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Gastroenterol Clin Biol, 2006, 30 636 REMERCIEMENTS - Les auteurs tiennent à remercier Michel BIOUR pour sa disponibilité. RÉFÉRENCES 1. Delcenserie R, Grange JD, Laugier R, Bernades P. Définition et critè- res d’imputabilité des atteintes pancréatiques aigues médicamenteu- ses. Gastroenterol Clin Biol 1992;16:761-3. 2. Biour M, Delcenserie R, Grange JD, Weissenburger J. Pancréato- toxicité des médicaments. Gastroenterol Clin Biol 2001;25: 1S22-7. 3. Haye OL.Piroxicam and pancreatitis. Ann Intern Med 1986; 104:895. 4. Jick H, Derby LE, Garcia Rodriguez LA, Jick SS, Dean AD. Nonste- roidal antiinflammatory drugs and certain rare, serious adverse events: a cohort study. Pharmacotherapy 1993;13:212-7. Flush révélateur de la récidive d’une tumeur stromale rectale Efficacité de l’imatinib es flushes sont liés le plus souvent à la synthèse de substances vaso-actives ou à certaines prises médicamenteuses [1]. Nous rapportons l’observation d’un malade dont la récidive d’une tumeur stromale digestive (GIST) s’est accompagnée de flushes résolutifs sous imatinib. Observation Un homme de 72 ans consultait en mai 1996 pour un phi- mosis. Le toucher rectal mettait en évidence une tumeur du bas rectum. L’endoscopie, l’écho endoscopie et l’IRM visualisaient une tumeur sous-muqueuse du rectum de 5 cm sans adénopa- thie venant au contact du sacrum. Une exérèse par voie posté- rieure trans-sacrée de Kraske était réalisée en juin 1996, l’examen anatomo-pathologique concluant à un léiomyosar- come de bas grade avec limites de résection saines (R0). Une radiothérapie externe adjuvante délivrait 45 Grays (Gy) en 18 fractions. En juin 2000, l’examen clinique de surveillance révélait une récidive intrapariétale rectale postérieure, confir- mée par l’écho endoscopie. Une résection macroscopiquement complète mais avec résidu microscopique (R1) était pratiquée par voie trans-anale en août 2000. Un complément de radio- thérapie externe délivrait 45 Gy en 18 fractions sur un volume réduit à la région pré-sacrée ne contenant aucun organe sain critique. L’examen anatomo-pathologique confirmait la récidive du sarcome. En 2002, le malade était pris en charge pour une rectite post-radique traitée par électro-coagulation au plasma argon. En avril 2003, le malade était hospitalisé pour des dou- leurs pelviennes ; les examens d’imagerie ne montraient pas de lésions évolutives. Les douleurs étaient attribuées à des épisodes sub-occlusifs sur lésions post-radiques. Un traitement sympto- matique par laxatifs et morphiniques était entrepris le 17 avril 2003. En septembre 2003, le malade consultait pour des flushes, survenant 2 à 3 fois par jour depuis 3 semaines, sans facteur déclenchant, notamment prise d’alcool. L’érythème facial, qui persistait environ 2 heures, était associé à des céphalées et à des paresthésies des extrémités. Le traitement comportait depuis 5 mois : fentanyl 50 µg/h en patch, mor- phine 10 à 20 mg par jour en inter-dose, oméprazole et macrogol 4000 par voie orale. Il n’existait ni diarrhée, ni sueurs, ni palpitations, ni hypertension artérielle. La recherche d’une cause endocrine par le dosage de l’acide 5-hydroxy- indol-acétique (5-HIA) dans les urines, de la sérotonine plaquet- taire, et de la calcitonine et chromogranine A plasmatique était négative. Les autres causes de flush (phéochromocytome, mas- tocytose, cancer médullaire de la thyroïde, médicamenteuse) étaient éliminées. Une relecture des deux pièces opératoires avec examen immunohistochimique révélant une positivité pour KIT (CD 117) et CD 34, permettait de reclasser le léïomyosar- come en GIST. La scannographie abdomino-pelvienne identi- fiait une métastase du segment III hépatique de 65 mm de diamètre, confirmée par l’examen anatomo-pathologique après ponction-biopsie par voie per-cutanée. La tomographie par émission de positons (TEP) au 18 FDG montrait une fixation hépatique gauche intense et des fixations pelviennes suspectes mais non spécifiques compte tenu des antécédents. Après con- certation pluridisciplinaire, il était proposé en décembre 2003 un traitement par imatinib à la posologie de 400 mg/j. Dès le deuxième jour de la prise du traitement, le malade constatait la disparition complète des flushes. Après 18 mois de traitement bien toléré par imatinib, le malade était toujours asymptomati- que sans récidive des flushes. Les douleurs abdominales étaient contrôlées par l’association inchangée de fentanyl et morphine. La lésion hépatique était stable selon les critères morpho- logiques ; cependant, les diminutions de sa densité à la scanno- graphie, de sa perfusion en échographie doppler avec injection de produit de contraste et de son intensité de fixation à la TEP au 18 FDG évoquaient une réponse objective. Les fixations pel- viennes étaient inchangées. Discussion Les GIST sont des tumeurs mésenchymateuse rares dont le rectum représente environ 10 % des localisations digestives [2, 3]. Elles sont définies par leur expression de la protéine KIT, un récepteur trans-membranaire spontanément activé après mutation somatique du gène KIT. L’imatinib (Glivec ® ) est un inhi- biteur sélectif des tyrosine-kinases KIT, PDGFRα et bcr-abl qui est indiqué dans le traitement des GIST malignes inopérables ou métastatiques KIT positives et des leucémies myéloïdes chroni- ques positives pour le chromosome Philadelphie [4]. Le signe clinique typique de flush est l’érythème du visage d’une durée variant de quelques minutes à plusieurs heures ; d’autres symptômes sont plus ou moins associés : bouffées de chaleur, céphalées, paresthésies, palpitations. On peut très pro- bablement attribuer la symptomatologie de flush à la GIST métastatique selon les critères d’imputabilité suivants : absence d’autres causes de flush, notamment médicamenteuse ; surve- nue des flushes dans un délai compatible après le diagnostic de récidive de la GIST ; disparition rapide et à long terme des symptômes après mise en route du traitement anti-tumoral par L

Flush révélateur de la récidive d’une tumeur stromale rectale: Efficacité de l’imatinib

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Gastroenterol Clin Biol, 2006, 30

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REMERCIEMENTS - Les auteurs tiennent à remercier Michel BIOURpour sa disponibilité.

RÉFÉRENCES

1. Delcenserie R, Grange JD, Laugier R, Bernades P. Définition et critè-res d’imputabilité des atteintes pancréatiques aigues médicamenteu-ses. Gastroenterol Clin Biol 1992;16:761-3.

2. Biour M, Delcenserie R, Grange JD, Weissenburger J. Pancréato-toxicité des médicaments. Gastroenterol Clin Biol 2001;25:1S22-7.

3. Haye OL.Piroxicam and pancreatitis. Ann Intern Med 1986;104:895.

4. Jick H, Derby LE, Garcia Rodriguez LA, Jick SS, Dean AD. Nonste-roidal antiinflammatory drugs and certain rare, serious adverseevents: a cohort study. Pharmacotherapy 1993;13:212-7.

Flush révélateur de la récidive d’une tumeur stromale rectaleEfficacité de l’imatinib

es flushes sont liés le plus souvent à la synthèse de substances vaso-actives ou à certaines prises médicamenteuses [1]. Nous rapportons l’observation d’un malade dont la récidive d’une tumeur stromale digestive (GIST) s’est accompagnée de flushes résolutifs sous imatinib.

Observation

Un homme de 72 ans consultait en mai 1996 pour un phi-mosis. Le toucher rectal mettait en évidence une tumeur du basrectum. L’endoscopie, l’écho endoscopie et l’IRM visualisaientune tumeur sous-muqueuse du rectum de 5 cm sans adénopa-thie venant au contact du sacrum. Une exérèse par voie posté-rieure trans-sacrée de Kraske était réalisée en juin 1996,l’examen anatomo-pathologique concluant à un léiomyosar-come de bas grade avec limites de résection saines (R0). Uneradiothérapie externe adjuvante délivrait 45 Grays (Gy) en18 fractions. En juin 2000, l’examen clinique de surveillancerévélait une récidive intrapariétale rectale postérieure, confir-mée par l’écho endoscopie. Une résection macroscopiquementcomplète mais avec résidu microscopique (R1) était pratiquéepar voie trans-anale en août 2000. Un complément de radio-thérapie externe délivrait 45 Gy en 18 fractions sur un volumeréduit à la région pré-sacrée ne contenant aucun organe saincritique. L’examen anatomo-pathologique confirmait la récidivedu sarcome. En 2002, le malade était pris en charge pour unerectite post-radique traitée par électro-coagulation au plasmaargon. En avril 2003, le malade était hospitalisé pour des dou-leurs pelviennes ; les examens d’imagerie ne montraient pas delésions évolutives. Les douleurs étaient attribuées à des épisodessub-occlusifs sur lésions post-radiques. Un traitement sympto-matique par laxatifs et morphiniques était entrepris le 17 avril2003. En septembre 2003, le malade consultait pour desflushes, survenant 2 à 3 fois par jour depuis 3 semaines, sansfacteur déclenchant, notamment prise d’alcool. L’érythèmefacial, qui persistait environ 2 heures, était associé à descéphalées et à des paresthésies des extrémités. Le traitementcomportait depuis 5 mois : fentanyl 50 µg/h en patch, mor-phine 10 à 20 mg par jour en inter-dose, oméprazole etmacrogol 4000 par voie orale. Il n’existait ni diarrhée, nisueurs, ni palpitations, ni hypertension artérielle. La recherched’une cause endocrine par le dosage de l’acide 5-hydroxy-indol-acétique (5-HIA) dans les urines, de la sérotonine plaquet-taire, et de la calcitonine et chromogranine A plasmatique étaitnégative. Les autres causes de flush (phéochromocytome, mas-tocytose, cancer médullaire de la thyroïde, médicamenteuse)étaient éliminées. Une relecture des deux pièces opératoiresavec examen immunohistochimique révélant une positivité pourKIT (CD 117) et CD 34, permettait de reclasser le léïomyosar-

come en GIST. La scannographie abdomino-pelvienne identi-fiait une métastase du segment III hépatique de 65 mm dediamètre, confirmée par l’examen anatomo-pathologique aprèsponction-biopsie par voie per-cutanée. La tomographie parémission de positons (TEP) au 18FDG montrait une fixationhépatique gauche intense et des fixations pelviennes suspectesmais non spécifiques compte tenu des antécédents. Après con-certation pluridisciplinaire, il était proposé en décembre 2003un traitement par imatinib à la posologie de 400 mg/j. Dès ledeuxième jour de la prise du traitement, le malade constatait ladisparition complète des flushes. Après 18 mois de traitementbien toléré par imatinib, le malade était toujours asymptomati-que sans récidive des flushes. Les douleurs abdominales étaientcontrôlées par l’association inchangée de fentanyl et morphine.La lésion hépatique était stable selon les critères morpho-logiques ; cependant, les diminutions de sa densité à la scanno-graphie, de sa perfusion en échographie doppler avec injectionde produit de contraste et de son intensité de fixation à la TEPau 18FDG évoquaient une réponse objective. Les fixations pel-viennes étaient inchangées.

Discussion

Les GIST sont des tumeurs mésenchymateuse rares dontle rectum représente environ 10 % des localisations digestives[2, 3]. Elles sont définies par leur expression de la protéine KIT,un récepteur trans-membranaire spontanément activé aprèsmutation somatique du gène KIT. L’imatinib (Glivec®) est un inhi-biteur sélectif des tyrosine-kinases KIT, PDGFRα et bcr-abl quiest indiqué dans le traitement des GIST malignes inopérables oumétastatiques KIT positives et des leucémies myéloïdes chroni-ques positives pour le chromosome Philadelphie [4].

Le signe clinique typique de flush est l’érythème du visaged’une durée variant de quelques minutes à plusieurs heures ;d’autres symptômes sont plus ou moins associés : bouffées dechaleur, céphalées, paresthésies, palpitations. On peut très pro-bablement attribuer la symptomatologie de flush à la GISTmétastatique selon les critères d’imputabilité suivants : absenced’autres causes de flush, notamment médicamenteuse ; surve-nue des flushes dans un délai compatible après le diagnostic derécidive de la GIST ; disparition rapide et à long terme dessymptômes après mise en route du traitement anti-tumoral par

L

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Lettres à la rédaction

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imatinib. Flushes et sueurs sont des effets secondaires possiblesdes traitements opioïdes [5], mais la relation causale ne pouvaitêtre retenue dans notre observation compte tenu de la chronolo-gie de la symptomatologie par rapport à la prise continued’opiacés. La physiopathologie des flushes comporte la libéra-tion de substances vaso-actives agissant directement sur le mus-cle lisse des vaisseaux ou par le biais de l’innervation vaso-motrice [1]. Parmi les nombreuses causes de flush, des originesparanéoplasiques ont été rapportées. Des flushes secondaires àune carence hormonale oestrogénique ou androgénique ont étédécrits dans les cancers du sein [6] et de la prostate [7] ; ils sontdans ces cas plutôt ressentis comme des bouffées de chaleur.À notre connaissance, aucun cas de flush n’a été rapporté dansles GIST métastatiques. S’il est établi que certaines mutations,notamment sur les exons 9 et 13 du gène KIT ou l’exon 18 dugène PDGFRA, déterminent certains évènements rares des GIST,comme la localisation ou la résistance à imatinib, en revancherien n’a été mentionné à propos de symptômes particuliers telsque les flushes [8, 9].

Depuis la mise à disposition de l’imatinib, cette observationillustre ainsi l’importance de la relecture du diagnostic histologi-que des tumeurs conjonctives digestives opérées avant 2000par examen immuno-histochimique avec le marqueur KIT d’unepart, et les difficultés de l’évaluation tumorale par imageried’autre part. Les critères morphologiques classiques OMS ouRECIST ne sont pas clairement adaptés à l’évaluation de laréponse tumorale des GIST traitées par imatinib [10]. Les modi-fications des caractéristiques tumorales induites par l’imatinibne sont pas toujours associées à une diminution de taille quipeut même augmenter initialement par hémorragie ou dégéné-rescence myxoïde [10]. Outre l’amélioration symptomatique,qui était spectaculaire dans notre observation, le recours à dessignes indirects d’efficacité est donc souvent nécessaire : dimi-nution de la densité à la scannographie, de la microperfusionen échographie-doppler de contraste [11] et/ou de l’intensitéde captation du 18FDG à la TEP.

Olivier BOUCHÉ (1), Stéphanie LAGARDE (1),Pierre-José GUILLOU (2), Fidy RAMAHOLIMIHASO (1),

Denis LUBRANO (3), Marie-Danièle DIÉBOLD (2),

Jean-François DELATTRE (3), Tan Dat NGUYEN (4),Guillaume CADIOT (1), Gérard THIÉFIN (1)

(1) Service d’Hépato-Gastroentérologie, (2) Laboratoire d’Anatomieet de Cytologie Pathologiques, (3) Service de Chirurgie Générale

et Digestive, CHU Robert Debré, Reims ; (4) Service de Radiothérapie,Institut Jean Godinot, Reims.

RÉFÉRENCES

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