM, l’évolution vers une culture de gouvernance formalisée

ressemblera plus à un processus de long terme, d’une durée plus importante que celle

observée chez les PECO. Le long rythme du processus de transition des PAM supposé dans

le schéma 2 serait ainsi justifié en partie par les disparités de l’aide dans le cadre de la PEV.

Faute de ressources financières suffisantes, les PAM s’orientent de plus en plus vers d’autres

voies susceptibles d’apporter le complément financier au programme d’aide européen. Ces

sources potentielles de financement peuvent se trouver dans la signature d’autres accords

d’associations ou de partenariat de type Nord-Sud, tels que ceux contractés par certains PAM

avec les Etats-Unis, ou de type Sud-Sud, tels que les accords d’Agadir ou ceux relatifs à la

zone arabe de libre-échange. L’objectif est de stimuler les échanges commerciaux et d’attirer

les investissements directs étrangers, véritables mannes financières pour les PVD. En effet, de

nombreux travaux dressent le bilan très mitigé du partenariat euro-méditerranéen et

soulignent l’absence d’une vision stratégique claire et audacieuse à la hauteur des profonds

déséquilibres de part et d’autre de la Méditerranée. Quant au développement de la zone de

libre-échange, des doutes pèsent sur sa faisabilité à l’horizon de 2010 [Moisseron, 2005 ;

Radwan et Reiffers, 2005], ce qui retarderait encore plus le processus de transition ainsi que

celui des réformes institutionnelles dans les PAM. Face aux modestes avancées du processus

de Barcelone [Moisseron, 2005], les PAM ont multiplié et diversifié les accords de libre-

échange tant d’une manière bilatérale que multilatérale (Tableau 7). Cette ouverture, plus ou

moins prononcée selon les PAM, s’observe au niveau de notre analyse multidimensionnelle.

À cet égard, l’exemple du Maroc est significatif de part sa position qui se rapproche de la

zone des pays subissant le plus de pressions des institutions et des marchés internationaux.

Ce pays est celui qui, parmi les PAM, a signé le plus d’accords de libre-échange, la Syrie est au

dernier rang et se place dans le cadrant Nord-Est du plan factoriel, synonyme d’une ouverture

138 L’appui financier est un facteur déterminant pour la construction d’une infrastructure institutionnelle viable dans les PVD. Néanmoins, l’opérationnalité de cette infrastructure ainsi que celle des organes de régulation et de surveillance requiert une période suffisamment longue pour qu’elles soient adoptées par les différents acteurs de la société et surtout les investisseurs locaux ou étrangers. Le support financier ne génère pas systématiquement des institutions efficaces et ne permet pas nécessairement de créer un climat de confiance.

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sur l’extérieur relativement limitée. L’ouverture des autres PAM aux marchés internationaux,

qui les rapproche du cadrant sud du plan factoriel, marque la volonté de ces pays d’aller vers

d’autres alternatives que le processus de Barcelone pour combler leur besoin de financement.

Cette tendance se traduit par la flèche 2 du schéma 2, qui indique la trajectoire que les PVD

sont supposés emprunter pour évoluer vers un système formalisé. Le passage par le Sud – du

plan factoriel – est alors quasi vital pour les PVD, leur permettant de financer leur transition.

En revanche, le rythme d’avancement de ce processus de transition peut être

considérablement élevé s’il est accompagné d’une politique d’assistance financière et

technique, cas des PECO dont le rythme de transition a été fortement tiré par la perspective

d’adhésion à l’UE. La PEV apparaît alors comme un vecteur déterminant de la transition

économique et institutionnelle.

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Tableau 7. Panorama des Accords de libre-échange des PAM

Partenariat euro-méditerranéen Accord d’Association UE/PPM

Ligue Arabe Greater Arab Free

Trade Area

Accord d’Agadir

Accords bilatéraux PPM/USA

Adhésion à l’OMC

Objectif Zone de libre-échange en 2010 Zone arabe de libre-

échange en 2008

Zone arabe de libre-échange en

2008

US-Middle East Trade Initiative – Free Trade Area

Signature de l’accord 01.02.1997 25.02.2004 Entrée en vigueur de

l’accord 01.01.1998

01.01.2005 (retardée ratification en cours)

Algérie

Accord signé le 22.04.2002 (en cours de ratification)

Non-signataire Observateur

Autorité Palestinienne

Accord intérimaire signé le 24.02.1997 entré en vigueur le 01.07.1997

Non-signataire 1996

Égypte

Accord signé le 25.06.2001 Entré en vigueur le 01.06.2004

Signataire et mise en œuvre du programme

Signataire Adhésion le 30.06.1995

Israël

Accord signé le 20.11.1995 Entré en vigueur le 01.06.2000

Signé et en vigueur le 22.04.1985

Adhésion le 21.04.1995

Jordanie

Accord signé le 24.11.1997 Entré en vigueur le 01.05.2002

Signataire et mise en œuvre du programme

Signataire

Signé le 01.07.1997 Entré en vigueur 01.01.2001

Adhésion le 11.04.2000

Liban

Accord signé le 17.06.2002 (en cours de ratification) Accord intérimaire en

vigueur depuis le 01.03.2003

Signataire et mise en œuvre du programme

Maroc

Accord signé le 26.02.1996 Entré en vigueur 01.03.2000

Signataire et mise en œuvre du programme

Signataire

Signé le 14.06.2004 Entré en vigueur le

01.02.2005

Adhésion le 01.01.1995

Syrie

Accord signé le 19.10.2004 (en cours de ratification)

Signataire et mise en œuvre du programme

Tunisie Accord signé le 17.07.1995

Entré en vigueur le 01.03.1998 Signataire et mise en œuvre

du programme Signataire

Adhésion le 29.03.1995

Turquie

Accord établissant la phase finale de l’union douanière signé le 06.03.1999

en vigueur le 31.12.1995

Adhésion le 26.03.1995

Source : [Abis, 2005]

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6. Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons tenté d’apporter un éclairage analytique et statistique aux

dynamiques de constructions institutionnelles qui accompagnent l’évolution économique et

politique des PAM et des PECO depuis plus d’une décennie.

Notre analyse en composante principale nous a permis d’affiner l’analyse des caractéristiques

des systèmes institutionnels de gouvernance dans les PAM et de leur évolution. Si les SNG de

ces pays sont encore dominés par les arrangements interpersonnels et informels, ils semblent

évoluer vers une plus grande formalisation des règles et des relations de nature plus

impersonnelle. L’insertion dans la communauté internationale à la suite de la signature

d’accords multilatéraux et une plus grande libéralisation du marché intérieur et extérieur

contribuent à cette évolution sur le plan de la gouvernance publique et privée. Néanmoins, le

rythme de la transition dans ces pays demeure particulièrement lent, notamment en

comparaison avec les PECO.

Nous avons tenté d’analyser le retard des PAM dans leur transition institutionnelle,

comparativement aux PECO, sur la base des principaux arguments théoriques avancés dans

la littérature qui tente d’expliquer les divergences des SNG dans les PVD. Nous avons

distingué une série de facteurs : la complexité de leur cadre juridique qui fait coexister les

principes légaux islamiques avec ceux d’origine anglo-saxonne ou romano-germanique, la

faiblesse de la contestabilité politique, qui ne permet pas aux nouveaux acteurs économiques

de faire valoir pleinement leurs droits économiques et d’éviter la menace d’une prédation

étatique, le design institutionnel hérité de l’histoire coloniale, l’absence de dispositif

contraignant tel que celui imposé par la perspective d’intégration européenne des PECO.

Sur ce dernier point, le renforcement des institutions d’économie de marché et

l’approfondissement des institutions démocratiques devraient être au cœur du partenariat

méditerranéen de la nouvelle politique européenne de voisinage. Or, les plans d’actions

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proposés dans le cadre de cette nouvelle politique restent modestes au regard du défi que

pose la transition institutionnelle des PAM, et ne sont en rien comparables au projet de

l’intégration européenne dont ont bénéficié les PECO. D’une part, leur mise en œuvre ne

s’accompagne d’aucune condition contrairement au programme d’adhésion des PECO. Ce

dernier prévoit en effet des obligations de se conformer à l’acquis communautaire selon un

calendrier strict. Ce qui a stimulé d’une manière déterminante les réformes institutionnelles et

a fortement contribué à la mise en place d’un dispositif de gouvernance contraignant

permettant de contrôler l’action des élites dirigeantes ainsi qu’à restreindre les marges d’action

des groupes d’intérêt privés. D’autre part, les aides financières prévues par ces plans ne sont

pas à la hauteur des besoins des PAM. L’aide considérable accordée aux PECO, quinze fois

plus élevée que celle accordée aux PAM (en termes d’aide par habitant), a constitué un

élément décisif dans leur transition. Elle a en effet largement contribué à la construction

d’une infrastructure institutionnelle dotée de dispositifs formels de contrôle et de surveillance,

dont l’instauration requiert d’importants moyens financiers et humains qui font généralement

défaut dans les PVD. Elle a également permis de combler, entre autres, les pertes en termes

de recettes douanières ou de rentes constituées jadis à l’abri des barrières douanières. Ainsi, si

la PEV s’est avérée un vecteur déterminant dans la transition institutionnelle des PECO, elle

l’est beaucoup moins dans le cas des PAM. Aucune priorité n’est fixée dans ces plans. Leurs

rédacteurs mettent sur le même pied d’égalité les réformes en termes de systèmes de

gouvernance et celles relatives au transport ou des contacts entre les peuples. Ceci laisse

penser qu’ils sont avant tout un catalogue de bonnes intentions, qui s’appuient sur des

principes généraux, sans engagement de les mettre en œuvre ni sanction en cas de non-

réalisation. La laborieuse transition institutionnelle des PAM n’apparaît-elle pas, dès lors,

comme la traduction de cette absence d’ambition dans le rapprochement économique et

politique des deux rives de la Méditerranée ?

Au terme de ce chapitre, il convient de souligner que si, à la lumière de l’expérience des

PECO, les gains d’une politique d’assistance financière et technique efficace de la part de

l’UE en faveur des PAM peuvent être importants, il n’en demeure pas moins que la PEV

demeure tributaire de considérations historiques et géopolitiques complexes caractérisant les

relations de l’UE avec ses voisins du Sud de la Méditerranée. À cet égard, le conflit israélo-

palestinien a un impact considérable sur l’évolution des divers processus de coopérations

euro-méditerranéens. La suspension par les pays arabes des négociations concernant l’Union

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pour la Méditerranée, suite à la guerre de Gaza, est l’exemple le plus récent de cette

complexité. Ceci dit, au-delà de la responsabilité éventuelle de la PEV dans le retard de la

transition des PAM, la question qu’il convient de traiter avec davantage d’attention est celle

de la responsabilité des élites dirigeantes des PAM qui sont en charge de la mise en œuvre des

réformes institutionnelles. Dans l’hypothèse « optimiste » d’une adoption du plan Marshall

proposé par Le Cercle des Économistes [2003] en faveur des PAM, est-ce que pour autant

ces derniers avanceront plus rapidement dans le processus de transition institutionnelle ?

L’argument de l’absence d’un appui financier est-il suffisant pour expliquer le faible rythme

de la transition des PAM ? Répondre à ces questions revient à s’interroger sur les facteurs

internes des blocages du processus des réformes institutionnelles. Nous proposons en effet,

dans le chapitre suivant, d’appréhender les résistances aux changements institutionnels à

travers l’analyse des stratégies des élites dirigeantes qui visent à neutraliser les systèmes de

gouvernance et toute tentative d’action collective revendiquant un droit de contrôle sur leur

action. Nous présupposons que ces élites sont les principales perdantes à la transition vers le

marché et vers la démocratie, un processus qui implique la dépersonnalisation des institutions

et un transfert de pouvoir à un nombre plus large d’acteurs. Afin de protéger leurs rentes, ces

élites vont bloquer les réformes institutionnelles, voire les subvertir à des fins privées.

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Chapitre 5.

Verrouillage institutionnel et recherche de rente dans les PAM : tentatives d’explication des blocages de la transition

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Après avoir décrit et mesuré les institutions capables de gouverner l’action des dirigeants, nous tentons, dans la dernière étape du présent travail, d’étudier les fondements du changement institutionnel dans les PAM. Nous cherchons précisément à examiner les facteurs permettant d’expliquer l’émergence d’un tel type d’institutions plutôt que tel autre. Pour ce faire, nous adoptons une approche inter-disciplinaire, qui mêle les arguments purement économiques et ceux faisant appel à l’histoire et à la politique. L’interaction entre ces différents aspects nous semble en effet inévitable pour pouvoir rendre compte du changement institutionnel. Prenant appui sur les récents travaux de Douglass North, nous cherchons à étudier l’impact de l’évolution des « modèles mentaux » sur les configurations institutionnelles à l’œuvre aujourd’hui dans les PAM. Une telle démarche, mobilisant des arguments non exclusivement économiques, suscitera certainement les critiques des économistes, mais elle présente le mérite de tenter d’explorer des voies nouvelles ouvertes dans l’analyse du développement.

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Comme toute création de l’homme, l’institution est susceptible d’être asservie par le pouvoir qu’elle était destinée à contrôler.

Walton Hamilton

1. Introduction

L’analyse du chapitre précédent montre que le rythme de la transition dans les PAM est

relativement faible, notamment en comparaison avec les PECO. Cette transformation

institutionnelle s’avère un processus long, coûteux et particulièrement complexe à mettre en

œuvre dans les PAM. Mais surtout, son caractère inachevé est de nature à créer des plages de

discrétions importantes pour les élites dirigeantes sans que, dans le même temps, des

systèmes de gouvernance contraignants soient institués afin de limiter l’utilisation de cette

discrétion à des fins personnelles139. L’insuffisance des réformes institutionnelles et, de

surcroît, la défaillance des systèmes de gouvernance est de nature à favoriser les

comportements de recherche de rente et les stratégies d’enracinement des élites dirigeantes.

Ces dernières, préoccupées par leurs propres intérêts, auront tendance à verrouiller l’accès

aux ressources du pouvoir (économique, politique, information) et à bloquer le processus de

transition institutionnelle, privant leur pays des moyens nécessaires à son développement.

Dans ce chapitre, nous cherchons à approfondir l’analyse de cette résistance au changement

et des stratégies de verrouillage institutionnel dans les PAM à travers une approche liant

indissociablement le fonctionnement des systèmes économiques et politiques. Nous nous

139 Le rythme relativement soutenu des réformes institutionnelles dans les PECO a permis d’accélérer la mise en œuvre de systèmes de gouvernance favorisant une meilleure gestion des rentes, et de limiter les dérives des acteurs publics et privés qui se sont largement répandues au début de la transition. Voir à ce sujet Andreff [2007] et Labaronne [2002a].

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inspirons de la nouvelle économie politique de la transition qui s’est développée en réaction

aux approches standard de la transition. Celles-ci ont eu tendance, pour la plupart, soit à

ignorer, soit à négliger la dimension politique du processus de réformes institutionnelles et les

multiples interférences politico-économiques qu’il a suscitées. Nous nous appuyons

principalement sur deux séries de travaux qui proposent une nouvelle approche de l’analyse

de l’évolution des économies en développement : d’une part, les travaux récents de North

[2005a] et North et al. [2007], qui soulignent la nécessité de prendre en compte l’interaction

entre l’économique et le politique dans l’analyse du développement, ce dernier étant d’abord

considéré comme un processus historique de transformations institutionnelles ; d’autre part,

les travaux issus de la théorie des choix publics, qui proposent une analyse positive du

développement tenant compte du comportement des agents publics dans le processus de

développement.

Dans cette perspective, les facteurs explicatifs des blocages des réformes institutionnelles

pourraient être appréhendés à travers deux postulats : (i) l’incompatibilité des institutions de

gouvernance avec la structure du pouvoir préexistante dans les PAM. Nous présupposons à

cet égard que des formes institutionnelles antérieures survivent au processus de transition

entrant en conflits avec les nouvelles formes institutionnelles du marché ; (ii) le manque de

capacités institutionnelles adaptatives aux changements qu’implique le processus de

transition, c’est-à-dire, l’incapacité de mettre en place des institutions contraignantes et

adaptées aux nouvelles conditions engendrées par l’économie de marché. Ainsi, les

défaillances des systèmes de gouvernance s’expliqueraient par une double incapacité : celle de

rompre avec les modes institutionnels anciens et celle d’innover de nouvelles institutions

adaptatives.

Nous tentons de montrer que cette incapacité à dépersonnaliser les institutions et à produire

des systèmes de gouvernance contraignants est inhérente au processus de formation

institutionnelle en cours dans les PAM. Les institutions sont le produit d’interactions sociales

conflictuelles et correspondent au compromis qui, se développant à partir de ces conflits, va

les normaliser, les stabiliser et produire des régularités macro-économiques [Aglietta, 1976 ;

Boyer, 2003]. C’est, en effet, des expériences des individus et de leurs conduites que sont

issues les institutions. Ces dernières agissent à leur tour sur la conduite des individus et ce

faisant, modifient ou renforcent une attitude mentale héritée du passé. Cependant, si les

institutions peuvent générer des régularités dans le temps stabilisant les anticipations, elles

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peuvent en même temps générer des rigidités qui bloquent les mouvements économiques. Ce

sont ces rigidités institutionnelles issues de la perpétuation des pratiques anciennes dans les

PAM (structure tribale du pouvoir, logique de clan, clientélisme, recherche de rentes) qui

nous semblent à l’origine des entraves au développement de nouveaux arrangements

institutionnels adaptés à l’économie de marché. La question de la genèse et de l’évolution des

institutions et des modèles d’action collective qui président à leur sélection est discutée ici

moins dans sa capacité à expliquer le changement, mais plutôt dans sa capacité à rendre

compte des entraves qui le paralysent.

Dans une section introductive, nous tentons de montrer comment les habitudes de pensée

héritées continuent d’influencer le comportement des acteurs sociaux dans les PAM. À partir

d’une approche institutionnelle évolutionniste [Veblen, 1899 ; 1901 ; 1914], nous montrons

en quoi l’étude des pratiques claniques héritées nous aide à comprendre les « rigidités

structurelles » qui caractérisent les systèmes politiques et économiques dans les PAM et les

blocages du processus des réformes institutionnelles dans ces pays. Pour ce faire, nous

mobilisons l’une des plus vastes études des comportements socio-économiques des

populations d’Afrique du Nord, celle de l’historien sociologue Ibn Khaldoun [1956 ; 1997 ;

2002]. (Section 1)

Nous proposons ensuite une économie politique positive de la transition dans les PAM qui

tient compte du comportement réel des dirigeants publics et des interactions entre ces

derniers et les dirigeants ou groupes privés. Dans cette perspective, le processus de réformes

institutionnelles est envisagé moins sous l’angle de sa contribution économique nécessaire au

passage à l’économie de marché, que sous sa dimension politique. La mise en œuvre des

réformes institutionnelles comporte, en effet, d’importants enjeux en termes de redistribution

des pouvoirs. Comme la plupart des pays autocratiques, le principal problème du régime en

place dans les PAM est celui de son maintien au pouvoir, tout en préservant une certaine

stabilité politique et sociale [Anderson, 1987 ; Crystal, 1994 ; Hudson, 1977 ; Nabli et al.,

2008]. La rationalité politique l’emporte alors sur la rationalité économique. La coalition au

pouvoir procède d’une redistribution des ressources afin de renforcer ses bases de soutien.

Ces ressources sont investies dans des activités non de production mais de « recherche de

rente ». Les réformes institutionnelles deviennent ainsi une source majeure de rentes. Nous

montrons que les réformes institutionnelles mises en œuvre, loin de répondre aux

recommandations standard de bonne gouvernance, ont été, bien souvent, le résultat d’un

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marchandage politico-économique entre les dirigeants publics soucieux de leurs « agendas

privés » et des dirigeants privés en quête de rente ou cherchant à préserver leurs intérêts

acquis. Les comportements de recherche de rente, qui en ont résulté, ont affecté la poursuite

des réformes, la coalition au pouvoir accélérant ou bloquant les réformes en fonction de ses

intérêts particuliers.

Pour ce faire, nous mobilisons les apports des analyses relatives à la théorie de la « recherche

de rente » [Bhagwati, 1982 ; Krueger, 1974 ; Tullock, 1967] et à la théorie des groupes

d’intérêt [Becker, 1983 ; Olson, 1965, 1982]. Nous passons en revue les principaux arguments

théoriques susceptibles de nous aider à comprendre les blocages des réformes dans les PAM

(Section 2). Nous soulignons que ces questions restent très insuffisamment traitées dans le

cas des PAM. Les travaux consacrés à l’étude des phénomènes relatifs à la rente dans ces pays

mobilisent en revanche une autre littérature qui est celle de « l’État rentier ». Cette dernière

s’est développée avec les travaux analysant l’impact de la rente énergétique sur le

développement des pays MENA. Ce type d’analyse ne concerne donc pas – du moins

directement - la théorie de la « recherche de rente », qui écarte de son champ d’analyse les

rentes dites « naturelles » [Krueger, 1974]. Néanmoins, nous soutenons l’idée que le modèle

de l’État rentier fournit des éléments d’analyse très utiles à la compréhension des systèmes

macro-institutionnels dans les PAM (Section 3). Tout en intégrant les implications de la rente

énergétique sur le développement des comportements de recherche de rente dans les PAM,

nous approfondissons notre analyse des blocages des réformes institutionnelles à travers

l’exploration de deux nouvelles pistes : d’une part, l’existence d’un marchandage politico-

économique large qui donne lieu à un vaste « marché de la rente » (les acteurs publics offrent

des rentes que les acteurs privés tentent de capter) ; d’autre part, les stratégies des élites

publiques et privées qui tentent d’établir une transition sur mesure, via un arbitrage coût-

bénéfice des réformes institutionnelles.

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2. Du rôle des habitudes de pensée héritées dans l’explication du processus institutionnel des PAM : une approche institutionnelle évolutionniste

Selon North et al. [2007], l’ordre social à accès limité est une caractéristique fondamentale du

fonctionnement des sociétés depuis des siècles. Dans cette configuration, l’accès aux

ressources est contrôlé par une coalition organisée autour d’un leader politique, qui a réussi à

assurer une certaine sécurité intérieure et extérieure en limitant la violence et en garantissant

une certaine stabilité politique. La pérennité de cette coalition tient à la sécurité procurée aux

élites qui la composent et à la garantie quant à leur accès à la rente. Sa survie dépend de sa

capacité à verrouiller l’accès à cet ordre social pour de nouveaux acteurs susceptibles de

remettre en cause leurs privilèges. Les auteurs soutiennent que la compréhension du

processus de changement institutionnel doit être appréhendée sous l’angle de la transition des

ordres sociaux fermés vers les ordres sociaux ouverts.

L’histoire des conflits et des changements politiques au sein de la société tribale, au Moyen

Orient et en Afrique du Nord, décrite par Ibn Khaldoun au haut Moyen-âge, révèle une

organisation qui contient des caractéristiques d’un ordre social à accès limité. L’auteur décrit

en effet « l’ordre tribal » comme une hiérarchie appuyée par un chef de clan soutenu par sa

famille et ses fidèles. La durabilité du clan régnant dépend de sa capacité à contrôler les

moyens de création des richesses économiques et à empêcher l’émergence de tout autre clan

suffisamment puissant pour remettre en question sa suprématie. Nous tentons dans cette

section de montrer que des survivances des modes du pouvoir clanique décrits par Ibn

Khaldoun ont façonné le processus de changement institutionnel dans les PAM. La

récurrence de ces pratiques interpersonnelles anciennes semble apporter des éléments

explicatifs des blocages des réformes institutionnelles nécessaires à l’ouverture de l’ordre

social, autrement dit de la transition vers le marché et vers la démocratie.

Nous revenons sur les travaux d’Ibn Khaldoun afin de décrire les caractéristiques socio-

économiques de l’organisation tribale de la société nord africaine et les fondements de sa

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structure clanique (1.1). Nous exposons les arguments théoriques qui permettent de saisir les

répercussions des modes de pensée antérieurs sur le processus institutionnel (1.2). Nous

expliquons en quoi l’analyse en termes de « clan » est pertinente pour le cas des PAM (1.3).

Nous montrons que la prédominance de la logique clanique au sein des systèmes

économiques et politiques est propice aux comportements de recherche de rente (1.4).

2.1. Aux origines de « l’esprit de clan »

Dans son œuvre Al Muqaddima, Ibn Khaldoun nous livre une analyse critique sur la nature de

la loi socio-économique fondamentale qui a prévalu en Afrique du Nord depuis le haut

Moyen-âge. Ses théories reposent pour une majeure partie sur un concept pivot sous son

appellation arabe Asabiya140, qui peut être traduit comme une ancienne forme de capital social

qui renvoie à la solidarité entre les membres d’une communauté. L’esprit de clan141 constitue

l’un des composants majeurs du concept d’Asabiya. Prenant racine dans les liens de sang,

l’esprit de clan est le sentiment d’appartenance à cette communauté dont on ne peut

s’abstraire sans endommager irrémédiablement sa propre personnalité et sans porter

préjudice à la communauté [Amarouche, 1999 : P 3]. Il peut être considéré comme le liant qui

cimente la collectivité dans une communauté de destin des individus qui la composent.

L’esprit de clan émane d’un sentiment naturel142 qui appelle à cette union des cœurs qui fait

valoir les liens du sang. Les individus sont alors enclins à défendre les personnes de leur

propre sang. Néanmoins, l’esprit de clan peut déborder le cadre des seuls liens du sang pour

englober les alliés et les clients. En effet, Ibn Khaldoun considère l’Asabiya avant tout comme

une hiérarchie appuyée par un chef d’État, soutenu par sa famille et ses fidèles. L’esprit de

140 Le mot Asabiya est couramment utilisé pour désigner l’esprit de corps, le patriotisme, l’esprit de clan ou tribal, les liens de sang. Selon Ibn Khaldoun, cette notion revient à exprimer l’appartenance à une même ethnie ou communauté. Pour une analyse plus approfondie de ce concept, lire entre autres : Lacoste [1998] et Mahieu, et al. [2003]. Pour une lecture critique, lire Abdesselem [1983].

141 Selon le dictionnaire de l’Académie française, le clan désigne, dans certaines tribus ou peuplades primitives, une division de la tribu placée sous l'autorité d'un ancêtre exploitant, avec ses enfants et petits-enfants, le territoire tribal [ATILF, 2007]. Selon Durkheim, « ... les chefs de clans sont les seules autorités sociales. On pourrait donc aussi qualifier cette organisation de politico-familiale. Non seulement le clan a pour base la consanguinité, mais les différents clans d'un même peuple se considèrent très souvent comme parents les uns des autres. (…) ils se traitent, suivant les cas, de frères ou de cousins ». (Durkheim, 1893, De la Division du travail, p. 151.)

142 « Le sentiment de matrilignage est naturel aux hommes –sauf exception. On aime ses parents et sa famille maternelle. (…) on partage leur humiliation s’ils sont traités injustement ou attaqués et l’on voudrait intervenir en leur faveur si quelque danger les menace » [Ibn Khaldoun, 1997]

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clan peut ainsi se transformer en esprit de corps, qui renvoie à une forme de solidarité entre

clans, potentiellement ou effectivement, opposés à d’autres clans.

Dans ce contexte d’entente entre clans, le leadership est fonction de la suprématie d’un clan

(ou d’un homme). Cette supériorité ne se partage pas : « seuls ceux qui n’acceptent pas d’être

dominés peuvent dominer, seuls ceux qui ont un esprit de corps assez fort pour refuser tout

assujettissement peuvent assujettir et être légitimés ; c’est le refus d’être dominé qui fonde la

domination » [Leca et Schemeil, 1983 : P 473]. Ainsi, selon l’analyse khaldounienne de l’État

tribal, le pouvoir s’apparente à un système de domination d’un clan sur les autres clans, où les

derniers subissent toute la violence que les tenants du pouvoir sont capables d’exercer. C’est

en effet par la violence que s’établit la suprématie du clan régnant sur les autres et c’est par

elle que se maintient et s’étend son pouvoir. Les dirigeants peuvent aller jusqu’à déployer des

techniques de pouvoir qui contredisent ou transcendent les bases mêmes de leur légitimité

[Roth, 1968 : P195]. Afin de conserver et de consolider leur pouvoir, ces dirigeants tentent

d’accroître leurs richesses à travers le commerce, voire – selon le processus décrit par Ibn

Khaldoun – à travers l’accaparement des biens d’autrui. Amarouche [1999 : P3] désigne ce

type de violence par la notion de « violence légitimante », en ce sens qu’elle permet de

légitimer la propriété par l’appropriation. Ibn Khaldoun explique que l’ordre social ne peut

être maintenu sans que le clan régnant ne s’érige en « modérateur » des appétits en présence,

de telle manière que, de légitimante, la violence tendrait à devenir légitime143. Ainsi, le clan

régnant tente d’atteindre un équilibre entre prédation144 et charité. L’analyse d’Ibn Khaldoun

met en avant l’idée que le pouvoir dans l’État tribal, se singularise par deux caractéristiques

opposées : il est à la fois perçu comme un pouvoir hautement moral fondé sur la loi

religieuse, et comme un pouvoir prédateur.

L’État tribal est en effet dans un rapport étroit avec la loi divine : « Les Arabes ne peuvent

régner que grâce à quelque structure religieuse de prophétie ou de sainteté » [Ibn Khaldoun,

143 On peut lire à ce propos : « Aussi le chef n’hésite pas à multiplier les opérations guerrières qui lui permettent de s’enrichir et de tenir en main les membres de la tribu. Maintenu en théorie, l’égalitarisme disparaît, au fur et à mesure que les richesses sont de moins en moins mises en commun et que les guerriers libres en théorie sont en fait transformés en vassaux. La démocratie militaire voit se renforcer le pouvoir de l’aristocratie tribale » [Ibn Khaldoun cité dans Mahieu et al., 2003 : P8]

144 La prédation est une relation où l’une des deux parties est en mesure d’imposer à l’autre une transaction sans contrepartie [Volle, 2008]. Le Dictionnaire de la langue française du Littré ignore le mot prédation et définit le prédateur comme « celui qui vit de proie », la proie étant « 1- ce que les animaux carnassiers ravissent pour leur nourriture ; 2- le butin fait à la guerre ; 3- toute chose dont on s’empare avec violence ; 4- les personnes dont on s’empare ; 5- celui qui est persécuté par un autre ».

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1997 : P233]. Le fondement de cet État est basé sur l’application de la loi religieuse dans la

mesure où elle répond à la demande de pureté des lettrés, ces « gens de plumes » auxquels le

clan dominant réservera une place privilégiée. L’application de cette loi permet de freiner les

aspirations au pouvoir des différents clans rivaux, en faisant apparaître pour des

commandements divins les décisions de l’autorité clanique du moment145.

Le caractère prédateur, dans sa dimension économique, est dû au fait que la production de la

richesse échappe au contrôle du clan dominant, ce qui explique l’emploi de la violence pour

s’emparer des biens d’autrui. Ces pratiques prédatrices sont sans cesse employées afin

d’étendre l’assise du clan régnant, celui-ci « n’a pas appris à faire un usage productif du

surplus, obtenu par l’emploi de la force à l’encontre d’autres clans ou d’autres communautés »

[Amarouche, 2004 : P 357]. Autrement dit, les rentes générées sont plus consommées

qu’investies. Le contexte économique de l’État tribal khaldounien est alors dominé par la

prédation, qui ne se pratique pas seulement à l’extérieur des communautés gouvernées par

l’esprit de clan, mais également en leur sein même, empêchant ce faisant toute possibilité

d’exogénéisation146 de la production du surplus et tout changement dans la structure des

rapports de force. Dans le langage de la théorie, ce type d’économie où prédomine la

prédation, présentée par Volle [2008 : P 59] comme « une réallocation violente de la

répartition du patrimoine entre les agents », s’oppose à l’économie de production régie par un

ensemble de raisonnements économiques qui pivotent autour de lois telles que l’optimum de

Pareto ou la théorie du profit, pour ne citer que celles-ci.

Il importe, à ce stade de l’analyse, de resituer la notion d’esprit de clan au sein de la théorie

socio-économique d’Ibn Khaldoun et de préciser, ne serait-ce que d’une manière provisoire,

quelques éléments cruciaux autour desquelles s’organise la pensée de cet auteur. Les

fondements de cette théorie se trouvent dans l’étude du comportement socio-économique

des différents groupes sociaux tout en s’appuyant sur des éléments historiques. Dans sa

description du processus de création de la société, Ibn Khaldoun distingue les sociétés

nomades (ou bédouines) des sociétés sédentaires. L’auteur opère une analyse qui ne conduit

pas à une simple opposition entre les deux types de sociétés, mais il décrit tout un système de

transformation de la société qu’il présente sous le concept d’umran, qui peut être traduit par 145 Cette étroite relation entre pouvoir et loi religieuse peut expliquer la nécessité dans le contexte tribal de la filiation – réelle ou supposée – du monarque, sultan ou prince avec le prophète ou le saint.

146 C’est l’exogènéité de la production de la richesse par rapport au clan dominant qui provoque le recours à la violence pour s’emparer des biens produits en dehors de l’espace de la communauté régnante.

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civilisation. Il retrace, en effet, le cycle de vie d’une société se construisant en progressant au

fil du temps, avec la croissance démographique et l’accroissement des besoins économiques,

de l’état d’umran badawi 147, qui correspond à la vie bédouine ou nomade, vers l’umran hadari

qu’on peut traduire par la vie sédentaire ou civilisation.

Selon Ibn Khaldoun, l’esprit de clan trouve son essence dans la vie bédouine et c’est au sein

de celle-ci qu’il se manifeste de la manière la plus apparente. La vie bédouine, ou l’ordre tribal,

selon la qualification de Leca et Schemeil [1983], se caractérise par un environnement

physique hostile, une division du travail faible, l’absence de caste militaire (puisque tout le

monde est armé) et une cohésion sociale forte fondée sur l’esprit de corps. Ces

caractéristiques sont en rapport direct avec les manifestations les plus extrêmes de la violence

légitimante évoquée plus haut. La vie sédentaire ou l’ordre urbain est caractérisée, au

contraire, par une division du travail plus élaborée, un faible esprit de corps, une production

et des échanges économiques et culturels, tous constituant les principaux éléments

caractéristiques d’une civilisation en tant que mode d’être et d’action dans la cité urbaine. À

l’inverse de l’ordre tribal, la violence « légitime » est une propriété de la vie sédentaire et celle-

ci autorise - voire soutient - le principe de l’endogénéisation de la production de la richesse en

vue de dégager un surplus. Ce dernier, s’il n’est pas utilisé pour accroître les capacités

productives de la collectivité, offre au clan régnant les moyens de financer une vie aisée et de

se maintenir au pouvoir. Par ailleurs, il convient de remarquer dans ce contexte que « si la

tribu a économiquement besoin de la ville, la ville a politiquement besoin d’une tribu qui se

transforme de rebelle en gouvernant, pour la défendre contre d’autres rebelles et lui permettre

d’asservir les tribus à faible esprit de corps » [Leca et Schemeil, 1983 : P 473]. Ainsi, tout le

système politique semble basé sur un « compromis implicite entre la société urbaine et la

société rurale, qu’elle s’avoue impuissante à soumettre » [Cheddadi, 1980 : P548].

Ainsi, dans le mode de pouvoir khaldounien, le gouvernement, commandé par un clan

dominant et légitimé par l’application de la loi religieuse, repose sur le lien tribal. La société

urbaine est séparée du gouvernement, mais elle est en même temps rendue possible par ce

dernier. Au fil du temps et avec la croissance démographique, les liens de sang qui se nouent

entre familles appartenant à différentes ethnies ont tendance à se diversifier, élargissant ainsi

le champ d’action des pratiques fondées sur l’esprit de clan. Ce dernier aura tendance à perdre

147 Vient de la racine bidaya qui signifie le commencement ou le début, autrement dit ce qui est primitif.

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de son efficacité en tant que ciment des liens sociaux au profit d’une autre loi socio-

économique, celle liée au gain. Celle-ci commence à opérer sur une base clanique et se

propage au sein de la communauté par le biais du commerce. Pratiquée surtout en temps de

paix, l’activité commerciale est de nature à modifier la nature des rapports humains tout en

contribuant à la dépersonnalisation des relations sociales. Les membres de la société se

trouvent de plus en plus impliqués dans l’économie et s’appuient plus sur les clients et les

alliés que sur les frères de sang. Selon les termes d’Amarouche [2004 : P358], « L’esprit de

gain » qui se développe avec le commerce et le marché aura tendance alors à « supplanter »

l’esprit de corps. Ainsi, la phase de déclin de la dynastie, inéluctable selon Ibn Khaldoun148,

commence lorsque la civilisation urbaine dissout la cohésion sociale liée à l’esprit de corps, et

donc la base du pouvoir. Parallèlement, le pouvoir des « gens d’épée » (l’armée) a tendance à

l’emporter sur celui des « gens de plume » (les dignitaires religieux). Néanmoins,

l’affaiblissement de l’Asabiya va de pair avec l’augmentation de la pression fiscale, de la

violence et par conséquent de la contestation du pouvoir même [Mahieu et al., 2003 : P14]. La

« révolution » (au sens de changement de dynastie) survient alors lorsqu’un clan plus puissant

(plus violent), animé par un fort esprit de corps et s’appuyant sur une da’wa149, vient ravir le

pouvoir au clan régnant.

Tout porte à croire que les systèmes politiques et les logiques de pouvoir dans les PAM ont

évolué autrement et qu’ils ont rompu avec les traditions tribales et claniques, au profit de

mécanismes et d’institutions modernes. Au contraire, les perpétuelles tensions animées par

l’effervescence des antagonismes de toutes natures et de tous bords qui caractérisent l’histoire

récente des PAM laissent penser que les luttes claniques n’ont pas totalement disparu. Les

conceptions traditionnelles et interpersonnelles semblent l’emporter sur les conceptions

modernes du droit impersonnel dans la formation des institutions économiques et politiques

de ces pays. Ceci dit, dans quelle mesure la théorie khaldounienne pourrait contribuer à la

compréhension du processus institutionnel dans les PAM et des blocages de la transition ? Le

décalage historique important et la dissemblance des modes de pensée sont-ils suffisants pour

réfuter le schéma d’Ibn Khaldoun dans l’analyse des dynamiques institutionnelles actuelles ?

148 Pour une analyse plus approfondie du « cycle de pouvoir » chez Ibn Khaldoun, voir [Mahieu et al., 2003].

149 Une prédication religieuse lancée par les gens de plume.

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2.2. Les institutions comme un processus évolutionniste des habitudes de vie héritées

Un détour par l’école institutionnelle « évolutionniste » nous renvoie inévitablement aux

travaux de Veblen [1899], qui lancent les bases d’une science économique évolutionniste avec

en son sein une critique majeure des théories économiques classiques. Ces dernières sont,

selon Veblen, confinées dans une approche statique en raison des conceptions des lois de

l’économie considérée à l’équilibre150. Nous postulons que « la théorie de la séquence

cumulative des institutions économiques » développée par Veblen peut nous fournir des

arguments susceptibles de remplir notre objectif de décrire le changement institutionnel dans

les PAM, à travers une approche socio-historique s’appuyant sur les travaux d’Ibn Khaldoun.

Nous tentons en effet, à travers cette approche, d’expliquer les systèmes institutionnels en

tant que processus dont le fondement - ou l’origine - se trouve dans les habitudes de pensée

et les actions dominantes dans la communauté héritées du passé151 ; la meilleure description

de ces « institutions » - au sens de Veblen - dans les PAM est sans doute celle livrée par Ibn

Khaldoun. En effet, la théorie évolutionniste de Veblen perçoit l’activité économique comme

un processus ou un déroulement séquentiel fondé sur la causalité cumulative (cumulative

causation selon les termes de Veblen), en ce sens que ce processus est né de séquences

d’adaptation des moyens à des finalités qui changent à travers le temps d’une manière

cumulative [Veblen, 1898]. L’activité économique est ainsi considérée comme un processus

institutionnel incessamment évolutif (Encadré 5). Les institutions, clé de voûte de la théorie

économique évolutionniste, sont présentées par Veblen comme des habitudes de pensées et

d’actions dominantes dont la formation résulte d’une interaction complexe entre différents

niveaux et temporalités d’évolution. Le niveau le plus profond est celui des instincts, ou

150 Les travaux de Veblen ont été d’une importance majeure – voire, un tournant - dans l’étude économique de l’évolution des institutions. Selon Chavance [2007 : P11], Veblen est l’inventeur du terme « néoclassique », par lequel il caractérise les « conceptions classiques modernisées ».

151 Les analyses de Murrell [1992a ; 1992b ; 1992c] des transformations institutionnelles dans les pays en transition peuvent constituer un parallèle intéressant et éclairant à cet égard. En effet, l’auteur s’appuie sur l’approche évolutionniste de l’école autrichienne dans le cadre de sa lecture critique de l’analyse dominante de la transition. Il soutient notamment le fait que les changements de systèmes et les trajectoires institutionnelles des pays en transition dépendent en partie de l’héritage institutionnel et souligne la nécessité de prendre en compte les comportements reflétant l’ancien environnement organisationnel, qui n’ont pas totalement disparus dans le fonctionnement des organisations. Pour une synthèse du rôle de l’approche évolutionniste dans l’analyse de la transformation systémique, voir Andreff [2002].

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propensions héréditaires, qui ont été sélectionnés au cours de la longue histoire biologique de

l’homme.

Encadré 5. Nature et origine des institutions : pour une science évolutionniste de l’économie

« La société en général et l’économie en particulier sont des ensembles évolutifs d’institutions ; la science économique évolutionniste que cherche à construire Veblen est donc centrée sur les institutions. Les institutions sont des habitudes de pensée et d’action dominantes dans la communauté sociale. Leur caractère essentiel est une inertie relative au regard de l’évolution sociale : elles se sont formées dans le passé et elles sont héritées du passé. « Ce sont des produits du processus écoulé, adaptés aux conditions passées ; aussi ne sont-elles jamais pleinement adaptées aux exigences du présent » [Veblen, 1899]. Toutefois, les institutions découlent elles-mêmes des habitudes de vie : « mais les habitudes de pensées résultent des habitudes de vie. Qu’elle soit intentionnellement orientée vers l’éducation de l’individu ou non, la discipline de la vie quotidienne a pour effet de modifier ou de renforcer les institutions héritées dans le cadre desquelles vivent les hommes » [Veblen, 1901]. (…) »

Source : D’après [Chavance, 2007 : p.16].

Veblen identifie essentiellement deux types d’instincts. D’une part, les propensions152 de

nature bénéfique pour le groupe et la société, telles que : celle de instinct of workmanship relatif à

l’instinct ouvrier et du travail bien fait, ou celle de Parental bent relatif à l’esprit de groupe, au

sens de la communauté, de sympathie sociale, de penchant grégaire ; concept très proche de

celui de l’esprit de clan décrit par Ibn Khaldoun. D’autre part, les propensions « funestes » ou

problématiques qui vont à l’encontre des intérêts du groupe ou de la société, telles que : le

predatory instinct relatif à l’instinct prédateur, ou celle de Propensity for emulation relatif à l’instinct

de rivalité ou à la propension à établir une comparaison dénigrante par hiérarchisation. Les

deux ensembles d’instincts peuvent s’influencer ou se « contaminer » réciproquement selon

les configurations historiques. Comme les habitudes de pensée, ces instincts sont de nature à

évoluer en fonction des circonstances historiques et matérielles particulières et sont

susceptibles d’entrer en opposition entre eux, donnant lieu à un conflit d’instincts. Dans son

schéma des phases d’évolution du pouvoir153, Veblen suppose que selon, les contextes

institutionnels et historiques, l’instinct prédateur peut l’emporter sur les autres instincts

notamment celui relatif à l’instinct de l’ouvrier, particulièrement lorsque l’évolution

technologique permet l’apparition d’un surplus. Ainsi, l’auteur suggère que « les éléments

habituels de la vie humaine changent de façon incessante et cumulative, engendrant une

152 Pouvant être définie comme une « force intérieure, innée, naturelle, qui oriente spontanément ou volontairement vers un agir, un comportement » [ATILF, 2007].

153 Voir [Veblen, 1899, 1914].

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croissance proliférante et continue des institutions. Les changements de la structure

institutionnelle se produisent en permanence en réponse aux modifications de la discipline de

vie dans le cadre de conditions culturelles changeantes, mais la nature humaine demeure pour

l’essentiel la même » [Veblen, 1914 : p.12].

Dans la continuité de Veblen, Hayek accorde une importance majeure à la genèse des

institutions. Celle-ci se présente selon lui comme une articulation de différents processus de

changement qui conduit à la superposition de trois niveaux dans la formation des

institutions : « il y a évidemment, au point de départ, le fondement solide, c’est-à-dire peu

changeant, de l’héritage génétique, celui des pulsions instinctives déterminées par la structure

physiologique. Viennent ensuite tous les vestiges de traditions acquises dans les types

successifs de structures sociales, avec leurs règles, que l’homme n’a pas délibérément choisies

mais qui se sont répandues parce que certaines pratiques accroissaient la prospérité des

groupes qui les suivaient (…). Enfin, au-dessus de tout cela, une troisième couche, mince,

celle des règles délibérément adoptées ou modifiées pour répondre à des visées connues »

[Hayek, 1979 : P191]. La genèse des institutions est interprétée alors par Hayek dans les

termes d’une évolution primitive des groupes sociaux.

Nous retenons ici trois principaux enseignements de cette analyse. (i) La notion de causalité

cumulative est centrale dans l’analyse institutionnelle. Elle implique une approche séquentielle

du changement, qui reconnaît l’irréversibilité du temps et le caractère cumulatif des

transformations ; des notions qui ont donné lieu aux concepts de trajectoire institutionnelle ou de

dépendance de sentier 154. (ii) Les institutions forment un ensemble historique hérité et sont

étudiées comme un processus évolutionniste des habitudes de vie et de pensée. Elles sont en

effet issues des expériences des individus et de la conduite de ces derniers. Ces institutions

agissent à leur tour sur la conduite des individus et, ce faisant, modifient ou renforcent une

attitude mentale héritée du passé155. (iii) Veblen souligne la nécessité de prendre en compte la

longue histoire « biologique » de l’homme dans l’explication des systèmes institutionnels

d’aujourd’hui. La nature humaine, dans sa dimension la plus profonde est caractérisée par des

impulsions et des instincts stables à l’échelle historique, ainsi que par des sentiers d’habitudes

154 Voir North [1990 : P92-93]. Élaboré pour penser le changement technologique, le concept de dépendance de sentier (lié aux rendements croissants) s’avère particulièrement pertinent pour théoriser le changement institutionnel.

155 Voir également à ce propos North [2005b].

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de pensée, qui peuvent perdurer sur de longues périodes156. Dans un cadre d’analyse

théorique plus général, Veblen met en avant le rôle joué par les impulsions et les instincts, par

opposition à l’individualisme rationaliste et à l’utilitarisme de l’économie classique.

À travers les analyses de Veblen nous avons tenté de justifier notre recours aux analyses d’Ibn

Khaldoun. Ces dernières sont fondées en effet sur au moins deux éléments-clé qui sont -

pour le moins - en concordance avec l’analyse Veblenienne. Premièrement, les faits

historiques occupent une place centrale dans la construction de la théorie socio-économique

khaldounienne. Cette théorie, consacrée alors à l’étude des conflits sociaux et des

changements politiques en Afrique du nord, est essentiellement fondée sur des éléments de

l’histoire et sur l’analyse des habitudes de pensée et de vie de ces populations. Deuxièmement,

la pensée d’Ibn Khaldoun est fondée sur l’analyse de la dimension la plus profonde de la

nature humaine, qui renvoie à ses instincts et à ses propensions héréditaires, contenus dans le

concept d’Asabiya. Dans son étude du comportement des groupes sociaux, l’auteur privilégie

une approche qui cherche à établir des liens de causalité, reposant sur l’interaction entre les

habitudes de pensée nées de l’Asabiya et les évolutions économiques, politiques et

démographiques à l’œuvre. Il souligne ainsi d’une manière avant-gardiste (pour l’époque) le

rôle joué par les impulsions et les instincts dans l’étude du comportement humain et social.

N’avait-il pas énoncé un postulat que l’on retrouve au centre d’un conflit actuel opposant les

théories comportementales aux théories néoclassiques basées sur l’individualisme rationaliste

et l’utilitarisme ? Ceci étant dit, dans quelle mesure le schéma khaldounien du pouvoir

clanique se vérifie-t-il dans le cas des PAM ? Quel est son apport à l’analyse du changement

institutionnel dans ces pays ?

156 On retrouve cette idée Chez North [1990 : pp.7-9] qui suppose que des « sentiers d’inefficacité relative » peuvent se perpétuer sur des périodes historiques assez longues. C’est même, selon lui, le cas le plus fréquent dans l’histoire.

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2.3. En quoi l’analyse en termes d’esprit de clan est-elle pertinente pour les PAM ?

Bien entendu, l’auteur d’Al Muqaddima appartient à une époque lointaine aux traditions

politiques et sociales ainsi qu’à des modes de pensée différentes, à bien des égards, de ceux en

cours aujourd’hui. Ce qui nous amène à reconnaître, avec Abdesselem [1983], que les travaux

d’Ibn Khaldoun ne peuvent servir dans leur globalité d’illustration à des thèses politiques et

socio-économiques contemporaines. Néanmoins, nous soutenons que les études de cet

auteur n’ont pas perdu entièrement de leur pertinence pour l’analyse du processus

institutionnel à l’œuvre dans les PAM, et que certains modes de pouvoir, notamment

claniques et interpersonnels, n’ont pas complètement disparu. Mais la question qui mérite

d’être discutée à ce propos est de savoir si ces pratiques claniques constituent une anomalie

propre aux PAM.

A priori, des institutions informelles et interpersonnelles s’apparentant aux pratiques

claniques, ou conduisant à la formation de « clans » au sein des systèmes politiques et

économiques, sont potentiellement présentes dans toutes les sociétés à tous les niveaux du

développement157. L’auteur de Institutional Economics [Commons, 1934] va même jusqu’à

considérer que « l’action collective inorganisée (institution informelle) (…) est encore plus

universelle que l’action collective organisée (institution formelle) ». Haber [2002], par

exemple, affirme que les pratiques informelles liées aux systèmes de copinage peuvent être

observées dans un large ensemble de pays qui couvre aussi bien des pays développés que des

pays en développement. Leca et Schemeil [1983 : P455] soulignent également que les relations

clientélistes158, en tant que rapports de dépendance personnelle, sont repérées dans n’importe

157 Les pratiques informelles et interrelationnelles présentes dans les systèmes économiques et politiques sont abordées dans la littérature contemporaine sous des concepts divers : coalitions distributives ou cartels prédateurs (distributional coalition) [Olson, 1982 ; Tang et Hedley, 1998], Etat patrimonial et néo-patrimonial [Bayart, 1989 ; Eisenstadt, 1973 ; Médard, 1991, 1998 ; Roth, 1968], capitalisme de copinage (crony capitalism) [Haber, 2002], clientélisme et patronage (relations patron-clients) [Eisenstadt et Roniger, 1980 ; Leca et Schemeil, 1983], systèmes d’insiders (insider systems) [Meisel, 2004 ; Meisel et Ould Aoudia, 2007a], ordre social à accès limité (limited access social order) [North et al., 2007], etc.

158 La relation de clientèle est présentée chez Leca et Schemeil [1983] comme une alliance dyadique verticale entre deux personnes de statut, de pouvoir et de ressources inégaux, dont chacune juge utile d’avoir un allié supérieur ou inférieur à elle-même. Cette définition est tirée des travaux de Lande qui ont porté sur les origines dyadiques du clientélisme [Lande, 1977].

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quel type de société et de régime contemporains. Ils considèrent même « qu’il est impossible

de trouver un exemple de régime d’où cette relation (…) serait complètement absente » car

les individus estiment toujours plus facile et plus économique d’y recourir pour obtenir des

avantages particuliers, plutôt que de se soumettre aux mécanismes du marché, de la

bureaucratie ou des associations. Néanmoins, c’est dans les pays en développement où les

règles formelles et impersonnelles sont les moins établies, que les règles informelles se

manifestent avec le plus d’éclat. C’est également au sein de ces pays que leurs effets sont les

plus dommageables159, notamment dans un contexte de transition.

Ainsi, les PAM ne sont pas une exception manifeste en matière d’institutions informelles.

Néanmoins, ces dernières semblent contenir des spécificités dont l’explication serait liée à la

prédominance de la logique clanique, et des habitudes héritées telles que le clientélisme « dont

on trouve trace durant une période exceptionnellement longue », [Leca et Schemeil, 1983], et

qui n’ont pas manqué de façonner ces institutions. Nous en exposons ici quelques-unes.

2.3.1. L’existence d’un clan dominant : le schéma khaldounien et la structure actuelle du pouvoir dans des PAM

De nombreux auteurs tels que Cheddadi [1980], Mahieu et al. [2003] ou Michaud [1981],

montrent que certaines analyses khaldouniennes restent d’une actualité parfois saisissante.

Dans son analyse du système politique syrien, Michaud [1981] montre comment

l’accaparement de tout le pouvoir d’État en Syrie par une minorité (le clan dominant), les

Alaouites (10 % de la population), vérifie l’analyse faite par Ibn Khaldoun : comment en effet

à un endroit historique donné, une communauté (asabiya) soudée par les liens du sang ou par

une similitude de destin (famille El-Assad et ses alliés), use d’une prédication (da’wa) religieuse

(la doctrine alaouite) et politique (nationalisme et socialisme arabes) comme d’un tremplin

pour accéder au pouvoir total (mulk). L’exemple de la structure du pouvoir au Maroc, décrite

par Benhaddou [1997], nous offre également une illustration parfaite du schéma khaldounien.

Il montre que les ressources du pouvoir sont concentrées entre les mains d’une minorité de

familles dirigeantes. Ces familles sont issues de trois grands groupes : les chorfas, qui se disent

159 Ces pratiques sont souvent évoquées dans la littérature comme étant un facteur explicatif majeur de l’inefficience des systèmes politiques et économiques dans ces pays. Voir par exemple : Olson [1982], Cameron [1988], Tang et Hedley [1998], Oman et al. [2003a], etc.

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descendants du Prophète (prédication religieuse) et forment une sorte d’aristocratie (le clan

dominant) ; les oulémas (les gens de plumes), qui interprètent les textes religieux et exercent

une grande influence sur une bonne partie du « petit » peuple majoritairement analphabète ; et

les commerçants, pour certains devenus des hommes d’affaires (les alliés du clan dominant).

Pour conserver leurs privilèges et défendre leur rang, « elles se reproduisent à l’identique en

utilisant les ressources de la tradition : filiations patriarcales, mariages de convenance et

alliances économiques »160 (Esprit de clan et esprit de sang). « (…) De cette organisation à

base familiale, émergent des hommes riches, instruits mais avides de puissance. Ils

monopolisent les hauts postes de l’administration, contribuant à bloquer un système dont ils

profitent largement. Ce sont les mêmes qui sont nommés à la tête des entreprises publiques

ou s’offrent des mandats électifs dans les partis politiques que contrôle le Palais »

(endogénéisation des ressources du pouvoir). « Sans créer une classe, ils s’associent pour

former une unité de pouvoir qui domine la société ». Autrement dit, ils forment un clan

dominant qui verrouille l’accès aux ressources du pouvoir, en contrôlant les principaux

canaux de création des richesses et en empêchant l’émergence de tout autre clan susceptible

de lui ôter son pouvoir.

De nombreuses études161 permettent de rendre compte de la structure clanique du pouvoir

dans les autres PAM, que nous ne développerons pas ici au cas par cas. Soulignons en

revanche, qu’à la différence du Maroc et de la Syrie, les clans dominants en Algérie, en

Tunisie, en Égypte et en Libye ne se sont pas constitués sur la base d’une prédication

religieuse mais plutôt d’une stratégie politique fondée sur le nationalisme et le socialisme

arabes. Les leaders politiques des mouvements indépendantistes dans ces différents pays162

ont alors usé de cette prédication comme d’un tremplin, pour accéder au pouvoir total et le

conserver. Ces leaders ont formé une coalition restreinte sous forme de réseaux familiaux et

de compagnons de route, constituant une unité de pouvoir se présentant comme un

160 Benhaddou [1997] explique que les trois quarts des mariages sont encore « arrangés » par les familles.

161 Voir par exemple [Hibou, 2006a] et [Camau et Geisser, 2003] pour le cas de la Tunisie ; [Vatin, 1983] et [Leca et Vatin, 1977] pour le cas de l’Algérie ; [Moore, 1977] et [Gobe, 1999] pour le cas de l’Egypte.

162 Voir entre autres [Moore, 1977, 1981] pour le cas du président Nasser en Egypte ; Voir [Hinnebusch, 1995 ; Michaud, 1981 ; Van Dam, 1996] pour le cas du président El Assad en Syrie ; voir [Amarouche, 2004 ; Leca et Vatin, 1977] pour le cas du président Boumediene en Algérie ; voir [Camau et Geisser, 2004 ; Entelis, 2004] pour le cas du président Bourguiba en Tunisie.

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modérateur des appétits de clans potentiellement émergents, en vue de sauvegarder l’unité

nationale qu’ils estimaient fragile à l’aube de l’indépendance163.

La principale caractéristique commune à tous les PAM réside dans l’existence d’un clan

dominant dont la suprématie n’est pas susceptible d’être partagée. Ce clan est constitué par

une coalition très fermée de personnes, soudée par les liens du sang ou par une similitude de

destin, et organisée autour du dirigeant politique (chef du clan), qui détient toutes les clés du

pouvoir politique et garde solidement le monopole de la création des organisations

économiques, culturelles et religieuses.

Comme dans le schéma khaldounien, la suprématie d’un clan (ou d’un homme) par rapport

aux autres s’acquiert par la violence, et c’est par elle que se maintient et s’étend le pouvoir du

clan régnant. Ce schéma de rapport de force est observable dans tous les PAM bien que le

fondement de la soutenabilité du clan régnant et la source de sa légitimité puissent varier d’un

pays à l’autre [Hudson, 1977 ; Waterbury, 1977]. L’illustration la plus parlante de cette

violence est dans les coups d’État (réussis ou ratés) qui ont marqué cette région. Si la

succession d’un chef d’État ou d’un roi n’est pas due à son décès naturel, auquel cas c’est son

fils qui prend la tête du régime (cas de la Syrie en 2000 et du Maroc en 1961 et en 1999), elle

serait due, dans l’écrasante majorité des cas, à un coup d’État ou à l’assassinat du président164.

Par ailleurs, le clan dominant, perpétuellement préoccupé par son maintien au pouvoir, use de

la violence légitimante pour empêcher la constitution de tout autre clan susceptible de mettre

en cause sa suprématie et de le concurrencer dans le contrôle des ressources économiques165.

La violence légitimante touche le champ des libertés civiles et politiques, à travers la

répression de tout mouvement ou organe contestataire susceptible d’exercer une pression sur

le régime en place. Elle s’exerce également dans le champ économique par le biais de

pratiques prédatrices qui impliquent une réallocation « violente » des richesses (notamment

163 Ces dernières années, une nouvelle source de légitimité est venue conforter les clans régnants des PAM dans leur stratégie de sauvegarde du pouvoir et de légitimation de la violence exercée contre tous les clans potentiellement actifs, à savoir la lutte contre le terrorisme [Ben Abdallah, 2008 ; FIDH, 2003].

164 Coup d’Etat de Ben Ali en Tunisie en 1987 ; coup d’Etat de Kadhafi en Lybie en 1969 ; l’assassinat de Sadate en Egypte en 1981 ; Le coup d’Etat de Hafez el-Assad en 1970 en Syrie ; l’histoire politique en Algérie est plus turbulente entre assassinats, putschs de l’armée, guerre civile, etc.

165 L’absence de fait des partis politiques dans les PAM, la répression des mouvements associatifs de la société civile, le verrouillage de l’information, la faiblesse des organisations syndicales, le contournement des règles formelles de régulation de la concurrence de la part du clan dominant et de ses alliés, sont des exemples de la manifestation de la violence exercée par le clan dominant. Voir à cet égard les rapports de l’UNDP [2002 ; 2003a].

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des rentes étatiques) entre les agents, dont les principaux bénéficiaires sont le plus souvent

des membres du clan dominant et ses différents alliés et clients.

2.3.2. Patrimonialisme : une frontière fragile entre domaine public et privé

Les PAM ont également ceci de particulier qu’ils partagent un fonds commun « patrimonial »

animé par un fort esprit de clan. Le mode de gouvernement patrimonial est présenté par

Médard [1991 ; 1998] comme une forme de domination personnelle, empruntant à la fois à la

tradition et surtout à l’arbitraire. Le chef, dans cette situation, ne distingue pas ses biens

privés de ceux de l’État, et organise son pouvoir politique comme l’exercice de sa gestion

domestique. C’est principalement cette confusion du public et du privé dans la conduite des

affaires de l’État par le clan dominant, qui fait des États des PAM des entreprises politiques à

caractère patrimonial. Ceci se traduit en fait par la prééminence du pouvoir politique dans des

sociétés dépourvues d’autonomie propre, dans lesquelles les détenteurs de l’autorité

pourraient s’arroger tous les pouvoirs d’allocation des biens matériels, des positions

statutaires, et des représentations symboliques. Pour consolider les allégeances et stimuler le

loyalisme de ses soutiens, le pouvoir alloue aux groupes sociaux des ressources (promotions,

biens matériels et privilèges), les détournant du désir d’expression politique.

Une autre particularité réside dans la perpétuation de pratiques ancestrales au sein d’un cadre

institutionnel moderne. La présence d’une bureaucratie est le témoin le plus apparent du

caractère moderne des systèmes institutionnels formels dans ces pays. L’histoire coloniale,

française ou ottomane, a laissé en héritage une bureaucratie fortement développée et

structurée. Plus récemment, de nouvelles institutions formelles ont été mises en place, sous la

pression des organisations internationales et des plans d’ajustement structurel, ou celles liées

aux accords de partenariats commerciaux et de libre-échange avec l’Union européenne par

exemple. Certes, le chef politique détient tous les pouvoirs et gère le territoire comme s’il

s’agissait d’un domaine personnel, il est toutefois tenu de composer avec des règles et des

procédures formelles et « modernes », dont celles qui émanent de la bureaucratie.

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2.3.3. Lorsque l’esprit de clan s’entremêle avec « l’esprit de rente »

La notion « d’esprit de rente » est établie ici à partir de celle de l’esprit de clan. Elle se veut

plus large que la notion de « rente » telle que celle qui est issue des ressources naturelles, des

revenus fonciers ou celle qui est décrite par la théorie du Rent-seeking166. Dans la théorie

économique, la rente peut être définie comme « la rémunération de ressources rares, dont la

valeur ne peut être calculée par le coût de production, et excède généralement largement

celui-ci » [Talahite, 2006 : p.8]. Selon une conception smithienne, elle peut être assimilée à un

écart par rapport au prix de marché. Dans une conception plus large, et en suivant

Amarouche [2004], nous définissons « l’esprit de rente » comme une disposition de l’esprit

consistant à tourner à son avantage, à l’avantage de personnes, groupes de personnes ou

communauté de gens auxquels on est lié par des liens de sang, d’intérêt ou de prestige, des

situations (monopoles), faits (ressources rares) ou événements (interventions publiques) sur

lesquels on possède un certain pouvoir d’action de par la position qu’on occupe dans la

hiérarchie sociale ou de par les fonctions qu’on y assume. La « rente » est présentée ici

comme tout avantage matériel ou immatériel que l’on peut tirer de la possession d’un pouvoir

au sein de la hiérarchie sociale, ou d’une capacité d’influence sur ceux qui détiennent ce

pouvoir. Elle est envisagée sous l’angle des effets qu’elle peut produire sur la mentalité et le

comportement des élites dirigeantes privées et publiques.

Dans les PAM, le clan dominant garde le monopole de la répartition des pouvoirs

économiques et politiques, qu’il distribue d’une manière discrétionnaire et souvent selon une

démarche clientéliste visant à étendre son réseau d’alliés. Il peut dès lors être considéré

comme un producteur de pouvoir donc de situations de rentes. Celles-ci peuvent être créées

par le clan dominant et prendre la forme de passations de marchés publics, d’un accès

privilégié au crédit, de nomination à des postes statutaires, etc. Elles peuvent également

provenir d’une rente exogène, comme les revenus du pétrole, que le clan dominant s’arroge le

166 L’usage disparate du concept de « rente » et la multiplicité des significations qu’on lui attribue témoignent de l’incapacité de la science économique à construire une théorie unifiée de la rente. Toutefois, cette notion est particulièrement répandue dans les travaux sur les pays exportateurs d’hydrocarbures. Or, dans cette littérature, la catégorie de la « rente » déborde largement le cadre de son usage par la théorie économique qui tend à élargir cette notion aux États, aux sociétés, aux individus : on parle « d’État rentier », de « société rentière », de « comportement rentier », de fonctionnement rentier de l’économie ou de l’entreprise, etc. Talahite [2006] nous livre une analyse très éclairante sur la fragilité des fondements théoriques de la « rente » et sur les risques de son utilisation au-delà de son domaine de pertinence.

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droit de distribuer à sa guise. En l’absence de contre-pouvoir, ces rentes ne sont pas

nécessairement employées dans des activités productives, mais plus souvent dans une logique

de rentabilité politique et de consolidation de l’assise du clan dominant. Dans ces pays, où

l’accès aux ressources du pouvoir est limité, l’objectif, pour une grande partie de la société, est

alors de tenter de capter une rente. La démarche consiste généralement à s’approcher des

élites intégrées dans la coalition dominante ou d’essayer d’intégrer la bureaucratie ou les

entreprises publiques, lieux de la promotion de la clientèle du régime. Les luttes qui mettent

en jeu les places dans la hiérarchie sociale ont l’État pour principal enjeu parce que c’est dans

l’État que siège le pouvoir formel (celui du clan dominant)167, qui permet d’accéder aux

positions sociales les plus recherchées pour ce qu’elles offrent de possibilités d’élargir son

réseau relationnel et d’accéder aux rentes, voire d’acquérir le pouvoir de « vendre » des

rentes168. Ainsi, l’utilisation de la notion d’esprit de rente se justifie par le fait que la

multiplication des foyers potentiels de captation de rente dans un système hyper-centralisé

peut affecter le comportement des différents acteurs sociaux, qui s’orienterait davantage vers

la recherche de rente plutôt que l’entreprise d’une activité productive.

L’esprit de rente peut s’opposer alors à l’esprit de gain en ce qu’il n’œuvre pas

systématiquement à accroître par la production les richesses existantes, ni à favoriser leur

accumulation. L’esprit de rente n’a pas vocation non plus à être socialement structurant en ce

sens qu’il crée et entretient un système de rapports dans lequel les positions sociales effectives

s’ordonnent différemment du système régi par le rapport salarial. Elles prennent ainsi la place

du Capital comme rapport social fondamental, favorisées en cela par toutes les formes de

communautarismes et par l’esprit de clan. À cet égard, Amarouche [2004] explique, qu’à la

différence du Capital dont la vocation est d’être accumulé sans restriction, le « capital-

relations », qui se mesure par l’étendue du réseau relationnel propre à chaque personne, peut

s’enfermer dans une contradiction : alors qu’il est de l’intérêt de chaque personne, groupe de

personnes ou communauté de gens, d’étendre son propre réseau relationnel et d’élargir ce

faisant sa sphère d’influence, la vraie nature du capital-relations est de discriminer entre les

personnes, groupes de personnes ou communautés d’appartenance, et les autres, qui ont eux

aussi leurs réseaux relationnels propres. Un système institutionnel où prédominent les 167 L’Etat est perçu ici comme un instrument de domination par le clan au pouvoir. Il est indépendant des forces de la société (civile) et influence largement les relations sociales. Voir à ce propos l’analyse d’Anderson [1987] sur les pays MENA.

168 En l’absence d’un Etat de droit et de systèmes de gouvernance efficaces, les fonctionnaires peuvent « monnayer » les décisions administratives ayant des effets sur certaines activités économiques.

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comportements de recherche de rente n’est pas alors un système de rapports économiques

dépersonnalisés. Il l’est d’autant moins que l’esprit de rente qui l’anime s’accommode plutôt

de rapports personnels, du type de ceux qui se développent sous forme de réseaux

relationnels structurés par l’esprit de clan.

Cette double logique de clan et de rente semble avoir survécu aux projets d’industrialisation

menés par la plupart des PAM, dont l’une des vocations est de diffuser au sein de la société sa

« propre rationalité »169, notamment celle qui est liée à la réalisation d’un objectif de

production pour lequel a été conçu le système industriel. Force est de constater que les

industries dans les PAM, restées pour la plupart au « stade fœtal », incapables de décoller170,

se sont trouvées soumises non à la rationalité du capital et de l’efficience économique mais à

la rationalité du clan et de la rente. Dès lors, il n’est pas étonnant que, dans le cadre de cette

double logique, des usines, des complexes industriels et autres systèmes industriels construits

par l’État ne puissent atteindre les performances qu’on leur connaît ailleurs : performances

techniques, organisationnelles ou financières [Ould Aoudia, 2006b]. L’esprit de rente et les

relations claniques dans les PAM peuvent apparaître ainsi comme des facteurs explicatifs du

« sous-développement du rapport salarial », selon les termes d’Ominami [1986]. Sources

d’entraves à l’épanouissement du rapport salarial, la double logique rentière et clanique freine

l’avènement d’une économie de marché tout en favorisant le renforcement du poids de l’État

et du clan qui le contrôle. Or, sans une économie de marché, les critères d’efficience ont de

faibles chances de l’emporter face aux critères rentiers. Ce qui tend à fragiliser, entre autres, la

thèse avancée par la nouvelle économie institutionnelle, qui suggère une sélection des

institutions par le marché.

169 Voir à ce propos Stiglitz et al. [2008].

170 Voir entre autres : Mabro et Radwan [1976 : cas de l'Egypte], Amarouche [2004 : cas de l'Algérie], [Gharbi, 2008 : cas de la Tunisie]. Notons ici que l’une des conséquences de ce marasme de l’industrie est le fait que les luttes exacerbées se dirigent vers le lieu où la rente est le plus immédiatement disponible : les banques.

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2.4. Le changement institutionnel dans les PAM à l’épreuve de la logique clanique et rentière

Contrairement aux sociétés régies par le rapport salarial, les sociétés, comme celles des PAM,

dominées par l’esprit de rente et de clan, se démarquent par le fait que les formes

institutionnelles générées par les antagonismes inhérents aux luttes claniques et rentières

auront tendance à médiatiser, normaliser les conflits relatifs à l’appropriation de la rente, et

non à l’appropriation du produit du travail. Dans ces conditions, le conflit ne met pas en jeu

le capital et le travail, mais le détenteur de la rente d’un côté (le clan dominant et la

bureaucratie qui lui est assujettie), et les chercheurs de rente de l’autre (les différents acteurs

sociaux). La structure clanique du pouvoir est de nature à favoriser et à pérenniser ces

conflits. Elle tend à renforcer l’appareil étatique et à centraliser les décisions par un processus

d’interaction entre l’ensemble des institutions de l’État, contribuant ainsi à l’extension et à la

généralisation des comportements rentiers à l’ensemble du système institutionnel. L’emprise

du clan dominant sur les ressources de pouvoir se trouve renforcée et entrave la

dépersonnalisation et l’autonomisation des rapports sociaux, et par conséquent paralyse toute

forme d’action collective. Or, l’action collective est une condition indispensable au processus

d’institutionnalisation et de codification des rapports sociaux, notamment du rapport salarial

et de la concurrence. Sans cette action collective, comment peut-on mettre en place des

systèmes de gouvernance impersonnels afin de freiner l’emprise du clan dominant sur les

ressources économiques ? Comment des institutions qui ont évolué et se sont renforcées

depuis des siècles sur la base des relations claniques vont-elles pouvoir s’emboîter avec les

autres formes institutionnelles issues des catégories de l’économie de marché ? Le risque est

grand de voir les PAM s’enliser dans un engrenage institutionnel : les institutions issues du

caractère clanique et rentier des rapports sociaux, modèlent les comportements des agents de

manière à entretenir la logique clanique et rentière, ces agents, par effet de retour, vont tenter

de pérenniser les institutions rentières qui favorisent la captation de la rente.

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2.5. Conclusion

Nous avons tenté de montrer que la compréhension des rouages au sein des systèmes

économiques et politiques dans les PAM ne saurait prétendre à une certaine complétude sans

resituer le tout dans le contexte de l’esprit de clan à l’œuvre dans les formations sociales des

populations des PAM. La prise en compte de l’histoire biologique de l’individu nord-africain,

de la prégnance des habitudes de pensée héritées des rapports sociaux et de la structure

clanique du pouvoir, s’avère essentielle à maints égards à l’étude du processus institutionnel.

Ces dernières resurgissent en effet au travers des apparences de modernité des institutions

« formelles », mises en place depuis l’indépendance.

Comme nous avons pu l’observer à travers notre étude empirique, les PAM se caractérisent

par des systèmes institutionnels davantage basés sur les relations interpersonnelles et

informelles plutôt que sur des règles formelles et impersonnelles. Ce déficit en matière de

règles de droit et, de surcroît, la faiblesse des systèmes de gouvernance sont de nature à laisser

place libre au développement des pratiques ancestrales et à la perpétuation des modes de

domination clanique qui semblent l’emporter largement sur les pratiques modernes encadrées

par la loi. Ainsi, il apparaît clairement que la recherche des causalités dans l’analyse des

blocages de la transition institutionnelle dans les PAM requiert la prise en compte des

survivances du passé qui ont façonné les institutions en vigueur dans ces pays.

Dans une démarche institutionnelle évolutionniste, le recours à l’analyse d’Ibn Khaldoun était

riche en enseignement et très utile à la compréhension des systèmes institutionnels actuels

dans les PAM. Elle contribue à expliquer comment un clan donné parvient à s’emparer du

pouvoir et quels mécanismes lui permettent de le sauvegarder. Comme dans le schéma

khaldounien du pouvoir, la durabilité du clan régnant dans les PAM se base essentiellement

sur trois éléments : la suprématie du clan dominant s’acquiert par la violence et c’est par elle

que se maintient et s’étend son pouvoir, la pratique du patrimonialisme et du clientélisme afin

de consolider ou d’étendre son réseau d’alliés, l’endogénéisation des moyens de création des

richesses économiques qui se traduit par un verrouillage de l’accès aux ressources du pouvoir.

Dans ces conditions le clan dominant, en procédant à une distribution discrétionnaire de ces

ressources, se transforme en véritable fournisseur de rentes, provoquant chez les acteurs

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sociaux des comportements de recherche de rente. S’accommodant des rapports

interpersonnels du type de ceux qui se développent sous forme de réseaux relationnels

structurés par l’esprit de clan, ces comportements font naître un esprit de rente qui prolifère

au sein des systèmes économiques et politiques.

Cet exercice qui vise à décrire les comportements rentiers et claniques des acteurs sociaux

dans le cadre du système institutionnel en place, revêt une importance majeure en ce sens que

ces comportements constituent un élément décisif dans la formation des institutions, dont ils

sont issus et qu’ils renforcent en retour. L’utilité de cet exercice analytique peut finalement

être double : d’une part, montrer comment les formes institutionnelles issues d’un processus

cumulatif des habitudes héritées génèrent des comportements de recherche de rente ; d’autre

part, décrire comment ces comportements animés par un esprit de clan vont à leur tour

influer sur ces formes institutionnelles pour les figer, les subvertir à des fins rentières, et par

conséquent les rendre économiquement inefficaces.

Néanmoins, si cet exercice semble avoir atteint son objectif d’analyser les facteurs socio-

historiques à l’origine de la formation institutionnelle dans les PAM, il atteint ses limites en

abordant la question des comportements rentiers. Il convient, dès lors, de resituer cette

analyse dans le cadre des théories contemporaines relatives à la recherche de rente. L’appel à

la théorie de la rent-seeking s’avère alors nécessaire. Mais ce modèle est-il suffisant pour rendre

compte des facteurs de blocages de la transition institutionnelle dans le cas particulier des

PAM ?

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3. Les réformes institutionnelles et la stabilité politique à l’épreuve des chercheurs de rente : un cadre théorique

3.1. Recherche de rente : fondements théoriques

Les fondements de la théorie de la « recherche de rente » ont été posés par Tullock [1967].

Mais sa popularité est surtout due au travail de Krueger [1974], qui introduira explicitement

l’expression « recherche de rente » (« rent-seeking » dans les travaux anglo-saxons). Elle a

d’abord retenu l’attention d’auteurs intéressés par les économies en développement,

notamment pour analyser la corruption, problème central dans ces pays, qui est une forme

particulière – et illégale – de recherche de rente [Lafay, 1990].

Qu’entend-on par « rent-seeking » ? Ce concept renvoie à l’ensemble des activités menées dans

le but de bénéficier d’une redistribution de la richesse collective. La recherche de rente vise à

capter un transfert de richesse, soit au prix d’une violation des règles du jeu économique, soit

en jouant à un autre jeu, à savoir le jeu politique [Vornetti, 1998]. Par exemple, la

réglementation du prix d’un produit peut provoquer un « transfert » de revenu des

consommateurs vers les producteurs ; payant un prix supérieur au prix qui s’établirait sur un

marché libre, les consommateurs alimentent une rente qu’accaparent les producteurs.

L’intuition de départ sur laquelle s’est construite la théorie de recherche de rente peut être

résumée de la manière suivante : si l’intervention publique donne l’occasion de capter de tels

transferts, il peut être rentable de consacrer des ressources à tenter de provoquer

l’intervention de l’État ou d’en bénéficier. Sous cet angle, les activités de recherche de rente

ont pour but d’influencer la décision publique ou de se mettre en position d’en tirer parti.

Dans le premier cas, la recherche de rente menée en amont vise à obtenir qu’une mesure

particulière aux conséquences redistributives favorables soit prise. Dans le second cas,

opérant en aval, la recherche de rente consiste à se positionner comme bénéficiaire d’une

décision publique donnée.

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Cette conception de « recherche de rente » a plusieurs implications : (i) Les activités de

recherche de rente ne sont pas directement productives, dans la mesure où elles conduisent à

des transferts de richesses sous forme de « rémunérations » pécuniaires, mais ne produisent

pas nécessairement des biens ou services qui entrent dans une fonction d’utilité

conventionnelle. Cet aspect est décrit par Bhagwati [1982] dans son article intitulé « Directly

Unproductive, Profit-seeking activities ». Qu’elles soient productives ou non, ces activités sont

caractérisées dans la littérature moins en fonction de leur nature que de l’objectif qu’elles

poursuivent, qui est de doter d’une « rente » celui qui les mène. (ii) Dans ce cadre, la rente

telle que présentée par les théoriciens du rent-seeking diffère significativement de celles

analysées par l’économie classique. Ces dernières sont en effet considérées comme

« naturelles ». Elles peuvent prendre la forme de dons de la nature, monopole naturel ou

rentes temporaires liées au fonctionnement concurrentiel du marché171. Elles sont écartées

par la théorie du rent-seeking qui ne retient que les rentes dites « artificielles », celles-ci étant le

résultat d’un non-respect des règles concurrentielles (conduisant, par exemple, à la formation

d’un cartel) ou des règles de droit (par exemple, le remodelage de la structure des droits de

propriété). (iii) L’essentiel des travaux consacrés aux activités de recherche de rente concerne

alors ce dernier type de rente. L’exemple le plus symptomatique à cet égard est celui présenté

par Krueger [1974] concernant la recherche de rente induite par l’existence de quotas

d’importations. La détention d’une licence d’importation donne droit aux importateurs et aux

producteurs locaux de s’approprier une part de la rente totale générée par le contingentement.

L’État qui détient le monopole de production de la « règle de droit » devient un acteur

incontournable dans les activités de recherche de rente. Il est ainsi placé au centre de leur

analyse qui attache une attention particulière à la dimension redistributive de l’intervention

publique.

Les chercheurs de rente peuvent exercer une pression sur les décisions publiques de plusieurs

manières. L’une des stratégies les plus analysées dans la littérature consiste à transférer des

ressources aux acteurs publics, essentiellement sous la forme de contributions électorales ou

de pots-de-vin. Dans la plupart des pays en développement, caractérisés par l’absence de

171 Elles sont par nature temporaires puisqu’elles sont destinées à disparaître sous la pression concurrentielle. « Par exemple, une entreprise qui offre un produit nouveau crée un marché sur lequel elle se trouve en situation de monopole ; mais en environnement concurrentiel elle ne pourra jouir que transitoirement de la rente (de monopole) correspondante ; des entreprises entreront sur le marché, qui la dépossèderont de cette rente pour, à terme, en faire bénéficier les consommateurs, via l’accroissement des quantités produites et la baisse concomitante du prix du marché » [Vornetti, 1998 : p.14].

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systèmes de partis politiques et par l’autoritarisme du régime politique, la possibilité d’une

pression électorale contributive est très faible, voire exclue. La corruption apparaît alors

comme le mode privilégié de recherche de rente dans ces pays.

Les dépenses de recherche de rente sous la forme de pots-de-vin - qui constituent le prix

auquel la rente est achetée -, bénéficient directement à ceux qui contrôlent la rente. Ce mode

de recherche de rente confère aux acteurs publics un « pouvoir », lié à la position qu’ils

occupent au sein de l’État, qui serait de nature à générer des transferts de richesse. Dès lors,

une position statutaire au sein de l’État devient une source de rente. L’existence d’une telle

rente - qu’on pourrait qualifier de « rente bureaucratique » - peut engendrer un accroissement

des comportements de recherche de rente, conduisant à une amplification des dépenses

engagées dans la concurrence pour les postes qui permettent d’obtenir cette rente. De leur

côté, les offreurs de rente ont intérêt à promouvoir les dépenses sous forme de pots-de-vin,

ce type de transfert leur permet de retenir une part de la rente offerte. Il en résulte que ces

derniers se comportent eux aussi comme des chercheurs de rente – leur rente est constituée

des pots-de-vin perçus. Ainsi, la corruption peut être considérée à la fois comme une forme

et comme une source de recherche de rente.

Cependant, les ressources déployées dans les activités de recherche de rente ne sont pas

seulement pécuniaires. Les offreurs de rente peuvent user de leur position afin de réaliser des

objectifs politiques ; ils peuvent être tentés d’offrir la rente en contrepartie d’un soutien

politique. Si les chercheurs de rentes possèdent des capacités d’influence politique effectives,

alors ils peuvent les faire valoir et réduire ainsi le montant des dépenses nécessaires aux

activités de recherche de rente.

Dans la plupart des systèmes d’incitations instaurés dans les pays en développement, la

rationalité politique peut dépasser la rationalité économique avec pour conséquence une

généralisation des comportements de recherche de rente. Nous tentons d’expliquer comment

la poursuite d’objectifs politiques dans les PVD pourrait favoriser les comportements de

recherche de rente.

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3.2. La domination de la rationalité politique dans les pays en développement : conséquences sur les comportements de recherche de rente

L’un des intérêts majeurs de la théorie positive du comportement étatique est d’expliquer

pourquoi les États des pays en développement, en dépit de leur faiblesse extrême, ont accepté

et continuent de prendre en charge des responsabilités économiques qu’ils étaient

manifestement incapables d’assumer de façon efficace. Les PAM constituent l’un des

exemples les plus manifestes de ce type de stratégie de développement. Cette question ne

peut trouver une réponse satisfaisante que si l’on tient compte des intérêts politiques des

dirigeants, notamment ceux qui étaient à la tête des pays nouvellement indépendants comme

la plupart des PAM au milieu du XXe siècle. Les leaders politiques dans ces différents pays172

étaient alors convaincus que seul un État fort était à même de maintenir une unité nationale

qu’ils estimaient fragile à l’aune de l’indépendance et qu’il était le seul acteur capable de mener

des projets de développement de grande envergure nécessaires au décollage économique, à la

modernisation des systèmes institutionnels et au progrès social [Anderson, 1987 ; Yousef,

2004] 173. Néanmoins, de nombreux auteurs soutiennent que la stratégie de développement

étatiste a, avant tout, permis de constituer une base pour eux-mêmes et leurs alliés [Bayart,

1989 ; Callaghy, 1990]. Leca et Schemeil [1983] expliquent que ces projets de développement,

impliquant d’importants investissements publics, ont été entrepris selon une logique de

« rentabilité politique », en ce sens que ces derniers constituent d’abord un puissant

instrument qui élargit les marges de manœuvre des dirigeants politiques, qui renforce la

fidélité et le soutien des couches qui se « branchent sur la circulation de richesse créée ». Cette

stratégie a eu pour conséquence une prolifération des activités de recherche de rente à travers

tous les niveaux de la société. La centralisation du pouvoir et l’absence de contrôle

172 Voir entre autres [Moore, 1977, 1981] pour le cas du président Nasser en Egypte ; Voir [Hinnebusch, 1995 ; Michaud, 1981 ; Van Dam, 1996] pour le cas du président El Assad en Syrie ; voir [Amarouche, 2004 ; Leca et Vatin, 1977] pour le cas du président Boumediene en Algérie ; voir [Camau et Geisser, 2004 ; Entelis, 2004] pour le cas du président Bourguiba en Tunisie.

173 On peut également lire à ce propos : « (…) Popular economic development strategies of this time often stressed the value of central economic planning and the need to protect infant industries from the pressure of global competition. The then-novel theories of Keynesian demand management further suggested that an active government role was necessary for ensuring a healthy economy. (…) In the post-World War II period, international financial institutions including the World Bank (1952, 1955) recommended an expanded economic role for government in response to the presumed weakness of private sectors. » [Yousef, 2004 : PP 93-94].

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démocratique de l’action publique qui caractérisent ces pays sont des facteurs favorables à la

recherche de rente174.

L’objectif de ces régimes devenus autoritaires était avant tout de sauvegarder le pouvoir, au

détriment éventuel de l’efficacité économique. Néanmoins, malgré l’absence de risque

électoral, ces pays peuvent être confrontés à des pressions politiques à court terme. En effet,

d’autres modes d’expression populaire alternatifs au vote peuvent apparaître dans les pays

autocratiques ; par exemple, la grève, la manifestation publique, l’émeute, le terrorisme, etc.175.

Ces régimes doivent particulièrement veiller à prévenir le risque d’une déstabilisation

politique. Les redistributions destinées à se ménager des soutiens politiques seront alors

importantes et entraîneront de fortes distorsions de prix ; ces distorsions sont susceptibles

d’affecter le rythme de croissance économique à long terme [Brough et Kimenyi, 1986].

Le perpétuel souci des gouvernements autocratiques de maintenir une stabilité politique les

contraint à consolider leur base sociale via une politique de distribution de rentes aux

différents groupes dotés d’une capacité d’influence effective. Se pose alors le problème de

partage des rentes entre ces groupes d’intérêts. Kimenyi et Mbaku [1993], par exemple,

expliquent que la stabilité politique dépendrait dans une grande partie de la capacité à réaliser

un équilibre entre des groupes d’intérêt bien organisés qui se concurrencent pour capter des

transferts de richesse prélevés au détriment de groupes relativement plus faibles et moins bien

organisés. Dans cette perspective, « le gouvernement doit alors s’efforcer de définir, faire

accepter et respecter une règle de partage » entre ces groupes des rentes distribuées [Vornetti,

1998]. C’est de l’acceptation et du respect de cette règle de partage que dépend la réalisation

d’un équilibre politique stable.

Les travaux liés à la théorie des groupes d’intérêt sont particulièrement utiles à ce niveau de

l’analyse. La domination de la rationalité politique au sein des États jeunes de nombreux pays

en développement, qui ont privilégié des stratégies redistributives, a favorisé l’émergence et le

renforcement d’un certain nombre de groupes d’intérêt qui se disputent l’État176. Ceci est

particulièrement vrai pour les pays en développement, et au moins dans le cas de l’Afrique, où

174 Malgré leurs limites, certains travaux empiriques ont tenté de mettre en œuvre le lien positif entre la recherche de rente et, d’une part, le degré de centralisation du pouvoir [Rasmusen et Ramseyer, 1994] et, d’autre part, l’absence de contrôles démocratiques [Ampofo-Tuffuor et al., 1991 ; Rama, 1993].

175 Voir [Lafay, 1993a] sur ce point.

176 Voir à ce propos l’analyse de l’Etat intermédiaire de McCormick et Tollison [1981].

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le jeu social a tendance à s’organiser plus autour de ces groupes (d’intérêt) qu’autour de

classes sociales en lutte ou de réels partis politiques en compétition [Lewis W. Arthur, 1966].

La théorie des groupes d’intérêt montre ainsi qu’un gouvernement en mal d’appui cherche à

tirer le maximum de bénéfice politique de « l’illusion budgétaire », c’est-à-dire de la sous-

estimation des coûts par les perdants (en raison de leur grand nombre) et de la concentration

des avantages sur un nombre restreint de gagnants dont on veut s’assurer le soutien politique.

Elle montre également que lorsque le gouvernement et l’administration acceptent de prendre

des mesures distributivement favorables, certains individus sont incités à constituer des

« coalitions à vocations redistributives » [Olson, 1982] et à dépenser des ressources dans des

activités de recherche de rente.

Cependant, des groupes extérieurs aux coalitions redistributives peuvent agir et perturber la

stabilité politique en revendiquant l’accès aux rentes. Dans certains pays en développement,

l’État peut exercer un contrôle étroit des systèmes économiques et politiques à un point tel

que les moyens traditionnels de participation aux marchés économiques et politiques ne

puissent être utilisés. Les groupes perdants ou exclus du partage seront tentés d’utiliser la

violence afin d’accéder aux rentes, voire de s’emparer de l’appareil étatique. Cette situation

peut conduire à de fortes déstabilisations politiques notamment lorsque les comportements

prédateurs de la part du groupe au pouvoir ainsi que lorsque l’accumulation des rentes entre

les mains des membres de la coalition qui les soutiennent atteignent des niveaux tels qu’ils

provoquent une érosion du niveau de vie des exclus et une asphyxie de l’activité économique.

Ainsi, les États des pays en développement, peu assurés de leur maintien au pouvoir, peuvent

se trouver piégés dans un engrenage infernal : la recherche de la stabilité politique les

contraint à privilégier les stratégies redistributives au détriment de l’efficacité économique

privant le pays des moyens nécessaires à la croissance économique177. Or, le maintien d’une

croissance faible entraîne une augmentation de la pauvreté, du chômage et de la violence,

avec pour conséquence de forts risques de déstabilisation politique.

Face à ce dilemme, entre impératifs politiques et nécessités économiques [Geddes, 1994], ces

États n’ont pas d’autres choix que d’engager de vastes programmes de réformes économiques

177 Il convient de noter à ce propos que l’allégement de la contrainte de stabilité politique peut autoriser, sous certaines conditions, une utilisation efficace de l’appareil étatique de création de rentes. Chang [1991 ; 1994] explique comment, au Japon et en Corée du Sud, l’Etat a pu stimuler l’investissement dans les secteurs générant des externalités positives, en offrant des rentes dans les industries les plus productives.

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et politiques. Sous les recommandations des organisations internationales, de nombreux plans

d’ajustement structurel ont été appliqués dans la plupart des pays en développement depuis le

milieu des années 80. Ces programmes ont suscité une littérature abondante, mais l’analyse

s’est souvent limitée aux aspects techniques. Les conséquences politiques liées aux

comportements des acteurs publics, bien qu’elles aient été nombreuses et importantes, ont

rarement fait l’objet d’une analyse systématique. Pourtant, le rôle des acteurs publics dans

l’application des programmes d’ajustement structurel dans les pays en développement et dans

le processus de réformes dans les pays en transition, était d’une importance majeure dans le

rythme de mise en œuvre de ces réformes. En réalité, les interactions entre ces acteurs et les

groupes de pressions ont transformé les réformes en un marchandage politico-économique178

qui peut peser lourd sur le rythme et l’aboutissement des programmes d’ajustement. Certains

États sont alors « capturés » [Hellman et Schankerman, 2000], c'est-à-dire particulièrement

sensibles aux sollicitations des chercheurs de rentes et dominés dans la conduite des réformes

par les intérêts des groupes de pression. Les réformes peuvent elles-mêmes devenir une

source de rente.

3.3. Le processus de réforme face aux problèmes d’actions collectives et de recherche de rente

Selon l’expression de Tollison et Wagner [1991], la réforme peut être définie comme une

activité visant à « purifier une société de recherche de rente ». Cependant, des calculs simples

de surplus montrent que chaque réforme est susceptible de provoquer chez les bénéficiaires

de rente des réactions telles que les ressources qu’ils sont prêts à engager pour défendre leurs

intérêts acquis puissent réduire le gain social anticipé. Dans ces conditions, les actions qui ont

le plus de chances d’aboutir sont soit celles qui profitent seulement aux promoteurs des

réformes, soit celles qui se contentent d’éviter l’apparition de distorsions futures sans éliminer

celles qui existent. Dès lors, les États des pays en développement doivent affronter un double

dilemme : celui des « politiciens », décrit plus haut, et celui qu’on pourrait qualifier de

178 Voir, par exemple, l’analyse de Labaronne [2002b] concernant la privatisation à l’Est. Voir également les travaux de Krueger [1993], Grossman et Helpman [1994], de Dixit [1996] ou encore Laffont [2000] qui tentent de décrire les politiques publiques comme le résultat d'interactions entre les acteurs publics et les groupes d'intérêt.

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dilemme des « réformes sans changement », qui renvoie à une variante de ce que Friedman et

Friedman [1984] avaient décrit comme « la tyrannie du statu quo ».

La théorie de la recherche de rente et des groupes d’intérêt apporte également ici un éclairage

intéressant sur ce type de blocage face au changement. Les travaux d’Olson [1965], qui

traitent des problèmes d’action collective, constituent un apport majeur en la matière. Nous

rappelons ici deux idées-clé sur lesquelles repose l’analyse de cet auteur. La première idée

suggère qu’il y a de fortes chances pour que les perdants potentiels d’une transformation

éventuelle d’une institution redoutent ce changement et tentent d’y résister. Quand les pertes

sont certaines et concentrées sur quelques individus, tandis que les gains sont incertains et

diffus à travers la société, le risque est grand de voir les perdants potentiels résister et parvenir

à empêcher le changement [Olson, 1965]. Même si les gagnants pouvaient trouver un

mécanisme pour dédommager les perdants ex post, ils ne pourraient pas s’engager de manière

totalement crédible à le faire (ils peuvent toujours changer d’avis une fois le changement

institutionnel obtenu). Ainsi le dédommagement reste incertain pour les perdants, tandis

qu’ils perçoivent avec certitude le risque de ne plus avoir le même pouvoir de négociation s’ils

renoncent à l’institution qui prévaut aujourd’hui179. D’où leur choix de refuser et d’empêcher

le changement. La deuxième idée est celle relative au scénario du passager clandestin (free-

rider) selon lequel il existerait une stratégie encore plus rentable que l’action collective :

regarder les autres agir180. L’accent mis sur les effets des rationalités individuelles suggère

l’improbabilité de l’action collective. Suivant cette logique, une institution que chacun

individuellement (et que tout le monde) souhaiterait voir changer, peut persister en l’état

parce que les coûts individuels que devra supporter l’individu (ou la coalition) à l’initiative du

changement risquent d’être tellement élevés qu’ils le dissuadent d’agir. Si cette institution est

soutenue par un réseau de sanctions sociales réciproques, chaque individu tiendra à s’y

conformer, par peur qu’une infraction lui fasse perdre sa réputation, de sorte que l’institution

ne changera pas181.

179 Voir aussi à ce propos [Dixit et Londregan, 1995].

180 Nous pouvons citer à titre d’exemple le cas classique du non-gréviste qui bénéficie de la hausse de rémunération conquise par la grève sans avoir subi les retenues de salaires consécutives. Poussée à son terme, cette logique rend aussi impossible toute mobilisation.

181 Un membre d’un clan ne peut s’en abstraire (de son clan) sans endommager irrémédiablement sa propre personnalité et sans porter préjudice à sa communauté (le clan). Les sanctions que le clan peut infliger à un membre qui s’écarte des règles du clan ou qui souhaiterait les réformer peuvent dissuader toute initiative de ce type.

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3.3.1. Les réformes en tant que sources de rente

Les acteurs publics en charge des réformes sont alors amenés à faire des concessions, à

faciliter l’adhésion des opposants aux projets de réformes, à accepter de nouvelles règles de

partage et à supporter un risque de sanction qui peut être très élevé. En réalité, les décisions

qui accompagnent le processus de réforme dépendent en grande partie de la nature

démocratique ou autocratique du système politique [Olson, 1993]. Dans la plupart des pays

en développement, ces décisions sont prises sur la base de critères de rentabilité politique, en

tenant compte des rapports de force entre individus et groupes parties prenantes aux

réformes. Chaque programme de réforme implique des coûts et génère des gains ou des

pertes. La coalition au pouvoir se constitue alors en une sorte de monopole focal qui se

donne pour mission de répartir les coûts et de redistribuer les résultats produits par les

réformes. Suivant cette logique redistributive destinée d’abord à assurer son maintien au

pouvoir, le régime en place entreprend des politiques clientélistes et procède à une

distribution de privilèges et avantages divers (protéger un marché, donner une licence

d’importation, modifier les prix). Ainsi, lors de chaque programme de réforme, la coalition au

pouvoir se positionne en situation d’offreur de rente.

3.3.2. Les réformes dans un contexte de transition inachevée : un processus de marchandage politico-économique

Face à cette offre, les chercheurs de rentes s’organisent en groupes de pression (groupes

d’intérêts et parties prenantes). Ils mènent des activités diverses de recherche de rente et

agissent en mobilisant toutes sortes de moyens de pression sur les acteurs publics en charge

de la mise en œuvre des réformes. Ils soutiennent les réformes qui leur sont favorables et

bloquent ou retardent l’application des réformes susceptibles de remettre en question leurs

intérêts acquis et leurs rentes. Dans un cadre d’interdépendances et d’interactions politico-

économiques, un processus de marchandage s’installe entre les deux parties (les offreurs et les

chercheurs de rentes). Ce marchandage implique des « coûts de transaction politique » [Dixit,

1996] équivalents aux ressources mobilisées pour obtenir la rente, comme les pots-de-vin, les

frais de lobbying, le temps passé par les bureaucrates, etc. Ce processus engendre alors un

gaspillage social important, en raison des dépenses engagées le plus souvent dans des activités

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non de production mais de recherche de rente. Mais, il peut surtout conduire soit à une

application partielle du programme de réformes, soit à son report pur et simple [Alesina et

Drazen, 1991]. Dans les pays en développement, la réforme partielle est fréquente au niveau

des programmes de libéralisation du commerce extérieur où des exemptions et des régimes

spécifiques peuvent encore subsister [Bienen, 1990].

3.3.3. L’exemple des privatisations à l’Est

L’une des illustrations les plus éclairantes de ce type de marchandage politico-économique est

sans doute celle relative à « la capture de l’État par des intérêts privés » dans certains pays

d’Europe de l’Est au moment de la transition [Andreff, 2007 : p360]. L’instrumentalisation de

la privatisation par des groupes de pression à des fins privées est un exemple symptomatique

du blocage des réformes et de la capture de l’État dans ces pays [Labaronne, 1998, 2002b].

Labaronne explique comment la privatisation a favorisé l’émergence d’une nouvelle élite qui,

une fois ses privilèges obtenus ou ses prérogatives maintenues, s’est organisée en « coalitions

à vocation redistributive ». Cette élite, informée du fait que les pouvoirs politiques acceptaient

de prendre des mesures distributives favorables, a été incitée, en retour, à dépenser des

ressources dans des activités de recherche de rente auprès du secteur public. En effet, avec les

privatisations, et dans un système marqué par l’interventionnisme persistant de l’État, les

détenteurs d’intérêts acquis ont anticipé le fait que la poursuite de leurs intérêts passerait

davantage par la recherche de subventions publiques directes ou indirectes et par l’obtention

de faveurs que par une politique risquée de restructuration d’entreprises anciennes ou de

création de sociétés nouvelles.

Le développement de ces activités de recherche de rente a eu trois principales conséquences.

(i) L’échec des réformes de privatisation qui n’ont pas atteint l’objectif qui leur avait été

assigné, à savoir de « dépolitiser » les firmes par l’élimination du contrôle direct ou indirect de

l’État dans la gestion des entreprises et par la suppression des liens financiers entre le secteur

public et le secteur privé. Sur la base d’une étude de la BERD [2000], Labaronne montre que,

si la privatisation a été associée à une modification de l’intervention de l’État dans le contrôle

des entreprises, elle ne s’est pas accompagnée, pour autant, d’une réduction du niveau général

d’intervention, du temps prélevé ou du cash-flow détourné des firmes au profit de

l’administration, et du montant des aides accordées par l’État aux entreprises sous forme de

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subventions ou d’autorisations d’arriérés de paiement. Les résultats de cette étude montrent

bien, sur le plan empirique, l’hypothèse théorique avancée d’un « marchandage », légal ou

illégal, entre des agents publics et des acteurs privés à l’Est. Ce marchandage se traduirait par

un échange de ressources qui permettrait aux premiers d’avoir accès à des moyens financiers

nécessaires à leur activité politique, et aux seconds de bénéficier de subventions directes ou

indirectes qu'ils peuvent réinvestir dans une stratégie d’accumulation privée de capital. (ii) La

deuxième conséquence réside dans le blocage des réformes ou dans le ralentissement de leur

mise en œuvre. Favorables à la stabilisation macro-économique mais hostiles aux réformes

structurelles, les chercheurs de rente ont réussi à imposer une transition partielle, incomplète.

Les réformes relatives à la stabilité macro-économique ont été soutenues par les bénéficiaires

de la privatisation car elles étaient de nature à garantir la pérennité de leurs avantages acquis et

constituaient une assurance pour leurs bénéfices à venir. Les réformes structurelles ont été

sapées. Pour les détenteurs des intérêts acquis, la libération des prix risquait de réduire leurs

rentes, le développement du secteur privé - une fois les privatisations réalisées en leur faveur -

était de nature à entamer leurs positions monopolistiques, l’ouverture internationale

représentait une menace pour leurs parts de marché intérieur. (iii) Les activités de recherche

de rentes associées à la formation de coalitions se sont traduites in fine par une « capture de

l’État » 182. En s’appuyant sur les résultats de l’étude de la BERD, Labaronne montre qu’un

grand nombre d’économies en transition se caractérisent par un haut niveau de capture de

l’État. Ce résultat émane d’un double constat : d’une part, la capacité relativement importante

des firmes ou des agents privés d’influencer les choix publics, d’autre part, le niveau élevé de

concentration de ce pouvoir d’influence entre les mains d’un nombre restreint d’acteurs.

182 Un Etat capturé correspond à un Etat qui dispose d'une autonomie faible et d'une capacité administrative limitée dans la préparation, la formulation et l'application d'une politique économique [Krueger, 1993]. L'autonomie d'un Etat s'interprète comme l'aptitude du gouvernement à décider ou à formuler des politiques sans être soumis à des demandes "excessives" de la part d'intérêts particuliers. La capacité d'un l'Etat se présente comme la faculté d'un gouvernement à mettre en œuvre les décisions politiques et à lever l'inertie des organisations, groupes et individus afin de changer leur comportement. Ces deux composantes définissent la marge de manœuvre d'un gouvernement, elles précisent la faisabilité politique des réformes à engager, elles se mesurent par l'écart existant entre les résultats et les objectifs assignés à la politique publique.

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3.4. Conclusion

Si l’on en juge par la distance qui sépare les objectifs initiaux des programmes standard

d’ajustement structurel et le bilan qui s’en dégage aujourd’hui dans la plupart des pays en

développement et en transition, il semble difficile d’admettre l’hypothèse normative de l’État

« bienveillant » dont les membres seraient préoccupés par le seul « intérêt public ». En

revanche, si l’on retient l’hypothèse positive d’un État sensible aux sollicitations des

chercheurs de rentes et dominé dans la conduite de sa politique économique par les intérêts

des groupes de pression, on saisit mieux l’origine des blocages des réformes institutionnelles.

Cette analyse positive montre le caractère inadapté de la démarche standard excluant

d’emblée la dimension politico-économique de son analyse théorique du développement et de

la transition. Elle souligne l’intérêt analytique de la prise en compte des variables politiques

dans l’interprétation des trajectoires différenciées de processus de transition institutionnelle.

Les comportements opportunistes des élites dirigeantes (publiques et privées) et les objectifs

politiques de la coalition au pouvoir sont au cœur de l’analyse du processus de réformes qui

apparaît alors, dans la plupart des pays en développement, comme un marchandage politico-

économique entre ces deux catégories d’acteurs. La capture de l’État au profit d’une minorité

qui en résulte se solde le plus souvent par des réformes partielles, inachevées, entravant ainsi

le développement du pays ou du moins entraînant un gaspillage considérable des ressources

publiques. Mais surtout, cette analyse montre que les réformes institutionnelles, dès lors

qu’elles sont « confisquées » par les élites dirigeantes, ont de faibles chances d’aboutir à une

amélioration des systèmes de gouvernance, lesquels sont censés restreindre les marges de

manœuvre de ces élites et sanctionner leurs dérives. C’est de la capacité de l’État à mettre en

œuvre des systèmes de gouvernance efficaces que dépend la réduction des opportunités de

corruption et des pratiques prédatrices, l’accélération des réformes au profit du plus grand

nombre et par conséquent la production de la confiance.

Ce cadre d’analyse, qui s’articule autour de la théorie de la recherche de rente et des groupes

d’intérêt dans une démarche d’économie politique positive, nous semble approprié pour

examiner les blocages des réformes institutionnelles dans les PAM. Nous avons souligné dans

les chapitres précédents que ces pays possèdent des institutions démocratiques et d’économie

de marché, mais ces institutions ne sont que partiellement - ou nullement - respectées. Les

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résultats analytiques de la théorie du rent-seeking semblent parfaitement s’appliquer à ces pays,

en ce sens qu’ils peuvent apporter des explications à ce qui pourrait être qualifié de transition

inachevée ou de réformes partielles et incomplètes. Or, à examiner la littérature cherchant à

identifier les blocages des réformes dans la région MENA en général et dans les PAM en

particulier, force est de constater la quasi-absence de travaux mobilisant la théorie de la

recherche de rente. Cependant, une littérature abondante s’est développée autour du concept

de « l’État rentier » qui analyse le développement économique dans ces pays à travers l’impact

de la rente énergétique sur les stratégies de l’État. Nous proposons dans ce qui suit d’exposer

les principaux apports de la théorie de l’État rentier susceptibles de nous éclairer sur les

facteurs de blocages des réformes institutionnelles dans les PAM. Nous mettons l’accent

particulièrement sur l’impact de la « rente naturelle » sur les activités de « recherche de rente »

et sur la capacité de la coalition au pouvoir à neutraliser les systèmes de gouvernance.

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4. La thèse de « l’État rentier » et « l’autonomie politique » du clan dominant dans les PAM

Dans cette section, nous tentons d’analyser les facteurs du blocage des réformes

institutionnelles dans les PAM sous l’angle de la thèse de « l’État rentier ». Cette dernière a

suscité un grand nombre de travaux constituant l’une des contributions majeures dans la

littérature consacrée à la région MENA [Anderson, 1987]. Ces travaux partent du constat

selon lequel les États dits « rentiers » sont généralement autoritaires. Ce constat est lié au

caractère « exogène » des revenus procurés par la vente des ressources naturelles, le plus

souvent pétrolières ou gazières. Cette exogénéité s’explique essentiellement par le fait que la

rente provient de sources extérieures à la production intérieure et qu’elle est versée

directement à l’État. Les tenants de l’école de l’État rentier émettent l’argument que c’est

cette exogénéité qui permet d’expliquer le caractère autoritaire de ces régimes. Si un État n’a

pas besoin de lever l’impôt parce qu’il a des ressources indépendantes de son peuple, il n’a

pas besoin non plus de rendre compte de ses actes (« no taxation, no representation » [Anderson,

1987]). Grâce à ces ressources, l’État rentier peut rester autoritaire, financer son appareil

sécuritaire, enrichir le groupe qui le contrôle, sans être confronté à des revendications

démocratiques des citoyens qui sont dès lors dépolitisés. Si certains contestataires se

manifestent, l’État rentier peut absorber leur mécontentement, soit en distribuant une partie

de la rente sous forme de transferts publics, soit en utilisant les moyens de coercition que la

rente a permis de constituer. Ainsi, l’autonomie budgétaire de l’État rentier lui permet

d’atteindre une certaine « autonomie politique ».

Cette « autonomie politique » sera comprise ici comme une immunité du clan dominant (qui

contrôle l’État et par ce fait la rente) vis-à-vis des systèmes de gouvernance publics et privés,

c’est-à-dire de tout mécanisme institutionnel ou organisationnel destiné à contrôler son

action. Nous avançons l’hypothèse que c’est cette autonomie politique qui permet au clan

dominant de procéder à un verrouillage de l’accès aux ressources du pouvoir et d’empêcher la

formation de groupes sociaux (clans concurrents) indépendants de l’État. Autrement dit, c’est

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cette autonomie qui le libère relativement des pressions en faveur des réformes

institutionnelles.

Nous tentons de montrer en quoi l’analyse en termes d’État rentier nous aide à comprendre

les raisons de la résistance au changement dans les PAM. Comment la rente peut-elle bloquer

les réformes institutionnelles et favoriser la durabilité des clans dominants ? Afin de répondre

à ces questions, nous essayons d’examiner les mécanismes qui conduisent les bénéficiaires de

la rente à bloquer la transition vers la démocratie et vers l’économie de marché. Nous

soulignons d’abord les raisons de l’exogénéité de la « rente énergétique » tout en soulignant la

distinction qui s’impose entre celle-ci et la rente artificielle relative à la théorie du Rent-seeking

(1). Nous exposons les principaux arguments théoriques de l’autonomie politique de l’État

rentier (2). Nous discutons la pertinence du modèle de l’État rentier pour le cas des PAM (3).

Nous mettons en évidence les limites de ce modèle (4).

4.1. La rente énergétique, un revenu doublement exogène

Il faut d’emblée le souligner : la « rente » issue des ressources naturelles, et à l’origine des

travaux de l’État rentier, diffère significativement de la rente artificielle décrite par la théorie

de la recherche de rente. Cette dernière exclut par définition la rente énergétique. C’est dans

les conditions d’existence de la « rente » que réside cette différenciation des deux catégories

de rente. Comme exposé plus haut, la rente artificielle est le résultat d’une intervention

publique qui, en modifiant les règles du marché, génère des situations de rente. L’enjeu de

telles situations réside dans les transferts de richesses que les chercheurs de rente tentent de

s’approprier en mobilisant des ressources visant à déclencher l’intervention de l’État. La rente

énergétique répond à une autre mécanique aux caractéristiques bien différentes, dont les

conditions d’existence dépendent en fait des conditions de réalisation de la valeur d’échange

des ressources naturelles et non de la valeur d’usage de celles-ci183. Or, la réalisation de cette

valeur d’échange est un processus qui dépend lui-même, non pas seulement des coûts

d’information et de transaction, mais plus encore de conditions complexes, de nature à la fois 183 En dépit des apparences, la rente n’est pas la conséquence directe de la dotation en ressources d’un pays. Ses conditions d’existence sont extérieures aux conditions naturelles. Celles-ci ne sont que le support physique, matériel, de la rente. Ce n’est pas de leur utilité que dérive la rente. Leur valeur d’utilité n’est productive de rente que si elle passe par la réalisation de leur valeur d’échange (voir à ce propos Talha [2002] et Talahite [2006]).

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historique, politique, économique et technique. Économiquement, la rente énergétique n’est

que l’effet des prix qui s’établissent sur le marché des produits primaires, elle n’en est jamais

la cause. En conséquence, la formation de la rente et son montant ne sont nullement garantis

par la seule dotation naturelle — qui en est cependant une condition nécessaire — mais

dépendent de la demande, et donc du marché. La rente dépendrait alors de variables

extérieures liées aux conditions du marché international, sur lesquelles le pays exportateur n’a

aucune maîtrise. La rente énergétique n’a de valeur que celle que le marché international lui

donne.

Ainsi, la rente énergétique apparaît comme un revenu doublement exogène. Ce revenu est, en

effet, instable et fluctuant car dépendant non seulement des prix internationaux eux-mêmes

fluctuants, mais aussi, comme dans le cas du pétrole qui est éphémère, car dépendant de

produits non renouvelables.

Par ailleurs, la rente énergétique, en tant que catégorie de la répartition (par opposition à la

production), est économiquement indéterminée. En effet, « elle n’est pas fonctionnellement

contrainte : elle échappe aux contraintes auxquelles sont soumises les autres catégories de

revenus – le salaire et le profit – notamment les contraintes imposées par les mécanismes de

concurrence » [Talha, 2002]. Comme c’est le cas pour la rente artificielle, les détenteurs de la

rente énergétique peuvent l’utiliser dans des activités non productives, sans pour autant

remettre en cause sa reproduction (du moins tant que l’exploitation des ressources naturelles

reste rentable). Dans les États dits rentiers, c’est au régime politique au pouvoir que revient la

décision de son allocation. En l’absence de processus démocratique, la rente peut être utilisée

à des fins politiques servant souvent à entretenir la légitimité de ceux qui sont au pouvoir.

C’est sur cette idée que se fonde le modèle de l’État rentier. Néanmoins, cette rente peut

également être utilisée comme ressource productive si elle est investie dans la formation de

capital. Or, comme source d’accumulation, « la rente est d’une part exogène au processus

d’accumulation, et de ce fait elle est extérieure au processus de décision et d’anticipation des

agents économiques, et notamment du principal d’entre eux, l’État » [Talha, 2002]. Mais,

étant donné son caractère indéterminé et instable, la rente peut potentiellement devenir

source d’instabilité et de fragilisation des systèmes économiques et politiques.

La description des caractéristiques spécifiques à la rente énergétique ainsi que la distinction

par rapport à la rente artificielle nous semblent d’une importance majeure, notamment au

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niveau des analyses de l’État rentier dans la région MENA184. Elle permet de se démarquer

d’une conception qui assimilerait implicitement, et sans nuance, toute forme de rente à la

rente énergétique ou du moins qui la considérerait comme issue de celle-ci. Une telle

conception ne permettrait pas de reconnaître la diversité des rentes, ni le rôle dynamique

qu’elles peuvent jouer dans l’économie. Elle aboutit à opposer de manière réductrice

« économie rentière » à « économie de production » ou encore Allocation State à Production State

[Luciani, 1987], en tant que nécessairement incompatibles et s’excluant l’un l’autre. Mais cette

distinction a également un intérêt analytique dans la mesure où elle nous permettra de mettre

en évidence les limites du modèle de l’État rentier et de souligner la nécessité de faire appel

aux apports de la théorie du rent-seeking afin de mieux comprendre les effets de la rente

énergétique sur les blocages des réformes dans les PAM.

4.2. La rente et l’autonomie politique de l’État rentier

Le concept de l’État rentier a vu le jour à la fin des années soixante avec les travaux de

certains économistes [Mabro, 1970 ; Mahdavy, 1970] qui se sont intéressés aux pays

exportateurs de pétrole de la région MENA. Ce concept a été ensuite adopté par des

politologues pour expliquer des phénomènes tels que la persistance du patrimonialisme dans

les États arabes [Beblawi et Luciani, 1987 ; Luciani, 1987], la dépolitisation de la population

[Najmabadi, 1987], l’autonomie budgétaire et politique de l’État [Anderson, 1987]. Les vingt

dernières années ont connu un accroissement notable des travaux qui tentent d’expliquer les

changements politiques par l’influence qu’exerce la rente sur les finances publiques et sur le

comportement de l’État.

La lecture de ces travaux185 fait apparaître deux idées-clé autour desquelles s’articule le

concept de l’État rentier : (i) la première réside dans le fait que l’État rentier qui dispose de

ressources financières indépendantes de son peuple et, de ce fait, n’a pas besoin de le taxer, se

trouve dispensé de lui rendre compte de ses actes. Ainsi, « l’autonomie fiscale » de l’État

184 Voir l’analyse de Talahite [2006] qui discute d’une manière approfondie la pertinence et les dérives de l’usage du concept de la rente dans les travaux consacrés aux économies des MENA.

185 Voir entre autres : [Beblawi et Luciani, 1987] ; [Luciani, 1987, 1988] ; [Ross, 2001] ; [Smith, 2004] ; [Crystal, 1990] ; [Anderson, 1987] ; etc.

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rentier lui permet une certaine « autonomie politique ». (ii) La deuxième idée découle du fait

que l’État rentier a les moyens de financer de larges systèmes de redistribution, qui ont pour

effet de dépolitiser la population. Ainsi, il se met à l’abri d’une éventuelle revendication

démocratique.

Afin de mieux saisir le fondement de ces idées, il nous semble utile de revenir d’abord sur la

définition de « l’État rentier » ainsi que sur les constructions théoriques qui expliquent les

conditions de l’autonomie politique de ce dernier et des blocages du processus démocratique.

La définition la plus communément utilisée de l’État rentier est celle établie par Beblawi et

Luciani [1987 : P11], qui présentent celui-ci comme « un État qui tire une part substantielle de

ses recettes de l’étranger, et ce, sous forme de rente ». Cette définition s’est développée dans

la littérature sur la base d’un certain nombre de postulats. (i) L’accent est mis sur le fait que la

rente provient de l’extérieur : c’est précisément en cela que l’État rentier se différencie de

l’État « capitaliste » ou « producteur » [Delacroix, 1980 ; Luciani, 1987 ; Mabro, 1970]. Ce

dernier est soumis à une autre logique que celle de la rente, la logique du surplus produit

essentiellement à l’intérieur du pays. Les revenus de l’État producteur sont alors tributaires de

l’assiette fiscale qu’il cherchera à maximiser en mettant en œuvre des politiques favorables à la

croissance économique. L’État rentier est moins préoccupé par des objectifs de croissance, la

rente lui permettant d’entretenir son appareil étatique et de soutenir son économie sans

forcément disposer d’un fort secteur productif. (ii) L’extériorité de la rente implique alors une

certaine « autonomie » de l’État rentier. Matsunaga [2000 : P47] fait remarquer que « la

collecte de l’impôt est coûteuse et impopulaire ». Dès lors que la rente peut éviter à l’État de

s’engager dans une telle entreprise, on peut supposer que celui-ci limitera – voire supprimera

– son usage de l’impôt186. Ceci laisse supposer que l’autonomie de l’État rentier est double :

elle n’est pas seulement fiscale, dans le sens où elle implique l’indépendance de ses revenus de

l’économie intérieure, mais elle est également politique dans la mesure où elle implique son

indépendance vis-à-vis des citoyens en tant qu’acteurs politiques pouvant exercer une

pression sur son action. (iii) Ces postulats tirent leur fondement du lien de cause à effet

existant entre l’impôt et la montée des aspirations démocratiques au sein de la société civile,

qui peut se matérialiser par une sorte de « marchandage » démocratique entre l’État et les

186 Par exemple, en 1974, l’Arabie saoudite a complètement cessé de collecter l’impôt sur le revenu et celui sur les bénéfices des sociétés [Matsunaga, 2000].

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contribuables187. Dans son « Histoire de l’impôt », Ardant [1972] soutient que ce sont les

contribuables qui, en défendant leurs droits, ont fondé les premières démocraties188. La

taxation de la population avait donné lieu à des revendications politiques, avec pour principe

général « pas d’impôt sans représentation » [Anderson, 1987 : pp. 9-10]. Un État qui

augmente sa pression fiscale doit s’attendre à une augmentation de la pression exercée par le

peuple, qui réclame un contrôle démocratique et exige des changements institutionnels allant

dans le sens d’une meilleure protection de ses droits. (Voir encadré 6)

Encadré 6. « Pas d’impôts sans représentation »

Le fondement théorique du lien entre l’impôt et les revendications démocratiques peut être exposé sous deux angles. « D’une part, si l’État veut lever des impôts, il doit promouvoir la croissance économique, ce qui polarise la société en différents intérêts économiques qui vont chercher à influencer les politiques publiques ; les groupes exclus de cette possibilité d’influence vont alors exiger des changements institutionnels. D’autre part, l’impôt, et en particulier l’impôt direct, exige un minimum d’acceptation de la part du contribuable, ce qui, à long terme, ne peut être obtenu que par un gouvernement responsable devant la population. De sorte qu’un État qui augmente sa pression fiscale sera confronté à une revendication croissante de contrôle démocratique institutionnalisé [Luciani, 1987 : p.73]. La seconde explication est que l’impôt suscite chez le citoyen l’espoir d’avoir son mot à dire dans la décision publique, puisque c’est lui qui paye l’administration. En outre, la pénétration de l’État au sein de la société (à des fins d’extraction fiscale) peut favoriser le développement d’une sorte de patriotisme à son endroit, qui incitera les citoyens à exiger des changements à l’intérieur du cadre existant (revendications démocratiques) plutôt qu’à rejeter celui-ci en bloc [Anderson, 1987 : pp.9-10, pp.12-15]. » Source : d’après [Matsunaga, 2000 : p.48].

(iv) Un autre postulat, d’une grande importance dans la construction de la théorie de l’État

rentier, concerne la question de la « répartition » de la rente. Les richesses minérales du sous-

sol appartiennent généralement à l’État189. Les recettes réalisées à travers l’exportation de ces

ressources procurent à ce dernier des devises immédiatement disponibles qu’il distribue, pour

l’essentiel, à l’intérieur du pays. Le contrôle par l’État de la rente et de son processus de

distribution peut avoir plusieurs conséquences. Premièrement, plus cette rente est utilisée

dans des dépenses publiques, plus la prédominance de l’État au sein de l’économie intérieure

est croissante [Mahdavy, 1970 : p.432]. La dépendance de l’économie et de la population vis-

187 Voir [North et Weingast, 1989] qui présentent l’impôt comme un moyen de marchandage entre l’Etat, qui a besoin d’argent, et les acteurs de la société qui réclament le droit d’exercer un contrôle sur l’action de l’Etat.

188 Voir également Ross [2004 : pp. 230-232] qui donne un exemple, parmi tant d’autres dans l’histoire occidentale, de l’émergence de revendications démocratiques suite à l’imposition de taxes : en 1765, le parlement britannique a décidé d’instaurer une taxe aux populations des colonies américaines. Ces dernières ont fait prévaloir le droit d’être taxées seulement par leurs propres représentants.

189 Sauf aux Etats Unis [Matsunaga, 2000 : p.49].

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à-vis de l’État sera d’autant plus accrue que ce dernier tendra à étendre le secteur public, à

créer des emplois par et dans ce même secteur public et à développer les services sociaux de

toutes sortes. Deuxièmement, la centralisation de la décision de distribution de la rente peut

permettre à l’État de dépolitiser les élites [Najmabadi, 1987] et d’obtenir la paix intérieure

[Crystal, 1990]. Celui-ci peut, en effet, acheter les opposants potentiels et même les groupes

politiques déjà existants en procédant à une distribution sélective de la rente. Troisièmement,

en répandant cette rente sur la population, l’État rentier peut espérer recevoir

« l’assentiment » populaire [Anderson, 1987 : p.10] et obtenir la loyauté des masses vis-à-vis

d’un système dont elles dépendent de plus en plus ; une dépendance qui peut alors épargner à

l’État le recours aux moyens de coercition pour assurer la « paix sociale » [Delacroix, 1980].

En résumé, l’État rentier peut, via la distribution de la rente, se passer d’un appareil répressif ;

il lui suffira, d’une part, de procéder à des arrangements « néo-patrimoniaux » ou

« clientélistes » avec les élites économiques et politiques, et d’autre part, de diffuser largement

la rente de sorte qu’elle bénéficie aux masses populaires.

Ces arguments laissent penser que la présence d’une rente extérieure aura tendance à favoriser

la durabilité des régimes autoritaires dans les pays en développement. Des études empiriques

telles que celles de Smith [2004] et Ross [2001] semblent confirmer cette tendance. Ce dernier

cherche à vérifier l’hypothèse selon laquelle l’existence de ressources naturelles (pétrolières ou

minières) importantes empêcherait l’avènement de la démocratie. Il teste alors trois

explications possibles : (i) « l’effet rentier », qui suggère que les gouvernements des pays riches

en ressources naturelles tendent à pratiquer le patronage et de faibles taux d’imposition afin

de se libérer des pressions revendicatrices d’une meilleure « redevabilité » ; (ii) « l’effet de

répression », qui suppose que la rente favorise l’investissement dans des forces de police

capables de réprimer les contestataires190, ce qui serait de nature à retarder la

démocratisation ; (iii) et « l’effet de modernisation », qui découle de l’idée qu’une croissance

économique basée sur la rente ne serait pas encline à apporter les changements sociaux et

culturels favorables au processus démocratique. Ross mène une étude statistique qui porte sur

113 pays pour la période de 1971 à 1997. Les résultats mettent en évidence une corrélation

robuste entre États rentiers et absence de démocratie [Ross, 2001 : PP 340-356]. La rente a

des effets fortement « anti-démocratiques ». L’auteur précise que ces effets ne sont pas

190 La rente est aussi un moyen de protéger son pouvoir. « Les gouvernements autoritaires peuvent financer la répression et augmenter les dépenses militaires sans que cela ne soit trop impopulaire » [Facchini, 2008 ; Matsunaga, 2000].

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irréversibles puisque certains pays riches en ressources naturelles, tels le Chili et le Botswana,

ont réussi à se démocratiser191. En revanche, la rente ne semble pas favoriser l’émergence des

institutions démocratiques dans les pays de la région MENA en particulier ; les résultats

montrent qu’elle constitue plutôt un obstacle à la transition institutionnelle dans ces pays. Ces

résultats vont dans le même sens que Yousef [2004] qui, en analysant les processus de

réformes dans la région MENA depuis 1950, explique que la présence d’importantes

ressources naturelles192 constitue l’une des principales causes de blocages des réformes.

Au terme de cette analyse, la thèse de l’État rentier, en tant que facteur explicatif de

l’autonomie politique de l’État, semble assez robuste. Le raisonnement en termes de

marchandage démocratique entre État et contribuables paraît sans faille. Toutefois, ce schéma

d’analyse se vérifie-t-il dans le contexte des PAM ? La rente implique-t-elle systématiquement

une autonomie politique du clan dominant dans les PAM ? Nous proposons dans la section

suivante de discuter la pertinence de la thèse de l’État rentier dans l’analyse des blocages de la

transition institutionnelle pour le cas particulier des PAM. À travers ce cas, nous tentons de

montrer que le modèle de l’État rentier, bien qu’il permette de rendre compte de certains

mécanismes du verrouillage institutionnel opéré par les détenteurs de la rente, comporte

néanmoins un certain nombre d’imprécisions qui soulignent ses limites.

4.3. Le modèle de l’État rentier comme explication de l’autonomie des États dans les PAM ?

Dans la littérature de l’État rentier, la plupart des PAM sont qualifiés « d’État rentier ». Nous

commençons alors par discuter la validité de ce classement. Nous examinons ensuite la

pertinence du modèle de l’État rentier dans l’explication de l’autonomie politique des régimes

au pouvoir (clans dominants) dans les PAM.

Dans quelles mesures pouvons-nous qualifier les PAM d’États rentiers ? La théorie de l’État

rentier reste imprécise quant à l’étendue des revenus procurés par la rente, en tant que critère

191 Il est utile à ce propos de consulter la lecture critique de la théorie de l’Etat rentier effectuée par Matsunaga [2000].

192 La région MENA concentre les principales réserves en hydrocarbures du globe (63,3 % du total des réserves mondiales ; source : « BP Statistical Review of World Energy », 2004).

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selon lequel un pays serait classé comme un État rentier. En effet, fixer un seuil (du montant

de la rente) au-dessus duquel l’État deviendrait rentier est une tâche non évidente [Anderson,

1987 : p. 10]. Si l’Algérie et la Syrie peuvent être rangées parmi les États rentiers selon la

définition de Beblawi et Luciani [1987 : P11], la classification des autres PAM - l’Égypte, le

Maroc et la Tunisie – est moins évidente, les réserves en hydrocarbures dans ces derniers pays

étant épuisées ou peu significatives. En Algérie et, dans une moindre mesure, la Syrie, les

ressources énergétiques demeurent relativement importantes193. En revanche, les trois PAM

non exportateurs de pétrole ont bénéficié, notamment depuis la fin des années 70, d’aides

internationales multiples194 ou de crédits, de sources gouvernementales ou privées qui,

comme la rente pétrolière, ont été versées directement à l’État. À cet égard, la théorie de

l’État rentier ne répond pas clairement à la question de savoir si ce type de revenus extérieurs

peut avoir les mêmes effets que ceux qu’entraîne la rente pétrolière. Ces aides et crédits sont

le plus souvent associés à des programmes de développement ou à des programmes militaires

qui impliquent généralement d’importants secteurs de l’économie domestique et peuvent

profiter à la population locale. Nous sommes alors en droit de nous interroger si ces revenus

peuvent contribuer à l’établissement d’une autonomie politique des régimes au pouvoir dans

ces pays.

Certains travaux avancent l’argument de la rente procurée par les transferts d’immigrés pour

qualifier d’États rentiers des pays comme l’Égypte, le Maroc et la Tunisie195. Or, il faut

remarquer que, dans ce cas, la rente est versée directement et pour l’essentiel à des acteurs

privés. Elle échappe alors au contrôle de l’État. La capacité de ce dernier à capter une partie

de cette rente, par l’intermédiaire des banques ou des réglementations relatives au change,

varie d’un pays à l’autre, mais, quel que soit le volume de la rente capturée, ses effets restent

sans doute beaucoup moins significatifs que ceux engendrés par la rente pétrolière. Chaudhry

[1997] montre que les transferts des immigrés, quelle que soit leur importance, ne peuvent

avoir les implications politiques que peut engendrer une importante rente pétrolière ; celle-ci

parvient directement à l’État sous forme d’un afflux de devises immédiatement utilisables. Si

193 La part des recettes en hydrocarbures dans le PIB est de 45.9% en Algérie (en 2009) et de 8% en Syrie (en 2008). Source : FMI.

194 Dans le cadre de l’accord de paix signé avec Israël, l’Egypte bénéficie d’une aide financière annuelle de la part des Etats-Unis de l’ordre de 1 milliards de $ en moyenne. (Source: Congressional Research Service, The Library of Congress) Ce qui représente près de 1% du PIB Egyptien (127 Milliards de $ en 2007 ; source : The World Factbook)

195 Voir entre autres [Ross, 2001] et [Smith, 2004].

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les théoriciens de l’État rentier peuvent supposer que cette rente permettrait de libérer l’État

de certaines revendications d’une partie de la population pauvre ou au chômage (qui bénéficie

des transferts d’argent de ses parents), il n’en demeure pas moins qu’elle ne peut servir que de

soupape de sécurité à court terme.

Il convient de souligner par ailleurs que les États des PAM non exportateurs de pétrole ont

pu bénéficier des effets positifs de la rente des États arabes exportateurs de pétrole, dans la

mesure où ces pays ont absorbé des quantités considérables de main-d’œuvre issue de

certains PAM. En effet, durant le boom pétrolier du début des années 80, plus de 3.5 millions

de migrants arabes ont été employés dans les pays arabes riches en ressources pétrolières

[Yousef, 2004 : p. 95]. Ce qui a donné des marges de manœuvre non négligeables aux régimes

politiques des PAM exportateurs de main-d’œuvre. Mais cette manne n’est que temporaire et

dépend fortement des fluctuations des prix mondiaux de l’énergie. Ainsi, la chute des prix de

pétrole de la fin des années 80 a provoqué une chute de la demande de main-d’œuvre dans les

pays exportateurs de pétrole et, par conséquent, une baisse considérable des transferts des

migrants [Shafik, 1998].

Une définition plus stricte de l’État rentier a été proposée par Beblawi [1987]. Selon cet

auteur, l’État rentier doit être considéré comme un État dans lequel la rente est payée par des

acteurs étrangers, est versée directement à l’État et où seulement une minorité est engagée

dans la production de cette rente, l’écrasante majorité se contentant de la consommer. Cette

définition semble en meilleure concordance avec le postulat selon lequel la rente permettrait

d’accroître la capacité de l’État de financer de larges systèmes de redistribution. Dès lors,

l’argument qui suggère que la rente permet à l’État d’atteindre une autonomie politique vis-à-

vis de sa population ne vaut que si la rente est versée directement à l’État. Pour pouvoir

affirmer que l’autonomie d’un État rentier est « structurelle », il faut que celui-ci soit

purement rentier, en ce sens qu’il reçoit une rente substantielle d’origine extérieure, versée

directement à l’État, lequel dispose de tous les pouvoirs quant aux modalités de son

allocation. Il en résulte que la rente issue des transferts des immigrés dans des pays

exportateurs de main-d’œuvre comme l’Égypte, le Maroc et la Tunisie, ne peut expliquer le

processus qui conduirait à l’immunité politique du clan dominant vis-à-vis des revendications

démocratiques des populations dans ces pays.

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Cela nous amène à déduire que seules l’Algérie et la Syrie peuvent vérifier le schéma d’analyse

proposé par les théoriciens de l’État rentier. La rente pétrolière a, en effet, été un élément

d’une importance majeure dans la politique de verrouillage institutionnel menée par les clans

dominants dans ces pays. Elle a mis à leur disposition des moyens considérables qui ont

permis, non seulement de financer leur politique sociale, mais également d’entretenir

l’appareil bureaucratique et les capacités répressives de l’État. La dépendance du clan

dominant dans ces deux pays vis-à-vis du contribuable était beaucoup moins prononcée que

dans les autres PAM.

Bien que les exportations pétrolières syriennes soient en nette décroissance ces dernières

années196, le clan dominant, mené par son chef Hafez El-Assad, a bénéficié, depuis son

accession au pouvoir suite au coup d’État de 1970, d’une rente pétrolière importante. Van

Dam [1996] explique comment cette rente lui a permis de créer de larges systèmes de

redistribution destinés à renforcer les structures sociales favorables à son maintien au pouvoir

(les minorités religieuses, les populations rurales). L’expansion de l’appareil bureaucratique

était l’un des éléments-clé de la politique patrimoniale du clan régnant, dont le financement

était assuré en grande partie grâce à la rente pétrolière [Hinnebusch, 1995]. Mais, plus

important encore, la rente a permis à l’État syrien de se doter de grandes capacités de

répression, de renforcer les forces armées nécessaires au maintien de l’ordre et de modérer les

appétits des clans rivaux et les luttes pour le pouvoir qui ont marqué l’histoire post-

indépendance du pays. Cette rente était alors déterminante pour le parti unique syrien en ce

sens qu’elle a largement contribué à lui garantir une certaine autonomie budgétaire et

politique, tout en réprimant les aspirations démocratiques et en absorbant les autres

mouvements politiques. En l’absence de systèmes de gouvernance contraignants, le clan

dominant dispose d’un pouvoir absolu sur les recettes générées par les exportations

pétrolières. Ainsi, le clan dominant, au pouvoir depuis 1970, tire les sources de sa longévité en

partie des revenus que lui procurait la rente pétrolière.

L’Algérie a connu une moindre stabilité politique depuis son indépendance [Koroghli, 1989 ;

Vatin, 1983], avec un conflit intérieur très violent qui a opposé l’armée à des mouvements

intégristes durant les années 90 [Stora, 2001]. Néanmoins, la rente pétrolière joue un rôle

central dans le fonctionnement des systèmes politiques et économiques du pays, dont la

196 Selon Ross [2001], les exportations syriennes représentaient 15% du PIB en 1995. Elles ne représentent que 8% en 2008.

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dynamique demeure largement influencée par les fluctuations des prix mondiaux des

hydrocarbures. Comme la plupart des pays exportateurs d’énergie de la région MENA, le

système politique algérien repose sur la captation de la rente et sa redistribution [Talahite,

2000 ; Talha, 2001 ; Yousef, 2004]. La structure bureaucratique et les entreprises publiques,

dont le financement reste dépendant des revenus rentiers, occupent une place considérable

dans l’économie et jouent un rôle d’intermédiaire entre le clan dominant et sa clientèle

[Michalet et Sereni, 2006 : p. 12]. La rente est également décisive dans l’entretien de l’appareil

répressif qu’est l’armée. Celle-ci est devenue un acteur central dans la politique de verrouillage

du clan dominant, ce pour deux raisons principales : (i) d’une part, elle est considérée comme

la seule force légitime aux yeux des citoyens et seul garant de la sécurité au sein de la société,

(ii) d’autre part, elle sert de principal instrument de répression des (potentiels) mouvements

en concurrence avec le clan dominant197. L’armée algérienne se présente alors comme garante

de l’ordre social, mais défend également les intérêts du groupe qui la « possède », dont les

membres font naturellement partie du clan dominant et sont les premiers bénéficiaires de la

rente.

À la lumière de ces travaux, la thèse de l’État rentier qui suggère un lien entre l’existence de la

rente et l’absence d’institutions démocratiques semble se vérifier pour les cas de l’Algérie et

de la Syrie. En effet, la rente a offert aux coalitions dominantes dans ces deux pays les

moyens, autres que ceux issus de l’assiette fiscale, de réaliser leurs objectifs politiques : se

maintenir au pouvoir et entretenir une certaine stabilité politique. Elle a permis de financer

principalement deux stratégies consistant, d’une part, à construire de fortes capacités de

coercition ayant pour but de dissuader les éventuelles revendications démocratiques ou de

réprimer les dissidents, et d’autre part, à bâtir des systèmes de distribution de revenu à la

population en vue d’acheter son soutien ou du moins de détourner son attention de la

politique. La rente a ainsi contribué à la réalisation d’un équilibre entre répression et

redistribution, permettant au clan dominant d’atteindre une certaine autonomie politique et

de se mettre à l’abri des pressions démocratiques. Autrement dit, la rente a augmenté les

chances du clan dominant de rester au pouvoir.

Dans cette perspective, la rente apparaît alors comme un facteur de blocage de la transition

institutionnelle. Elle est de nature à détruire les structures sociales nécessaires à l’action

197 Voir les travaux de Amarouche [1999] et de Medhar [1997] pour une analyse du rôle de l’armée en Algérie.

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collective et réduit par ce fait les chances de revendication d’un contrôle démocratique de

l’action publique et d’instauration des règles d’une économie de marché permettant à la

population d’accéder aux ressources économiques autrement que par les canaux redistributifs.

Cependant, il convient de relever que le raisonnement des théoriciens de l’État rentier, selon

lequel la rente permettrait à ce dernier d’atteindre une autonomie politique, peut soulever un

certain nombre d’observations liées notamment aux spécificités des PAM. Ces observations

s’articulent autour d’une question centrale : les fondements budgétaires des États rentiers les

libèrent-ils structurellement de toute obligation de responsabilité vis-à-vis de leur population

et les immunisent-ils structurellement contre la revendication d’institutions transparentes et

impersonnelles ? L’arguments budgétaire est-il suffisant pour expliquer les blocages des

réformes institutionnelles ?

4.4. Observations critiques du fondement budgétaire de l’autonomie politique du modèle de l’État rentier

De nombreuses recherches sur l’État rentier dans les MENA donnent l’image d’un État (clan

dominant) qui, quelle que soit sa puissance, est le plus souvent « suspendu » au-dessus de son

peuple, selon l’expression de Skocpol [1982 : p.269], et est perpétuellement préoccupé par

« l’achat » de son soutien ainsi que par la répression des dissidents, sous peine de perdre son

autonomie. Ceci nous pousse à avancer l’argument selon lequel l’autonomie politique de

l’État rentier ne peut être que relative, contingente et dépendant inéluctablement de la nature

de son rapport avec les acteurs sociaux. Nous formulons quelques observations critiques qui

remettent en question l’explication budgétaire de l’autonomie politique de l’État rentier.

(i) L’utilisation de l’adjectif « relative » se justifie premièrement par le fait que l’autonomie

politique supposée de l’État rentier ne peut être étudiée indépendamment de la réaction

éventuelle des différents acteurs de la société face, par exemple, aux pratiques prédatrices ou

aux mesures qui visent à réprimer les revendications de transparence et de contrôle

démocratique. En effet, le modèle de l’État rentier semble négliger le caractère dynamique et

interactif qui caractérise la relation entre l’État et les acteurs sociaux. Il présuppose que l’État

est capable de prévenir toute revendication émanant du peuple par l’usage stratégique de la

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rente. S’il existe une dynamique, ce n’est que dans un seul sens : de l’État vers les citoyens

[Matsunaga, 2000 : p.54]. L’attention est alors focalisée sur le comportement de l’État,

supposé être l’acteur central de la vie économique et politique, et peu d’intérêt est accordé à

l’action des groupes sociaux. Si l’hypothèse, selon laquelle l’usage stratégique de la rente

permet de dépolitiser la population, peut se vérifier pour une partie des citoyens, elle ne peut

pour autant être généralisée à tous les groupes sociaux. En effet, certains groupes, même s’ils

bénéficient des biens matériels distribués grâce à la rente, peuvent se mobiliser pour des

motifs idéologiques, comme dans le cas des mouvements islamistes algériens en 1992198.

(ii) Ceci nous mène à notre deuxième observation, qui conteste la validité de la thèse selon

laquelle l’absence de taxation impliquerait nécessairement une « immunité » de l’État vis-à-vis

des aspirations démocratiques de la société. Ceci revient à émettre une hypothèse « forte » qui

suggère que l’impôt est la seule condition susceptible d’amener les citoyens à exiger des

institutions démocratiques, ou de pousser l’État à céder aux revendications populaires. Si l’on

peut admettre qu’un État rentier a moins de chance de susciter ce type de demandes qu’un

État exerçant une pression fiscale importante, l’on ne peut soutenir que l’impôt est une

condition nécessaire à l’émergence d’un mouvement contestataire et d’une revendication de

représentation démocratique. Comme nous l’avons souligné plus haut, ces mouvements

contestataires peuvent être déclenchés par d’autres facteurs non forcément liés à la taxation

(facteurs idéologiques par exemple). Mais, certaines élites de la coalition au pouvoir peuvent

aussi trouver un intérêt à s’engager dans un processus démocratique lorsque les coûts

anticipés de ce changement sont limités pour elles ou si ces coûts se révèlent moins élevés

que ceux qui peuvent être subis suite à une éventuelle déstabilisation sociale ou politique

[Acemoglu et Robinson, 2006]. Dès lors, la validité de la thèse, suivant laquelle la taxation

crée les conditions d’une revendication du type « pas d’impôt sans représentation » et son

absence libère l’État rentier de toute pression, peut se trouver sérieusement affaiblie si l’on

peut démontrer qu’il existe d’autres facteurs susceptibles de mobiliser les groupes sociaux et

de mettre en cause l’autonomie politique de l’État.

(iii) Le troisième argument cherche à remettre en question la prédiction selon laquelle

l’autonomie de l’État ne peut être altérée que par une crise budgétaire. Le modèle de l’État

rentier n’envisage la menace d’une émergence des revendications d’institutions démocratiques

198 Le cas de l’Iran étudié par Shambayati [1994] est très éclairant sur ce point.

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que dans un contexte de bouleversement de la situation budgétaire de l’État. Une crise

budgétaire due à la baisse ou à la disparition de la rente extérieure aura tendance à pousser

l’État vers une démocratisation, ne serait-ce que partielle [Luciani, 1994]. Ce raisonnement

semble être plausible. Mais il n’épuise pas toutes les voies possibles. Il n’explique pas

comment un État rentier qui se trouve affaibli budgétairement suite, par exemple, à la baisse

des prix mondiaux d’hydrocarbures peut réussir à sauvegarder son autonomie politique.

Comment les clans dominants d’États rentiers tels que ceux d’Algérie et de Syrie ont-ils réussi

à survivre à la baisse des prix du pétrole des années 80, sachant que celle-ci a

considérablement affaibli les capacités distributives de l’État199 ? En réalité, même si, dans ces

pays, les citoyens ont été soumis à des taxes ou ont subi une détérioration des revenus assurés

par les systèmes de redistribution de la rente, le clan dominant a su préserver son autonomie.

En effet, comme le montrent les rapports du PNUD [UNDP, 2003a ; 2003b], les acteurs

sociaux dépolitisés et réprimés ne sont plus en mesure de mener des actions collectives

organisées en vue de revendiquer un droit de contrôle sur le pouvoir de l’État. Nos résultats,

issus des enquêtes du MINEFE, qui mettent en évidence un déficit important en matière de

gouvernance publique dans les PAM, attestent de cette incapacité à contrôler l’action de l’État

et des dirigeants. En l’absence de structures d’opportunités politiques (libertés et droits

politiques) ainsi que de structures de mobilisation et d’action collective200 (droit d’association,

pluralisme et libertés des syndicats, liberté de la presse) les acteurs sociaux ne peuvent réagir

efficacement à une augmentation des taxes.

La rente dans les PAM exportateurs de pétrole a permis, parallèlement à l’accroissement des

capacités de redistribution, un renforcement considérable des capacités répressives, sans

affronter pour autant l’opposition que pourrait susciter ce type de projet impopulaire. Il s’en

suit que l’État, ayant consolidé son pouvoir répressif et dissuasif, n’a plus besoin d’être

soutenu ou toléré par l’ensemble de la société. Une crise budgétaire peut très bien avoir lieu,

peut affaiblir les capacités distributives de l’État rentier, le poussant à recourir à l’impôt, mais,

grâce à ses capacités de verrouillage, celui-ci peut absorber toute tentative de revendication,

en contrepartie de cet impôt. Dès lors que l’on admet que la répression peut être considérée

199 Voir Yousef [2004 : pp. 97-100] et Shafik [1998] pour une description des répercussions de la baisse des prix du pétrole de la fin des années 80 sur les économies des pays exportateurs de pétrole de la région MENA ainsi que sur leurs pays voisins.

200 Voir à ce sujet McAdam et al. [1996].

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comme un facteur explicatif de l’autonomie du régime au pouvoir, le fondement budgétaire

de l’État rentier perd une bonne partie de sa pertinence.

(iv) Notons enfin une quatrième limite, soulignée par Facchini [2008], qui réside dans le fait

que la théorie de l’État rentier a tendance à négliger les effets de redistribution de la rente sur

la stabilité politique, plus précisément sur l’équilibre des forces au sein de la coalition

dominante et de ses alliés. Une très forte inégalité dans la répartition de la rente peut favoriser

les révoltes et les conflits. Les révoltes peuvent avoir lieu lorsque les droits de propriété sur la

rente ne sont pas légitimes et que les citoyens peuvent ne plus accepter de recevoir que des

miettes de la vente d’une ressource dont ils estiment être propriétaires. Ce scénario est peu

probable dans le cas des PAM, étant donné le verrouillage institutionnel étroit et la forte

répression opérée par les régimes au pouvoir. Néanmoins, les conflits peuvent apparaître au

sein même de la coalition dominante. Lorsqu’elle est dépensée dans le cadre de l’économie

locale, la rente est le plus souvent distribuée sous forme de marchés publics bénéficiant à

certains alliés du clan au pouvoir. Les alliés exclus de ce partage peuvent manifester leur

mécontentement en se constituant en groupes de pression demandant davantage de

transparence, moins de pouvoir discrétionnaire, autrement dit un État de droit régulé par des

systèmes de gouvernance impersonnels. Ainsi, « les règles de distribution de la rente

deviennent, dans ces conditions, une variable décisive pour expliquer la stabilité de ces États

rentiers » [Facchini, 2008].

Au terme de cette analyse, la question qui reste à démêler est alors de savoir si l’immunité

politique du régime au pouvoir dans les États rentiers provient du fait de ses capacités

distributives ou bien de sa politique de répression. Dans le cas des PAM, il convient de

reconnaître qu’il est très difficile empiriquement de discerner, dans une situation d’apparente

« paix intérieure », la part de l’effet « dépolitisant » de l’État rentier distributeur et la part de

l’effet de la menace de violence répressive. Cependant, nous pouvons avancer l’argument que

si, l’État rentier dans les PAM a réussi à préserver son autonomie et à obtenir la paix sociale,

c’est qu’au moins l’une des deux conditions suivantes est vérifiée : (i) d’une part, l’existence de

forces de coercition contrôlées par le clan dominant permet à celui-ci de contenir les conflits

éventuels, provoqués par la distribution de la rente elle-même, entre clans ou groupes sociaux

rivaux, et de stopper les ambitions politiques de certains clans au pouvoir grandissant. (ii)

D’autre part, cette réussite peut très bien provenir des conditions socio-historiques

(prégnance des conceptions traditionnelles, logique clanique, héritage d’une forte

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bureaucratie, absence d’institutions impersonnelles)201 qui figent l’action collective et qui sont

antérieures à la rente ; ces conditions n’auraient pas permis de mettre en place des systèmes

de gouvernance aptes à délimiter le pouvoir des élites dirigeantes. Dans cette perspective,

l’autonomie du clan dominant dans l’État rentier est moins le résultat de l’existence d’une

rente extérieure que de son caractère autoritaire. Cette caractéristique, mise en évidence par

ailleurs par une très large littérature202, concerne tous les PAM et tendrait à fragiliser

singulièrement la thèse de l’État rentier selon laquelle l’autonomie politique de l’État a pour

origine la rente.

Les États non-rentiers des PAM, l’Égypte, le Maroc et la Tunisie, semblent confirmer cette

thèse. Ils décrivent cette configuration où le clan dominant a pu se maintenir au pouvoir

depuis des décennies sans disposer d’une rente extérieure significative. En effet, le clan

dominant dans ces pays (non-rentiers) a su assurer une certaine autonomie politique et a pu

éviter des soulèvements populaires majeurs malgré sa dépendance fiscale. Comment expliquer

la survivance des clans régnants dans des pays dépourvus de ressources naturelles, qui tirent

l’essentiel de leur financement de la collecte des impôts, opération aussi coûteuse

qu’impopulaire ? Nous tentons de répondre à cette question dans la section suivante en

essayant d’apporter des éléments explicatifs complémentaires à ceux proposés par le modèle

de l’État rentier, qui se révèlent insuffisants à cet égard. Nous cherchons également à

approfondir les raisons de l’autonomie des clans dominants dans les PAM à travers une

analyse plus large que celle qui s’arrête à la rente énergétique, pour examiner les

« comportements rentiers ».

201 Voir l’analyse de Ben Abdelkader [2008] sur les conséquences de la prégnance des conceptions traditionnelles sur le processus des réformes institutionnelles dans les PAM.

202 Voir entre autres les travaux suivants : [Anderson, 1987 ; Camau, 2006 ; Camau et Geisser, 2003 ; Chaudhry, 1997 ; Crystal, 1994 ; Hibou, 2006a ; Hudson, 1977 ; Luciani, 1988 ; Picard, 1993 ; UNDP, 2002].

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4.5. Conclusion

Nous avons exposé dans cette section les arguments théoriques qui fondent la thèse du

modèle de l’État rentier selon laquelle l’existence d’une rente extérieure aura tendance à

favoriser la durabilité des régimes politiques dans les États riches en ressources énergétiques.

Nous avons tenté de tester la pertinence de ces arguments dans l’explication de l’autonomie

politique du clan dominant dans les PAM, autonomie comprise ici comme immunité de ce

dernier (ainsi que de ses alliés) vis-à-vis des systèmes de gouvernance, lui permettant de

procéder à un verrouillage de l’accès aux ressources du pouvoir. L’extériorité de la rente

énergétique permettrait, selon les théoriciens de l’État rentier, au clan dominant de se passer

de rendre compte de ses actions. Elle lui permet en effet une autonomie budgétaire qui, dès

lors qu’elle le dispense de taxer la population, le met à l’abri des revendications démocratiques

d’un État de droit. Dans ces conditions, le clan dominant n’a aucun intérêt à s’engager dans

des réformes institutionnelles et est libéré de toute pression allant dans ce sens.

Sur la base de l’exemple des PAM, nous avons mis en évidence le fait que le modèle de l’État

rentier permet de rendre compte des mécanismes aboutissant à l’autonomie du clan dominant

dans les pays rentiers comme l’Algérie et la Syrie. Néanmoins, son pouvoir explicatif se

trouve affaibli dès qu’on peut démontrer que les clans dominants dans les PAM non-rentiers

ont su atteindre un niveau d’autonomie politique aussi élevé. En effet, ces derniers sont

parvenus, depuis une trentaine d’années, à se reproduire à l’identique et à s’immuniser contre

d’éventuelles revendications démocratiques de leurs peuples, sans disposer de rente

énergétique et malgré l’impôt. Si l’usage stratégique d’une telle rente offre indéniablement

plus de marges de manœuvre au clan dominant et réduit, par l’absence de taxe et la mise en

place de systèmes de redistribution, la probabilité de l’avènement de revendications

démocratiques, elle ne semble pas constituer un facteur explicatif discriminant. L’explication

de l’autonomie politique par le modèle de l’État rentier ne peut être alors que partielle et laisse

en suspens plusieurs questions majeures : le rôle des conditions socio-historiques antérieures

à l’apparition de la rente énergétique (Bureaucratie héritée, logique clanique), l’usage de la

répression pour maintenir le pouvoir et garantir une stabilité politique, l’absence de structures

d’action collective permettant à la population d’exercer une pression sur l’action publique, etc.

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L’analyse du cas particulier des PAM a permis de faire apparaître certaines limites du modèle

de l’État rentier. L’une de ces principales limites réside dans la très faible place accordée par

ce modèle au comportement dynamique des acteurs sociaux. D’une part, il construit sa thèse

au prix d’une très forte hypothèse selon laquelle il existerait un consensus entre l’État rentier

et sa population. Ce dernier peut acheter la paix sociale en distribuant une partie de la rente

sous forme de biens matériels à sa population. Or, ce raisonnement ne rend compte que

d’une partie de la réalité. De nombreuses études montrent que les PAM font souvent recours

à la répression afin de contenir les contestations et les revendications d’une meilleure

répartition de la rente. D’autre part, le modèle de l’État rentier semble négliger les risques de

conflits qui peuvent apparaître au sein même de la coalition au pouvoir. Une mauvaise

répartition de la rente peut en effet avoir des répercussions importantes sur l’équilibre des

forces au sein de cette coalition et conduire à de fortes déstabilisations politiques. L’analyse

du modèle de l’État rentier se focalise ainsi sur le comportement de l’État en tant qu’entité

homogène et sur son usage stratégique de la rente à des fins politiques, en négligeant les

réactions des acteurs sociaux, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’État.

Ce désintérêt de la part des tenants de la théorie de l’État rentier vis-à-vis de la dynamique

individuelle du comportement des agents est alors de nature à limiter la portée des

explications que fournit ce modèle. À cet égard, les apports de la théorie du rent-seeking

pourraient être particulièrement utiles pour remédier à cette carence conceptuelle du modèle

de l’État rentier. Cette théorie privilégie en effet l’étude des comportements individuels des

agents qui tentent de capter une rente. Le recours à cette théorie est d’autant plus utile qu’il

permet d’élargir le champ d’analyse de ces comportements « rentiers » en posant la question

de la diversité des « foyers » de la rente203 ainsi que de la variabilité dans le temps et dans

l’espace des formes de captation de la rente. Dans cette perspective, les deux approches

semblent complémentaires.

203 Là où le modèle de l’Etat rentier ne retient que la rente issue de la vente des ressources naturelles.

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5. De « l’État rentier » au « comportement rentier » : analyse des blocages institutionnels par la recherche de rente

Nous proposons dans cette section d’approfondir notre analyse des blocages du processus de

réformes institutionnelles dans les PAM, à travers une approche qui associe les apports du

modèle de l’État rentier aux éléments analytiques fournis par la théorie du rent-seeking. Nous

cherchons à construire un cadre explicatif global qui permette d’identifier à la fois les divers

foyers de rente (naturelle et artificielle) et les mécanismes permettant aux acteurs sociaux de

saisir les opportunités de rente (4.1). Nous montrons que l’environnement institutionnel dans

les PAM est particulièrement propice aux comportements rentiers, aussi bien du côté de

l’offre que celui de la demande de rente (4.2). Dans de telles conditions, la transition

institutionnelle vers le marché et vers la démocratie se transforme en un vaste marchandage

politico-économique où les agents les plus décisifs politiquement (les élites dirigeantes)

procèdent continuellement à un arbitrage coût-bénéfice des réformes institutionnelles. Le

processus de réformes apparaît ainsi comme un compromis évolutif dont les termes sont

fixés par et dans l’intérêt du clan dominant et les élites alliées (4.3).

5.1. Le modèle de l’État rentier et la théorie de recherche de rente : la nécessaire conjonction de deux concepts complémentaires

Le modèle de l’État rentier et la théorie de la recherche de rente sont deux concepts

complémentaires qui peuvent se renforcer mutuellement. La nécessité de leur conjonction se

justifie dans la mesure où les défaillances de l’une dans la compréhension des phénomènes

liés à la rente sont compensées par les apports de l’autre.

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Comme nous l’avons souligné plus haut, le modèle de l’État rentier n’accorde pas

suffisamment d’attention à la dynamique individuelle du comportement des acteurs sociaux.

Il tend à gommer les réactions de ces derniers et les conflits qui peuvent en résulter pour faire

apparaître un consensus entre l’État et les divers acteurs sociaux. La nature de la relation

entre ces deux parties est envisagée dans un seul sens : de l’État vers le peuple. Au contraire,

la théorie de la recherche de rente place au centre de son analyse l’étude du comportement

individuel des acteurs sociaux. L’État y joue un rôle indirect et est présenté parfois d’une

manière réductrice, en ce sens que le phénomène de la rente, selon cette théorie, est d’abord

expliqué par l’existence d’entraves au fonctionnement du marché libre. Dans sa vision

restrictive, cette approche considère toute forme d’intervention de l’État dans l’économie

comme une restriction apportée au fonctionnement normal du marché [Krueger, 1974].

Cependant, il convient de souligner que c’est moins l’intervention de l’État en soi qui génère

des opportunités de rentes, mais plus la configuration institutionnelle correspondant à des

modèles mentaux spécifiques dans laquelle cette intervention est opérée. Dans le modèle de

l’État rentier par exemple, la rente extérieure engendre des formes institutionnelles qui auront

tendance à favoriser le développement d’une économie de rente plutôt qu’une économie de

production. Dans de telles conditions institutionnelles, propices à l’accumulation de la rente,

la contamination du comportement des agents et des groupes coalisés est telle que ces

derniers auront tendance à transformer toutes les opportunités en lieux et formes de

captation de rente.

La théorie de la recherche de rente se focalise sur les comportements « rentiers » des acteurs

mais n’explique pas la genèse de ces derniers. Les tenants du modèle de l’État rentier

soulignent en revanche les effets de la rente dans ces pays sur la formation des institutions

régissant les interactions des agents. Ross [2001], par exemple, explique que la rente

extérieure favorise le développement d’une « mentalité de rentier » et aura tendance à

défavoriser l’activité productive204. En outre, une économie à base de rente comme celle qui

s’observe dans les PAM serait de nature à entretenir la hiérarchie et la logique clanique, qui

ont tendance à façonner les institutions en faveur des groupes animés par l’esprit de clan et

l’esprit de rente. Ces institutions, loin de correspondre aux règles d’une économie de marché,

204 Dans une économie où prédomine la rente, il n’y a qu’une petite fraction de la population qui est directement impliquée dans la création de richesse. Etant donné que l’activité pétrolière (par exemple) est fortement capitalistique et qu’en outre elle s’exerce dans des sortes d’enclaves, la majeure partie de la population n’a aucune relation avec la production de la rente : « ils se contentent de l’utiliser » [Matsunaga, 2000].

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ne peuvent que favoriser l’accumulation des rentes. La contamination est alors telle que

même les réformes institutionnelles destinées à mettre fin aux comportements rentiers

deviennent à leur tour sources de nouvelles rentes. Et tant que le régime à accumulation

rentière perdure, toute nouvelle institution de remplacement risque à son tour de devenir un

lieu de captation de rente et donc aussi un nouveau blocage de la poursuite des réformes. Le

cas particulier de l’Algérie [Talha, 2001] illustre parfaitement ce phénomène « d’enlisement du

système lié au fait que dans ce pays les processus de captage de rentes sont inséparables du

régime rentier lui-même ».

La théorie de la recherche de rente écarte de son champ d’analyse la rente pétrolière et, par

conséquent, ne tient pas compte des effets de celle-ci sur l’ampleur des activités de recherche

de rente. La hausse des revenus issus de la rente pétrolière augmente les ressources de l’État

et ses effets peuvent se manifester sur la fiscalité, le budget de l’État, la politique de

redistribution et plus largement sur la politique économique. Dans les pays dépourvus de

systèmes de gouvernance censés contrôler l’action publique et d’une économie de marché

apte à absorber ces revenus additionnels, ces derniers sont plutôt consommés qu’investis,

provoquant une amplification des activités non productives et par conséquent une

intensification des activités de recherche de rente, au premier rang desquelles la corruption.

Ces effets décrits par le modèle de l’État rentier apportent des éléments explicatifs très utiles

à la compréhension de la genèse ainsi qu’à l’ampleur des comportements rentiers, que la

théorie de recherche de rente ne permet pas de décrire, notamment dans les États rentiers.

En effet, le modèle de l’État rentier fournit un cadre explicatif global qui fait défaut à

l’approche micro-individualiste de la rent-seeking, en analysant les fondements macro-

institutionnels à l’origine des comportements rentiers des agents. Ainsi, une conjonction des

deux approches s’avère nécessaire pour une analyse complète des phénomènes liés à la

recherche de rente dans les PAM et de leur impact sur le processus de réformes

institutionnelles.

Au terme de cette analyse, faut-il en conclure que les activités de recherche de rente sont

organiquement liées au régime d’accumulation de l’État rentier, impliquant par là que tout

régime rentier secrète nécessairement la recherche de rente, et qu’inversement la recherche de

rente ne peut apparaître que là où il y a un régime rentier ? Une première approche

consisterait à endogénéiser la théorie de la recherche de rente et par conséquent les facteurs à

l’origine des blocages du développement dans les États rentiers. Néanmoins, cela ne risque-t-

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il pas de conforter la thèse fataliste de la malédiction du pétrole ? En réalité, cette thèse ne

résiste pas à l’épreuve des faits. Lors de l’assèchement de la rente pétrolière à partir de 1985, il

n’a pas été observé de diminution de la corruption ni du clientélisme dans les pays pétroliers

de la région MENA, au contraire [Talahite, 2000 : cas de l'Algérie]. Bien évidemment,

plusieurs facteurs peuvent expliquer ce fait, notamment la formation d’institutions propices à

l’accumulation de la rente. D’où la difficulté de pouvoir isoler l’impact propre des variations

de la rente énergétique sur les comportements de recherche de rente. Mais l’on peut avancer

l’argument que les mécanismes décrits par la théorie de recherche de rente ont une relative

autonomie vis-à-vis de la rente énergétique. Dans cette perspective, une deuxième approche

consisterait à considérer la théorie de l’État rentier comme une extension de la théorie de la

recherche de rente. Le phénomène du rent-seeking peut se développer dans tout autre régime

d’accumulation dans les pays en développement, il suffit pour cela que les quantités et les prix

soient administrés au lieu d’être régulés par le marché. Nous soutenons ainsi que ce sont les

conditions institutionnelles et les modèles mentaux associés qui expliquent l’origine et

l’ampleur de la recherche de rente.

La distinction entre la première et la seconde hypothèse peut avoir son importance dans la

définition d’une politique de transition institutionnelle. La seconde hypothèse laisse ouverte la

possibilité de réforme des institutions, notamment à travers le renforcement des systèmes de

gouvernance impersonnels en vue de contrôler l’intervention de l’État et de favoriser la

concurrence. Ceci constitue une solution pour réduire les sources de création de rentes. Dans

la première hypothèse, au contraire les réformes auraient peu d’efficacité, c’est la

transformation du mode de développement de l’État rentier dans sa totalité qui résoudrait le

problème.

Nous avons tenté de mettre en évidence le fait que le modèle de l’État rentier, tout en

rattachant l’analyse des comportements rentiers des agents à la configuration institutionnelle

induite en partie par l’existence d’une rente extérieure, élargit le champ d’étude de ces

comportements et pose la question de la diversité des foyers de captation de la rente

additionnelle. Elle fournit ainsi des éléments d’analyse complémentaires à la théorie de la

recherche de rente, laquelle permet de rendre compte des mécanismes permettant aux

chercheurs de rente d’en capter une. Dans ce cadre d’analyse associant les deux approches

des comportements rentiers, nous tentons de décrire les mécanismes qui permettent

d’expliquer comment la prolifération de l’esprit de rente chez les acteurs sociaux et le

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développement parallèle d’institutions qui s’accommodent avec les activités de recherche de

rente ont créé les conditions de blocages de la transition institutionnelle.

5.2. Recherche de rente et résistance au changement : une question de marchandage politico-économique « généralisé »

Dans les PAM non-rentiers, l’État est amené à prélever des impôts. Contrairement à la

prédiction selon laquelle l’impôt peut déclencher un marchandage démocratique du type « pas

d’impôt sans représentation », la taxation dans ces pays n’a pas donné lieu à un tel processus.

Ceci ne semble pas être dû à l’acceptation de la taxation. Bien au contraire, cette dernière fait

l’objet d’une forte résistance, notamment de la part des populations rurales, résistance qui

n’est pas explicitement justifiée par une quelconque revendication démocratique d’institutions

transparentes et représentatives. Ses origines sont à rechercher plutôt dans la « culture de

résistance » des populations des PAM à toute forme d’impôt formel, culture forgée au cours

des siècles de dominations étrangères (4.2.1). Face à cette résistance à l’impôt, préjudiciable

pour le budget public, l’État adopte une attitude néo-patrimoniale qui se traduit par

l’instauration d’un système de « tolérance » - vis-à-vis de la violation des règles du marché –

en vue d’entretenir une certaine stabilité politique (4.2.2). Ce système correspond à un jeu

complexe de négociation entre l’État et la population, créant ainsi un quasi marché

d’opportunités de rente (4.2.3).

5.2.1. Culture de résistance fiscale : les conséquences sur les activités de recherche de rente

L’histoire du Maghreb, jalonnée d’incessantes invasions étrangères, a eu des effets

considérables sur les populations indigènes, en ce sens que ces dernières ont développé une

véritable « culture de résistance » face à toute forme d’autorité institutionnelle formelle, celle-

ci étant considérée comme l’expression de la domination étrangère (voir encadré 7). Après

l’indépendance, quelques formes de résistance persistent encore. L’exemple le plus frappant,

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et de fait le plus dommageable pour le processus de transition institutionnelle, est celui de la

résistance fiscale. En effet, avant l’indépendance, les populations rurales, qui composaient

plus de 90 % de la population en Tunisie et en Algérie, ignoraient pratiquement l’impôt et ne

supportaient pas directement les charges résultant de l’entretien du système beylical [Michalet

et Sereni, 2006]. Cette résistance fiscale, qui pouvait mener jusqu’à des soulèvements

menaçant l’existence même des dynasties régnantes, comme en Tunisie en 1864, a eu des

répercussions qui se font encore sentir dans la relation entre le contribuable et l’État.

Aujourd’hui encore, les agriculteurs maghrébins ne paient pas d’impôts. Les citadins, venus

dans leur majorité des campagnes, ont également hérité de cette résistance fiscale. En Tunisie,

par exemple, l’évasion fiscale – par absence de déclaration, déclarations minorées et faible

taux de recouvrement – est estimée à plus de 50 %205 des recettes [Hibou, 1999]. Les résultats

d’une enquête de terrain sur l’évolution des activités informelles et de la corruption, que nous

avons menée au Maghreb (Algérie, Maroc et Tunisie)206, fournissent des indices de cette

résistance fiscale. L’un des volets de cette enquête cherche à voir comment sont perçues les

différentes réglementations imposées aux entreprises, notamment la réglementation fiscale,

les normes d’hygiène, les normes de sécurité et la réglementation du travail. Parmi les 600

chefs d’entreprises interrogés en Algérie, au Maroc et Tunisie, 81 %, 64 % et 50 %

respectivement jugent la réglementation fiscale comme étant la plus contraignante207. Pour

échapper aux taxations et aux réglementations imposées par les autorités formelles,

respectivement 90 %, 87 % et 74 % des chefs d’entreprises déclarent que les entreprises dans

leur secteur d’activité ont recours à la sous-déclaration, qui consiste à dissimuler une partie de

leur activité.

205 En l’absence de chiffre officiel, ce taux doit être considéré avec précaution.

206 Il s’agit d’une série d’enquêtes de terrain qui tentent de mesurer l’impact de l’intensification de la concurrence (libéralisation du marché intérieur, ouverture sur l’extérieur, etc.) sur le développement de nouvelles formes de flexibilité du travail dans les entreprises. Ces enquêtes cherchent entre autres choses à comprendre comment les chefs d’entreprises réagissent face à cette concurrence accrue, et plus particulièrement, dans quelle mesure ils font recours à des pratiques informelles telles que la sous-déclaration ou la corruption administrative afin de rester compétitif sur le marché des biens et services. Pour ce faire, nous avons mené des enquêtes (croisées employeur / employé) auprès de 600 entreprises et 6000 employés. Deux questionnaires ont été conçus : le premier destiné au chef de l’entreprise, le second destiné à dix de ses employés. Pour une description complète des enquêtes, voir Ben Abdelkader et Najman [2005]. Par ailleurs, une analyse plus fine du phénomène de corruption, en tant que moyen permettant aux entreprises de dissimuler une partie de leur activité, a été réalisée sur la base de ces enquêtes par Delavallade [2007].

207 Tout chef d’entreprise cherchant à améliorer la rentabilité de son activité aura tendance à manifester une certaine aversion à l’égard de toute charge financière imposée qui serait susceptible d’alourdir les coûts de production. Néanmoins, compte tenu des facteurs historiques décrits plus haut, ces proportions relativement élevés sont de nature à corroborer la thèse d’une hostilité, ancrée dans les mentalités des maghrébins depuis des siècles, vis-à-vis de toute forme d’assujettissement.

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Encadré 7. Aux origines de la tradition de résistance des populations maghrébines

(…) L’une des explications les mieux élaborées et les plus approfondies de cette culture de résistance revient à Ibn Khaldoun. Ce dernier explique que les populations des pays d’Afrique du Nord sont animées par « l’esprit de corps » qu’il définit comme étant « le sentiment qui porte à résister, à repousser l’ennemi, à protéger ses amis, à venger ses injures » [Ibn Khaldoun, 1997]. Il s’agit d’une forme de solidarité très forte qui « (…) consiste en cette union des cœurs qui fait valoir les liens du sang et qui porte l’homme à la défense de celui qui invoque son recours (…) » [Ibn Khaldoun, 1997]. Et l’auteur d’ajouter : « Chez les peuples animés d’un même esprit de corps, le commandement ne saurait appartenir à un étranger » [Ibn Khaldoun, 1936]. Bensamoun [2007] trace l’histoire de la résistance permanente des populations locales à l’imposition d’un ordre ottoman, faisant ainsi régner une précarité permanente et une insécurité qui reflétaient la constante instabilité des institutions, le tout s’agençant en une véritable culture de résistance et d’insoumission aux différentes règles que la puissance coloniale avait tenté d’imposer. De par leur nature, les invasions portent en elles le déni du fait identitaire indigène : langue, culture, traditions communautaires, empêchant ce faisant la collectivité de s’élever au rang d’une formation sociale susceptible de se constituer en une société civile, avec ce que cela requiert de mise en place de dispositifs institutionnels modernes. Les invasions et les colonisations ont poussé les communautés autochtones à s’investir dans la déconstruction de l’autre, de l’étranger – souvent assimilé à l’occupant -, quitte à ne rien entreprendre de constructif pour soi. Amarouche [1999] tente d’expliquer l’échec de l’expérience algérienne de développement par une non prise en considération de l’historicité de l’individu qu’elle a cherché à servir. L’État algérien, comme celui d’autres PAM, n’a pas mesuré l’étendue de l’impact que pourrait avoir la capacité de résistance développée au cours des siècles. « Ainsi (l’individu) a-t-il pu contrer avec une certaine efficacité les projets d’assimilation, que les occupants successifs ont initiés en se repliant sur des traditions de vie en communauté qui, pour l’avoir façonné dans l’endurance à l’adversité, ne se posent pas moins aujourd’hui en un écueil démultiplié à l’infini sur lequel est venue se briser la tentative de le sortir de son monde fermé pour le mener vers l’universalité » [Amarouche, 1999]. La « révolution intégratrice », selon les termes de Geertz [1963], qui renvoie au projet d’indépendance et à la construction d’un État post-colonial, n’ayant pas permis de se débarrasser de ces formes de mécontentement communautaire.

Source : D’après Ben Abdelkader [2008].

Ce qui mérite d’être rappelé à ce propos, c’est l’importance majeure de l’impôt en tant que

moyen de financement des institutions démocratiques dans les pays occidentaux, et le rôle

primordial que celui-ci a joué en tant que source de financement permanente et stable dans la

consolidation de leurs systèmes de gouvernance. Le phénomène de résistance fiscale qui

touche les PAM, et le manque à gagner qui en découle, peuvent être considérés comme des

facteurs de handicap majeur dans la transition institutionnelle, en ce sens que celle-ci

nécessite des moyens financiers importants et permanents afin de construire et d’entretenir

des institutions démocratiques et des institutions de marché.

Cette tradition héritée de résistance à toute forme de taxe imposée par le pouvoir est alors

préjudiciable au processus de transition. Mais elle est d’autant plus problématique en ce

qu’elle a été, dans une certaine mesure, tolérée par les régimes au pouvoir qui se sont

succédés depuis l’indépendance, avec toujours le même objectif d’entretenir une paix sociale.

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En effet, l’impôt est utilisé par les tenants du pouvoir comme un moyen de négociation qui

vise à maintenir à l’équilibre les rapports de force entre le contribuable et l’État [Anderson,

1987 ; Hibou, 1999].

5.2.2. « Système de tolérance » et coût d’opportunité de la recherche de rente : les conditions de la création d’un « marché de la rente »

Les systèmes économiques n’ont pas échappé non plus à l’influence de l’histoire coloniale des

PAM. La prédominance du pouvoir politique sur l’activité économique est l’un des héritages

les plus marquants. L’accès à l’indépendance n’a pas permis d’ébranler cette emprise du

politique sur l’économique. Au contraire, la décolonisation a plutôt favorisé l’émergence d’un

puissant secteur public208 et la perpétuation d’un « étatisme » fortement interventionniste

[Anderson, 1987 ; Lahouari, 1991] ce qui s’est traduit par un pouvoir hyper-centralisé qui

s’appuie sur une bureaucratie dominée par les arrangements privés plutôt que par la poursuite

d’un objectif de développement national [Hibou, 2006a ; Kerr, 1981]. L’ère post-

indépendance a été alors marquée par une économie extrêmement administrée et des organes

de régulation économique étroitement subordonnés aux différents ministères de l’État,

laissant très peu de place au marché et créant ainsi un terrain favorable à la recherche de

rente. Mais surtout, d’importantes manipulations sont souvent manigancées afin d’atteindre

des objectifs politico-sociaux. Elles se traduisent par un jeu complexe de négociations entre

les acteurs économiques et les acteurs publics au sein de la bureaucratie (voire les membres

du clan dominant) où les premiers tentent d’obtenir des rentes et les deuxièmes cherchent à

maximiser leur fonction d’utilité. La libéralisation économique, censée éroder ce type de

marchandage, a été subvertie par un mode de pouvoir néo-patrimonial qui organise un

« système de tolérance » ; le clan dominant et l’administration tolèrent les infractions des

agents économiques, mais ils peuvent décider à tout moment de ne plus permettre cette

208 La période coloniale et beylicale n’a pas permis le développement d’un secteur privé indigène qui serait doté de suffisamment de capitaux, de compétences, de savoir-faire pour reprendre et gérer les entreprises détenues jadis par les colons français [Kuran, 2004]. L’une des répercussions les plus marquantes de la colonisation française sur les systèmes économiques des pays du Maghreb est l’exclusion des populations indigènes de la grande production marchande. Cette dernière a été largement dominée par les colons français dans tous les secteurs de l’économie. Dès lors, faute d’un secteur privé viable, l’Etat a pris en charge les grands projets économiques productifs du pays, ce qui s’est traduit par un niveau élevé d’investissement public, financé par la rente pétrolière (Algérie), les aides étrangères (Tunisie) ou encore les revenus des ressources minières (Maroc) [Anderson, 1987 ; Yousef, 2004].

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illégalité. Ils entretiennent autour des relations d’affaires un flou qui permet notamment au

clan dominant de répondre aux différentes situations qu’il perçoit comme menaçantes pour

lui, telles que l’apparition de nouveaux groupes économiques trop puissants susceptibles de le

concurrencer. Les règles du jeu sont établies selon les circonstances et définies selon un

double critère de la légalité et de l’allégeance, « le passage d’un registre à l’autre permettant au

pouvoir politique de garder le contrôle du champ économique nonobstant sa régulation

supposée par les lois du marché » [Camau et Geisser, 2003 : p.61].

Gobe [2007] offre une parfaite illustration de ce système de tolérance. Sur la base d’exemples

concrets ou de témoignages d’avocats d’affaires, il tente de rendre compte de l’usage

stratégique que font les autorités égyptiennes du flou existant autour des réglementations,

pour consolider leur emprise sur les acteurs économiques. Le témoignage d’un avocat

d’affaires apporte un éclairage intéressant à cet égard : « La concentration du pouvoir de

décision au sein de l’administration fait que toute chose ne peut être qu’un don du

gouvernement. L’administration est toute puissante et tout ce qui n’est pas permis

explicitement par un texte est interdit jusqu’à preuve du contraire. Elle peut fermer les yeux

sur des infractions mais, à tout moment, elle peut intervenir pour arrêter l’activité de

quelqu’un et le réprimer sévèrement. C’est ainsi que l’administration égyptienne garde toute sa

puissance vis-à-vis du monde des affaires et vis-à-vis de la population égyptienne. C’est elle

qui donne ou s’abstient de donner (…). L’homme d’affaire, en particulier, ne connaît pas par

avance ses droits et ses devoirs et rentre dans un labyrinthe inextricable de lois et de

règlements » [Cité dans : Gobe, 2007 : pp.10-11].

Pour ce qu’ils offrent d’opportunités de rentes, le commerce et les importations sont régis par

des réglementations complexes et parfois contradictoires, constituant l’exemple le plus

frappant du flou institutionnel. En outre, l’économie égyptienne souffre d’une combinaison

paradoxale de « sous-réglementations » et de « sur-réglementations » : la première renvoie à

l’absence d’aménagements réglementaires dans certains domaines, la deuxième désigne à la

fois l’intervention d’une multitude d’autorités administratives dont les fonctions se

chevauchent, et l’existence d’un foisonnement de réglementations parfois contradictoires. Ce

paradoxe favorise des interprétations contradictoires de la part de la bureaucratie et crée un

terreau fertile pour l’arbitraire et la corruption. Les relations entre les autorités égyptiennes et

les sociétés islamiques de placement de fonds illustrent la manière dont le clan dominant

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utilise le flou institutionnel pour contrôler - voire évincer – les acteurs économiques devenus

un peu trop puissants (encadré 8).

Encadré 8. L’éviction d’un clan devenu trop puissant : le cas du groupe al-Rayyân en Égypte

« (…) L’institutionnalisation du secteur économique islamique est revenue « à admettre l’instauration d’une dualité dans le système législatif appliqué à l’économie dans un domaine politiquement sensible » (Rycx : 1987 : p.29). Ce secteur s’est constitué, à partir du milieu des années 1980, selon une logique de passe-droit : l’« islamisation » de la société égyptienne tendait « à l’installation d’une "économie parallèle" en concurrence directe avec l’économie officielle pour la captation des ressources disponibles – en particulier l’épargne en devises des travailleurs migrants » (Roussillon, 1990 : p.36). Ces sociétés de placement de fonds ont pu accumuler leurs capitaux grâce au rapatriement de l’épargne des travailleurs émigrés dans le Golfe à la recherche d’une rémunération élevée. Le gouvernement égyptien a ainsi permis à ces entreprises de se développer entre 1983 et 1988, d’accumuler des capitaux considérables avant de les éliminer en raison de leur puissance économique et financière. Pour s’en débarrasser, les autorités ont eu recours à une vieille ordonnance sur les importations, édictée pendant la Seconde guerre mondiale. L’avocat d’affaires YTT précise : « (…) À une époque de flottement, al-Rayyân (Groupe de finance islamique) a voulu s’attirer les bonnes grâces du gouvernement. Il a fait une opération conjointe avec les ministères de l’Approvisionnement et de l’Agriculture. C’était, entre autre, l’importation de plusieurs milliers de tonnes de maïs et de fèves pour le compte du ministère de l’Approvisionnement. Après la fin de l’opération, le gouvernement a sorti une vieille ordonnance promulguée par les Anglais pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1944, stipulant que les fèves sont des denrées stratégiques et qu’il est interdit au secteur privé d’en assurer la distribution sans l’accord préalable du ministère de l’Approvisionnement ». Le gouvernement confisqua donc le chargement de la société al-Rayyân et l’un des frères dirigeant l’entreprise, Mohammed Tawfiq Abd al-Fattah, fut déféré devant la Cour de sûreté de l’État (…). Il « lui a infligé la peine maximale prévue par l’ordonnance de 1944. Il a été condamné à deux ans de prison alors que tout le monde importe des fèves, du maïs et de la viande ». Selon YTT « Le gouvernement (...) a fait une timide tentative contre les sociétés de placement de fonds en 1986 puis, en 1988, il a décidé d’agir vite parce que ces sociétés commençaient à prendre une dimension très importante dans l’économie. Leurs dirigeants commençaient à employer des ex-ministres et des ex-gouverneurs, et à constituer presque un lobby, ils distribuaient des revenus importants en dehors du système auquel l’administration était habituée. (…) C’est pour cela que l’État est intervenu avec force contre ces sociétés de placement de fonds ».

Source : D’après Gobe [2007 : pp.11-12]

L’étude menée par Hibou [1999 ; 2006a] sur le cas de la Tunisie permet également une

description très éclairante du système de tolérance. L’auteur expose trois éléments sur

lesquels s’appuie le fonctionnement concret de ce jeu de négociation : la tolérance de la

« triche » (fraude, contrebande, activités informelles, évasion fiscale), l’arbitraire du pouvoir,

qu’autorise le flou des textes, les écarts entre lois et décrets et la confusion délibérée des

hiérarchies administratives, et enfin la corruption. Hibou [1999 : p.51] souligne à ce propos

que « ces trois pratiques sont suffisamment généralisées pour que presque toute la population,

quelles que soient ses affinités politiques et ses aspirations démocratiques, soit insérée dans ce

système de négociation ». L’auteur donne quelques illustrations pour décrire ce type de

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marchandage. Par exemple, le système fiscal est caractérisé par deux tendances

complémentaires et, dans une certaine mesure, paradoxales. D’une part, la fraude et l’évasion

fiscale (absence de déclaration, déclarations minorées, faible taux de recouvrement) sont

tolérées, voire même favorisées, afin de permettre l’émergence d’une « bourgeoisie nationale »

et d’une classe d’entrepreneurs – choisis - dans une logique de capitalisme de copinage.

D’autre part, les contrôles fiscaux ont été intensifiés pour compenser en partie les pertes de

recettes fiscales dues aux divers accords de libre-échange, mais également pour donner au

pouvoir un instrument de négociation supplémentaire. La – tolérance de la- fraude fiscale

« permet alors au pouvoir de justifier ses pratiques prédatrices et ses immixtions arbitraires

dans les affaires économiques du pays » [Hibou, 1999 : p.51]. Elle permet également aux

fonctionnaires des impôts de bénéficier de primes proportionnelles aux redressements et

ouvre la voie à de nouvelles niches de rentes et donc à la corruption. Un deuxième exemple

réside dans la tolérance de l’activité informelle qui joue par ailleurs le rôle de soupape sociale.

Celle-ci est même aménagée, comme le suggère l’institutionnalisation des « souks informels »

où des marchands « informels » font écouler illégalement des produits d’entreprises

exportatrices ou provenant de la contrebande avec la Libye et l’Algérie.

L’exemple de la Tunisie montre comment l’existence de marges de négociation dans un

système centralisé est de nature à créer un véritable « marché de la rente » : l’État demeurant

le principal client, producteur et régulateur de l’économie, les fonctionnaires se sont trouvés

en position de « vendre » des décisions administratives. Les acteurs publics offrent des rentes,

les acteurs privés en demandent. Mais, surtout, ce marchandage généralisé, qui offre à une

forte proportion de la population l’opportunité de capter une rente, pourrait gagner

l’adhésion de la population et conduire même à l’a-politisation de celle-ci. Ainsi, perpétuer ce

système de tolérance permet au clan dominant de consolider son autonomie politique et de

réduire les pressions en faveur des réformes institutionnelles de la part d’une population

désormais partie prenante à ce marchandage politico-économique.

5.2.3. Les pièges d’un marchandage politico-économique généralisé

Le marchandage politico-économique en vigueur dans les PAM tend alors à favoriser

l’émergence d’une économie de rente, y compris dans les États non-rentiers. La politique de

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distribution de ces États autoritaires se traduit par une multiplication des foyers de rentes qui,

se nourrissant d’un certain flou institutionnel, engendre un accroissement des activités de

recherche de rente. Cette situation porte les germes d’un engrenage institutionnel néfaste

dont il est difficile de sortir.

La hausse des prélèvements fiscaux, opérée par les PAM en vue de combler l’érosion des

diverses rentes étatiques constituées à l’abri des protections, ne s’est pas accompagnée d’un

marchandage démocratique. En revanche, elle a donné lieu à un autre type de marchandage –

non démocratique cette fois-ci - entre l’État et les acteurs économiques. Dans ce cadre,

l’impôt demeure un instrument de négociation majeur, non pas en tant que moyen de

pression entre les mains des contribuables, qui servirait à contrôler l’action de l’État, mais

plutôt pour obtenir des exonérations fiscales en contrepartie de leur allégeance. Le

marchandage n’est plus inscrit dans une logique qui va dans le sens du citoyen vers l’État du

type « pas d’impôt sans représentation », mais plutôt de l’État vers le citoyen du type : pas

d’exonération d’impôt sans allégeance. Si ce marchandage est majoritairement accepté par les

acteurs économiques et par les citoyens, c’est qu’il ouvre de réelles marges de manœuvre

grâce à la politique de tolérance vis-à-vis des violations des règles du marché. Il permet aux

plus gros entrepreneurs, en contrepartie d’actes de compromission et de corruption, de capter

des rentes grâce à des sous-déclarations fiscales, au non-respect de la législation du travail, à

l’obtention de mesures protectionnistes. Aux plus petits (petits entrepreneurs, employés,

simples citoyens), il permet de capter des rentes grâce à l’entreprise d’activités informelles, à la

participation à l’économie de contrebande, à l’accès à des produits sur les marchés parallèles,

etc. Ainsi, nous observons clairement que ces pratiques (informel, fraude, évasion,

corruption) constituent des instruments de négociation inventés de part et d’autre pour créer

des rentes mais aussi des espaces d’autonomie : une autonomie politique du pouvoir par

rapport à sa base sociale, et une autonomie économique des acteurs sociaux par rapport à un

pouvoir politique qui a tendance à leur empêcher l’accès aux ressources économiques par les

moyens traditionnels tels ceux que l’on observe dans une réelle économie de marché. Cette

analyse nous mène à avancer que les acteurs sociaux ne sont pas totalement assujettis au

pouvoir central, mais plutôt parties prenantes dans ce marchandage qui leur permet de capter

des rentes et de maximiser leur revenu. Dès lors, l’intérêt de revendiquer une représentation

démocratique et des institutions garantissant l’État de droit se trouve amoindri. Pousser l’État

à entreprendre des réformes institutionnelles allant dans ce sens ne risque-t-il pas de détruire

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le système de tolérance qui constitue la base-même de création des opportunités de rente ?

Ainsi, on retrouve ici le schéma d’Olson décrit plus haut selon lequel une institution peut

persister dans la longue durée bien qu’elle fasse obstacle à l’essor des échanges économiques

et pouvant même conduire à la régression économique et sociale. Bien que l’État de droit

puisse permettre d’ouvrir à tous l’accès aux ressources économiques et de réduire l’arbitraire

du clan dominant et de la bureaucratie, il n’en demeure pas moins que ces bénéfices restent

incertains. Les pertes (des rentes) sont en revanche certaines et facilement mesurables par

chacun. En effet, les coûts individuels que devra supporter l’individu à l’initiative du

changement risquent d’être tellement élevés qu’ils le dissuadent d’agir.

Le marchandage politico-économique peut également avoir des effets négatifs sur le

développement du secteur privé dans les PAM. Les agents économiques privés agissent dans

le cadre d’un système de tolérance dont ils essayent de tirer profit. Ils captent des rentes qui

contribuent à leur enrichissement personnel. Toutefois, ces rentes peuvent être investies dans

des activités productives dynamisant ainsi l’activité économique. Or, ce système de tolérance

ne donne aucun droit acquis, et les avantages accordés sous ce même principe peuvent être

retirés. Il engendre au contraire une vulnérabilité du secteur privé face à l’État et sape

fortement la confiance. La réussite des entrepreneurs semble dépendre plus souvent du bon

vouloir de l’administration que de leur capacité à améliorer la rentabilité économique de leur

entreprise. La proximité avec la bureaucratie devient alors un critère de réussite de

l’entrepreneur, qui cherchera dès lors à développer ses activités en fonction des opportunités

de rente offertes. Les dirigeants d’entreprises privées les plus importants peuvent injecter des

capitaux dans des activités productives et rentables, mais, dans un contexte marqué par la

logique rentière et clanique comme celui des PAM, la tentation est forte de chercher

parallèlement à assurer la rentabilité de leurs sociétés en cultivant des rentes obtenues grâce à

leurs relations privilégiées avec le clan dominant. Notons néanmoins que la croissance du

secteur privé dans les PAM, basée en grande partie sur un capitalisme familial et de

copinage209, ne s’est pas traduite par une redistribution « équilibrée » des ressources du

pouvoir économique entre une bourgeoisie naissante et l’État. Cette répartition reste

largement en faveur de ce dernier et du clan qui le contrôle lequel, par son pouvoir,

notamment sur les droits de propriété, contrôle étroitement les principaux canaux de création

209 Voir entre autres [Gobe, 1999 : cas de l'Egypte] ; [Benhaddou, 1997 : cas du Maroc] ; [Hibou, 1999 ; Michalet et Sereni, 2006 : cas de la Tunisie] ; [Amarouche, 2004 ; Lahouari, 1991 : cas de l'Algérie] ; [Hinnebusch, 1995 : Cas de la Syrie] ; etc.

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des richesses. Également, l’ajustement structurel qui, renforçant le secteur privé, devait

conduire au désengagement de l’État de l’appareil productif, n’a pas produit un transfert

systématique du pouvoir. Tel que souligné par Leca [1994]210, « un secteur privé croissant à

l’ombre de l’État (et grâce au secteur public) a certainement un intérêt politique à gagner sa

liberté d’action économique par de moindres entraves réglementaires en matière de droit du

travail, d’accès aux biens d’équipements et au crédit, à des régimes fiscaux favorables et à la

liberté des transactions internationales, mais pourquoi cela devrait-il être obtenu par une

action politique ouverte plutôt que par l’occupation (moins coûteuse) de « niches » dans la

politique bureaucratique ou de palais, où les réseaux informels de solidarités familiales,

régionales ou factionnelles jouent un rôle dominant ». Par ailleurs, Michalet et Sereni [2006]

expliquent comment ce marchandage a conduit à des formes complexes de captation de rente

consistant par exemple à octroyer des concessions à une poignée d’hommes d’affaires

fidèles qui servent souvent de « prête-noms » à des responsables politiques décidés à profiter

de leur position pour s’enrichir.

Au terme de cette analyse, nous pouvons constater que le marchandage politico-économique

sur la base d’un système de tolérance de la captation de rente a permis, dans une certaine

mesure, des marges de progression du secteur privé dans les PAM. Néanmoins, ce secteur ne

semble pas encore suffisamment puissant pour pouvoir peser sur le choix des politiques

publiques. Si certaines élites privées parviennent, grâce aux liens personnels qu’elles

entretiennent avec le clan dominant, à obtenir des privilèges ou à empêcher l’apparition de

nouveaux concurrents, pouvons nous dire pour autant qu’elles ont su s’organiser en groupes

d’intérêts aptes à capter à leur profit l’appareil d’État ? Pouvons-nous parler de capture de

l’État dans le cas des PAM comme pour celle qui s’est opérée dans certains PECO ?

210 Cité dans [Gobe, 2007 : p.13].

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5.3. Capture de l’État, groupes d’intérêt et résistance au changement institutionnel

La prolifération des activités de recherche de rente et la résistance des élites dirigeantes à

l’égard des réformes se sont traduites par une capture de l’État dans un grand nombre

d’économies en transition [Andreff, 2007 ; Labaronne, 2002b]. Dans un contexte de

transition partielle et d’insuffisantes réformes institutionnelles, des groupes d’intérêt se sont

constitués afin de peser sur les choix publics en matière de formulation et d’application des

réformes et des politiques publiques. L’autonomie de l’État s’est trouvée ainsi fortement

affaiblie et soumise aux pressions de ces groupes au pouvoir grandissant. En resituant cette

question dans le cadre de la transition dans les PAM, pouvons-nous retenir la thèse de l’État

capturé pour expliquer le blocage des réformes dans ces pays ? Pouvons-nous parler de

groupes d’intérêts dans le contexte institutionnel des PAM ? Dans quelle mesure l’État est-il

sensible aux sollicitations des élites dirigeantes ?

5.3.1. Quelle signification donner à la capture de l’État dans les PAM ?

L’un des faits les plus marquants mis en évidence par nos indicateurs des systèmes de

gouvernance publique dans les PAM est l’absence manifeste de partis politiques antagonistes

et légalement reconnus. À cela il faut ajouter l’inexistence de groupes d’intérêts organisés

d’une manière institutionnellement formelle. L’action et la solidarité des élites dirigeantes

publiques et privées dans les PAM sont plutôt « inorganisées » et essentiellement basées sur

une logique interpersonnelle et clanique211. Afin d’appréhender les relations existant entre des

hommes d’affaires égyptiens et des bureaucrates, Sadowski [1991] utilise cette expression qui

renvoie à des alliances sous forme de « cliques », en vue de rechercher des bénéfices mutuels

211 Certains auteurs jugent excessif de faire de la logique clanique le principe de fonctionnement des systèmes politiques et économiques dans les MENA [Voir à titre d'exemple : Ayubi, 1980]. Cette thèse défend le progrès de la règle impersonnelle et de la compétence comme mode structurant l’allocation de ressources dans ces pays. Ce qui plaide en faveur d’une évolution de la rationalité du clan à la rationalité légale. Néanmoins, faut-il supposer que les deux rationalités ne puissent coexister ?

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en influençant le mode d’intervention de l’État. L’analyse en termes de groupes d’intérêts ou

de « systèmes d’insiders », proposée par exemple par Meisel et Ould Aoudia [2007a] ou dans

certaines analyses de la transition à l’Est [Labaronne, 1997, 2002a], ne nous semble pas

pertinente dans le cas des PAM, dans la mesure où les luttes de pouvoir entre des groupes

d’intérêts particuliers sont faiblement significatives. Les affaires d’intérêt public les plus

déterminantes sont centralisées entre les mains des membres du clan dominant. Ce dernier ne

laisse pas d’espace possible à la formation de groupes d’intérêts particuliers. De ce fait,

l’action des élites politiques et économiques ne repose pas sur une organisation

institutionnelle formelle régie par des règles démocratiques connues de tous, ni sur un

rassemblement autour d’un projet de société et de principes idéologiques communs. Mais

surtout, il n’existe pas d’action collective en dehors de celle définie par le clan dominant. Si

une telle action est amenée à exister c’est qu’elle est conforme aux stratégies du clan

dominant, ou bien qu’elle est tolérée parce qu’elle ne présente aucune menace pour ce

dernier. Par ailleurs, elle est neutralisée dès qu’elle acquiert un pouvoir susceptible de la

promouvoir en force d’opposition, tel que cela a été le cas pour les fonds d’investissement

islamiques en Égypte (voir encadré 8). Ainsi, l’emprise du clan dominant sur les différentes

ressources (pouvoir politique, richesses, information) dans les PAM est telle que la marge de

manœuvre des élites se trouve très réduite.

Ce schéma diffère de celui décrit par l’analyse de l’État disputé ou capturé par des groupes

d’intérêts ou de celui des systèmes d’insiders. Dans la théorie des groupes d’intérêts, ces

derniers cherchent à influencer les choix publics en s’appuyant notamment sur l’exercice

d’une pression électorale – en particulier par les contributions, non seulement financières, aux

campagnes et partis politiques – et sur la transmission stratégique d’information ; ils

chercheraient alors à « signaler » au décideur les dangers qu’il court s’il ne répond pas

favorablement à leurs sollicitations. Dans une situation de transition inachevée où l’État est

dans la phase « intermédiaire » de sa construction, des jeux de pouvoirs peuvent être créés

donnant lieu à des luttes entre coalitions d’insiders pour infléchir les décisions publiques dans

le sens de leurs intérêts. Contrairement au système clanique des PAM, le contrôle des

ressources dans ce système est fonction du degré d’organisation de la coalition d’insiders, qui

détermine la capacité de celle-ci à déstabiliser l’équilibre des pouvoirs au sein de l’État et de

faire ainsi basculer le rapport de force en sa faveur. Les insiders dans les pays en transition ont

pu mobiliser leurs ressources acquises (grâce par exemple à la privatisation) et profiter de

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leurs connexions au sein de l’État dont ils étaient membres avant la transition (la

nomenklatura) pour influencer les décisions publiques. Leur marge de manœuvre est

beaucoup plus large que celle que pourraient obtenir les élites dans les PAM. Ces dernières ne

peuvent influencer l’action de l’État qu’à travers une relation privilégiée avec le clan

dominant ; ce dernier étant le seul détenteur monopolistique de l’allocation des ressources du

pouvoir, et quasiment le seul décideur des bénéficiaires potentiels des décisions publiques.

Dans ces pays, l’État est capturé par le clan dominant qui n’est pas prêt à le partager avec

d’autres clans. Les élites alliées se contentent de consommer des rentes créées par le clan

dominant à travers l’État en contrepartie de leur soutien politique. Ceci engendre une relation

de dépendance verticale où les obligations de l’échange sont réciproques mais potentiellement

asymétriques dans la mesure où le clan dominant peut décider de redéfinir les conditions de

l’échange, autrement dit les conditions d’appartenance au cercle du clan. Au terme de cette

analyse, on est en droit de se poser la question à quel moment est-il pertinent pour le

chercheur d’exclure de son propre répertoire scientifique le « clan » pour parler en termes de

« groupes d’intérêts » ou de « partis politiques ».

Dans ce contexte, il est évident que le changement institutionnel ne peut être le résultat d’une

auto-réforme de l’État et du clan qui le contrôle. De leur côté, les élites potentiellement

favorables à la transition institutionnelle, étant impliquées dans l’État et dépendantes du clan

dominant, ne peuvent s’abstraire de la coalition dominante sans endommager quasi-

irrémédiablement leurs privilèges et sans porter préjudice à leur position dans la hiérarchie

sociale. Or, si l’on en croit la thèse d’Acemoglu et Robinson [2006] selon laquelle la transition

ne peut être que le fait des élites, il nous semble important de savoir dans quelles conditions

ces dernières s’engageront en faveur de l’économie de marché et de la démocratie. Dans

quelle mesure la transition vers le marché et vers la démocratie deviendrait-elle moins

coûteuse pour les élites que leur alliance avec le clan dominant ?

5.3.2. Les élites et la transition dans les PAM : un choix sous contrainte

Acemoglu et Robinson [2006] (A&R) soutiennent que la transition démocratique est le fait

des élites. Dans un système non démocratique, ce sont les élites qui gouvernent. Une

démocratie, au contraire, est gouvernée par une multitude de groupes sociaux qui constitue la

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majorité, c’est-à-dire les citoyens, qui ont un droit de contrôle de l’action publique. La

démocratie est susceptible alors d’entraîner un transfert de pouvoir en faveur des citoyens.

Dès lors, les élites, qui risquent de perdre à la transition démocratique, sont naturellement

incitées à s’y opposer.

La thèse d’A&R suggère que toute réforme institutionnelle est bloquée par les perdants. Les

perdants à la transition vers la démocratie et de surcroît vers le marché bloquent le

démantèlement des régimes autoritaires. En l’occurrence, les perdants sont les élites qui ne

s’engageront sur la voie de la transition institutionnelle que sous la menace d’un coup d’État

ou d’une révolution. Ainsi, la transition apparaît comme le résultat d’un choix sous contrainte.

Les élites n’opteront pas pour la démocratie et l’économie de marché parce qu’elles pensent

que c’est un meilleur système que la monarchie ou l’oligarchie, mais parce qu’elles y ont

intérêt économiquement. Dans le modèle d’A&R, la démocratie n’existe que pour éviter aux

plus riches de perdre tous leurs privilèges. L’élite n’accepte l’idée de partager le pouvoir que

parce qu’elle craint les coûts de la révolution et l’expropriation.

5.3.2.1. Les élites et la transition démocratique dans les PAM

A&R [2006] tentent de définir les conditions selon lesquelles les élites seraient contraintes à

s’engager en faveur des réformes démocratiques. Nous discutons ces conditions pour le cas

des PAM.

(i) Le premier cas est celui d’une déstabilisation sociale qui serait d’une importance telle

qu’elle ne peut être absorbée par des « politiques de concessions212 » ou des « promesses

politiques en faveur des citoyens ». Cette déstabilisation dépendrait elle-même des

conditions de vie des citoyens213, de la force de la société civile et de la nature du

212 Les concessions peuvent prendre plusieurs formes, particulièrement des politiques appréciées par les citoyens, telles que celles qui se traduisent par une redistribution de revenus ou de biens matériels, et qui sont susceptibles de couter moins chers aux élites que de concéder la démocratie.

213 Un niveau élevé du coefficient de Gini, par exemple, est supposé augmenter les probabilités d’instabilités politiques [Alesina et Perotti, 1996]. Dans cette perspective, Acemoglu et Robinson [2006] expliquent que le niveau d’inégalité peut être considéré comme une contrainte qui pèse sur les élites, et qu’il peut déterminer le choix et l’évolution des trajectoires politiques d’un pays. Selon ces auteurs, trop d’inégalité bloque la démocratie, car les élites ont trop à perdre. Pas assez d’inégalité, en revanche, freine la transition démocratique parce que les gains pour les pauvres ne sont pas suffisants. « Il existerait une sorte d’inégalité d’équilibre favorable à la transition démocratique » [Facchini, 2008 : p 12]. Dans une lecture critique de l’argument d’A&R que l’inégalité bloque le passage à la démocratie, Facchini [2008 : pp. 12-15] montre que ce facteur n’est pas pertinent pour le cas des pays musulmans, les statistiques ne révèlent aucune corrélation entre le niveau d’inégalité (Indice de Gini) et le niveau de liberté politique (Indice de liberté politique selon Freedom House).

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problème d’action collective auquel seraient confrontés les citoyens dans un contexte non

démocratique. La plupart des PAM n’ont connu que peu – ou pas - de déstabilisation

d’une telle ampleur. Michalet et Sereni [2006 : p.14] précisent à ce propos que « plusieurs

fois dans le passé, des déséquilibres externes ont imposé des opérations de stabilisation

plus ou moins sévères (Tunisie 1964 et 1978, Algérie 1977-78, Maroc 1978). Cependant,

celles-ci n'ont pas remis en cause l’omnipotence du pouvoir, ni sa façon de conduire les

affaires publiques et la politique économique ». Nos indicateurs institutionnels (figures 13

et 14), construits à partir de la base du MINEFE, permettent de mettre en évidence la

faiblesse des structures de mobilisation des forces sociales dans les PAM, qui réduit les

chances d’une action collective en mesure de menacer le pouvoir des élites. Par ailleurs, le

niveau d’inégalité dans les PAM ne semble pas être suffisamment élevé pour déclencher

un mouvement de revendication démocratique. Ces pays apparaissent plutôt égalitaires.

Avec un coefficient de Gini de 0.35 (1995) et 0.34 (2004)214, l’Algérie et la Syrie se placent

respectivement au même niveau que la France, par exemple, qui affiche un coefficient de

0.36 (2004)215. Le Maroc et la Tunisie, qui affichent le même niveau avec un coefficient de

0.40 (2000), sont moins égalitaires mais se situent devant les États-Unis (0.41, 2000) et

loin derrière les pays les plus inégalitaires tels que le Brésil (0.60, 2001)216. En outre, les

PAM se singularisent par un niveau de pauvreté monétaire particulièrement bas,

notamment en comparaison avec les pays en développement [Ben Abdelkader et

Labaronne, 2006b ; Ould Aoudia, 2006b]. Ce qui nous amène à dire que dans ces pays les

conditions de vie en termes de bien-être matériel ne constituent pas un facteur

déterminant dans l’émergence d’une demande démocratique. Les gains, pour les pauvres,

d’une transition démocratique sont incertains, alors que les pertes sont connues et

peuvent être importantes, notamment dans des pays où la politique sociale et les systèmes

de redistributions contribuent d’une manière substantielle à la consolidation du niveau de

vie de cette population (subventions aux produits de base, construction des

infrastructures de base pour les plus démunis, etc. [Voir Ould Aoudia, 2006b]). Dans ces

conditions, les ingrédients d’une forte déstabilisation (selon A&R) ne semblent pas réunis

et aucune menace crédible de la part des populations ne pèserait sur les élites des PAM.

214 Source : World Development indicators, The World Bank.

215 Source : INSEE, Revenus fiscaux 2004.

216 Source : World Development indicators, The World Bank.

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Figure 13. Libertés publiques et niveau d’autonomie de la société civile dans 85 pays dont les PAM

Note : Cet indicateur a été construit à partir de 5 indicateurs élémentaires qui tentent d’appréhender les aspects suivants : la liberté de la presse, la liberté d’association, la liberté de

réunion et de manifestation, le respect du droit dans les rapports entre citoyens et administrations et le respect des minorités (ethniques, religieuses, linguistiques, etc.)

Source : Calcul des auteurs à partir de la base du MINEFE : enquête 2006 [Ould Aoudia, 2006a].

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Figure 14. Liberté et pluralisme des mouvements syndicaux dans 85 pays dont les PAM

Note : Cet indicateur a été construit à partir de 4 indicateurs élémentaires qui tentent d’appréhender le niveau de respect des aspects suivants : le droit de grève dans le secteur privé, le droit de grève dans le secteur public et les administrations, la liberté de négociation collective dans les entreprises et les libertés du fonctionnement syndical dans les entreprises, le pluralisme et l’autonomie des syndicats.

Source : Calcul des auteurs à partir de la base du MINEFE : enquête 2006 [Ould Aoudia, 2006a].

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(ii) Le deuxième cas de figure repose sur l’idée que les élites n’envisageront l’option de la

démocratie que si les coûts anticipés de ce changement sont limités pour elles. Or, ces

dernières ont beaucoup à perdre d’une éventuelle transition démocratique. Le processus

de formalisation des règles et de dépersonnalisation institutionnelle qu’exige la démocratie

implique la mise en place d’un dispositif systémique accordant des droits à tous sur des

bases écrites et opposables. Cette extension des droits à tous les citoyens, sur une base

égalitaire et impersonnelle, est de nature à menacer directement les privilèges des tenants

de l’ordre social, du clan dominant et des élites alliées qui tirent précisément leur pouvoir

de leur accès exclusif aux ressources du pouvoir. Le système discrétionnaire d’allocation

de la rente publique, sur lequel repose l’équilibre du système clanique dans les PAM, se

trouverait alors menacé. Ce qui revient à dire que l’instauration de la démocratie est

susceptible d’entraîner non seulement la perte des privilèges et des rentes publiques, dont

jouissent les élites, mais également d’être porteuse d’un ferment de déstabilisation et de

conflits au sein même de la coalition dominante. La démocratie risque alors de coûter très

cher aux élites. En outre, les ressources accumulées au sein de la coalition dominante

(rentes accumulées, connexions économiques et politiques, enchevêtrement des intérêts

au sein de la coalition, capacités de financement) ont atteint une telle ampleur qu’elles s’y

attachent de plus en plus.

Cette analyse permet de corroborer nos résultats du chapitre 3 qui montrent une très

faible qualité des institutions de gouvernance publique dans les PAM (figures 5 et 6). Ces

résultats traduisent en effet le retard accusé par ces pays en termes de réformes en faveur

d’un meilleur contrôle démocratique des élites dirigeantes. Ainsi, ce retard s’explique en

grande partie par le blocage par des élites perdantes de cette transition.

5.3.2.2. Les élites et la transition vers le marché dans les PAM : arbitrage coût-bénéfice

Le passage à une économie de marché peut également se révéler coûteux pour les élites alliées

au clan dominant dans les PAM. Les institutions de marché ont tendance à favoriser la

concurrence, à produire de l’information, à protéger les droits de propriété de l’arbitraire, à

limiter l’intervention de l’État. Elles ouvrent ainsi l’accès aux ressources économiques à un

plus grand nombre et réduisent considérablement les opportunités de création de rente via

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l’appareil étatique. Dès lors, les élites vont s’opposer à cette transition qui tend in fine à casser

les logiques de recherche de rente. Les élites privées risquent de perdre les rentes qu’elles ont

obtenues grâce à leurs relations privilégiées avec les élites publiques, lesquelles risquent de

perdre leur capacité à vendre des rentes.

La laborieuse mise en application des programmes de stabilisation et d’ajustement structurel

durant les vingt dernières années dans les PAM constitue une bonne illustration de la

résistance des élites à l’instauration des institutions de marché. Le programme de stabilisation

a été particulièrement long et rude pour l’Algérie (10 ans) et le Maroc (13 ans). Il a heurté de

plein fouet, non seulement les intérêts du clan dominant (en restreignant ses marges de

manœuvre dans le cadre de sa politique sociale), mais également les intérêts d’une grande

partie de sa clientèle. En effet, ces programmes d’ajustement impliquent des mesures radicales

telles que la dévaluation de la monnaie nationale, la réduction des investissements publics

pour limiter le déficit budgétaire, la désindexation des salaires. Ils ont ainsi entraîné un

réalignement de toutes les composantes de la coalition au pouvoir (salariés du secteur public,

du parti, des syndicats officiels, des hauts fonctionnaires) à la manifestation de résistance à ces

programmes217. Notons à cet égard le cas particulier de par sa complexité de l’Algérie,

complexité qui s’explique, d’une part, par la conjonction du poids politique des militaires218,

de l’importance du secteur public et de celle de l’influence du syndicat unique, l’UGTA, qui y

est fortement implanté, et d’autre part, par la faiblesse des éventuels bénéficiaires des

réformes, qui ne peuvent se faire entendre dans la coalition au pouvoir. Ce qui explique la

lenteur de la mise en place de la stabilisation (3 programmes négociés avec le FMI entre 1989

et 1994) et, plus encore, le caractère inachevé de l’ajustement structurel interrompu, de fait,

avec la fin de l’aide conditionnelle du FMI en mai 1998 [Michalet et Sereni, 2006 : p.15].

Néanmoins, il convient de remarquer que nos résultats issus des enquêtes du MINEFE

montrent que le déficit en termes d’institutions de marché (les systèmes de gouvernance

privée) est moins prononcé que celui observé au niveau de la gouvernance publique (figures 3

et 4). En outre, les PAM sont parvenus avec plus ou moins de réussite à réaliser une

217 On peut lire à ce propos dans [Hinnebusch, 1995] : « Economic stagnation puts mounting pressure on the regime for a change of course, but does not mechanically dictate a liberalization of policy. Economic liberalization in authoritarian populist regimes is deterred by the fact that those who normally bear the costs of liberalization - public employees, workers - are part of the regime coalition, while the beneficiaries are historic rivals ».

218 La stabilisation algérienne de 1989 s’est heurtée au refus de l’armée d’accepter un taux de change réaliste pour le dinar.

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stabilisation macroéconomique [Ould Aoudia, 2006b : p.52]. Il est également incontestable

que les plans d’ajustement structurel et les réformes de libéralisation (bien que partielles) ont

engendré un « début d’ébranlement » des systèmes institutionnels informels et

interrelationnels. Ce qui laisse supposer que les élites au pouvoir ont fait preuve d’une

moindre hostilité vis-à-vis de la transition vers le marché. Nous proposons quelques facteurs

susceptibles d’expliquer ce « fléchissement » :

(i) Une première explication réside dans la recherche d’une rente étrangère additionnelle en

provenance des bailleurs de fonds ou des pays développés. Cette rente peut prendre la forme

d’aides au développement, d’une aide dans le cadre de partenariats régionaux (cas des accords

avec l’UE), d’un allègement de la dette ou même d’une rente géopolitique (cas de l’aide des

Etats-Unis à l’Égypte). Ces rentes peuvent constituer une part importante dans les revenus

des États des PAM dont une partie est distribuée à leur clientèle. Or, des conditionnalités

économiques ou politiques sont souvent requises pour bénéficier de ces aides. Dès lors, les

élites vont procéder à un arbitrage entre les coûts et les bénéfices que génèrent de telles

conditions. Elles peuvent en effet céder en partie aux pressions des bailleurs de fonds en

matière de libéralisation ou de stabilisation macro-économique pour obtenir un allègement de

la dette ou continuer à obtenir l’aide au développement. Ces élites peuvent, également, faire

des concessions en matière de politique étrangère en s’alignant sur celle du pays donateur de

l’aide, même si cette politique serait fortement impopulaire comme c’est le cas pour l’alliance

entre l’Égypte et les Etats-Unis. (ii) Néanmoins, les marges de manœuvre de ces élites restent

importantes. D’une part, elles ne procèdent à des concessions que si les bénéfices espérés

sont susceptibles de compenser les pertes qu’elles risquent de supporter. Les mesures

institutionnelles préconisées par les organisations internationales ne sont en effet

formellement adoptées que si elles n’entament pas de manière sérieuse les intérêts de la

grande majorité des élites au pouvoir. Elles sont mises en œuvre de telle sorte que les élites

conservent ou reconstituent leurs rentes sous des formes renouvelées. Ainsi, la libéralisation

est façonnée sur mesure tout en restant compatible avec les objectifs de durabilité du régime

politique et de la suprématie du clan dominant219 [Hinnebusch, 1995 : p.319]. D’autre part,

219 Les vastes programmes de réformes visant à attirer les IDE dans les PAM sont un exemple très éclairant des stratégies des élites dans la transition sur mesure vers le marché. En effet, les IDE sont une véritable aubaine pour un Etat qui cherche à libéraliser, tout en gardant le contrôle de secteurs stratégiques de l’économie qui lui permettent de distribuer des rentes. Les IDE présentent un avantage de taille pour la coalition au pouvoir : ils génèrent des recettes fiscales supplémentaires, ils n’affectent pas les industries locales notamment lorsqu’ils sont destinés à des activités totalement exportatrices (ce qui est souvent le cas), ils permettent des transferts de technologies à moindre coût pour l’Etat et, surtout, ils permettent d’absorber une partie du chômage (ce qui est particulièrement utile pour des régimes

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malgré le consentement - apparent - aux transformations institutionnelles préconisées et

l’adoption des règles formelles inévitables, leur mise en application n’est pas nécessairement

respectée ; par exemple : l’adoption de dispositifs anti-corruption qui ne sont pas ensuite

appliqués [Akesbi et al., 2006 ; Hadjadj, 2006] ; le contournement ou l’annulation des mesures

de libéralisation220 [Gobe, 2007 ; Hibou, 2006b ; Hinnebusch, 1995] ; l’opacité autour des

privatisations [Hibou, 1999 ; Michalet et Sereni, 2006].

Les privatisations sont l’exemple le plus symptomatique du détournement des réformes à des

fins privées. Elles peuvent en effet servir à maintenir ou à accroître les rentes détenues par les

élites les plus proches du clan dominant dans un environnement comprenant des éléments de

propriété privée mais dépourvu des conditions d’un marché libre et concurrentiel. Michalet et

Sereni [2006] expliquent qu’aucune des rares privatisations algériennes n’a suivi la procédure

prévue en la matière dans les textes, entre autres la procédure relative à l’appel d’offre. Elles

ont toutes été cédées de gré à gré. En Tunisie, l’opacité qui a entouré l’octroi d’une deuxième

licence GSM en 2002 a conduit la Banque mondiale à annuler un prêt de 40 millions de

dollars prévu dans le cadre du programme d’appui à la compétitivité économique.

Ainsi, le processus de transformation institutionnelle dans les PAM apparaît comme une série

de « choix » de mesures institutionnelles que l’on entreprend, plutôt qu’un dispositif

contraignant qui pèse sur les élites publiques et privées [Bsaïs, 2006 : p.5]. Censé éroder les

rentes acquises par ces élites et instaurer un respect réel des règles formelles (enforcement,

[Khan, 2006]), il se transforme en un moyen permettant à ces élites de renforcer leurs

positions et accroître leurs rentes. Dès lors, celles-ci ont entravé la poursuite des réformes

non pas en raison de leur statut de perdantes mais bien au contraire parce qu'elles étaient les

grandes gagnantes d’une transition partielle.

en recherche de légitimité et fragilisés par leur incapacité à endiguer le chômage de masse qui caractérise tous les PAM).

220 En août 2008, le gouvernement Algérien a durci les conditions d'investissement étranger en étendant à tous les domaines d'activité une mesure qui ne concernait jusque-là que les projets pétroliers et gaziers, à savoir l'interdiction pour un investisseur étranger de détenir plus de 49 % du capital dans un partenariat avec l'Algérie. Plus récemment, il a adopté une mesure qui oblige les sociétés importatrices étrangères présentes en Algérie de faire entrer dans leur capital des entreprises algériennes à hauteur de 30 % minimum [Beaugé, 2009].

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Page | 277

5.4. Conclusion

Les explications des blocages de la transition institutionnelle fournies par Acemoglu et

Robinson [2006] semblent complémentaires aux explications de la thèse de l’État rentier, en

ce sens qu’elles proposent une analyse plus fine des conditions dans lesquelles les élites

dirigeantes acceptent – ou non – d’ouvrir l’accès aux ressources du pouvoir. Cette analyse a

permis d’intégrer le rôle des conflits de répartition du pouvoir et de la rente publique dans

l’étude du changement institutionnel dans les PAM. Les incitations économiques individuelles

sont mises au centre de la détermination des attitudes politiques, et les individus sont

supposés agir stratégiquement selon la théorie des jeux. Cette analyse a permis également de

mettre l’accent sur les conflits et les problèmes d’action collective en tant que facteurs d’une

importance fondamentale dans la formation des institutions politiques et dans l’analyse de la

résistance au changement. Comme l’explique Bardhan [2001], les arrangements institutionnels

d’une société sont souvent le résultat de conflits stratégiques de redistribution entre différents

groupes sociaux, et des inégalités dans la distribution du pouvoir et des ressources peuvent

parfois bloquer le réarrangement de ces institutions vers des configurations qui auraient

permis un développement général. Même lorsque le changement serait Pareto-supérieur pour

tous les groupes, les problèmes d’action collective peuvent constituer un obstacle sérieux.

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6. Conclusion

À travers ce chapitre, nous avons souligné la nécessité de tenir compte des pesanteurs de

l’histoire des PAM et des interdépendances politico-économiques, afin de comprendre la

pérennité des systèmes institutionnels personnels et informels ainsi que l’incapacité à faire

émerger des systèmes de gouvernance impersonnels aptes à délimiter le pouvoir

discrétionnaire des dirigeants et à mettre fin à l’expansion autoritaire dans ces pays. Il ressort

de cette analyse que les principaux facteurs discriminants dans l’explication des blocages de la

transition institutionnelle sont liés, d’une part, à l’impact des survivances institutionnelles

antérieures, et d’autre part, au poids de la rente énergétique et des comportements rentiers

conjugué au poids de l’Etat dans l’économie.

En mobilisant les apports du modèle de l’État rentier et de la théorie de recherche de rente, il

était question d’identifier le sens de la causalité suivante : est-ce l’existence de la rente

énergétique qui favorise l’autoritarisme ou est-ce du fait de sa nature autoritaire que l’État

« génère » des rentes ? Poser cette question revient à vérifier si la rente est l’explication unique

au verrouillage institutionnel instauré par les États des PAM. Notre analyse tend à montrer

que cette causalité n’est qu’indirecte : c’est en tant qu’elle favorise une autonomie de l’État par

rapport aux acteurs sociaux que la rente produit des effets anti-démocratiques qui favorisent

la durabilité du régime en place. L’usage stratégique et discrétionnaire de la rente par le clan

dominant a permis de mettre en place un puissant appareil répressif et de monter de vastes

systèmes de redistribution qui ont pour objectif de dépolitiser la population. La coalition au

pouvoir est alors continuellement préoccupée par le maintien d’un équilibre entre politique de

répression, qui vise à absorber les contestations, et politique redistributive, qui vise à acheter

le soutien du peuple. Elle réduit ainsi les chances d’une revendication d’un contrôle

démocratique de son action et consolide son immunité face aux systèmes de gouvernance.

Sous cet angle, la rente apparaît comme un facteur de blocage de la transition institutionnelle,

dans la mesure où elle contribue à financer la stratégie de verrouillage institutionnel de la

coalition au pouvoir sans accroître les pressions en faveur des réformes institutionnelles.

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Dans ce contexte où la rationalité politique l’emporte sur la rationalité économique, la rente a

tendance à favoriser non tant les activités de production que les activités de recherche de

rente.

Néanmoins, l’autonomie politique de la coalition au pouvoir et la prolifération des activités de

recherche de rente dans les PAM s’explique d’abord par des survivances institutionnelles

héritées de l’histoire de ces pays, la rente énergétique étant venue se greffer sur une réalité qui

lui était antérieure. Nous avons en effet tenté de montrer que l’environnement institutionnel,

en tant qu’ensemble historique hérité issu d’un processus cumulatif des habitudes de pensée

et des conduites des individus, semble perpétuer les modes de dominations antérieures,

lesquels continuent de façonner les institutions d’aujourd’hui. L’existence, au sein même de

cet État, d’une structure clanique du pouvoir, qui entretient une hiérarchie organisée autour

d’un chef politique qui confisque tous les pouvoirs, est l’exemple le plus manifeste de la

survivance des pratiques anciennes. Ce clan dominant détient le monopole de la création des

organisations économiques et politiques et défend sa suprématie par la violence qu’il exerce à

l’encontre de tout clan susceptible de le concurrencer dans le partage des ressources du

pouvoir. La rationalité du clan l’emporte sur la rationalité de la production et engendre des

rapports sociaux sous la forme de relations verticales d’autorité et de dépendance. Les formes

institutionnelles issues d’une telle logique, loin de correspondre aux règles d’une économie de

marché, favorisent des structures sociales tournées vers l’extraction de la rente. Les

comportements rentiers sont d’autant plus importants qu’ils s’accommodent des rapports

interpersonnels se développant sous forme de réseaux relationnels structurés par l’esprit de

clan. L’un des faits les plus dommageables de cette logique clanique, associée à la violence

répressive du clan dominant, est l’anéantissement des structures d’action collective

susceptibles d’imposer des institutions de gouvernance impersonnelles, aptes à délimiter les

espaces discrétionnaires et à freiner les comportements de recherche de rente.

Les PAM ont également hérité d’un étatisme fortement interventionniste et d’une

bureaucratie dominée par les arrangements privés plutôt que par la poursuite d’un objectif de

développement national. Instrument de domination entre les mains du clan dominant et de

ses alliés, l’État qui demeure le principal régulateur de l’économie, devient un véritable

générateur de rente, même si il faut remarquer que c’est moins l’intervention de l’État en soi

qui génère des opportunités de rentes (comme le préconise la théorie du rent-seeking), que la

configuration institutionnelle dans laquelle s’opère cette intervention. Dans un contexte de

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transition inachevée, le clan dominant laisse planer un flou institutionnel quant à l’application

des règles formelles d’économie de marché, et instaure un système de tolérance des pratiques

informelles qu’il peut sanctionner lorsque celles-ci émanent d’acteurs potentiellement

menaçants pour lui. Il procède ainsi d’un vaste marchandage politico-économique avec les

acteurs sociaux, offrant des opportunités de captation de rente en contrepartie d’un soutien

politique, et ouvre de grandes marges de négociations dans un système centralisé provoquant

des comportements de recherche de rente avec de multiples répercussions à tous les niveaux

du développement. (i) Par ce marchandage, les fonctionnaires se trouvent en position de

« vendre » des décisions administratives à caractère économique. (ii) En outre, en offrant à

une forte proportion d’acteurs l’opportunité de capter une rente, ce marchandage pourrait

gagner l’adhésion de ceux-ci et réduire les pressions en faveur des réformes institutionnelles

de la part d’une population désormais partie prenante à ce jeu de négociation politico-

économique. (iii) Par ailleurs, ce marchandage affecte doublement le développement du

secteur privé : d’une part, il tend à encourager les entrepreneurs à réaliser des gains de

rentabilité davantage en cultivant des rentes à travers des connexions au sein de la

bureaucratie plutôt qu’en entreprenant des activités productives plus coûteuses. D’autre part,

il engendre une vulnérabilité du secteur privé face à un État qui peut user de son pouvoir

pour abroger les droits individuels. Livré à lui-même, le clan dominant peut subtiliser par

l’impôt les rentes créées, sapant ainsi la confiance quant à la continuité des droits de

propriétés et décourageant les investissements productifs.

Dans cette configuration institutionnelle, il n’existe pas d’action collective en dehors de celle

définie par le clan dominant. À moins que ce dernier ne trouve le moyen de se lier les mains

et de procéder à une auto-réforme, les changements institutionnels susceptibles d’ouvrir au

plus grand nombre l’accès aux ressources ont de très faibles chances de voir le jour. Le

pouvoir de pression des éventuels bénéficiaires de ces réformes est largement plus faible que

celui des perdants, bien que ces derniers constituent une minorité (généralement, la clientèle

du régime). Seules les élites dirigeantes au sein de la coalition dominante peuvent s’engager

vers la transition, notamment lorsque le système discrétionnaire d’allocation de la rente

publique, sur lequel repose l’équilibre du système clanique dans les PAM, se trouverait

menacé par exemple par une forte déstabilisation politique ou sociale. En l’absence d’une

menace imminente et crédible de révolution sociale, ces élites ont peu intérêt à soutenir un

processus de dépersonnalisation institutionnelle des systèmes de gouvernance qui permettrait

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d’ouvrir l’ordre social, leurs privilèges étant précisément dépendants de leur accès exclusif à

cet ordre social fermé.

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Conclusion Générale

Il faut toute la vie pour apprendre à vivre.

Sénèque

Nous voici parvenus au terme de cette étude laborieuse. Le travail soutenu qu’elle a nécessité durant des années a enfin abouti, ce qui devrait être pour nous un motif de contentement. Pourtant, c’est un sentiment mitigé qui nous habite : si l’étude contribue modestement à faire avancer la connaissance de son objet, a-t-on réussi pour autant à transformer l’essai ? Plusieurs questions ont été abordées sans avoir été traitées de manière satisfaisante. Certaines ont été à peine évoquées, d’autres ont fait l’objet de développements ardus, en raison des fragilités théoriques et méthodologiques inhérentes aux problèmes en question. Toutes l’ont été néanmoins dans l’objectif de décrire et de comprendre un fait unique : les fondements institutionnels du changement économique dans les pays arabes de la Méditerranée. Les analyses effectuées dans ce travail sont marquées par des références à des observations historiques et politiques qui dépassent dans une certaine mesure les limites habituelles de la littérature économique. Elles donnent indéniablement à cette étude une dimension éclectique, mais c’est en cela que réside peut-être la force de ce projet : transcender les frontières disciplinaires pour construire une grille d’analyse multidimensionnelle à l’image du contenu pluriel des institutions.

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La résistance conjointe des élites dirigeantes publiques et privées au changement, leurs stratégies

de verrouillage institutionnel de l’accès aux ressources (économiques et politiques), et la

prolifération des comportements de recherche de rente qui en découle, sont les éléments-clé de

l’analyse des blocages de la transition vers le marché et vers la démocratie dans les PAM. En effet,

les causes profondes de la crise de développement dans ces pays ne semblent pas être

exclusivement économiques ; les déséquilibres macro-économiques sont globalement contrôlés,

l’endettement est endigué, les ressources financières sont en nette progression (rente énergétique,

aides diverses au développement). Ces causes prennent racine davantage dans des facteurs

entièrement endogènes au processus institutionnel (esprit de clan, esprit de rente, héritage

colonial, régime autoritaire) qui, au fil du temps, ont favorisé des configurations institutionnelles

incitant bien davantage aux activités d’extraction de la rente et de prédation qu’aux activités

productives et à la compétition économique et politique.

Nous avons construit un cadre d’analyse théorique et empirique qui s’articule autour d’un

concept pivot - les systèmes nationaux de gouvernance - dont le principal objet est d’étudier les

mécanismes institutionnels et organisationnels permettant de délimiter le pouvoir discrétionnaire

des élites dirigeantes. Prenant appui sur des fondements théoriques établis, ce concept tente de

répondre à la fragilité conceptuelle liée à la notion de gouvernance, dont l’usage immodéré et

souvent non critique est susceptible de remettre en cause sa valeur scientifique, voire de conduire

à son abandon par le monde académique. Il présente également l’avantage de proposer de

ramener l’étude des problèmes de contrôle, et des dirigeants publics et des dirigeants privés, à une

grille de lecture unique qui préconise la nécessité d’analyser conjointement les systèmes de

gouvernance publique et privée, ceux-ci étant intrinsèquement interdépendants. Mais surtout,

nous avons tenté, à travers cette démarche, de forger un outil conceptuel plus approprié à l’étude

des économies en développement. En plaçant au cœur de son analyse le comportement réel des

dirigeants, et en postulant l’interaction récurrente entre élites publiques et privées, ce concept

cherche à parer les limites des modèles d’analyse standard du développement, qui ont négligé ces

dimensions, se contentant de supposer que l’État était une machinerie parfaite, impatiente

d’exécuter les plans optimaux de « bonne gouvernance ». La prise en compte, dans la conduite

des réformes, des réactions stratégiques des agents publics et privés dans les PAM a permis de

rendre compte des phénomènes d’appropriation de la rente publique et de la capture de l’État par

les élites dirigeantes. Ces dernières, disposant d’espaces discrétionnaires importants et agissant

dans un environnement institutionnel peu contraignant, instrumentalisent le pouvoir d’État à des

fins privées et utilisent les rentes générées dans des activités non nécessairement productives,

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engendrant ainsi des coûts sociaux très élevés et privant les PAM des moyens nécessaires à leur

développement.

Afin de rendre compte de l’ampleur des plages discrétionnaires dont disposent les dirigeants dans

les PAM, nous avons mesuré empiriquement le niveau de discipline qui s’exerce sur ces derniers

par les institutions de gouvernance. Sur la base des appréciations des experts du MINEFE, nous

avons mis en évidence la faiblesse des capacités de gouvernance dans les PAM, notamment par

rapport à des pays à revenu par habitant similaire, faiblesse mesurée par l’absence ou le faible

niveau d’application des règles formelles de gouvernance. Cette défaillance des systèmes de

gouvernance reflète non seulement les espaces discrétionnaires engendrés par le peu de

contraintes institutionnelles, mais également la prévalence des systèmes interpersonnels et

informels au détriment de la règle du droit impersonnel. L’analyse statistique multidimensionnelle

a permis de montrer que les PAM exhibent des profils institutionnels qui les placent davantage

parmi les pays demeurant marqués par les arrangements informels que parmi ceux où

prédominent des institutions formelles et impersonnelles. Cette position suggère un retard des

PAM dans le processus de dépersonnalisation de leurs systèmes de gouvernance. Ce constat

contraste avec la tendance observée au niveau de notre ACP en termes d’évolution des SNG : au

fur et à mesure de leur insertion dans l’économie internationale, les DTE, poussés par les besoins

de gouvernance des nouveaux acteurs (investisseurs étrangers, bailleurs de fonds), se trouvent

contraints à progresser vers davantage de formalisation des règles. Au contraire, les systèmes

institutionnels dans les PAM (à l’exception du Maroc) demeurent faiblement sensibles aux

pressions extérieures, en dépit des programmes de libéralisation des échanges commerciaux et

d’une implication de plus en plus importante dans l’économie internationale.

Selon les résultats de notre analyse empirique, le rythme de la transition institutionnelle dans les

PAM demeure particulièrement lent, notamment par rapport aux PECO. Nous avons tenté

d’expliquer ce retard à la lumière des principaux arguments théoriques avancés dans la littérature

portant sur l’analyse des divergences des SNG. Cette analyse a fait ressortir un ensemble de

facteurs explicatifs tels que : la faiblesse de la contestabilité politique qui affecte la sécurité quant à

la continuité des droits de propriété et qui réduit, de surcroît, les possibilités de recours en cas de

prédation étatique, la configuration institutionnelle qui garde les traces de l’histoire coloniale, et

l’absence d’un dispositif institutionnel contraignant tel que celui qui est imposé aux PECO par le

contrat d’adhésion à l’UE. Une analyse plus approfondie de l’impact de la politique européenne

de voisinage sur le rythme de la transition dans les deux groupes de pays a permis de souligner

que, dans la perspective d’intégration à l’UE, les élites dirigeantes dans les PECO ont été

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soumises à des contraintes institutionnelles nettement plus importantes que leurs homologues

dans les PAM, le partenariat liant ces derniers à l’UE étant dépourvu de conditions

contraignantes. Les contraintes imposées aux dirigeants des PECO ont été d’autant plus décisives

dans la transition qu’elles ont été accompagnées d’un appui technique et financier à la hauteur des

besoins qu’implique le fonctionnement d’une économie de marché et d’un système démocratique,

notamment en termes d’infrastructure institutionnelle et de dispositifs de surveillance.

Néanmoins, l’absence d’un appui financier et technique dans les accords de partenariat entre l’UE

et les PAM ne saurait expliquer à elle seule les blocages de la transition dans ces pays. Par

exemple, les importantes réserves de devises, accumulées par l’Algérie grâce à la flambée des prix

des hydrocarbures, ne semblent pas stimuler les réformes en faveur de l’économie de marché,

bien au contraire. Si les PECO ont progressé plus rapidement vers le marché et la démocratie,

c’est que les contraintes institutionnelles imposées ont d’abord permis de restreindre les espaces

discrétionnaires de leurs dirigeants et de limiter la création de rentes, en réduisant

l’interventionnisme étatique dans l’économie et en favorisant la compétition, aussi bien dans le

champ économique que politique. Dans les PAM, le manque d’ancrage et l’insuffisance des

réformes institutionnelles ont conduit à une situation « d’entre-deux », où des éléments de

l’économie de marché (droits de propriété privée, entreprises publiques privatisées, marché

libéralisé) coexistent avec des systèmes institutionnels dominés par les arrangements

interpersonnels et sans que des mécanismes de concurrence ne soient encore mis en œuvre, où le

rejet et la non-application des règles transposées engendrent une juxtaposition d’activités

formelles et informelles, où le processus de formalisation des règles entraîne l’érosion des

solidarités traditionnelles interpersonnelles sans que des formes de sécurités institutionnelles

alternatives (Assurances maladie, Assurances chômage, Assurances vieillesse) ne soient instaurées,

et où, d’une manière plus générale, les modes traditionnels de production de la confiance

deviennent inadaptés alors que les modes de production systémique de confiance basés sur la

règle de droit impersonnel peinent à s’imposer et à s’imprégner au sein de la société. Cette

transition inachevée entraîne les PAM dans une phase d’incertitude accrue affectant le climat

économique, politique et social. Mais surtout cette situation s’est traduite par l’apparition

d’importantes plages de discrétion au profit des élites dirigeantes et d’un accroissement des

opportunités de rentes sans que, dans le même temps, des systèmes de gouvernance

contraignants ne soient institués. L’une des conséquences les plus dommageables pour le

processus de transition dans ces pays réside dans l’adoption sélective des réformes selon les

intérêts particuliers de la coalition au pouvoir, voire leur subversion, afin de renforcer les

positions des élites qui la composent. Les réformes sont ainsi devenues une source de rente. Leur

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instrumentalisation a produit un système qui accroît les profits personnels et le pouvoir privé sans

promouvoir le développement économique national.

Nous avons enfin montré que la faiblesse des systèmes de gouvernance, et la conduite sur mesure

par les élites dirigeantes des réformes, ne sont que des manifestations et des indices de l’échec des

stratégies de développement dans les PAM. Les causes profondes des blocages de la transition

sont à rechercher dans la survivance et la perpétuation de modes institutionnels claniques peu

favorables au changement. Le recours à l’histoire longue, caractérisée par la prédominance des

institutions tribales et marquée par la succession des invasions, et l’histoire récente, relative à l’ère

post-indépendance, a permis de montrer comment les habitudes de pensée héritées ont façonné

les institutions à l’œuvre dans les PAM, et continuent d’influencer le comportement des acteurs

sociaux. Nous pouvons retenir en conclusion quatre principales conséquences sur le processus de

transition dans ces pays :

(i) La prégnance de la logique clanique dans les systèmes institutionnels des PAM a produit une

structure d’incitation propice bien davantage à la prolifération des comportements de recherche

de rente qu’au développement des organisations productives. L’importance des activités de

corruption soulignée par les rapports annuels de Transparency International est l’une des

manifestations les plus apparentes de l’exacerbation des comportements de recherche de rente

dans les PAM. S’accommodant des rapports interpersonnels et des réseaux relationnels structurés

par l’esprit de clan, ces comportements vont atteindre toutes les sphères de la société. En outre, la

perpétuation des arrangements institutionnels, animés par la double logique clanique et rentière,

va à son tour influer les formes institutionnelles pour les figer, les subvertir à des fins rentières et

par conséquent les rendre économiquement inefficaces. En effet, si les opportunités de rentes

sont générées par l’intervention de l’État, il n’en demeure pas moins que c’est de la configuration

institutionnelle et des capacités de gouvernance que dépend la « concrétisation » (ou non) de ces

opportunités. Si les recettes pétrolières ont créé de nouveaux foyers de rente publique dans

certains PAM, leur effet indirect sur l’augmentation des comportements de recherche de rente

dans ces pays tire son origine d’une réalité antérieure même à l’apparition de la rente énergétique,

à savoir des systèmes institutionnels dominés par l’esprit de rente.

(ii) Les PAM partagent la particularité commune d’une structure politique dominée par un clan

s’organisant autour d’un chef politique et détenant le monopole de la création des ressources du

pouvoir. À l’aune de l’indépendance, les différents leaders politiques des PAM ont hérité d’un

État fortement interventionniste et d’un pouvoir centralisé qui s’appuie sur une bureaucratie

dominée bien plus par les arrangements interpersonnels à des fins privées que par la poursuite

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d’un objectif de développement national. Ces leaders politiques, loin de rompre avec la logique de

l’État « fort », ont instrumentalisé cet appareil en renforçant son emprise sur l’économie et en le

dotant de capacités répressives importantes, afin de se constituer en clan dont le principal objectif

est de se reproduire à l’identique. Favorisé en cela par la rente énergétique (cas de l’Algérie et de

la Syrie), par la rente géopolitique (cas de l’Égypte) ou par les aides au développement (cas du

Maroc, de l’Égypte et de la Tunisie), le clan au pouvoir a su se construire une « immunité »

politique en combinant politique redistributive (visant à acheter le soutien du peuple) et

répressive (destinée à absorber les éventuelles contestations). Cette stratégie a conduit à la

neutralisation des systèmes de gouvernance et à l’affaiblissement des structures d’action collective

susceptibles de peser sur l’action des tenants de l’ordre social.

(iii) Les élites dirigeantes n’ont pas intérêt à entreprendre des réformes remettant en cause un

système institutionnel qui leur permet un accès exclusif aux ressources du pouvoir économique et

politique. Les règles du marché et de la démocratie impliquent l’ouverture de cet accès aux

ressources à un plus grand nombre. Elles menaceraient ainsi non seulement les rentes des élites

dirigeantes mais également tout le système d’allocation discrétionnaire des ressources sur lequel

repose l’équilibre du système clanique dans les PAM, donc leurs positions dans la hiérarchie.

Néanmoins, ces élites vont entraver le processus de transition institutionnelle moins en raison de

leur statut de perdantes (les structures d’action collective étant trop faibles pour faire apparaître

des revendications démocratiques potentiellement menaçantes) mais bien plus parce qu’elles sont

gagnantes d’une transition partielle : la privatisation servirait à redéployer ou à redéfinir les

réseaux rentiers ; la libéralisation serait subvertie en un vaste marchandage politico-économique

où des rentes sont offertes en contrepartie de soutiens politiques ; l’adoption réelle ou de façade

des règles de gouvernance imposées par les bailleurs de fonds serait destinée à continuer à

bénéficier des aides au développement. Sous cet angle, le retard de la transition dans les PAM

s’expliquerait par le temps nécessaire aux élites dirigeantes pour façonner les réformes de manière

à conserver ou reconstituer leurs rentes sous des formes renouvelées, tout en restant compatibles

avec les objectifs de durabilité du clan dominant et du système institutionnel à partir duquel il tire

et étend son pouvoir.

(iv) Les acteurs économiques dans les PAM n’ont pas non plus intérêt à revendiquer des réformes

en faveur de la transition. D’une part, une large proportion de ces acteurs est désormais partie

prenante dans le vaste système de marchandage politico-économique instauré par le clan

dominant, qui leur permet un accès aux ressources économiques et politiques. Ce système

institutionnel les incite bien plus à mener des activités de recherche de rente et à cultiver leurs

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liens personnels avec la bureaucratie qu’à entreprendre des actions revendiquant l’ouverture de

l’accès à ces ressources via l’instauration des règles de marché et de la démocratie. D’autre part, la

politique de répression menée par le clan dominant conduit à rendre une activité de recherche de

rente moins coûteuse que l’initiative d’une action de revendication démocratique, et d’un meilleur

accès au marché. Les exclus du système de partage de la rente publique, a fortiori principaux

bénéficiaires de la transition, sont à la fois handicapés par la faiblesse des structures d’action

collective et découragés par le risque de perdre des aides sociales procurées par la politique de

redistribution menée par le clan dominant.

Les PAM sont ainsi piégés dans un « engrenage » institutionnel. Les élites dirigeantes neutralisent

les systèmes de gouvernance et bloquent toute initiative destinée à renforcer les capacités de

gouvernance, afin de préserver leurs rentes. Les agents économiques, dépolitisés et privés des

moyens traditionnels d’accès aux ressources, tentent de capter une rente. L’accumulation des

rentes, l’enchevêtrement des intérêts et l’accroissement des interdépendances politico-

économiques conduisent à la perpétuation des arrangements claniques et à une

institutionnalisation de la prédation, ce qui réduit fortement les chances d’un processus endogène

d’innovations institutionnelles en faveur d’une dépersonnalisation et d’une formalisation des

règles.

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Recherches futures

Cette étude laisse en suspens de nombreuses questions qui méritent des approfondissements, et

que nous proposons de mener dans le cadre de recherches futures. Nous en exposons

brièvement ici quelques-unes.

Le renouvellement de la base de données du MINEFE en 2009 nous offre la possibilité de

prolonger notre analyse de la divergence des SNG entre les DTE sur une période d’étude plus

large. L’examen de l’évolution des capacités de gouvernance dans les pays sous revue entre 2001

et 2009 nous permettra de mesurer le niveau d’avancement de ces pays dans le processus de

formalisation des institutions de gouvernance durant cette période. Nous chercherons à

corroborer la thèse selon laquelle une plus grande implication dans l’économie internationale

engendre des pressions - extérieures - qui pèsent sur les élites dirigeantes et qui seraient de nature

à les contraindre à progresser davantage vers la règle du droit.

Sur le plan analytique, nous proposons d’approfondir la question de l’impact des pressions

extérieures sur le comportement des élites dirigeantes, notamment dans la conduite des réformes

institutionnelles dans les PAM. Les moyens de délimiter le pouvoir discrétionnaire de ces élites

peuvent être de nature exogène – la pression d’acteurs étrangers, la pression démographique - ou

endogène – le comportement des acteurs publics et privés eux-mêmes. Nos conclusions

suggèrent que, dans le cadre de la configuration institutionnelle en cours, le changement

institutionnel ne pourrait être le résultat d’une auto-réforme de l’État qui serait impulsée par les

élites dirigeantes elles-mêmes. La pression démographique, l’arrivée sur le marché du travail de

masses de jeunes, instruits, urbains, reliés au reste du monde par les réseaux d’information, et qui

frappent à la porte de l’ordre social, l’accroissement des investissements étrangers et l’entrée de

nouveaux acteurs dans le système économique sont autant de facteurs à étudier.

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Annexes

Annexe 1. Le chômage dans les pays arabes de la Méditerranée (PAM)

Figure 15. Le taux de chômage dans les PAM (en %)

Source : Bureau International du Travail

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Annexe 2. L’investissement privé dans les PAM

Figure 16. Croissance de l’investissement privé dans les PAM et dans les principales régions en développement

Note : LAC : Amérique latine et Caraïbes ; PAM : Pays arabes de la Méditerranée ; ECA : Europe et Asie Centrale ; SSA : Afrique subsaharienne ; SAS : Asie du Sud ; EAP : Asie de l’Est et Pacifique.

Source : Calculs des auteurs à partir des données du World Development Indicators.

Figure 17. Stock d’IDE dans les PAM et les Pays d’Europe Centrale et Orientale en 2005

Source : UNCTAD

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Figure 18. Stock d’IDE/habitant dans les PAM et les PECO en 2005

Source : UNCTAD

Annexe 3. Perception de la corruption dans les PAM selon Transparency International

Tableau 8. L’indice de perception de la corruption dans les PAM en 2003 et en 2008

Enquête 2003 Enquête 2008

Pays Indice de Perception de la Corruption *

Rang du pays **

Indice de Perception de la Corruption

Rang du pays **

Tunisia 4.9 39 4.4 66

Syria 3.4 66 2.1 147

Egypt 3.3 70 2.8 115

Morocco 3.3 70 3.5 80

Algeria 2.6 88 3.2 92

Note : * L’indice de perception de la corruption est un indice composite établi à partir des données sur la corruption tirées de sondages d’experts réalisés par divers organismes indépendants. Transparency International définit la corruption comme l’abus d’une position publique à des fins d’enrichissement personnel (par exemple, la corruption d’agents publics, les pots-de-vin dans le cadre de marchés publics, le détournement des fonds publics). L’ICP est exprimé par une note sur une échelle allant de 0 (niveau élevé de corruption perçue) à 10 (niveau faible de corruption perçue).

** Cette colonne indique le rang du pays dans le classement mondial de l’ensemble des pays sous revue (133 pays en 2003 et de 180 pays en 2008).

Source : Transparency International.

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Annexe 4. Liste des pays sous revue

Tableau 9. Liste des pays par zone et abréviations utilisées (Enquête 2001)

Asie Amérique latine China CHN Argentina ARG Hong Kong HKO Brazil BRA India IND Chile CHL Indonesia INO Colombia COL Korea South KOR Mexico MEX Malaysia MAL Peru PER Pakistan PAK Venezuela VEN Philippines PHI Afrique Singapore SIN Cameroon CAM Taïwan TAI Cote d’Ivoire COT Thaïland THA Ghana GHA Vietnam VIE Nigeria NIG PECO South Africa SOA Bulgaria BUL Uganda UGA Czech Rep CZE Zimbabwe ZIM Hungary HUN OCDE Lithuania LIT France FRA Poland POL Germany GER Romania ROM Japan JAP Russia RUS Norway NOR Turkey TUR United State USA Ukraine UKR MENA Autres Algeria ALG Ireland IRE Egypt EGY Greece GRE Iran IRA Portugal POR Israel ISR Morocco MOR Saudi Arabia SAR Syria SYR Tunisia TUN

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Tableau 10. Liste des pays par zone et abréviations utilisées (Enquête 2006)

Asie Amérique latine Bangladesh BGD Argentina ARG Cambodia KHM Bolivia BOL China CHN Brazil BRA Hong Kong HKO Chile CHL India IND Colombia COL Indonesia INO Cuba CUB Korea South KOR Dominican Rep DOM Malaysia MAL Guatemala GTM Pakistan PAK Mexico MEX Philippines PHI Peru PER Singapore SIN Venezuela VEN Sri Lanka LKA Afrique Taiwan TAI Bénin BEN Thailand THA Burkina-Faso BFA Vietnam VIE Botswana BWA PECO Cameroon CAM Bulgaria BUL Cote d’Ivoire COT Czech Rep CZE Ethiopia ETH Estonia EST Gabon GAB Hungary HUN Ghana GHA Kazakhstan KAZ Kenya KEN Lithuania LIT Madagascar MDG Poland POL Mali MLI Romania ROM Mozambique MOZ Russia RUS Mauritanie MRT Turkey TUR Maurice MUS Ukraine UKR Niger NER Ouzbékistan UZB Nigeria NIG MENA Senegal SEN Algeria ALG Tchad TCD Egypt EGY South Africa SOA Iran IRA Uganda UGA Jordan JOR Zimbabwe ZIM Kowaït KWT Pays développés Lebanon LBN Canada CAN Morocco MOR Allemagne DEU Saudi Arabia SAR Spain ESP Syria SYR France FRA Tunisia TUN Great Britain GBR Yémen YEM Greece GRC Ireland IRL Israël ISR Italy ITA Japan JPN Norway NOR New Zealand NZL Portugal PRT Sweden SWE United states of America USA

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Annexe 5. Liste des 36 variables institutionnelles de la nouvelle base réduite

Tableau 11. Liste des variables institutionnelles relatives à la gouvernance privée

Codes Intitulé des variables institutionnelles 1 B400 Part du secteur public dans le PIB - de 1(forte part) à 4 (faible part)

2 R0046 Transparence et ouverture du programme de privatisation

3 R0047 Distorsions introduites par l’Etat

4 IB4051 Subventions aux produits de base

5 R0048 Liberté de fonctionnement des marchés des capitaux

6 D401 Rigidité du marché du travail formel (privé et public) - de 1(fortes rigidités) à 4(faibles rigidités)

7 D403 Marché du travail informel - de 1(forte part) à 4 (faible part)

8 R0049 Respect du droit de travail et justice prud’homale

9 D701 Niveau des négociations salariales - de 1(niveau national) à 4(niveau individuel)

10 R0037 Mobilité sociale

11 R0050 Pression des marchés internationaux / marché des B&S

12 R0051 Pression des marchés internationaux / marché des capitaux

13 A600 Sécurité des droits de propriété : existence de droits de propriété traditionnels - 0(si ce système tradi. n'existe pas) et si oui, de 1(faible sécurité) à 4(forte sécurité)

14 A601 Sécurité des droits de propriété : droits de propriété formels - de 1(faible sécurité) à 4(forte sécurité)

15 A602 Forme des contrats entre acteurs privés - de 1(contrats informels et sans médiation) à 4(contrats formels et avec médiation)

16 A603 Sécurité des contrats entre acteurs privés - de 1(faible respect) à 4(fort respect)

17 A605 Règlement des différends économiques : justice en matière commerciale - de 1(faible efficacité de la justice com.) à 4(forte efficacité)

18 R0038 Application du droit sur la faillite des entreprises

19 R0039 Information sur le marché des B&S

20 R0040 Protection de la propriété intellectuelle

21 C600 Systèmes de crédit traditionnel (informel) - 0(n'existe pas) et de 1(peu développé, peu de garanties) à 4(très développé, fortes garanties)

22 R0052 Informations sur le marché des capitaux

23 C602 Loi de garantie des dépôts - de 0(pas de loi) à 4(loi effective)

24 A701 Régulation de la concurrence - de 0(pas de dispositif) à 4(dispositif efficient)

25 R0042 Dynamisme de la concurrence

26 B703 Imbrication du capital local (privé et/ou public) - de 1(fortes participations croisées, opaques) à 4(faibles participations croisées, transparentes)

27 B704 Organisations patronales - de 1(forte résistance au fonctionnement concurrentiel) à 4 (fort soutien au fonctionnement concurrentiel) -

28 C701 Concurrence au sein du système bancaire - de 1(faible concurrence) à 4 (forte concurrence)

29 R0043 Règles prudentielles et supervision du système bancaire

Source : établi par les auteurs.

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Tableau 12. Liste des variables institutionnelles relatives à la gouvernance publique

Codes Intitulé des variables institutionnelles

30 A100 Droits politiques et fonctionnement des institutions politiques - de 1(droits et légalité faibles) à 4(droits et légalité élevés)

31 R0044 Libertés publiques et autonomie de la société civile

32 A104 Concentration des media (presse écrite, audiovisuel) - de 1(forte conc.) à 4(faible conc.) - (pas de 0) (case vide qd pas de média privés)

33 A106 Force et organisation des forces sociales qui poussent aux réformes - de 1(faibles et dispersées) à 4(fortes et organisées)

34 R0045 Liberté syndicales et autonomie des syndicats

35 A800 Liberté de circulation des personnes et de l’information - de 1(faible circulation) à 4(forte circulation)

36 A310 Efficacité de l’action publique : justice (non commerciale) - de 1(faible efficacité) à 4(forte efficacité)

Source : établi par les auteurs.

La codification indique le niveau d’agrégation des variables de la base ainsi que la fonction et le secteur institutionnel (tableau 11 et 12) auquel correspond la variable en question. Ainsi un code composé d’une lettre, indiquant le secteur institutionnel, et 3 chiffres, correspond à des variables constituées à partir des variables élémentaires qui ne sont autres que les questions de l’enquête (Annexe 6). Il s’agit alors du premier niveau d’agrégation. Les indicateurs dont le code est composé d’une lettre « R », et 4 chiffres, correspondent à un deuxième niveau d’agrégation.

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Annexe 6. Présentation du contenu des variables institutionnelles retenues

Nous présentons ci-après les questions de l’enquête MINEFE qui ont débouché sur des variables élémentaires, à partir desquelles nous avons construits nos indicateurs de gouvernance. Nous les exposons ici selon les thèmes institutionnels correspondants.

Liberté de fonctionnement des marchés B400 Part du secteur public dans le PIB - de 1(forte part) à 4(faible part) B4001 part des Entreprises publiques en 2000 - 1à4

R0046 Transparence et ouverture du programme de privatisation

B401 Conduite du programme de privatisation - de 1(conduite opaque, incohérente..) à 4(transparente, cohérente..) - (pas de 0, case vide si pas de privat)

B4010 transparence des procédures de privatisation (de 1=faible transparence à 4=forte transparence)

B4011 "vérité du prix" de cession (de 1=prix de cession très éloignés de la vérité des prix à 4=prix proche)

B4012 privat. plutôt au bénéfice des anciens directeurs (=1 ou 2), ou plutôt au bénéfice de nouveaux acteurs, locaux ou étrangers(=3 ou 4)

B4013 cohérence, continuité et prévisibilité du programme de privat. (de 1=faible cohérence, continuité à 4=forte cohérence…)

B402

Ouverture du programme de privatisation - de 1(exclusions nombreuses, faible ouverture) à 4(pas d’exclusion, forte ouverture) - (pas de 0, case vide si pas de privat)

B4020 exclusions sectorielles (secteurs "stratégiques") (de 1=fortes exclusions à 4=très faibles exclusions)

B4021 exclusions vis-à-vis du capital étranger (de 1=fortes exclusions à 4=très faibles exclusions)

B4022 ouverture des services publics au capital privé local ou étranger (BOT, concessions…) (de 1=faible ouverture à 4=très forte ouverture)

B404

Privatisations : pression des acteurs locaux - de 1(forte résistance) à 4(fort soutien) - (pas de 0, case vide si acteur "muet")

B4040 gouvernement - 1à4

B4041 administration - 1à4

B4042 armée - 1à4

B4043 partis politiques - 1à4

B4044 patronat entreprises publiques - 1à4

B4045 patronat entreprises privées - 1à4

B4046 organisations syndicales ouvrières - 1à4

B4047 presse - 1à4

B4048 organisations religieuses - 1à4 (LIGNE VIDE : NE PAS PRENDRE)

B4049 ONG, autres société civile - 1à4

R0047 Distorsions introduites par l’Etat

B405 Distorsions introduites par l’Etat : prix administrés et prix de marché - de 1(fortes distorsions) à 4(faibles distortions)

B4050 part des prix administrés (de 1=forte part à 4=part très faible ou nulle) - (pas de 0, pas de case vide)

B4051 subventions directes aux prix des produits de base (de 1=fortes subventions à 4=pas de subv.) - (pas de 0, pas de case vide)

B4052 si pays producteur de pétrole : écart du prix à la pompe % aux prix mondiaux (de 1=fort écart à 4=faible écart) - (case vide si pays non producteur de pétrole)

B4053 Taux de change unique pour les échanges commerciaux - 1(non) à 4(oui)

B406 Distorsions introduites par l’Etat : exonérations fiscales, douanières… - de 1(fortes distorsions) à 4(faibles distortions)

B4060 exonérations sectorielles (agriculture, tourisme, industrie manufacturière…) ? - 1à4

B4061 exonérations par type d’entreprise (PME...), par opération (investissement, export) ? - 1à4

B4062 exonérations spécifiques en faveur des investissements étrangers ? - 1à4

B4063 exonérations sur des espaces spécifiques (zones franches, régions à régime spécial…) ? - 1à4

IB4051 Subventions aux produits de base * B4051 Subventions aux produits de base

* Cette variable correspond à B4051 : inversée et renommée IB4051 R0048 Liberté de fonctionnement des marchés des capitaux C400 Part du secteur privé dans le secteur bancaire - de 1(faible part) à 4(forte part) C4001 part des Banques privées en 2000 - 1à4

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C401 Niveau d’intervention de l’Etat dans l’affectation des crédits - de 1(forte intervention) à 4(pas d’intervention)

C4010 fixation administrative des taux d’intérêt (de 1=forte part des taux administrés à 4=pas de taux administrés)

C4011 contrôle quantitatif du crédit (de 1=contrôle total à 4= pas de contrôle)

C4012 cloisonnement de droit du système bancaire (crédit agric, industriel, hôtelier…) (de 1=totalement cloisonné à 4=pas de cloisonnement)

C4013 crédit dirigé (par secteur, vers les entreprises publiques..) (de 1=totalement dirigé à 4=pas dirigé) C4014 crédit dirigé vers le financement du Trésor (de 1=totalement dirigé à 4=pas dirigé)

C402 Indépendance de la Banque Centrale - de 0(pas d’indépendance) à 4(indépendance) - (pas de case vide)

C4020 indépendance de la Banque Centrale - 0à4

D401

Rigidité du marché du travail formel (privé et public) - de 1(fortes rigidités) à 4(faibles rigidités)

D4010 embauche garantie des diplômés dans le secteur public (de1=embauche garantie à 4=pas d’embauche garantie)

D4011 pratique de l’emploi garanti dans le secteur privé (de type "emploi à vie") (de1=très pratiqué à 4=pas du tout pratiqué)

D4012 indexation des salaires sur l’inflation (de 1=indexation à 4=pas d’indexation) D4013 protection par rapport au licenciement individuel (de1=forte protection à 4=pas de protection)

D4014 protection par rapport au licenciement économique (collectif) (de1=forte protection à 4=pas de protection)

D4015 part des contrats à durée indéterm. dans l’ensemble des contrats de travail (de1=forte part à 4=faible part)

D403 Marché du travail informel - de 1(forte part) à 4(faible part)

D4031 part de l’emploi informel dans l’emploi total (de 1=forte part à 4=faible part) - (pas de case vide) - (rectifications d’après WDI)

R0049 Respect du droit de travail et justice prud’homale

D600 Existence et respect des dispositifs concernant le droit du travail (salaire minimum, procédures de licenciements) - de 0(pas de dispositifs) à 4(dispositifs respectés)

D6000 salaire minimum - 0à4 D6001 procédures de licenciement - 0à4

D601 Règlement des différents : inspection du travail, justice prudhommale… - de 0(pas de dispositif) à 4(dispositifs efficients)

D6010 inspection du travail - (0à4 pas de case vide) D6011 tribunaux du travail (prudhommes…) - (0à4 pas de case vide)

D701 Niveau des négociations salariales - de 1(niveau national) à 4(niveau individuel) D7010 … au niveau national (=1), par branche (=2), par entreprise (=3), individuellement (=4) ?

R0037 Mobilité sociale

D902 Mobilité sociale : recrutement et promotion dans le secteur public et le privé - de 1(par position sociale) à 4(par mérite)

D9020 … dans la fonction publique - 1à4 D9021 … dans le secteur privé - 1à4

D903 Mobilité sociale : jeunes diplômés de l’enseignement supérieur - de 1(connaissent un tx de chômage supérieur à la moyenne) à 4(tx de chômage inférieur)

D9030 Les jeunes diplômés connaissent-ils un taux de chômage plus élevé que la moyenne (oui=1) et (non=4)

D9031 … d’un problème d’adaptation du système d’enseignement ? (de 1=faible adaptation du système à 4=bonne adaptation du système)

D9032 ...et/ou d’un problème d’appétence des entreprises à l’embauche de diplômés ? (de 1=faible appétance à 4=forte appétance)

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Pression des marchés internationaux R0050 Pression des marchés internationaux / marché des B&S B800 Convertibilité et adhésion à l’OMC - (non=0, en cours=3, oui=4) B8000 convertibilité pour les opérations courantes (non=0, en cours=3, oui=4)

B8001 adhésion à l’OMC (non=0, en cours=3, oui=4)

B804 Ouverture commerciale : pression des acteurs locaux - de 1(forte résistance) à 4(fort soutien)

B8040 gouvernement - 1à4

B8041 administration - 1à4

B8042 armée - 1à4

B8043 partis politiques - 1à4

B8044 patronat entreprises publiques - 1à4

B8045 patronat entreprises privées - 1à4

B8046 organisations syndicales ouvrières - 1à4

B8047 presse - 1à4

B8048 organisations religieuses - 1à4

B8049 ONG, autres société civile - 1à4

R0051 Pression des marchés internationaux / marché des capitaux C800 Ouverture aux capitaux et prêts étrangers - de 0(interdiction) à 4(ouverture effective) C8000 ouverture du capital des Banques aux prises de participation étrangères - 0à4 C8001 droit d’établissement des Banques étrangères (Banques de dépôts et Banques d’affaires) - 0à4 C8002 accès des entreprises à capitaux étrangers aux emprunts des Banques locales - 0à4 C8003 accès des Banques entreprises locales aux emprunts bancaires internationaux - 0à4 C8004 accès des entreprises locales aux marchés financiers internationaux - 0à4

C801 Rôle des Banques étrangères présentes localement - 0(pas de banque étrangère) et de 1(peu de pression concurrentielle, peu de stimulation au contrôle interne) à 4(fortes pressions, stimulation)

C8010 les Banques étrangères poussent-elles à un fonctionnement plus concurrentiel du système financier ? - 0à4 - (pas de case vide)

C8011 les Banques étrangères poussent elles à un contrôle interne des Banques plus efficient ? - 0à4 - (pas de case vide)

Sécurité des transactions et des contrats A600

Sécurité des droits de propriété : existence de droits de propriété traditionnels - 0(si ce système tradi. n'existe pas) et si oui, de 1(faible sécurité) à 4(forte sécurité)

A6000 existence et importance d’un système traditionnel de droits de la propriété ? - 0à4

A6001 s’il existe, ce système traditionnel assure-t-il une sécurité des droits de la propriété ? (de 1=faible sécurité à 4=forte sécurité)

A601

Sécurité des droits de propriété : droits de propriété formels - de 1(faible sécurité) à 4(forte sécurité)

A6010 efficacité des moyens juridiques pour défendre le droit de propriété entre agents privés (noter de 1=faibles moyens juridiques pour défendre le droit de propriété à 4=moyens très efficaces)

A6011 compensations en cas d’expropriation (par l’Etat) de droit ou de fait (propriété foncière) ? (noter de 1=pas de compensation à 4=compensation "raisonnable")

A6012 compensations en cas d’expropriation (par l’Etat) de droit ou de fait (outil de production) ? (noter de 1=pas de compensation à 4=compensation "raisonnable")

A6013 d’une façon générale, l’Etat exerce-t-il des pressions arbitraires sur la propriété privée (tracasseries administratives...) ? (noter de 1=pressions arbitraires très fréquentes à 4=absence de pressions arbitraires)

A602

Forme des contrats entre acteurs privés - de 1(contrats informels et sans médiation) à 4(contrats formels et avec médiation)

A6020 les contrats entre acteurs privés sont-ils plutôt oraux ou plutôt écrits ? (de 1=oraux en majorité à 4=écrits en majorité)

A6021 pour les contrats écrits, sont-ils plutôt passés sans médiation (=1 ou 2) ou avec médiation privée (avocat..) (=3 ou 4)

A603 Sécurité des contrats entre acteurs privés - de 1(faible respect) à 4(fort respect) A6030 respect des contrats oraux - 1à4 (case vide possible)

A6031 respect des contrats écrits (sans médiation) - 1à4 (case vide possible)

A6032 respect des contrats avec médiation privée (avocats…) - 1à4

A6033 respect des contrats entre acteurs privés locaux et étrangers - 1à4

A605 Réglement des différends économiques : justice en matière commerciale - de 1(faible

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efficacité de la justice com.) à 4(forte efficacité) A6050 indépendance de la justice par rapport à l’Etat en matière de différends commerciaux - 1à4

A6051 indépendance de la justice par rapport aux parties en justice (acteurs locaux) en matière de différends commerciaux - 1à4

A6052 égalité de traitement entre acteurs locaux et étrangers en matière de différends commerciaux - 1à4

A6053 degré d’application et rapidité des décisions de justice en matière commerciale - 1à4

A6054 existence et efficience de juridictions spécifiques (Tribunaux de Commerce...) (si n'existe pas =0, si existe, noter de 1 à 4)

R0038 Application du droit sur la faillite des entreprises A607 Droit sur la faillite des entreprises - de 0(pas de droit sur la faillite) à 4(droit effectif) A6070 loi sur la faillite des entreprises - 0à4

A6071 et plus précisemment, indépendance des instances chargées de décider des faillites (de 1=faible indépendance à 4=forte autonomie)

A608 Application du droit sur la faillite des entreprises - de 1(pas de faillites) à 4(faillites) A6080 y a-t-il eu des mises en faillite d’entreprise privées depuis 5 ans ? - 1à4

A6081 y a-t-il eu des mises en faillite d’entreprise publiques depuis 5 ans ? - 1à4

A6082 d’une façon générale, privilégie-t-on la liquidation (oui) ou le maintien en activité (non) des entreprises non-rentables ? - 1à4

Informations sur les entreprises et sur le marché des capitaux R0039 Information sur le marché des B&S

B600 Information sur la situation des entreprises - de 0(pas de dispositif) à 4(dispositif d’information efficient)

B6000 système comptable normalisé (PME) - 0à4

B6001 système comptable normalisé (grandes entreprises) - 0à4

B6002 certification des comptes des entreprises (PME) - 0à4

B6003 certification des comptes des entreprises (grandes entreprises) - 0à4

B6004 intervention de cabinets d’audit international (0=pas d’intervention, si oui, de 1= très rare à 4=fréquente)

B601 Information sur la qualité des biens et services échangés - de 0(pas de dispositif de normes et standards) à 4(dispositifs efficients)

B6010 normes et standards internationaux (ISO, Codex…) - 0à4

R0040 Protection de la propriété intellectuelle B602 Propriété intellectuelle - de 1(faible respect) à 4(fort respect) - (pas de 0, pas de case vide) B6020 niveau de respect de la propriété intellectuelle en matière de secrets de fabrications, brevets… - 1à4

B6021 niveau de respect de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon - 1à4

B603 Dispositif de défense de la propriété intellectuelle - de 0(pas de dispositif) à 4(dispositif efficient)

B6030 dispositif local de protection de la propriété intellectuelle - 0à4

B6031 dispositif international : accord TRIPS - 0à4

C600

Systèmes de crédit traditionnel (informel) - 0(n'existe pas) et de 1(peu développé, peu de garanties) à 4(très développé, fortes garanties)

C6000 système de crédit traditionnel (0 si n'existe pas) et (noter de 1=très peu développé à 4=très développé)

C6001 système de garantie de ce crédit traditionnel (0 si n'existe pas) et (noter de 1=garanties très peu efficientes à 4=garanties efficientes)

R0041 Informations sur le marché des capitaux

C601 Information sur la situation des banques - 0(pas d’information) et de 1(faible information) à 4(forte)

C6010 système comptable normalisé - 0à4 C6011 certification des comptes des Banques - 0à4

C603 Garantie du prêteur : système bancaire (garanties hypothécaires…) - de 0(pas de système de garanties) à 4(garanties effectives)

C6030 système de garanties hypothécaires - 0à4 C6031 autre système de garanties demandées par les Banques - 0à4

C604 Obligation de publication pour les entreprises émettrices ? - de 0(pas d’obligation) à 4(obligation effective)

C602 Loi de garantie des dépôts - de 0(pas de loi) à 4(loi effective) C6020 Existe-t-il une loi assurant la garantie de l’Etat sur les dépôts ? - 0à4

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Dispositif de régulation de la concurrence et dynamique de la concurrence

A701 Régulation de la concurrence - de 0(pas de dispositif) à 4(dispositif efficient) A7010 existence d’un dispositif légal pour lutter contre les ententes - 0à4

A7011 existence d’un dispositif légal pour lutter contre les abus de position dominante - 0à4

R0042 Dynamisme de la concurrence

B700 Concurrence : secteur productif : facilité d’entrée sur le marché pour de nouvelles entreprises - de 1(faible facilité d’entrée) à 4(forte facilité d’entrée)

B7000 obstacles de fait tenant à l’Administration (tracasseries administratives…) - 1à4

B7001 obstacles de fait tenant aux pratiques d’entreprises concurrentes, déjà installées sur le marché - 1à4

B701 Concurrence : secteur productif - 0(pas de grande firme) et de 1(faible concurrence) à 4(forte concurrence)

B7010 fonctionnement concurrentiel des grandes firmes locales - 0à4

B7011 fonctionnement concurrentiel des grandes firmes multinationales sur le marché local - 0à4

B702 Concurrence : secteur de la distribution - 0(pas de grande firme de distribution) et de 1(faible part des grandes firmes) à 4(forte part)

B7020 part de la distribution assurée par ces grandes firmes (de 1=faible part à 4=part très importante)

B703

Imbrication du capital local (privé et/ou public) - de 1(fortes participations croisées, opaques) à 4(faibles participations croisées, transparentes)

B7030 importance des participations financières croisées entre entreprises locales - 1à4

B7031 niveau d’information sur la structure des participations au sein des entreprises locales - 1à4

B704

Organisations patronales - de 1(forte résistance au fonctionnement concurrentiel) à 4(fort soutien au fonctionnement concurrentiel) -

B7040 organisation(s) patronale(s) d’entreprises privées : pressions/résistances au fonctionnement concurrentiel des marchés - 1à4

B7041 le cas échéant : organisation patronale d’entreprises publiques : pressions/résistances au fonctionnement concurrentiel des marchés - 1à4

C701

Concurrence au sein du système bancaire - de 1(faible concurrence) à 4(forte concurrence)

C7010 dans l’ensemble, le fonctionnement du système bancaire est-il plutôt cartélisé ou plutôt concurrentiel - 1à4

R0043 Règles prudentielles et supervision du système bancaire

C703 Règles prudentielles : écart de droit entre les standards locaux et internationaux - de 0(pas de standards locaux) à 4(faibles écarts % aux standards internationaux)

C7030 … quant aux règles de provisionnement (ratio Cooke…) - 0à4 C7031 … quant aux règles limitant la concentration sectorielle des crédits accordés - 0à4 C7032 … quant aux règles limitant la concentration des prêts par emprunteur - 0à4 C7033 … quant aux règles limitant l’exposition extérieure des Banques - 0à4 C704 Supervision bancaire et financière - de 0(pas de supervision) à 4(supervision effective) C7040 autorité de supervision bancaire - 0à4 C7041 autorité de supervision du marché financier - 0à4 C7042 autorité de supervision du marché des assurances - 0à4 C705 Contrôle interne des banques - de 0(pas de contrôle interne) à 4(contrôle effectif) C7050 dispositif de contrôle interne des Banques privées - 0à4 C7051 dispositif de contrôle interne des Banques publiques - 0à4

Droits politiques et fonctionnement des institutions politiques A100

Droits politiques et fonctionnement des institutions politiques - de 1(droits et légalité faibles) à 4(droits et légalité élevés)

A1000 liberté et légalité des élections (de 1=faibles à 4=fortes et 0 si pas d’élections) - 0à4

A1001 acceptation ou contestation par la population du dernier changement à la tête de l’Etat (de 1=forte contestation à 4=forte acceptation) - 1à4

A1002 participation de militaires à la vie politique, de droit ou de fait (de 1=forte participation à 4=très faible participation) - 1à4

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Libertés publiques et autonomie de la société civile R0044 Libertés publiques et autonomie de la société civile A102 Centralisation / décentralisation - de 1(faible décentralisation) à 4(forte décent.) A1020 les autorités municipales sont-elles élues ou nommées par l’autorité centrale ? - de 1(nommées) à 4(élues)

A1021 les autres autorités locales (État en cas de fédérations, Région, Province…) sont-elles élues ou nommées par l’autorité centrale ? - de 1(nommées) à 4(élues)

A1022 niveau d’autonomie fiscale des autorités municipales - 0à4

A1023 niveau d’autonomie fiscale des autres autorités locales (État en cas de fédérations, Région, Province…) - 0à4

A103 Libertés publiques et autonomie de la société civile - de 0(faibles) à 4(élevées) A1030 liberté de la presse - 0à4

A1031 liberté d’association - 0à4

A1032 liberté de réunion, de manifestation - 0à4

A1033 respect du droit dans les rapports entre citoyens et Administrations - 0à4 ?

A1034 respect des minorités (ethniques, religieuses, linguistiques..) - 0à4

Pluralisme des médias et forces sociales A104

Concentration des media (presse écrite, audiovisuel) - de 1(forte conc.) à 4(faible conc.) - (pas de 0) (case vide qd pas de média privés)

A1040 importance des média sous contrôle de droit ou de fait de l’Etat (de 1=forte part des media sous contrôle de l’Etat à 4=faible part...) - 1à4

A1041 degré de concentration des média privés (de 1=forte concentration des media privés à 4=pluralisme important des media privés) - 1à4

A106

Force et organisation des forces sociales qui poussent aux réformes - de 1(faibles et dispersées) à 4(fortes et organisées)

A1060 … faibles et dispersées (1), importantes et dispersées (2), faibles et organisées (3), importantes et organisées (4) - 1à4

A1061 … faibles et dispersées (1), importantes et dispersées (2), faibles et organisées (3), importantes et organisées (4) - 1à4

Pluralisme et libertés syndicales R0045 Liberté syndicales et autonomie des syndicats

D100 Libertés publiques et autonomie de la société civile : libertés syndicales - de 0(pas de liberté) à 4(libertés syndicales élevées)

D1000 droit de grève dans le secteur privé - 0à4 D1001 droit de grève dans le secteur public et les administrations - 0à4 D1002 liberté de négociation collective dans les entreprises - 0à4 D1003 libertés du fonctionnement syndical dans les entreprises - 0à4

D101 Liberté d’organisation syndicale - de 0(syndicat interdit) à 4(syndicats pluralistes et autonomes)

D1010 liberté d’organisation syndicale - 0à4

Liberté de circulation des personnes et de l’information A800 Circulation des personnes, de l’information - de 1(faible circulation) à 4(forte circulation) A8000 liberté de circulation des nationaux (sorties) - 1à4

A8001 liberté de circulation des étrangers (entrées) (1=pas de liberté, 2=liberté restreinte à des conditions très strictes, 3=liberté restreinte à certaines provenances, 4=aucune entrave à la circulation)

A8002 liberté d’accès aux journaux étrangers (absence de saisies…) - 1à4

A8003 liberté d’accès au câble (télévision) - 1à4

A8004 liberté d’accès à Internet - 1à4

Indépendance de la justice par rapport à l’Etat A310

Efficacité de l’action publique : justice (non commerciale) - de 1(faible efficacité) à 4(forte efficacité)

A3100 indépendance de la justice par rapport à l’Etat - 1à4

A3101 égalité de traitement de fait des acteurs étrangers - 1à4

A3102 degré d’application et rapidité des décisions de justice - 1à4

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Annexe 7. Le cercle des corrélations issu de l’ACP

Le cercle des corrélations nous donne une idée de la force des associations linéaires entre les variables. La configuration des variables institutionnelles (Figure 19 et 20) fournit la meilleure approximation des angles réels221 entre les variables, et par conséquent la meilleure représentation plane de la matrice des corrélations. Cette figure fait ressortir des résultats très utiles à l’interprétation du plan factoriel reproduisant le nuage des points-individus et à l’analyse de la structure qui se dégage de cet ensemble de données.

Figure 19. Cercle des corrélations (zoom) du premier plan factoriel (ACP sur 36 variables institutionnelles issues de l’enquête du MINEFE 2001)

Source : Calcul des auteurs à partir des données de la base du MINEFE. Visualisation des résultats à l’aide

du logiciel SPAD.

221 Deux variables proches correspondent à un coefficient de corrélation élevé entre les deux variables. Deux variables liées par une forte corrélation négative seront représentées par deux points diagonalement opposés sur la sphère. Deux variables indépendantes auront un coefficient de corrélation nul et formeront un angle droit [Morineau, 1998].

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Figure 20. Cercle des corrélations (zoom) du premier plan factoriel (ACP sur 36 variables institutionnelles issues de l’enquête du MINEFE 2001)

Source : Calcul des auteurs à partir des données de la base du MINEFE. Visualisation des résultats à l’aide

du logiciel SPAD.

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Annexe 8. Contribution des valeurs propres dans le nuage de points issu de l’ACP

Tableau 13. Histogramme des 36 premières valeurs propres de l’ACP (enquête 2001) +--------+------------+----------+----------+--------------------------------------------------------------------------+ |NUMERO | VALEUR |POURCENT. | POURCENT.| | | PROPRE | | CUMULE | +--------+------------+----------+----------+--------------------------------------------------------------------------+ | 1 | 15.5913 | 43.31 | 43.31 | ************************************************************************** | 2 | 2.9476 | 8.19 | 51.50 | **************** | 3 | 1.9204 | 5.33 | 56.83 | ********** | 4 | 1.6570 | 4.60 | 61.43 | ********* | 5 | 1.4787 | 4.11 | 65.54 | ******** | 6 | 1.4005 | 3.89 | 69.43 | ******** | 7 | 1.2320 | 3.42 | 72.85 | ******* | 8 | 1.1282 | 3.13 | 75.99 | ****** | 9 | 0.9164 | 2.55 | 78.53 | ***** | 10 | 0.8838 | 2.45 | 80.99 | ***** | 11 | 0.7705 | 2.14 | 83.13 | **** | 12 | 0.7131 | 1.98 | 85.11 | **** | 13 | 0.6263 | 1.74 | 86.85 | **** | 14 | 0.5790 | 1.61 | 88.46 | *** | 15 | 0.5169 | 1.44 | 89.89 | *** | 16 | 0.4527 | 1.26 | 91.15 | *** | 17 | 0.4463 | 1.24 | 92.39 | *** | 18 | 0.3737 | 1.04 | 93.43 | ** | 19 | 0.3488 | 0.97 | 94.40 | ** | 20 | 0.2939 | 0.82 | 95.21 | ** | 21 | 0.2693 | 0.75 | 95.96 | ** | 22 | 0.2533 | 0.70 | 96.67 | ** | 23 | 0.2245 | 0.62 | 97.29 | ** | 24 | 0.1795 | 0.50 | 97.79 | * | 25 | 0.1601 | 0.44 | 98.23 | * | 26 | 0.1513 | 0.42 | 98.65 | * | 27 | 0.1091 | 0.30 | 98.96 | * | 28 | 0.1027 | 0.29 | 99.24 | * | 29 | 0.0774 | 0.21 | 99.46 | * | 30 | 0.0545 | 0.15 | 99.61 | * | 31 | 0.0419 | 0.12 | 99.72 | * | 32 | 0.0323 | 0.09 | 99.81 | * | 33 | 0.0263 | 0.07 | 99.89 | * | 34 | 0.0197 | 0.05 | 99.94 | * | 35 | 0.0123 | 0.03 | 99.98 | * | 36 | 0.0088 | 0.02 | 100.00 | * +--------+------------+----------+----------+--------------------------------------------------------------------------+

Source : établi par les auteurs à partir de SPAD.

Le tableau 13 donne une appréciation du pourcentage de l’inertie porté par chaque axe. Ce tableau fait apparaître une première composante principale dominante qui représente 43 % de l’inertie (ou de la dispersion) du nuage de points. La seconde composante représente 8 % de la dispersion. Le premier plan factoriel représenté ci-dessus est construit sur la base des deux premières composantes principales. Les deux axes, représentatifs des deux premières composantes principales, qui composent le cercle de corrélation de la figure 19 concentrent ainsi 52 % de l’inertie, ce qui constitue la majeure partie de la dispersion totale. Le même raisonnement s’applique au tableau 14 qui représente les résultats relatifs à l’exploitation de la base de données de 2006.

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Tableau 14. Histogramme des 34 premières valeurs propres de l’ACP (enquête 2006) +--------+------------+----------+----------+------------------------------------------------------------------------------+ | NUMERO | VALEUR | POURCENT.| POURCENT.| | | PROPRE | | CUMULE | +--------+------------+----------+----------+------------------------------------------------------------------------------+ | 1 | 14.1993 | 41.76 | 41.76 | **************************************************************************** | | 2 | 2.8396 | 8.35 | 50.11 | **************** | | 3 | 2.2360 | 6.58 | 56.69 | ************* | | 4 | 1.7178 | 5.05 | 61.74 | ********** | | 5 | 1.6328 | 4.80 | 66.55 | ********** | | 6 | 1.2748 | 3.75 | 70.30 | ******** | | 7 | 1.2308 | 3.62 | 73.92 | ******* | | 8 | 1.1038 | 3.25 | 77.16 | ******* | | 9 | 0.8864 | 2.61 | 79.77 | ***** | | 10 | 0.7584 | 2.23 | 82.00 | ***** | | 11 | 0.7353 | 2.16 | 84.16 | ***** | | 12 | 0.6217 | 1.83 | 85.99 | **** | | 13 | 0.6107 | 1.80 | 87.79 | **** | | 14 | 0.5047 | 1.48 | 89.27 | *** | | 15 | 0.4271 | 1.26 | 90.53 | *** | | 16 | 0.4088 | 1.20 | 91.73 | *** | | 17 | 0.3974 | 1.17 | 92.90 | *** | | 18 | 0.3837 | 1.13 | 94.03 | *** | | 19 | 0.3372 | 0.99 | 95.02 | ** | | 20 | 0.2725 | 0.80 | 95.82 | ** | | 21 | 0.2585 | 0.76 | 96.58 | ** | | 22 | 0.1854 | 0.55 | 97.13 | ** | | 23 | 0.1667 | 0.49 | 97.62 | * | | 24 | 0.1483 | 0.44 | 98.05 | * | | 25 | 0.1260 | 0.37 | 98.42 | * | | 26 | 0.1120 | 0.33 | 98.75 | * | | 27 | 0.1085 | 0.32 | 99.07 | * | | 28 | 0.0901 | 0.27 | 99.34 | * | | 29 | 0.0677 | 0.20 | 99.54 | * | | 30 | 0.0610 | 0.18 | 99.72 | * | | 31 | 0.0359 | 0.11 | 99.82 | * | | 32 | 0.0290 | 0.09 | 99.91 | * | | 33 | 0.0193 | 0.06 | 99.96 | * | | 34 | 0.0126 | 0.04 | 100.00 | * | +--------+------------+----------+----------+------------------------------------------------------------------------------+

Source : établi par les auteurs à partir de SPAD.

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Liste des tableaux

Tableau 1. Grille de capture des institutions .................................................................................................. 113

Tableau 2. Variables institutionnelles composant l’indicateur DEMOC .......................................................... 123

Tableau 3. Variables institutionnelles composant l’indicateur AUTOC ........................................................... 124

Tableau 4. Comparaison de l’indicateur de gouvernance publique avec les indicateurs de la base POLITY IV 125

Tableau 5. Étapes de la constitution de la zone de libre-échange dans les PAM .............................................. 183

Tableau 6. L’aide au développement de l’UE ................................................................................................ 185

Tableau 7. Panorama des Accords de libre-échange des PAM ........................................................................ 189

Tableau 8. L’indice de perception de la corruption dans les PAM en 2003 et en 2008 ................................... 292

Tableau 9. Liste des pays par zone et abréviations utilisées (Enquête 2001) .................................................. 293

Tableau 10. Liste des pays par zone et abréviations utilisées (Enquête 2006) ................................................ 294

Tableau 11. Liste des variables institutionnelles relatives à la gouvernance privée ............................................ 295

Tableau 12. Liste des variables institutionnelles relatives à la gouvernance publique ........................................ 296

Tableau 13. Histogramme des 36 premières valeurs propres de l’ACP (enquête 2001) ................................... 305

Tableau 14. Histogramme des 34 premières valeurs propres de l’ACP (enquête 2006) ................................... 306

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Liste des figures

Figure 1. « Bonne gouvernance » et niveau de développement économique : un lien positif ................................... 70

Figure 2. « Bonne gouvernance » et niveau de croissance économique : une corrélation non établie ....................... 71

Figure 3. L’indicateur de Gouvernance Privée et le revenu par habitant – 2001 ............................................. 134

Figure 4. L’indicateur de Gouvernance Privée et le revenu par habitant – 2006 ............................................. 135

Figure 5. L’Indicateur de Gouvernance Publique et le revenu par habitant – 2001 ........................................ 137

Figure 6. L’Indicateur de Gouvernance Publique et le revenu par habitant – 2006 ........................................ 138

Figure 7. Les indicateurs de Gouvernance publique et privée par pays - enquête 2001 ..................................... 141

Figure 8. Les indicateurs de Gouvernance publique et privée par pays - enquête 2006 ..................................... 142

Figure 9. Analyse empirique multidimensionnelle des variables institutionnelles de gouvernance (Enquête MINEFE 2001) ................................................................................................................... 149

Figure 10. Analyse empirique multidimensionnelle des variables institutionnelles de gouvernance (Enquête MINEFE 2006) ................................................................................................................... 178

Figure 11. Poids démographique et aide européenne par habitant .................................................................... 186

Figure 12. Engagement et paiement de l’aide européenne vers les PAM .......................................................... 186

Figure 13. Libertés publiques et niveau d’autonomie de la société civile dans 85 pays dont les PAM ............... 271

Figure 14. Liberté et pluralisme des mouvements syndicaux dans 85 pays dont les PAM ............................... 272

Figure 15. Le taux de chômage dans les PAM (en %) .................................................................................. 290

Figure 16. Croissance de l’investissement privé dans les PAM et dans les principales régions en développement 291

Figure 17. Stock d’IDE dans les PAM et les Pays d’Europe Centrale et Orientale en 2005 ......................... 291

Figure 18. Stock d’IDE/habitant dans les PAM et les PECO en 2005 ..................................................... 292

Figure 19. Cercle des corrélations (zoom) du premier plan factoriel (ACP sur 36 variables institutionnelles issues de l’enquête du MINEFE 2001) ........................................................................................... 303

Figure 20. Cercle des corrélations (zoom) du premier plan factoriel (ACP sur 36 variables institutionnelles issues de l’enquête du MINEFE 2001) ........................................................................................... 304

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Liste des encadrés

Encadré 1. L’intérêt général ou comment s’organise la fusion des intérêts particuliers dans l’intérêt social ? ........ 81

Encadré 2. La production systémique de la confiance et le rôle des mécanismes communautaires ......................... 87

Encadré 3. Réduire la subjectivité des réponses ............................................................................................... 115

Encadré 4. Variables de « stock » et variables de « flux » ............................................................................. 116

Encadré 5. Nature et origine des institutions : pour une science évolutionniste de l’économie ............................. 206

Encadré 6. « Pas d’impôts sans représentation » ............................................................................................ 238

Encadré 7. Aux origines de la tradition de résistance des populations maghrébines .......................................... 258

Encadré 8. L’éviction d’un clan devenu trop puissant : le cas du groupe al-Rayyân en Égypte .......................... 261

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Liste des schémas

Schéma 1. Construction des indicateurs de gouvernance à partir de la base du MINEFE ............................... 131

Schéma 2. Transition institutionnelle et impact de la PEV ............................................................................ 182

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Liste des annexes

Annexe 1. Le chômage dans les pays arabes de la Méditerranée (PAM) ........................................................ 290

Annexe 2. L’investissement privé dans les PAM ........................................................................................... 291

Annexe 3. Perception de la corruption dans les PAM selon Transparency International ................................. 292

Annexe 4. Liste des pays sous revue .............................................................................................................. 293

Annexe 5. Liste des 36 variables institutionnelles de la nouvelle base réduite .................................................. 295

Annexe 6. Présentation du contenu des variables institutionnelles retenues ...................................................... 297

Annexe 7. Le cercle des corrélations issu de l’ACP ........................................................................................ 303

Annexe 8. Contribution des valeurs propres dans le nuage de points issu de l’ACP ........................................ 305

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Liste des abréviations et des acronymes

ACP : analyse en composantes principales

AFD : l’agence française de développement

BERD : Banque européenne pour la reconstruction et le développement

DTE : pays en développement, en transition et émergents

MENA : Middle East and North Africa

MINEFE : Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi

PAM : pays arabes de la Méditerranée

PECO : pays d’Europe centrale et orientale

PIB : produit intérieur brut

PNUD : programme des Nations-Unies au développement

SNG : systèmes nationaux de gouvernance

WDI : world development indicators

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