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Article original Duodénopancréatectomie céphalique pour adénocarcinome de la tête du pancréas : la conservation pylorique modifie-t-elle la morbidité et le pronostic ? N. Pirro 1 *, I. Sielezneff 1 , J. Cesari 1 , B. Consentino 1 , R. Gregoire 2 , C. Brunet 1 , B. Sastre 1 1 Service de chirurgie digestive, hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09, France ; 2 département d’informatique médicale, hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09, France RE ´ SUME ´ But : Évaluer l’influence de la conservation pylorique sur la morbidité et le pronostic des patients ayant eu une duodénopancréatectomie céphalique pour adénocarci- nome du pancréas. Patients et méthodes : Entre 1985 et 1999, 183 patients ont été opérés d’un adénocarcinome de la tête du pan- créas. Parmi eux, 63 patients (40 hommes, âge moyen : 63 ans, extrêmes : 41–77) ont eu une exérèse curative et ont été inclus dans cette étude rétrospective. Ils ont été répartis en deux groupes en fonction du type d’exérèse. Dans le groupe I l’intervention comportait une conserva- tion pylorique (n = 35). Dans le groupe II l’exérèse com- prenait une gastrectomie polaire inférieure (n = 28). Le pronostic a été comparé pour ces deux groupes. Les critères d’évaluation étaient le taux de récidive locorégio- nale, la fréquence des évolutions métastatiques de la maladie et la durée de la survie. Résultats : La durée d’intervention, les taux de mortalité (groupe I : 0 %, groupe II : 3 %), de morbidité générale (p = 0,37) et spécifique (p = 0,30), la fréquence des troubles de la vidange gastrique (groupe I : 20 %, groupe II : 35 %, p = 0,88) ont été identiques dans les deux groupes. La durée du drainage gastrique a été plus brève dans le groupe I (six contre huit jours, p = 0,01). Le pronostic a été identique qu’il y ait eu ou non une conservation pylorique (métastases : groupe I : 39 %, groupe II : 56 %, p = 0,12 ; récidives locorégionales : groupe I : 58 %, groupe II : 43 %, p = 0,09 ; durée de la survie : groupe I : 18 mois, groupe II : 19 mois, p = 0,77). Conclusion : Ces résultats suggèrent qu’une conserva- tion pylorique peut être proposée aux malades ayant une duodénopancréatectomie céphalique pour un adénocarci- nome du pancréas, sans en altérer le pronostic. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS adénocarcinome du pancréas / conservation pylorique / duodénopancréatectomie ABSTRACT Pancreaticoduodenectomy for adenocarcinoma of the head of pancreas: does the pylorus-preserving change morbidity and prognosis? Study aim: To evaluate the influence of a pylorus- preserving on the morbidity and prognosis of patient with pancreaticoduodenectomy for adenocarcinoma of pan- creas. Patients and methods: Between 1985 and 1999, 183 patients were operated on for pancreatic adenocarcinoma. Among them, 63 patients (40 men, mean age 63 years, range 41–77 years) had curative resection and were included in this retrospective study. They were classified according to the type of resection. In the group I, the procedure included a pylorus-preserving pancreati- coduodenectomy (n=35). In the group II, the procedure included polar inferior gastrectomy (n=28). The prognosis was compared. Parameters for comparison were rate of local recurrence, rate of metastatic evolution and duration of survival. Results: The operative length and mortality rate (group I: 0%, group II: 3%), general (p=0.37) and specific morbidity (p=0,30), frequency of delayed gastric emptying were similar in the 2 groups (group I: 20%, group II: 35%, p=0.88). The duration of naso-gastic aspiration was shorter in the group I (6 days vs 8, p=0.01). The prognosis was the same in the 2 groups (metastasis: group I: 39%, group II: *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (N. Pirro). Ann Chir 2002 ; 127 : 95-100 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003394401007064/FLA

Duodénopancréatectomie céphalique pour adénocarcinome de la tête du pancréas : la conservation pylorique modifie-t-elle la morbidité et le pronostic ?

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Article original

Duodénopancréatectomie céphalique pour adénocarcinome de la têtedu pancréas : la conservation pylorique modifie-t-elle la morbidité

et le pronostic ?

N. Pirro1*, I. Sielezneff1, J. Cesari1, B. Consentino1, R. Gregoire2, C. Brunet1, B. Sastre1

1Service de chirurgie digestive, hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09,France ; 2département d’informatique médicale, hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, 13274 Marseille

cedex 09, France

RESUMEBut : Évaluer l’influence de la conservation pylorique surla morbidité et le pronostic des patients ayant eu uneduodénopancréatectomie céphalique pour adénocarci-nome du pancréas.Patients et méthodes : Entre 1985 et 1999, 183 patientsont été opérés d’un adénocarcinome de la tête du pan-créas. Parmi eux, 63 patients (40 hommes, âge moyen :63 ans, extrêmes : 41–77) ont eu une exérèse curative etont été inclus dans cette étude rétrospective. Ils ont étérépartis en deux groupes en fonction du type d’exérèse.Dans le groupe I l’intervention comportait une conserva-tion pylorique (n = 35). Dans le groupe II l’exérèse com-prenait une gastrectomie polaire inférieure (n = 28). Lepronostic a été comparé pour ces deux groupes. Lescritères d’évaluation étaient le taux de récidive locorégio-nale, la fréquence des évolutions métastatiques de lamaladie et la durée de la survie.Résultats : La durée d’intervention, les taux de mortalité(groupe I : 0 %, groupe II : 3 %), de morbidité générale (p= 0,37) et spécifique (p = 0,30), la fréquence des troublesde la vidange gastrique (groupe I : 20 %, groupe II : 35 %,p = 0,88) ont été identiques dans les deux groupes. Ladurée du drainage gastrique a été plus brève dans legroupe I (six contre huit jours, p = 0,01). Le pronostic a étéidentique qu’il y ait eu ou non une conservation pylorique(métastases : groupe I : 39 %, groupe II : 56 %, p = 0,12 ;récidives locorégionales : groupe I : 58 %, groupe II :43 %, p = 0,09 ; durée de la survie : groupe I : 18 mois,groupe II : 19 mois, p = 0,77).Conclusion : Ces résultats suggèrent qu’une conserva-tion pylorique peut être proposée aux malades ayant une

duodénopancréatectomie céphalique pour un adénocarci-nome du pancréas, sans en altérer le pronostic. © 2002Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

adénocarcinome du pancréas / conservationpylorique / duodénopancréatectomie

ABSTRACTPancreaticoduodenectomy for adenocarcinomaof the head of pancreas: does the pylorus-preservingchange morbidity and prognosis?Study aim: To evaluate the influence of a pylorus-preserving on the morbidity and prognosis of patient withpancreaticoduodenectomy for adenocarcinoma of pan-creas.Patients and methods: Between 1985 and 1999, 183patients were operated on for pancreatic adenocarcinoma.Among them, 63 patients (40 men, mean age 63 years,range 41–77 years) had curative resection and wereincluded in this retrospective study. They were classifiedaccording to the type of resection. In the group I, theprocedure included a pylorus-preserving pancreati-coduodenectomy (n=35). In the group II, the procedureincluded polar inferior gastrectomy (n=28). The prognosiswas compared. Parameters for comparison were rate oflocal recurrence, rate of metastatic evolution and durationof survival.Results: The operative length and mortality rate (group I:0%, group II: 3%), general (p=0.37) and specific morbidity(p=0,30), frequency of delayed gastric emptying weresimilar in the 2 groups (group I: 20%, group II: 35%,p=0.88). The duration of naso-gastic aspiration was shorterin the group I (6 days vs 8, p=0.01). The prognosis was thesame in the 2 groups (metastasis: group I: 39%, group II:

*Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail : [email protected] (N. Pirro).

Ann Chir 2002 ; 127 : 95-100© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS0003394401007064/FLA

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56%, p=0.12, local recurrence: group I: 58%, group II:43%, p=0,09, mean survival: group I: 18 months, group II:19 months, p=0.77).Conclusion: These results suggest that pylorus preserv-ing pancreatoduodenectomy could be performed forpatients with adenocarcinoma of the head of the pancreasand does not compromise survival. © 2002 Éditions sci-entifiques et médicales Elsevier SAS

pancreatic adenocarcinoma / pancreaticoduodenec-tomy / pylorus-preserving

La conservation pylorique (CP) a été proposée parLongmire et Traverso en 1978 dans le but dediminuer les séquelles nutritionnelles et fonctionnel-les après duodénopancréatectomie céphalique (DPC)[1]. Réservée initialement au traitement chirurgicaldes pancréatites chroniques et des tumeurs bénignesdu bloc duodénopancréatique, les indications de laCP ont progressivement été élargies aux cancers dela région vatérienne, aux cancers du duodénumdistal, puis aux adénocarcinomes de la tête dupancréas. Dans cette indication, la qualité carcino-logique de l’exérèse n’a jamais été démontrée etconstitue un sujet de controverse. Le but de cetravail était de comparer les taux de morbiditéspécifiques, et le pronostic postopératoire précoce ettardif des patients ayant eu une DPC curative pourun adénocarcinome pancréatique en fonction ou nonde la conservation du pylore.

PATIENTS ET MÉTHODES

Entre le 1er janvier 1985 et le 31 décembre 1999,183 patients ont été opérés d’un adénocarcinome dela tête du pancréas. Parmi eux, 63 ont eu une exérèseà visée curative et ont été inclus dans cette étuderétrospective. Les patients ont été répartis en deuxgroupes en fonction du type d’exérèse. Dans legroupe I, les patients ont eu une DPC avec CP (n= 35). Dans le groupe II, une gastrectomie polaireinférieure (GPI) était associée à la DPC (n = 28). Letype d’exérèse était déterminé par l’opérateur pen-dant l’ intervention. L’exérèse avec CP a été préfé-rentiellement utilisée depuis 1990 à la suite destravaux de Grace et al. [2]. L’exérèse comportaitobligatoirement une GPI lorsqu’un envahissementde l’estomac du duodénum proximal ou des gan-glions périgastriques était suspecté. La continuité

digestive était rétablie selon le montage de Child[3]. Une cholécystectomie ainsi qu’un curage gan-glionnaire du pédicule hépatique et de la faux del’artère hépatique étaient systématiques.

Les données ont été recueillies par un seul obser-vateur indépendant. Les paramètres cliniques, bio-logiques, radiologiques, opératoires et histologiquesont été relevés à partir des dossiers médicaux. Lesinformations concernant les suites opératoires, l’évo-lution et la durée de survie ont été obtenues de lamême façon ou au besoin par correspondance avecle médecin traitant, le patient ou sa famille.

Le diamètre tumoral, défini par la dimension de latumeur dans son grand axe, le type histologique, ledegré de différenciation, l’envahissement des struc-tures voisines, la présence d’adénopathies, d’embolsvasculaires ou d’embols périnerveux et l’envahisse-ment vasculaire ont été systématiquement recher-chés. La présence de cellules tumorales au niveaudes tranches de section pancréatique, duodénale,cholédocienne ou de la lame rétroportale, au préa-lable repérées sur la pièce opératoire, définissait uneexérèse microscopique incomplète.

L’extension locorégionale a été évaluée selon laclassification TNM, classée par stades d’après lesdirectives de l’UICC [4]. Le caractère radical del’exérèse était apprécié selon la classification deHermaneck [4].

La mortalité postopératoire a inclu les décèssurvenus à l’hôpital ou dans les 30 jours suivantl’ intervention. La qualité des suites opératoires a étédéfinie par les critères usuels de morbidité. Parmi lesparamètres de morbidité spécifique, la fistule pan-créatique a été définie par la persistance au delà du3e jour postopératoire d’un liquide de drainage(> 10 mL) riche en amylase. Les troubles de lavidange gastrique étaient définis par une durée dedrainage gastrique supérieure à sept jours, par lanécessité de remettre une sonde gastrique en posto-pératoire, ou par l’ impossibilité d’alimentation oraleaprès reprise du transit. Le pronostic était appréciépar le taux de récidive locorégionale, par le tauxd’évolutions métastatiques, et par la durée de lasurvie.

L’analyse statistique a été réalisée avec la colla-boration du département d’ informatique médicalede l’hôpital Sainte-Marguerite. Les données quanti-tatives ont été décrites par leurs valeurs moyennes,extrêmes, médianes et écarts-types. Les critères

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quantitatifs ont été comparés au moyen du test t deStudent et par les analyses de variance. Les critèresqualitatifs ont été comparés au moyen du test de �2,avec la correction de Yates si nécessaire. La proba-bilité de survie a été évaluée à partir de la date del’ intervention selon la méthode de Kaplan-Meier.L’analyse univariée des critères susceptiblesd’ influencer la durée de la survie a été réalisée aumoyen du test du Log Rank. Une analyse multifac-torielle a évalué l’ impact simultané de ces variables(seuil d’entrée pour p < 0,2) sur la durée de lasurvie. Les résultats ont été considérés commesignificatifs pour une valeur de p < 0,05.

RÉSULTATS

Trente-cinq patients (56 %) ont eu une exérèse avecconservation pylorique (groupe I). Ce type d’exé-rèse a été utilisé de plus en plus souvent au cours decette étude. Entre 1985 et 1990, 24 % des exérèsescomportaient une CP. Entre 1995 et 1999, huitpatients sur dix ont eu une exérèse avec CP. Lesdeux groupes de patients étaient strictement appa-reillables pour le sex-ratio, l’âge, les signes clini-ques, la distribution selon la classification TNM oula classification en stades de l’UICC. La duréeopératoire a été identique (groupe I = 344 mn ± 64,groupe II = 384 mn ± 68, p = 0,34). Le nombremoyen de culots globulaires transfusés pendantl’ intervention a été de 2,2 ± 2,3, identique pour lesdeux groupes (p = 0,30). Le nombre moyen deculots globulaires transfusés, ainsi que le nombre depatients transfusés, ont diminué de façon significa-tive au cours de l’étude (p = 0,03). Actuellementplus de la moitié des patients n’est pas transfuséependant ou au décours de l’ intervention. Il n’y a paseu d’envahissement duodénal mis en évidence parl’examen histologique. Dans le groupe II, il n’y

avait pas de métastase au niveau des chaînes gan-glionnaires périgastriques. Le taux de mortalitépostopératoire a été de 3,2 % (groupe I : n = 0,groupe II : n = 2, défaillance postopératoire multi-viscérale (n = 1) et péritonite par perforation del’anastomose gastrojéjunale (n = 1, p = 0,59). Lescomplications spécifiques et non spécifiques de laDPC en fonction du type de résection sont détailléesdans le tableau I. Les taux de morbidité générale etspécifique étaient identiques pour les deux groupesde patients (p = 0,37 et p = 0,30). Le taux demorbidité spécifique a été de 40 %, principalementlié à la gastroplégie (27 %) dont la fréquence a étéidentique dans les deux groupes (p = 0,88). La duréedu sondage gastrique a été plus courte après CP(groupe I = six jours contre groupe II = 8 jours, p= 0,01). Le taux de morbiditénon spécifique a étéde44,2 %, principalement lié àdes complications d’ori-gine infectieuse (n = 19). Quatre patients (6,3 %)ont été réopérés en urgence pour hémorragie intra-abdominale (n = 3) ou pour un infarcissement del’anse montée (n = 1). Le drainage d’un abcèsprofond a été réalisé sous contrôle tomodensitomé-trique pour trois patients. La durée moyenne d’hos-pitalisation a été de 20 jours ± 8 (médiane 17 jours,extrêmes de 11 à 50) et n’a pas été influencée par letype d’exérèse (p = 0,12). La survenue d’une com-plication allongeait la durée d’hospitalisation d’unesemaine (24 contre 17 jours, p = 0,03).

Au cours du suivi postopératoire, un seul patient aété perdu de vue, 20 mois après l’ intervention, sansrécidive apparente. Six patients (10 %) sont mortsde cause intercurrente cinq à 78 mois après l’ inter-vention. Quarante-quatre patients (70 %) sont décé-dés d’une récidive de leur maladie. La fréquence desrécidives locorégionales (p = 0,09) ou métastatiques(p = 0,12) n’était pas influencée par le type d’exé-rèse. La durée médiane de survie a été de 18 ± 15,4

Tableau I. Complications spécifiques de la DPC en fonction du type de résection.

Morbidité spécifique Morbidité non spécifique

Fistule pan-créatique

Fistuledigestive

Fistulebiliaire

Gastroplégie Ulcère anas-tomotique

Abcès pro-fond

Abcès deparoi

Lymphorrée

GPI (n = 28) 3 1 1 10 1 2 2 0CP (n = 35) 2 0 0 7 1 1 2 1Total 5 1 1 17 2 3 4 1

GPI : duodénopancréatectomie céphalique avec gastrectomie polaire inférieure ; CP : duodénopancréatectomie céphalique avec conservationpylorique.

Adénocarcinome de la tête et du pancréas 97

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mois (moyenne 22 mois, extrêmes : 3,5–71 mois)avec un taux de survie spécifique à cinq ans de3,7 % et un taux de survie actuarielle à cinq ans de9,7 %. La durée médiane de survie était identiquedans les deux groupes (groupe I = 18 mois ± 16contre groupe II = 16 mois ± 15, p = 0,77) (figure 1).Au moment de l’évaluation, dix patients étaientvivants (médiane du suivi : 20 mois, extrêmes :3–56), dont la moitié sans récidive (n = 5). Unpatient a été opéré d’une récidive locorégionale 32mois après la DPC. Il n’avait aucun signe derécidive 24 mois plus tard. Pour les patients toujoursvivants au moment de l’évaluation les taux depoursuite évolutive de la maladie (p = 0,22) et derécidive locorégionale (p = 0,36) étaient identiquesdans les deux groupes.

DISCUSSION

La DPC avec CP pourrait être proposée commeintervention de référence pour le traitement desadénocarcinomes céphaliques du pancréas à condi-tion de respecter tous les impératifs d’une opérationcarcinologique et de procurer un bénéfice fonction-nel.

La simplicité technique apparente plaide en faveurde la CP. Elle se traduit par une durée opératoireplus courte [5-7] ou au pire équivalente [8, 9] àcelledes DPC avec GPI. La quantité de sang transfusée

pendant l’ intervention reflète aussi les difficultéstechniques en rapport avec l’extension tumorale et letype de l’exérèse. Cette quantitéest plus faible [6, 7,9] ou comparable [8] en cas de CP.

De même que la simplicité technique, le bénéficefonctionnel attendu de la CP ne doit pas compro-mettre la valeur carcinologique de l’exérèse. Tousles paramètres étudiés dans ce travail suggèrent quela durée de la survie après DPC pour adénocarci-nome de la tête du pancréas est identique aprèsexérèse avec CP ou avec GPI. Dans la littérature uneseule étude rétrospective portant sur un faible effec-tif a rapporté une durée de survie plus courte aprèsCP [10]. Ceci n’a pas été confirmé par des travauxplus récents menés sur des effectifs significatifs. Ilsont montré que les durées de survie après exérèse àvisée curative pour les cancers périampullaires [5, 7,9, 11-13] ou pour les adénocarcinomes de la tête dupancréas [9, 11, 14-19] sont identiques. L’envahis-sement duodénal dont Sharp et al. ont rapporté troiscas [20] est exceptionnel et n’est pas rapporté dansles centres les plus expérimentés [7, 13, 14, 21].Certains auteurs soulignent toutefois la nécessitéd’une confirmation histologique extemporanée de latranche de section duodénale [12, 14], ce qui paraîtêtre une précaution indispensable avant de déciderde préserver le pylore. Dans le cas où la tumeur estsituée au niveau de la partie antérosupérieure de latête du pancréas, au contact du pylore, le respect demarges suffisantes et l’exérèse des territoires gan-glionnaires de contiguïté imposent d’élargir l’exé-rèse en réalisant une GPI [14, 22].

Le caractère radical de l’exérèse ne semble pascompromis en cas de CP par l’absence de curageganglionnaire périgastrique [13, 14]. Ces nœudslymphatiques représentent une voie de drainageaccessoire des adénocarcinomes de la tête du pan-créas, l’envahissement se faisant précocement et leplus souvent en arrière vers le tissu rétropéritonéal[13, 21, 23]. Le curage ganglionnaire réalisé aucours d’une exérèse avec CP est moins étendupuisque les nœuds lymphatiques péripyloriques etpérigastriques sont conservés [24, 25]. Certaineséquipes affirment sur la base de cet argument que laCP constitue un préjudice thérapeutique. En règlegénérale, la qualité du curage ganglionnaire évaluéepar le nombre d’unités ganglionnaires réséquées, estcomparable [14]. Certaines équipes obtiennentcependant des curages plus étendus après GPI [25]

Figure 1. Survie actuarielle après exérèse à visée radicale d’unadénocarcinome de la tête du pancréas en fonction du type derésection avec CP (n = 35) ou GPI (n = 28) (p = 0,77).

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ce qui a fait proposer d’élargir, en cas de CP, lecurage ganglionnaire au territoire de l’artère gastri-que droite [14]. Un curage ganglionnaire de topo-graphie équivalente peut donc être obtenu lors d’uneexérèse avec CP. L’utilité de ce curage mérite d’êtrediscutée. En effet l’envahissement ganglionnairepérigastrique est la plupart du temps associée à unetumeur localement avancée ou métastatique [22, 24,26, 27].

Les données de la littérature suggèrent que lamortalité et la morbidité postopératoire sont identi-ques quel que soit le type d’exérèse [6, 7, 9, 14, 16,25, 28]. Patel et al. [25] ont mis en évidence un tauxde fistule pancréatique plus élevé après DPC avecCP (27 contre 6 %, p = 0,04). Aucune autre étude nerapporte des faits similaires, faisant évoquer unpossible biais soit technique, soit dans la sélectiondes patients.

De rares cas de nécrose ischémique de l’extrémitéduodénale ou de sténose anastomotique pylorojéju-nale ont été rapportés [6, 22, 29]. La vascularisationde la tranche de section duodénale doit donc êtrevérifiée pendant l’ intervention. Une ischémieimpose alors une GPI [8]. Pour diminuer ces risques,certains auteurs préservent l’artère gastrique droite[6, 14, 16, 29] et l’artère gastroduodénale [29]lorsqu’ il s’agit d’un cholangiocarcinome de la voiebiliaire principale ou d’un ampullome.

La gastroplégie est une autre complication spéci-fique et redoutée de la CP. Sa pathogénie estcontroversée. La dévascularisation duodénale, letraumatisme des branches vagales à destinée pylo-rique, la perturbation de l’équilibre endocrinien ontété incriminés. Sa fréquence est très variable dans lalittérature car sa définition diffère pour chaqueéquipe. Malgrécela, les troubles isolés de la vidangegastrique ne semblent pas plus fréquents après CP[6, 7, 9, 14, 19], même si certaines équipes rappor-tent des résultats divergents, particulièrement dansla période postopératoire immédiate [8, 25, 30]. Ladurée de drainage gastrique est également variable.Elle est deux fois plus longue après CP qu’après GPIpour Torchiana et al. [31] alors que pour d’autreselle est identique, qu’ il y ait CP ou GPI [9, 16, 32].Dans ce travail, la durée de drainage gastrique étaitparadoxalement plus courte dans le groupe despatients qui ont eu une exérèse avec CP. La gastro-plégie dépend aussi de la comorbidité : les troublesde la vidange gastrique sont parfois associés à

d’autres complications intra-abdominales [2, 6, 13,14, 33], notamment à des abcès profonds [13, 14,16]. Patel et al. [25], qui rapportent un taux élevé detroubles de la vidange gastrique après CP, ontrapporté également un taux important de fistulespancréatiques dans le groupe des patients ayant euune CP. Il est probable que, dans cette série, lasurvenue d’une fistule pancréatique favorise lestroubles de la vidange gastrique. Si pour certainsauteurs, la gastroplégie est plus fréquente après CP,elle ne se prolonge pas au-delà de la périodepostopératoire immédiate [8, 14, 34]. Une étuderécente a par ailleurs montré que des troubles de lavidange gastrique pouvaient être présents chez despatients ayant un cancer pancréatique ou une tumeur,avant toute intervention chirurgicale [30]. Les trou-bles de la vidange gastrique augmentent la durée etle coût de l’hospitalisation [25, 35]. Le surcoûtinduit par la survenue d’un trouble de la vidangegastrique après DPC avec CP a été estimé en 1995 à26 000 dollars par patient [25]. Dans ce travail etdans la plupart des séries, la durée d’hospitalisationétait identique [14] voire plus courte en cas de CP[6].

In fine, préserver l’ intégrité du réservoir gastriqueet du pylore a pour but de réduire les séquellesnutritionnelles et le syndrome postgastrectomie. Sile bénéfice nutritionnel en terme d’équilibre pondé-ral a été suggéré par plusieurs études comparatives[2, 9, 17, 19] ou non comparatives [5, 9, 13, 34, 36,37], le bénéfice fonctionnel à long terme est difficileà démontrer compte tenu du mauvais pronostic descancers du pancréas. Des études ultérieures, tenanten particulier compte de l’évolution carcinologiquepostopératoire [38] et du retentissement de la radio-chimiothérapie actuellement plus souvent utilisée[39], sont nécessaires pour déterminer précisémentle gain fonctionnel apporté par la CP.

CONCLUSION

Les résultats de ce travail suggèrent que la CP aucours de la DPC pour adénocarcinome de la tête dupancréas est techniquement réalisable dans la plu-part des cas. Elle ne compromet pas le caractèreradical de l’exérèse en l’absence d’envahissementduodénal ou d’adénopathie périgastrique et ne modi-fie ni les taux de récidive locorégionale ou d’évolu-tion métastatique de la maladie, ni la durée de la

Adénocarcinome de la tête et du pancréas 99

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survie. Les troubles de la vidange gastrique ne sontpas plus fréquents après CP.

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