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FORMES CLINIQUES DES ALLERGIES DE CONTACT OCULAIRES ET PALPEBRALES E Collet , M Castelain , C Creuzot-Garcher Les dermatites de contact sont fréquemment localisées à l’oeil et aux paupières (1-7). Dans la grande majorité des cas, ces dermatites sont irritatives ou toxiques, induites par un topique directement appliqué au contact de l’oeil et dépendent de son pH, de sa concentration et de sa liposolublité. Dans 10 % à 50 % des cas selon les auteurs ces réactions sont immuno- allergiques, liées au contact avec une molécule sensibilisante d’origine iatrogène, cosmétique ou professionnelle. Deux grands types de réactions immunologiques sont en cause : l’hypersensibilité immédiate entraînant des manifestations urticariennes et l’hypersensibilité retardée à l’origine d’un eczéma. Leurs aspects cliniques sont variés, parfois très bruyants lors d’eczémas aigus ou plus discrets quand les lésions deviennent chroniques. Un bilan allergologique soigneux permet alors d’identifier les sources de sensibilisation, le plus souvent des topiques médicamenteux ou des cosmétiques. La sensibilisation peut s’observer après des mois ou des années d’utilisation de l’agent en cause (1-7). 1. Les modes de sensibilisation au cours des eczémas des paupières Les paupières sont fréquemment atteintes au cours de l’eczéma de contact et des dermatites irritatives. La peau est fine, située sur une zone découverte donc exposée et la pénétration des allergènes est aisée. Les sources de l’allergie de contact sont multiples : cosmétiques, médicaments ou allergènes professionnels. Les modes d’application des allergènes sont nombreux et parfois déroutants (1,2) : - application directe, intentionnelle pour les cosmétiques, les médicaments topiques ou produits d’entretien des lentilles de contact par exemple. - transfert d’un autre site du tégument, le plus souvent des doigts. Dans ce cas l’allergène est véhiculé non intentionnellement aux paupières (eczéma dit «ectopique»). L’exemple le plus classique est l’eczéma des paupières lié à l’utilisation de vernis à ongles. - application de l’allergène sur une zone proche des paupières (visage ou cuir chevelu). Le site d’application, comme dans le cas précédent, est indemne de lésions et les paupières peuvent

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FORMES CLINIQUES DES ALLERGIES DE CONTACT OCULAIRES ET PALPEBRALES

E Collet , M Castelain , C Creuzot-Garcher

Les dermatites de contact sont fréquemment localisées à l’œil et aux paupières (1-7). Dans la

grande majorité des cas, ces dermatites sont irritatives ou toxiques, induites par un topique

directement appliqué au contact de l’oeil et dépendent de son pH, de sa concentration et de sa

liposolublité. Dans 10 % à 50 % des cas selon les auteurs ces réactions sont immuno-

allergiques, liées au contact avec une molécule sensibilisante d’origine iatrogène, cosmétique

ou professionnelle. Deux grands types de réactions immunologiques sont en cause :

l’hypersensibilité immédiate entraînant des manifestations urticariennes et l’hypersensibilité

retardée à l’origine d’un eczéma. Leurs aspects cliniques sont variés, parfois très bruyants lors

d’eczémas aigus ou plus discrets quand les lésions deviennent chroniques. Un bilan

allergologique soigneux permet alors d’identifier les sources de sensibilisation, le plus

souvent des topiques médicamenteux ou des cosmétiques. La sensibilisation peut s’observer

après des mois ou des années d’utilisation de l’agent en cause (1-7).

1. Les modes de sensibilisation au cours des eczéma s des paupières

Les paupières sont fréquemment atteintes au cours de l’eczéma de contact et des dermatites

irritatives. La peau est fine, située sur une zone découverte donc exposée et la pénétration des

allergènes est aisée. Les sources de l’allergie de contact sont multiples : cosmétiques,

médicaments ou allergènes professionnels. Les modes d’application des allergènes sont

nombreux et parfois déroutants (1,2) :

- application directe, intentionnelle pour les cosmétiques, les médicaments topiques ou

produits d’entretien des lentilles de contact par exemple.

- transfert d’un autre site du tégument, le plus souvent des doigts. Dans ce cas l’allergène est

véhiculé non intentionnellement aux paupières (eczéma dit «ectopique»). L’exemple le plus

classique est l’eczéma des paupières lié à l’utilisation de vernis à ongles.

- application de l’allergène sur une zone proche des paupières (visage ou cuir chevelu). Le site

d’application, comme dans le cas précédent, est indemne de lésions et les paupières peuvent

être seules touchées. Ce type de sensibilisation impose une exploration systématique des

allergènes appliqués «à proximité» (crème de jour, teintures capillaires…).

- exposition à des gaz, vapeurs, pulvérisation de gouttelettes, plus rarement de particules

solides. Il s’agit alors d’un eczéma aéroporté. Ce type de sensibilisation est fréquent en cas

d’allergie professionnelle.

- allergène véhiculé par une tierce personne (conjoint, enfant, ami…) encore appelé «eczéma

par procuration».

- photoallergènes nécessitant l’action conjointe de l’exposition solaire. L’atteinte des

paupières est dans ce cas exceptionnellement isolée. C’est le cas par exemple des

photoallergies aux filtres solaires.

- eczéma des paupières après exposition systémique à l’allergène. Le plus souvent, le malade

est préalablement sensibilisé par voie topique. L’ingestion ou injection systémique de

l’allergène ou d’un allergène croisé entraîne un eczéma généralisé incluant les paupières.

2. Aspects cliniques des conjonctivites et bléphari tes de contact

Les manifestations peuvent prendre deux formes (8,9):

- Une forme rare, aiguë, brutale se traduisant par un chémosis associé à un œdème des

paupières, un larmoiement clair, une hyperhémie conjonctivale parfois accompagnée d’un

prurit important ; une conjonctivite papillaire peut également être observée. Il s’y associe

parfois des atteintes systémiques avec urticaire, rhinite, asthme et parfois même œdème de

Quincke. L’exposition à l’allergène est généralement facilement retrouvée (latex, protéine de

blé). Ces formes aiguës, évocatrices de phénomènes d’hypersensibilité immédiate de type I,

peuvent parfois se pérenniser et prendre l’aspect de conjonctivites folliculaires ou de

kératoconjonctivites chroniques dont le diagnostic étiologique devient alors beaucoup plus

difficile. Ces formes chroniques représenteraient environ 1/3 des manifestations oculaires

professionnelles. L’atteinte est presque toujours bilatérale sauf si l’allergène est manuporté.

(10).

- La seconde forme, la plus fréquente, implique des phénomènes d’hypersensibilité retardée

qui se traduisent avant tout par un eczéma des paupières. L’œdème périorbitaire est souvent

associé de même qu’une discrète blépharite ou une conjonctivite qui peuvent faire poser à tort

le diagnostic de dysfonctionnement meibomien. Toutefois, une scission aussi nette entre ces

deux entités n’est pas aussi aisée car une anomalie meibomienne peut être authentiquement

associée à une atteinte allergique. L’atteinte oculaire est un œdème péri-oculaire avec

érythème, un chémosis, une dilatation des vaisseaux conjonctivaux, et un larmoiement clair.

L’atteinte peut être uni ou bilatérale. La congestion des vaisseaux conjonctivaux

s’accompagne d’une réaction papillaire et/ou folliculaire. Le signe oculaire le plus précoce est

l’hyperhémie conjonctivale souvent associée à une kératite ponctuée superficielle

prédominant dans la moitié inférieure de la cornée. L’utilisation des colorants comme le vert

de lissamine permet alors la mise en évidence d’une imprégnation de la conjonctive inféro-

nasale en raison de la stase des différents produits dans cette zone avant leur évacuation par le

canal lacrymal. Ce marquage n’est donc pas pathognomonique de l’allergie car il peut

apparaître de façon identique dans les lésions toxiques. Des infiltrats cornéens périphériques

peuvent survenir rarement avec certains antibiotiques (néomycine, gentamycine…).

L’hyperhémie et la kératite deviennent ensuite plus généralisées. Une atteinte purement

palpébrale et non oculaire laisse penser que l’allergène n’a pas été en contact directement

avec la conjonctive.

3. Aspects cliniques des eczémas de contact des pau pières (2,3,4,6)

Lorsqu’il est typique, l’eczéma de contact aigu des paupières se caractérise par une éruption

polymorphe érythémateuse, vésiculeuse évoluant vers des croûtes par dessiccation du liquide

contenu dans les vésicules et une desquamation par élimination de l’épiderme altéré. Ces

différentes lésions élémentaires peuvent coexister. Le prurit est intense. L’atteinte est

généralement bilatérale et les paupières supérieures plus fréquemment touchées. Lorsqu’il

devient chronique, l’eczéma devient plus sec, érythémato-squameux, moins bien limité. Les

vésicules doivent être soigneusement recherchées en périphérie des lésions mais peuvent être

totalement absentes.

Le caractère lâche du tissu conjonctif et la grande finesse du tégument des paupières confère à

cette localisation des particularités importantes à souligner : en cas d’eczéma aigu, l’œdème

est parfois tel que le diagnostic d’oedème de Quincke est porté à tort lors d’une consultation

d’urgence. Ces situations sont observées lors du contact avec des allergènes puissants comme

la paraphénylènediamine des colorations capillaires. Lorsqu’il passe à la chronicité, l’eczéma

est parfois discret, localisé aux canthus interne ou externe. Il est alors difficile à différencier

d’une dermatite d’irritation. Quand le prurit est intense, l’évolution se fait vers la

lichénification donnant un aspect épaissi, quadrillé des paupières.

Dans 50 à 70 % des cas, l’eczéma des paupières s’accompagne d’autres localisations cutanées

qu’il convient de rechercher systématiquement :

- des lésions évocatrices d’eczéma de contact dont la topographie permettront d’orienter le

diagnostic. Des lésions du cou ou du décolleté par exemple feront évoquer une dermatite de

contact aux parfums ou au vernis à ongles. Un eczéma associé de la lisière du cuir chevelu

fera suspecter un produit capillaire…

- d’autres localisations d’une dermatite atopique éventuelle. Le terrain atopique serait présent

dans 30 à 50 % des séries de dermatites des paupières. Les lésions d’eczéma localisées aux

plis des coudes, creux poplités, cou de pied, rétro-auriculaires sont présentes. La peau est

sèche, parfois parsemée de stries de grattage. La notion d’eczéma dans la petite enfance et le

terrain atopique familial sont retrouvés à l’interrogatoire. Ainsi une dermatite atopique et un

eczéma de contact peuvent coexister.

- d’autres dermatoses susceptibles d’être secondairement eczématisées lors de l’utilisation de

certains cosmétiques ou topiques médicamenteux.

4. Intérêt de la biopsie cutanée dans le diagnostic des dermatites de

contact des paupières

La biopsie est d’un intérêt très limité et un examen clinique soigneux est suffisant. Elle est

inutile lorsque l’eczéma est typique, montrant une spongiose de l’épiderme et une exosérose

caractéristique. Lorsque l’eczéma devient chronique, l’histologie cutanée n’apporte en général

aucun argument décisif entre dermatite irritative et eczéma de contact.

5. Diagnostic différentiel de l’eczéma de contact d es paupières

Le diagnostic différentiel avec une dermatite d’irritation (DI) est souvent difficile à poser

devant des lésions évoluant depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois. Dans les deux cas, il

s’agit d’une éruption érythémateuse, squameuse, prurigineuse sans aspect vésiculeux. Les

mêmes agents (conservateurs, médicaments topiques, tensioactifs…) peuvent donner les deux

types de réactions. L’eczéma parfois succède à l’irritation et seuls l’interrogatoire et les tests

épicutanés permettent de différencier les deux. L’intrication avec la dermatite atopique est

également possible, hypersensibilité retardée et atopie pouvant coexister. Les principaux

diagnostics différentiels sont groupés dans le tableau 1 (2,4,6,7).

L’eczéma de contact peut compliquer l’évolution de toutes dermatoses localisées aux

paupières. Cette éventualité doit être évoquée devant une aggravation inhabituelle, une

modification séméiologique ou l’absence de réponse à un traitement local jusqu’alors efficace

d’une dermatose connue du malade (dermite séborrhéique, rosacée…) (5). Le bilan

allergologique est justifié et explorera essentiellement les topiques médicamenteux et

cosmétiques utilisés (1,5,6).

Diagnostic différentiel Caractéristiques Dermatite d’irritation • Lésions érythémato-squameuses

• Absence de vésicules • Patch-tests négatifs ou irritatifs

Dermatite atopique • Antécédents familiaux et/ou personnels d’atopie (asthme, rhinite allergique…)

• Début dans la petite enfance • Autres signes cliniques de dermatite atopique

Rosacée • Flushes (stade 1) • Erythème télangiectasique centro-facial, couperose

(stade 2) • Papulopustules (stade 3) • Rhinophyma et hyperplasie sébacée (stade 4)

Dermite séborrhéique • Plaques érythémato-squameuses recouvertes de squames grasses

• Ailes du nez, sillons nasogéniens, sourcils, glabelle, lisère du cuir chevelu

Psoriasis • Antécédents personnels ou familiaux • Lésions érythématosquameuses bien limitées • Autres localisations caractéristiques : coudes,

genoux, ombilic, lombes, conduits auditifs externes, cuir chevelu, ongles

Dermatopolymyosite • Erythème lilacé des paupières et du dos des mains • Œdème palpébral • Atteinte musculaire • Anomalies biologiques musculaires et

immunologique Urticaire profonde (œdème de Quincke, angioedème)

• Œdème sans érythème • Caractère aigu de l’éruption • Prurit absent ou discret • Régression rapide (<12h) sans séquelles

Tableau 1 : principaux diagnostics différentiels des eczémas des paupières (1,2,4,6)

Ce qu’il faut retenir :

- Le diagnostic d’eczéma aigu des paupières est cliniquement facile à porter.

- L’eczéma chronique est plus difficile à reconnaître car les lésions sont souvent discrètes et

perdent leur aspect sémiologique typique.

- Il est parfois difficile de différencier eczéma chronique, dermatite d’irritation, dermatite

atopique, les trois pathologies étant parfois intriquées.

- L’élimination des principaux diagnostics différentiels repose sur la recherche d’autres

localisations cutanées caractéristiques, plus rarement sur la biopsie cutanée.

- L’allergie de contact peut compliquer une autre affection ophtalmologique (rosacée, dermite

séborrhéique…). C’est un piège diagnostique qu’il faut systématiquement évoquer.

- Au moindre doute sur une allergie de contact, les tests allergologiques doivent être réalisés.

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10. Fischer AA. Contact dermatitis. Lea and Febrigger, 1986 : 77-81.

ICONOGRAPHIE

Dermatite d’irritation aigue après applications répétées d’un antiseptique moussantInsuffisamment rincé(Dr E. COLLET – Service de Dermatologie DIJON)

Eczéma de contact chronique des paupières (Dr E. COLLET – Service de Dermatologie DIJON)

Eczéma de contact aigu des paupières après utilisation d’un collyre bétabloquant(Dr E. COLLET – Service de Dermatologie DIJON)

Eczéma de contact aigu des paupières après teinture capillaire. Importancede l’œdème ayant fait porter initialement le diagnostic d’œdème de Quincke

(Dr E. COLLET – Service de Dermatologie DIJON)