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Émeraude-Décembre 2014

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Contre Hégel, Kierkegaard : les limites de la raison à l'irrationalismeEmmanuel Kant, genèse d'une philosophie incontournableKant et le criticismeLa critique de la raison pratique : le devoir moralLe kantisme, influence et dangerL'islam, une religion de la force

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  • no

    36 Dcembre 2014

    EMERAUDE

    Un Essai apologtique

    La pierre prcieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'meraude, se voit insulte par un morceau de

    verre habilement truqu, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procder un examen et de dmasquer

    la faute. Et lorsque de l'airain a t ml l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisment le vrier ?

    (Saint Irne, Contre les Hrsies)

    Table des matires

    Contre Hegel, Kierkegaard :

    les limites de la raison

    l'irrationalisme . . . . . . . . . 2

    Emmanuel Kant, gense d'une

    philosophie incontournable . . 5

    Kant et le criticisme . . . . . . . 7

    La Critique de la raison pratique :

    le devoir moral . . . . . . . . . 9

    Le kantisme, inuence et danger 11

    L'islam, une religion de la force . 14

    meraude est aussi un blog :

    emeraudechretienne.blogspot.com

    Toute remarque, correction ou

    proposition de textes peuvent tre

    envoyes l'@ mail suivante :

    [email protected]

    Librons notre vie intrieure et intellectuelle...

    Les missionnaires catholiques en Core du Sud rencontrent actuellement de graves

    dicults d'vanglisation auprs des jeunes Corens. Comment en eet les

    toucher quand ils sont pris dans l'engrenage infernal de la rentabilit ? Ils ne cessent

    en eet de courir pour qu'aucune seconde ne soit inoccupe, qu'aucun temps ne soit

    perdu. Dans une ville agite, aux multiples enseignes lumineuses, les rues bruyantes

    se gorgent d'innombrables Smartphones qui imperturbables se suivent et se croisent

    dans une marche haletante. Foule nombreuse o se mlent paroles et pages internet..

    Lutte erne contre le temps...

    Comment alors intresser ces jeunes aux choses essentielles de la vie ? Comment

    lever leur me aux biens clestes ? Comment leur faire apprcier le silence de la

    prire ? Ils s'puisent suivre le temps. Ils n'ont plus de temps pour eux-mmes. Dans

    ces conditions, que devient leur vie intrieure et intellectuelle ? Il est particulirement

    ardu de nourrir son esprit quand il n'est jamais au repos. Il nit par prir quand il

    est sous l'emprise totale de la vie extrieure.

    Quand nous songeons ces Corens, nous ne pouvons ignorer notre propre situation.

    Car nous-aussi nous ne cessons de courir au travail et la maison, dans le mtro

    et dans la rue, pendant la semaine et le week-end. Presss pour mille raisons, nous

    supportons aussi la tyrannie du temps. Mais comme cela ne sut pas, nous courons

    aussi dans le monde virtuel de l'Internet. A une vitesse prodigieuse, nous traversons

    les mers et les valles, nous courons la recherche du dernier buzz ou de la dernire

    information, nous cherchons la moindre occasion pour fructier le temps qui passe.

    Et pendant qu'un nombre innombrable de pages Internet dlent devant nos yeux

    bahis, le temps passe en eet.

    Emptrs dans un rythme ern, nous nissons par ne plus pouvoir xer notre esprit.

    Les textes longs nous sont trs pnibles. La rexion nous est dicile. Toute lenteur,

    toute attente nous sont insupportables. Seuls en fait l'imaginaire, l'extraordinaire,

    l'motion nous enchantent. Car eux-seules ont le pouvoir d'emporter de nouveau notre

    esprit. Nous sommes en qute de mouvement et non de rexions.

    Posons-nous un instant et contemplons ce gchis. Combien de temps perdus dans des chimres ? Ne nous abusons pas. Le

    travail n'en est pas la cause. Combien de fois nous sommes-nous surpris de travailler pour travailler ou pour nous donner de

    l'importance ? Combien de choses supposes importantes nous a vainement accapars ! Le progrs est pourtant cens nous

    soulager ! Il ne faut pas se leurrer. Le travail appelle le travail. L'informatique amplie notre capacit de travail et nos erreurs.

    Et il est beaucoup plus simple de courir au travail pour viter de travailler vritablement, c'est--dire en profondeur. Nous

    avons souvent t tmoins d'hommes plus soucieux de se perdre dans des runions que de travailler srieusement. D'autres

    nous ont tonns par leurs activits dbordantes. Entre deux runions, ils ont encore le temps de se lancer dans des projets

    et de produire. Fantastique ! Pourtant quand le temps de l'merveillement est pass, la ralit est toute autre. Que reste-t-il

    en eet de leur travail quand ils nous quittent ? Des souvenirs... Rien de solide...

    Nous courrons car nous voulons bien courir ou plutt fuir. Devons-nous vraiment partir en vacances chaque t ? Devons-

    nous toujours bouger le dimanche ? Pourquoi si peu de repos ? La peur de l'ennui ? Du silence ?... Et quand sonne le moment

    du repos, nous n'avons qu'une hte : se distraire. Qu'est-ce se distraire si ce n'est s'oublier ?...

    1

  • Contre Hegel, Kierkegaard : les limites de la raison l'irrationalisme

    Hegel a labor un systme dont le but est de tout expliquer, y compris le christianisme. Dans le monde qu'il a construit,

    o la pense et la ralit se confondent, chaque chose est en mouvement et porte en soi le moteur de son mouvement. Dans

    l'hglianisme, la dialectique est le moteur de la pense et de toute ralit. Tout s'explique par la dialectique hglienne. Aprs

    avoir port notre regard sur Hegel

    1

    , nous allons dsormais nous tourner vers un de ses plus lucides opposants, Kierkegaard.

    Face la spculation toute puissante de l'idaliste, Kierkegaard pose l'existence et par l pourfend l'hglianisme

    et tout systme rationaliste. Mais emport son tour par sa pense, il nit lui-aussi par s'garer. Avec lui, nous tombons

    alors dans l'irrationalisme...

    Kierkegaard (1813 1855), un penseur religieux tourment

    Protestant danois, lev dans une atmosphre trs dure, domin par les ides de pch et de devoir,

    Kierkegaard a abandonn toute pratique religieuse ds qu'il est sorti de la tutelle paternelle. Aprs une vie

    dissipe, il retrouve une vie religieuse fervente. Mlancolique et solitaire, d'une personnalit tourmente, il

    vit en-dehors de tout cadre tabli. Indpendant, il crit aussi beaucoup de livres et se lance souvent dans

    des polmiques parfois violentes. Le jour, il frquente le monde, o son esprit lui permet de briller. La

    nuit, il mdite et il crit, surexcit par l'auence de ses penses

    2

    . Il se considre comme un penseur

    religieux dont l'objectif est de rendre ses contemporains plus attentifs au christianisme tel

    qu'il le considre, fortement imprgn de protestantisme. Enn, dans la dernire anne se sa vie,

    il se pose comme un adversaire acharn de l'glise protestante, d'un protestantisme ociel, institutionnel.

    Il dlaisse les subtilits de la pense pour lancer des attaques d'une extrme violence. Il prne un

    christianisme de pure intriorit, en particulier indpendant de l'tat.

    L'histoire de cet homme a fortement pes sur ses penses. Kierkegaard a vcu une enfance imprgne d'une ducation

    religieuse austre et touante. Il ne cessera jamais de dnoncer ce christianisme qui a ni par oublier la vie intrieure

    au prot du conformisme social. Toute sa vie, il luttera pour donner sens l'existence. Et l'existence ne se rduit

    pas un concept abstrait. L'homme se dnit par son existence, une existence qui rencontre des preuves, des ruptures,

    des sourances. Il demande surtout de consentir l'eort que requiert l'existence mme. L'existentialisme est n de sa

    douloureuse exprience.

    Les contradictions de l'hglianisme

    Kierkegaard pose les limites de la raison et les contradictions de la pense hglienne. Hegel fonde sa

    philosophie sur la capacit de la raison de construire un systme qui par lui-mme doit tout expliquer. Or la

    raison est impuissante par elle-mme le dnir, c'est--dire en poser les limites. Car il faut bien arrter la

    rexion qui en soi est innie. La rexion ne peut tre arrte que par quelque chose d'autre, et cette autre

    chose est tout dirent du logique car c'est une dcision . En outre, un systme ne peut tre totalement

    explicatif que s'il est achev. Mais est-il vraiment ni ? Non, il est toujours en voie de dveloppement.

    Ainsi son incompltude est la marque d'une profonde contradiction. Ce que Hegel propose n'est pas

    vraiment un systme mais l'eort d'un homme laborer un systme.

    Kierkegaard montre alors toute l'absurdit de cet eort. Hegel introduit le mouvement dans la logique. Or la logique

    est intemporelle. Elle est incapable de comprendre le mouvement. N'est-il pas extraordinaire de poser le mouvement comme

    base d'une sphre o il est impensable, ou de laisser le mouvement expliquer la logique, alors que la logique ne peut pas

    expliquer le mouvement ? Bergson prcisera son tour l'incapacit de la raison de concevoir la dure. Elle ne peroit

    que l'instant sous forme spatiale

    3

    . Or sans dure, il n'y a point de mouvement. La raison ne comprend le mouvement que

    sous la forme d'une succession d'instants.

    L'impossibilit de concevoir l'existant

    La pense ne conoit l'tre que hors du temps. Ainsi elle ne conoit la ralit que sous la forme de la possibilit. En un

    mot, elle ne conoit que des essences. Or l'existence est ce qui spare . La ralit contient des alternatives que la pense

    ne peut concevoir. Dans la vie relle, telle chose est choisie l'exclusion d'une autre. La ralit est nalement un champ

    restreint des possibilits qui en fait n'en sont plus. Ainsi la ralit est concrte contrairement la pense qui volue

    dans l'abstraction, dans le champ de toutes les possibilits. La ralit est le monde du non-choix. Une chose est ou

    n'est pas. Une action est entreprise et pas une autre.

    1. Voir meraude, articles L'idalisme allemand au XIXe sicle , La dialectique hglienne , Le mirage de l'hglianisme , octobre

    2014.2. Roger Verneaux, Histoire de la philosophie contemporaine, chapitre I, II, Beauchesne, 1960. Toutes les citations sauf exception sonttires de cet ouvrage.

    3. Un instant est peru comme un point, le temps, une droite oriente.

    2

  • Pour exister, la pense abolit donc la ralit. La ralit ne se laisse pas exprimer dans le langage de l'abstraction,

    car le plan o celle-ci se tient n'est pas celui de la ralit, mais celui de la possibilit. L'abstraction ne peut se rendre matresse

    de la ralit qu'en l'abolissant : l'abolir signie justement la transposer en possibilit. La pense songe aux tres abstraits,

    purs, intemporels, sans aucune alternative quand la ralit pose des tres individuels, concrets. Contrairement au principe

    fondamental de l'hglianisme, nous ne pouvons pas confondre la ralit et la pense.

    Constatons que le philosophe qui construit le systme ne s'y inclut pas. Il prne l'objectivit et se dsintresse de lui

    mais nous arrivons un systme qui ne peut pas le comprendre, l'expliquer. Paradoxe signicatif. Le systme peut tout

    expliquer sauf lui-mme !

    Kierkegaard en conclut donc en l'impossibilit rationnelle de dnir un systme capable d'expliquer l'existence.

    La spculation est en fait incapable de penser l'existence, de l'expliquer, de le dmontrer. Il rappelle Aristote qui avait montr

    que l'individu n'est pas conceptualisable. Qu'un penseur abstrait dmontre son existence par sa pense, c'est une trange

    contradiction, car dans la mesure o il pense abstraitement, il fait abstraction prcisment du fait qu'il existe .

    Nous pouvons peut-tre mieux comprendre le problme de la science quantique lorsqu'elles doivent interprter ses rsultats

    dans le monde rel. Le problme se trouve justement dans le passage entre l'inniment petit, qui n'est concevable qu'au moyen

    de la pense, et notre dimension sensible directement connue. En concevant la nature sous forme purement mathmatique,

    cette science ne peut parvenir l'existant.

    L'absurdit de la mthode hglienne

    Selon Kierkegaard, la raison ne peut donc dmontrer l'existence. Le christianisme n'est

    donc pas dmontrable. S'il contient une doctrine, il n'est pas une doctrine philosophique

    qui veut tre comprise spculativement . Il n'est pas un systme. Il est donc absurde de

    vouloir spculer sur son sujet. Le christianisme est une doctrine qui veut tre ralise dans

    l'existence .

    Kierkegaard considre donc absurde le fait de vouloir justier le christianisme par une

    dmarche rationnelle. Cela rvlerait un manque ou une perte de foi. Le fait de chercher des preuves

    rationnelles signie en eet qu'on ne croit plus. Le fait de dmontrer la vrit du christianisme conduit

    cesser de croire. Certes, la foi disparat si la raison devient le fondement de l'adhsion au

    christianisme mais il est lgitime de vouloir montrer que la foi n'est pas incompatible avec

    la raison. La foi est en eet raisonnable.

    Il est alors facile de comprendre l'absurdit de la mthode hglienne. Hegel ramne le christianisme une

    simple doctrine et l'enferme dans des concepts. Par cette abstraction, il en oublie l'essentiel. Il peut alors intgrer

    le christianisme dans son systme. Il lui reconnat une certaine vrit pour ensuite la dpasser. Il le conoit comme une

    tape du dveloppement de l'Esprit. On a dit beaucoup de choses bizarres, pitoyables et rvoltantes sur le christianisme,

    mais la chose la plus bte qu'on ait jamais dites est qu'il est vrai jusqu' un certain degr.

    La pense subjective

    Pour s'opposer l'hglianisme, Kierkegaard focalise sa pense sur l'existence. C'est pourquoi il est considr comme le

    pre de l'existentialisme.

    Il distingue la pense objective de la pense subjective. Au lieu que la pense abstraite a pour tache de comprendre

    le concret, le penseur subjectif a pour tche de comprendre l'abstrait. La pense abstraite dtourne son regard des hommes

    concrets au prot de l'homme en soi ; l'abstraction tre un homme , le penseur subjectif la comprend concrtement : tre

    tel homme particulier existant. Le penseur objectif ne songe pas l'homme qui pense contrairement au penseur subjectif

    qui pose un sujet pensant et quelque chose qui est pense. Le penseur subjectif doit en fait se comprendre lui-mme dans

    l'existence. Il pense ainsi en relation avec lui-mme alors que le penseur objective est dsintress. Il prend

    donc conscience de lui-mme et de tous les problmes de l'existence. Il est nalement passionn.

    Le penseur subjectif doit aussi aronter les contradictions dans lequel l'homme se dbat. L'existence est une norme

    contradiction dont le penseur subjectif ne doit pas faire abstraction, mais dans laquelle au contraire il doit rester. Et face

    ces contradictions, l'homme doit ncessairement choisir. Par consquent, la vrit objective qui est le but de la pense

    objective est sans intrt. L'important est d'tre dans la vrit, c'est--dire d'atteindre la vrit subjective au

    sens d'appropriation, d'intriorit, ce que peut saisir le penseur subjectif. Ainsi concernant Dieu, le penseur

    subjectif est plus proccup des rapports qu'il doit entretenir avec Dieu que la connaissance de Dieu. La

    pense objectif ne peut en fait atteindre Dieu puisqu' Dieu tant sujet, n'existe qu'intrieurement pour la subjectivit . La

    foi est nalement la pointe de la pense subjective .

    3

  • L'homme est un devenant

    Insistons sur une des catgories de la pense de Kierkegaard : le devenir est l'existence mme du penseur . La ralit

    laisse l'homme devant des alternatifs. Chaque fois que l'homme choisit quelque chose, c'est lui-mme qui se choisit.

    Se choisir soi-mme est la dnition mme de la libert. Quand nous choisissons le pch, nous nous choisissons coupables.

    Pour tre libre, il faut sortir de son indirence pour choisir de se choisir. La grandeur de l'homme ne consiste pas tre

    ceci ou cela, mais soi-mme, et tout homme le peut quand il veut .

    Selon certains commentateurs, Kierkegaard en vient opposer le devenir chrtien l' tre chrtien , opposition

    qui fait de l'individu la catgorie centrale de son christianisme. Il reprend, en le dnaturant, un des arguments de

    Tertullien : on ne nat pas chrtien, on le devient . En fait, dans les propos de Kierkegaard, nous retrouvons son hostilit

    envers l'glise protestante institutionnelle et le conformisme social qui dtermine socialement le fait d'tre chrtien.

    Nous sommes loin de la pense de Tertullien.

    Les trois sphres d'existence

    Selon le degr de libert, Kierkegaard distingue direntes types d'existence : il y a trois sphres d'existence :

    l'esthtique, l'thique et la religieuse . Ce sont dirents modes de vie hirarchiques qui se dterminent par leur n. Ces

    sphres s'excluent strictement.

    La sphre esthtique est une vie dissipe, toute entire consacre la jouissance. Il vit dans le prsent sans

    rapport avec l'ternit. C'est la sphre du penseur objectif. Il ne s'approprie pas de la vrit qu'il contemple. Il ne la vit

    pas. Il ne se choisit pas. Par consquent, il n'existe pas, il n'est que possible. Nous sommes donc au stade de la sensation, de

    l'immdiatet de l'instant, du dsespoir. Tout est retranch, sauf le prsent ; quelle merveille alors qu'on le perde dans la

    perptuelle angoisse de le perdre !

    4

    La sphre thique est une vie srieuse dont le premier souci est l'accomplissement du devoir. Engag dans l'existence,

    l'homme s'est appropri de son devoir. Il s'est donc choisi. Il existe donc de faon authentique. Mais s'il s'arme en tant

    qu'individu, il s'est aussi tabli dans le gnral que trace le devoir. Il est donc la fois homme unique et gnral. Nul n'est

    comme lui, et en mme temps il est devenu gnral. Kierkegaard considre cette sphre comme l'art vritable de la vie

    mais l'homme n'atteint pas sa plnitude, le but suprme de sa vie.

    La sphre religieuse est celle o l'homme existe au plus haut point. Il vit selon la foi, c'est--dire selon un

    mouvement passionn de la volont qui vise la batitude ternelle. Or la Rvlation va l'encontre de la raison. Le dogme

    de l'Incarnation Dieu fait chair, l'inni n dans le temps est dni comme le paradoxe absolu. Perdre la raison pour

    gagner Dieu, c'est l'acte mme de croire .

    Contrairement Hegel qui intgre la contradiction dans la raison, Kierkegaard l'exclut de la raison tout en l'acceptant.

    Le paradoxe est au-dessus de la raison. L'homme doit donc le maintenir en lui sans chercher le rsoudre. Kierkegaard

    considre Notre Seigneur Jsus-Christ comme le Paradoxe absolu. La foi est de l'ordre du paradoxale. La foi est

    au-dessus de la raison. [...] La foi ne peut donc pas tre prouve, fonde, conue car il lui manque l'articulation qui rend

    possible un enchanement, ce qui ne veut rien dire d'autre sinon qu'elle est un paradoxe.

    5

    Le paradoxe nat du rapport

    qui existe entre la vrit ternelle et l'existence humaine. Cette vie est alors sourance, un cruciement de l'intelligence .

    Mais en prenant conscience du pch et en se tenant ainsi devant Dieu, l'homme approfondit son individualit. Oser fond

    tre soi-mme, oser raliser un individu, non tel ou tel, mais celui-ci, isol devant Dieu, seul dans l'immensit de son eort

    et de sa responsabilit, c'est l l'hrosme chrtien .

    Il est possible de passer d'une sphre une autre mme si elles sont spares par l'abme. Kierkegaard parle de saut

    existentiel . Contrairement Hegel, il ne conoit ni conciliation, ni synthse. L'homme peut raliser ce saut en un

    instant par un acte de libert. Aucune logique ne peut le contraindre passer d'une sphre une autre. Personne ne peut

    le faire pour lui. Cependant, il est possible de s'y prparer. Cette sorte de prparation est une dialectique au sens qu'elle est

    existentielle. Son rle est de faire prendre conscience de l'insusance et de l'inconsistance des sphres infrieures.

    Dans sa sphre esthtique, cette prparation est l'ironie clairvoyante ; dans sa sphre thique, elle est l'humour.

    En conclusion, Kierkegaard a le mrite de montrer toute la faiblesse d'une philosophie idaliste, et notamment l'hglianisme,

    en recentrant les questions sur l'homme concret, sur son existence. Il a aussi le mrite de s'opposer une forme de christianisme

    vide de spiritualit et de vie, fait de conformismes et de contraintes. Mais force d'insister sur le vcu de l'homme, il

    en vient dnigrer la raison et la doctrine chrtienne. La connaissance rationnelle est qualie de fantasmagorie

    6

    .

    Il dnie toute certitude la connaissance naturelle. Il conduit au scepticisme.

    4. Kierkegaard, L'Alternative, cit dans Problmes et grands courants de la philosophie de Louis Jugnet, ditions de Chir, 2013.5. Kierkegaard, Post-Scriptum aux Miettes philosophiques cit dans Le Monde des religions, article no 3, Cls pour comprendreSoren Kierkegaard de Henri de Monvallier, 21 dcembre 2011.6. Kierkegaard, Post-Scriptum cit dans Problmes et grands courants de la philosophie de Louis Jugnet.

    4

  • S'il faut dnoncer l'ambition d'Hegel de construire un systme philosophique totalitaire, il est encore plus condamnable

    de construire une philosophie sans systme. Car naturellement, la spculation tend une forme systmatique. Elle

    se construit, s'organise et tend former un systme cohrent. N'est-ce pas un des principes de la philosophie ? Kierkegaard

    s'gare dans une critique radicale contre la raison au point de draisonner. Alors qu'il attaque les prtentions de la

    raison, il n'chappe pas non plus la raison et ses dangers. Tout en condamnant l'intellectualisme, il intellectualise

    son tour et raisonne avec des notions bien abstraites.

    Emmanuel Kant, gense d'une philosophie incontournable

    Le XIXe sicle est marqu par un foisonnement philosophique impressionnant, surtout en Allemagne.

    Cette activit spculative n'est pas sans importance. Le XXe sicle en a t profondment inuenc.

    Notre manire de penser l'est encore. Nombreuses sont les thories, y compris scientiques, qui ont leur

    origine dans ces philosophies. La confusion des ides que nous connaissons aujourd'hui en est aussi une des

    consquences. En dpit de la diversit de leurs penses et de leur particularisme, Fichte, Hegel, Heidegger,

    Kierkegaard et tant d'autres encore se rfrent directement ou non un philosophe marquant du

    XVIIIe sicle, Kant. Avec Kant, cependant, l'homme occidental entre dans une lucidit, une profondeur

    et une intelligence que nul avant lui, sur le terrain philosophique en tout cas, ne peut lui contester.

    Dans l'histoire des ides et des systmes, seul Aristote et saint Thomas ont autant d'importance.

    7

    Les philosophies du XIXe sicle sont en eet dicilement comprhensibles sans le kantisme. Il nous est

    donc devenu impossible de poursuivre notre tude sans l'aborder.

    Kant, professeur protestant tranquille

    Kant (17241804) vient d'un milieu modeste et protestant 8. Il entre au collge en 1732 puis l'Universit en 1740. En1755, il est nomm privat-docens 9 l'Universit de Koenigsberg, puis en 1770, il y est reu docteur et devient ennprofesseur ordinaire. Dans sa thse de doctorat apparat pour la premire fois l'ide critique d'o sortira le criticisme.

    En 1781, son grand ouvrage intitul Critique de la raison pure est publi. Il va rvolutionner la philosophie. De nombreuxlivres sont ensuite publis un rythme rapide : Critique de la raison pratique (1788), Critique du jugement (1790), Lareligion dans les limites de la simple raison (1793).

    De sant chtive, Kant est un professeur remarquable au dire de ses lves. Il suit une carrire normale, sans grande

    dicult, marqu par un labeur intellectuel extraordinaire. Contrairement aux philosophes allemands du XIXe sicle, il ne

    semble pas avoir connu de troubles ou d'inquitudes religieuses.

    Son origine protestante et plus spcialement le pitisme

    10

    ont inuenc sa formation et sa philosophie.

    Kant a en eet adopt la conception luthrienne de la foi, c'est--dire comme dmarche de la volont sans motif intellectuel,

    sur laquelle il btit sa mtaphysique : la libert, l'immortalit de l'me et l'existence de Dieu sont indmontrables et

    inconnaissables. Il adopte aussi la doctrine du libre examen, qui est en fait le pivot de sa morale. En rgle gnrale, cette

    doctrine est applique dans l'interprtation de la Sainte criture. Kant l'applique sur le plan moral : la conscience est

    autonome, elle n'obit qu'aux lois qu'elle se donne elle-mme.

    Le dogmatisme de Wolf

    Au cours de sa formation intellectuelle, Kant a surtout connu la philosophie de Wolf. Vritable

    pdagogue de l'Allemagne , Wolf (1679 1754) a dius de nombreux ouvrages philosophiques danstoute l'Allemagne. Clairs, prcis et rigoureux, ses traits recouvrent l'ensemble de la philosophie. Kant

    le considre comme le plus grand de tous les philosophes dogmatiques . Il fait surtout l'loge de sa

    mthode.

    La philosophie deWolf est la science de toutes les choses possibles , c'est--dire ce qui n'implique pas de contradiction .

    La vrit est alors ce qui lui parat concevable. Elle est donc dnie par rapport au possible et non l'existence. Son principe

    de base est donc le principe de contradiction. Mais contrairement Aristote, il s'agit d'une loi de la pense et non de

    l'tre. Aristote s'appuie sur l'vidence objective, Wolf sur une exprience intellectuelle. Nous exprimentons que la nature

    de notre esprit est telle que, quand il juge que quelque chose est, il ne peut pas juger en mme temps que cette chose n'est

    pas . De la loi de la pense, Wolf en vient la loi de l'tre : il ne peut se faire que la mme chose la fois soit et ne soit pas .

    7. Initiation la philosophie moderne, CTU 2012 13, Kant et le criticisme, rouen.catholique.fr.8. Sa mre appartenait la secte protestante des Pitistes.

    9. Le privat-docent est un titre universitaire. Il dsigne un enseignant qui obtient une habilitation et peut donner des cours particuliers et

    des confrences sans nanmoins recevoir une chaire d'enseignement (Wikipdia).

    10. Le pitisme est un mouvement mystique de retrait du monde, qui tente de fuir les malheurs de la civilisation pour se diriger vers une foi

    rchie, intellectuellement dmontre. (Wikipdia).

    5

  • Le deuxime principe qu'il adopte est le principe de raison susante de Leibniz : rien n'est sans une raison susante

    qui permette de comprendre pourquoi cela est ainsi plutt qu'autrement . Wolf tente de le dmontrer par le seul principe de

    contradiction.

    Wolf dnit l'tre comme ce qui peut exister et l'essence ce qui est premirement conu dans son tre. Il identie nalement

    l'essence avec la possibilit. L'essence est constitue de caractres qui ne se contredisent pas et qui ne se dduisent pas l'un de

    l'autre. L'essence est la raison susante pour laquelle les caractres lui appartiennent ou peuvent lui appartenir. L'existence

    est alors dnie comme le complment de la possibilit . Elle a peu de rle et d'importance. Wolf accorde en eet

    le primat l'essence. L'essence d'un tre n'est pas autre chose que sa possibilit intrinsque ; celui qui comprend cette

    possibilit comprend l'essence, et celui qui comprend la possibilit, c'est celui qui est en mesure de la dmontrer a priori

    11

    .

    En rsum, pour Wolf, l'existence se dnit par rapport au possible. Avec ses principes et en suivant la dmarche de

    Leibniz, il dnit la preuve ontologique de Dieu, de l'tre ncessaire, celui dont l'essence est la raison susante de l'existence.

    La mtaphysique de Wolf est mathmatise l'extrme

    12

    . Elle est l'aboutissement du rationalisme issu de

    Descartes. Il commet aussi de nombreuses mprises sur la mtaphysique aristotlicienne et sur celle de Saint Thomas

    d'Aquin. Wolf prtend mme avoir port la mtaphysique sa perfection et ses contemporains l'ont cru. Kant n'a pas tudi

    d'autres mtaphysiques que la sienne. Ainsi quand Kant critique la mtaphysique, il ne songe qu' celle de Wolf.

    Mais ses critiques touchent aussi indirectement la mtaphysique d'Aristote et de Saint Thomas d'Aquin.

    Kant critique en eet la mtaphysique de Wolf qu'il considre comme dogmatique car elle se dveloppe sans avoir

    pralablement critiqu son instrument, savoir sa raison. Ainsi prtend-il connatre l'tre en soi par raison pure,

    c'est--dire a priori, indpendamment de toute exprience. Kant garde l'ide que la mtaphysique doit tre a priori. Ses

    principes ne doivent jamais tre emprunts l'exprience, car il faut qu'elle soit une connaissance non pas physique, mais

    mtaphysique, ce qui signie au-del de l'exprience.

    13

    Newton

    Newton, le modle de l'homme de science moderne

    Newton reprsente pour Kant la science moderne, une science capable d'apporter

    une explication satisfaisante tous les phnomnes physiques. Il serait mme absurde de

    mette en doute sa vrit. Elle s'est constitue par la jonction des mathmatiques avec l'exprience.

    L'exprience prsente des faits disperss, divers, spars, et l'esprit les lie selon des lois ncessaires

    qu'il invente. L'esprit humain confre l'intelligibilit aux faits par son activit. L'exprience donne

    un contenu rel la pense.

    Nous sommes proches de l'ide centrale de Kant : la connaissance se fait par la rencontre d'une forme et

    d'une matire . La forme est a priori, c'est un acte du sujet, indpendante de l'exprience. La matire est a posteriori,

    elle est reue par le sujet, elle est une donne de l'exprience. La matire est pure diversit, faite d'lments disperss. La

    forme est principe d'unit, de liaison, de synthse.

    Hume, le plus ingnieux des sceptiques

    Un autre homme inuence Kant : Hume (1711 1776). Hume est convaincu que toutes les sciences dpendentde la science de l'homme. C'est en connaissant l'tendue et la force de l'entendement , la nature des ides dont nous

    nous servons et des oprations que nous accomplissons en raisonnant que nous pouvons transformer les sciences. Et le seul

    fondement solide que nous pouvons leur donner consiste dans l'observation et l'exprience.

    Hume s'oppose l'innisme, c'est--dire la doctrine professant que les ides sont innes. Toute ide est drive d'une

    impression, c'est--dire d'une perception forte de l'esprit humain fournie par l'exprience. L'ide n'est qu'une perception faible

    de l'esprit humain. Et toutes les ides sont particulires. L'association d'ides particulires ayant quelques ressemblances donne

    un thme gnral dont drive une ide gnrale. Les relations entre ides ne sont que de simples associations qui ne se fondent

    que sur l'habitude. La science rsulte donc d'une habitude psychologique.

    Hume

    La relation de cause eet est une des lois d'association entre les ides. Hume

    remet ainsi en cause le principe de causalit. Il n'est qu'une association d'impressions

    successives qui donne l'illusion de la ncessit parce qu'elle est psychologiquement dterminante

    pour l'esprit, et elle est dterminante parce qu'elle est habituelle. Il n'y a donc pas de

    conjonction ncessaire entre les phnomnes mais une conjonction constante . Nous

    sommes accoutums voir cette chose suivie d'un eet que nous attendons tel eet

    quand nous voyons cette chose. Une fois l'habitude prise, nous ne pouvons plus penser

    autrement.

    11. Est dit a priori ce qui est avant et en dehors de l'exprience.

    12. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, Beauchesne, 1963, chapitre VI.13. Kant, Prolgomnes, Avant-propos.

    6

  • Par consquent, le principe de causalit ne peut pas tre utilis pour dpasser le plan de l'exprience et pour poser

    l'existence d'une cause transcendante aux phnomnes. Hume condamne la mtaphysique et refuse la science la

    capacit de formuler des lois ncessaires et universelles.

    Qu'est-ce que nous pouvons nalement connatre ? Hume soutient que nous ne pouvons rien connatre d'autres que

    nos propres impressions.

    14

    Sa doctrine est du scepticisme classique. Hors de nos perceptions, rien n'est connaissable.

    Cependant, Hume admet que l'homme sceptique n'existe pas. Il est oblig de croire pour agir.

    Wolf et Hume incarnent deux ples, l'un le rationalisme, l'autre le scepticisme. Grce Hume, Kant se rveille

    de son dogmatisme. Je l'avoue franchement, ce fut l'avertissement de David Hume qui interrompit, voil bien des annes,

    mon sommeil dogmatique et qui donna mes recherches en philosophie spculative une direction toute nouvelle.

    15

    Mais

    la critique du principe de causalit heurte Kant. Elle lui pose problme. C'est le point de dpart de ses rexions. Kant

    voit dans la critique de Hume la ruine de la science et de la morale. La science prtend poser des lois ncessaires

    quand la morale prtend poser des obligations inconditionnelles. Aprs Hume, il est ncessaire de fonder d'une manire

    indubitable la science et la morale.

    Le sentimentalisme de Rousseau

    La dernire personne qui a jou un rle important dans sa formation est Rousseau, qu'il lit avec passion. Il voit en lui

    le Newton du monde moral . Il retient de lui le sentimentalisme , c'est--dire l'ide que la conscience morale est un

    absolu, rgle unique de l'action et fondement des certitudes mtaphysiques, l'ide aussi que toute moralit rside dans la puret

    d'intention, sans rfrence la matire ou l'objet des actes humains

    16

    . Conscience, conscience, instinct divin, immortel

    et cleste voix, guide assur d'un tre ignorant et born, juge infaillible du bien et du mal, qui rend l'homme semblable

    Dieu...

    17

    Aprs avoir rappel le contexte philosophique dans lequel volue Kant, nous allons dsormais nous

    pencher sur sa philosophie. Nous allons d'abord prsenter rapidement sa philosophie qui tente de dpasser le

    dogmatisme de Wolf et le scepticisme de Hume. Pour cela, Kant tente d'apporter des rponses aux dicults

    auxquelles ces erreurs ont bien voulu rpondre grce une nouvelle mthode, la critique. Nous allons

    ensuite approfondir sa pense en prsentant la Critique de la raison pure, qui fonde notre connaissance, et

    enn la Critique de la raison pratique, qui justie notre vie morale. Enn, nous prsenterons les dicults

    du kantisme.

    Ces prsentations s'appuient essentiellement sur un ouvrage de Roger Verneaux

    18

    qui a le grand mrite de bien nous

    faire comprendre une pense complexe. Nous sommes conscients que parfois nous le paraphrasons tant ses commentaires

    nous paraissent clairs et prcis. Comme notre habitude, nous ajoutons notre rexion d'autres lectures qui confortent son

    analyse ou s'y oppose. Notre but est bien de prsenter le kantisme ou le criticisme pour nous aider dans notre

    apologtique. La connaissance de l'erreur et de ses failles est imprative pour le combat de la vrit et de la foi...

    Kant et le criticisme

    Kant s'oppose au dogmatisme de Wolf et au scepticisme de Hume. Le premier formalise une certaine mtaphysique

    abme de rationalisme quand le second refuse non seulement toute mtaphysique mais aussi toute science. L'un et l'autre

    ruinent aussi toute morale. Kant dveloppe une nouvelle philosophie souvent appele kantisme ou criticisme. Il

    consiste chapper au scepticisme en ruinant le dogmatisme qui lui fournit les armes, et dboucher sur une forme originale

    d'idalisme

    19

    . Kant se heurte ces philosophes et tente d'apporter des rponses, ces rponses elles-mmes ouvriront la

    porte d'autres erreurs...

    Synthse du kantisme

    Kant ne remet en question ni la science ni la morale. Ce sont deux faits indubitables. Il y a des connaissances

    vraies et des obligations vraies qui s'imposent toute conscience raisonnable. Il se pose alors deux questions. Comment la

    science et la morale sont-elles possibles ? Comment les concilier, l'une supposant la ncessit des lois naturelles, l'autre la

    libert des actes humains ? Pour y rpondre, il expose une mthode : la critique de la raison sous deux aspects, spculatif

    et pratique. La raison spculative permet de connatre ce que nous pouvons savoir, la raison pratique, ce que

    nous devons faire. L'une fonde la science, l'autre la moralit.

    14. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, chapitre V.

    15. Kant, Prolgomnes, Prface, cit dans Histoire de la Philosophie moderne, chapitre V.

    16. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, chapitre VI.

    17. Rousseau, Profession de foi du vicaire savoyard cit dans Histoire de la Philosophie moderne de Roger Verneaux, chapitre VI.

    18. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, chapitre VI.

    19. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, Beauchesne, 1963, chapitre VI.

    7

  • La ncessit des lois scientiques ne provient pas de l'exprience mais de notre esprit qui applique certaines lois gnrales

    de notre pense aux choses pour les percevoir et les comprendre. Ce sont des lois a priori indpendantes de l'exprience et

    de toutes conditions exprimentales. Ainsi nous ne pouvons pas connatre les choses telles qu'elles sont en elles-mmes mais

    seulement ce qui nous apparat en soumettant les phnomnes nos propres lois. Nous ne pouvons pas connatre les

    choses en elles-mmes par raison pure. Il s'oppose donc Wolf. Puis les lois sont ncessaires puisque l'exprience

    ne valent que par la soumission aux lois de l'esprit. Il s'oppose ainsi Hume.

    Mais Kant accomplit une vritable rvolution qui dpasse mme la philosophie. Il en est conscient. Il lui un nom :

    rvolution copernicienne . Avant lui, les philosophes pensaient que l'esprit devait se rgler sur les choses pour les connatre.

    Kant dit le contraire : c'est l'objet qui se rgle sur l'esprit pour pouvoir tre connu. La connaissance de l'objet

    doit prsent dpendre de celle du sujet, et c'est le sujet qui lui donne sa consistance.

    20

    L'objet de la connaissance est en

    eet scind en deux :

    le noumne

    21

    , chose en soi ;

    le phnomne

    22

    , chose pour moi, reprsentation de la chose.

    L'objectivit et donc la vrit ne sont donc plus l'adquation entre la chose en soi et sa reprsentation. Kant les renferme

    dans l'tude des reprsentations particulires et universelles de la chose. L'ide du kantisme est de considrer que :

    les noumnes existent mais sont inconnaissables ;

    les phnomnes sont les seules choses que l'homme peut connatre.

    Ainsi la ncessit n'est pas incompatible avec la libert. La ncessite s'applique en eet sur les phnomnes alors

    que la libert s'exerce dans le monde des choses en soi.

    En outre comme la raison a des lois pour connatre, elle a aussi des lois pour guider l'action. Le devoir est

    une rgle d'action qui mane a priori de la raison. La conscience se donne donc elle-mme ses lois. Le devoir n'a

    besoin d'aucune justication, d'aucun fondement puisqu'il s'impose par lui-mme tout tre raisonnable. tant absolu, il

    justie ses conditions. Elles ne peuvent tre connues de manire certaine puisqu'elles appartiennent au monde des choses en

    soi donc inconnaissable selon la critique de la raison pure. Nous devons donc admettre et tenir pour vrai ce qui est impliqu

    par le devoir, ce qui est exig pour rendre possible la vie morale. Il faut les poser par un acte de foi. Ce sont des principes de

    base, non justiables, qui servent au raisonnement. Les postulats de la raison pratique sont : la libert, l'immortalit

    de l'me et l'existence de Dieu. Ce sont des vrits sans lesquelles l'homme ne peut pas bien vivre.

    Le problme critique

    Kant commence par un fait observable : l'exprience ne peut pas fournir toute la connaissance.

    Elle ne peut que nous faire connatre des choses particulires, contingentes, sur un certain nombre

    de cas observs. Tout ce qui est ncessaire et universel ne peut pas provenir de

    l'exprience.

    Kant distingue deux sortes de jugements : le jugement analytique et le jugement synthtique. Il dnit

    un jugement analytique quand le prdicat est inclus dans le sujet de manire confuse et implicite

    de telle sorte que l'esprit n'a qu' analyser le sujet pour pouvoir porter le jugement en vertu du principe

    d'identit. Il a un rle d'claircissement, de dveloppement, d'explicitation. Il apporte clart et distinction.

    Mais il ne fait pas progresser la connaissance puisqu'il n'apporte aucune acquisition nouvelle. Le jugement

    n'est qu'explicatif. Un tel jugement n'est qu'a priori. Il n'a pas besoin de recourir l'exprience.

    Un jugement est dit synthtique lorsque l'esprit rapporte au sujet un prdicat qui n'est pas contenu en lui. Il apporte

    seule une nouvelle connaissance. Il tend donc notre connaissance. Il est extensif. Il peut tre aussi bien a priori qu'a posteriori.

    L'exprience peut fonder un jugement synthtique a posteriori. La dicult rside dans le jugement synthtique a priori. Il

    ne peut recourir ni l'exprience puisqu'il est a priori ni au principe de raisonnement puisqu'il est synthtique. Kant tente

    d'lucider cette dicult. Qu'est-ce qui permet de fonder un jugement synthtique a priori ? Toute la critique de

    la raison pure drive de cette question.

    Les axiomes mathmatiques, le principe de causalit, les principes physiques sont des jugements synthtiques a priori.

    La mtaphysique en contient aussi. Mais Kant considre que les mathmatiques et la physique sont incontestablement des

    sciences, ce qui n'est pas le cas de la mtaphysique. Par consquent, la mtaphysique doit faire l'objet d'une critique

    pour devenir une science. La critique est donc une prface oblige , une propdeutique , ou encore un prolgomne .

    La critique cherche les sources et les limites de la connaissance a priori. Elle a pour objet la raison en tant qu'elle juge a

    priori la nature des choses.

    20. Initiation la philosophie moderne, CTU 2012 13, Kant et le criticisme.21. Terme ancien utilis par Platon pour dsigner les Ides (Wikipdia). Il provient d'un terme grec noomenon , ce qui est su .

    22. Phnomne : du grec fainomenon , ce qui apparat .

    8

  • La mthode critique : l'analyse transcendantale

    La mthode qu'utilise Kant est l'analyse transcendantale. J'appelle transcendantale toute connaissance

    (recherche ou mthode) qui s'occupe non pas des objets, mais de nos concepts (reprsentations ou jugements)

    a priori des objets. Ce n'est ni les proprits de l'tre qui se trouvent dans tout tre comme l'unit, la vrit,

    la bont, ni ce qui existe en soi, hors de l'esprit. Ce qu'il appelle transcendantal est immanent. Le

    transcendantal n'est pas logique. Selon Kant, la logique ne s'intresse pas la vrit de la connaissance. Elle

    garantie la cohrence interne de la pense en posant les lois sans lesquelles il n'y aurait pas de pense. Le

    transcendantal concerne la connaissance et sa vrit quand il s'agit de connaissances a priori.

    Toute connaissance a rapport un objet, et quand la connaissance est a priori, son rapport l'objet est

    assur non par l'exprience, mais par des principes que Kant appelle transcendantaux.

    23

    . La recherche est

    oriente vers le sujet connaissant puisque son objet est la connaissance a priori donc labore par l'esprit

    indpendamment de toute exprience. Elle n'est pas d'ordre psychologique. Il procde par voie rationnelle.

    Le terme d'analyse doit tre compris dans un sens logique. Il s'agit de remonter d'un fait ses causes, d'une consquence

    ses principes. L'analyse consistera donc remonter du jugement eectu aux principes d'o il drive, qui l'expliquent ou

    le fondent.

    24

    Kant discerne trois fonctions de connaissance : la sensibilit, l'entendement et la raison. Il applique la critique

    sur ces trois plans, donnant successivement l'esthtique transcendantale, qui fonde la science mathmatique, l'analytique

    transcendantale, qui fonde la science physique et enn la dialectique transcendantale, qui dmontre l'impossibilit d'une

    mtaphysique dogmatique...

    La Critique de la raison pratique : le devoir moral

    Dans la critique de la raison pure, Kant veut montrer que dans la connaissance, les choses

    se rglent sur l'esprit et que les choses en soi sont inconnaissables. Dans la critique de la

    raison pratique, il commet la mme inversion : ce n'est pas le bien qui dtermine le

    devoir mais le devoir qui dtermine le bien. Dans le premier cas, la mtaphysique

    n'est pas source de connaissance, dans le deuxime cas, elle ne fonde pas non plus la

    morale.

    Fondements de la mtaphysique des murs

    Pour les philosophes classiques, chrtiens compris, la morale est fonde sur l'ide du bien. Une action est

    bonne ou mauvaise selon qu'elle est ou non conforme la nalit naturelle de l'homme qui le porte vers une n dernire, un

    souverain bien. Le sceptique refuse de voir tout bien ou toute rgle universelle. Ils identient la morale la satisfaction d'un

    plaisir ou d'un intrt. Kant rejette ces deux positions car elles ne peuvent pas fonder une obligation. Pour Kant, la morale

    d'un acte dpend uniquement de sa forme, c'est--dire de l'intention qui l'anime, de la conformit avec le

    devoir dict par la raison. Cela conduit la notion de la bonne volont.

    Une volont est dite bonne si elle est droite, c'est--dire si elle a l'intention d'agir par devoir. Une uvre accomplie

    par inclination ou par ncessit est sans valeur morale. L'action d'une uvre n'est bonne que dans la mesure o elle est

    accomplie par pur respect du devoir, l'exclusion de tout motif tir de la nature et de la sensibilit.

    25

    La bonne volont

    nous renvoie donc au respect comme principe subjectif de la moralit et au devoir comme aspect objectif de la moralit.

    Kant n'admet que le respect comme le seul mobile de la moralit. C'est une soumission de la volont la loi,

    accompagne de la conviction qu'on se grandit en obissant. Par le respect s'tablit une harmonie entre le plan rationnel et

    le plan sensible, une imprgnation de la sensibilit de la raison.

    26

    La bonne volont nous conduit donc au devoir. Qu'est-ce que le devoir ? C'est une loi a priori qui mane de

    la raison et qui s'impose tout tre raisonnable. C'est un fait rationnel qui se traduit dans la conscience par

    l'impratif catgorique , c'est--dire par un absolu, qui vaut par lui-mme. C'est un commandement de la moralit.

    Comme Kant dnit un jugement vrai comme tant valable pour tout tre raisonnable, de mme il tablit une maxime

    bonne si elle est valable pour toute conscience. L'universalit constitue la rationalit. Une loi rige en loi

    universelle est donc rationnelle et objective. Ainsi tablit-il le premier fondement : Agis uniquement d'aprs une maxime

    que tu puisses riger en loi universelle. A partir de cette maxime, il en dnit d'autres qui nous renvoient vers l'ide

    fondamentale de l'autonomie de la volont.

    23. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, Beauchesne, chapitre VI.

    24. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, Beauchesne, chapitre VI.

    25. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, chapitre VI.

    26. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, chapitre VI.

    9

  • La loi morale ne peut jaillir que du sujet lui-mme. Cependant, il ne se donne pas son gr sa morale, ce qui lui donnerait

    une certaine relativit. La loi morale est une loi de sa volont en tant que volont, une loi gnrale de toute

    volont.

    Le devoir s'impose en nous par nous. La volont se donne elle-mme sa loi. En cela consiste

    sa libert. La libert consiste dterminer soi-mme la loi de son action. Obir au

    devoir n'est donc jamais une contrainte qui s'exerce sur la libert au contraire, c'est la libert

    elle-mme. La libert c'est cette facult d'autonomie que nous possdons et qui nous empche d'tre

    le jouet de nos sentiments et de nos aections, et nous permet au contraire, grce la bonne volont,

    de nous imposer nous-mmes le respect du devoir.

    27

    La libert et la moralit sont donc

    identiques. Or la libert est inexplicable et inconditionne. Mais nous comprenons au moins

    son incomprhensibilit, et c'est tout ce qu'on peut raisonnablement exiger d'une philosophie qui

    s'eorce d'atteindre aux limites de la raison humaine.

    Les postulats de la raison pratique

    Dans la Critique de la raison pure, Kant a montr l'impossibilit rationnelle de fonder la mtaphysique, faute

    d'intuition intellectuelle. Mais dans la Critique de la raison pratique, il veut montrer que le devoir peut fonder

    des thses mtaphysiques. Dans son premier ouvrage, il traite de l'acte de la connaissance, dans l'autre, de l'acte de la

    foi. Ces thses sont les postulats de la raison pratique .

    Ce sont en eet des postulats au sens o ces thses ne sont pas dmontrables ou

    justiables par des motifs thoriques. Elles sont exiges par la raison pratique car

    elles sont les conditions de la vie morale. Par consquent, nous jugeons qu'elles existent

    par un acte de foi. Selon Kant, ces thses n'augmentent en rien notre connaissance. C'est

    une libre dtermination de notre jugement, avantageuse pour la moralit . Donc c'est une

    armation libre, volontaire, motive par des avantages moraux qu'elle comporte.

    Mais ce principe de jugement est fond sur le devoir et non sur l'inclination. L'honnte homme

    peut dire : je veux qu'il y ait un Dieu [...] A cela, je m'attache fermement, et ce sont des

    croyances que je ne laisse pas enlever ; car c'est le seul cas o mon intrt, dont il n'est pas

    permis de rien abattre, dtermine invitablement mon jugement. Tout tre raisonnable doit le

    penser. La conscience morale doit l'armer. Cette armation est valable universellement

    et par consquent elle est objective. Ainsi la raison pratique est suprieure la raison

    pure.

    Ces postulats sont ceux de l'immortalit de l'me, de la libert et de l'existence de Dieu . Commenons par la libert,

    le premier postulat. La moralit ncessite en eet la libert. Sans libert, point de vie morale. Donc pour pouvoir vivre

    moralement, nous devons nous croire libres. La libert n'est pas dans le monde des phnomnes comme nous l'avons

    vu dans la Critique de la raison pure. Elle n'est pas soumise nos catgories. Mais rien ne s'oppose ce qu'elle appartient

    au monde des choses en soi, monde inconnaissable. Nous en dduisons donc que l'homme est un tre dou de libert comme

    tre en soi. Il peut donc agir de sa propre initiative dans le monde sensible.

    Pour les deux autres postulats, Kant part du souverain bien, c'est--dire la conformit parfaite de nos intentions

    avec le devoir. Il est convaincu qu'aucun homme n'est capable de l'atteindre. Cependant, cette saintet ou cette

    perfection de la vertu est exige par la raison pratique. Cette perfection doit en outre se rencontrer par un progrs allant

    l'inni, ce qui n'est possible qu'en supposant l'existence et la persistance indnie de la personne, c'est ce qu'on nomme

    l'immortalit de l'me . Donc le souverain bien n'est pratiquement impossible que dans la supposition de l'immortalit de

    l'me ; par consquent, celle-ci, tant indissolublement lie la loi morale, est un postulat de la raison pratique.

    L'autre aspect du souverain bien est le bonheur. La vertu nous rend digne d'tre heureux. Et le bonheur est l'tat

    d'un tre raisonnable qui tout arrive dans le monde selon son souhait et sa volont. Mais il y a un abme entre la puret

    de l'intention et les vnements de ce monde. L'homme est dpendant du monde. Il ne peut agir sur la nature pour rpondre

    aux exigences de la moralit. La conscience postule donc l'existence d'une cause de la nature entire, distincte de la nature

    et contenant le principe de l'harmonie entre le bonheur et la moralit. Cette cause doit tre capable d'agir d'aprs la

    reprsentation de la loi morale ; elle est donc doue d'intelligence et de volont. Elle est l'auteur de la nature . Elle est

    Dieu. Ainsi le bonheur et donc le souverain bien exigent l'existence de Dieu. Nous avons donc le devoir moral

    d'armer l'existence de Dieu. Cet acte de foi est le dernier acte de la morale et le premier acte de la religion.

    Deux choses remplissent le cur d'une admiration toujours nouvelle et toujours croissante mesure que la rexion s'y

    applique : le ciel toil au-dessus de moi et la loi morale en moi.

    27. J. Hersch, L'tonnement philosophique, folio essais, 1981, cit dans Initiation la philosophie moderne, CTU 2012 13, Kant etle criticisme.

    10

  • Le kantisme, inuence et danger

    Les articles prcdents nous paraissent susants pour comprendre l'essentiel de la pense de Kant. Ainsi pouvons-nous

    dj saisir toute son importance et son inuence dans les philosophies du XIXe et du XXe sicle. Mais nous pouvons aussi

    dceler ses dicults et ses failles dont la comprhension nous est utile dans notre volont de dfendre la foi et la vrit.

    Le kantisme la source des philosophies modernes

    Le kantisme est la source de nombreux courants d'ides : l'agnosticisme, le phnomnisme, le

    positivisme et l'idalisme sans oublier le volontarisme, le disme et le pragmatisme. Tel est l'avis

    de Roger Verneaux

    28

    . Il prsente aussi le kantisme comme source du modernisme qui manifeste

    l'introduction de sa pense dans la thologie catholique. Nous avons dj constat son inuence

    dans l'idalisme allemand, en particulier l'heglianisme, dans le disme de Bautain et dans le semi-

    rationalisme de Gnther

    29

    .

    Kant dfend en eet l'ide que l'homme est incapable de connatre les choses en soi donc l'tre tel qu'il est en lui-mme,

    mme s'il arme la ncessit de croire en leur existence. L'existence de Dieu est donc inconnaissable. Il n'est pas possible de

    dmontrer que Dieu existe ou que Dieu n'existe pas. Mais il est ncessaire de la croire pour fonder la moralit. C'est donc

    un acte de foi au sens kantien et non un acte de l'entendement. Kant nourrit donc l'agnosticisme.

    Selon la Critique de la raison pure, Kant refuse toute connaissance de la ralit transcendantale. La science se limite

    la connaissance possible des phnomnes. L'intuition sensible est alors indispensable l'entendement. Sans les donnes

    qu'elle fournit, un concept est vide. Le phnomnisme et le kantisme se rejoignent donc. Nous pouvons aussi le rapprocher

    du positivisme. Ce dernier ne voit en eet la connaissance que dans la science qui se fonde sur l'exprience.

    Kant, Fichte, Schelling,

    Hegel

    Mais allons plus loin encore. Si nous ne pouvons connatre que les phnomnes,

    quoi bon les choses en soi si elles sont inconnaissables ? Pour nous nalement,

    seuls les phnomnes existent. Pire encore. Ce sont des lois de la pense qui constituent notre

    connaissance et nalement l'tre pens. Le sujet de la connaissance est nalement le

    lgislateur du monde. Tel est le fondement de l'idalisme. Certes, Kant croit en l'existence

    des choses en soi mais qu'importe. Nous ne connaissons la ralit que par les phnomnes. La

    ralit telle que nous pouvons connatre n'est nalement constituer que par les phnomnes. La

    tentation est grande de confondre ces deux mondes. Nous ne sommes pas loin de l'idalisme

    allemand. Avec une logique implacable, les successeurs de Kant chercheront supprimer tout

    simplement les choses en soi. Fichte considre qu'elles sont une pure conception de l'esprit

    puisque le principe de la raison susante n'a aucune valeur objective. Le sujet cre donc le

    noumne. Il n'est pas simplement le lgislateur du monde des phnomnes. Il en est

    le crateur.

    Si notre connaissance est forme des lois de notre esprit partir de la matire fournie par notre intuition uniquement

    sensible, nous arrivons sans grande dicult au constructivisme, c'est--dire au caractre construit et construisant de la

    connaissance et par suite de la ralit.

    En introduisant le temps dans le kantisme non comme forme de la pense mais en tant que processus, nous abordons

    le monde heglien. Certes Hegel labore sa philosophie contre le kantisme, mais il en est inuenc. Kant a surtout soulign

    l'importance du temps dans la formation de notre pense et donc de notre connaissance, ce qui donnera naissance tout

    un courant d'ides trs puissant que nous appelons volutionnisme. Kant a probablement jou un rle fondamentale en

    introduisant la notion du temps aussi nettement dans la philosophie.

    En outre, la Critique de la raison pratique fonde la moralit sur le devoir, c'est--dire sur la volont. L'autonomie

    de la volont est au cur du kantisme. L'intuition intellectuelle n'existant pas, seule la volont arme la ralit

    transcendante au sensible. La mtaphysique relve donc uniquement de la foi. Et c'est parce qu'il est ncessaire de croire

    cette ralit que nous devons y croire. Nous sommes proches du pragmatisme qui ne voit dans les consquences pratiques

    la justication des connaissances. La russite de l'action fonde nalement l'adhsion une connaissance. Nous

    sommes aussi au cur du volontarisme.

    Enn revenons aussi cette dernire ide prsente aussi bien dans la Critique de la raison pure et dans la Critique

    de la raison pratique : la vracit d'un objet et d'une loi se fonde sur l'universalit. Est en eet objectif selon Kant,

    et donc vrai, ce qui est cru par tous les tres raisonnables. Nous retrouvons le disme.

    28. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne.

    29. Voir meraude, avril 2014

    11

  • Le danger du kantisme

    Cet inventaire non exhaustif de l'inuence du kantisme dans les philosophies modernes

    n'a pour but que de montrer une des racines des erreurs actuelles et donc de rappeler

    l'importance de connatre cette philosophie pour aronter les penses contemporaines. Certes,

    cette pense est dicilement abordable. Nous avons d plusieurs reprises reculer avant

    de l'tudier. Encore, nous ne faisons qu'tudier des commentaires qui l'ont dj longuement

    digre.

    Cette dicult explique aussi notre propre dicult comprendre la pense moderne. Car le

    kantisme a labor un vritable univers de la pense dans lequel volue allgrement la philosophie

    moderne. Kant a construit un vocabulaire particulier qu'elle utilise avec aisance. Nous osons mme

    dire qu'il a biais un vocabulaire classique en philosophie en donnant aux termes anciens des sens

    nouveaux. Il a en eet employ des termes d'Aristote et de Platon tout en apportant de nouvelles

    dnitions.Un esprit classique croit ainsi voluer dans un monde connu quand nalement

    il est plong dans un univers compltement tranger, ce qui explique son incomprhension

    profonde, son garement, sa fuite.

    Depuis des temps antiques, la pense voluait plus ou moins selon le platonisme et l'aristotlisme. Or tout en usant des

    termes platoniciens ou aristotlicien mais munis de sens dirent, Kant apporte de la confusion dans la rexion. Et

    cette confusion est totale quand il nonce de nouveaux principes contraires ceux qui sont en usage depuis des sicles. Il

    vient mme bouleverser, voire rvolutionner la philosophie telle qu'elle a toujours t fonde. Nous le voyons par les deux

    principes que Kant nonce :

    la connaissance ne consiste pas en une adaptation du sujet l'objet mais de l'objet au sujet. Le fondement de la

    connaissance consiste en des lois immanentes ;

    le bien n'est plus l'adaptation de la volont la nalit de l'tre mais la nalit la volont. Le devoir est le

    fondement de la moralit.

    Par ce renversement de la pense, Kant a rvolutionn non seulement la philosophie mais l'entendement. Nous oublions

    souvent cette rvolution qui dpasse en importance les rvolutions politiques et sociales du XIXe sicle.

    Kantisme et christianisme

    Or le christianisme utilise les termes et les concepts de la philosophie classique pour justier de sa foi

    dans l'ordre rationnel. Saint Augustin dfend la religion avec les armes de Platon ou du noplatonisme. De mme, Saint

    Thomas d'Aquin use de la force d'Aristote. Le christianisme a naturellement volu dans ce contexte. Cela ne signie pas

    que ses origines sont noplatoniciennes ou aristotliciennes comme on pourrait le penser, cela signie simplement qu'elle

    a dvelopp un discours comprhensible dans ce contexte. Le but de l'glise demeure en eet la transmission de la Parole

    de Dieu pour le salut des mes, ce qui implique ncessairement un discours qui soit adapt au contexte dans lequel elle volue.

    Nous comprenons alors les dicults du christianisme lorsque le contexte intellectuel s'inspire du kantisme. La tentation

    est alors forte d'adapter le discours chrtien la pense de Kant. Un courant thomiste a ainsi t inuenc par

    le kantisme. Ces tentatives ont donn lieu des condamnations de l'glise sans cependant les arrter. Aujourd'hui, nous en

    voyons les consquences : une terrible confusion, des thses htrodoxes, voire incomprhensibles, le relativisme intellectuel

    et morale et nalement l'abandon de la foi et de la vie morale.

    Il n'est pas alors rare d'accuser l'incapacit de l'glise adapter son discours ou d'entendre des voix rclamer un

    changement de discours. Le christianisme platonicien ou aristotlicien serait inadapt donc devrait tre abandonn.

    Nous serions dans l'obligation de le changer. Il n'est pas non plus rare de dsavouer nos critiques en prtextant que

    nous voluons dans un contexte intellectuel dsormais dpass. Nos critiques viendraient plutt d'un malentendu. Nous

    emploierions des termes dont le sens n'a plus court. Tout en nous excusant de notre obsolescence ou de notre anachronisme,

    ces bons esprits nous rejettent du champ de bataille et consolident leurs positions.

    Mais la vrit est toute autre. Le christianisme n'est ni aristotlicien ni platonicien. Si ces philosophies ont t

    et demeurent encore utiles au christianisme, c'est peut-tre pour la simple raison qu'elles sont plus adaptes pour enseigner

    la vrit aux hommes. Il n'y a ni habitude intellectuelle, ni conformisme intellectuelle dans ce choix. Suggrons une simple

    hypothse : le christianisme et le kantisme sont peut-tre simplement incompatibles ! L'erreur et la vrit ne peuvent

    s'associer tout simplement. Cela explique pourquoi le phnomnalisme, l'hglianisme, le constructivisme et bien d'autres

    encore sont contraires au christianisme. L'univers kantien n'est pas la ralit mais une construction philosophique

    dans lequel le christianisme ne peut vivre. Car le christianisme ne vit que de vrits et non d'illusions.

    Donc la transmission de la Parole de Dieu ne consiste pas adapter le christianisme l'univers kantien mais s'opposer

    cette illusion et revenir l'univers rel...

    12

  • Les faiblesses du kantisme

    Jacobi (1743 1829), philosophe allemand, contemporain de Kant, a expos une des principales dicults du kantisme : sans la chose en soi, je ne puis entrer dans ce systme ; avec la chose en soi, je ne puis y demeurer. Kant admet en

    eet les choses en soi au-del des phnomnes. Elles sont mme ncessaires pour entrer dans son systme puisque toute notre

    connaissance part des impressions qui sont passivement reues dans la sensibilit. Contrairement l'idalisme allemand,

    Kant part bien de la ralit pour arriver la connaissance. Les choses en soi sont bien la source des impressions.

    Nous dirions mme qu'elles en sont la cause puisque les impressions ne sont que des actes passifs. Remarquons dj que nous

    devons faire un usage transcendant du principe de causalit alors que Kant ne lui reconnat qu'un usage immanent. Dans

    le kantisme, les choses en soi sont absolument inconnaissables, ce qui nous parat bien trange puisque nous savons qu'elles

    existent puisque sans elle, il n'y a pas d'impressions. Or n'est-ce pas de la connaissance que de savoir qu'elles existent ? Enn,

    si eectivement elles sont inconnaissables, il est inutile d'en parler. Nous pouvons en eet uniquement parler de ce

    qui est possible de connatre : les phnomnes, l'esprit, son activit, ses lois. En clair, nous entrons dans l'idalisme absolu,

    ce qui est une manire de sortir du kantisme

    30

    .

    L'autre dicult est le principe d'immanence. Pourquoi devons-nous y adhrer ? Pourquoi devons-nous ncessairement

    sparer l'tre et le phnomne ? Le phnomne peut tre l'tre dvoil, rendu prsent et manifestant au sujet un aspect de

    l'tre. Nous ne pouvons pas percevoir l'tre dans sa totalit ou concider l'tre avec tous ses aspects ainsi dvoils. Nous ne

    percevons donc qu'une partie de l'tre selon nos facults, selon notre situation. Mais cette connaissance porte directement

    sur l'objet, sur les choses existant hors de nous, et non pas sur nos reprsentations des choses. Le ralisme est toujours

    valable lorsque nous refusons le principe d'immanence.

    Kant rejette aussi l'intuition intellectuelle. Si elle existait, une intuition intellectuelle serait cratrice, ce qu'il ne

    peut admettre. Il voit en eet l'intelligence comme fonction de pure activit. Elle est pure abstraction. Abstraction et intuition

    sont incompatibles d'o le rejet de l'intuition intellectuelle. En fait selon Kant, l'intuition se caractrise par son objet qui est

    concret. C'est eectivement le cas pour l'intuition sensible. Mais ce qui caractrise l'intuition, ce n'est pas que son objet

    soit concret, mais qu'il soit immdiatement prsent l'esprit

    31

    . Il est en eet possible d'imaginer une intuition qui se fait

    par concept comme le pensent Husserl et Maritain par exemple.

    La notion de jugement synthtique est gnralement reconnue comme une invention inconsistante de

    Kant. La distinction entre jugement synthtique et analytique est toute relative. Elle dpend de la dnition du sujet. La

    notion de nombre est incluse dans pair et impair . Dans l' tre contingent , nous ne trouvons pas celle de caus

    alors que la notion de l' tre caus implique celle de l' tre contingent . De manire simple, nous pouvons dire que ce

    n'est pas le prdicat qui est inclus dans le sujet mais le sujet qui est inclus dans le prdicat. La notion de

    jugement synthtique pose donc quelques dicults.

    Enn, Kant attaque la seule mtaphysique qu'il connat, celle de Wolf. Aristote semble tre absent de son

    ouvrage. Wolf soutient une connaissance de l'tre en soi par voie purement a priori, ce qui est en eet contestable. Cependant

    Kant pourfend la possibilit de la mtaphysique d'tre une science. Il donne l'exemple des mathmatiques qui peuvent

    satisfaire tous les esprits, contrairement la mtaphysique qui est incapable, selon Kant, de dnir des vrits satisfaisantes

    pour tous les tres raisonnables. Cet argument est assez classique. Il a notamment t mis en valeur par les sceptiques. Comme

    tous les philosophes se contredisent, il n'y a pas de vrits philosophiques. Toutes les philosophes se valent nalement. Mais

    cette conclusion est un peu rapide. Cela est en eet vrai si nous les considrons de dehors, c'est--dire si nous nous abstenons

    d'y pntrer, de les tudier. Mais alors nous n'avons pas le droit de soutenir qu'aucune n'est valable puisque nous

    ne les avons pas examines. La mtaphysique n'est pas videmment une science comme les mathmatiques car elles n'ont

    pas le mme objet d'tude. Il est donc dicile de les comparer.

    Concernant la partie morale du kantisme, nous pouvons faire trois remarques. D'abord, est-il vraiment exact que la

    recherche du bien manifeste toujours l'gosme comme le prtend Kant ? C'est en eet pour cette raison qu'il

    rejette le bien comme fondement de la moralit. Cette conception est bien supercielle. L'gosme est la recherche de son bien

    personnel au mpris d'un bien absolu. Il est avant tout dsordre. Nous pouvons aimer un bien pour lui-mme et par-dessus

    toute chose. N'est-ce pas la dnition de l'amour pur ? Peut-il tre une manifestation d'gosme ? En outre, l'amour de soi

    intgre toute vie morale : aime ton prochain comme toi-mme. Mais cet amour peut atteindre la perfection, c'est--dire la

    puret, s'il est inclus dans une nalit plus haute. Et enn, qu'est-ce le bien selon Kant ? Selon un jugement analytique, nous

    pouvons dire que dans la notion du bien se trouve l'ide qu'il est objet d'amour et de recherche. Il doit tre accompli. Mais

    ce n'est pas aussi simple que cela. Le bien peut aussi tre seulement conseill. Il y a bien des distinctions faire dans la

    modalit de la recherche du bien, distinction qui chappe compltement aux perspectives kantiennes ; elle est pourtant

    ncessaire pour comprendre qu'on puisse parfois faire plus que son devoir.

    32

    30. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, chapitre VI.

    31. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, chapitre VI.

    32. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne.

    13

  • Enn, la dernire faiblesse est la distinction qu'tablie Kant sur le deux moi . Que dit-il en

    eet ? Le monde des phnomnes est parfaitement dterministe. Il est soumis la ncessit des lois

    naturelles. La libert n'existe que dans le monde des choses en soi, dit aussi monde intelligible .

    Mais comment le moi du monde des phnomnes peut-il se concilier avec le moi du monde

    des choses en soi ? Comment une dcision prise dans le monde en soi peut-elle se traduire dans le

    monde sensible o tout est strictement dtermin ? En quoi la libert du monde intelligible peut-

    elle servir dans le monde sensible ? Il nous semble qu'une libert "en soi" transcendante notre

    exprience et notre vie psychologique, nous soit tout fait inutile

    33

    . Il nous semble voir deux

    mondes trangers, incommunicables, ce qui conduit des dicults sans nombre, voire

    des absurdits. Nous revenons nalement une des dicults fondamentales du kantisme : la

    sparation du phnomne et de l'tre. La distinction des noumnes et des phnomnes commande

    tout le criticisme : nous l'avons assez dis, et il ne faut jamais l'oublier.

    34

    L'islam, une religion de la force

    Depuis trois ans, nous tudions l'islam et nous vous faisons partager nos connaissances et nos rexions. Nous avons

    ainsi parcouru sa doctrine, ses origines et son expansion jusqu'au XIIe sicle, ses coles juridiques, ses relations avec les

    non-musulmans, ses combats intellectuels internes. Il est aujourd'hui temps d'en faire une brve synthse avant de poursuivre

    notre tude...

    Des origines contestes et contestable

    Notre tude a bien remis en cause certaines ides sur les origines de l'islam. Cette religion

    se manifeste d'abord tardivement. Elle prend en eet conscience d'elle-mme bien aprs la

    mort de Mahomet et se structure surtout au temps de l'empire abbasside. L'existence de son

    fondateur Mahomet est aussi parfois remise en cause. Sans aller cette hypothse, nous pouvons

    souligner qu'il ne ressemble gure aux autres prophtes de la Sainte criture dont pourtant l'islam

    proclame la continuit. Il le considre comme le dernier des prophtes. Or, il ne porte gure le

    sceau de Dieu et encore moins des signes d'une prdilection quelconque. Plus soucieux de politique

    et peu exemplaire, Mahomet se montre bien trop humain pour porter la parole de

    Dieu.

    Notre tude a aussi mis en avant les origines tribales, juives et chrtiennes de l'islam. L'inuence d'hrsies chrtiennes

    est assez visible dans la principale source de l'islam qu'est le Coran. De nombreux rcits coraniques semblent provenir de

    livres apocryphes chrtiens. Le Coran est aussi marqu par une profonde mconnaissance de la Sainte Bible dont il

    prtend pourtant aussi tre la continuit. Nous avons trouv de nombreuses confusions et des erreurs manifestes.

    Le Coran n'est pas directement issu de Mahomet. Il est la reprise de ce que ses compagnons ont gard en mmoire ou

    transcris sur toutes sortes de support. Aprs de multiples versions, l'autorit politique en a impos une puis dtruite les autres.

    Le rle du pouvoir politique est en eet crucial ds l'origine de l'islam. Il le sera aussi dans son dveloppement.

    Le Coran, livre si peu biblique

    Le Coran nous semble aussi bien fragile comme fondement d'une vritable religion puisqu'uvre

    surtout lectionnaire, il est fonde essentiellement sur la langue primitive arabe, langue aux multiples

    interprtations. L'arabe demeure en eet la langue indispensable pour connatre la parole de

    Dieu. L'islam prtend pourtant tre une religion universelle. Or sa comprhension et son

    adhsion passent automatiquement par une arabisation. Ce n'est donc pas tonnant qu'un

    converti l'islam passe d'abord par une transformation culturelle. Le musulman est avant tout un

    arabisant.

    Porteur de sens aussi bien par la forme que par le contenu, le Coran ne se rduit par au texte coranique,. Il se comprend

    aussi par le verbe, par l'intonation, par la vocalisation. Et en dpit des assouplissements ports par certaines traductions,

    gnralement dans le but d'orir une uvre littraire plus accessible aux Occidentaux, le Coran se caractrise avant

    tout par une violence verbale, rptitive, persistante.

    Les musulmans prsentent le Coran comme un texte infaillible. Ils justient cette infaillibilit par la doctrine du Coran

    incr. Le livre serait la reproduction exacte d'un livre cleste incr, ni crature, ni Dieu. Cette doctrine nous apparat

    absurde et contraire l'unicit de Dieu qu'ils dfendent avec force.

    33. Roger Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, chapitre VI.

    34. Jean Lacroix, Kant et le kantisme, Que sais-je ?, Presses universitaire de France, 1966.

    14

  • En outre, contrairement la doctrine chrtienne qui voit dans le livre sacr une coopration entre Dieu, son vritable

    auteur, et l'crivain inspir, l'islam ne voit dans l'crivain coranique qu'une plume qui disparat sous la voix crasante de

    Dieu. Cela est parfaitement conforme l'ide que le musulman se fait de Dieu : tre tout puissant, crateur mme de tout

    acte humain devant lequel l'homme n'est rien. La conception musulmane de Dieu ne laisse gure de place la

    libert de l'homme.

    L'authenticit inextricable des hadiths

    Les hadiths constituent une autre source essentielle de l'islam. Innombrables, ils rapporteraient les paroles de Mahomet

    grce une chane ininterrompue de rapporteurs. L'ensemble forme la Sunna. Pour les sunnites, ils compltent le Coran

    et lui donne un certain clairage. Leur importance montre ainsi l'insusance du Coran en dpit des proclamations de

    certains musulmans qui voient dans les versets coraniques une rponse tout. Il est incr mais impuissant satisfaire tous

    les besoins des musulmans, y compris spirituels.

    uvres aussi contestables, dont l'authenticit est objet de nombreuses opinions. En eet, de nombreux

    hadiths ont t invents pour rpondre des intrts politiques, religieux, sociaux. Il est donc dicile de distinguer le vrai

    du faux d'o d'inextricables discussions. L'absence d'autorit dans l'islam rend ce problme particulirement insoluble.

    Pour rpondre la prolifration des hadiths, des rgles trs complexes, parfois droutantes, ont t labores an de

    dnir leur canonicit. Cette dernire se dnit plus par leur authenticit, et plus prcisment par la abilit des rapporteurs,

    c'est--dire par leurs supposes qualits morales. Ce sont des critres bien diciles juger et si peu ables. Qui peut en eet

    connatre l'me des hommes si ce n'est Dieu ?

    Un islam conqurant mais fragile

    La conqute arabe est prodigieuse. Elle est surtout marque par un dchanement de violence qui impressionne et

    atterre les populations. La peur ouvre les portes des villes. Rappelons que ce n'est pas la foi qui a lanc les cavaliers arabes

    la conqute de vastes empires en dclin mais l'appt du gain. Rapidement, les arabes se sont empars de vastes rgions

    autrefois byzantines ou perses. puiss par d'incessants conits, mins par des divisions internes, trahis, de vastes empires de

    haute civilisation se sont rapidement eondrs sous les coups rpts des cavaliers arabes. L'appt d'un gain facile attire

    les tribus arabes, habitues aux pillages et aux razzias.

    Mais de telles conqutes posent de graves dicults aux arabes. Trs minoritaires, peu civiliss,

    inexpriments dans la conduite d'un tat, les arabes sont incapables de diriger seuls de si

    nombreux territoires et peuples. Ils ont nalement besoin de la comptence et des connaissances

    des vaincus. Ils ont besoin de leur coopration. En outre, ils doivent aussi reconstituer un empire,

    construire un tat, rpondre des besoins nanciers toujours plus grands.

    Les arabes doivent aussi rsoudre leur problme dmographique. Pour cela, ils implantent des tribus arabes dans les riches

    rgions orientales. Mais rapidement, ils doivent faire face ces mmes tribus et aux guerriers nomades, leur ert et

    leur esprit d'indpendance. Peu habitus la vie citadine, plus enclins aux pillages et aux combats, ils ne voient dans leurs

    conqutes qu'un moyen d'enrichissement. Les traditions tribales vont l'encontre de la construction d'un empire able et

    durable. Les autorits arabes doivent donc domestiquer les tribus arabes pour viter la n de leurs ambitions politiques. Et

    c'est justement ce moment-l que se crent un ensemble de prescriptions religieuses, politiques, conomiques, scales, etc.

    Le Coran peut alors leur apparatre comme seule lgitimation du pouvoir. Belles opportunits qui encadrent les

    tribus au prot des chefs devenu religieux et d'un tat devenu sacr.

    L'absence d'autorit religieuse, source de conits

    Les musulmans sont aussi confronts un autre problme beaucoup plus dangereux. A la mort de Mahomet, la question

    de sa succession est pose. trange Coran en eet. S'il est prcis et dtaill dans de nombreux domaines, y compris non

    religieux, le Coran est cruellement silencieux sur la direction de la communaut musulmane et sur la succession

    de son chef. Qui doit remplacer Mahomet ? Les premiers successeurs, appels califes, encore prestigieux, ne posent pas de

    dicults. Les premires contestations apparaissent avec le troisime calife Othman, qui nit par tre assassin. Or le calife

    est la fois guide religieux et chef politique, gardien de la religion et de l'unit de la communaut musulmane.Toute division

    politique entrane inluctablement une scission religieuse. Et l'inverse est aussi vrai.

    La succession d'Othman est l'occasion d'un conit entre les musulmans, conit qui dure encore. Nous pouvons d'abord le

    considrer comme la manifestation d'une rivalit entre plusieurs centres du pouvoir (Mdine, La Mecque, Damas). Il

    rete aussi direntes conceptions du pouvoir. Les uns choisissent l'homme fort de l'empire, Moawiya, gouverneur de Damas,

    seul capable de maintenir les conqutes et d'organiser un vritable empire. D'autres, les chiites, veulent que le pouvoir reste

    dans les mains de la famille de Mahomet, c'est--dire d'Ali. Enn, les kharidjites ne recherchent comme chefs que des hommes

    pieux et croyants. La lgitimit de l'autorit provient-elle de la force, de l'hrdit ou de la saintet ?

    15

  • La force, fondement de l'autorit

    Finalement, la force dsigne le vainqueur. Plus puissant, Moawiya s'empare du pouvoir. L'empire tourne dsormais

    autour de Damas au dtriment des ples historiques que sont Mdine et la Mecque. L'islam s'installe au cur des anciennes

    civilisations. L'empire arabe s'orientalise. Mais cette victoire ne masque pas la fragilit d'un pouvoir qui ne dpend que de

    sa force et de son prestige.

    La force et la ert demeurent en eet le fondement de l'empire et de l'autorit. Cela ne nous surprend gure

    lorsque nous songeons aux origines tribales de l'islam. Il garde dans ses entrailles ses racines nomades. N dans des tribus,

    l'islam s'est impos et s'est rpandu uniquement par la force de ses cavaliers. Sans la force, aucun calife ne peut vritablement

    tre le chef de l'empire, aucune tribu ne peut lui obir. La moindre dfaillance entrane une concurrence politique

    et religieuse. Ds le dbut, la force scelle le destin de l'islam. Les victoires de Mahomet ont fait natre l'islam.

    Une discrimination fondamentale

    Mais, soulignons-le, les arabes sont dans une situation paradoxale. Matres incontests, ils

    ont conquis des rgions o se sont dveloppes des civilisations suprieures. Ils sont en fait

    dans une situation fragile et humiliante. Conqurants, ils doivent tout apprendre de leurs

    peuples conquis, de leurs esclaves. Ce sont les vaincus qui grent concrtement l'empire. Ce

    sont eux qui ont la connaissance et les comptences scientiques, mdicales, artistiques. Ils

    sont la cause du dveloppement de l'empire et de son rayonnement intellectuel incontestable.

    Ce ne sont pas les arabes qui ont permis l'empire d'atteindre un niveau

    civilisationnel remarquable. Il le doit avant tout aux perses, aux syriens, aux indiens, aux

    byzantins.

    Or les arabes ne peuvent admettre une telle situation qui ne peut que blesser leur ert. Pour compenser un tel dsquilibre,

    ils doivent davantage souligner leur supriorit par rapport aux vaincus. Ainsi instaurent-ils une socit fortement

    discriminatoire dont le principe est d'abord l'arabit puis l'islam. Ils sont dans l'obligation d'instaurer une forte

    opposition entre le vainqueur et le vaincu.

    Cette forte et virulente dualit se retrouve dans le Coran. Sont en eet constamment opposs le croyant et

    l'incroyant, le dle et l'indle. L'homme dle, plus tard dsign sous le terme de musulman, se caractrise mme par son

    opposition aux kars , aux mcrants dont les gens du livre, c'est--dire les juifs et les chrtiens, et les idoltres.

    Le Coran distingue parmi les gens du Livre les associateurs , terme qui dsigne les chrtiens croyants la Sainte

    Trinit. Contrairement certaines traductions, le terme ne dsigne pas tous les chrtiens. Ils n'englobent pas les hrtiques

    antitrinitaires. Cette distinction fondamentale permet de mieux comprendre les dirences d'attitude l'gard des

    chrtiens en fonction de leurs croyances et d'viter des contre-sens malencontreux. Le Coran montre en eet une

    certaine mansutude l'gard de certains chrtiens, c'est--dire aux hrtiques qui ne croient pas la Sainte Trinit.

    Avec cette dualit parfois violente, le Coran personnie et identie clairement le mal auquel il demande des

    chtiments eroyables. Il appelle aux combats, l'arontement contre l'autre, contre le non-musulman. Si l'incroyant ne

    mrite aucun pardon, les gens du livre peuvent tre tolrs sous la seule condition qu'ils s'humilient devant le croyant. Cette

    humiliation est alors le fondement de leurs relations. Elle se manifeste sous direntes formes sociales, en particulier

    par l'impt. Elle doit surtout tre visible et concrte. Non seulement les gens du Livre doivent se rabaisser devant Dieu

    mais surtout devant les musulmans. S'ils sont tolrs, ils vivent alors dans une situation faite de sourance, d'humiliations

    et de vexations permanentes. Considrs comme infrieurs, ils forment par principe une minorit avant de l'tre

    nalement sur le plan dmographique. La conversion massive de la population peut alors tre facilement explicable.

    Les chrtiens ont d tre hroques pour ne pas disparatre.

    Pourquoi le musulman est-il si obsd par son rang ? Tout non-musulman doit s'abaisser devant lui. Pouvons-nous trouver

    sa cause dans la ert tribale originelle ? Cette ert est la base mme de toute relation entre musulman et non-musulman.

    Tout doit reter la prminence de l'islam dans les rapports avec un indle ou un incroyant. Elle justie les

    humiliations de l'incroyant.

    Une telle discrimination, diverse dans son application mais identique dans sa nature, demeure la base de

    toute relation sociale. Son acceptation est le prix payer pour survivre. L'islam semble perptuer les rapports de force

    qu'a instaurs la conqute arabe et mme l'esprit des tribus arabes que l'islam attise. Le non-musulman reste nalement

    un vaincu. Il est condamn voir dans le musulman un vainqueur auquel il doit se soumettre. Le seul moyen de dpasser

    cet tat est la conversion ou la mort.

    16

  • Les coles de droit sunnites : divergences et permanences

    Toute relation entre individus est fortement dnie par le droit islamique, un droit trs prgnant, la shar'a .

    Dans l'islam, elle dnit les rgles de comportement, celles qui rgissent la manire de vivre. Elle prend sa source dans

    le Coran et la Sunna. Elle est dnie par quatre coles juridiques plus ou moins dures : le hanasme, le malkisme, le

    shafisme et l'hanbalisme. Elles se direncient par le rle qu'elles donnent la libre opinion, la tradition et la raison

    dans l'interprtation des sources du droit. Elles sont aussi fortement marques par leur origine gographique. En dpit de

    leur divergence, les quatre coles se reconnaissent mutuellement.

    Toutes les coles se fondent sur l'infaillibilit de la communaut musulmane. La shar'a est en eet l'expression

    de la volont des musulmans. Derrire la multiplicit apparente de la pense juridique se trouve donc une unit de volont.

    L'application de la discrimination entre musulman et non-musulman ne prend pas en eet son essence dans un courant plus

    ou moins dure de l'islam mais dans une forte croyance qui exalte la supriorit des musulmans. Nous signalons que le droit

    islamique exclut tout droit naturel.

    Le mpris de la raison

    Existe-t-il une thologie islamique comme nous l'entendons dans le christianisme ? Des

    tentatives ont t faites pour intgrer la spculation dans le dveloppement

    de la pense islamique. Le mutazilisme en est une tentative. Contrairement aux coles

    de droit et aux apologtiques musulmans, les mutazilites ont essay d'appliquer une

    dmarche rationnelle dans l'interprtation des sources de la foi, sans nanmoins viter les

    dangers du rationalisme. D'abord soutenu par le pouvoir, il a ni par tre cras par ses

    adversaires.

    Plus rigoureux et approfondis, des philosophes ont aussi essay d'intgrer la pense grecque dans l'islam. A

    partir d'Aristote, Averros a essay de montrer la rationalit de la pense musulmane. L'islam les a aussi rejets. Seuls les

    occidentaux ont pu proter de leurs travaux. L'islam a nalement rejet tout rle la raison. Face la spculation

    intellectuelle, s'est en particulier dress le mysticisme sous la forme du sousme. Il n'y a pas en fait de thologie dans l'islam

    mais une mthode dialectique vise apologtique.

    Une religion arabisante et non arabe

    Rappelons un dernier fait encore paradoxal. La doctrine et le droit musulmans tels que nous le connaissons aujourd'hui ne

    proviennent pas des arabes. Les arabes ne sont pas non plus responsables de l'apoge de l'empire musulman. Leur seule vertu

    est d'avoir impos la langue arabe des populations diverses, favorisant ainsi les changes et l'unit. Nous ne cessons pas

    d'attribuer l'islam aux arabes quand nalement ils ont t vincs de tout pouvoir et de tout rle religieux

    depuis l'avnement des abbassides. A partir du VIIIe sicle, las de leur domination, les perses prennent le pouvoir et

    construisent vritablement l'islam. C'est sous l're des abbassides que se dnisse vritablement l'islam. Damas a

    laiss sa place Bagdad.

    Les Omeyyades ont pu se maintenir au pouvoir par la force et le prestige des cavaliers arabes. Les convertis perses qui

    les succdent au pouvoir ne peuvent s'appuyer sur une telle puissance. Les abbassides fondent alors leur autorit sur

    la grandeur de l'islam, c'est--dire sur la religion, seul lment capable de cimen