14
ÉCHANGE, «PRAXIS »CODE ET TEMPS Author(s): Yvan Simonis Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 45 (Juillet-décembre 1968), pp. 117-129 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40689462 . Accessed: 18/06/2014 08:50 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

ÉCHANGE, «PRAXIS »CODE ET TEMPSAuthor(s): Yvan SimonisSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 45 (Juillet-décembre1968), pp. 117-129Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40689462 .

Accessed: 18/06/2014 08:50

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access toCahiers Internationaux de Sociologie.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

par Yvan Simonis

L'homme fait tout pour rester intelligible. Sa pensée, son activité, ses discours courent après la signification ; il s'arrange pour disposer en permanence d'une explication globale - vraie ou fausse et plus ou moins grossière - qui lui rend un service eminent : lui faire croire qu'il est intelligible et le monde avec lui. Peu importe, en un sens, que cette intelligibilité soit tronquée ou non. Elle remplit une fonction utile, on s'en contente généralement.

Mon oncle, aujourd'hui décédé, m'a raconté une anecdote de la guerre 1914-1918, sur le front de l'Yser : la troupe s'y lamentait du climat en exprimant son explication : « Avec ces avions, il n'y a plus de saisons ! » Expression toujours entendue ! La grossière météorologie que voilà affaiblit une inquiétude naissante. On ne peut s'empêcher de classer, de situer, de réintégrer. Qui, d'ailleurs, pourrait éviter de traiter aussi cavalièrement l'un ou l'autre domaine de ses perceptions ? Tout esprit d'homme fonctionne ainsi : articuler subtilement un secteur de la pensée et se résigner aux dictons par ailleurs.

Mais il faut inéluctablement parler. Il faut s'inquiéter de la signification. Les sciences humaines montrent à présent qu'un silence mécanique travaille au bénéfice des fonctions de la parole, qu'un silence mécanique se retrouve dans les produits des actions que la parole définit. La parole et l'action courent après la signi- fication, elles n'y réussissent qu'en pratiquant l'échange. C'est à l'intérieur de la notion d'échange elle-même que l'on rencontre cette parole et ce silence.

L'Essai sur le don de M. Mauss était une extraordinaire nou- veauté. On reste, en effet, saisi devant les perspectives qui s'offrent ici à la réflexion. L'échange est un « phénomène social total ». On en est à prospecter les richesses de cette définition. L'échange est la navette qui tisse incessamment la trame de la vie sociale, à tel point qu'il faut parler de « phénomène social total ».

En précisant la notion, Marcel Mauss décrivait puis généralisait, il traçait l'espace d'un champ de pensée où chacun se précipite à présent.

G. Lévi-Strauss a su interpréter la notion, précisant sa richesse, tirant un maximum des propos qui y sont impliqués. En liant l'échange aux structures de l'esprit humain, il en dégagea des dimensions inaperçues. Il rapprocha les problèmes de l'échange et

- 117 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

YVAN SIMONIS

ceux de la signification ; la fécondité théorique de ce rapprochement commence à donner d'importants résultats. On reste toujours à l'intérieur de l'échange, la synthèse qu'il réussit laisse progres- sivement deviner ses moyens.

Dans cet article, nous aimerions souligner de deux manières en quoi l'échange est bien un « phénomène social total » : I. La notion d'échange éclaire la liaison de la praxis des marxistes et du rapport infrastructure-superstructures ; II. Par la redéfinition des « symboles », le structuralisme pose le problème du « temps » en termes nouveaux.

I. - Le structuraliste ne demande pas au marxiste de lui prouver l'existence de superstructures dépendant d'une base, mais de prendre conscience que cette base n'est peut-être pas exactement celle à laquelle il songe ou, plus précisément, que le rapport des superstructures à la base n'est pensable et exprimable que dans les termes d'un fondement qui les lie : les structures mêmes de l'intellect humain. L'intelligibilité du rapport de l'infra- structure aux superstructures passe par les conditions imposées par les structures de l'intellect.

Où Lévi-Strauss situe-t-il leur impact dans la manière de poser ce rapport ? Même en acceptant que la praxis soit la totalité fonda- mentale des sciences de l'homme, il faut distinguer « pratiques » et praxis en intercalant ce que Lévi-Strauss appelle le « scheme conceptuel ». Si les infrastructures doivent être étudiées pour elles- mêmes, elles n'influenceront les superstructures, comme celles-ci n'influenceront celles-là, que par la médiation de schemes concep- tuels par l'opération desquels « une matière et une forme, dépour- vues l'une et l'autre d'existence indépendante, s'accomplissent en structures, c'est-à-dire comme êtres à la fois empiriques et intel- ligibles » (1).

On voit le rôle du scheme, il est là dès avant toute réflexion et conditionne le sujet parlant et donc réfléchissant. Le structu- raliste demande au marxiste de ne pas sauter cette étape et de dire quels sont les schemes médiateurs en cause dans le rapport de l'infrastructure aux superstructures artistiques, politiques, reli- gieuses, etc.

Pour Lévi-Strauss, c'est la médiation des schemes conceptuels qui permet de poser le problème même de ce rapport, puisque sans eux on ne pourrait se trouver devant des êtres « à la fois empiriques et intelligibles ». L'étude de ces schemes nous place au lieu de passage le plus instructif des infrastructures aux super- structures. « Le marxisme - sinon Marx lui-même - a trop souvent raisonné comme si les pratiques découlaient immédia- tement de la praxis » (2).

En liant les idéologies au système économique, Marx était génial. Il perçut avec acuité la réalité d'une transformation depuis

(1) Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage. Paris, Pion, 1963, p. 173. (2) Ibid., p. 173.

118 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

VÉCHANGE

longtemps en cours mais qui, alors, ne pouvait plus être niée : le système central autour duquel s'organisait le reste de l'activité sociale était le système économique. L'infrastructure dont dépen- daient les diverses superstructures était le système que formaient l'état des forces de production de biens économiques et les rapports de production qui lui étaient liés.

Ceci était neuf. Cependant, en parlant des systèmes de parenté des tribus primitives, Lévi-Strauss conduit à penser que le rôle joué à présent par le système économique était alors joué par le système de parenté. Celui-ci était alors central et non pas le système économique. Ceci peut être compris, et les systèmes de parenté qui à tort étonnent s'éclairent.

L'échange est, en effet, le phénomène fondamental et l'infra- structure de base apparaît quand il a rempli son office. Le système qui jouera le rôle d'infrastructure est le produit d'un échange qui s'applique là où il est nécessaire au bon fonctionnement de l'en- semble de la vie sociale. L'échange engendre des systèmes, mais les urgences peuvent se déplacer ; de nouveaux systèmes appa- raissent, d'autres se défont. Dans les tribus primitives, les biens primordiaux qu'il fallait échanger étaient les femmes : des systèmes de parenté plus ou moins complexes se développèrent. Lévi- Strauss a montré que les systèmes de parenté débrouillaient leur complexité dès qu'on en faisait des produits de l'échange, destinés à lui permettre de poursuivre sa fonction.

L'erreur de Marx est d'avoir voulu interpréter l'histoire humaine à l'aide d'un seul critère : l'infrastructure partout constituée par le système économique. Il existe, dans le marxisme, une tension permanente entre le rôle de l'infrastructure et celui de la praxis. Le thème : humanisation de la nature-naturalisation de l'homme reflète cette tension. Faut-il pencher vers le matérialisme dialec- tique ou vers le matérialisme historique ? L'action de la praxis révolutionnaire ne sait trop comment préciser ses liens au rôle majeur accordé à l'infrastructure.

En Marx, « l'homme conçu comme être pratique, agissant, devient le centre auquel le sens dans son intégralité peut être rapporté : le sujet humain se donne alors comme celui aussi qui en reste finalement le maître » (1).

Pour Marx, le sujet agissant est « au cœur de toute réalité » et sa praxis révolutionnaire fait advenir l'homme libre. La vérité, pour lui, « ne surgit pas du seul exercice des facultés rationnelles : elle demande un certain type d'insertion dans la réalité historique. Et cette vérité n'est pas tout entière déjà écrite, comme à portée de la main ; sous nos yeux, elle est en train de mûrir ; et la validité de ce que nous dirons dépendra du cours même de notre histoire... ; le déroulement temporel est ici un facteur décisif qui exclut l'idée d'une science « en soi » qui projetterait sur la réalité sociale un regard désincarné » (2).

(1) Lucien Sebag, Marxisme et structuralisme, Paris, Payot, 1964, p. 77. (2) Ibid., p. 83.

- 119 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

YVAN SIMONIS

Get investissement mutuel de la praxis et de la situation des forces productives matérielles s'éclaire largement quand on ajoute au débat la notion de « signification ».

En remontant à « l'élément de parenté », on trouve un homme, une femme et un oncle. L'oncle est devenu l'officier de l'état civil. On pourrait remonter, pour le système créé par l'échange des biens économiques, à « l'élément d'économie » si l'on peut ainsi parler. On pourrait même se demander si l'échange n'est pas en train de déplacer son action et de tisser ailleurs un nouveau système qui jouera le rôle d'infrastructure ensuite.

L'échange des biens économiques, l'échange d'informations qui, bientôt, jouera peut-être le rôle majeur, annulent progres- sivement l'intérêt primordial de l'échange des femmes. Dans la civilisation urbaine et industrielle, l'abandon de l'échange des femmes est tout récent. La relation homme-femme est trans- formée ; à son niveau se vit le changement de culture, c'est-à-dire d'abord le changement d'infrastructure.

Avant de proposer l'application de la méthode linguistique de la phonologie aux sciences sociales et humaines, le structuralisme de Lévi-Strauss fait réflexion sur le langage et la vie sociale. Il lui paraît, à ce propos, que la vie des hommes entre eux est marquée par un échange inéluctablement entraîné par l'émergence du symbolique. On peut poser le problème de l'émergence de la pensée symbolique, mais l'anthropologie ne trouve son objet - le social - qu'avec cette émergence. Pas de social, ni de culturel, sans pensée symbolique. Les faits sociaux sont à la fois « choses » et « représen- tations » et il ne peut en être autrement. Il n'y a pas, pour Lévi- Strauss, de « choses » sociales qu'on symboliserait ensuite. S'il y a fait social, il y a fait symbolisé, sans quoi on ne pourrait parler de social. Autrement dit, le symbolique ne jaillit pas de l'état de société, c'est l'apparition de la pensée symbolique qui « rend la vie sociale à la fois possible et nécessaire » (1).

La conscience ne décide pas de l'échange, elle se trouve immédiatement obligée de passer par ses lois et, en l'assurant en permanence, de créer et de maintenir la signification. Ce que la praxis poursuit, pensons-nous, c'est la signification. Une ambiguïté majeure risque pourtant de s'installer au cœur de ces réflexions.

Le modèle linguistique de la phonologie montre que système et pertinence vont de pair ; on se trouve toujours devant des systèmes qui ont une fonction. L'adoption de ce modèle en sciences sociales et humaines est un bouleversement, une inversion qui se veut complète, mais les termes de l'adoption sont ambigus. Lévi- Strauss fait de l'échange une fonction des systèmes inconscients. Cette interprétation fait problème, dans la mesure où elle réduit l'échange à un fonctionnel du même ordre que celui de la perti-

(1) Claude Lévi-Strauss, La sociologie française dans La sociologie au XXe siècle, éd. par G. Gurvitgh, Paris, Presses Universitaires de France, 1947, p. 527.

- 120 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

L'ÉCHANGE

nence linguistique. Ici système et fonction collent ensemble, là non, pas de la même manière.

Mais, enfin, dira-t-on, la cuisine, par exemple, œuvre culturelle, est bien un code, une logique propre. On peut observer ici comment, à l'insu possible de toute organisation consciente, l'esprit humain fait apparaître un discontinu particulier dont les recettes, comme l'enchaînement des plats, sont des variations. On trouve ici un système-fonctionnel du même type que celui de la phonologie où signifiant et signifié collent ensemble. Où serait alors l'ambiguïté ?

En linguistique, si Benveniste a raison, « un signe est maté- riellement fonction de ses éléments constitutifs, mais le seul moyen de définir ces éléments comme constitutifs est de les iden- tifier à l'intérieur d'une unité déterminée où ils remplissent une fonction integrative. Une unité sera reconnue comme distinctive à un niveau donné si elle peut être identifiée comme « partie intégrante » de l'unité de niveau supérieur, dont elle devient l'intégrant » (1).

Dans I' « ordre des ordres » qu'est toute société, on pourrait raisonner dans les mêmes cadres. Au cœur de l'activité sociale se trouve l'échange le plus indispensable, son office fait apparaître un système fondamental, fruit du traitement des oppositions à intégrer. Ce système central pousse une série d'autres « ordres », qui lui sont liés, à, se redéfinir. Ils traitent des oppositions mineures, répercutées, ou moins pressantes, que le premier système ne peut prendre en charge, soulageant, corroborant et confirmant en quelque sorte l'action de l'échange central, gardant en réserve le témoignage de ses échecs. L'activité de l'échange le plus urgent entraîne un « ordre » qui lui-même provoque l'apparition, l'effa- cement ou la réorganisation d'une série d'autres « ordres ». L' « ordre des ordres » est une complicité d'ordres en échec qui tentent ensemble de réussir à signifier le « mana ». Il évoque le ballet des échanges inéluctables pour que la signification soit maintenue.

Le code culinaire témoigne à sa façon, dans chaque société, en faveur du système central. Quelques mots sur le récit mythique éclaireront sans doute ce que nous voulons expliquer.

Dans les Mythologiques (2), Lévi-Strauss montre , comment la double présence du continu et du discontinu, mécanisme inconscient, assure la signification, comment les mythes rappro- chés commencent à révéler leur cohérence, logique inconsciente. L'esprit fonctionne en faisant du « discret » dans le continu (3), il traite la perception sensible, ses choix fractionnent le continu en éléments « discrets » pertinents. Avec ces éléments, il fait de l'intelligible en les mettant en rapports divers, équilibrant ainsi continu et discontinu, passant d'un continu insignifiant à un

(1) Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Bibliothèque des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966, p. 125.

(2 Voir, par exemple, Le cru et le cuit, Pans, Pion, 1964, p. 60-67. (o) «... aaiis quelque aomame que ce suit, c est seulement a partir ue ia

quantité discrète qu'on peut construire un système de signification », ibid., p. 60. Voir encore : ibid., p. 61.

- 121 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

YVAN SIMONIS

continu signiflcateur. La démarche structurale repère dans chaque ensemble systématique, dans chaque groupe de transformation, la manière dont l'esprit a constitué les éléments « discrets » dont il use ensuite. Elle recherche les éléments invariants ou éléments discrets qui font que tel système a telle ou telle signification possible. Ces éléments invariants diffèrent suivant chaque code (culinaire, astronomique, acoustique, etc.), mais au-delà de ces codes, on aimerait aller vers les éléments invariants de la structure même de l'esprit humain présents et transposés dans tous ces codes. La difficulté, peut-être insurmontable, est qu'on part toujours de la signification pour les atteindre. On ne les atteint jamais avant, on les trouve par décomposition d'ensembles significatifs et on arrive toujours trop tard.

La pensée mythique agit comme une justification de l'état de fait de la vie sociale. Cependant, elle n'est pas que cela. Outre cette fonction de justification résignée, elle se met en rapport interne avec tous les récits qui l'expriment, elle tient compte des autres récits, elle ne dispose que de certaines possibilités logiques, elle ne dispose que d'un certain nombre de justifications possibles des états de fait. On peut se désintéresser de la fonction sociale des récits mythiques pour réserver son attention aux rapports de leurs logiques, les abordant dans l'hypothèse d'un groupe de transfor- mation (1).

Le développement progressif des Mythologiques le prouve, il est très difficile d'atteindre le moment où les récits mythiques vivent « seuls », pourrait-on dire. On ne peut s'empêcher de les lier à la réalité sociale des tribus. Mais le mythe réfléchit ses propres thèmes en logique inconsciente, en une sorte de contre- point, équilibrant les désordres sociaux par un discours justi- ficatif. Même la logique que révèle la fonction des mythes, même la logique coupée de ses fonctions - renvoi des mythes les uns aux autres sans égards pour leurs contextes sociaux - , qui mani- feste non seulement une logique fonctionnelle par rapport aux autres « ordres » auxquels elle est liée mais aussi un véritable groupe de transformation donnant à penser qu'elle pourrait être une expression partielle des possibilités logiques de l'esprit, restent marquées par le traitement que leur a fait subir l'échange.

Il ne s'agit pas, cependant, sous le prétexte de ce traitement par l'échange symbolique, de retomber dans le travers d'un sujet transcendantal, hors système, qui régente tout l'ensemble. Il s'agit de voir comment l'échange éclaire la relation de l'humanisation de la nature et de la naturalisation de l'homme. La théorie marxiste disposait de tous les éléments, elle a pourtant éprouvé de nom- breuses difficultés à penser cette relation. En liant la praxis à la

(1) Aborder les mythes dans l'hypothèse d'un groupe de transformation ne tient pas à ce que le corpus des récits mythiques se compose d'un nombre défini d'unités. De nouveaux récits s'ajouteront toujours aux anciens et ceux qui existent remontent à toutes les époques. Cette hypothèse est défendable parce que l'esprit est « assumé » en tant que champ clos qui assure l'intelli- gibilité de toutes ses œuvres*

- 122 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

L'ÉCHANGE

notion de signification, on avance d'un pas, on ramène la praxis vers l'échange. Elle apparaît, en termes plus précis, comme la totalité fondamentale, on devient capable de comprendre ses dimen- sions multiples.

Le structuralisme semble à même de contribuer au débat. Il montre à la praxis comment son action « naturalise » l'homme, mais le caractère symbolique de l'échange qui le force lui-même à passer par la signification, ou à dépendre d'elle pour constituer son objet de science, l'empêche à son tour de reconnaître l'intérêt et le rôle du passage par la signification.

Dans une deuxième partie, nous voudrions préciser cette première approche en soulignant plus nettement le rôle du temps et de l'action.

L'intérêt du structuralisme est de confirmer la pensée marxiste en donnant un pouvoir de critique interne à son action révolu- tionnaire. La praxis courait le risque, dans un contexte industriel développé, de ne plus percevoir sa dimension interne de mécanisme fonctionnel inconscient. Cette perception est la condition de son adaptation à l'ordre industriel. Avec la signification, la praxis poursuit toutes les valeurs, mais la « passion de l'échange » qui ne perçoit pas sa dimension interne de « passion de l'inceste » devient dangereuse en milieu industriel (1).

II. - Le « mana » reste le « gage de tout art, toute poésie, toute invention mythique et esthétique » (2) et, comme le dit Lévi- Strauss dans le même texte, la connaissance scientifique ne le discipline que partiellement. L'analyse structurale nie constam- ment l'évidence pour avancer vers ce qui prend soin de se cacher. Dans un premier temps, il faut vigoureusement agir pour bénéficier ensuite de la contemplation esthétique souhaitée. On n'atteint jamais à une « éternité » au bout d'une route qui annule progres- sivement la conscience du temps. On peut, sur cette route, faire un long chemin, mais on n'atteint pas au but (3).

La recherche structurale lutte contre le « temps ». Elle n'est pas « à la recherche du temps perdu », elle est volonté de rendre la conscience qui vit la fuite du temps à son accrochage « systé- matique », pour la freiner ensuite et remonter en quelque sorte le mécanisme de la diachronie. Cette action fait effet de serrage et replie le temps sur lui-même. Il faut se laisser porter par le courant pour essayer de l'annuler, non dans les faits mais en remontant vers les structures qui s'y font et s'y défont. Travail éprouvant,

(1) « Passion de rechange » ou poursuite de la signification, « passion de l'inceste » pour apercevoir que tout ce qui y pousse n'est pas à la disposition de la conscience révolutionnaire comme le serait une pomme dans la main. Qu'il me soit permis de citer ici mon ouvrage : Yvan Simonis, Claude Lévi- Strauss ou la « passion de Vinceste ». Introduction au structuralisme, Paris, Aubier-Montaigne, 1968.

(2) Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss, préface de Claude Lévi- Strauss, à Sociologie et anthropologie de Marcel Mauss, Paris, Presses Uni- versitaires de France, 1950, p. xlix.

(3) Voir Yvan Simonis, op. cit., p. 138-139, p. 140 et sq.

- 123 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

YVAN SIMONIS

contre un courant récusé dont on cherche la source afin de lé rendre intelligible. Lévi-Strauss regrette l'impact des événements sur les structures, il regrette le timbre des harmonies perdues (1).

Le structuralisme renouvelle nos conceptions du temps en révélant la compromission du symbole et du temps. Le temps serait l'expérience psychologique entretenue par les symboles qui entraînent l'action. Dans la mesure où l'on perçoit que les symboles sont les points d'assemblage de différents systèmes de signes, dans la mesure où l'on rend la conscience du symbole à la conscience de sa recette de signes, on annule le temps du symbole qui ne peut plus jouer le même rôle, il est déjà vécu d'une autre manière.

En 1963, Paul Ricœur disait : « Je suis à la recherche d'une troisième temporalité, d'un temps profond, qui serait inscrit dans la richesse du sens et qui rendrait possible l'entrecroisement de ces deux temporalités (celle de l'herméneutique et celle de la tradition). Ce serait comme une charge temporelle, initialement portée par l'avènement du sens. Cette charge temporelle rendrait possible à la fois la sédimentation dans un dépôt et l'explicitation dans une interprétation ; bref, elle rendrait possible la lutte de ces deux temporalités, l'une qui transmet, l'autre qui renouvelle » (2).

On peut être entièrement d'accord avec cette pensée, même dans les termes d'une compréhension structuraliste. Elle confirme que les problèmes philosophiques se renouvellent actuellement autour de la notion de temps et parce qu'il est montré que le temps et le symbole sont liés. Le champ de l'herméneutique n'existe que parce qu'il y a symbole, et la reprise du sens par le sens n'est possible et nécessaire que parce que le « mana » n'est jamais totalement exprimé dans quelque discours que ce soit. L'inter- minable ambition du discours et de l'action est de l'exprimer ; les symboles s'essayent à des « raccourcis ». Le piège est ici. En effet, le symbole cache les systèmes qui s'y rencontrent en un point, accordant l'illusion d'une expérience indicible.

L'art de Lévi-Strauss est d'avoir interprété le « mana » comme « signifiant flottant ». Tout est ainsi joué. En le qualifiant ainsi, Lévi-Strauss s'apprête à une opération de récupération et cette opération réussit en partie. L'activité de la recherche structurale a un effet de serrage et de puissant freinage, le signifiant et le signifié se rapprochent, le signifiant renvoie à lui-même, le « mana », ce « mystérieux » signifié, se révèle être de la même famille que le signifiant, le signifiant se signifie en signifiant son propre contenu.

Le symbole tombe dans le piège de 1' « essence », voie directe vers le jungisme comme le souligne Lévi-Strauss (3). La signifi- cation que vit la conscience des symboles est toujours relative dans un système d'oppositions doté d'une valeur opératoire. « Les symboles n'ont pas une signification intrinsèque et invariable,

(1) Anthropologie structurale, Paris, Pion, 1958, p. 132. ("¿) Symbolique et temporalité, Archivio di Filosofìa, n0B '-¿, 1963, p. b. [ó) L,e cru et te cuit, op. cit., p. 64.

- 124 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

L'ÉCHANGE

ils ne sont pas autonomes vis-à-vis du contexte. Leur signification est d'abord de position » (1).

« Si j'apprends le code routier d'une façon empirique (extra- linguistique), je perçois des différences, non des qualités : le rouge, le vert, le jaune n'ont (pour moi) d'autre réalité que leur relation, le jeu de leurs oppositions ; le relais linguistique a sans doute un avantage, il économise le recours à une table de fonctions ; mais aussi, en isolant et en distançant le signe, il permet d' « oublier » l'opposition virtuelle des premiers signifiants ; on peut dire que la langue solidifie l'équivalence du rouge et de l'interdiction : le rouge devient la couleur « naturelle » de l'interdit ; de signe, la couleur devient symbole ; le sens n'est plus une forme, il se subs- tantifie... » (2).

Le « mana », de fait, s'éponge, mais réussira-t-on à souder le signifiant et le signifié comme c'est le cas au niveau des systèmes phonologiques ? En tout état de cause, la métaphore a changé de définition, elle est « système ». Elle est un système dont une partie s'absente pour que celle qui se montre ait du sens, elle n'est plus une expérience indéfinissable.

La parole a du sens et produit ses effets parce qu'elle s'appuie sur deux axes fonctionnant ensemble : l'axe métaphorique et l'axe métonymique. La parole humaine a du sens parce qu'elle sous-entend son système, la métonymie a du sens parce qu'elle évoque silencieusement sa dimension métaphorique. La science aimerait dire la métaphore, son discours tend à l'univocité, elle tend à faire patiemment passer dans son discours dénotatif la richesse de la métaphore. La poésie ira dans la direction inverse ; elle est pressée, elle tente des raccourcis, elle essaye de se désin- téresser de son langage pour évoquer à l'esprit les richesses cachées de la métaphore. Quelque chose de curieux se produit sur cette voie : la poésie va tout droit vers la musique. Son travail sur les mots la rapproche de la musique à qui elle souhaite passer le relais pour traduire ce que le verbe expérimente mais reste incapable, sinon en se taisant, d'exprimer.

On sait comment, par ailleurs, Lévi-Strauss retrouve la musique (3). Contrairement à ce qu'on eût pu penser, la poésie ne va pas dans un sens différent de celui de la science. Elle est plus pressée, elle croit se réserver à la métaphore et fuir la science qui se dessèche en métonymie, mais elle est fort étonnée de voir la science aboutir comme elle à la musique. Au moment d'y parvenir, l'expérience poétique est brutalement conduite à une expérience de caractère systématique très prononcé. L'expérience à laquelle elle aboutit ne l'éclaire-t-elle pas sur celle qui l'y a menée ? La métaphore en laquelle elle fondait ses espoirs ne se révèle-t-elle pas « systématique » ?,Et si l'expérience ici n'est pas seulement de pure logique formelle, mais une expérience goûtée et sensible,

(1) Ibid., p. 64. 12) Roland Barthes, Système de la mode, Pans, Seuil, 1967, p. 42. {à) voir i ouverture de L,e cru et te cuit, op. cit.

- 125 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

YVAN SIMONIS

émotionnelle, n'a-t-on pas l'occasion de comprendre encore que rationnel et sensible sont joints, que le sensible est partie de la logique ? On atteint enfin au rationnel du signifiant, on évite le formalisme où le sensible ne saurait avoir de place. Le rationnel du signifiant devient véritablement dénotation d'un système réel objectif.

Si l'on avance, dans la ligne de Roland Barthes (1), de la connotation vers la dénotation, si l'on met en cause les impressions globales plongées dans la connotation pour aller vers des codes dits réels ou des systèmes terminologiques, si la science pour réussir doit aller au plus loin dans cette voie, on comprend que Lévi- Strauss s'intéresse aux mythes à partir de la parole, puis tente le passage à la musique. Pour atteindre, en effet, à un véritable code réel il faut aller au-delà du langage et rejoindre la structure réelle de l'esprit lui-même, car toute dénotation linguistique de ce code comprendrait inévitablement une part de connotation, une dia- lectique déjà, une transformation, une interprétation. La musique, bénéficiant du silence, exprime sans heurt le code de l'esprit lui- même. Pour réussir, il faut inverser le mouvement même de la science qui précède, pour se sentir exprimé silencieusement et plénièrement par la musique. Ce renversement cjmplet est-il possible ?

Le temps de l'action n'est-il pas la condition même de la perception des codes ? Pour comprendre la recherche structurale en mythologie ou ailleurs, il faut connaître ses réflexions sur l'art. Il faut comprendre pourquoi Lévi-Strauss refuse la musique sérielle, la peinture abstraite, pour comprendre ce qui l'oppose à -ertains types de recherche structurale en littérature.

Dans La pensée sauvage, Lévi-Strauss montre que le spectateur de l'œuvre d'art est comme « envoyé en possession » des dimensions intelligibles que l'œuvre d'art n'a pas actualisées (2). C'est bien cela que dit Barthes en parlant du lecteur en littérature : il fait l'œuvre qu'il lit. La recherche structurale se met en devoir de dire ce qui est vécu esthétiquement, hédoniquement, érotiquement. Il est possible pourtant que plus elle met au jour ces dimensions non immédiatement actualisées, moins le lecteur fait l'œuvre elle- même. Si cette mise au jour veut servir de base à une œuvre nou- velle, elle ruine la lecture et lui rend la création de l'œuvre impos- sible. Même s'il est capable de dire les dimensions non actualisées de l'œuvre, expérimentées dans la lecture, le chercheur ne pourra les tenir consciemment toutes et devra les oublier s'il veut lire. Le littérateur qui se met à écrire à partir de ce qu'il oublie fausse l'écriture en croyant disposer de la métaphore, en pensant que les codes inconscients sont à sa disposition au point de réussir à établir deux codes culturels. Sur ce point, Lévi-Strauss fait objection et se refuse à cette action » (3).

(1) Voir Système de la mode, op. cit. (2) La pensee sauvage, op. cit., chap. Ier. (ó) Voir, ici encore, i ouverture ae Le cru et te cuit.

- 126 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

L'ÉCHANGE

II existe cependant un incessant mouvement d'extériorisation de ce qui restait caché dans l'activité sociale, littéraire ou scienti- fique. Les impressions « mystérieuses » se traduisent en codes intel- ligibles. Le développement rapide de l'électronique, l'intervention multipliée des machines cybernétiques entraînent une modifi- cation du « regard » de l'homme sur les choses et sur lui-même. L'homme est dans une situation nouvelle, le voici observateur « quand lui-même est l'observé » (1). Ces types de machines trans- forment la vision humaine, ces machines lui renvoient une image de lui-même qui l'observe et qu'il observe. On peut espérer de cette conjoncture particulière un bénéfice : la possibilité « d'étudier authentiquement la fonction temporelle en tant que variable indé- pendante dans l'exercice d'un comportement » (2).

Aller vers les codes à la manière du structuralisme, c'est aller à notre avis vers les produits des feed-backs de l'activité d'échange, c'est aller nécessairement vers le kaléidoscope parce que c'est oublier la fonction temporelle dont ces codes eux-mêmes ne disent rien (3). Les codes, disions-nous, ont toujours traversé la signifi- cation ou sont entraînés par elle, ils n'existent en sciences humaines qu'après activité humaine symbolique. La temporalité intérieure inévitable dont parle Lévi-Strauss dans La pensée sauvage ne l'intéresse pas, mais il faut bien en tenir compte et se demander si la pensée elle-même n'est pas liée à l'action dans le temps. Gomme le dit Robert Wallis : « Penser : c'est recevoir de l'espace pour agir dans le temps » (4). Non pas mouvement en deux temps : recevoir de l'espace, puis agir dans le temps, mais d'un seul tenant : l'action dans le temps et les mécanismes de la perception. Il faut essayer de comprendre comment l'esprit convertit incessamment des modèles d'espace en séquences de temps. Il faut comprendre comment le développement de la cybernétique nous y aide.

Les calculatrices électroniques forcent l'homme a développer sa pensée et son langage. « Sa pensée, en le forçant dans sa « compu- tation » intellectuelle à différencier les faux problèmes des vrais, car c'est à cette condition seulement que la séquence des termes implique le fait que bien poser le problème, c'est déjà le résoudre. Son langage, parce que du point de vue cybernétique, il apparaît au fond que les mots ne sont qu'une intégration temporelle des expériences passées et donc que le langage constitue le code des idées capables de s'extérioriser dans une action heuristique nou- velle, qu'elles servent ou non à programmer un calculateur élec-

(1) Robert Wallis, Le temps, quatrième dimension de l esprit, préface de O. Costa de Beauregard, Paris. Flammarion, 1966, p. 16.

(2) Ibid., p. 16. «... Le calculateur électronique pourra... servir de modèle imitatif à la fonction complexe humaine sans avoir à la dissocier au préalable, dissociation qui, précisément, rendait autrefois impossible l'étude des interac- tions constitutives de la fonction », ibid., p. 175. Il faudrait lire en son entier le livre de Robert Wallis qui éclaire la manière dont l'esprit naît du temps et dont le temps naît de l'espace.

(3) II n'est pas impossible que l'image centrale du « kaléidoscope » chez Lévi-Strauss soit liée à son désintérêt pour la fonction temporelle de l'esprit.

(4) Robert Wallis, op. cit., p. 179.

- 127 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

YVAN SIMONIS

tronique pour augmenter la connaissance. De toute manière l'homme, pour rester et devenir davantage encore le deus ex machina, devra s'affirmer dans sa qualité active d'homme pensant » (1).

L'énoncé vers lequel on va a toujours traversé renonciation ; l'institution humaine vers laquelle on va est toujours un produit de l'action. Le code qu'on leur découvre est un produit du feed- back engendré par l'activité elle-même, ce code découvre à l'acti- vité ce qui lui permet de prétendre à la signification. Produit d'un feed-back, mais aussi, et de plus en plus, feed-ahead et c'est pour- quoi le sujet « transcendant » est inquiet.

Grâce au structuralisme, on peut comprendre que les « valeurs » sont liées à ces codes, puisqu'elles sont liées à la signification. La pensée et le langage de l'homme sont en cause, son éthique aussi. Lévi-Strauss pense que « les valeurs ne sont pas elles-mêmes des faits sociaux mais qu'elles traduisent le retentissement, sur la conscience individuelle, de contraintes intellectuelles résultant du système des catégories collectives, et la manière dont celle-ci y réagit affectivement. Les valeurs ne se réduiraient donc pas à ce que les hommes croient et disent, elles tiennent aux contraintes inhérentes aux instruments dont ils se servent pour penser. Le problème est alors d'inventorier ces enceintes mentales, en pro- cédant séparément pour chaque société » (2). On peut raisonna- blement penser que la notion de « valeur », comme les valeurs sociales que vivent concrètement les diverses sociétés, sont liées à la notion de « signification ». En montrant que cette notion est liée au fonctionnement ordonné et autonome de l'esprit, Lévi- Strauss conduit évidemment à lier notre réflexion sur les « valeurs » à colle qui porte sur la « signification ». L'éthique renouvelle sa compréhension d'elle-même.

Gomment résumer cette accumulation de notations critiques ?

1. Les codes, qui représentent l'aspect intelligible des phéno- mènes étudiés, dépendent de la signification, soit qu'ils l'aient traversée, soit qu'ils soient entraînés par elle.

2. L'infrastructure fondamentale de la vie sociale d'une société se situe là où l'échange est le plus nécessaire, là où, par conséquent, la signification serait la plus menacée si l'échange n'avait pas lieu.

3. Les codes sont des produits du feed-back engendré par l'activité d'échange. L'activité majeure de la vie sociale entraîne l'exploitation particulière et inconsciente des autres codes qui viennent, en contrepoints divers, justifier le bien-fondé de l'impact central. Les codes multiples inscrivent dans l'ordre tellurique les résultats de l'activité centrale et contribuent à définir les possi- bilités futures de la société. Les significations, et donc les valeurs vécues dans telle ou telle société, sont en partie fonction des codes engendrés par feed-back.

(1) Ibid., p. 17. (2) Compte rendu d'enseignement, Annuaire du Collège de France, Pans,

1960, p. 201.

- 128 -

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: ÉCHANGE, « PRAXIS » CODE ET TEMPS

V ÉCHAN GE

4. Ces codes-feedback agissent aussi en feed-ahead et réchange découvre que depuis toujours il en était ainsi. L'existence des machines, et tout spécialement des machines électroniques, le rend progressivement capable de penser l'interaction nature-cul- ture, le rapport infrastructure-superstructure interne à l'activité d'échange.

5. La problématique marxiste s'en trouve probablement éclairée. On peut attribuer ce progrès à la liaison des problèmes de l'échange et des problèmes de la signification.

6. La perception par la conscience de l'environnement incons- cient dans lequel elle est plongée, et auquel elle est liée dans son activité, transforme profondément sa perception d'elle-même et particulièrement du monde des symboles qui depuis toujours la captive. La découverte de codes inconscients, à l'intérieur même du monde de l'échange, transforme la notion même de symbole. Ce qui était vécu comme « mana » est vécu comme « signifiant flottant ».

7. La notion de « temps », la conscience du « temps » elle- même, bénéficient de la redéfinition du symbole. La poursuite incessante, par l'activité sociale, du maximum de significations se calme ; la conscience psychologique de l'écoulement du temps est freinée, l'action devient vigilance et contemplation.

8. Des problèmes surgissent de la permanence de la béance du symbolique, qui entraînent inévitablement l'échange et la pour- suite de la signification. Il est impossible d'atteindre à une « éter- nité » de type musical. Il faut admettre la liaison de la fonction tem- porelle de l'esprit et de la perception même des codes inconscients ; « notre aperception des choses est liée à notre initiative d'action possible » (1).

Centre d'Études Sociologiques, Paris.

(1) Robert Wallis, op. cit., p. 190.

- 129 - CAHIERS INTERN. DE SOCIOLOGIE 9

This content downloaded from 62.122.79.31 on Wed, 18 Jun 2014 08:50:59 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions