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CAS CLINIQUE Épithélioma basocellulaire des doigts : une localisation rare à ne pas ignorer Basal-cell carcinoma of fingers: A rare location not to be ignored B. Sarfati a, * , C.-C. Lazar a , I. Goubin b , N. Zwillinger a , B. Lorenceau a a De ´ partement de chirurgie plastique, reconstructrice et esthe ´ tique, centre hospitalier Rene ´ -Dubos, 6, avenue de l’I ˆ le-de-France, 95301 Pontoise, France b De ´ partement d’anatomopathologie, centre hospitalier Rene ´ -Dubos, 6, avenue de l’Ile-de-France, 95301 Pontoise, France Rec¸u le 11 avril 2008 ; accepte´ le 19 octobre 2008 MOTS CLÉS Carcinome basocellulaire ; Doigts ; Pouce ; Chirurgie Résumé L’épithélioma basocellulaire est la tumeur maligne la plus fréquente chez l’homme, survenant généralement sur une peau saine exposée au soleil et dont l’aspect macroscopique est variable, la perle étant son seul signe pathognomonique. Ses multiples localisations concernent surtout le visage et le cou, plus rarement le torse, les bras et les jambes et très rarement la zone digitale et péri-unguéale. Nous rapportons le cas d’un homme de 64 ans souffrant d’un carcinome basocellulaire au niveau du pouce et en profitons pour réaliser une revue de la littérature. Notre objectif est de mettre en garde contre cette pathologie pouvant être méconnue, voire ignorée par le praticien, en rappelant qu’il est nécessaire de biopsier toute lésion suspecte résistant aux traitements médicaux bien conduits afin d’éviter les retards au diagnostic pouvant compliquer la prise en charge thérapeutique chirurgicale. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Basal-cell carcinoma; Fingers; Thumb; Surgery Summary The basal-cell carcinoma is the most frequent malignant tumor in human, usually involving the healthy sun-exposed skin of head and neck area, but thoracic and members localisations are possible. Macroscopic appearence is variable excepting the pathognomonic pearl. Periungueal lesions are in this context very rare and we report the case of a 64-year-old man presenting with a basal-cell carcinoma on the thumb. A litterature review was also performed and our purpose is to warn our colleagues about this quite often unrecognized Annales de chirurgie plastique esthétique (2010) 55, 7477 * Auteur correspondant. 91, rue Petit, 75019 Paris, France. Adresse e-mail : [email protected] (B. Sarfati). 0294-1260/$ see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2008.10.010

Épithélioma basocellulaire des doigts : une localisation rare à ne pas ignorer

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CAS CLINIQUE

Épithélioma basocellulaire des doigts :une localisation rare à ne pas ignorer

Basal-cell carcinoma of fingers: A rare locationnot to be ignored

B. Sarfati a,*, C.-C. Lazar a, I. Goubin b, N. Zwillinger a, B. Lorenceau a

aDepartement de chirurgie plastique, reconstructrice et esthetique, centre hospitalier Rene-Dubos, 6,avenue de l’Ile-de-France, 95301 Pontoise, FrancebDepartement d’anatomopathologie, centre hospitalier Rene-Dubos, 6, avenue de l’Ile-de-France,95301 Pontoise, France

Recu le 11 avril 2008 ; accepte le 19 octobre 2008

MOTS CLÉSCarcinomebasocellulaire ;Doigts ;Pouce ;Chirurgie

Résumé L’épithélioma basocellulaire est la tumeur maligne la plus fréquente chez l’homme,survenant généralement sur une peau saine exposée au soleil et dont l’aspect macroscopique estvariable, la perle étant son seul signe pathognomonique. Ses multiples localisations concernentsurtout le visage et le cou, plus rarement le torse, les bras et les jambes et très rarement la zonedigitale et péri-unguéale. Nous rapportons le cas d’un homme de 64 ans souffrant d’un carcinomebasocellulaire au niveau du pouce et en profitons pour réaliser une revue de la littérature. Notreobjectif est de mettre en garde contre cette pathologie pouvant être méconnue, voire ignoréepar le praticien, en rappelant qu’il est nécessaire de biopsier toute lésion suspecte résistant auxtraitements médicaux bien conduits afin d’éviter les retards au diagnostic pouvant compliquer laprise en charge thérapeutique chirurgicale.# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSBasal-cell carcinoma;Fingers;Thumb;Surgery

Summary The basal-cell carcinoma is the most frequent malignant tumor in human, usuallyinvolving the healthy sun-exposed skin of head and neck area, but thoracic and memberslocalisations are possible. Macroscopic appearence is variable excepting the pathognomonicpearl. Periungueal lesions are in this context very rare and we report the case of a 64-year-oldman presenting with a basal-cell carcinoma on the thumb. A litterature review was alsoperformed and our purpose is to warn our colleagues about this quite often unrecognized

Annales de chirurgie plastique esthétique (2010) 55, 74—77

* Auteur correspondant. 91, rue Petit, 75019 Paris, France.Adresse e-mail : [email protected] (B. Sarfati).

0294-1260/$ — see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

doi:10.1016/j.anplas.2008.10.010

pathology which may need a more agressive treatment in case of delayed diagnosis, and toremind them that all chronic lesions impose a biopsy.# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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Introduction

Le carcinome basocellulaire est la tumeur cutanée la plusfréquente. Ses localisations sont multiples mais l’atteintedigitale est rare, son aspect étant alors peu caractéristique,entraînant parfois une errance diagnostique pouvant allerjusqu’à plusieurs années. Son traitement chirurgical estsimple lorsque le diagnostic est établi précocement, maisil peut devenir complexe en cas de retard diagnostique, avecun risque important de délabrement tissulaire. Nous présen-tons le cas d’un patient porteur d’une tumeur basocellulairepéri-unguéale au niveau du pouce.

Cas clinique

Un homme de 64 ans, travailleur manuel, présentait unelésion péri-unguéale du pouce gauche (Fig. 1) apparue sansnotion de facteur traumatique déclenchant et évoluant pro-gressivement depuis trois ans en dépit des différents traite-ments locaux proposés par son dermatologue. Parmi sesantécédents, on notait un diabète non insulinodépendantet un asthme, tous deux équilibrés. L’examen clinique retro-uvait une ulcération péri-unguéale irrégulière située sur ladeuxième phalange du pouce gauche, avec un fond kérato-sique, et semblant atteindre la lunule unguéale. Le reste del’examen cutané était sans particularité et on ne retrouvaitpas d’adénopathie axillaire. Une radiographie standard de lamain ne mettait pas en évidence de signes sous-jacentsd’ostéolyse. Une biopsie première de la lésion ayant évoquéle diagnostic d’épithélioma basocellulaire, nous avons doncpratiqué un complément d’exérèse de la tumeur sousanesthésie locale, avec des marges de sécurité de 5 mm. Iln’y avait pas d’atteinte de la zone sous-unguéale et l’ongleétait préservé. La pièce opératoire mesurait 2,8 � 1,5 cm(Fig. 2) et ses limites profondes se trouvaient au ras dutendon extenseur, respectant le péritendon. L’examen his-tologique final montrait une lésion au centre de la pièced’exérèse de 1,8 cm de grand axe avec des limites latéraleset profondes en peau saine. On retrouvait des petites cellules

Figure 1 Lésion ulcérante à fond érythémateux péri-unguéaledu pouce gauche.

homogènes, basophiles, groupées en travées et en lobulesbordés par des cellules disposées en palissade (Fig. 3). Dessignes d’ulcération et d’hyperkératose épidermique étaientprésents. L’ensemble confirmait le diagnostic de carcinomebasocellulaire.

La perte de substance opératoire était laissée en cica-trisation dirigée, avec des pansements gras quotidiens etsous couvert d’une antibiothérapie orale prophylactique. Lepatient ayant présenté une évolution rapidement favorable,aucun geste de reconstruction n’était nécessaire pour obte-nir la fermeture de la perte de substance. Le résultat à cinqsemaines (Fig. 4) était considéré comme acceptable sur leplan esthétique et la récupération fonctionnelle était quasi-complète grâce aux séances de rééducation prescrites.

Discussion

Le carcinome basocellulaire est le plus fréquent des cancerscutanés et la tumeur la plus fréquente chez l’homme, ledélai entre l’apparition des symptômes et le diagnosticvariant entre un et 40 ans. Son principal facteur de risqueest l’exposition aux rayons ultraviolets (mais les zones nonexposées peuvent être touchées), les autres regroupant lesradiations ionisantes, l’arsenicisme chronique, l’immunodé-pression et certaines affections génétiques prédisposantes.On retrouve dans certaines séries [1] la notion d’un trauma-tisme précédant la survenue du carcinome basocellulaire,qu’il s’agisse de brûlures, de plaies, de cicatrices post-infectieuses (ex. varicelle) ou post-vaccinales ou biend’ulcérations chroniques.

Figure 2 Pièce d’exérèse.

Figure 4 Résultat après cinq semaines de cicatrisationdirigée.

Figure 3 Coupe histologique tumorale après coloration auHES, mettant en évidence des cellules basaloïdes agencées enpalissade en bordure des massifs lobulaires.

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Des études ayant précédemment démontré que son inci-dence sur les zones exposées au soleil est proportionnelle à ladensité de glandes sébacées [2], cela explique la fréquencedes atteintes cervicofaciale et thoracique (85 % des cas auniveau du cou [3]). La localisation aux avant-bras et auxmains ne représente que 0,5 à 2,5 % des cas [4]. Enfin,l’atteinte digitale et/ou de l’appareil unguéal reste excep-tionnelle, la forme nodulo-ulcérante semblant alors être laprésentation clinique la plus fréquente du carcinome baso-cellulaire [5]. À notre connaissance, seulement 22 cas debasocellulaire localisé au niveau du pouce ont été retrouvésdans la littérature [6—13].

Lorsqu’il atteint la région unguéale, le carcinome baso-cellulaire perd ses caractéristiques cliniques habituelles etson diagnostic devient difficile. Son diagnostic différentielpeut alors revêtir l’aspect d’une lésion bénigne (ex. ony-chomycose, onychodystrophie, psoriasis, maladie deBowen, kérato-acanthome ou dermatophytie), voire maligne(carcinome épidermoïde et mélanome lentigineux acral). La

question des limites de l’exérèse dans ce type de cas peutêtre posée. Doit-on dans un premier temps effectuer uneavulsion de la tablette unguéale et de la matrice de l’ongleafin d’effectuer une exérèse carcinologique acceptable ?Dans notre cas, il a fallu attendre plusieurs semaines l’exa-men final de l’anatomopathologiste pour conclure à deslimites saines de la résection. Nous ne pouvions donc étendrenotre résection à la matrice de l’ongle dans un premiertemps, le préjudice esthétique et fonctionnel étant tropimportant. De plus, la tablette unguéale joue le rôled’une barrière inerte protégeant la matrice et le lit del’ongle de la diffusion tumorale. Cependant, dans les formestrès évoluées, cette barrière cède, et la tumeur peut envahirles parties profondes et atteindre les tendons et l’os. L’exa-men anatomopathologique de la pièce d’exérèse est doncindispensable dans un premier temps avant d’envisagerd’étendre l’exérèse à des parties plus nobles. C’est pourles mêmes raisons qu’une reconstruction par lambeau localdans le même temps n’a pas été envisagée, ce qui entraîneune absence complète d’éponychium et une exposition de latablette de la racine. Mais la cicatrisation dirigée chez cepatient se révéla être une bonne indication. Dans le cas où lareconstruction de la perte de substance aurait pu êtreenvisagée dans le même temps, on aurait pu réaliser unlambeau de Hueston, un lambeau dorso-ulnaire ou dorsora-dial, ou bien un lambeau cerf-volant de recouvrement. Labiopsie reste donc l’examen princeps à pratiquer au moindredoute afin d’obtenir le diagnostic. Le traitement du carci-nome basocellulaire péri-unguéal reste identique à celuiclassiquement proposé, à savoir une exérèse chirurgicaleavec marges de sécurité de 3 à 5 mm, après examen radio-logique standard destiné à éliminer une éventuelle atteinteosseuse. Toutefois, devant la difficulté d’appréciation deslimites de la tumeur, certains auteurs préconisent untraitement par la chirurgie micrographique de Mohs [5].Cependant, cette technique, nécessitant des praticiensspécialisés, reste pour le moment trop coûteuse pour êtreaccessible dans tous les services de chirurgie. Quoi qu’il ensoit, l’exérèse chirurgicale classique permet l’obtention dela guérison du patient, et ce avec des résultats esthétique etfonctionnel le plus souvent satisfaisants.

Conclusion

La localisation digitale d’un carcinome basocellulaire estrare et sa méconnaissance entraîne un retard diagnostiqueet thérapeutique pouvant s’étaler sur plusieurs années. C’estpourquoi, il est nécessaire de songer à biopsier précocementtoute lésion atypique ne répondant pas correctement auxtraitements médicaux classiques. Le but de cet article étaitde sensibiliser nos collègues à cette localisation inhabituelle,en rappelant que le traitement chirurgical tardif d’unetumeur basocellulaire digitale peut être à l’origine d’unimportant délabrement tissulaire, avec exposition des struc-tures nobles, et nécessiter de recourir à des procédéscomplexes de reconstruction.

Références

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