Evitez Le Stress de Vos Salaries

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Collection Ressources humaines

Bernard Merck, Pierre-ric Sutter, Stphanie Baggio, glantine Loyer Sous la direction dHubert Landier

salarisDiagnostiquer mesurer analyser agir

stressde vos

vitez le

Les salaris heureux font les entreprises performantesLe stress au travail est lun des problmes majeurs auquel les organisations doivent faire face. Lenjeu va bien au-del des risques en matire de sant mentale : le stress des salaris a un impact direct sur la performance de lentreprise. On ne peut manager ce que lon ne sait mesurer , disait Peter Drucker. Cet ouvrage invite dirigeants, dcideurs, managers et DRH conduire eux-mmes lautodiagnostic des stresseurs de leur organisation. Identifier les facteurs de stress leur permettra ainsi de hirarchiser facilement les priorits daction destines amliorer le bien-tre collectif au travail. 7 Un ouvrage orient action avec un panorama de mthodologies et doutils pour mesurer, analyser et agir sur les sources relles du stress 7 Des exemples concrets de pratiques en entreprise ainsi que des pistes de rflexion originales 7 Des experts reconnus qui font un large tat des lieux des pratiques, des lois, des dfinitions, tant du point de vue des institutions que des syndicatsSite Internet : http://www.mars-lab.com/ Blog : http://blog.mars-lab.com/Hubert Landier est prsident de m@rs-lab, socit spcialise dans les audits de climat social et de dtection des facteurs de stress qui a reu le label jeune entreprise innovante en raison de ses mthodologies trs performantes denqutes et danalyse. Il est vice-prsident de lInstitut international de laudit social. Bernard Merck est diplm dHEC. Il a t successivement DRH et DG de plusieurs socits, a pilot le chantier de reengineering de la fonction RH du Groupe France Telecom. Fondateurassoci de m@rs-lab, il est un expert reconnu sur le sujet des corrlations entre comptences, productivit et performance social. Membre de lInstitut international de laudit social, il est certifi ISO 8 000 comme auditeur social. Pierre-ric Sutter est psychologue du travail et titulaire dun Master en Gestion. Il est directeur-associ de m@rs-lab. Expert en valuation des hommes depuis prs de 20 ans, il met en place, ds 1995, des solutions informatises de gestion des ressources humaines. Il a co-fond Kioskemploi, leader des ASP de e-recrutement en France. Il est membre du Centre des Jeunes Dirigeants (www. cjd. net). Stphanie Baggio est docteur en psychologie sociale et environnementale et sest spcialise dans la question de la perception et de lvaluation des risques, notamment le risque social en entreprise, ainsi que dans lanalyse statistique des donnes qui en rsultent. Ceci concerne aussi bien les aspects thoriques, mthodologiques quanalytiques. glantine Loyer est psychologue clinicienne. Elle sest ddie lorientation scolaire et professionnelle (enfants et adolescents). Elle sest intresse aux conditions de travail en entreprise et au stress au travail, particulirement en laborant un livre blanc sur le stress socio-organisationnel.

Collection Ressources humaines

Code diteur : G54349 ISBN : 978-2-212-54349-0

barbary-courte.com | photo : phovoir-images.com

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ditions dOrganisation Groupe Eyrolles 61, bd Saint-Germain 75240 Paris cedex 05 www.editions-organisation.com www.editions-eyrolles.com

Le Code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressment la photocopie usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique sest gnralise notamment dans lenseignement provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilit mme pour les auteurs de crer des uvres nouvelles et de les faire diter correctement est aujourdhui menace. En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intgralement ou partiellement le prsent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de lditeur ou du Centre Franais dExploitation du Droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

Groupe Eyrolles, 2009 ISBN : 978-2-212-54349-0

Bernard Merck, Pierre-ric Sutter, Stphanie Baggio et glantine LoyerSous la direction dHubert Landier

vitez le stress de vos salarisDiagnostiquer, mesurer, analyser, agir

Du mme auteur, chez le mme diteur valuer le climat social de votre entreprise, 2008 Le guide des relations sociales dans lentreprise, 2007 Le management du risque social, 2004

Avant-propos

La volont dcrire cet ouvrage sur la gestion du stress lusage (non restrictif) du dirigeant prolonge linitiative de la socit m@rs-lab, durant lt 2008, de ralisation dun livre blanc sur le stress au travail. Ce livre blanc1, avait permis de recenser ltat de lart en la matire : dbats et prises de position des parties prenantes, expertises, avances rglementaires. Cet exercice avait permis aussi de constater, en amont de la signature de laccord transposant dans le droit franais le droit europen en matire de stress au travail, une volution des mentalits, voire un changement de paradigme dans notre pays, quelque peu en retard dans ce domaine (une fois nest pas coutume, serions-nous tents dajouter, ds quil sagit davance sociale), et ce, particulirement dans lesprit des dirigeants : force est de constater que, dsormais, le dni du stress au travail a fait long feu, surtout au sein des PME. Une relle prise de conscience est actuellement en marche, et, avec elle, par-del les premires actions de prvention, le retard franais semble se combler, peu peu. Runissant un ensemble de connaissances dans le domaine du stress au travail, le prsent ouvrage propose une vision globale, la plus objective possible, du phnomne. Y sont runis les principales dfinitions du stress, les lments lgislatifs qui sy rfrent, les actions et points de vue des institutions concernes et des partenaires Groupe Eyrolles

1. Ce livre blanc est tlchargeable sur le site http://blog.mars-lab.com. Il est galement tlchargeable depuis les sites de lANACT (Agence nationale pour lamlioration des conditions de travail : www.anact.fr) et du ministre du Travail (www.travaillermieux.gouv.fr).

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sociaux. Il regroupe galement les diffrentes approches et mthodes dexpertise rencontres dans la mesure du stress au travail, avec un accent particulier sur celle qui nous parat promise un bel avenir, lapproche socio-organisationnelle, du fait du renouveau thorique et mthodologique quelle apporte ce sujet, en complment des approches plus classiques. Parce quil manquait un outil qui permette aux dirigeants et dcideurs la mise en pratique des connaissances et mthodes en matire de stress au travail, cet ouvrage a t orient action , afin dagir concrtement dans lentreprise. Outre sa volont dtre aussi exhaustif que possible sans sombrer dans les dtails, ce livre se propose dtre une bote outils dinformations pratiques concernant le phnomne du stress au travail. Les auteurs de ce livre, praticiens et chercheurs, psychosociologues et gestionnaires, ont eu pour ambition de faire comprendre le phnomne global du stress au travail avec simplicit, sans pour autant escamoter la complexit dudit phnomne. On ne peut apprhender le stress au travail avec une vision rductrice au risque de mutiler (une seconde fois) les tres humains qui le subissent, et donc de menacer la performance de lentreprise. Peut-on comprendre le stress sans lavoir jamais expriment ? La rponse, par la singularit quelle sous-tend, appartient chacun. Pour aider dirigeants et dcideurs trouver rponse cette question, un autoquestionnaire leur permettra dtablir un premier mini-diagnostic des causes potentielles de stress des salaris au sein de leur entreprise, prlude une prise de conscience affermie et une ventuelle dmarche de prvention. Ceux qui souhaitent passer lacte trouveront les lments mthodologiques et les pistes dactions potentielles permettant, au sein de lorganisation, damliorer les conditions de travail, de favoriser le bien-tre des salaris, et donc daccrotre la performance de lorganisation. Chercher favoriser le bien-tre des salaris dans lorganisation du travail nest pas en contradiction avec le fait de sassurer que lentreprise reste rentable, loin sen faut.VI

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Sommaire

Avant-propos

............................................................................................................................................................

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Prambule ...................................................................................................................................................................... 1Partie I Le stress au travail : tat des lieux

Chapitre 1 Travail prescrit, travail vcu : le grand cart ............. 29Les mtamorphoses du travail ....................................................................................................... 29 Les paradoxes du travail ....................................................................................................................... 33 Les dsordres du travail ........................................................................................................................ 39 La dgradation des conditions de travail : un phnomne socio-organisationnel .................................................................................. 48

Chapitre 2 Stress au travail : de quoi parle-t-on au juste ?

57 Du concept aux symptmes ............................................................................................................ 58 De la performance conomique la performance sociale ............................ 74 Le stress au travail : des consquences multiples ..................................................... 80......

Partie II valuer avec objectivit le stress des salaris, cest possible !

Chapitre 3 valuer le stress au travail ne va pas de soi .......... 93 Groupe Eyrolles

valuer les stresseurs organisationnels et sociaux ................................................... 93 Comment mesurer le stress au travail ? .............................................................................. 95

Chapitre 4 valuer le stress au travail : contexte et enjeux .. 103Le diagnostic du stress : tat des lieux .............................................................................. 105 Un modle des stresseurs organisationnels et sociaux .................................... 109

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Chapitre 5 Autoquestionnaire du dirigeant : valuer lexposition au stress dans son entreprise ................... 113 Chapitre 6 Mthodologie de laudit de performance sociale pour valuer les stresseurs auprs des salaris ...... 119Les fondements thoriques ............................................................................................................ 120 Les fondements mthodologiques ......................................................................................... 121 Partie III La bote outils dexpertise

Chapitre 7 Expertise en entreprise : lobservatoire du stress ....................................................................................................................... 137Dfinition .......................................................................................................................................................... 137 Deux exemples dobservatoires du stress ....................................................................... 138

Chapitre 8 Expertise institutionnelle : les enqutes ........................ 141Les enqutes sur les conditions de travail ..................................................................... 142 Les enqutes sur les risques psychosociaux et la sant au travail ........ 144

Chapitre 9 Expertise scientifique : les modles de mesure du stress ....................................................................................................................... 149Les modles gnraux .......................................................................................................................... 149 Les modles spcifiques (mesure du stress avec stresseurs spcifiques) ........................................................... 154

Chapitre 10 Expertise praticienne : les principaux cabinets de conseil

.......................................... 157 LIFAS ...................................................................................................................................................................... 157 Stimulus .............................................................................................................................................................. 160 Technologia .................................................................................................................................................... 162 Psya ........................................................................................................................................................................... 162 Capital Sant .................................................................................................................................................. 163 Groupe Alpha (Alpha Conseil) ................................................................................................ 163 m@rs-lab (SRM Consulting) ...................................................................................................... 164

VIII

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Sommaire

Partie IV Cadre rglementaire et perspectives des parties prenantes

Chapitre 11 La lgislation ......................................................................................................... 169Ltat des lieux des lois relatives aux conditions de travail ....................... 169 La jurisprudence ........................................................................................................................................ 176

Chapitre 12 Les points de vue en prsence ...................................................... 179Les institutions ............................................................................................................................................ 179 Le patronat ....................................................................................................................................................... 187 Les organisations regroupant des professionnels .................................................. 189 Les syndicats de salaris ..................................................................................................................... 191

Chapitre 13 Laccord national interprofessionnel sur le stress au travail ............................................................................... 197Les objectifs ..................................................................................................................................................... 197 Les apports ....................................................................................................................................................... 198

Conclusion ............................................................................................................................................................. 201Annexes

Annexe 1 Annexe 2 Annexe 3 Groupe Eyrolles

Accord-cadre europen sur le stress au travail du 8 octobre 2004 ................... 205 Accord national interprofessionnel sur le stress au travail ............................................................................... 211 Expertise : expertise scientifique et modles spcifiques ............................................................................. 218......................................................................................................................................................

Bibliographie

219

Index des sigles et acronymes ..................................................................................................... 221 Table des matires......................................................................................................................................

223

IX

Prambule

Le stress au travail est un sujet dactualit qui mobilise syndicalistes, ergonomes, hommes politiques et constitue, par consquent, pour les dirigeants dentreprise un sujet de proccupation. Comment valuer la situation dans leur entreprise et comment faire face dventuelles mises en accusation ? Cette actualit aura t illustre par la prsentation au ministre du Travail, le 12 mars 2008, dun rapport sur la dtermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux du travail , remis par Philippe Nasse et le Dr Patrick Lgeron. Ce rapport aura fait accder le problme du stress au travail la dimension dune grande cause nationale, au mme titre que la tabagie ou les accidents de la route. Do le projet dun indicateur global relatif au stress. Quelques mois plus tard tait acquise, le 11 septembre 2008, la transposition, en droit franais, de laccord europen1 sur le stress au travail. Paralllement, senchanaient colloques, prises de position, travaux de recherche, dont on trouvera un best-of dans les troisime et quatrime parties de cet ouvrage. Groupe Eyrolles

Reste savoir quoi correspond cet intrt pour le stress et la dcouverte de ce qui serait son dveloppement au sein des entreprises. La premire hypothse est quil sagit l dun mouvement de1. Cf. annexe 1.

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mode ; la seconde, cest quil sagit dun problme, non certes nouveau, mais qui tendrait stendre au point de devenir insupportable dans certaines entreprises. Que le stress soit devenu un sujet dont on parle, propre nourrir le dbat social, ceci nest gure contestable. Les problmes de lentreprise et du travail font lobjet deffets de mode. Il y a eu, dans les annes 1980, la mode du management participatif, celle des cercles de qualit, du projet dentreprise, celle encore du dveloppement personnel ; dans les annes 1990, il aura t plutt question de downsizing ou de reengineering. La conception humaniste de lentreprise laissait place ainsi une conception financire, largement dicte par les fonds de pension amricains qui staient introduits dans le capital de grandes entreprises franaises loccasion de leur privatisation. Cette conception financire, ayant pour effet de rduire la composante humaine de lentreprise une variable dajustement, aura ncessairement suscit des ractions ngatives, venant de tous ceux qui, par idologie ou parce quils en voyaient les effets, napprouvaient pas cette drive. Il y aura dabord eu la mise en cause de la souffrance au travail , la suite du livre ponyme1 publi par Christophe Dejours en 1998. Il aura ensuite t question de harclement moral et sexuel , ce qui aura conduit les pouvoirs publics la promulgation dun texte de loi. Souffrance au travail et harclement auront fait lobjet de multiples travaux et de multiples dnonciations, Puis est venue la question du respect de la diversit , qui aura dbouch sur la cration de la HALDE (Haute autorit de lutte contre les discriminations et pour lgalit). Et enfin, voici venu le temps du stress au travail . Groupe Eyrolles

Un tel mouvement de mode, pour saffirmer, suppose toutefois de rpondre une demande suffisamment large, de sappuyer sur un1. Christophe Dejours, Souffrance en France. La banalisation de linjustice sociale, Le Seuil, 1998.

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Prambule

corpus thorique suffisamment consistant et dexprimer un ensemble de ralits suffisamment avres. On ne saurait donc le balayer. Si le thme du stress au travail trouve aujourdhui un tel cho, cest videmment quil correspond quelque chose que vivent ou que redoutent les salaris, et que les tragiques vnements que reprsentent les suicides dont il aura t question dans la presse font cho une ralit beaucoup plus tendue. Par ailleurs, le corpus thorique existe, et il nest pas nouveau. Ds le milieu des annes 1970, le Pr Henri Savall a initi, avec la cration de lISEOR (Institut de socio-conomie des entreprises), des travaux mettant en lumire les cots cachs , tels quils rsultent dune organisation du travail dficiente, et qui peuvent, selon lui, slever dans certains cas deux fois la masse salariale de lentreprise. Il convient par ailleurs, peu prs la mme poque, dvoquer les travaux sur la charge mentale de travail. La loi sur lamlioration des conditions de travail dbouche, en 1973, sur la cration du CHSCT et de lANACT. Avec la fameuse grve des OS de lusine Renault du Mans, les syndicats, et plus particulirement la CFDT, dnoncent de leur ct la dgradation des conditions de travail et, au-del de leurs revendications quantitatives traditionnelles, en exigent lamlioration. Mais ce qui est en cause, dsormais, cest moins la charge physique que la charge mentale et, surtout, le cumul des deux. Le passage de la ligne de production classique des quipes autonomes, la recomposition des postes de travail, la responsabilisation des quipes, la dmarche qualit ont pour effet de se traduire par la ncessit, pour le travailleur, dagiter non seulement ses muscles, mais aussi ses neurones. Cette charge mentale tend ainsi saccrotre dans de nombreuses entreprises, sous leffet de nombreux facteurs qui visent sajouter les uns aux autres : travail plus intensif se cumulant avec la ncessit dun strict respect des dlais impartis, ncessit de prendre la responsabilit de dcisions dans un environnement hautement contraint, excluant le recours aux moyens qui paratraient ncessaires3

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lintress, absence de recours hirarchique, confrontation aux multiples incivilits venues des usagers ou des clients. Et cest ainsi que lon en arrive la problmatique du stress.

Stress : lexpression de ce que vivent de nombreux salaris et dirigeantsAvant mme de faire lobjet dun essai de dfinition on en trouvera quelques-unes plus loin le mot stress est dabord lexpression de ce que vivent de nombreux salaris. Ils ont le sentiment de ne plus y arriver , ils se sentent anxieux, tombent dans la dprime , en viennent perdre leurs moyens et sont souvent victimes, alors, de diverses pathologies nerveuses. Ce mal-tre rsulte, au moins en partie, des situations quils sont amens vivre sur leurs lieux de travail.

Le sentiment de ne plus y arriver face la pression du travail au quotidienPlusieurs facteurs cumulent leurs effets pour expliquer la frquence accrue des cas de stress et de dpression provoqus par la faon dont les salaris vivent leur travail. En premier lieu, la pression du travail sest gnralement accrue dune faon continue depuis une quinzaine dannes : Les salaris sont de plus en plus nombreux travailler dans lurgence, compte tenu de la pratique du juste temps et des rorganisations provoques par les 35 heures ; ils doivent souvent assurer plusieurs tches la fois, toutes aussi urgentes les unes que les autres ; do un sentiment de saturation et une crainte permanente de ne pas y arriver . Cette crainte est dautant plus forte que les entreprises sont de plus en plus nombreuses avoir mis en place des objectifs individuels de rsultats qui conditionnent lvolution professionnelle4

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Prambule

de lintress, sinon mme son emploi ; ces objectifs sont thoriquement ngocis loccasion de lentretien annuel dvaluation mais, pratiquement, ils sont le plus souvent imposs, sans ncessairement tenir compte, dun point de vue raliste, de la faon dont ils pourront tre atteints (moyens insufsants, conditions dfavorables). Chacun se concentrant sur ses objectifs personnels, lentraide au sein de lquipe a cess daller de soi ; par ailleurs, les salaris doivent souvent respecter des procdures de plus en plus pesantes et dont les tenants et les aboutissants ne vont pas ncessairement de soi leurs yeux ; outre le temps quils y passent, alors mme que la pression de leurs tches tend augmenter, ceci a pour consquence de les placer dans une situation de double contrainte : ils sont jugs sur leurs rsultats personnels, alors mme quils ont de moins en moins dautonomie.

Une situation de double contrainte pour les salarisLes entreprises sont de plus en plus nombreuses avoir mis en place lun ou lautre des dispositifs suivants : certification ISO ou EAQF et formalisation des procdures respecter, production et livraison en juste temps, organisation en centres de profits, assortis dobjectifs de rsultats. Et les salaris, toutes catgories confondues, sont galement de plus en plus nombreux avoir le sentiment de travailler dune faon continue dans lurgence, tout en manquant des moyens ou des appuis qui leur seraient ncessaires pour raliser leurs objectifs. Cette volution dbouche de plus en plus frquemment sur des situations de double contrainte (pour employer la terminologie de Bateson). Ils doivent la fois aller plus vite et viter les erreurs, atteindre leurs objectifs tout en saccommodant dune rduction des moyens mis en uvre, tre comptables de leurs initiatives tout en respectant des rgles qui leur tent toute autonomie daction, et ainsi de suite. Littralement, la situation de double contrainte place lindividu dans une situation impossible (on connat la clbre5

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formule : soyez spontan ) et pourrait conduire la folie. Face de telles situations, il y a videmment plusieurs attitudes possibles. Une premire solution consiste hausser les paules et refuser de se laisser enfermer dans ce genre de dilemme : Si je devais respecter les exigences la fois de mon chef de produit et de mon patron de zone, je ne pourrais pas y arriver ; consquence : je fais ce que je veux, quitte les mettre ensuite devant leurs incohrences. Ou encore : Nous sommes inonds de-mails et comme je nai pas le temps de les lire, je les ignore, mme sil sagit de consignes de scurit, mme si nous sommes sur un site class Seveso. Encore faut-il que ce soit possible. Il est ncessaire pour cela de disposer dinformations qui permettent de se dcider en connaissance de cause ; or, ceci est loin dtre toujours le cas. Par ailleurs, il faut que la dcision ne soit pas lie un risque insupportable pour celui qui la prend ; cependant, beaucoup de salaris craignent, en prenant une dcision qui se rvlerait ensuite ne pas avoir t la bonne, les consquences susceptibles den rsulter pour leur carrire et, plus immdiatement, sur leur emploi. Ils ne disposent donc pas des moyens de lautonomie qui leur est suppose : manque dinformations sur les enjeux et les priorits, manque dune relle possibilit de choix, difficults obtenir laide juge indispensable, manque de prcision des objectifs et des critres dapprciation qui leur seront ensuite appliqus. Cette situation de double contrainte affecte, il convient de le souligner, des salaris qui nont pas ncessairement ltat desprit qui leur permettrait de sen sortir sans trop de mal. Les plus respectueux de lautorit hirarchique et ceux qui manifestent le plus de conscience professionnelle sont souvent ceux-l mmes qui sont les plus fragiles. Celui ou celle qui sen fiche ne se pose pas de telles questions ; celui ou celle quanime un sentiment de rvolte na pas de tels tats dme. Celui qui veut absolument y arriver , se prouver luimme quil est capable et ne pas dcevoir ses chefs, en revanche, risque vite dtre guett par le stress.6

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Prambule

Labsence des reprsentants du personnelFace des conditions de travail devenues plus exigeantes, les reprsentants du personnel, traditionnellement, reprsentaient un recours. Les dlgus intervenaient auprs de la direction, le CHSCT diligentait une enqute et, si lemployeur demeurait insensible, le syndicat organisait une action collective. Il est permis de se demander pourquoi les syndicats, dans les tablissements o des suicides ont t dplorer, nont pas pris plus nergiquement la tte dune action afin de prvenir de telles situations. La rponse est double. Dune part, on constate un individualisme accru ; le rflexe des salaris est de moins en moins : tous ensemble, on agit , mais plutt : moi, personnellement, je vais essayer de men tirer . Dautre part, les syndicats ont perdu beaucoup de leur lgitimit et de leur pouvoir : ils sont peu prsents ; ils sont considrs comme peu comptents ; ils sont peu crdibles aux yeux du personnel, et notamment des jeunes ; ils ont parfois t plus ou moins instrumentaliss par la direction de lentreprise en vue de signer les accords quelle souhaitait faire aboutir et de contribuer maintenir la paix sociale . Au total, on ne peut qutre frapp par labsence de fortes ractions syndicales, que ce soit avant ou aprs les rcents accidents. Tout se passe comme sils taient dsormais largement absents du jeu ou comme si leur intervention se limitait des protestations sans relles consquences. Cette situation est videmment le produit dune histoire : lantisyndicalisme patronal, tel quil a t longtemps pratiqu et quil lest encore parfois, tait la contrepartie dun syndicalisme peu enclin pratiquer le dialogue social dans des conditions ralistes, compte tenu dune vision idologique misant sur une rupture avec le systme7 Groupe Eyrolles

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capitaliste . De l des relations dgrades, qui ne permettent que rarement de co-construire des solutions qui permettraient dassurer, la fois, la comptitivit conomique de lentreprise et des conditions demploi psychologiquement satisfaisantes pour les salaris.

Une carence de lencadrementLes syndicats ntant plus l pour grer les problmes des salaris quand il le faudrait, on pourrait imaginer que cette fonction ait t prise en charge par lencadrement. Cest parfois le cas, et certaines entreprises ont fait de gros efforts afin de promouvoir le rle social de lencadrement . Mais ceci est loin dtre toujours le cas. Les cadres sont, en effet, victimes eux-mmes de la pression du travail ; plus encore que leurs collaborateurs, ils doivent mener de front plusieurs tches, faire face lurgence, atteindre leurs objectifs oprationnels et respecter des rgles de reporting qui se traduisent par une multiplication de la paperasse lectronique. Au milieu de cet ensemble de contraintes, ils accordent le plus souvent la priorit leurs objectifs oprationnels , dment quantifis et dont ils savent que leur capacit les atteindre conditionne leur rmunration (augmentation au mrite) et leur avenir professionnel. La dimension humaine de leur responsabilit , autrement dit la faon dont ils soccupent de leurs collaborateurs, ne reprsente donc pas une tche prioritaire aux yeux de beaucoup dentre eux. Les formations quils reoivent en ce sens, les injonctions rituelles sur leur capacit animer lquipe ou affirmer son leadership sont ainsi sans grand effet, compte tenu des objectifs de rsultats quil leur faut atteindre par ailleurs. Il en rsulte que le salari, confront une situation de plus en plus dure vivre pour lui, se retrouve tout seul avec ses problmes. Il ne peut compter ni sur les reprsentants du personnel ni sur lattention de sa hirarchie. Ds lors, plusieurs attitudes sont possibles de sa8 Groupe Eyrolles

Prambule

part : faire face avec recul, se dsengager, compte tenu dobjectifs de toute faon impossibles atteindre, ou sobstiner cote que cote, soit par crainte de perdre son emploi, soit par volont de se montrer la hauteur. Il en rsulte que la dpression et sa conclusion ultime le suicide sont souvent le fait de salaris qui, par conscience professionnelle, ont vraiment tout tent pour faire face au dfi qui leur tait impos.

Un dveloppement des ractions de panique et de fuiteLes ractions des salaris prenaient traditionnellement la forme dune expression collective : tous ensemble, on allait exiger du patron quil amliore les conditions demploi salaire et dure du travail. Telle tait la raison dtre du syndicalisme : contribuer la promotion du monde ouvrier et au progrs social par la satisfaction des revendications portes au nom des travailleurs. Cette poque est en grande partie rvolue. La mobilisation collective autour de thmes simples a laiss place, de plus en plus, des ractions individuelles sexprimant en des termes de plus en plus complexes. Il ny a pas sen rjouir ou le regretter, il sagit simplement dun fait prendre en considration : la gestion collective des relations de travail laisse place progressivement une gestion qui est ncessairement beaucoup plus centre sur la situation spcifique de chaque individu ; il y a moins de grves, mais davantage de risques de suicides. En dautres termes, face aux agressions dont ils estiment tre lobjet, les salaris ragissent moins en termes de confrontation comment faire face collectivement ? et davantage en termes de fuite. Ces ractions de fuite peuvent sexprimer de faons trs diverses : absentisme, dpart de lentreprise, manque dattention, dsengagement par rapport aux objectifs de lentreprise, passivit face aux situations qui exigeraient, au contraire, ractivit et initiative, repli sur soi et sur ses droits, dveloppement de pathologies (dpressions, mal au dos , etc.). Cette tendance la fuite, pour lentreprise, peut se rvler beaucoup plus coteuse quun conflit collectif classique : un9

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ingnieur dtude qui se met en grve une journe reprsente pour lentreprise le cot dun jour de travail perdu, alors que sil rduit son efficacit de 20 %, cela reprsente lquivalent annuel de 40 journes perdues. Cette tendance au dsengagement individuel, excessivement coteuse pour lentreprise, est souvent nglige, dans la mesure o elle est peu visible. Elle peut tre considre comme un fait de socit , mais constitue galement la consquence de facteurs dinsatisfaction ou de mal-tre gnrateurs de stress. Reste dfinir celui-ci. Avant daborder la problmatique de sa dfinition, considrons comment les dirigeants eux-mmes se reprsentent le stress au travail, tant celui susceptible de les toucher que celui susceptible de toucher leurs salaris.

Perception et reprsentation des dirigeants quant au stressLe mythe du dni par les dirigeants du stress au travail a fait long feu. En France, 81,9 % des chefs de PME ou PMI considrent que leur entreprise est concerne par le stress1. Cependant, seuls 21,7 % des responsables affirment avoir mis en place une politique particulire pour y remdier (dans la majorit des cas, il sagit damliorer le dialogue social ou de rorganiser le travail). Ce sont les fonctions de production qui seraient les plus concernes par le stress au travail, devant les postes commerciaux et les fonctions de management, mais plus de la moiti des dirigeants se disent galement soumis une pression importante. Les diffrences entre la catgorie des ouvriers et employs et celle des cadres et dirigeants sur la dfinition du stress dmontrent la subjectivit de ce qui construit le concept de stress. Alors que la catgorie des ouvriers et employs dcrit le stress par des symptmes1. Sondage ralis auprs de 680 dirigeants de PME ou PMI par Pouey International en 2007.

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Prambule

physiques (fatigues physiques, douleurs musculaires, etc.), les cadres et dirigeants le dfinissent plutt par des pressions psychologiques (insomnies, troubles du sommeil, tats nerveux, etc.). Si, dsormais, le stress ne semble plus dni par les dirigeants, sa reprsentation est toutefois ambivalente, selon que les dirigeants se le reprsentent pour eux ou pour leurs salaris. Une reprsentation du stress ambivalente Des tudes ont montr quil y a encore, chez les dirigeants, une sous-estimation ou une mconnaissance du stress et de ses consquences. Pour certains dirigeants de PME, le stress au travail serait inhrent lactivit et ncessaire son bon accomplissement, car il permettrait limplication des salaris1. Pourtant, ils reconnaissent galement que le stress se traduit par labsentisme des salaris, la baisse de la productivit et laugmentation des erreurs. Selon certaines tudes, le stress est directement proportionnel au degr de responsabilits, mais il semble culturellement trs difficile pour les dirigeants de se reconnatre stresss. Les dirigeants sont confronts des exigences de tches psychologiques leves, constitues dun rythme et dune quantit de travail soutenus, dune charge mentale et motionnelle importante. Les enjeux commerciaux figurent parmi les principaux facteurs de stress du dirigeant ; tout comme les conflits, quil sagisse dune grve affronter ou dun collaborateur proche dont il faut se sparer2. Ils semblent pourtant quils consentent subir certaines contraintes du fait de leur statut et de leurs responsabilits, au risque de voir le physique lcher. Groupe Eyrolles

1. Les reprsentations du stress au travail des dirigeants de PME Stphan Pez, mmoire de master 2 sous la direction de J.-F. Chanlat. 2. tude IFAS effectue avec vingt responsables dentreprise ou de liales de grands groupes ralisant un chiffre daffaires suprieur 500 millions deuros.

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Les formes de stress dues leur fonction responsabilits sont tantt perues comme positives (stress, stimulation, motivation) et tantt comme ngatives (stress paralysant linitiative, frein au dynamisme dentreprise), ce qui tend banaliser le stress comme lment du travail moderne. Selon Jean-Ange Lallican, le prsident de la commission stress de lANDRH1, la plupart des DRH estiment quun stress excessif peut dmobiliser les quipes et dclencher des maladies. En revanche, et cest beaucoup plus surprenant, ils rejettent majoritairement lide quun environnement stressant puisse nourrir des troubles sur le champ priv, ou laddiction des drogues ou des mdicaments. On peut se demander sil ny a pas l une forme de dni . Lillusion de la toute-puissance face au stress Les dirigeants semblent distinguer des individus faits par nature pour absorber le stress ou, au contraire, se laissant dborder. Soucieux de leur image et de leur avenir, les dirigeants nosent pas toujours sopposer ou dnoncer des objectifs parfois dmesurs. Ils se contraignent les raliser au plus juste, pour montrer leur matrise, et ils se mettent aussi une pression quasi insurmontable2. Mais le suicide au travail nest pas lapanage des salaris ; le suicide des patrons et, plus largement, la souffrance patronale sont des phnomnes encore largement ignors3. Il y aurait deux raisons majeures cela, et notamment lide que cest le patron qui fait les conditions de travail, et donc quil est le bourreau, lorigine de la souffrance des salaris : Apprhend dans un contexte o la souf1. Source : LExpansion.com, article du 24 septembre 2008, Les DRH ont tendance minimiser les effets du stress sur la vie prive . 2. Sylvie Roussillon et Jrme Duval-Hamel, Voyage au cur de la dirigeance, Eyrolles, 2007. 3. Source : Le Monde, 15 janvier 2009, Linaudible souffrance patronale , par Olivier Torres (chercheur luniversit de Montpellier et lEmlyon Business School, viceprsident de lAssociation internationale de recherche en PME).

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france rsulte deffets de domination, le patron, dominant, ne peut donc souffrir. La seconde raison vient de lidologie du leadership qui inciterait les patrons se survaloriser, et donc taire leur souffrance. Certains dirigeants voient le stress comme un manque de professionnalisme et de force. Ils privilgient le maintien de leur capacit ne pas stresser, garder confiance dans le fait de savoir agir, et ce, en mettant en place de stratgies de coping1 (prise de recul, recours des tiers) qui jouent un rle important dans la modration du stress. Quelle que soit la cause de son stress, le dirigeant est souvent proccup par la perception que les autres (les salaris, les membres de son quipe, les mdias) auront de lui. Cet enjeu spcifique explique le besoin souvent constat chez les dirigeants dtre dans lhyper contrle , analyse ric Albert2. Selon lui, ce soin apport limage pourrait participer de leur efficacit : Elle les conduit trouver les bons plans daction dans la plupart des situations sauf lorsque leur intrt nest pas parfaitement en adquation avec celui de lentreprise. Pour lentourage des dirigeants, galement, il semble que les signaux de stress soient facilement interprts comme des signes de force et de puissance. Cest pourquoi les dirigeants ne peuvent parfois plus en reconnatre les signes pour eux-mmes. Et cette non-reconnaissance du stress peut contribuer son isolement, et risque aussi dentraner chez le dirigeant une sous-estimation du stress des autres, ce qui lempcherait alors de savoir les traiter.

Comment dfinir le stress ? Groupe Eyrolles

Le dveloppement du stress dans les entreprises tant ainsi constat, avec ses dgts sur la sant de lhomme au travail, il sensuit une1. Coping : stratgie psychique consistant chercher faire face (to cope with) aux sollicitations stressantes. Nous revenons sur ce concept dans la premire partie de cet ouvrage. 2. ric Albert, article du 19 juin 2007 dans Enjeux , Les chos.

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multiplication des travaux visant prciser sa nature, le mesurer et dboucher sur des prconisations daction. De l une floraison de dfinitions, venant dinstitutions de recherche, dexperts, voire dorganisations syndicales ou patronales. On en passera quelquesunes en revue, ce qui permettra de parvenir plus loin dutiles conclusions.

La dfinition de lANACTLaction en vue de lutter contre le stress en entreprise constitue pour lANACT une dimension importante de lamlioration des conditions de travail qui constitue sa raison dtre : Un tat de stress survient lorsquil y a dsquilibre entre la perception quune personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception quelle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus dvaluation des contraintes et des ressources soit dordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement de nature psychologique. Il affecte galement la sant physique, le bien-tre et la productivit de la personne qui y est soumise. Cette dfinition comporte trois lments : les sources du stress qui sont ici les contraintes au travail ; ltat de tension ou de stress li au dsquilibre entre contraintes et ressources ; Les consquences ou effets du stress sur la sant des salaris et sur la productivit de lentreprise. Gnralement, en situation de stress, la personne dans un premier temps subit la situation et se sent impuissante. Aprs cette phase de sidration, elle tente de ragir et de sadapter. Trois types de raction sont alors observs : des ractions dordre motionnel comme exprimer sa colre ou au contraire linhiber, des ractions dvitement comme la demande de changement de poste ou larrt du travail, la recherche de solutions par14

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une meilleure information, une rorganisation de son travail ou la sollicitation des collgues dans une recherche de stratgies collectives. Si ces ractions savrent inoprantes ou inacceptables pour lorganisation, ltat de stress devient alors chronique, menaant lintgrit physique et mentale des personnes 1.

Le point de vue des expertsCeux-ci peuvent tre classs en plusieurs coles. Lapproche fonde sur lanalyse des mcanismes physiologiques Le terme de stress a t introduit pour la premire fois par Hans Selye (1907-1982), qui tait un mdecin endocrinologue autrichien. Pour Selye, le stress est une rponse non spcifique de lorganisme face une demande . Il est lorigine du concept de syndrome gnral dadaptation , qui dcrit les trois ractions successives de lorganisme face une situation stressante : la raction dalarme : ds la confrontation une situation value comme stressante, lorganisme se prpare ragir ; la raction de rsistance : lorganisme ragit et rsiste la situation ; la raction dpuisement : si la situation stressante se prolonge encore ou sintensie, les capacits de lorganisme peuvent tre dbordes ; cest ltat de stress chronique, lorganisme spuise. Les termes de bon et mauvais stress sont couramment employs pour voquer le stress au travail. Le bon stress permettrait une grande implication au travail et une forte motivation, tandis que le mauvais stress rendrait malade. Or, il ny a scientifiquement ni bon ni mauvais stress, mais un phnomne dadaptation du corps rendu ncessaire par lenvironnement. On1. www.npdc.aract.fr/aract/download/pleinierestress071103.pdf.

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peut en revanche diffrencier ltat de stress aigu de ltat de stress chronique, qui ont des effets diffrents sur la sant : Ltat de stress aigu correspond aux ractions de notre organisme quand nous faisons face une menace ou un enjeu ponctuel (prise de parole en public, remise urgente dun rapport, changement de poste de travail choisi). Quand cette situation de stress prend n, les symptmes de stress sarrtent gnralement peu de temps aprs. Ltat de stress chronique est une rponse de notre corps une situation de stress qui sinscrit dans la dure : cest le cas lorsque, tous les jours au travail, nous avons limpression que ce qui nous est demand dans le cadre professionnel excde nos capacits. Ce type de situation de stress chronique, mme lorsquil est choisi, est toujours dltre pour la sant. Lapproche psychologique du stress Selon cette approche, les variables personnelles et sociales modulent limpact du stress sur un individu. Richard Lazarus et Susan Folkman1 dcrivent les trois composantes, selon eux, de la raction dun individu une situation potentiellement stressante : une valuation primaire : le sujet interprte la menace potentielle de llment stressant en fonction de variables situationnelles (amplitude, dure, imminence de la nocivit, etc.) ; une valuation secondaire : le sujet identie ses ressources motionnelles et comportementales pour laborer une rponse ; une valuation des consquences de la rponse. Pour Lazarus et Folkman, il y a stress quand une situation a t value par une personne implique et que celle-ci excde, selon elle, ses ressources adaptatives .1. Richard S. Lazarus, & Susan Folkman, Coping and adaptation, In W.D. Gentry (Eds.) The Handbook of Behavioral medicine, New York, Guilford, 1984.

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Lapproche psychosociale partir des annes 1960, lapproche psychosociale consiste sintresser la relation entre vnements de vie et maladies somatiques ou mentales, ceci en distinguant les vnements brutaux et les expriences de perte telles que la perte de son emploi, une maladie grave, un deuil, des situations chroniques de conflit ou de surcharge de travail ou, encore, des transitions psychosociales telles que lentre dans la vie active, la retraite ou le mariage. Le point de vue du Dr Patrick Lgeron Le docteur Patrick Lgeron est, avec le docteur ric Albert, lun des spcialistes reconnus du stress en France. Dans son ouvrage Le stress au travail1, il regroupe les principales sources de stress au travail selon six catgories : le stress d des pressions toujours plus fortes ; le stress li aux changements ; le stress rattach au sentiment de frustration ; le stress li aux relations interpersonnelles ; le stress li la violence ; le stress engendr par lenvironnement. Il retient quatre grands facteurs de stress lis au travail2 : les pressions et exigences constantes ; les changements ; les frustrations ; Groupe Eyrolles

les relations entre les individus.1. Patrick Lgeron, Le stress au travail, Odile Jacob, 2001. 2. Patrick Lgeron, Stress au travail : tous les indicateurs sont dans le rouge , lemonde.fr, 7 mars 2008 (http://www.lemonde.fr/web/chat/0,46-0@2-3224,55-1031745,0.html).

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Les organisations syndicales et patronalesDepuis le dbut des annes soixante-dix, lamlioration des conditions de travail est lordre du jour des relations entre patronat et syndicat. Do, en ce qui concerne le stress en entreprise, laccord national interprofessionnel du 2 juillet dernier. Parmi les organisations syndicales de salaris, la CFDT et la CFE-CGC se sont plus spcialement penches sur cette question du stress. La CFDT La CFDT, au dbut des annes soixante-dix, a mis en avant des revendications portant spcifiquement sur lamlioration des conditions de travail. Il sagissait dune dmarche nouvelle par rapport lattitude consistant exiger des primes en compensation de conditions de travail pnibles ou dgrades. On parlera ainsi de revendications qualitatives , par opposition aux revendications quantitatives en fait, salariales , mises en avant par dautres organisations. Dans cette perspective, la CFDT propose ainsi la dfinition suivante du stress. Dfinition du stress : serrer, resserrer ; par extension touffer, oppresser. Le stress est une raction dadaptation de la personne aux facteurs dagression, quils soient : physiques (le bruit, la pollution), psychiques (le sentiment danonymat), organisationnels (dlais de production), motionnels (la peur). Trop souvent ou trop longtemps sollicit, cet effort dadaptation de lorganisme peut gnrer des maladies de peau, problmes cardiaques, dpressions voire des accidents au travail1. Groupe Eyrolles

1. www.cftc-67.com/divers/dossiers/stress.htm.

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Pour la CFDT, le stress est la fois : physique : le corps souffre lorsquon se sent impuissant face la surcharge de travail ou aux objectifs qui ne sont pas sa mesure, lorsquon est agress par les conditions de travail ; psychique : lorsquon panique davoir dcider, crer ou innover, sans lautonomie, la conance et le temps sufsants ; intime ou spirituel : lorsquon est frustr de ne pouvoir gratuitement aider lautre, lapprcier pour ce quil est, donner du sens au travail, parce que seule la comptitivit compte1 . Les facteurs de stress, prcise la CFDT, sont souvent multiples : hors travail, il sagit des facteurs, lis aux conditions de vie des personnes, qui peuvent crer du stress : les transports domicile/ travail, les problmes familiaux, les soucis nanciers ; au travail, de nombreux facteurs lis aux tches et au contexte dans lequel on les ralise (ambiance, organisation) peuvent se conjuguer : charge de travail trop lourde ou insufsante, pnibilit trop importante, exigences trop fortes (dlais, qualit), consignes, tches, objectifs trop ous, absence de reconnaissance, de gratication, absence de coopration entre les personnes, inscurit de lemploi, prjugs, menaces, brimades, violence. La CFE-CGC La CFE CGC2 dfinit le stress par ses causes et ses consquences. Les causes, dans lunivers professionnel, peuvent en tre multiples et la CFE-CGC en dresse toute une liste : linsufsance de temps par rapport la charge de travail, la difcult concilier vie professionnelle et vie prive, Groupe Eyrolles

la perte dautonomie lie aux nouveaux outils de gestion,1. www.cftc-67.com/divers/dossiers/stress.htm. 2. http://www.cfecgc.org/ewb_pages/div/Stress_Denition.php.

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le harclement moral, lagressivit de la clientle, la concurrence entre collgues, le risque de perte nancire, la perte de sens, de valeurs, la non-reconnaissance, des ordres contraires lthique et aux valeurs personnelles, la contrainte motionnelle, etc.

Quant aux effets sur la sant, ils sanalysent comme suit : Productivit toujours plus accrue, comptitivit, le monde du travail est un grand pourvoyeur de stress. Or, celui-ci peut tre nocif, surtout quand il se fait chronique. Des tudes scientifiques ont prouv les liens entre des situations de travail stressantes et lapparition de problmes de sant mineurs ou de maladies plus srieuses. De vritables pathologies peuvent apparatre (troubles cardiovasculaires, mtaboliques). Laccord national interprofessionnel sur le stress au travail du 24 novembre 20081 Patronat et syndicats sont parvenus un accord sur le stress au travail qui permet de transposer au niveau de lHexagone laccord europen du 8 octobre 20042. Laccord prcise ce quil faut entendre par tat de stress : Un tat de stress survient lorsquil y a dsquilibre entre la perception quune personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception quelle a de ses propres ressources pour y faire face. Lindividu est capable de grer la pression court terme mais il prouve de grandes difficults face une exposition prolonge ou rpte des pressions intenses.1. Texte en annexe 2. 2. Cf. annexe 1.

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En outre, diffrents individus peuvent ragir de manire diffrente des situations similaires et un mme individu peut, diffrents moments de sa vie, ragir diffremment des situations similaires. Le stress nest pas une maladie mais une exposition prolonge au stress peut rduire lefficacit au travail et peut causer des problmes de sant. Le stress dorigine extrieure au milieu de travail peut entraner des changements de comportement et une rduction de lefficacit au travail. Toute manifestation de stress au travail ne doit pas tre considre comme stress li au travail. Le stress li au travail peut tre provoqu par diffrents facteurs tels que le contenu et lorganisation du travail, lenvironnement de travail, une mauvaise communication, etc.

Ce que peut faire lentreprise face au stress au travailLes dfinitions qui prcdent illustrent le dbat qui, actuellement, oppose lapproche psychologique et mdicale du stress de son approche socio-organisationnelle. Le stress constitue, on le voit bien, la rsultante de donnes psychologiques et mdicales, de donnes sociologiques lies aux modes de vie et, enfin, de donnes organisationnelles lies leffort des entreprises pour amliorer leur productivit. Il nest pas besoin dtre psychologue pour affirmer que les personnes sont diffremment armes face aux situations susceptibles dtre gnratrices de stress. Certains anciens, par exemple, ayant t habitus un monde stable et prvisible, peuvent se sentir mal laise dans un monde o lincertitude tend devenir la rgle. De mme, certains jeunes peuvent ne pas avoir la maturit qui leur permettrait de se montrer vritablement autonomes dans la gestion des situations auxquelles ils sont confronts. On se contentera de souligner que le stress peut tre li des changements auxquels les personnes ne sont pas ou ne sont que mdiocrement prpares et qui ne bnficient pas de laccompagnement qui leur serait ncessaire.21

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Les conditions de vie constituent, par ailleurs, sans aucun doute, un facteur de stress. Il faut tre lheure le matin pour conduire les enfants lcole, attraper le train qui permet desprer arriver lheure au bureau, craindre en permanence la grve des enseignants ou des cheminots qui obligera improviser une solution de dernire minute, et ainsi de suite. La vie quotidienne de nombre de salaris sapparente ainsi une course contre la montre que le moindre imprvu transforme en une srie de catastrophes en chane. Il a t mdicalement tabli que la faon dont les travailleurs posts supportent le trois-huit est largement fonction de leur capacit se reposer dans de bonnes conditions de calme et salimenter dune faon hyginique1. Dune faon plus large, les situations stressantes vcues dans le travail seront plus ou moins bien supportes selon que lintress a ou non la possibilit de rcuprer dans de bonnes conditions. Le salari se prsente ainsi son travail plus ou moins immunis ou plus ou moins fragilis face la charge mentale et aux situations stressantes auxquelles il lui faudra faire face. Des listes de ces facteurs de stress ont pu tre tablies ; on y trouve, par exemple, lincertitude en ce qui concerne lavenir et labsence dinformations sur les intentions de la direction de lentreprise, labsence de rponses aux questions, le sentiment de ne pas tre reconnu dans son travail, labsence de clart des systmes dapprciation, lexistence dordres et de contre-ordres, le peu de disponibilit de lencadrement, ou, encore, labsence dune comprhension claire du mode de fonctionnement de lentreprise et des exigences qui en rsultent en termes de rgles ou de procdures2. Ce sont l, indpendamment de ltat de sant, de lquilibre psychologique ou de limpact des conditions dexistence, autant de1. Hubert Landier et Norbert Vieux, Le travail post en question, Le Cerf, 1976. 2. Cf. le rfrentiel des stresseurs organisationnels et sociaux sur lequel nous revenons dans la seconde partie de cet ouvrage.

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facteurs de stress sur lesquels lentreprise peut agir. En ce sens, il est permis daffirmer que lentreprise ne saurait chapper ce qui relve clairement de sa responsabilit. Plus : elle a tout y gagner. Les cots cachs rsultant dune matrise insuffisante des facteurs de stress peuvent tre extrmement levs. De ce point de vue, la lutte contre les facteurs de stress peut constituer un investissement hautement rentable, que ce soit pour lentreprise ou pour la collectivit.

Dvelopper des voies de recours pour le salariCompte tenu de tout cela, que peuvent faire les entreprises ? moins de vouloir refaire le monde, ce qui se situe un autre niveau de rflexion, on ne saurait nier les contraintes conomiques qui simposent aux managers, diffrents niveaux de responsabilit, ainsi quaux salaris, enferms dans un rseau de contraintes et dobligations de plus en plus serr. Lobjectif atteindre, ds lors, semble clair : que faire pour que la personne qui a le sentiment de ne pas pouvoir sen sortir ne soit pas enferme dans sa solitude, quelle ait quelquun qui parler et qui puisse ventuellement laider trouver une solution ? cette question, la rponse consistant faire intervenir une arme de psychologues constitue un pis-aller. Il convient en effet de revenir aux sources de cette solitude du travailleur en difficult. De l deux pistes : la qualit des relations sociales et le rle jou par le management : En ce qui concerne la qualit des relations sociales, la bonne question se poser est videmment la suivante : est-elle de nature donner conance en lentreprise ? Celle-ci est-elle fonde sur un socle de valeurs attestant le respect que ses dirigeants accordent la personne ? Indpendamment des multiples dfauts qui leur sont prts, le rle des reprsentants du personnel est-il reconnu ? Dune faon plus gnrale, la dimension humaine de lentreprise, en vue de la ralisation mme de ses objectifs conomiques, estelle prise en considration ? Ensuite viendront (ventuellement23

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par voie daccord) les solutions pratiques en vue de remdier aux difcults personnelles que peuvent prouver les salaris et dassurer leur accompagnement en cas de ncessit. La rponse apporte cette premire srie de questions conditionne la seconde. Les managers doivent-ils dabord atteindre leurs objectifs personnels par tous les moyens ou doivent-ils assurer une optimisation des ressources humaines cones leur autorit ? Autrement dit, leurs objectifs personnels sont-ils ou non subordonns des objectifs collectifs, impliquant un rel travail en quipe et une prise en charge effective des difcults prouves par tel ou tel de leurs collaborateurs ? Ainsi sagit-il dviter le sentiment de solitude absolue prouve par le salari face une tche quil craint de ne pas pouvoir assumer au risque den subir de terribles consquences. Dlgu ou manager, il lui faut une voie de recours. Il ne doit pas tre laiss seul face son problme . Il doit se sentir intgr dans un collectif duquel il puisse obtenir un appui. Cela suppose du manager : une capacit dcoute qui aille au-del dune revue de ltat davancement des tches ; or, celle-ci ne va pas de soi ; elle suppose une certaine maturit personnelle et elle est consommatrice de temps ; une capacit tenir inform chacun des enjeux collectifs tels quils dpassent ses objectifs individuels et sont susceptibles de donner sens ses efforts ; il sagit de faire en sorte que chacun sache pourquoi il doit agir de telle sorte, et non pas seulement ce quil doit faire.

Une telle politique suppose que lentreprise reconnaisse limportance de la dimension humaine pour sa russite, au moins sur le long terme. Autrement dit, que sa politique humaine et sociale doit24

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Faire de la lutte contre les facteurs de stress un investissement qui conditionne la russite long terme

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contribuer la cration de valeur . Cette contribution est-elle mesurable ? Sans doute non. En revanche, il est trs possible de mesurer la destruction de valeur rsultant dune politique RH et dun management dficients. Si les salaris travaillent 80 % seulement de leur potentiel, cela reprsente environ lquivalent de 40 journes dans lanne payes ne rien faire. Si la masse salariale reprsente 50 % du chiffre daffaires, cela reprsente une perte de 10 points de rentabilit. Les symptmes de cette dgradation du tissu humain qui conditionne lefficacit de lentreprise sont multiples. Il sagit non seulement du risque reprsent par un conflit, mais galement, et de plus en plus, de ces multiples cots cachs que reprsentent labsentisme, un turnover excessif, les retards qui auraient pu tre vits, les malfaons, le laisser-aller et, bien entendu, leffet des pathologies susceptibles de se dvelopper : stress et dpressions. Celles-ci sont connues de la CNAM comme une source de cot majeure. Elles le sont aussi pour lentreprise. Reste en comprendre lorigine afin dy remdier. Les causes en sont nombreuses : pression du travail, objectifs difficiles, sinon impossibles, atteindre, absence dinformations pertinentes, absence de rponses aux questions ou aux suggestions, lourdeur des procdures Placs dans de telles conditions, certains salaris sefforcent de faire face et y parviennent plus ou moins ; dautres, plus fragiles, finissent par craquer. Les consquences du stress auquel aboutissent des relations de travail dgrades et une organisation touffante ne sont pas seulement dommageables pour les salaris qui les subissent ; elles constituent en outre, pour lentreprise, un facteur considrable de cots quelle pourrait sviter. Ces cots rsultent notamment : de la progression de labsentisme, tel quil rsulte dun dveloppement des pathologies auxquelles conduit le stress (dpression, troubles musculo-squelettiques) ;25

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dune progression ventuelle du turnover, avec le dpart des meilleurs ; dune moindre efcacit dans le travail, telle que celle-ci rsulte dun dsengagement personnel de chacun des salaris ; dune dgradation de limage de lentreprise, que ce soit aux yeux des salaris quelle emploie ou de ses clients. La lutte contre le stress ne saurait donc constituer, pour lentreprise, un luxe plus ou moins coteux, alors quelle sefforce par ailleurs de rduire autant quelle le peut ses frais dexploitation. Il sagit l dune dmarche rentable. Lentreprise peut en effet en attendre la fois une rduction de labsentisme, une implication plus forte des salaris dans leur travail, une meilleure efficacit collective et une amlioration de son image. Ce sont des gains difficiles mesurer, mais qui, dans certains cas, peuvent reprsenter 30 40 % des cots dexploitation. Cest pourquoi il est permis daffirmer que laction mene contre le stress peut reprsenter, pour lentreprise, un investissement hautement rentable.

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Partie I

LE STRESS AU TRAVAIL :TAT DES LIEUX

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Dans cette partie, on trouvera une prsentation des rcentes volutions du travail. Cet aperu permet de mieux apprhender le phnomne socio-organisationnel de dgradation des conditions de travail qui touche aujourdhui un certain nombre de salaris franais et il permet de mieux comprendre pourquoi il engendre du stress au travail. Puis sera prsent ce que lon entend par stress au travail selon trois axes : physiologique, psychologique et socio-organisationnel. Enfin nous verrons les incidences du stress sur lorganisation et ses consquences sur le salari, mais aussi sur lentreprise et la socit.

Chapitre 1

Travail prescrit, travail vcu : le grand cart

Les mtamorphoses du travailJadis, le travail offrait nombre de certitudes : celles dagir dans le monde et de pouvoir sy raliser, tant individuellement que collectivement. Grce son travail, lHomme a pu transformer son environnement naturel, il a cr des objets qui lui facilitent la vie, il a ainsi dploy tout un monde spcifiquement humain. Toutefois, depuis la fin des Trente Glorieuses, le travail a subi de nombreuses mtamorphoses, pour certaines radicales, remettant en cause les certitudes du temps pass. Dune part, le chmage de masse et de longue dure, ainsi que la prcarit ont rendu le travail rare et prcieux ; de lautre, lclatement des parcours, la diversit des tches au sein dun mme mtier, la porosit croissante entre les sphres professionnelles et personnelles ont contribu faire disparatre les points de repres traditionnels, parfois jusqu le dprcier : comment dsormais cerner son travail, comment le dfinir, peut-on encore lapprcier ? De fait, de nos jours, le travail occupe une position plus ambigu : le travailleur se plaint de son travail, mais il est bien content den avoir un. Quand il nen a pas, il en recherche un, parfois dsesprment. Quand il en a un, il en souffre, parfois

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Le stress au travail : tat des lieux

jusquau suicide. Le travail semble de plus en plus apprci non plus pour ce quil est lui-mme (tches, ralisation matrielle, uvre collective), mais pour autre chose qui lui est extrieur (argent, prestige, pouvoir, remde lennui).

Du travail en miettes au travailleur en miettesEn 1956, le sociologue Georges Friedmann fait flors avec un ouvrage au titre vocateur : Le travail en miettes1. Dans son ouvrage, le sociologue tudie les effets du progrs technique sur le travail. Il se dmarque des analyses optimistes dmile Durkheim (De la division du travail social, 1893) ou de Frederick Taylor (Lorganisation scientifique du travail, 1912). En effet, il porte un regard critique sur les effets du travail la chane qui, avec un recul de plus de cinquante ans, parat prophtique bien des gards. En sappuyant sur de nombreuses enqutes de terrain, il met en vidence les consquences de lorganisation scientifique du travail (OST) : sur la chane, les ouvriers ont perdu leur savoir-faire ; les tches sont clates, parcellaires et effectues une cadence soutenue. Pour Friedmann, le travail la chane rduit en miettes lactivit laborieuse et la vide de son sens. Cette organisation du travail engendre fatigue, dmotivation et ennui pour les employs, ce qui accrot labsentisme et le turnover. Certes, la productivit du travail a augment, engendrant une meilleure performance conomique des organi-sations ; mais quel prix pour les salaris qui les composent ? Les organisations ont tent dattnuer ces effets secondaires en recomposant les tches ou en instituant des rotations sur les postes de travail. Force est de constater que ces tentatives nont pas permis de rconcilier les ouvriers avec leur travail parcellis. Pour remdier aux consquences du travail la chane, Georges Friedmann, dans son ouvrage, propose comme chappatoire la promotion des loisirs1. Georges Friedmann, Le travail en miettes, 1956, rd. Paris, Gallimard, coll. Ides , 1964.

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Travail prescrit, travail vcu : le grand cart

afin que le travailleur puisse trouver du plaisir et se raliser en dehors du travail. Il est intressant de noter comment sont mis en opposition, par le sociologue, travail et loisirs, sujet qui fait cho au bon vieux mythe de la socit des loisirs . Implicitement, Georges Friedmann indique ainsi que la ralisation de soi ne semble pouvoir seffectuer dans et par le travail. Nous verrons toutefois, par la suite, que lindividu qui se pense au travail est loin dtre en phase avec cette approche binaire qui oppose travail et loisir. Bien que certains mdias dplorent lenvi que les Franais aient mal leur travail , les travailleurs se font une image positive du travail. Les tudes en psychologie sociale sur la reprsentation sociale du travail montrent, depuis au moins quinze ans, quils le pensent mme comme une source de plaisir. La financiarisation de lconomie na, depuis le dbut des annes quatre-vingt, rien arrang, puisqu ce travail vid de son sens, se sont ajoutes, dune part, une inscurit lie la fin de lemploi garanti et, dautre part, une dgradation des conditions de travail. La logique du toujours plus, toujours plus vite du modle nolibral na fait quaccentuer les consquences nfastes de lOST : aprs le travail en miettes, nest-ce pas dsormais le travailleur qui est en miettes ? Les tenants de lapproche psychologisante tendent surestimer les aspects psychiques de la pnibilit du travail : Le stress daujourdhui est psychologique et non plus, comme autrefois, physique , affirme le Dr Lgeron, coauteur du rapport sur les risques psychosociaux commandit par le ministre du Travail1. Mais, alors, comment comprendre la multiplication des maladies professionnelles de type TMS2 ? Cette reprsentation est pour le moins rductrice et insuffisante : le travail est-il vraiment moins physique, est-il plus psychique ? Ce qui est sr, cest quil semble pour le moins beaucoup Groupe Eyrolles

1. Rapport Nasse-Lgeron, mars 2008. 2. TMS : les troubles musculo-squelettiques sont des pathologies professionnelles lies des problmes dergonomie des postes de travail ou de congurations inappropries en termes de job design ou de cadence de production.

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Le stress au travail : tat des lieux

plus stressant, si lon croit les dires des travailleurs eux-mmes. Ce stress est d, comme nous allons le voir, aux volutions du travail des deux dernires dcennies.

La contradiction de lconomique et du social en tensionEn toile de fond de ces mtamorphoses, deux impratifs, en apparence contradictoires, coexistent dsormais dans les esprits de nos contemporains quand il sagit de penser le travail : un impratif conomique, qui impose comme principale nalit dune entreprise la ralisation du prot et, de plus en plus, la rmunration dun investisseur, quil soit priv ou actionnaire ; un impratif social, qui nourrit tant les besoins primaires des travailleurs (besoin de se nourrir, de se vtir, de se mettre en scurit) que leurs besoins secondaires (statut social, besoin de stabilit, de respect, de considration et, mme, de divertissement). Ces deux impratifs peuvent coexister durablement sans friction apparente, quand tout se passe bien. Mais ce qui peut devenir une proccupation, voire une angoisse lancinante pour les travailleurs, cest la conscience quen situation de choix entre ces deux impratifs, cest toujours limpratif conomique qui lemporte : ainsi le veut la logique mme du systme capitaliste. Les salaris ne peuvent dfinitivement chasser de leur pense la certitude inquitante que leur statut de subordonn nest jamais garanti, quils demeurent dpendants de leurs rsultats, mais aussi de leurs organisations. Ils ne sont donc quun moyen au service du profit, et jamais des fins en soi. Les rcents vnements de la crise financire montrent que la vision financiariste a atteint les limites du modle quelle cherche imposer au monde des entreprises et des organisations. Certes, linvestisseur actionnaire est celui qui permet lentreprise de trouver les moyens de son dveloppement et de sa croissance. Mais la logique financiariste qui exige un rendement de 15 % pour lactionnaire en vient dvoyer la finalit de lorganisation (produire un32

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bien ou fournir un service). Cette logique donne une tonalit ngative au sens quune socit (dans les deux sens du terme) donne au travail quelle confie ses salaris consommateurs, et nanmoins citoyens. Il est vrai que la classe politique franaise a contribu, elle aussi, rendre ambigu le sens donner au travail. gauche, lidologie dominante prne de rduire le temps au travail au profit dune vie plus amplement consacre aux loisirs. droite, lidologie en cours postule quil faudrait au contraire laugmenter, lintensifier pour permettre au travailleur de gagner plus, quitte dgrader ses conditions de travail. Paradoxalement, ce sont les plus ardents dfenseurs de la rduction du temps de travail qui, par leurs dcisions politiques censes amliorer la condition des travailleurs, ont le plus contribu la dgrader. Le passage aux 35 heures, fausse bonne ide, a acclr le processus de mise sous stress des salaris. Lenfer du stress est pav des bonnes intentions des thurifraires de la RTT1 qui ont eu une approche trop rductrice du travail, opposant lconomique au social, comme nous allons le voir par la suite.

Les paradoxes du travailLes mtamorphoses du travail mettent en exergue des ambiguts de plus en plus flagrantes, elles sont source de paradoxes quil faut bien grer au quotidien. Oui, il est vrai que les progrs techniques et humains ont rendu le travail moins alinant. Mais moins le travail est, dans les faits, alinant, plus il est vcu comme tel. Plus les travailleurs sont librs de la rudesse de ses contraintes, moins ils supportent celles qui restent. Groupe Eyrolles

1. RTT : rduction du temps de travail due au changement de la dure lgale du travail (passage de 39 heures 35 heures de travail hebdomadaire) en 1998 (lois Aubry en France).

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La souffrance est-elle dsormais le sens du travail ?Le travail est ambivalent parce quil engendre alternativement du plaisir et de la souffrance. La difficult, quand on cherche comprendre les ressorts qui animent les individus au travail, est que les choses ne sont pas aussi binaires quil y parat : lindividu accepte plus facilement la souffrance du travail parce quil vite celle du non-travail (sans-emploi ou au chmage). Le sociologue Michel Lallement1 a mis jour le processus dtiquetage social quengendre le chmage, systmatiquement associ un tat ngatif : le chmage, cest labsence de statut social, la fin de lautonomie et de la reconnaissance fournis par le travail. Le chmeur est exclu, alors que le travailleur, lui, est inclu ; travailler, cest donc exister socialement. La situation de chmeur rtrcit lespace de la sociabilit. Pour ceux qui vivent le chmage contre leur gr, le temps du non-travail condamne souvent au confinement domestique, au repli sur soi. La construction dune identit et dune image de soi positives est associe au fait de travailler. Do la valorisation actuelle du travail dans lesprit de nos contemporains. Il existe, dans le travail humain , une diffrence que lconomie na pas les moyens de se reprsenter ou de prendre en considration, mais qui nest pas moins inluctablement prsente dans le monde du travail : le fait que le travail procure de la souffrance et du plaisir ceux qui le vivent, plaisir et souffrance qui peuvent valoir et coter bien plus que de largent. Quelle science dure peut mesurer la souffrance ou le plaisir engendr par le travail ? Certainement pas les paradigmes ni les calculettes des conomistes. Quand les chanes de production cotent trop cher, on peut les arrter sans quelles sen plaignent : les machines nont pas dtat dme. En revanche, la main-duvre, si : elle ragit avec motion quand on la cantonne au1. Michel Lallement, Travail : une sociologie contemporaine, coll. Folio , srie Essais , Gallimard, 2007.

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rle de variable dajustement. Cest ce qui explique le fait que, lors des restructurations, certains salaris peuvent tre tents de choisir le suicide, plutt quun licenciement.

La souffrance paradoxaleIl faut relire LAssommoir de Zola pour prendre toute la mesure de ce paradoxe. Qui peut nier aujourdhui, en toute objectivit, que les conditions de travail dans nos pays dvelopps se sont amliores, au regard du sort qui tait celui des mineurs ou des ouvrires des filatures du XIXe sicle, voire celui des OS travaillant sur les chanes des annes cinquante, telles que dcrit par Friedmann ? Qui plus est, le temps de travail sest fortement rduit, tandis que lesprance de vie sest particulirement accrue, laissant du temps libre pour les loisirs Moins de peine au travail et plus de temps libre, en toute objectivit. Pourquoi alors le travail est-il vcu par un nombre croissant de salaris comme une souffrance ? Pourquoi de moins en moins dentre eux osent affirmer quil peut aussi tre une source de plaisir ? Parce que lobjectivit nest pas la subjectivit. Comme le souligne le psychiatre Christophe Dejours1, la souffrance est inhrente au travail, et donc invitable : entre ce qui est prescrit par lorganisation du travail et la ralit, il y a un cart, un dcalage. Ce serait la ncessit de sadapter qui provoquerait la souffrance. Toutefois, contrairement Christophe Dejours qui semble y voir une fatalit, nous affirmons que la souffrance laquelle nous assistons nest pas cause par le travail en soi mais par la faon dont il est pens et organis : une vision du travail et du travailleur rductrice mne irrmdiablement une organisation du travail dficiente. Il est possible dattnuer la souffrance au travail et de permettre dy trouver du plaisir, jusqu favoriser lpanouissement des salaris par la mise en uvre dune organisation du travail approprie.1. Christophe Dejours, Souffrance en France, op. cit.

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Le travail rvle ainsi des diffrences de perception ou de vcu qui peuvent, de prime abord, sembler paradoxales. Il est rejet par les uns et vnr par les autres, alors que ceux qui le rejettent ou le vnrent ont le mme travail. Pire, il est parfois vnr et rejet par le mme groupe dindividus des priodes diffrentes de leur vie professionnelle. Le travail est peru comme une valeur en baisse par certains, tandis que dautres lenvisagent comme un besoin en hausse. Depuis deux trois dcennies, le rapport au travail a sensiblement chang. Il est devenu indispensable pour offrir une vie dcente, mais il est parfois vcu comme une entrave lexistence. De fait, le travail na plus la place centrale quil a pu avoir dans la socit industrielle des Trente Glorieuses. Aujourdhui, ceux qui ont un travail quils jugent particulirement intressant ne le peroivent plus tout fait comme un travail, mme lorsque les revenus quils en tirent sont modestes, tandis que ceux qui ne spanouissent pas dans leur travail le subissent comme une contrainte, alors mme quils sont parfois rmunrs plus que substantiellement. Les paradoxes du travail, qui dsormais tiraillent les travailleurs, deviennent des sources de stress qui semblent se gnraliser. Il serait toutefois rducteur de tirer une gnralisation htive, reposant sur la base des seuls maux ou aspects ngatifs du travail. Il serait tout aussi rducteur de ne se baser que sur ses seuls bnfices ou aspects positifs. La conclusion consistant affirmer que le travail est la source principale du stress de nos contemporains est une erreur. Il en est de mme pour la conclusion qui laisse croire que le travail ne peut dboucher sur du stress parce quil est devenu la condition sine qua non, sinon unique, du bonheur moderne, du fait de sa centralit dans notre socit. Une autre gnralisation htive, qui dcoulerait des deux prcdentes, consisterait opposer le travail aux travailleurs. Dans un cas, le travail ne serait plus adapt aux travailleurs ; dans lautre, ce serait les travailleurs qui ne le seraient plus pour leur travail. Cette gnralisation induirait, dans le premier cas, que la source du stress serait36 Groupe Eyrolles

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exogne au travailleur, alors que, dans le second cas, elle serait endogne. Force est de constater que la ralit nest pas aussi binaire quil pourrait y paratre pour les dfenseurs de ces gnralisations. En effet, les Franais aiment le travail, mais ils affirment galement ne pas tre satisfaits par la faon dont, le plus souvent, on pense leur travail et celle dont on les fait travailler dans les organisations : la valeur travail est en bonne sant en France, et limplication des Franais au travail trs forte. De manire concomitante, on constate que le divorce entre les travailleurs et lentreprise semble consomm, si lon en juge par certains sondages dopinion1 qui montrent un dsengagement de plus en plus flagrant des travailleurs franais, alors que leur productivit individuelle demeure lune des plus fortes au monde, et si lon en juge par certaines tudes qui confirment un accroissement progressif du stress au travail depuis environ vingt ans. Le constat, en apparence contradictoire, est sans appel : les travailleurs franais intriorisent une valeur travail 66 % positive2 ; 9 sur 10 se disent impliqus par leur travail3. Or, dans le mme temps, ils se1. Dj, en 2004, une enqute ralise par le cabinet Towers Perrin rvlait que seulement 15 % des salaris europens se sentent trs engags dans leur travail, la majorit se situant dans une situation dattente, faisant tat dun engagement modr. 2. Selon ltude de Stphanie Baggio et Pierre-ric Sutter ( La reprsentation sociale du travail : pense positivement par 66 % des salaris , in http://blog.mars-lab.com/ Etudes/Articlescientiques/La%20valeur%20travail.pdf ), les salaris franais auraient une image favorable de leur travail. Ils citent spontanment 66,7 % de termes connots positivement, contre seulement 12,5 % de termes connots ngativement. Ces rsultats conrment deux tendances identies ds 1994 : laspect rmunration demeure central et le plaisir lui reste associ. La tendance actuelle se tourne vers une plus grande proccupation de la qualit du travail, jug intressant par les salaris. signaler lentre en force du stress . Le terme est cit lui-mme, tout comme le manque de reconnaissance et la pression . Bien que lanalyse de la valeur travail ntait pas ici focalise sur le stress, il est apparu clairement dans les termes connots ngativement. Ceci dnote non seulement de son mergence, indite, mais aussi de son importance dans lesprit des salaris franais. 3. Cf. ltude de Stphanie Baggio et Pierre-ric Sutter, Neuf salaries sur dix impliqus par leur travail, Une tude sur 3 000 salaris franais (in http://blog.mars-lab.com/ Etudes/Articlescientiques/implictravdec08.pdf ).

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disent en majorit dsengags et stresss par lorganisation du travail. La vie professionnelle est un phnomne trop complexe pour que lon mette dans le mme sac vie au travail et organisation du travail , implication et engagement , plaisir au travail et stress organisationnel . Si, comme le montrent de nombreuses et rcentes tudes1, le stress semble atteindre toutes les catgories de salaris, alors quils se disent en mme temps impliqus, nest-ce pas le signe dun dysfonctionnement de la faon dont est pens, organis et prescrit le travail, en dpit de ce que pourraient en penser et suggrer les travailleurs ? Nest-ce pas la traduction du grand cart que chacun doit faire entre ses aspirations un panouissement personnel qui font sens et des routines professionnelles qui ne donnent plus de sens au travail ? Si lon y rflchit deux fois, ce constat contradictoire est plus positif quil ny parat. Car, si les travailleurs peroivent quils ne sont pas totalement panouis dans leur travail, cest quils pensent quils peuvent ltre, dautant plus lorsquils sestiment fortement impliqus. Et sans que cela nuise leur productivit, car la performance conomique nest pas incompatible avec la performance sociale, loin sen faut : les contradictions du travail peuvent tre dpasses en une synthse qui cre une valeur au tout suprieure la somme des parties. Au travail, la souffrance est dans le plaisir, comme le plaisir est dans la souffrance. En dautres termes, lHomme au travail est prt accepter la souffrance quexigent certains sacrifices (restreindre sa libert, accepter la domination dune hirarchie, se conformer des objectifs qui ne sont pas les siens, etc.) lorsquil sait quil pourra y trouver des satisfactions (primaires ou secondaires : salaire, lien social), un statut dans la socit (ou, tout du moins,1. Pour la plus rcente dentre elles, citons ltude pidmiologique sur les risques psychosociaux, programme de recherche Samotrace, revue Sant et Travail, janvier 2009, cite par Le Monde du 9 janvier 2009, in larticle intitul Une tude met en vidence lampleur du phnomne de la souffrance au travail . Groupe Eyrolles

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viter les affres du chmage) et une possibilit de ralisation existentielle (contribuer donner tout ou partie du sens sa vie). Concluons ce paragraphe en laissant la parole au sociologue Michel Crozier : Le travail est et restera une valeur fondamentale. Il est ce qui permet la rencontre de lhomme avec le monde, il apporte la contrainte en mme temps que la cration. Il est la fois noble et ignoble. Le travail peut et doit changer. Mais il demeurera. Sans travail on nappartient pas au monde1.

Les dsordres du travail2Au XXIe sicle, les entreprises font la course aux performances : rduction des cots, productivit, rentabilit Toujours plus, de plus en plus vite. Les nouvelles cls de la comptitivit passent par ladaptation permanente des organisations et par un accroissement de la qualit des biens et des services produits. Le travail a t, en consquence, rorganis partir dune exigence de ractivit, de souplesse et de flexibilit. Les prceptes du taylorisme et de lOST ny suffisent plus. Lorganisation des entreprises sest radicalement transforme en un productivisme ractif , qui sest substitu au taylorisme. Ce nouveau productivisme engendre un enrichissement certain du travail par lintellectualisation, la polyvalence, ou la mise en responsabilit des travailleurs quil propose, mais ses effets sont dune autre nature. En plus des mfaits dcrits, il y a plus de cinquante ans, par Georges Friedmann, on assiste dornavant laccroissement de la charge mentale, alors que les contraintes physiques subsistent. Car le travail aujourdhui cumule contraintes physiques et contraintes mentales. Comme le constate Philippe Groupe Eyrolles

1. Michel Crozier, Nouveau regard sur la socit franaise, Odile Jacob, 2007. 2. Nous reprenons le titre de louvrage de Philippe Askenazy, Les dsordres du travail, Paris, Le Seuil, coll. La Rpublique des Ides , 2004.

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Askenazy1, on peut parler dune vritable pidmie des TMS, alors que les pathologies psychologiques et psychiatriques restent stables. Lavnement de ce productivisme ractif concide avec la mise en place des 35 heures en France. Ces dernires, qui sannonaient comme un enrichissement, voire comme une forme dmancipation par rapport au modle tayloriste, se sont accompagnes, en ralit, dune dgradation des conditions de travail et dune intensification du travail.

Des contraintes qui saccumulentLa course aux performances des entreprises engendre des contraintes au sein des organisations qui se traduisent par un cumul de contraintes, en augmentation constante, que subissent les salaris. Plus prcisment, des salaris qui enduraient seulement des contraintes mentales (pression du client, tensions, etc.) voient sajouter dsormais des contraintes physiques. Inversement, les contraintes mentales touchent dsormais des professions auparavant soumises des contraintes physiques. Cest le cas des logiques de production en juste--temps . Le productivisme moderne a des consquences ambigus sur le bien-tre des salaris : rythme plus soutenu, mais plus dautonomie et un enrichissement des tches, et plus de polyvalence, tout en cassant les collectifs de travail, en promouvant lindividualisation. De fait, la situation des salaris se dtriore dans les entreprises o le cumul des contraintes sur les conditions de travail nest pas pris en compte par les directions, mais, inversement, elle samliore si lemployeur et les partenaires sociaux intgrent cette dimension. Les causes de ces nouveaux dsordres du travail sont effectivement lies une organisation du travail inapproprie, qui ne sait plus, ou pas, prendre assez en compte la dimension humaine. Comment, alors, comprendre que les salaris en viennent subir des extrmits destructrices, voire autodestructrices, pour ou 1. Philippe Askenazy, Les dsordres du travail, op. cit. Groupe Eyrolles

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cause de leur travail ? Quel est le mcanisme qui consiste pousser les individus se mettre sous la coupe dune organisation, accepter les objectifs de performance et sy conformer, voire les dpasser ?

Les dangers de la performanceLa performance est au centre des proccupations de lhomme occidental. Notre socit nous expose ds notre plus tendre enfance linjonction de la russite : Tu seras le premier de ta classe, mon fils ! Il sagit de russir sa vie et dtre performant en tout. Comme le prcise le philosophe Pierre Legendre1, la performance est le nom nouveau du pouvoir absolu. La marche technologique balaye les faibles, comme les guerres dautrefois : elle rinvente le sacrifice humain, de faon douce . Lmergence du capitalisme nolibral a chang la donne : les organisations doivent survivre ou mourir. Les salaris sont condamns russir leur vie professionnelle, il en est de la survie de leur employeur. Certains, par consquent, sont prts toutes les performances pour ne pas perdre ce qui fait quils peuvent russ