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Etat des lieux de la prise en charge actuelle et inte ´ re ˆ t des polychimiothe ´ rapies dans le traitement des cancers du sein me ´ tastatiques Michel Marty Institut Gustave Roussy, Villejuif, France La prise en charge actuelle du cancer du sein me ´tastatique repose sur plusieurs notions. La strate ´gie de traitement des formes avance ´es du cancer du sein s’est modifie ´e au cours du temps sous l’influence de deux facteurs essentiels : le de ´pistage, permettant de diagnostiquer et traiter des stades de plus en plus pre ´coces de la maladie, et l’utilisation de la chimiothe ´rapie adjuvante en fonction du pronostic initial. Le nombre de patientes qui e ´voluent de ´favora- blement vers la progression me ´tastatique a donc diminue ´ : pour exemple, en 1999 en France, sur la totalite ´ des femmes ayant un cancer du sein, 30 % sont de ´ce ´de ´es a ` cause de la progression de leur cancer. L’utilisation croissante de la chimiothe ´rapie adjuvante, notam- ment a ` base d’anthracyclines, devenue le standard dans de nombreux pays dont la France, ainsi que l’utilisation pre ´coce des associations anthracyclines et taxanes, ont modifie ´ conside ´- rablement les options de traitement pour les patientes au stade avance ´ de leur maladie. Au stade me ´tastatique, quels sont donc les objectifs de traitement ? une ame ´lioration de la survie globale, des survies sans progression cumule ´es, et du taux de curabilite ´; limiter le mieux possible les toxicite ´s aigue ¨s et chroniques ; pre ´venir et traiter les sympto ˆmes pour une meilleure qualite ´ de vie ; obtenir ces re ´sultats a ` un cou ˆte ´conomique et social acceptable. Il est inte ´ressant de noter que les donne ´es des protocoles C/4/ 81 et C/6/85 du groupe ICCG (International Cooperative Cancer Group), e ´valuant le ro ˆle des strate ´gies the ´rapeutiques et l’impact de la chimiothe ´rapie adjuvante sur le pronostic de la progression me ´tastatique, montrent une disparite ´ de la survie en fonction des options the ´rapeutiques disponibles en situation me ´tastatique : en France, la me ´diane de survie globale est de 48 mois avec 65 % des patientes traite ´es avec au moins deux lignes de chimiothe ´- rapie alors qu’en Angleterre et aux Pays-Bas, elle n’est que de 30 mois avec seulement 12 % des patientes recevant une seconde ligne de chimiothe ´rapie. [1,2] Ces re ´sultats concluaient que la survie me ´diane rapporte ´e apre `s progression me ´tastatique e ´tait meilleure que celle habituellement rapporte ´e (me ´diane de 2,5 a ` 6 ans), que la survie n’e ´tait pas affecte ´e par le type de chimiothe ´rapie adjuvante administre ´e, mais pluto ˆt par la dis- ponibilite ´ des options de traitements au stade me ´tastatique, et que la survie e ´tait meilleure chez des patientes en situation de post- me ´nopause au diagnostic. L’utilisation de la chimiothe ´rapie au stade me ´tastatique est indique ´e dans deux situations : l’e ´chec primaire ou secondaire d’un traitement antihormonal ; l’existence de facteurs de mauvais pronostic lors de l’e ´volution me ´tastatique. Diffe ´rents facteurs pronostiques tels que l’intervalle libre court (,12–18 mois), l’existence de sites me ´tastatiques visce ´raux et le nombre de sites me ´tastatiques, l’indice de performance, le taux de lacticode ´shydroge ´nase et le traitement ante ´rieur par chimio- the ´rapie adjuvante a ` base d’anthracycline, la surexpression de HER2, ont e ´te ´e ´tudie ´s. Les travaux de Yamamoto et al. ont permis de proposer un index pronostique a ` trois niveaux valide dans le cancer du sein me ´tastatique. [3] En ce qui concerne les options the ´rapeutiques au stade me ´tastatique, de nombreux agents d’efficacite ´ de ´montre ´e en monothe ´rapie sont utilisables dans le cadre de la chimiothe ´rapie de 1 ` ere et 2 ` eme ligne, notamment les anthracyclines dont la cardiotoxicite ´ cumulative est bien connue, les taxanes, ayant une he ´matotoxicite ´ aigue ¨ et une neurotoxicite ´ cumulative re ´versible, ainsi que de nouveaux agents, tels que la gemcitabine ayant un profil de toxicite ´ inte ´ressant. Cependant le concept de polychimiothe ´rapie, depuis longtemps reconnu en situation me ´tastatique, reste une option majeure. La polychimiothe ´rapie a permis de mettre en e ´vidence re ´cemment dans plusieurs e ´tudes de phase III utilisant les taxanes, les Am J Cancer 2004; 3 Special issue 2: 11-13 1175-6357/04/0002-0011/$31.00/0 & Adis Data Information BV 2004. All rights reserved. REVIEW ARTICLE

Etat des lieux de la prise en charge actuelle et intérêt polychimiothérapies dans le traitement des cancers du sein métastatiques

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Etat des lieux de la prise en charge actuelle etinteret des polychimiotherapies dans le traitementdes cancers du sein metastatiques

Michel Marty

Institut Gustave Roussy, Villejuif, France

La prise en charge actuelle du cancer du sein metastatique

repose sur plusieurs notions.

La strategie de traitement des formes avancees du cancer du

sein s’est modifiee au cours du temps sous l’influence de deux

facteurs essentiels : le depistage, permettant de diagnostiquer et

traiter des stades de plus en plus precoces de la maladie, et

l’utilisation de la chimiotherapie adjuvante en fonction du

pronostic initial. Le nombre de patientes qui evoluent defavora-

blement vers la progression metastatique a donc diminue : pour

exemple, en 1999 en France, sur la totalite des femmes ayant un

cancer du sein, 30 % sont decedees a cause de la progression de

leur cancer.

L’utilisation croissante de la chimiotherapie adjuvante, notam-

ment a base d’anthracyclines, devenue le standard dans de

nombreux pays dont la France, ainsi que l’utilisation precoce

des associations anthracyclines et taxanes, ont modifie conside-

rablement les options de traitement pour les patientes au stade

avance de leur maladie.

Au stade metastatique, quels sont donc les objectifs de

traitement ?

• une amelioration de la survie globale, des survies sans

progression cumulees, et du taux de curabilite ;

• limiter le mieux possible les toxicites aigues et chroniques ;

• prevenir et traiter les symptomes pour une meilleure qualite de

vie ;

• obtenir ces resultats a un cout economique et social acceptable.

Il est interessant de noter que les donnees des protocoles C/4/

81 et C/6/85 du groupe ICCG (International Cooperative Cancer

Group), evaluant le role des strategies therapeutiques et l’impact

de la chimiotherapie adjuvante sur le pronostic de la progression

metastatique, montrent une disparite de la survie en fonction des

options therapeutiques disponibles en situation metastatique : en

France, la mediane de survie globale est de 48 mois avec 65 %

des patientes traitees avec au moins deux lignes de chimiothe-

rapie alors qu’en Angleterre et aux Pays-Bas, elle n’est que de

30 mois avec seulement 12 % des patientes recevant une seconde

ligne de chimiotherapie.[1,2]

Ces resultats concluaient que la

survie mediane rapportee apres progression metastatique etait

meilleure que celle habituellement rapportee (mediane de 2,5 a

6 ans), que la survie n’etait pas affectee par le type de

chimiotherapie adjuvante administree, mais plutot par la dis-

ponibilite des options de traitements au stade metastatique, et que

la survie etait meilleure chez des patientes en situation de post-

menopause au diagnostic.

L’utilisation de la chimiotherapie au stade metastatique est

indiquee dans deux situations :

• l’echec primaire ou secondaire d’un traitement antihormonal ;

• l’existence de facteurs de mauvais pronostic lors de l’evolution

metastatique.

Differents facteurs pronostiques tels que l’intervalle libre court

(,12–18 mois), l’existence de sites metastatiques visceraux et le

nombre de sites metastatiques, l’indice de performance, le taux de

lacticodeshydrogenase et le traitement anterieur par chimio-

therapie adjuvante a base d’anthracycline, la surexpression de

HER2, ont ete etudies. Les travaux de Yamamoto et al. ont permis

de proposer un index pronostique a trois niveaux valide dans le

cancer du sein metastatique.[3]

En ce qui concerne les options therapeutiques au stade

metastatique, de nombreux agents d’efficacite demontree en

monotherapie sont utilisables dans le cadre de la chimiotherapie

de 1ere et 2eme ligne, notamment les anthracyclines dont la

cardiotoxicite cumulative est bien connue, les taxanes, ayant une

hematotoxicite aigue et une neurotoxicite cumulative reversible,

ainsi que de nouveaux agents, tels que la gemcitabine ayant un

profil de toxicite interessant.

Cependant le concept de polychimiotherapie, depuis longtemps

reconnu en situation metastatique, reste une option majeure. La

polychimiotherapie a permis de mettre en evidence recemment

dans plusieurs etudes de phase III utilisant les taxanes, les

Am J Cancer 2004; 3 Special issue 2: 11-131175-6357/04/0002-0011/$31.00/0

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anthracyclines et de nouveaux agents, des resultats superieurs a

ceux des monochimiotherapies en termes d’amelioration du taux

de reponses et du temps jusqu’a progression, voire de la survie

globale[4-6]

notamment dans les deux recentes etudes de phase III,

presentees par O’Shaughnessy, avec les nouveaux agents que

sont capecitabine et gemcitabine ; docetaxel versus docetaxel–

capecitabine et paclitaxel versus gemcitabine–paclitaxel par

ailleurs de tolerance favorable (figure 1a, b).

Enfin, l’interet d’un traitement d’entretien de la reponse

obtenue en 1ere ligne semble aujourd’hui se concretiser avec

cependant encore des inconnues concernant l’optimisation de

cette strategie (rotation d’agents et type de sequence, duree de

traitement, place de la chimiotherapie orale, monochimiotherapie

ou polychimiotherapie).

Ainsi, nous proposons un arbre decisionnel (figure 2) en 1ere et

seconde ligne de traitement du cancer du sein metastatique.

De nombreuses alternatives existent dependant du pre-traite-

ment recu en adjuvant, sans que des traitements dits standard

puissent etre recommandes au stade avance du cancer du sein. Il

faut donc souligner l’importance des essais a venir de strategies

therapeutiques prenant en compte le type de chimiotherapie

adjuvante administree.

References1. Coombes RC, Bliss JM, Wils J, et al. Adjuvant cyclophosphamide, methotrex-

ate, and fluorouracil versus fluorouracil, epirubicin, and cyclophosphamide

chemotherapy in premenopausal women with axillary node-positive oper-

able breast cancer: results of a randomized trial. The International

Collaborative Cancer Group. J Clin Oncol 1996; 14: 35-45

2. Wils JA, Bliss JM, Marty M, et al. Epirubicin plus tamoxifen versus tamoxifen

alone in node-positive postmenopausal patients with breast cancer: a

randomized trial of the International Collaborative Cancer Group. J Clin

Oncol 1999; 17: 1988-98

3. Yamamoto N, Watanabe T, Katsumata N, et al. Construction and validation of a

n

L1/L2

Anthracyclines

TRG

TTP

SG

DOCE

256

31 %/53 %

100 %

30 %

6,9 mois

11,5 mois

CAPE–DOCE

255

35 %/48 %

100 %

42 %

7,2 mois

14,5 mois

Posologie et protocole

TTPd médianIC à 95 %test du log-rank

SSP médianetest du log-rank

SG (analyse intermédiaire)

bras GT (n � 267)

GEM 1250 mg/m2 J1, J8T 175 mg/m2 J1cycle de 21 jours

5,4 mois4,6 à 6,1 moisp � 0,0013

5,3 moisp � 0,0021

��

bras T (n � 262)

T 175 mg/m2 J1

cycle de 21 jours

3,5 mois2,9 à 4,0 mois

3,5 mois

a

b

Fig. 1a. Essai de phase III du docetaxel versus docetaxel-capecitabine chez lespatientes n’ayant pas repondu aux anthracyclines. TRG ¼ taux de reponseglobale ; TTPd ¼ temps jusqu’a progression documentee ; SG ¼ survieglobale.Fig 1b. Essai de phase III du paclitaxel (T) versus gemcitabine-paclitaxel (GT).SSP ¼ survie sans progression.

5-FU � VNRCMF ?GEM � VNRcapé � VNRanthra liposomales

CHIMIOTHERAPIE ADJUVANTE

Aucune ouCMF A base

d’anthracycline

Anthracycline�

Taxane

CHIMIOTHERAPIE de 1ére LIGNE METASTATIQUE

ANTHRACYCLINE

5-FU � VNRdocé � cycloGEM � paclitaxelou VNR ou docécapé � docé ou Thiotépa� VNRanthra liposomales

CHIMIOTHERAPIE de 2éme LIGNE

5-FU � VNRdocé � cycloGEM � taxanecapé � docéGEM docé

5-FU � VNRcyclo � taxaneGEM � taxaneanthracyclines ?� antimétabolites

5-FU � VNRCMF ?GEM � anthracycline ?GEM � alkylants ?A base de capé

Fig. 2. Arbre decisionnel de la chimiotherapie du cancer du sein metastatiqueou avance en fonction de la chimiotherapie adjuvante recue. cape ¼capecitabine ; CMF ¼ cyclophosphamide, methotrexate, 5-fluorouracile ;cyclo ¼ cyclophosphamide ; doce ¼ docetaxel ; 5-FU ¼ 5-fluorouracile ;GEM ¼ gemcitabine ; VNR ¼ vinorelbine.

12 Marty

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practical prognostic index for patients with metastatic breast cancer. J Clin

Oncol 1998; 16: 2401-8

4. Sledge GW, Neuberg D, Bernardo P, et al. Phase III trial of doxorubicin,

paclitaxel, and the combination of doxorubicin and paclitaxel as front-line

chemotherapy for metastatic breast cancer: an intergroup trial (E1193).

J Clin Oncol 2003; 21: 588-92

5. O’Shaughnessy J, Miles D, Vukeljas S, et al. Superior survival with capecitabine

plus docetaxel combination therapy in anthracycline pre-treated patients

with advanced breast cancer. J Clin Oncol 2002; 20: 2812-33

6. O’Shaughnessy J, Nag S, Caderillo-Ruiz G, et al. Gemcitabine þ paclitaxel in

patients with anthracycline-pretreated MBC: interim analysis of a phase III

study. Proc Am Clin Oncol 2003; [abstract 25]. Oral communication

Correspondance et offprints : Michel Marty, Recherche Therapeu-tique, Institut Gustave Roussy, 39 rue Camille Desmoulin, 94805Villejuif, France. E-mail : [email protected]

Polychimiotherapies dans le traitement des cancers du sein metastatiques 13

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