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Xavier Candido Francisco CINQUANTE ANS PLUS TARD 1

Francisco Candido Xavier Fr Série Historique 02 Cinquante Ans Plus Tard Yjsp

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Francisco Candido Xavier Fr Série Historique 02CINQUANTE ANS PLUS TARDTOME 02 EPISODES DE L'HISTOIREDU CHRISTIANISME AU TROISIEME SIÈCLEROMAN D'EMMANUELDans ce roman, Emmanuel nous raconte une histoire liée au christianisme du IIe siècle. Certains personnages du livre "Il y a deux mille ans" reviennent séjourner sur terre et sont touchés, de manière évidente, par la loi de cause à effet. L'un des protagonistes de cette oeuvre, le sénateur Publius Lentulus est présent ici sous un nouveau visage, il incarne en tant qu'esclave: Nestor. Cet esclave a, lors de son retour sur terre, une attitude plus humble; il se trouve maintenant dans une classe sociale que son coeur orgueilleux avait opprimée lors de son expérience antérieure. La miséricorde du Seigneur lui permet de racheter, sous la personnalité de Nestor, les erreurs et les actes arbitraires commis dans le passé, à l'époque où, investi d'une autorité publique, il présumait fièrement avoir entre ses mains tous les droits et tous les pouvoirs. Le personnage central de ce livre, néanmoins, est une femme, Célia, au coeur sublime, dont l'héroïsme divin a été, selon Emmanuel, une lumière constante sur la route des nombreux Esprits amers et souffrants. Elle a compris et vécu les leçons de Jésus pendant son passage douloureux sur terre.

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Xavier Candido Francisco

CINQUANTE ANS PLUS TARD

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par l’esprit Emmanuel

Xavier Candido Francisco

CINQUANTE ANS PLUS TARD

Dans ce roman, Emmanuel nous raconte une histoire liée au christianisme du IIe siècle. Certains personnages du livre "Il y a deux mille ans" reviennent séjourner sur terre et sont touchés, de manière évidente, par la loi de cause à effet.

L'un des protagonistes de cette oeuvre, le sénateur Publius Lentulus est présent ici sous un nouveau visage, il incarne en tant qu'esclave: Nestor.

Cet esclave a, lors de son retour sur terre, une attitude plus humble; il se trouve maintenant dans une classe sociale que son coeur orgueilleux avait opprimée lors de son expérience antérieure. La miséricorde du Seigneur lui permet de racheter, sous la personnalité de Nestor, les erreurs et les actes arbitraires commis dans le passé, à l'époque où, investi d'une autorité publique, il présumait fièrement avoir entre ses mains tous les droits et tous les pouvoirs.

Le personnage central de ce livre, néanmoins, est une femme, Célia, au coeur sublime, dont l'héroïsme divin a été, selon Emmanuel, une lumière constante sur la route des nombreux Esprits amers et souffrants. Elle a compris et vécu les leçons de Jésus pendant son passage douloureux sur terre.

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Francisco Candido Xavier

CINQUANTE ANS PLUS TARDEPISODES DE L'HISTOIRE

DU CHRISTIANISME AU TROISIEME SIÈCLE

ROMAN D'EMMANUEL

Tome 2

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EDITION ORIGINALE

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OUVRAGES DEJA TRADUITS EN FRANÇAIS

Série : André Luiz (Collection La vie dans le monde Spirituel) 1-161. Nosso Lar, la Vie dans le Monde Spirituel, 2. Les Messagers3. Missionnaires de la Lumière 4. Ouvriers de la Vie Eternelle 5. Dans le Monde Supérieur 6. Agenda Chrétien 7. Libération, par l'esprit André Luiz 8. Entre le Ciel et la Terre 9. Dans les Domaines de la Médiumnité 10. Action et Réaction 11. Evolution entre deux Mondes12. Mécanismes de la Médiumnité13. Et la Vie Continue14. Conduite spirite 15. Sexe et destin 16. Désobsession

Série : Emmanuel Les Romans de l’histoire 17. Il y a deux mille ans18. 50 ans plus tard19. Paul et Etienne20. Renoncement21. Avé Christ

Série: Source Vive22. Chemin, Vérité et Vie. 23. Notre Pain24. La Vigne de Lumière25. Source de Vie

Divers26. Argent27. Choses de ce Monde (Réincarnation Loi des Causes et Effets)28. Chronique de l’Au-delà29. Contes Spirituels30. Directives31. Idéal Spirite32. Jésus chez Vous33. Justice Divine34. Le Consolateur35. Lettres de l’autre monde36. Lumière Céleste37. Matériel de construction38. Moment39. Nous40. Religions des Esprits41. Signal vert42. Vers la lumière

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SOMMAIRE

Lettre au lecteur 7

PREMIÈRE PARTIE 9

1. Une famille romaine 92. Un ange et un philosophe 203. Ombres domestiques 404. Sur la voie Momentané 575. Prêcher l'Évangile 666. Une visite en prison 787. Aux fêtes d'Hadrien 92

DEUXIÈME PARTIE 106

1. La mort de Cneius Lucius 1062. Calomnie et sacrifice 1183. La route de l'amertume 1394. De Minturnes à Alexandrie 1545. Le chemin expiatoire 1776. Dans le jardin de Célia 1947. Dans les sphères spirituelles 214

Biographie 224 Liste des ouvrages en langue brésilienne 227

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LETTRE AU LECTEUR

Mon ami, que Dieu t'accorde la paix.

Si tu as parcouru les simples pages de l'œuvre « Il a 2000 Ans... », il est probable que tu cherches dans ce livre la suite des luttes intenses vécues par ses personnages réels dans l'arène des combats rédempteurs livrés sur terre. Raison pour laquelle, je me sens dans l'obligation de te donner quelques informations sur le déroulement de cette nouvelle histoire.

Cinquante ans après la ruine de Pompéi réduite en cendres, là où l'impitoyable sénateur Publias Lentulus avait à nouveau quitté le monde pour mesurer la valeur de ses douloureuses expériences, nous allons le retrouver dans ces pages portant l'habit misérable des esclaves que son cœur orgueilleux avait piétines autrefois. La miséricorde du Seigneur lui permettait de réparer à travers la personnalité de Nestor, les désobéissances et les conduites arbitraires commises dans le passé alors qu'il était un homme public arrogant qui, par un injustifiable droit divin, supposait avoir entre ses mains tous les pouvoirs. En observant cet être captif, tu reconnaîtras dans chacun des signes de sa souffrance, le rachat providentiel d'un passé marqué par des fautes fracassantes.

Néanmoins, je me sens dans le devoir d'assouvir ta curiosité concernant ses compagnons les plus proches dans leur nouveau pèlerinage sur terre, dont ce livre est un témoignage authentique.

Bien qu'étant présents à la même époque, les membres de la famille Sévères, Flavia et Marcus Lentulus, Saul et André de Gioras, Aurélia, Sulpicien, Fulvia, avec d'autres comparses qui avaient partagé le même drame, étaient aussi mis à l'épreuve mais dans d'autres zones de souffrances bénies. Us ne participeront pas à cette histoire où le sénateur Publius Lentulus se dévoile à tes yeux dans cet habit d'esclave à un âge avancé déjà, comme élément intégrant un nouveau contexte.

De tous les protagonistes participant à « il y a 2000 ans », l'un d'eux cependant ressurgit ici parmi d'autres figures du passé, il s'agit de Polycarpe, bien que n'étant pas nommé dans le livre précédent. Par les liens affectifs qu'ils avaient tissés, il était devenu pour Publius un frère dévoué et aimant dans les débats politiques et dans les conflits sociaux émergeant dans la Rome de Néron et de

Vespasien. Je fais référence à Pompilius Crassus, ce même frère qui lui avait été donné par la destinée lors de la destruction de Jérusalem et dont le cœur palpitant avait été

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arraché de sa poitrine par Méandre obéissant aux terribles ordres d'un chef cruel et vindicatif.

Dans ces quelques pages, Pompilius Crassus est devenu Helvidius Lucius, revenu au monde pour le travail rénovateur. Et faisant allusion à un ami cher et généreux, je souhaite te dire que ce livre n'a pas été écrit par nous et pour nous dans l'intention de décrire nos épreuves transitoires dans le monde terrestre. Ce récit détient la vérité sur un cœur sublime de femme transformée en sainte, dont l'héroïsme divin a été une lumière ardente sur la route de nombreux Esprits souffrants, remplis d'amertume.

Dans « Il y a 2000 Ans... », nous avons cherché à mettre en exergue une période de lumières et d'ombres où le matérialisme romain et le christianisme se disputaient la possession des âmes dans un scénario de misères et de splendeurs, entre les merveilleuses constructions de Jésus-Christ et les exaltations extrêmes de César auxquelles Publius Lentulus participait, entouré de déchéances morales et d'éblouissements transitoires ; ici, cependant, avec l'esclave Nestor, c'est une âme que l'on observe. Je veux parler de Célia, la figure centrale des pages de cette histoire, dont le cœur aimant et sage a compris et a appliqué toutes les leçons du Divin Maître pendant le douloureux cours de sa vie. À travers ce roman et la suite des événements qui l'animent, tu suivras ses pas de jeune fille et déjeune femme, comme si tu observais un ange planant au-dessus de toutes les contingences de la terre. Sainte par ses vertus et pour les actes de son existence édifiante, son Esprit était bien le lys né de la boue des passions du monde, venu parfumer la nuit de la vie terrestre des douces senteurs des plus divins espoirs du ciel.

Nous pouvons donc affirmer, cher ami lecteur, que ce volume ne raconte pas d'une manière intégrale, la suite des expériences purificatrices de l'ancien sénateur Lentulus dans les cycles de rédemption par le labeur sur terre. C'est l'histoire d'un cœur de femme admirable qui s'est divinisé par sacrifice et par abnégation, confiant en Jésus, dans les larmes de sa nuit de douleur et d'épreuves, de réparation et d'espoir. L'Église romaine garde encore aujourd'hui dans ses archives vieillies ses généreuses traditions, quoique les dates et les dénominations, les descriptions et les notes soient restées confuses et obscures sous le doigt vicié des narrateurs humains.

Mais toi, mon frère et mon ami, ouvre ces pages en pensant au tourbillon de larmes qui reste prisonnier dans le cœur humain et réfléchis à ta part d'expériences amères que les jours transitoires de la vie t'ont apportée. R est possible que tu aies aussi beaucoup aimé et souffert. R t'est arrivé de ressentir le souffle froid de l'adversité glaçant ton cœur. Ou bien, on a blessé ton âme bien intentionnée et sensible de la calomnie ou de la désillusion. En certaines circonstances, tu as, toi aussi, regardé le ciel et tu as demandé en silence où pouvaient se trouver la vérité et la justice, en invoquant la miséricorde de Dieu dans de douloureuses prières. Reconnaissant, cependant, que toutes les douleurs ont une finalité glorieuse dans la rédemption de ton esprit, lis cette histoire réelle et médite. Les exemples d'une âme sanctifiée dans la souffrance et dans l'humilité, t'enseigneront à aimer le travail et les peines de chaque jour. En observant les martyres moraux et en sentant de près sa prof onde foi, tu éprouveras une douce consolation, renouvelant tes espoirs en Jésus-Christ.

Cherche à comprendre l'essence de cette source de vérités réconfortantes et, du plan spirituel, l'Esprit purifié de notre héroïne versera dans ton cœur le baume consolateur des espoirs sublimes.

Profite de cet exemple, comme nous l'avons fait en des temps reculés de luttes et d'expériences du passé, voilà ce que te souhaite un frère et un humble serviteur.

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EMMANUEL

Pedro Leopoldo, le 19 décembre 1939.

PREMIERE PARTIE

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UNE FAMILLE ROMAINE

Parcourant la foule rassemblée sur la grande place Smyrne par un clair matin de l'année 131 de notre ère, avançait un tas d'esclaves jeunes et athlétiques qui accompagnaient une litière richement décorée au goût de l'époque.

De temps en temps, on entendait les voix des porteurs s'écrier :

- Laissez passer le noble tribun Caius Fabrice ! Place au noble représentant d'Auguste. Faites place !... Faites place!...

Les petits groupes populaires formés rapidement autour du marché aux poissons et aux légumes se trouvant dans les artères de la ville s'écartaient, alors que le visage d'un patricien romain surgit entre les rideaux de la litière, avec des airs d'ennui tout en observant la foule agitée.

Suivant la litière, un homme dans les quarante cinq ans marchait laissant percevoir dans ses traits un profil Israélite très caractéristique et un orgueil silencieux et réticent. Son humble attitude, cependant, dénonçait sa condition inférieure et bien que ne participant pas à l'effort des porteurs, on pouvait deviner sur son visage contrarié sa douloureuse situation d'esclave.

Au bord du golfe splendide, on respirait l'air parfumé des vents de la mer Egée venant du grand archipel.

L'agitation de la ville avait beaucoup grandi en ces temps inoubliables qui avaient suivi la dernière guerre civile qui avait dévasté la Judée pour toujours. Des milliers de pèlerins l'envahissaient par tous les flancs fuyant les tableaux terrifiants de la Palestine dévastée par les fléaux de la dernière révolution, destructrice des ultimes liens de cohésion entre tribus laborieuses d'Israël, les déterrant de leur patrie.

Les restes des anciennes autorités et des nombreux ploutocrates de Jérusalem, de Césarie, de Bétel et de Tibériade, se côtoyaient faméliques et étaient livrés aux tourments de la captivité après les victoires de Julius Sextus Sévère sur les fanatiques partisans du célèbre Bar-Koziba

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Triomphant des mouvements instinctifs de la foule, la litière du tribun s'est arrêtée devant un magnifique édifice dont les styles grec et romain se mariaient harmonieusement.

Dès qu'elle fut garée, elle fut annoncée à l'intérieur où un patricien relativement jeune, dans la quarantaine, l'attendait avec un intérêt évident.

- Par Jupiter ! - s'exclama Fabrice en étreignant son ami Helvidius Lucius - je ne pensais pas te trouver si robuste et si élégant à faire envie aux propres dieux !

- Voyons, voyons ! - a répliqué l'interpellé dont le sourire laissait paraître la satisfaction que de telles marques d'affection et d'amitié lui causaient - ce sont les miracles de notre temps. D'ailleurs, si quelqu'un mérite de tels éloges, c'est bien toi, à qui Adonis a toujours rendu hommage.

Pendant ce temps, un esclave encore jeune apportait un plateau d'argent où se trouvaient posés des petits vases de parfum et des couronnes ornées de rosés.

Délicatement, Helvidius Lucius se servit tout en remerciant d'un léger signe de tête.

- Mais, dis-moi ! - continua son hôte sans dissimuler la satisfaction que lui causait sa visite - j'attends ton arrivée depuis longtemps, de sorte que nous partirons pour Rome le plus rapidement possible. Depuis deux jours la galère est à notre disposition, notre départ ne dépendait plus que de ton arrivée !...

Lui tapotant amicalement l'épaule, il conclut :

- Pourquoi as-tu tant tardé ?...

- Eh bien, tu sais - lui expliqua Fabrice - résumer les dégâts de la dernière révolution est une tâche plutôt difficile à réaliser en quelques semaines, raison pour laquelle, malgré le retard auquel tu fais allusion, je n'apporte pas au gouvernement impérial un rapport minutieux et complet, mais juste quelques données générales.

- Et à propos de la révolution en Judée, quelle est ton impression personnelle des événements ?

Caius Fabrice esquissa un léger sourire, ajoutant avec amabilité :

- Avant de donner mon avis, je sais que tu as su profiter de la situation très positivement.

- Bon, mon ami - a dit Helvidius comme s'il voulait se justifier -, s'il est vrai que la vente de tout mon élevage de chevaux d'Idumée aux forces en action a consolidé mes finances, assurant l'avenir de ma famille ; cela ne m'empêche pas de penser à la laborieuse situation de ces milliers de créatures qui sont ruinées pour toujours. D'ailleurs, si la chance m'a été favorable sur le plan matériel, je le dois principalement à l'intervention de mon beau-père auprès du préfet Lolius Urbicus.

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- Le censeur Fabien Corneille a donc ainsi agi aussi décisivement en ta faveur ? - a demandé Fabrice, un peu admiratif.

-Oui.

- Très bien - lui dit Caius ne s'en souciant déjà plus -, je n'ai jamais rien compris à l'élevage de chevaux d'Idumée ou de bêtes de Ligurie. D'ailleurs, le succès de tes affaires ne modifie pas notre vieille et cordiale amitié. Par Polux !... tant d'explications en ce sens sont bien inutiles.

Et après avoir absorbé un peu de vin de Falerne respectueusement servi, il a continué, comme s'il analysait ses souvenirs les plus intimes :

- La province est dans un état déplorable et à mon avis, les juifs ne trouveront jamais plus en Palestine l'atout réconfortant d'un foyer et d'une patrie. Plus de cent quatre-vingts mille Israéliens sont morts dans divers conflits selon les estimations avérées de la situation. Les bourgs ont presque tous été détruits. Dans la zone de Bétel la misère a atteint des proportions inédites. Des familles entières abandonnées et désarmées ont été lâchement assassinées. Alors que la faim et la désolation mènent à la ruine générale, arrive aussi la peste surgissant de l'exhalation des cadavres non enterrés. Je n'avais jamais pensé revoir la Judée dans de telles conditions...

- Mais qui devons-nous blâmer de tout cela ? Le gouvernement d'Hadrien n'a-t-il pas été marqué par sa rectitude et son sens de la justice ? - a demandé Helvidius Lucius avec beaucoup d'intérêt.

- Je ne peux l'affirmer avec certitude - a répondu Fabrice avec prudence - ; cependant, je considère pour ma part que le grand coupable a été Tineius Rufus, légat propréteur de la province. Son incapacité politique a été manifeste dans tout le développement des faits. La réédification de Jérusalem lui donnant le nom d'Aelia Capitolina, obéissant ainsi aux caprices de l'Empereur, terrifia les Israéliens tous désireux de conserver les traditions de la ville sainte. Le moment exigeait un homme aux qualités exceptionnelles au devant des affaires de la Judée. Mais, Tineius Rufus n'a fait qu'exacerber l'animosité populaire avec des impositions religieuses de tous genres, contrariant la tradition classique de tolérance de l'Empire dans les territoires conquis.

Helvidius Lucius écoutait son ami avec un singulier intérêt et comme s'il désirait voir s'éloigner quelques souvenirs amers, il murmura :

- Fabrice, mon cher, ta description de la Judée me terrifie l'esprit... Les années que nous avons passées en Asie Mineure me ramènent à Rome le cœur plein d'appréhension. Dans toute la Palestine vivent des superstitions totalement contraires à nos traditions les plus respectables et ces croyances étranges envahissent l'ambiance même de nos familles, rendant plus difficile notre tâche d'instituer l'harmonie domestique...

- Je sais - lui a répliqué l'ami prévenant -, tu fais certainement allusion au christianisme avec ses innovations et son esprit sectaire. Mais... - ajouta Caius, lui parlant sur un ton de confidence -, serait-ce qu'Alba Lucinie aurait cessé d'être la vestale protectrice de ta maison ? Serait-ce possible ?

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- Non - répliqua Helvidius soucieux de se faire comprendre -, il ne s'agit pas de ma femme, sentinelle éclairée de tous les faits touchant à ma vie depuis de si longues années, mais de l'une de mes filles qui, contrairement à toutes prévisions, s'est laissée imprégner de tels principes, causant parmi nous le plus grand chagrin.

- Ah ! Je me souviens d'Helvidia et de Célia qui, encore enfants, étaient deux sourires des dieux dans ton foyer. Mais si jeunes et déjà portées à des cogitations philosophiques ?

- Helvidia, la plus âgée, ne s'est pas intéressée à de telles sorcelleries ; mais notre pauvre Célia semble bien atteinte par les superstitions orientales, de sorte qu'en retournant à Rome, je prévois de la laisser en compagnie de mon père pendant quelques temps. Nous pensons que ses leçons de vertu domestique ramèneront son cœur à la raison.

- C'est vrai - acquiesça Fabrice -, le vénérable Cneius Lucius convertirait aux traditions romaines les sentiments les plus barbares de nos provinces.

Ils firent une courte pause alors que Caius tambourinait avec ses doigts, laissant percevoir son Inquiétude comme si de pénibles souvenirs lui venaient à l'esprit.

- Helvius - a murmuré le tribun fraternellement -, ton retour à Rome saurait inquiéter tes fidèles amis. Parlant de ton père, je me suis instinctivement souvenu de

Silain, le petit enfant abandonné qu'il a presque adopté officiellement comme son propre fils, désireux qu'il était de te libérer de la calomnie qui t'était imputée à l'aube de ta jeunesse...

- Oui - lui dit son hôte, comme s'il s'était soudainement éveillé -, encore heureux que tu es au courant de la calomnieuse accusation qui a pesé sur moi. D'ailleurs, mon père ne l'ignore pas.

- Malgré tout, ton vénérable père n'a pas hésité à garder cet enfant qui se présentait, lui manifestant la plus grande affection...

Après avoir passé nerveusement sa main sur son front, Helvidius Lucius a ajouté :

- Et Silain ? Tu sais ce qu'il est devenu ?

- Aux dernières nouvelles, on a su qu'il s'était engagé dans nos phalanges qui maintiennent l'ordre en Gaules comme simple soldat de l'armée.

- Parfois - a continué Helvidius inquiet je pense à la chance de ce jeune garçon, pupille de la générosité de mon père, depuis ma jeunesse. Mais que faire ? Depuis que je me suis marié, j'ai tout fait pour l'amener à vivre avec nous. Ma propriété d'Idumée pourrait lui offrir une existence simple et dans le plus grand confort, sous mes vigilantes orientations. Cependant, Alba Lucinie s'est finalement opposée à mes projets, rappelant non seulement les commentaires calomnieux dont j'avais été la cible par le passé, mais alléguant aussi ses droits exclusifs à mon affection, ce à quoi j'ai été obligé de me conformer, considérant les nobles qualités de son âme généreuse.

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Bon, tu sais que ma femme doit recevoir mes attentions les plus respectueuses. Je n'ai d'autre solution que d'accepter volontiers ses requêtes.

- Helvidius, mon bon ami - s'exclama Fabrice, démontrant une certaine prudence -, je ne dois pas, ni ne peux intervenir dans ta vie privée. Il est des problèmes dans la vie, que seuls les conjoints peuvent résoudre entre eux dans l'intimité sacrée du foyer ; mais ce n'est pas seulement le cas de Silain qui me préoccupe concernant ton retour.

Et fixant son ami bien dans les yeux, il compléta :

- Tu te souviens de Claudia Sabine ?

- Oui... - a-t-il vaguement répondu.

- Je ne sais si tu es bien informé à son sujet, mais Claudia est aujourd'hui la femme de Lolius Urbicus, le préfet des prétoriens. Tu n'es pas sans ignorer que cet homme est la personnalité du jour, dépositaire de la plus grande confiance de l'Empereur.

Helvidius Lucius a passé sa main sur son front comme s'il désirait fuir de pénibles souvenirs du passé, répondant enfin avec tranquillité :

- Je ne souhaite pas exhumer le passé car aujourd'hui je suis un autre homme; mais s'il s'avérait nécessaire d'être honoré dans la capitale de l'Empire, il ne faudrait pas oublier que mon beau-père est aussi une personne qui a toute la confiance du préfet non seulement, auquel tu fais référence, comme celle de toutes les autorités administratives.

- Oui, je sais, mais je n'ignore pas aussi que le cœur humain a des alcôves bien mystérieuses... Je ne crois que Claudia, aujourd'hui élevée au rang de la plus haute aristocratie par les caprices du destin, ait oublié l'humiliation de son amour violent de plébéienne, piétiné en d'autres temps.

- Oui - a confirmé Helvidius Lucius le regard fixe plongé dans l'abîme de ses souvenirs les plus intimes -, combien de fois ai-je déploré avoir nourri dans son cœur une affection aussi intense ; mais que faire ? La jeunesse est sujette à de nombreux caprices et très souvent, aucun avertissement ne peut rompre le voue de sa cécité....

- Et serais-tu aujourd'hui moins jeune pour te sentir exempté des nombreux caprices de notre temps ?

L'interpellé a compris toute la portée de ces commentaires sages et prudents, mais comme s'il n'approuvait pas l'examen des circonstances et des faits dont l'angoissant souvenir le tourmenterait, il répliqua sans perdre son évidente bonne humeur, bien que ses yeux dénotent d'une amère inquiétude :

- Caius, mon bon ami, par la barbe de Jupiter ! Ne me renvoie pas aux abimes profonds du passé. Depuis que tu es arrivé, tu n'as fait que parler de sujets pénibles et sombres. D'abord la misère de Judée à faire dresser les cheveux sur la tête avec ses paysages de désolation et de ruine et puis, te voici tourné vers ce fâcheux passé, comme si les difficultés actuelles ne nous suffisaient pas... Mais parle-moi plutôt de quelque chose qui confortera mon calme intérieur. Bien que ne sachant pas en expliquer la raison, j'ai le cœur

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appréhensif quant à l'avenir. La machine des intrigues de la société romaine trouble mon esprit qui n'a jamais trouvé les moyens de fuir son ambiance détestable. Mon retour à Rome est perturbé par de pénibles perspectives, bien que je n'ose l'admettre !...

Fabrice l'écoutait, attentif et affecté. Les paroles de son ami dénonçaient la profonde crainte de retourner au passé si plein d'aventures. Cette attitude de supplique dénonçait que des souvenirs palpitaient encore dans son cœur, malgré les efforts qu'il faisait pour tout oublier.

Réprimant ses propres craintes, il lui dit alors affectueusement :

- D'accord, nous ne parlerons plus de cela.

Et faisant ressortir la joie que lui causait cette rencontre, il a continué ému :

- Mais alors, comment aurais-je pu oublier ce que tu m'avais demandé ?

Sans plus tarder, il s'est dirigé vers l'atrium où des serviteurs de confiance attendaient ses ordres, revenant dans la pièce accompagné de l'inconnu marqué par l'humble attitude des esclaves et qui avait suivi sa litière.

Helvidius Lucius fut surpris par le personnage Intéressant qui lui était présenté.

Il a tout de suite identifié sa condition d'assujetti, mais l'étonnement lui venait de la profonde affection que cette figure lui inspirait.

Ses traits Israélites étaient inéluctables, néanmoins, il portait dans son regard la vibration d'un noble orgueil tempéré d'une singulière humilité. Sur son large front, on pouvait déjà remarquer des cheveux blancs, si bien que son physique dénonçait beaucoup d'énergie dans la force de l'âge mûr. Cependant, son apparence extérieure était celle d'un homme profondément désenchanté par la vie. Sur son visage, on pouvait percevoir des signes de tortures et de souffrances infinies, des impressions douloureuses, d'ailleurs compensées par la lueur énergique de son regard transparent de sérénité.

- Voici la surprise - a souligné Caius Fabrice joyeusement : - en souvenir j'ai acheté ce joyau à la foire de Térébinthe, alors que certains de nos compagnons décimaient la dépouille des vaincus.

Helvidius Lucius semblait ne pas entendre, comme s'il cherchait à se plonger au plus profond de ce curieux personnage devant ses yeux, dont la sympathie impressionnait ses fibres les plus sensibles et les plus intimes.

- Tu es admiratif ? - a insisté Caius désireux d'entendre ses appréciations directes et franches. -Voulais-tu par hasard que je t'apporte un effrayant Hercules ? J'ai préféré te flatter avec un rare exemple de sagesse.

Helvidius le remercia d'un signe expressif, tout en s'approchant de l'esclave silencieux avec un léger sourire sur les lèvres.

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- Comment t'appelles-tu ? - a-t-il immédiatement demandé.

- Nestor.

- Où es-tu né ? En Grèce ?

- Oui - a répondu l'interpellé avec un pénible sourire.

- Comment as-tu pu atteindre Térébinthe ?

- Seigneur, je suis d'origine judéenne bien que je sois né à Éphèse. Mes ancêtres se sont installés en lonie, il y a quelques décennies, fuyant les guerres civiles en Palestine. J'ai grandi sur les bords de la mer Egée où plus tard j'ai composé ma propre famille. La chance, néanmoins, n'a pas été de mon côté. J'ai d'abord perdu ma compagne, prématurément, j'ai eu beaucoup de chagrin, et peu après, sous le joug de persécutions implacables, j'ai été asservi par d'illustres Romains qui m'ont conduit à l'ancien pays de mes aïeux.

- Et c'est là que la révolution t'a surpris ? -Oui.

- Où te trouvais-tu ?

- Aux alentours de Jérusalem.

- Tu as parlé de ta famille. Tu avais seulement une femme ?

- Non, Seigneur, j'avais aussi un fils.

- Lui aussi est mort ?

- Je l'ignore. Mon pauvre fils, encore enfant, est tombé, comme son père dans la pénible nuit de la captivité. Séparé de moi, je l'ai vu partir le cœur lacéré de douleur et de nostalgie. Il a été vendu à de puissants négociants du sud de la Palestine.

Helvidius Lucius a regardé Fabrice comme pour exprimer son admiration face aux réponses courageuses de l'inconnu, mais continua néanmoins à l'interroger :

- Qui servais-tu à Jérusalem ?

- Calius Flavius.

- Je l'ai connu de nom. Qu'est-il arrivé à ton maître ?...

- Ce fut le premier à mourir lors des combats qui eurent lieu à proximité de la ville entre les légionnaires de Tineius Rufus et les renforts juifs arrivés de Bétel.

- Toi aussi tu as combattu ?

- Seigneur, il ne m'appartenait pas de combattre sauf pour répondre à mes obligations vis-à-vis de celui qui, par son grand cœur, me gardait captif aux yeux du monde, mais depuis

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longtemps m'avait rendu ma liberté. Mes armes étaient celles de l'assistance nécessaire à son esprit loyal et juste. Calius Flavius n'était pas pour moi un bourreau, mais un ami et un protecteur de tous les instants. À ma profonde consolation, j'ai pu lui prouver mon dévouement quand j'ai dû lui fermer les yeux dans ses derniers instants.

- Par Jupiter ! - s'exclama Helvidius s'adressant à voix haute à son ami - c'est la première fois que j'entends un esclave bénir un maître.

- Il n'y a pas que ça - a répondu Caius Fabrice de bonne humeur, alors que l'esclave les observait droit et digne -, Nestor est la personnification du bon sens. Malgré ses liens de sang avec l'Asie Mineure, sa culture concernant l'Empire est des plus vastes et des plus remarquables.

- Serait-ce possible ? - lui dit Helvidius admiratif.

- Il connaît l'histoire romaine aussi bien que l'un de nous.

- Mais lui est-il arrivé de vivre dans la capitale du monde ?

- Non. Selon ce qu'il dit, il ne la connaît que par ses traditions.

Invité par les deux patriciens, l'esclave s'est assis pour démontrer ses connaissances.

Sans le moindre embarras, il a parlé des légendes charmantes qui retraçaient la naissance de la ville célèbre, entre les vallées de l'Étrurie et les délicieux paysages de Campanle. Romulus et Rémus, le souvenir d'Acca Larentia, le rapt des Sabines, étaient des images qui, dans la bouche d'un esclave, prenaient des nuances tout à la fois nouvelles et intéressantes. Ensuite, il s'est mis à expliquer l'extraordinaire développement économique et politique de la ville. L'histoire de Rome n'avait pas de secrets pour son intellect. En retraçant l'époque de Tarquin l'Ancien, il a parlé de ses constructions merveilleuses et gigantesques, s'arrêtant plus particulièrement au célèbre réseau d'égouts se jetant dans les eaux boueuses du Tibre. Il s'est souvenu de Servius Tullius, divisant la population romaine en classes et centuries. Numa Pompilius, Ménénius Agrippa, les Gracques, Sergius Catilina, Scipion Nasica et tous les personnages célèbres de la République ont été évoqués dans son exposition où les concepts chronologiques s'alignaient avec une admirable précision. Les dieux de la ville, les coutumes, les conquêtes, les généraux intrépides et vaillants étaient gravés dans sa mémoire avec des détails indélébiles. En suivant le cours de ses connaissances, il est remonté aux débuts de l'Empire faisant ressortir ses réalisations prodigieuses depuis le fastueux brio de la cour d'Auguste. Les magnificences des Césars, à travers son habile dialectique, se présentaient sous de nouvelles nuances historiques face aux considérations psychologiques concernant toutes les situations politiques et sociales.

Nestor a longuement parlé de ses connaissances du passé quand Helvidius Lucius sincèrement surpris l'a interpellé :

- D'où tiens-tu toute cette culture remontant à nos plus lointaines traditions ?...

- Maître, depuis ma jeunesse, j'ai manié tous les livres d'éducation romaine à ma portée. En outre, sans que je puisse me l'expliquer, la capitale de l'Empire exerce sur moi la plus singulière de toutes les séductions.

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- Et bien - ajouta Caius Fabrice satisfait - Nestor connaît aussi bien un livre de Salluste qu'une page de Petronius. Les auteurs grecs, également, n'ont pas de secrets pour lui. Considérant, cependant, sa prédilection pour les sujets romains, je veux croire qu'il est comme né au bas de notre porte.

L'esclave a légèrement souri, alors qu'Helvidius Lucius a ajouté :

- De telles connaissances prouvent un intérêt injustifiable de la part d'un captif.

Et après une pause, comme s'il était en train d'échafauder un projet intime, tout en s'adressant à son ami, il dit :

- Mon cher, je loue ton bon souvenir. Mon souci actuellement était justement de trouver un serviteur cultivé qui puisse se charger d'enrichir l'éducation de mes filles, en m'assistant simultanément dans le traitement des affaires de l'État qui, en vertu de ma nouvelle position, seront à ma charge.

Son hôte avait à peine fini de le remercier que sont apparues dans la salle sa femme et ses filles, dans un gracieux cadre familial.

Alba Lucinie, qui n'avait pas encore atteint les quarante ans, conservait sur son visage les plus beaux traits de la jeunesse qui illuminaient son profil de madone. À ses côtés, ses filles, deux printemps souriants, donnaient à son allure la noble expression d'une vestale se confondant avec elles deux comme si elle était leur sœur plus âgée, plutôt que leur mère tendre et aimante.

Helvidia et Célia, cependant, bien qu'ayant une profonde ressemblance, laissaient spontanément transparaître une différence de tempérament et de penchants spirituels. La première laissait entrevoir dans ses yeux une inquiétude propre à son âge, accusant les rêves fébriles qui peuplaient son âme, alors que la seconde portait dans le regard une réflexion calme et profonde, comme si l'esprit de la jeunesse avait chez elle prématurément vieilli.

Toutes trois exhibaient gracieusement sur leur habit domestique les délicats ornements des « péplums », leurs cheveux étaient attachés par de précieux filets dorés, et elles offraient à Fabrice un sourire accueillant.

- De grâce - a murmuré l'invité avec une vivacité propre à son génie expansif tout en s'avançant vers la maîtresse de maison -, mon grand ami Helvidius a trouvé l'autel des Trois Grâces intronisées exclusivement dans son foyer. D'ailleurs ici nous sommes dans la région de la mer Egée, berceau de toutes les divinités !...

Avec beaucoup de courtoisie, ils se saluèrent tous.

Non seulement Alba Lucinie mais aussi Helvidia et Celia se réjouissaient de la présence de ce chaleureux ami de la famille, de longue date.

Rapidement, le petit groupe échangeait des propos amicaux et bienveillants. Le brouhaha des nouvelles sur Rome se mélangeait aux impressions sur l'Idumée et les autres

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régions de la Palestine où Helvidius Lucius avait séjourné avec ses proches, partageant leurs avis charmants et personnels sur des petits riens de tous les jours.

À un certain moment, le maître de maison a attiré l'attention de sa femme sur Nestor retranché dans un coin de la pièce, lui disant avec enthousiasme :

- Lucinie, voici le cadeau royal que Caius nous a apporté de Térébinthe.

- Un esclave ?!... - a demandé la madone sur un ton charitable.

- Oui. Un précieux esclave. Sa capacité mnémonique est un des phénomènes les plus intéressants qui m'ait été donné d'observer de toute ma vie. Imagine qu'il a dans son cerveau la longue histoire de Rome sans en omettre les moindres détails. Il connaît nos traditions et nos coutumes comme s'il était né au Palatin. Je désire sincèrement le prendre à mon service personnel, l'utilisant en même temps pour instruire nos filles.

Alba Lucinie a regardé l'inconnu prise d'étonnement et d'affection. À leur tour, les deux jeunes filles le dévisagèrent admiratives.

Cependant, sortant de sa stupéfaction, la noble matrone réfléchit avec pondération :

- Helvidius, j'ai toujours considéré la mission domestique comme étant la plus délicate dans notre vie. SI cet homme a donné les preuves de ses connaissances, il devra aussi donner celles de ses vertus pour que nous puissions lui confier, en toute tranquillité, l'éducation de nos filles ?

Face à une question aussi raisonnable qu'opportune, son mari se sentit embarrassé, mais Caius vint à son secours avec des propos éclairés :

- Je m'en porte garant, Madame : si Helvidius peut justifier de sa sagesse, je peux témoigner de ses nobles qualités morales.

Alba Lucinie sembla réfléchir le temps d'un instant encore et ajouta finalement avec un sourire satisfait :

- D'accord, nous accepterons la garantie de ta parole.

Puis, la gracieuse dame a regardé Nestor avec charité et douceur, comprenant que si son aspect affligeant était bien celui d'un esclave, ses yeux révélaient une sérénité supérieure pleine d'une étrange fermeté.

Après une minute d'observation attentive et silencieuse, elle s'est tournée vers son mari lui disant quelques mots d'une voix presque imperceptible, comme si elle demandait son accord avant de réaliser certains de ses désirs. Helvidius, à son tour, a délicatement souri, faisant un signe d'approbation de la tête.

Se tournant alors vers tout le monde, la noble femme a dit sur un ton ému :

- Caius Fabrice, mon mari et moi, avons décidé que nos filles recevront la coopération intellectuelle d'un homme libre.

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Et prenant une minuscule baguette posée dans une jarre orientale dans un coin de la pièce, elle a légèrement touché le front de l'esclave, obéissant ainsi aux cérémonies familiales par lesquelles on libérait les esclaves dans la Rome impériale, tout en s'exclamant :

- Nestor, notre maison te déclare libre pour toujours !...

- Mes filles - a-t-elle continué émue s'adressant à elles deux -, jamais vous n'humilierez la liberté de cet homme qui pourra accomplir ses devoirs en toute indépendance !...

Caius et Helvidius se sont regardés satisfaits. Alors qu'Helvidia, de loin, faisait ses compliments au libéré, Célia avec un léger penchement de tête, digne, s'est approchée de l'émancipé qui avait les yeux humides de larmes et lui a tendu sa main aristocratique et délicate dans un geste sincère et tendre. Ses yeux croisèrent le regard de l'ex-esclave dans une vague d'affection et d'attraction indéfinissable. Le libéré, visiblement ému, ili'est incliné et a respectueusement baisé la main généreuse que la jeune patricienne lui offrait.

La scène émouvante dura quelques instants quand, à Id surprise générale, Nestor s'est levé du coin où il se trouvait et, marchant jusqu'au centre de la pièce, s'est agenouillé devant ses bienfaiteurs et a humblement baisé |p» pieds d'Alba Lucinie.

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II

UN ANGE ET UN PHILOSOPHE

Le palais résidentiel du préfet Lolius Urbicus se trouvait sur l'une des plus belles hauteurs de la colline où se dressait le Capitole.

La fortune de son propriétaire était des plus opulentes à Rome et sa situation politique était des plus enviables par son prestige et ses privilèges particuliers.

Bien que descendant d'une ancienne famille de la noblesse, il n'avait pas reçu un héritage conséquent de ses ancêtres les plus illustres, toutefois, très tôt l'Empereur l'avait pris sous sa protection.

Au début, il en fit un tribun militaire plein d'espoirs et de perspectives prometteuses, pour le promouvoir ensuite aux grades les plus éminents. Par la suite, il l'avait transformé en l'homme qui avait toute sa confiance. Il lui fit don de biens précieux comme des propriétés et des titres de noblesse. Cependant l'aristocratie de la ville fut étonnée quand Hadrien lui recommanda de se marier avec Claudia Sabine, une plébéienne d'un talent exceptionnel et d'une rare beauté qui avait su par favoritisme s'octroyer les grâces les plus convoitées de la cour.

Lolius Urbicus n'a pas hésité et obéit à la volonté de son protecteur et plus grand ami.

Il se maria négligemment comme si le mariage pouvait garantir ses intérêts personnels, poursuivant cependant sa vie d'aventures joyeuses lors des nombreuses campagnes en tant qu'autorité militaire que ce soit dans la capitale de l'Empire ou dans les villes des nombreuses provinces.

Maintenant honorée de son nom, cette femme avait acquis l'une des places les plus en vue au sein de la noblesse romaine. Peu encline aux devoirs de matrone1, elle ne tolérait pas l'environnement domestique, se livrant aux aberrations de la vie mondaine, suivant parfois les projets de ses amis ou organisant à son tour d'illustres fêtes, célèbres pour leur vision artistique et pour le libertinage discret qui les caractérisait.

1 N.T. : Dans l'antiquité romaine, une matrone est une dame, une femme mariée.

La société romaine, qui avançait franchement vers la décadence des anciennes coutumes familiales, adorait ses manières libres, alors que l'esprit mondain de l'Empereur et la volupté des courtisans se réjouissaient de ses agissements dans le tourbillon des initiatives joyeuses du contexte social de l'aristocratie.

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Claudia Sabine avait acquis l'un des rangs les plus avancés dans les cercles élégants et frivoles. Ayant l'art de transformer l'intelligence en arme dangereuse, elle se valait de sa position pour augmenter chaque fois davantage son propre prestige, s'élevant aux sommets de l'entourage où elle vivait, plein de créatures d'une noblesse improvisée, pour aisément satisfaire ses caprices. C'est ainsi qu'autour du précieux don de sa beauté physique toutes les attentions et tous les intérêts papillonnaient.

Le soir venu.

Dans l'élégant palais près du temple de Jupiter Capitolin planait une ambiance lourde de solitude et de tranquillité.

Reposant sur un divan de la terrasse, nous allons retrouver Claudia Sabine échangeant des propos confidentiels avec une femme du peuple, dans la plus grande intimité.

- Hatéria - lui disait-elle, concernée et avec beaucoup de discrétion -, je t'ai fait appeler afin de profiter de ton vénérable dévouement pour te charger d'une affaire.

- Ordonnez - répondit la femme à l'aspect modeste et aux manières simples et forcées. - Je suis toujours disposée à accomplir vos ordres, quels qu'ils soient.

- Serais-tu prête à me servir aveuglement dans une autre maison ?

- Sans aucun doute.

- Très bien, jusqu'à présent je n'ai vécu que pour me venger d'une terrible humiliation du passé.

- Madame, je me rappelle de vos déceptions au sein de la plèbe.

- Heureusement que tu as connu mes souffrances. Écoute continua Claudia Sabine en baissant la voix intentionnellement -, sais-tu qui sont les Lucius à Rome ?

- Qui ne connaît pas le vieux Cneius, Madame ? Avant de me parler de vos peines, je dois dire que je connais aussi vos chagrins et l'ingratitude du fils.

- Alors, il n'est pas nécessaire de te dire ce qu'il me reste à faire maintenant. Peut-être ignores-tu qu'Helvidius Lucius et sa famille arriveront dans cette ville dans quelques jours, de retour d'Orient. Je prévois de te placer au service de sa femme afin que tu m'aides à réaliser tous mes projets.

- Ordonnez et j'obéirai aveuglément.

- Connais-tu Tullia Cevina ?

- La femme du tribun Maximin Cunctator ?

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- Elle même. D'après ce que je sais, Tullia Cevina a été chargée par son amie d'enfance de trouver deux ou trois servantes d'une entière confiance et capables de répondre aux besoins du quotidien à Rome. Ainsi, il faut que tu te présentes le plus tôt possible comme candidate à ces fonctions.

- Comment ? Pensez-vous que la femme du tribun pourrait accepter mon humble offre sans références qui répondent à ses critères ?

- Pour cela, nous devons faire preuve d'une grande prudence. Tullia ne devra jamais apprendre que tu es une personne de ma connaissance. Tu pourrais présenter des références spéciales de Grisotemis ou de Musonia, mes amies très proches ; toutefois, cela n'irait pas non plus. Cela susciterait, peut-être, quelques soupçons quand j'aurais le plus besoin de ton intervention ou de tes services.

- Que faire, alors ?

- Avant tout, il faut que nous traitions de l'utilité de ton assistance dans l'intérêt de nos projets. Trouver une humble servante est une chose précieuse et rare. Présente-toi à Tullia avec la plus grande simplicité. Parle-lui de tes besoins, explique-lui tes bonnes intentions. Je suis presque sûre qu'il suffira de cela pour gagner cette première étape. Ensuite, comme je l'espère, tu seras Admise dans l'enceinte familiale d'Alba Lucinie, l'usurpatrice de mon bonheur. Tu la serviras avec humilité, soumission et dévouement jusqu'à ce que tu aies Conquis toute sa confiance. Tu n'auras pas besoin de venir me voir souvent pour ne pas éveiller les soupçons sur notre arrangement. Tu viendras ici une fois par mois afin de nous mettre d'accord sur la suite des événements. Au début, tu étudieras l'ambiance et tu m'informeras de toutes les nouveautés et de toutes les découvertes de la vie intime du couple. Ce n'est que plus tard que nous verrons la nature des services à exécuter.

Je peux compter sur ton dévouement et ton silence ?

- Je suis entièrement à vos ordres et j'accomplirai vos instructions avec une absolue fidélité.

- J'ai confiance en toi.

Une fois cela dit, Claudia Sabine livra à sa comparse quelques centaines de pièces en gage de leurs mutuels engagements.

Avidement, Hatéria a immédiatement pris la somme d'argent lançant un regard cupide à la bourse et s'exclamant empressée :

- Vous pouvez être sûre que je serai vigilante, humble et discrète.

Les ombres de la nuit tombaient sur les Monts Albans quand l'émissaire de Claudia est allée voir Tullia Cevina quelques heures plus tard, aux fins qui nous sont connues.

La femme du tribun Maximin Cunctator, patricienne au cœur bon et aimable reçut cette femme du peuple avec générosité et douceur. Les sollicitations insistantes d'Hatéria l'émurent beaucoup. Elle avait commenté la demande de son amie Alba Lucinie dans le cercle très restreint de ses amitiés les plus intimes ; néanmoins, cette servante inconnue n'apportait

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pas les références de l'unes de ses amies avec qui elle s'était mise d'accord. Mais elle attribua cela au bavardage de quelques esclaves qui aurait été mise indirectement au courant lors d'une conversation insouciante.

L'humilité et la simplicité d'Hatéria lui semblèrent adorables. Ses manières révélaient une extraordinaire capacité de soumission, empressée et affectueuse.

Tullia Cevina l'accepta et s'apitoyant sur son sort, l'accueillit le soir même et l'installa avec ses domestiques. Quelques jours plus tard, à la porte d'Ostie, il y avait une singulière agitation. Des véhicules luxueux se dirigeaient vers le port où la galère de nos personnages avait déjà été ancrée.

Sur les structures de la plage ensoleillée éclataient les manifestations de joie et d'émotion. Quantité d'amis et de représentants de la vie sociale et politique étaient venus recevoir Helvidius et Caius dans un déluge d'accolades affectueuses.

Lolius Urbicus et sa femme arrivaient aussi aux côtés de Fabien Corneille et de son épouse Julia Spinter, une vieille patricienne connue pour sa fière loyauté aux traditions en vigueur. Tullia Cevina et Maximin Cunctator se trouvaient également présents, soucieux de saluer fraternellement leurs amis qui étaient restés absents pendant de longues années. Plusieurs parents et proches se disputaient entre eux l'instant d'étreindre chaleureusement les chers arrivants, mais parmi toute cette foule se détachait la figure vénérable de Cneius Lucius, auréolé de ses cheveux blancs, que les pénibles expériences de la vie avaient sanctifié. Une atmosphère d'amour et de vénération planait autour de sa personnalité vibrante de culture et de générosité que ses soixante quinze ans de luttes n'avaient pas réussi à éteindre. La société romaine avait suivi chacun de ses pas, reconnaissant toute la noblesse et toute la loyauté de son caractère respectant l'un des exemples les plus sacrés de l'éducation ancienne pleine de la beauté de Rome dans ses principes les plus austères et les plus simples.

Cneius Lucius avait su mépriser toutes les positions de domination, comprenant que l'esprit de militarisme menait à la décadence de l'Empire, s'esquivant de toutes les situations matérielles notables afin de conserver son ascendant spirituel. Dans le cadre de ses nombreux services rendus à la collectivité, il avait pris des mesures dans le gouvernement impérial en faveur des esclaves qui enseignaient les bases de la lecture et de l'écriture aux enfants de leurs maîtres, sans parler de toutes les oeuvres de bienfaisance sociale au profit des plus pauvres et des plus démunis que la chance n'avait pas favorisés.

Son nom était respecté, non seulement dans le milieu aristocratique du Palatin, mais aussi à Suburra où s'entassaient les familles anonymes et pauvres.

Ce matin-là, le visage du vieux patricien laissait entrevoir la joie calme qui vibrait dans son âme.

Il a longuement étreint ses enfants contre son cœur, pleurant de joie en les embrassant; baisa ses petites-filles avec une affection toute paternelle. Mais alors que les salutations les plus festives étaient échangées dans le tourbillon des démonstrations expressives d'affection et d'émotion, Cneius Lucius a remarqué que Lolius Urbicus dévisageait avec insistance le profil de sa belle-fille, pendant que Claudia Sabine, feignant d'avoir complètement oublié le passé,

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concentrait son attention sur Helvidius avec des regards furtifs qui disaient tout à son cœur plein d'expérience, fatigué de lutter contre les capricieuses désillusions du monde.

Nestor, à son tour, débarqué en Ostie pour satisfaire son vieux rêve de connaître la ville célèbre et puissante, sentait des émotions inconnues vibrer en son for intérieur, comme s'il revoyait des lieux accueillants et chers. Il avait maintenant l'entière conviction que le paysage qui se dévoilait à ses yeux avides, lui était familier depuis des temps reculés. Il n'arrivait pas à préciser la chronologie de ses souvenirs, mais il conservait la certitude que, par un processus mystérieux, Rome était vraiment là dans le souvenir de ses réminiscences les plus profondes.

Ce même jour, alors qu'Alba Lucinie et ses filles accompagnées de Fabien Corneille et de sa femme se dirigeaient vers la ville, Helvidius Lucius prenait place aux côtés de son vieux père et partait en direction de la banlieue, ne prêtant aucune attention au temps qui passait ou au charmant paysage en chemin, complètement plongés qu'ils étaient dans leurs confidences les plus intimes.

Helvidius confia à son père toutes les impressions qu'il rapportait d'Asie Mineure, se rappelant des scènes vécues ou évoquant de doux souvenirs, faisant ressortir néanmoins ses profondes inquiétudes morales concernant sa fille dont les connaissances prématurées en matière de religion et de philosophie le hantaient, depuis qu'accidentellement, elle avait pris plaisir à écouter les esclaves de la maison parler des dangereuses superstitions de la nouvelle croyance qui envahissait l'Empire de toute part. Il expliqua, ainsi, au délicat et généreux mentor spirituel de son existence, toute la situation familiale, lui présentant les détails et les circonstances sur le sujet.

Après l'avoir écouté attentivement, le vieux Cneius Lucius dont la pratique éducative expérimentée lui serait d'un grand secours pour trouver une solution, promit de lui apporter son soutien moral sur la question.

Peu de temps après, nos amis s'installaient dans leur magnifique résidence du Palatin, initiant un nouveau cycle de vie citadine.

Helvidius Lucius était satisfait de sa nouvelle position, soulignant que comme adjoint substitut de son beau-père dans les fonctions de censeur, un rôle important lui était réservé dans la vie de la ville sous le regard bienveillant de l'Empereur. Quant à Alba Lucinie, assistée de Tullia, grâce à ses capacités artistiques innées, transformait la vieille propriété, conformément au goût de l'époque, édifiant dans chaque coin un peu de l'harmonie de son foyer où son mari et ses filles pourraient se reposer dans les moments de grande agitation de la vie.

Inutile de dire qu'engagée par Tullia, Hatéria fut admise dans le foyer d'Alba Lucinie, s'imposant à tous par son humilité habile, elle gagna toute la confiance de ses maîtres en quelques jours à peine.

La semaine suivante, sous prétexte de vouloir se reposer quelque temps chez son grand-père qu'elle Idolâtrait, Célia fut conduite par ses parents à sa résidence sur l'autre rive du Tibre, aux pieds de l'Aventin.

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Cneius Lucius habitait dans un palais très confortable au style romain accentué en compagnie de deux de ses filles déjà âgées qui le remplissaient d'affection couvrant d'étoiles la nuit de sa vieillesse.

Il reçut sa tendre petite-fille avec les preuves de satisfaction les plus évidentes.

Le lendemain dans la matinée, il ordonna de faire préparer sa litière personnelle pour aller offrir un sacrifice au temple de Jupiter capitolin en sa compagnie.

Célia l'accompagna calme et agréable bien qu'elle remarqua le regard expressif avec lequel l'ancien l'observait, soucieux peut-être de maîtresse ses sentiments les plus intimes.

Cneius Lucius ne s'arrêta pas seulement au sanctuaire de Jupiter mais il se dirigea, également, au temple de Sérapis où il se mit à parler à sa petite-fille des plus anciennes traditions de la famille romaine. La fillette ne contredisait pas ses paroles, ni n'interrompait son affectueux discours, se soumettant avec la plus grande obéissance à tout ce qui se rapportait au rituel des temples conformément aux règles instituées à Rome par les flamines.

Le soir tombait quand le généreux vieillard considéra leur pèlerinage terminé à travers les édifices religieux de la ville. Alors que le soleil se couchait, Cneius Lucius désireux de connaître toute l'intensité des nouvelles pensées de sa petite-fille, la conduisit finalement à l'autel familial où étaient alignées les magnifiques icônes en ivoire des dieux domestiques.

- Célia, ma chérie - a-t-il dit enfin se reposant sur un grand divan devant les idoles - je t'ai emmenée aujourd'hui aux temples de Jupiter et de Sérapis où j'ai offert des sacrifices pour notre bonheur ; mais plus que notre bonheur, je désire ma chère enfant le tien. J'ai remarqué que tu accompagnais mes gestes et, néanmoins, tu ne démontrais pas une dévotion sincère et ardente. Peut-être, as-tu rapporté de la province quelque idée nouvelle, contraire à nos croyances?!...

Elle écouta les paroles de son vénérable grand-père, l'âme perdue dans de profonds schismes. Elle comprit d'un regard toute la situation et habituée aux rigoureuses traditions de la famille, elle devina que son père avait sollicité une telle intervention dans l'intention de la faire revenir sur ses idées ainsi que sur ses convictions les plus intimes.

- Cher grand-père - a-t-elle répondu les yeux humides où transparaissait sa sublime innocence -, je vous ai toujours aimé de toute mon âme et vous m'avez enseigné à dire toute la vérité en toutes circonstances.

- Oui - s'exclama Cneius Lucius admiratif devinant les émotions de l'adorable enfant , à tout instant tu es présente dans mon cœur. Parle, mon enfant, avec la plus grande franchise! Je n'ai appris d'autre chemin que celui de la vérité face à nos traditions et à nos dieux...

- D'abord je dois vous dire que je pense que c'est mon père qui vous a demandé de m'amener à changer mes sentiments religieux actuels.

La vénérable ancien a fait un geste d'étonnement en raison de ce commentaire inattendu.

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- Oui - a continué la fillette -, peut-être que mon père ne peut me comprendre... Il ne pourrait jamais m'entendre avec bienveillance sans protester énergiquement, mais même ainsi, je continuerai toujours à l'aimer, malgré son cœur qui ne me comprend pas.

- Alors, mon enfant, pourquoi nier à Helvidius tes plus Intimes confidences ?...

- J'ai essayé de lui parler un jour alors que nous étions encore en Judée, mais j'ai immédiatement compris que mon père jugerait mal mes paroles les plus sincères, percevant ainsi que la vérité pour être totalement comprise doit être examinée par des cœurs du même âge spirituel.

- Mais, ma fille, que fais-tu des liens sacrés de la famille ?

- Ils sont dans l'amour et dans le respect que j'ai toujours cultivés ; toutefois grand-père, sur le terrain des idées, les liens de sang ne signifient pas toujours l'harmonie des idées entre ceux que le ciel a unis dans le cocon familial. Vénérant et estimant mon père de mon affection filiale, tout en respectant les traditions de son nom, j'ai épousé des idées auxquelles je ne pouvais adhérer à son avis, pour l'instant...

- Mais que veux-tu dire par âge spirituel ?...

- Que la jeunesse et la vieillesse, comme nous les voyons de par le monde, ne sont que l'expression d'une vie physique qui finit avec la mort. Il n'y a pas de jeunes, ni de vieux mais des âmes jeunes dans leur façon de raisonner ou profondément riches dans le domaine des expériences humaines.

- Que veux-tu dire par là ? - a demandé l'ancien fort admiratif. - As-tu une aussi vaste connaissance des auteurs grecs ?! Cela est bien étrange, ton père vient juste de trouver un esclave cultivé destiné tout spécialement à enrichir ton éducation et celle de ta sœur.

- Grand-père, vous connaissez bien ce profond désir d'apprendre qui m'a toujours poussée dès mon enfance. Bien qu'étant jeune, je sens dans mon esprit le poids d'un âge millénaire. Pendant toutes ces années d'absence en province, j'ai passé mon temps disponible à dévorer la bibliothèque que mon père ne pouvait emporter dans ses déplacements en Idumée.

- Mais ma fille - s'exclama le respectable ancien sincèrement consterné -, tu n'aurais pas agi comme les malades qui, à force de chercher la vertu dans tous les médicaments à portée de main, finissent lamentablement intoxiqués ?!...

- Non, cher grand-père, je ne me suis pas empoisonnée. Et si une telle chose est arrivée, depuis plus de deux ans je porte dans le cœur le meilleur des antidotes contre l'influence nocive de toutes les toxines de ce monde.

- Lequel ? - a interrogé Cneius Lucius de plus en plus surpris.

- Une croyance fervente et sincère.

- As-tu soumis de telles pensées à l'invocation de nos dieux?...

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- Non, cher grand-père, j'ai du mal à l'admettre, mais Je sens dans votre âme la même capacité de compréhension qui vibre dans la mienne et je dois être Sincère. Les dieux de nos anciennes traditions ne me satisfont déjà plus...

- Comment cela, mon enfant ? À quelles entités des Cieux confies-tu aujourd'hui ta foi sublime et fervente ?...

Et comme si dans ses grands yeux vibraient une étrange lumière, Célia a répondu calmement :

- A présent, je dépose ma foi en Jésus-Christ, le Fils de Dieu Vivant.

- Tu te déclares chrétienne ? - a demandé son vieux grand-père devenu blême.

- Il ne me manque que le baptême.

- Mais, fille - a dit Cneius Lucius donnant à sa voix une douce inflexion de tendresse -, le christianisme est en contradiction avec tous nos principes car il élimine toutes les notions religieuses et sociales fondamentales à notre conception de l'état et de la famille. En outre, ne sais-tu pas qu'adopter cette doctrine, c'est marcher au sacrifice et à la mort ?...

- Grand-père, malgré vos études longues et poussées, je pense que vous ne connaissez pas les principes de Jésus et la douce clarté de ses enseignements. Si vous aviez idée de sa doctrine dans son intégralité, si vous entendiez directement ceux qui sont emprunts de sa foi, vous auriez enrichi bien davantage le trésor de bonté et de compréhension de votre esprit.

- Mais on ne peut comprendre qu'une idée aussi pure achemine ses adeptes à la condamnation et au martyre depuis presque un siècle.

- Néanmoins, grand-père, vous n'avez peut-être pas encore considéré les circonstances de cette condamnation car Jésus a promis les joies de son royaume à tous ceux qui souffrent sur terre par amour en son nom.

- Tu délires, ma chérie, il ne peut être une divinité plus grande que notre Jupiter, ni ne peut exister un royaume supérieur à notre Empire. En outre, le prophète nazaréen, d'après ce que je sais, a prêché une fraternité impossible et une humilité que nous autres ne pouvons comprendre.

Il a posé sur sa petite-fille un regard calme plein d'une mystérieuse charité, ressentant pourtant une émotion plus intense lorsqu'il croisa ses yeux sereins, miséricordieux, transparents d'une candeur indéfinissable.

- Grand-père - a-t-elle continué le regard abstrait comme si son esprit agitait des souvenirs chers et lointains -, Jésus-Christ est l'agneau de Dieu qui est venu arracher le monde de l'erreur et du péché. Pourquoi ne pas comprendre les divins enseignements si nous avons faim d'amour en notre âme ? Apparemment je suis jeune et vous un homme âgé pour le monde ; cependant, je sens en moi qu'à la base de la connaissance spirituelle nos Idées sont analogues...

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De la terre entière nous viennent des clameurs de révolte et des cris de combat... Le fiel des opprimés se mêle aux larmes de tous ceux qui souffrent dans l'humiliation et dans la captivité !...

Vous avez connaissance de tous ces tourments Insondables qui assaillent le monde entier ! Vos livres parlent des angoisses indéfinissables à votre esprit sensible et affectueux. Ces cris de souffrance arrivent jusqu'à vos oreilles, à tout moment !

Où sont donc nos dieux d'ivoire qui ne nous sauvent pas de la décadence et de la ruine ?! Où est Jupiter qui ne descend pas sur la scène du monde pour rétablir l'équilibre de la merveilleuse balance de la justice divine ?! Pourrions-nous accepter un dieu froid, impassible qui se Complaît à soutenir toutes les turpitudes des puissants contre les plus pauvres et les plus malheureux ? Serait-ce que la providence du ciel est égale à celle de César pour Qui les plus grands pouvoirs vont à celui qui lui apporte les plus riches offrandes ? Alors Jésus de Nazareth a apporté au monde un nouvel espoir. Aux orgueilleux, il a averti que toutes les vanités de la terre restent aux portes obscures de la tombe ; aux puissants il a donné les leçons de résignation quant aux biens transitoires du inonde, enseignant que les plus belles acquisitions sont les vertus morales, impérissables valeurs du ciel. Il a donné l'exemple dans tous ses actes de lumière indispensables à notre construction spirituelle vers Dieu tout-puissant, Père de miséricorde infinie, au nom de celui qui nous a apporté sa doctrine d'amour avec son serment de vie et de rédemption.

Par-dessus tout, Jésus est le seul espoir des êtres tristes et désemparés de la terre puisque conformément à ses douces promesses, tous les malheureux du monde recevront les dons du ciel par les bénédictions de la simplicité et de la paix, par miséricorde et par la pratique du bien.

Cneius Lucius écoutait sa petite-fille dans un silence émouvant se sentant touché d'inquiétude mêlée d'enchantement, comme un philosophe du monde qui entendrait les plus tendres révélations de la vérité par la bouche d'un ange.

La petite, à son tour, laissant libre cours aux inspirations sacrées qui remplissaient son âme ne cessait de parler creusant le trésor de ses souvenirs les plus chers à son cœur :

- Pendant longtemps, nous sommes restés à Antipatris, en pleine Samarie, près de la Galilée... Là, la tradition de Jésus vit encore dans tous les esprits. J'ai connu de près la génération de bon nombre qui ont bénéficié du pouvoir de ses mains miséricordieuses, j'ai découvert l'histoire des lépreux guéris au contact de son amour ; des aveugles dont les yeux éteints ont vu naître une vibration nouvelle de vie grâce à sa parole aimante et souveraine ; des pauvres de tous genres qui se sont enrichis de sa foi et de sa paix spirituelle.

Au bord du lac, là où il prononça ses sermons Inoubliables, il m'a semblé voir encore la marque lumineuse de ses pas, quand l'âme plongée dans la prière, je suppliais les douces bénédictions du Maître de Nazaré!...

- Mais Jésus nazaréen n'était-il pas un dangereux visionnaire ? - a demandé Cneius Lucius, profondément surpris. - Ne promettait-il pas un autre royaume en méprisant les traditions de notre Empire ?

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- Grand-père - a-t-elle répondu sans se troubler -, le Fils de Dieu n'a jamais désiré établir un royaume belliqueux et périssable comme celui des peuples de la terre. Il n'a d'ailleurs jamais cessé de dire que son royaume n'est pas encore de ce monde, mais a plutôt enseigné que sa fondation se destine aux âmes qui désirent vivre loin du tourbillon des passions terrestres.

Serait-elle révolutionnaire la parole qui bénit tous les affligés et les déshérités ? La parole qui ordonne de pardonner l'ennemi soixante-dix-sept fois ? Qui enseigne le culte à Dieu avec le cœur, sans les pompes des vanités humaines ? Qui recommande l'humilité en gage de toutes les réalisations pour le ciel ?...

L'Évangile du Christ que j'ai en partie eu l'occasion de lire sur un parchemin qui se trouvait en possession de nos esclaves, est un cantique de sublimes espoirs sur le chemin des larmes de la terre, en marche vers les gloires suprêmes de l'infini.

Le respectable ancien a esquissé un sourire complaisant, s'exclamant avec bonté :

- Mon enfant, pour nous l'humilité et le détachement sont deux postulats qui nous sont inconnus. Nos aigles symboliques ne pourront jamais descendre de leur position dominante, ni nos coutumes ne peuvent s'accommoder du pardon comme règle d'évolution ou de conquête...

Tes considérations, cependant, m'intéressent beaucoup. Mais dis-moi : où as-tu acquis de telles connaissances ? Comment as-tu pu baigner ton esprit de cette nouvelle foi au point d'argumenter avec ferveur contre nos traditions les plus anciennes ?... Raconte-moi tout avec la même sincérité que je t'ai toujours connue !...

- D'abord, c'est par curiosité que j'ai découvert les enseignements de l'Évangile en entendant les conversations des esclaves à la maison...

Après avoir prononcé ces paroles avec réserve, Célia a semblé gravement réfléchir, comme si elle éprouvait une difficulté indéfinissable à répondre à la demande de son cher grand-père, à ce moment-là.

Ensuite, elle parut entamer avec elle-même un dialogue silencieux, entre la raison et les sentiments, puis elle rougit comme si elle craignait d'exposer toute la vérité.

Cneius Lucius a immédiatement identifié cette attitude mentale et s'exclama :

- Parle, ma fille ! Ton vieux grand-père saura comprendre ton cœur.

- Je dirai - répondit-elle rougissante lui adressant un regard déchirant avec cette timidité d'enfant et de jeune femme. - Grand-père, serait-ce un péché que d'aimer ?!

- Bien sûr que non - a répondu le vieillard devinant un monde de révélations inopinées à cette question.

- Et quand on aime un esclave ?

Le vénérable patricien a ressenti une émotion affligeante à entendre cette pénible révélation de la part de sa petite-fille adorée ; néanmoins, il a répondu sans hésiter :

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- Mon enfant, nous sommes très loin d'une société où la fille d'un patricien peut unir son destin à celui d'un serviteur.

Mais - a-t-il ajouté après une courte pause - en es-tu arrivée à tant vouloir un homme sujet à une si pénible situation ?

Et voyant que les yeux de la jeune fille devenaient humides, il devina les émotions déchirantes et contraignantes face à ces confidences. Il l'attira alors contre son cœur pour l'embrasser, lui murmurant à l'oreille d'un ton affectueux :

- Ne crains pas le jugement de ton grand-père tout dévoué à ton bien-être. Révèle-moi tout sans omettre aucun détail de la vérité aussi pénible soit elle. Je saurai comprendre ton âme par-dessus tout. Même si tes aspirations aimantes et tes rêves dorés de fillette se sont posés sur l'être le plus abject et le plus méprisable, je ne t'en aimerai pas moins pour autant, et ayant confiance en toi, je saurai respecter ta douleur et ton dévouement !

Réconfortée par ces paroles qui laissaient transparaître toute sa générosité et une sincérité absolue, Célia a continué :

- Il y a deux ans, papa nous a emmenés faire une excursion charmante sur le grand lac dans la région où nous possédons notre maison. En plus de maman Helvidia et moi, il y avait avec nous un jeune esclave acquis la veille et qui aidait à ouvrir le chemin le long des eaux, vu son habileté à ramer.

Cet esclave de vingt ans que la volonté du ciel a voulu qu'il s'arrête à notre maison, s'appelle Cirus. Nous étions tous joyeux à observer la ligne de l'horizon et le découpage des nuages dans le clair miroir des eaux agitées. De temps en temps, Cirus me jetait un regard lucide et calme qui produisait sur moi une étrange émotion de plus en plus intense.

Qui pourra expliquer ce saint mystère de la vie ? Dans ce divin secret du cœur, il suffit parfois d'un geste, d'un mot, d'un regard, pour que l'esprit s'attache à un autre pour toujours...

Elle fit une pause à l'exposition de ses réminiscences, et, observant son émotion qui débordait de ses yeux humides, Cneius Lucius la stimula à continuer :

- Allez ma fille. Je t'écoute, je veux à tout prix connaître toute ton histoire.

- Notre promenade - lui dit-elle avec les yeux de l'âme plongés dans le tableau de ses plus intimes souvenirs - se passait calmement et sans encombres quand soudain, poussée par le vent fort, une grande vague s'est levée. Une secousse plus violente, exactement au point où je m'étais installée m'a fait tomber, absorbée que j'étais dans mes pensées, me jetant dans les eaux profondes...

J'ai encore eu le temps d'entendre les premiers cris de mère et de ma petite sœur croyant m'avoir perdue pour toujours ; mais alors que je me débattais inutilement pour vaincre le poids énorme qui m'opprimait la poitrine sous la masse liquide, j'ai senti que deux bras vigoureux m'arrachaient du fond boueux du lac, me ramenant à la surface dans un immense effort désespéré.

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C'était Cirus qui, avec son esprit de sacrifice et de loyauté, me sauvait d'une mort certaine, conquérant par cet acte spontané la gratitude sans limites de mon père, et de nous toutes une tendre et sincère reconnaissance.

Le lendemain, très ému par les succès de la veille, mon père lui a accordé la liberté.

A l'Instant de son émancipation, le jeune libéré m'a baisé les mains avec les yeux humides de sa gratitude profonde et sincère. Mon père le garda attaché à notre maison, comme un serviteur de confiance affranchi, presque un ami, si les conditions de sa naissance avaient été autres.

Toutefois Cirus n'a pas seulement conquis ma gratitude et une estime à toute épreuve, mais aussi toute l'affection spontanée et profonde de mon âme.

Par un après-midi calme et clair, sous les arbres du verger, il m'a raconté sa singulière histoire, pleine d'épisodes intéressants et émouvants.

Pendant sa tendre enfance, il avait été vendu à un riche maître qui l'avait bientôt conduit au pays du Ganges - sur une terre mystérieuse et incompréhensible à nous les Romains -, là il avait eu l'occasion de connaître les principes populaires de réconfortantes philosophies religieuses.

Dans cette région d'Orient, pleine de secrets réconfortants, il avait appris que l'âme n'a pas seulement une existence, mais passe par de nombreuses vies, moyennant quoi elle acquiert de nouvelles facultés, se purifiant en même temps des erreurs passées dans d'autres corps, ou se rachetant des afflictions dans la pénible réparation de ses crimes ou des détours de son passé.

Néanmoins, après l'acquisition de ces connaissances, il fut emporté en Palestine où il s'est pénétré des enseignements chrétiens, devenant un adepte fervent du Messie de Nazaré !...

Il fallait voir alors comme sa parole s'imprégnait d'une lumineuse inspiration divine !...

Passionné par les généreuses idées qu'il avait rapportées de l'influence religieuse de l'Inde concernant les beaux principes de la réincarnation, il savait interpréter pour moi avec une simplicité et une clarté de raisonnement de nombreux passages évangéliques quelque peu obscures à mon entendement, comme celui où Jésus affirme que « personne ne pourra atteindre le royaume des cieux sans naître à nouveau » !...

Que ce soit par un langoureux crépuscule de Palestine ou au clair de lune caressant de ses nuits étoilées, quand il se reposait de la fatigue du travail du Jour, il me parlait des sciences de la vie et de la mort, des choses de la terre et du ciel avec les dons divins de son intelligence, gardant mon esprit en émoi entre les émotions de la vie physique et les glorieux espoirs de la vie spirituelle.

Transportée par la douce caresse de ses expressions et de ses gestes de tendresse, je me figurais qu'il était l'âme jumelle de ma destinée qui m'avait été réservée par Dieu pour m'estimer et me comprendre depuis les vies les plus lointaines.

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Nous avons passé toute une année sur une mer de rosés parce que nous nous aimions intensément. Portés par notre calme idylle, nous parlions de Jésus et de ses gloires divines, et quand j'évoquais la possibilité de notre union à la face de ce monde, Cirus nie disait que nous devions attendre le bonheur du Règne du Seigneur, alléguant que sur terre, il n'était pas encore possible de vivre un mariage heureux entre un esclave misérable et une jeune patricienne.

Parfois, il m'attristait avec ses propos dénués d'espoirs terrestres, mais ses inspirations étaient si élevées et si pures que le temps d'un regard, son cœur savait transporter le mien sur le chemin de la foi qui mène à tout attendre, non pas de la terre ou des hommes, mais du ciel et de l'amour infini de Dieu.

Le valeureux ancien entendait tout, sans un reproche, bien que son attitude mentale fût marquée par la plus grande consternation.

Observant que sa petite-fille faisait une pause à son récit charmant et triste, Cneius Lucius l'a interrogée avec bienveillance :

- Quelle fut l'attitude de ce jeune envers ton père ?

- Cirus admirait sa générosité franche et spontanée, révélant intérieurement sa plus sainte gratitude pour son acte de fraternité quand il le libéra pour toujours. A tout instant, il m'incitait à le respecter chaque fois davantage et à découvrir ses qualités les plus nobles ; il me parlait sans cesse de ses attitudes généreuses avec enthousiasme, admirant son dévouement au travail et sa singulière énergie.

- Et Helvidius n'a jamais découvert tes sentiments ? - demanda son grand-père admiratif.

- Il l'a su, si - a répondu Célia humblement. - Je vous raconterai tout sans omettre un seul détail.

Dans notre maison, il y avait un chef de service qui dirigeait les activités de tous les employés de la famille. Pausanias avait un cœur qui aimait le scandale et n'avait rien de sincère. Mon père, ayant besoin de voyager constamment, le considérait presque comme mandataire de sa volonté, étant donné les nombreuses capacités dont il était doté, et Pausanias a très souvent abusé de cette confiance généreuse pour gérer la discorde dans notre foyer. Comme il avait remarqué mon intimité avec le jeune libéré dont les dons moraux avaient si fortement Impressionné mon cœur, il a attendu, et un beau jour au retour de mon père d'un voyage en Idumée, il a empoisonné son esprit avec des insinuations calomnieuses sur ma conduite.

- Et qu'a fait Helvidius ? - a interrogé le vieil homme lui coupant brusquement la parole, comme s'il devinait le déroulement de toutes les scènes produites à distance.

- Il a sèchement réprimandé ma mère, l'accusant, et m'a fait appeler en sa présence, de sorte que j'ai reçu ses réprimandes et ses conseils, sans jamais me permettre de tout lui exposer avec sincérité et franchise comme je le fais maintenant.

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- Et qu'est-il advenu du libéré ?... - a demandé Cneius Lucius soucieux de connaître la fin de l'histoire.

- Il l'a fait mettre aux fers, commandant à Pausanias de lui appliquer la punition qu'il jugeait nécessaire.

Attaché au tronc, Cirus a été battu à plusieurs reprises pour le crime de m'avoir enseigné à aimer de tout cœur et en esprit avec le plus tendre respect toutes les traditions du monde et de la famille sur l'autel du dévouement silencieux et du sacrifice spirituel.

Le second jour de ses indicibles souffrances, j'ai réussi à le voir, malgré la surveillance extrême que tout le monde avait décidé d'exercer sur ma personne.

Comme pendant les jours de notre tranquillité heureuse, Cirus m'a reçue avec un sourire de bonheur, ajoutant que je ne devais nourrir aucun sentiment de rancœur pour la décision prise par mon père, considérant que son esprit était bon et généreux et que, si nous ne pouvions pas casser les préjugés millénaires de la terre, nous ne devions pas non plus abriter l'ingratitude dans nos coeurs.

La souffrance, néanmoins - continua-t-elle, séchant les larmes de ses souvenirs -, me déchirait l'âme.

Reconnaissant la douloureuse situation de celui qui concentrait tous mes espoirs, j'en suis arrivée à maudire sincèrement ma position privilégiée. A quoi donc servaient les attentions de ma famille et les prérogatives de mon nom, si l'âme jumelle de ma destinée était incarcérée dans une affreuse nuit de souffrances ?...

Je lui ai alors exposé ma torture intime et mes amères pensées. Cirus m'a entendue avec résignation et douceur, me répondant ensuite que tous deux nous avions un modèle, un maître, qui n'était pas de ce monde, et que le Sauveur nous garderait au ciel un nid de bonheur si nous savions souffrir avec résignation et simplicité à la manière des bienheureux de sa parole sage et douce. Il a ajouté que le Christ aussi avait beaucoup aimé et, cependant, il avait parcouru les chemins de l'incompréhension terrestre, seul et abandonné ; si nous étions victimes de préjugés ou de persécutions, de telles souffrances devaient être justifiées, compte tenu des dérives de notre passé spirituel, en des temps anciens, ajoutant que Jésus s'était sacrifié pour l'humanité toute entière, bien que son cœur fut immaculé comme le lys et doux comme l'agneau.

- Que sont nos souffrances comparées aux siennes en haut de la croix de l'impiété et de la cécité humaine ? -me disait-il valeureusement. - Célia, ma chérie, lève les yeux à Jésus et marche !... Qui mieux que nous pourra comprendre ce doux mystère de l'amour par le sacrifice ?... Nous savons que les plus heureux ce ne sont pas ceux qui dominent et jouissent en ce monde, mais ceux qui comprennent les desseins divins et les respectent dans la vie de tous les jours, quand bien même ces créatures nous semblent les plus méprisables et les plus Infortunées... En outre, chérie, pour ceux qui s'aiment par les liens sacro-saints de l'âme, il n'existe pas de préjugés ni d'obstacles dans l'espace et dans le temps. Nous nous aimerons toujours ainsi, attendant la lumière du Règne du Seigneur. L'instant de la pénible séparation retentit maintenant mais, ici ou ailleurs, tu seras toujours vivante dans mon cœur parce que je t'aimerai toute la vie, comme un ver quelconque qui aurait reçu le doux sourire d'une étoile...

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Pourraient-ils se séparer ceux qui marchent avec Jésus à travers les brumes de l'existence matérielle ? Le Maître n'a-t-il pas promis son heureux royaume à tous ceux qui souffrent les yeux tournés vers l'amour infini de son cœur ? Résignons-nous et ayons du courage !... Au-delà des épines, il est des routes fleuries où nous nous reposerons un jour sous la lumière de l'infini. Si nous souffrons maintenant, il doit y avoir une cause juste, venant d'un sinistre passé lors d'existences successives sur terre. Mais la vie réelle n'est pas celle-ci, c'est celle que nous vivrons demain, sur le plan illimité de la spiritualité radieuse!...

- Alors que ses propos réconfortants fortifiaient mon âme abattue, je voyais son visage décomposé et ses cheveux empâtés par une abondante sueur qui me laissaient entrevoir une souffrance physique infinie qui le martyrisait.

Malgré sa pâleur extrême, Cirus me souriait et me réconfortait. Sa leçon de patience et de foi embaumait mon cœur et cette courageuse sérénité devait être pour moi, une précieuse incitation à la force morale, face aux épreuves.

Je fis de mon mieux pour le consoler en lui témoignant ma profonde et sincère compréhension quant au sens de ses propos pleins de bonté et d'enseignement, compréhension que je garderai en mon for intérieur pour toujours.

Nous nous sommes réciproquement promis le calme le plus absolu et toute notre confiance en Jésus, ainsi qu'une éternelle fidélité en ce monde pour que nous soyons unis un jour dans les cieux.

Une fois ces courtes minutes passées pendant lesquelles j'avais réussi à parler au prisonnier, j'ai rassemblé les énergies intérieures de ma foi, séchant courageusement mes larmes.

Je suis allée voir ma mère, j'ai imploré son Intercession aimante afin de faire cesser les cruelles punitions que Pausanias imposait au bien-aimé de mon âme, l'informant du terrible spectacle dont j'avais été témoin.

Mon récit l'a profondément émue et elle obtint de mon père l'ordre de faire libérer Cirus sous certaines conditions qui, bien que douloureuses, ont été pour moi un grand soulagement !

- Quelles conditions ? - a demandé Cneius Lucius admiratif face à l'émouvante romance de sa petite-fille dont ses dix-huit ans certifiaient toute l'intensité de sa souffrance.

- Mon père accepta moyennant que je ne revoie pas le Jeune libéré pour lui faire mes adieux.

Il s'arrangea pour que la nuit même, escorté par deux esclaves de confiance jusqu'à Césarée, il fut emprisonné sur une galère romaine, exilé par ceux qui la commandaient !...

- En es-tu arrivée, ma fille, à nourrir quelque rancœur à l'égard d'Helvidius en raison de son attitude ?

- Non - répondit-elle avec une sincérité toute spontanée. - Si je devais nourrir de la rancœur, ce serait contre ma propre destinée.

D'ailleurs, Cirus m'a toujours enseigné que ceux qui n'honorent pas père et mère ne peuvent marcher vers Jésus conformément aux règles divines.

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Cneius Lucius était éminemment surpris. Quand Helvidius avait sollicité son intervention morale auprès de sa petite-fille, il était loin de présumer d'une aussi pénible histoire d'amour dans un cœur de dix-huit ans plein de jeunesse et de miséricorde.

Son esprit qui connaissait le virus destructeur qui menait à la décadence de la société plongée dans un abîme d'ombres, s'extasiait à l'écoute de ce simple récit plein d'un amour sensible et chrétien qui attendait patiemment le ciel pour toutes les réalités divines. Aucune voix de la jeunesse ne lui avait encore parlé avec tant de pureté au bout des lèvres.

Admiratif et attendri, il a posé son visage ridé sur sa main droite à moitié tremblante, se livrant à une longue pause pour organiser ses idées.

Après quelques minutes, remarquant que sa petite-fille attendait ses paroles avec anxiété, il lui a demandé avec la même bienveillance :

- Mon enfant, ce jeune esclave n'a jamais abusé de ta confiance ou de ton innocence ?

Elle a fixé dans ses yeux un regard serein dans la lueur cristalline duquel pouvait se lire une candeur pleine de sincérité à toute épreuve, s'exclamant sans hésiter :

- Jamais ! Jamais Cirus n'aurait permis que mes propres sentiments puissent être souillés d'une influence indigne. Pour vous démontrer l'élévation de sa pensée, je veux vous raconter qu'un jour, alors que nous parlions à l'ombre d'un vieil olivier, j'ai remarqué que sa main s'était légèrement posée sur mes cheveux, mais au même instant, comme si nos cœurs étaient pris d'une autre impulsion, il l'a immédiatement retirée en me disant ému :

- Célia, ma chérie, pardonne-moi. Ne gardons pas d'émotions qui puissent nous faire participer des inquiétudes du monde, parce qu'un jour, nous nous embrasserons au ciel où les clameurs de la malice humaine ne pourront nous atteindre.

Cneius Lucius a regardé sa petite-fille dont la sincérité diamantine rayonnait dans ses yeux candides et valeureux et lui dit :

- Oui, ma fille, l'homme auquel tu te consacres possède un cœur généreux et différent de ce que l'on pourrait présumer dans la poitrine d'un esclave, il t'inspire un amour bien lointain des idées de la jeunesse actuelle.

Il ponctua ces paroles comme pour lui donner de nouvelles forces et se reprendre lui-même, puis il continua après une légère pause :

- En outre, cette nouvelle doctrine, telle que tu l'as acceptée, dois contenir une essence profonde, vu le merveilleux élixir d'espoir qu'elle distille dans les âmes souffrantes.

Maintenant, je dois dire qu'Helvidius n'a pas suffisamment étudié la question pour la connaître sous ses différentes facettes.

- C'est vrai, grand-père - a-t-elle répondu réconfortée comme si elle avait trouvé un baume à ses blessures les plus profondes -, mon père, au début, ne craignait pas que nous analysions les études évangéliques, les considérant dangereuses ; ce n'est qu'après les

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intrigues de Pausanias, qu'il a supposé que les doctrines du Christ avaient causé en moi une déficience mentale, en vertu de mon inclination pour le jeune libéré.

- Oui, ton père ne pouvait comprendre un sentiment de cette nature dans ton esprit de jeune fille heureuse.

Mais dis-moi : puisque tu m'as parlé avec une telle pondération qui ne laisse la place à aucune réprobation ou punition, qu'elles sont tes perspectives d'avenir ? En ce qui concerne ta soeur, tes parents m'ont déjà parlé des plans qu'ils convoitent pour elle. D'ici à quelques mois, après avoir complété son éducation, dans le contexte de la vie romaine, Helvidia épousera Caius Fabricius, dont l'affection la conduira à l'une des conditions les plus en vue socialement parlant, conformément à nos mérites familiaux. Mais, et toi ? Persisteras-tu, par hasard, dans de tels sentiments ?!...

- Grand-père - a-t-elle répondu avec humilité -, d'un âge mûr, Caius Fabricius qui a trente-cinq ans, plein de délicatesse et de générosité, fera le bonheur de ma sœur qui en est digne. Devant Dieu, Helvidia mérite bien les joies sacrées de créer un foyer et une famille. Auprès de son cœur en battra un autre qui remplira son existence de gentillesse et de tendresse...

Quant à moi, je pressens que je ne trouverai pas le bonheur comme nous le rêvons sur terre !

Dès mon enfance, j'ai été triste et l'amie de la méditation, comme si la miséricorde de Jésus me préparait de toutes les manières possibles à ne pas manquer à mes devoirs spirituels au moment opportun.

Et fixant son regard percutant et calme dans celui de l'ancien, elle continua :

- Je sens que pèsent en moi de nombreux siècles d'angoisses... Je dois être un Esprit très coupable qui vient en ce monde pour se rédimer de sinistres passés !...

Depuis la Palestine, mes nuits sont peuplées de rêves étranges et émouvants dans lesquels j'entends des voix aimantes qui m'exhortent à la soumission et au sacrifice.

Accusée de chrétienne au sein de ma famille, je sens que toute mon affection reste sans rétribution et toutes mes paroles affectueuses meurent sans écho ! Je me considère cependant immensément heureuse de croire que votre cœur vibre en harmonie avec le mien, comprenant mes intentions et mes pensées.

Et mélancoliquement, comme si elle discernait à l'avenir un chemin d'ombres s'ouvrant devant ses yeux spirituels, Célia a continué à parler le cœur attendri à son vieux grand-père qui l'idolâtrait :

- Oui !... Dans mes rêves prophétiques, j'ai vu une croix que je devrai étreindre avec résignation et humilité !... Je sens dans mon cœur un poids énorme, grand-père !... Très souvent, j'aperçois devant moi de sinistres tableaux qui doivent venir de mes existences antérieures. Je pressens que je suis née en ce monde pour me racheter et me rédimer. Quand je prie et que je médite, les pondérations d'une âme anxieuse me viennent à l'esprit !... Je ne dois pas m'attendre à des printemps souriants, ni aux fleurs de l'illusion qui me feraient oublier l'âpre chemin de l'esprit destiné à la rédemption ; mais à des hivers de douleur et de

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rudes épreuves, des jours de luttes accablantes qui me conduiront à Jésus, par la divine clarté de l'expérience !...

Cneius Lucius avait les yeux pleins de larmes face aux paroles émouvantes de sa petite-fille qui depuis sa plus tendre enfance avait conquis toute son adoration.

- Mon enfant - s'exclama-t-il avec bonté -, je ne peux comprendre tant de découragement dans un cœur aussi jeune. Le nom de notre famille ne permettra pas un tel abandon de toi-même...

- Et pourtant, cher grand-père, je ne dédaignerai pas la pénible réalité du sacrifice, sachant d'avance que sa coupe m'est réservée...

- Et tu n'attends rien sur terre en ce qui concerne un possible bonheur en ce monde ?!...

- Le bonheur ne peut être là où nous le plaçons avec toute notre cécité terrestre, mais en comprenant la Volonté Divine qui saura le trouver pour nous de la façon la plus opportune.

Nous ne vivons pas une seule et unique vie. Nous en aurons beaucoup.

Le secret de la joie se trouve dans nos réalisations pour Dieu, à l'infini. Pas à pas, d'expérience en expérience, notre âme avance vers les gloires suprêmes de la spiritualité, comme si nous faisions la laborieuse ascension d'un escalier rude et long... Nous nous aimerons toujours, mon cher grand-père, à travers ces nombreuses existences. Elles seront comme les anneaux de la chaîne de notre union heureuse et indestructible. Alors, plus tard, vous verrez que votre petite-fille, dans sa réalité spirituelle, se trouvera avec vous, avec la même compréhension et avec le même amour impérissable dans les régions de la vraie félicité quand la mort nous ouvrira ses portes avec ses tombes de cendres d'amertume !...

Actuellement, à vos yeux, peut-être, serai-je toujours triste et malheureuse ; mais, au fond, je garde la certitude que mes douleurs sont le prix de ma rédemption qui mène à la lumière de l'éternité.

D'après ce que me disent les augures du cœur par leurs voix silencieuses et secrètes, je n'aurai pas un foyer à moi, pour mon salut dans cette vie !... Je vivrai Incomprise, le cœur lacéré sur l'amer chemin des larmes miséricordieuses ! Néanmoins, mon sacrifice sera doux parce que dans l'exaltation, je sens que je trouverai la route lumineuse du royaume de la vérité et de l'amour que Jésus promet à tous les cœurs qui confient en son nom et en sa miséricorde bénie !

Les yeux de Célia se sont levés vers le ciel comme si son esprit attendait là, auprès de son vieux grand-père, les grâces divines entrevues par sa croyance pleine de luminosité et d'espoir.

Cneius Lucius l'a doucement étreinte contre son cœur comme s'il s'agissait d'un enfant lui parlant avec une grande tendresse :

- Mon enfant, tu es fatiguée ! Ne te justifie pas plus longtemps. Je parlerai avec Helvidius concernant tes plus intimes pensées, j'éluciderai ta situation face à sa manière de voir.

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Et appelant Marcia, sa fille la plus âgée qui avait dans sa douce vieillesse le rôle d'un ange protecteur et aimant, le respectable patricien lui dit :

- Marcia, notre petite Célia a besoin de tranquillité et de repos physique. Conduis-la dans sa chambre et fais en sorte qu'elle se repose.

Sa petite-fille l'a tendrement embrassé sur le front, se retirant avec sa tante aimable et généreuse qui la prit par le bras, la conduisant à l'intérieur.

La nuit était déjà bien avancée remplissant le ciel romain de capricieuses lueurs.

Cneius Lucius, absorbé par de profondes considérations, s'enfonça dans une mer de conjectures.

Son vieux cœur était fatigué de battre dans l'incompréhension des arcanes du monde. Lui aussi avait été jeune, lui aussi avait nourri des rêves. Dans sa lointaine jeunesse, tant de fois il avait annihilé ses aspirations les plus nobles et ses intentions les plus généreuses, au profit du tumultueux choc des passions matérialistes et violentes.

Seules les brises caressantes de la réflexion, à l'âge mûr, avaient tempéré ses conceptions spirituelles sur la voie d'une compréhension chaque fois plus grande de la vie et de ses lois profondes.

Depuis qu'il s'était habitué à méditer sincèrement, les fantômes de la douleur et les étonnants contrastes des destins humains hantaient son esprit. Bien qu'attaché aux traditions les plus pures de ses ancêtres et les ayant transmises avec fidélité et amour à ses descendants, son cœur ne pouvait accepter toute la vérité divine incarnée en Jupiter, symbole ancien qui alimentait toutes les vieilles croyances.

Désireux de donner une bonne leçon à cette enfant par soucis d'éducation, c'est son esprit qui s'en était trouvé ébranlé, ému qu'il fût par les nouveaux concepts portés aux lèvres pures d'un ange. Lui qui avait l'habitude d'enquêter sur les causes profondes de la douleur, de sentir les souffrances de ceux qui gémissaient dans la captivité, venait de recevoir une merveilleuse clé pour résoudre les capricieuses énigmes de la destinée. La vision des existences successives, la loi des compensations, les routes du rachat spirituel par l'expiation et par la souffrance, étaient maintenant accessibles à son raisonnement, comme des solutions providentielles.

Sa culture des auteurs grecs lui laissait présumer que le sujet ne lui était pas totalement étranger, mais la parole affectueuse et convaincante de sa petite-fille, témoignant de la vérité par ses souffrances prématurées, ouvrait à son esprit un sentier nouveau à toutes les cogitations en ce sens.

La tête penchée sur le divan du balcon, ses yeux contemplaient l'image magnifique de Jupiter Stator taillée dans l'ivoire, au centre des autres dieux de sa famille et de sa maison, le cœur pris d'angoisses.

Il s'est levé et a marché posément autour des niches illuminées et ornées de fleurs. L'image de Jupiter n'éveillait déjà plus en lui les sentiments de vénération miséricordieuse des nuits précédentes.

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Face aux révélations douces et profondes de Célia, il ressentait en son for intérieur l'amer soupçon que tous les dieux de ses respectables ascendants basculaient et roulaient des autels, se confondant au tourbillon des désillusions des vieilles croyances. L'âme oppressée, le vénérable patricien observait que de nouvelles équations philosophiques et religieuses obsédaient d'un seul coup son cœur... Puis, appréhensif et perplexe, Cneius Lucius se mit à entendre intérieurement la douce rumeur d'une marche divine... Il lui semblait que la figure douce et énergique du prophète de Nazareth dont il connaissait la philosophie de pardon et d'amour à travers les exhortations courantes, apparaissait au monde pour faire voler en éclats toutes les idoles en pierre et dominer le cœur humain pour toujours !...

Si le respectable ancien était l'ami de la vérité, il ne T'était pas moins du sanctuaire sacré des traditions austères.

Dans l'abri consacré aux divinités du foyer, il sentit que l'atmosphère asphyxiait son cœur et son entendement. Instinctivement, il a ouvert l'une des fenêtres les plus proches par où l'air de la nuit a pénétré en bourrasque, rafraîchissant son front tourmenté.

Il s'est penché pour contempler la ville presque endormie. Sa conversation avec sa petite-fille lui avait semblé avoir duré un temps indéfini, si grand fut l'effet de ses affirmations profondes et irrésistibles...

Les yeux humides, il a regardé le cours du Tibre dans toute l'extension de ce paysage que son regard pouvait atteindre, calmant ses réflexions, abattu par les effets de lumière que la clarté lunaire opérait capricieusement sur les eaux.

Pendant combien d'heures avait-il contemplé les constellations fulgurantes, sondant les mystères divins du firmament ?

Ce n'est que bien plus tard, à l'orée du jour, que la voix caressante de Marcia est venue le sortir de ses cogitations graves et intenses, l'invitant à aller se coucher.

Cneius Lucius s'est alors dirigé vers sa chambre à pas lents, le front ridé d'angoisses, les yeux profonds et tristes, comme quelqu'un qui aurait amèrement pleuré.

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III

OMBRES DOMESTIQUES

La vie de nos personnages à Rome a recommencé sans grand événement, ni surprise.

Malgré tout son amour pour la province, Helvidius Lucius avait l'agréable sensation d'être retourné à son ancien milieu, occupant une position plus élevée qui lui permettrait d'enrichir, avant tout, ses compétences dans le cadre de sa vocation politique au service de l'État.

En accordant la liberté à Nestor, il voulait lui faire partager les tâches qui relevaient de sa position et l'assigner aux travaux de sa maison comme le citoyen cultivé et indépendant qu'il était.

C'est ainsi que l'ancien esclave loua une chambre d'habitation collective dans les environs de la porte Salarienne ; il devint l'enseignant de ses filles et l'assista dans ses travaux huit heures par jour, recevant pour ces services une rémunération régulière.

En dehors, l'affranchi était entièrement libre de s'occuper de ses intérêts personnels.

Et il sut profiter de ses loisirs, saisissant cette occasion pour consolider l'amélioration de sa situation. C'est ainsi que le soir venu, il donnait des cours d'alphabétisation à des pauvres qui engageaient ses services, s'attirant ainsi de nombreuses relations et laissant libre cours à ses aspirations lors de réunions amicales qui donnaient un peu de baume à son cœur.

Un mois suffit pour qu'il découvre les centres d'intérêt les plus importants de la ville, ses hommes illustres, ses monuments, sa classe sociale, se faisant des relations amicales solides dans l'humble milieu où il vivait.

Passionné de christianisme, ce qu'Helvidius Lucius ignorait bien sûr, il ne s'est pas privé du plaisir de connaître ses compagnons d'idéal afin de coopérer à sa manière à la tâche bénie d'élever les âmes à Jésus par ces temps si difficiles que la pensée chrétienne traversait entre les grandes vagues d'incompréhension et de sang.

La facilité d'expression de Nestor, alliée aux circonstances de ses relations personnelles avec le prêtre Johanes, grand disciple de Jean l'Évangéliste de l'église d'Éphèse, l'incitaient à s'imprégner d'une plus large connaissance des traditions de Jésus, ce qui lui octroya, immédiatement, une place spéciale parmi ses compagnons de foi qui, deux fois par semaine, se réunissaient dans la soirée à l'intérieur des catacombes de la voie Nomentane pour étudier les passages de l'Évangile et implorer l'assistance du divin Maître.

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Le règne d'Hadrien, bien que libéral et juste au début, se caractérisa par la persécution et par la cruauté après les terribles événements de la guerre civile en Judée.

Postérieurement en 131, tous les chrétiens se virent obligés de se réfugier à nouveau dans les catacombes pour prier. Des persécutions tenaces et implacables étaient ordonnées par l'autorité impériale dans tous les cercles d'idées ou de nature hébraïque. En ville, les adeptes de Jésus ne se reconnaissaient entre eux que par un vague signe de croix qui les identifiait fraternellement où qu'ils soient.

Nestor ne méconnaissait pas le climat de danger qui régnait, cherchant, autant que possible, à s'adapter à la situation de sorte à toujours servir le Christ dans sa foi intime, sans trahir l'exécution de ses devoirs en toute conscience.

Il vouait à Helvidius Lucius et à sa famille un profond respect et une sincère estime. Jamais il ne pourrait oublier qu'il avait reçu de leurs mains généreuses la liberté. Pour autant, il assumait ses responsabilités avec satisfaction et dévouement.

En peu de temps, il en était arrivé à la conclusion que les deux jeunes filles étaient dûment préparées pour la vie, étant donné l'ensemble des connaissances acquises à travers la lecture ; mais, Helvidius Lucius qui avait apprécié sa compagnie dès la première heure, le conserva dans son cabinet de travail où le libéré eut l'occasion de manifester sa reconnaissance et son admiration en renforçant chaque fois davantage leurs liens d'amitié réciproque.

Cela faisait déjà un mois que nos amis étaient revenus à Rome, quand le censeur Fabien Corneille voulut ouvrir les portes de son palais pour présenter ses enfants à toutes les personnalités de l'aristocratie.

À cette fête d'une large portée sociale, Hadrien lui-même était présent avec le préfet et Claudia Sabine, exaltant la splendeur de l'événement.

En cette nuit mémorable pour la destinée de nos personnages, un éblouissement de lumière et de fleurs régnait dans la somptueuse résidence de l'ancien quartier des Carines.

Dans les jardins luxuriants brillaient des torches artistiquement disposées, alors que sur le lac improvisé des musiciens et des chanteurs étaient rassemblés sur de gracieuses embarcations. La mélodie des harpes se mêlait au son des flûtes, des luths et des timbales où des esclaves sveltes et jeunes chantaient d'une voix douce et cristalline.

Mais ce n'était pas tout.

Fabien Corneille et Julia Spinter, disposant de larges moyens matériels, présentèrent une cérémonie de qualité dont la société romaine devait garder un souvenir indélébile.

Des lumières en profusion, des tables richement garnies, des fleurs précieuses, des ornementations extravagantes venues d'Orient, des chanteurs et des danseurs célèbres, des présentations d'antilopes gigantesques qui combattaient avec des esclaves athlétiques dans l'arène préparée tout spécialement à cet effet, des gladiateurs et des artistes se mêlaient à la légion d'invités dans le magnifique tableau d'une grande jovialité.

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Amenant l'Empereur à s'adresser directement à sa personne et à s'intéresser à ses agissements, après quelques efforts, Claudia Sabine réussit à attirer l'attention d'Helvidius Lucius qui se montrait lointain. Elle faisait de temps en temps une insinuation aimable et vague que le patricien recevait contrarié, craignant de se rappeler des souvenirs touchant au temps embarrassant de sa jeunesse.

Pendant cela, Lolius Urbicus, offrant le bras à Alba Lucinie, la conduisait tranquillement sur les longues allées fleuries tout autour du lac artificiel qui brillait à la lumière de la nuit dans un éblouissement sans commune mesure.

Retenu à dessein par Claudia auprès de l'Empereur, Helvidius écoutait les généreux propos de César tout en démontrant un intérêt évident pour sa personne :

- Helvidius Lucius - s'exclama Hadrien avec un sourire aimable et attentionné -, j'aurais plaisir à vous revoir dans notre entourage.

Et désignant Claudia Sabine, debout à ses côtés, il ajouta :

- Notre amie m'a parlé de votre précieuse capacité de travail et je vous félicite. J'ai actuellement de nombreuses Genres d'importance dans Tibur où j'aurais besoin du concours d'un homme opérationnel et intelligent qui apprécierait ces activités.

Il est vrai que ces constructions arrivent bientôt à leur terme, mais certaines installations exigent la contribution d'une personne avec une bonne connaissance de nos réalités pratiques. J'ai confié à Claudia la solution de nombreux problèmes artistiques où brille sa sensibilité féminine, mais j'ai besoin d'une coopération comme la vôtre, dévouée et persévérante, concernant la partie administrative. Vous serait-il agréable de collaborer avec notre amie pendant quelque temps à Tibur ?

Helvidius comprit immédiatement la situation difficile qui avait été préparée.

En toute conscience, il ne pouvait accepter avec plaisir une telle charge, mais les désirs de César étaient des ordres.

- Auguste - a répondu l'interpellé avec révérence -, votre bienveillance honore mes efforts. Le respect d'une telle responsabilité est à mes yeux un devoir du cœur.

Claudia Sabine a esquissé un sourire de bonne humeur, s'adressant satisfaite à l'Empereur :

- Merci, César, pour le choix d'un collaborateur aussi précieux. Je sens que les œuvres de Tibur seront la merveille insurpassable de l'Empire.

Flatté, Hadrien a souri tout en disant amicalement comme s'il faisait une faveur toute spéciale:

- Très bien ! Nous traiterons du sujet le moment opportun venu.

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Et plongeant son regard énigmatique sur les allées harmonieuses et fleuries où de nombreux couples défilaient manifestant une joie évidente, il a ajouté :

- Mais que faites-vous ici jeunes gens à écouter mes propos pleins d'ennui et d'austérité ?... Amusez-vous ! La vie romaine doit être un beau jardin de plaisirs !...

Contraint par les circonstances, Helvidius Lucius a donné le bras à la séductrice favorite avançant lentement en sa compagnie sous les yeux généreux et complaisants d'Auguste.

Claudia Sabine ne réussit pas à dissimuler l'Irrépressible émotion qui l'affligeait intérieurement en raison de la situation qui l'avait conduite au bras de l'homme qui concentrait toutes ses aspirations de femme et après quelques pas, elle fut la première à rompre le silence accablant qui régnait entre eux deux :

- Helvidius - a-t-elle dit le suppliant presque -, je reconnais tout à fait la limite des responsabilités sociales qui nous séparent, mais serait-il possible que tu m'aies oubliée ?

- Madame - a répondu le patricien ému et respectueux -, en notre for intérieur, tout le passé doit être mort. Si je vous ai offensée à une époque, je vous suis reconnaissant de cet oubli. Par ailleurs, tout rapprochement entre nous serait une forme d'existence odieuse et impossible.

La favorite d'Hadrien a ressenti au fond la fermeté de ces propos qui gelaient son cœur inquiet et insatiable, rétorquant toutefois sans hésiter :

- Une femme conquise ne pourra jamais se considérer comme une femme offensée.

Les mains que nous aimons ne peuvent jamais blesser, et en ce qui me concerne, je n'ai jamais oublié ton affection.

Donnant à sa voix un ton d'humilité, elle ajouta :

- Helvidius, j'ai beaucoup souffert mais je t'ai attendue toute ma vie. Vaincue et humiliée dans la jeunesse, je n'ai pas succombé au désespoir pour attendre, confiante, ton retour à mon amour. Voudrais-tu par hasard m'annihiler maintenant que je viens humblement t'offrir tous les trésors de la vie accumulés avec zèle pour te les offrir ?

Ces derniers mots furent marqués d'un profond désenchantement sur son visage et Helvidius Lucius comprenant sa déception, a continué sans hésiter :

- Vous devez comprendre que j'ai juré fidélité et dévouement à une créature généreuse et loyale, sans compter que vous aussi êtes compromise avec un homme noble et digne. Souhaiteriez-vous par hasard briser le vœu contracté devant nos dieux ?...

- Nos dieux ? - a répété l'interpellée avec une pointe d'ironie. Et arrivent-ils à empêcher les divorces de tant de personnalités au sein de la cour ? Et ces exemples par hasard, ne nous viennent-il pas d'en haut, des hauts rangs où l'autorité directe de l'Empereur prédomine ? Je ne pense pas en termes de situation, car avant tout, je souhaite satisfaire ma sensibilité féminine.

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- On voit bien - a répliqué Helvidius ironique - que vous méconnaissez la tradition du respect d'un nom. Ceux qui désirent perpétuer les valeurs des siècles passés, ne peuvent s'essayer aux nouveautés du temps, de sorte à rester fidèles au patrimoine reçu de leurs ancêtres.

Claudia Sabine se mordit nerveusement les lèvres en recevant cette allusion directe à son ancienne situation de plébéienne et murmura fièrement :

- Je ne suis pas d'accord avec toi à ce sujet. Les triomphateurs ne peuvent pas être les traditionalistes qui reçoivent un nom fait pour briller dans le monde, mais bien ceux qui triomphent de leur condition et de leur environnement, qui savent s'élever aux plus hauts rangs, comme des aigles de l'intelligence et des sentiments, obligeant le monde à révérer leurs conquêtes et leurs mérites.

À cette réponse, l'orgueilleux romain ressentit toute sa rancœur, sans toutefois trouver les moyens sur le coup de répondre avec les mêmes armes, alors que l'ancienne plébéienne ajoutait avec un sourire énigmatique :

- Malgré ton impassibilité, je garderai espoir. Je crois que tu ne renonceras pas à l'honorable charge offerte par Auguste pour conclure les oeuvres de Tibur qui sont actuellement sa préoccupation de tous les instants.

- Oui - a murmuré le patricien un peu attristé -, je devrai accomplir les décisions de César.

La favorite se préparait à répondre quand Publicius Marcel, compagnon de Lolius Urbicus dans ses remarquables faits d'armes, s'est approché bruyamment, les empêchant de continuer leurs confidences et leur lança une invitation aimable :

- Les amis - s'exclama-t-il avec effusion -, approchons-nous du lac ! Vergilius Priscus va chanter l'une de ses plus belles compositions en hommage à César !

Helvidius et Claudia emportés par une vague d'appels joyeux, se sont séparés involontairement pour répondre aux invitations faites.

En effet, sur les bords de la grande piscine entourée d'arbres touffus, la foule d'invités se pressait impatiente. Encore quelques instants et la voix veloutée de Vergilius remplissait l'atmosphère de sonorités d'où se détachaient les notes mélodieuses des cithares et des luths qui l'accompagnaient.

Du haut du trône improvisé, Hadrien écoutait ivre de plaisir l'hommage rendu par ses fidèles sujets à ses vanités impériales.

Une courte rétrospective nous ramène à Alba Lucinie et Lolius Urbicus faisant leur petit tour dans les allées claires et fleuries.

Auguste pour conclure les oeuvres de Tibur qui sont actuellement sa préoccupation de tous les instants.

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- Oui - a murmuré le patricien un peu attristé -, je devrai accomplir les décisions de César.

La favorite se préparait à répondre quand Publicius Marcel, compagnon de Lolius Urbicus dans ses remarquables faits d'armes, s'est approché bruyamment, les empêchant de continuer leurs confidences et leur lança une invitation aimable :

- Les amis - s'exclama-t-il avec effusion -, approchons-nous du lac ! Vergilius Priscus va chanter l'une de ses plus belles compositions en hommage à César !

Helvidius et Claudia emportés par une vague d'appels joyeux, se sont séparés involontairement pour répondre aux invitations faites.

En effet, sur les bords de la grande piscine entourée d'arbres touffus, la foule d'invités se pressait impatiente. Encore quelques instants et la voix veloutée de Vergilius remplissait l'atmosphère de sonorités d'où se détachaient les notes mélodieuses des cithares et des luths qui l'accompagnaient.

Du haut du trône improvisé, Hadrien écoutait ivre de plaisir l'hommage rendu par ses fidèles sujets à ses vanités impériales.

Une courte rétrospective nous ramène à Alba Lucinie et Lolius Urbicus faisant leur petit tour dans les allées claires et fleuries.

La noble femme gardait la sévérité gracieuse de ses traits de madone, alors que son compagnon se montrait éminemment ému.

Conversant insouciamment en apparence, le préfet des prétoriens semblait s'éloigner intentionnellement des nombreux groupes, désireux de manifester les pensées secrètes qui le tourmentaient profondément, inconsolable qu'il était.

À un moment donné, très pâle, il s'exclama sur un ton de supplique :

- Madame, il y a plus de vingt ans déjà que je vous ai vue pour la première fois... Vous célébriez vos fiançailles avec un homme digne, et comme j'ai déploré de ne pas être arrivé plus tôt pour disputer votre cœur !... J'imagine que mes révélations inopportunes vous alarment, mais que faire, si l'homme passionné est cet enfant de toujours qui ne mesure ni les situations ni les circonstances désirant être sincère ?... Pardonnez-moi si j'offense votre susceptibilité supérieure et généreuse, mais j'ai un besoin inéluctable de vous affirmer de vive voix mon amour...

Alba Lucinie l'écoutait, péniblement impressionnée par ces déclarations sincères et péremptoires. Elle désira lui répondre avec toute l'austérité de ses principes élevés, comme une femme et une mère, mais une âpre émotion semblait paralyser ses cordes vocales dans de si difficiles circonstances.

Reprenant la parole et devenant plus véhément, Lolius Urbicus continua :

- J'ai gaspillé ma jeunesse avec les plus désolants regrets... Mon âme a cherché, en vain, de toute part quelqu'un qui vous ressemble. Je suis passé par des aventures scabreuses dans mes tristes faits militaires, anxieux de trouver le cœur que je devine dans votre poitrine !

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Mon existence, bien que fortunée, est pleine d'amertumes infinies... Serait-ce que vous ne m'accorderez pas la consolation d'un espoir ? Devrais-je mourir ainsi, étranger et incompris?... Dans l'indifférence, j'ai donné mon nom et ma position sociale à une femme qui ne peut satisfaire les expressions élevées de l'esprit. Dans notre foyer, nous sommes deux inconnus...Toutefois Madame, je n'ai jamais pu oublier votre profil de madone, ce regard divin et calme où je lis maintenant les pages de lumière de votre vertu souveraine !...

Ma condition sociale m'offre tout ce qu'un homme est susceptible de désirer : la fortune, les privilèges politiques, la renommée et un nom, des étapes que j'ai facilement franchies au sein des classes les plus nobles ; mon cœur, cependant, vit un découragement irrémédiable, inhalant un bonheur inaccessible... Tant que vous étiez en province, il m'était possible de calmer ma mélancolie ; mais maintenant que je vous ai revue, je sens dans mon âme se déchaîner un Vésuve de flammes !... Je vis des nuits peuplées d'inquiétudes et de tourments, comme un naufragé qui voit à l'horizon, l'île de son bonheur lointain et inaccessible.

Dites que votre cœur accueille mes suppliques, que vous me verriez avec sympathie à vos côtés. Si vous ne pouvez rétribuer cette passion, trompez-moi au moins de votre vénérable amitié qui m'honorera, voyant en moi à peine l'un de vos serviteurs...

La noble femme est devenue blême, son cœur battait alarmé à un rythme violent :

- Monsieur le préfet - réussit-elle à balbutier, presque défaillante -, je suis sincèrement désolée d'avoir pu vous inspirer des sentiments de cette nature et je ne peux m'honorer de votre hommage affectif, puisque vos propos prouvent la violence d'une passion insensée et désastreuse. Mes devoirs sacrés de femme et de mère, m'empêchent de prendre en considération ce que vous évoquez. J'ai pour ferme intention de vous considérer comme un homme illustre et digne, l'ami dévoué et honnête de mon père et de mon mari à qui mon destin est lié pour toujours par une affection toute naturelle.

Habitué aux condescendances féminines de la cour, en raison de sa position et de ses qualités, Lolius Urbicus est soudainement devenu pâle en entendant ce refus noble et digne. D'un regard, il a évalué la supériorité spirituelle de la créature ardemment convoitée depuis tant d'années. En son for intérieur se mélangeaient son amour-propre humilié et une pointe de honte.

Cependant, baissant son regard dépité, il lui dit presque sur un ton suppliant :

- Je ne désir pas passer à vos yeux pour un esprit brut et incompréhensif ! La vérité, néanmoins, est que je continuerai à vous aimer de la même manière. Votre refus formel et délicat aggrave mon ambition de vous posséder. Pendant combien de temps, ô dieux de l'Olympe, continuerai-je ainsi incompris et torturé ?

Levant les yeux, il a remarqué qu'Alba Lucinie pleurait attristée. Cette douleur calme et juste a pénétré son cœur comme la pointe d'une épée.

Pour la première fois, Lolius Urbicus a senti que la nature de sa passion produisait des sentiments d'angoisse et de pitié.

- Madame - s'est-il exclamé pris d'émoi -, pardonnez-moi si je vous ai fait pleurer par l'expression malavisée de mes tristes souffrances. Je vous veux tellement, tellement... Vous

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avez épousé un homme honnête et digne et je viens de commettre la folie de vous proposer son déshonneur et son malheur... Pardonnez-moi ! J'ai été victime le temps d'un instant d'une criminelle démence... Ayez pitié de moi car j'ai vécu jusqu'à présent abattu et inconsolable.

Un mendiant de l'Esquilin est plus heureux que moi, bien qu'il tende la main à la charité publique ! Je suis un misérable... Compatissez de ma souffrance oppressante. Pendant tant d'années, j'ai gardé en moi ces émotions rudes et pénibles et vous savez que l'âme d'un soldat doit être cruelle et impassible, réfrénant les pensées les plus généreuses !... Je n'ai jamais trouvé un cœur qui comprenne le mien, raison pour laquelle je n'ai pas hésité à offenser votre dignité irréprochable !...

Alba Lucinie écoutait ses suppliques sans comprendre les contrastes de cette âme violente et sensible. Il y eut un silence difficile pour tous deux, quand quelqu'un, traversant la rangée d'arbres, s'est exclamé d'une voix forte, juste à leurs oreilles :

- Venez entendre Vergilius Priscus ! Joignons-nous aux hommages rendus à César !...

Lolius Urbicus nota qu'il lui était impossible de continuer ses confidences et offrant le bras à la noble dame qui l'accompagna avec un triste sourire, ils ont marché en direction du lac où, quelques instants auparavant, nous avions vu arriver Helvidius et Claudia Sabine.

Autour du chanteur se réunissaient tous les convives, une assemblée compacte et distinguée était attentive à l'hommage que l'Empereur recevait, serein et fier.

La chanson commandée par les hôtes était un long poème à la mode de l'époque où les faits d'Hadrien surpassaient, glorifiés, toutes les réalisations précédentes de l'Empire. D'après les expressions flatteuses de l'artiste, aucun héros à Rome ne l'avait dépassé dans ses brillants exploits. Les généraux, poètes, consuls et sénateurs célèbres étaient restés en deçà de celui qui avait eu le bonheur d'être le fils adoptif de Trajan.

Du haut du trône qui avait été dressé là pour le besoin du moment, l'Empereur donnait libre cours à sa vanité personnelle avec de francs sourires.

Tout le monde l'entourait. De nombreuses autorités étaient présentes, s'associant à l'honorable hommage de Fabien Corneille et de sa famille.

Nous ne pouvons oublier qu'Helvidia et Caius Fabricius se trouvaient là, ensembles, ivres de leur printemps d'amour rieur, alors que Cneius Lucius, contraint par les circonstances à comparaître, se soutenait au bras de Célia, à moitié tremblant dans sa vieillesse avancée, désireux qu'il était de montrer à ses enfants que son cœur participait aussi de l'enthousiasme général.

Une fois que les luths se furent tus, une légion de jeunes répandit les pétales de centaines de couronnes de rosés apportées par des esclaves sur de grands plateaux en argent enveloppant le trône dans un nuage odorant.

De nouvelles harmonies vibraient et le chœur des danseurs exhiba des ballets inédits riches de figures intéressantes et étranges.

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Le vin coulait à flot remplissant presque tous les fronts de fantaisie et la fabuleuse chasse aux antilopes clôtura la fête qui est restée gravée pour toujours dans l'esprit de toute l'aristocratie.

Helvidius Lucius et Alba Lucinie retournèrent chez eux supportant le poids d'une indéfinissable angoisse.

Surpris par les événements inattendus concernant les consternantes émotions dont ils avaient été victimes, on pouvait voir en chacun d'eux l'effet partagé d'une confidence désagréable et pénible.

Néanmoins, une fois de retour à l'intimité de leur foyer, la noble femme dit à son mari sur un ton d'amertume :

- Helvidius, très souvent j'ai désiré ardemment revenir à Rome, nostalgique que j'étais de nos amis et de l'incomparable environnement citadin ; mais aujourd'hui je comprends mieux le calme de la campagne où nous vivions sans attentions éprouvantes. Les années en province m'ont déshabituée aux intrigues de la cour et à ses cérémonies qui maintenant fatiguent profondément mon cœur.

Helvidius l'écoutait, sentant que son état d'âme était bien le même, tel était l'ennui qui s'était emparé de lui après les spectacles qu'il avait observés, considérant aussi les émotions malaisées que cette nuit lui avait apportées.

- Oui, chérie - a-t-il répliqué un peu réconforté -, tes paroles me font un grand bien. En revenant à Rome, je reconnais que je suis moi-même rassasié des ambiances conventionnelles et hypocrites. Je crains la ville avec ses nombreux dangers pour notre bonheur que nous désirons impérissable !

Et se rappelant plus particulièrement des embarrassantes impressions ressenties quelques heures auparavant avec les confidences de Sabine, il a attiré sa femme contre son cœur ajoutant le regard Incendié d'un soudain éclat :

- Lucinie, une nouvelle idée me vient à l'esprit ! Que dirais-tu de retourner à notre campagne accueillante et tranquille ? Souvenons-nous, chérie, que la révolution est finie et nous n'aurions aucun mal à réacquérir nos anciennes propriétés de la Palestine.

Nous retrouverions ainsi notre existence tranquille sans les préoccupations accablantes et pénibles qui nous assaillent ici. Tu soignerais tes fleurs et je continuerais à veiller aux intérêts de notre maison.

Je promets que je ferais mon possible pour te rendre la vie moins triste, loin de tes parents ! Nous ne garderions avec nous que tes esclaves préférés et je te demanderais constamment conseil quant à la façon de gérer nos activités !...

Je t'emmènerais avec moi partout où j'irais... jamais plus je ne te laisserais seule à la maison, inquiète et nostalgique...

Helvidius Lucius donnait à sa voix un ton singulier et profondément expressif, comme s'il dépeignait aux yeux de sa femme émue, les douces perspectives d'un tableau printanier.

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- Qui sait - continua-t-il le regard brillant - nous pourrions retourner en Judée pour vivre encore plus heureux ?! Notre Helvidia a l'avenir assuré avec son proche mariage et Célia resterait avec nous pour enrichir notre bonheur domestique !... Une fois là-bas, nous pourrions parcourir toute la Grèce afin de visiter le plus ancien jardin des dieux et lorsque nous serions en Samarie et en Idumée, tu verrais les miracles de mon cœur empressé faire ta joie et te combler ! Nous nous promènerions alors ensemble comme autrefois sur les routes au clair de lune, dans le silence profond des nuits calmes pour que nous sentions toute la grandeur de notre merveilleux amour.

Ici à tout instant, je sens notre paix domestique menacée... Les intrigues de la cour me tourmentent !... Nous sommes encore jeunes, nous avons devant nous un avenir prometteur.

Crois bien, chérie, que je nourris le plus grand désir de retourner à notre havre de paix, au sein de la nature calme et généreuse !...

Alba Lucinie l'écoutait, soulagée de ses propres angoisses. Une larme brillait au bord de ses yeux, elle avait le cœur transporté à l'idée réjouissante de retrouver la tranquillité de la vie provinciale.

Cependant, malgré la joie de telles espérances, son attitude mentale était marquée par une profonde réflexion.

- Helvidius - s'exclama-t-elle réconfortée -, la perspective de reprendre le cours de notre vie bucolique avec notre bonheur et notre amour, me console moi qui suis abattue. Mais, dis-moi : et nos devoirs ? Que dira mon père de notre attitude, après avoir tant lutté pour réajuster ta situation à la politique administrative de l'Empire ? Enfin, je désirerais savoir si tu n'aurais pas assumé d'engagement plus sérieux.

À entendre ses sereines pondérations, le patricien s'est soudainement rappelé de son engagement avec l'Empereur concernant les constructions de Tibur et a senti son sang glacer dans ses veines après l'éclosion de ses espoirs pleins d'enthousiasme.

Il a alors informé sa compagne de la demande de César et elle lui a répondu avec un lourd soupir.

- Dans ce cas - lui dit Alba Lucinie avec une pointe de contrariété dans le ton employé-, il est trop tard pour cogiter d'un retour immédiat en province.

Peiné, son mari reconnut toute la justesse d'une telle considération, mais il a ajouté :

- Quoi qu'il en soit, demain j'irai voir Fabien Corneille et lui exposerai mes appréhensions à ce sujet et même s'il n'approuve pas notre retour, gardons espoirs, car plus tard les dieux le permettront !...

Malgré la profonde intimité de ces déclarations, ni l'un ni l'autre eut le courage de révéler les embarrassantes émotions vécues dans la soirée.

Et le lendemain, tous deux souffraient encore du premier choc des luttes sentimentales qui les attendaient dans l'entourage de la grande métropole.

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À son beau-père, Helvidius Lucius a exposé sans réserve leurs plans et leurs désirs. Il lui a parlé de leur intention de retourner en Palestine et il a également évoqué la prétention impériale d'utiliser ses services personnels à la finition des œuvres de Tibur.

Fabien Corneille écouta ces allégations avec étonnement, désapprouvant les projets de son gendre et ajouta qu'une telle nouvelle démontrait à ses yeux un certain infantilisme de sa part dans de telles conditions. Sa situation financière n'en serait-elle pas consolidée ? Sa permanence à Rome aux côtés de toute sa famille ne serait-elle pas un facteur de paix ? N'avait-il pas obtenu les grâces d'Hadrien au point de s'intégrer dans le processus politico-administratif avec tous les honneurs d'un tribun militaire ?

Face à un refus aussi obstiné, à voix basse et sur un ton discret, Helvidius a raconté à son beau-père ses aventures de jeunesse, l'informant des nouvelles prétentions de Claudia Sabine et de sa situation domestique difficile dans le refuge sacré de sa famille.

Le vieux censeur a écouté ses confidences un peu surpris, mais répondit avec mesure :

- Mon fils, je comprends tes scrupules ; néanmoins, je dois te parler avec la même franchise avec laquelle tu t'es ouvert à moi, en t'expliquant que dans ma situation actuelle, je dépends entièrement de l'aide de Lolius Urbicus et de sa femme, dans le monde de la politique et des affaires. Ma position financière, malheureusement, est maintenant assez précaire vu les nombreuses dépenses imposées par les circonstances. Et s'il t'est possible de m'aider, alors fais-le. Ne refuse pas l'occasion qu'Hadrien t'offre à Tibur, et fais ton possible pour ne pas contrarier l'esprit vindicatif de Claudia, surtout dans les conditions présentes.

Helvidius comprit qu'il lui était impossible d'abandonner son vieux beau-père et son sincère ami dans une telle conjoncture et chercha à se pourvoir d'énergies intimes, afin de ne pas laisser transparaître tout son malaise.

- De plus - s'est exclamé le censeur en essayant de faire de l'humour pour dissiper les ombres de l'atmosphère sentimentale qu'ils partageaient -, j'espère que dans les moments les plus difficiles, tu ne te perdras pas dans des craintes puériles... N'aie pas peur, mon fils, de telle ou telle contingence !...

Esquissant un sourire bienveillant, il a ajouté :

- Tu sais ce que disait Lucrèce, il y a plus de cent ans ? - « que la femme est le petit animal sacré des dieux ! »

Entre eux s'est alors esquissé un rire franc et optimiste même si dans son for intérieur Helvidius Lucius gardait toutes ses appréhensions.

À son tour, le matin du même jour, Alba Lucinie est allée demander conseil à sa mère concernant ses affligeantes réflexions ; mais Julia Spinter, après l'avoir écoutée au sujet des événements de la veille, le cœur pris de pressentiments angoissants pour sa fille, a répliqué avec compassion, sans perdre cependant sa force morale :

- Ma fille - a-t-elle dit en l'embrassant -, nous traversons une phase de luttes amères, nous devons faire preuve d'une grande capacité de résistance. Je peux mesurer ton angoisse intérieure parce que dans ma jeunesse, j'ai aussi éprouvé ces difficiles émotions

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dans le tourbillon des activités sociales. Si cela m'était possible, je romprais avec cette situation et avec tout le monde dans l'intérêt de ta tranquillité, mais...

Ces réticences signifiaient un tel découragement qu'Alba Lucinie fut troublée, et l'interpella.

- Que dis-tu, mère ? Ce « mais » si amer en arrive à me surprendre comme si je devinais dans ton esprit des inquiétudes plus graves que les miennes.

- Écoute mon enfant, en tant que mère je suis amenée à m'intéresser à ton bonheur comme si c'était le mien... Cependant, je suis au courant des affaires de ton père et des liens qui le retiennent à la politique du préfet des prétoriens, j'en conclus que sans de graves préjudices financiers, Fabien ne pourrait actuellement se couper de Lolius Urbicus. Tous deux se trouvent très impliqués dans la présente situation, de sorte que malgré la franchise avec laquelle j'ai toujours marqué mes propos et mes actes, je suis amenée à te conseiller le maximum de prudence pour la tranquillité de ton père qui mérite nos sacrifices.

Les paroles de la noble matrone étaient prononcées sur un ton d'une âpre tristesse. Après avoir entendu ces déplorables confidences, très pâle, Alba Lucinie demanda :

- Mais la situation financière de mon père est si précaire ? La cérémonie d'hier me laissait supposer du contraire...

- Oui - a déclaré Julia Spinter résignée -malheureusement les faits viennent confirmer toutes mes craintes. Tu connais le tempérament de ton père et tu connais mon souhait de répondre à ses caprices. À mes yeux, une fête comme celle d'hier n'était pas nécessaire pour t'exprimer toute l'estime que je te porte. Je pense que ces manifestations doivent se faire dans l'intimité du cœur et de la famille ; mais ton père pense différemment et je dois le suivre. Les dépenses de cette nuit se sont élevées à plusieurs milliers de sesterces. Et ce n'est pas tout. Tes frères ont dilapidé presque tout le patrimoine de la famille en assumant des engagements de tous genres, de sorte que ton père est obligé de les aider portant sérieusement préjudice à notre maison. Comme tu le sais déjà, les scandales de Lucile Veintus ont obligé Asinius à s'absenter pour l'Afrique où il séjourne et d'après ce que l'on sait toujours en quête de plaisirs faciles. Quant à Rutrius, il a fallu que ton père lui obtienne un poste en Campanie afin de restaurer notre équilibre financier. Mais tu n'es pas sans ignorer ma fille que la société exige de nous que nous reflétions le bonheur... Au départ, je n'approuvais pas l'attitude de Fabien voulant réaliser des fêtes comme celle d'hier, mais en même temps, je suis forcée de lui donner raison puisqu'un censeur doit se conformer aux conventions sociales.

À ces confidences, Alba Lucinie se prit de compassion pour sa mère et lui dit :

- Cela suffit, mère ! Je peux te comprendre. Ce sujet doit rester entre nous et je saurai me conduire et dépasser toutes les difficultés. Hier encore, HeMdius et moi cogitions de retourner en province, mais je vois maintenant que papa a besoin de notre concours et je reconnais que ton cœur a besoin du mien pour affronter les circonstances de la vie !...

Tout en remarquant son regard brillant comme si elle pressentait un danger pour son bonheur, Julia Spinter, émue, a étreint sa fille.

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- Que les dieux te bénissent ! - s'exclama-t-elle presque rayonnante - tu resteras avec moi, oui, car ici j'ai vécue très incomprise et très solitaire !... Seule notre chère Tullia est restée fidèle à mon affection de longue date, trouvant en moi la mère adoptive que la providence lui a accordée!...Très tôt, mes garçons se sont éloignés du foyer pour suivre de mauvais chemins et ton père est toujours occupé à des conférences et des affaires de l'État...

Pendant quelques temps encore, mère et fille se sont entretenues sur des sujets confidentiels et chaleureux.

La situation générale est restée inchangée. Alba Lucinie et son mari, abandonnant leur intention de retourner à l'environnement provincial, firent de leur mieux pour répondre aux besoins de nature domestique, installés maintenant dans la capitale de l'Empire.

Peu de temps après, laissant Nestor assister son beau-père, Helvidius Lucius est parti pour Tibur répondre aux décisions impériales, y trouvant Claudia Sabine Installée dans une position de prestige. Que ce soit par désir de se faire remarquer aux yeux du patricien, voulant gagner son estime, ou pour favoriser le développement de ses vocations innées dans les mesures prises dans l’administration des œuvres artistiques confiées à sa sensibilité féminine, la femme du préfet était brillante.

Helvidius Lucius fut contraint par les circonstances à s'approcher d'elle, découvrant de près ses surprenantes aptitudes, il admirait sincèrement ses initiatives, mais restait très prudent évitant toute tentative de retour au passé. Claudia Sabine, quant à elle, malgré le changement tactique dans ses attitudes sentimentales, gardait en son for intérieur les mêmes prétentions de toujours.

Pendant cela, Alba Lucinie commençait à ressentir à Rome, ce qui serait une longue suite de souffrances morales. Conscient de ses nobles vertus conjugales, Lolius Urbicus n'avait pas pour autant renoncé à ses intentions, il avait cependant modéré ses impulsions. La société romaine d'alors, aimait les sports et était attentive au fait de conserver les traditions de liberté dans le mécanisme des relations familiales, circonstances qui lui permettaient de se rendre chez le patricien absent sous le regard bienveillant de Fabien Corneille qui voyait, à cet intérêt manifeste, une distinction honorable pour sa famille. À son tour, la noble femme, qui connaissait les besoins de son père, n'avait pas le courage de confier au vieux censeur ses craintes fondées, s'astreignant ainsi à tolérer l'amitié que le préfet lui témoignait, l'acceptant de son caractère intangible.

Tous les quinze jours, Helvidius Lucius rentrait chez lui. Néanmoins, ses apparitions à Rome étaient très rapides car il devait traiter et résoudre avec sa femme des sujets qui les occupaient.

Et le temps passait, apportant toujours ce précieux entrain.

Quelqu'un cependant s'intéressait beaucoup aux agissements du préfet, espionnant facilement ses moindres pas. Ce quelqu'un, c'était Hatéria, qui chez ses maîtres, pouvait observer son ardeur, entendre ses impressions et ses entretiens, accompagner ses attitudes sentimentales.

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Deux longs mois étaient passés dans ces circonstances quand un jour, nous allons retrouver Lucinie et Tullia dans la plus grande intimité à échanger des propos délicats et bienveillants.

Après avoir abordé les frivolités de la vie sociale, l'épouse d'Helvidius lui raconta en toute confidentialité ses éprouvantes impressions intimes, exposant à son amie d'enfance ses craintes face à la séparation prolongée de son époux qui répondant aux déterminations capricieuses du destin, s'était indéfiniment absenté dans la ville qui avait la préférence impériale.

Tullia Cevina l'a regardée fixement murmurant sur un ton discret :

- Je sais que tes appréhensions sont justifiées, d'autant qu'Helvidius est auprès de Claudia!...

- Pourquoi donnes-tu tant d'importance à cela ? - lui dit Alba Lucinie admirative.

- Tu n'as jamais su, alors ?

- Quoi ? - dit l'autre doublement intriguée.

Tullia comprit que son amie, loin des bruits de la cour pendant tant d'années n'avait pas eu connaissance du passé dans ses moindres détails.

- Il y a longtemps, j'ai entendu dire que dans leur jeunesse, Claudia Sabine et Helvidius Lucius avaient eu une romance. Je sais que tu n'ignores pas que cette créature a été porteuse d'une singulière beauté en d'autres temps, bien avant que le destin l'arrache à la pauvreté de sa condition sociale...

- Je ne l'ai jamais su - a murmuré Alba Lucinie visiblement surprise -, mais, raconte moi tout ce que tu sais à ce sujet.

- Et tu n'as jamais entendu parler de l'histoire de Silain ? - a ajouté Tullia Cevina, augmentant l'intérêt suscité par ses propos.

- Si, je sais que Silain est un jeune homme que mon beau-père a adopté dans son enfance comme son propre fils. Je sais également que quand il est né beaucoup de gens ont cru qu'il était le fils d'Helvidius avec une créature du peuple, issu de ses aventures de jeunesse.

- Mais, connais-tu toute l'histoire dans ses moindres détails ?

- Je sais à peine que l'enfant a été abandonné sur le pas de la porte de la résidence de Cneius Lucius qui l'a accueilli avec son habituelle générosité.

- Très bien, mon amie, mais encore jeune et plébéienne, Claudia Sabine a été aperçue abandonnant l'enfant, à l'aube, là où tu l'as dit, laissant un billet significatif à Cneius Lucius.

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- De toute évidence - a clarifié Alba Lucinie, bien qu'impressionnée par cette révélation -, je crois qu'Helvidius a été victime d'une infâme calomnie.

- Je ne dis pas le contraire - répondit son amie -, d'autant plus que Sabine, d'après ce que l'on dit, était une créature qui vivait entourée de nombreux soupirants...

L'épouse d'Helvidius ressentait une douleur immense en son for intérieur. Elle aurait voulu pleurer pour soulager les peines qui oppressaient son cœur mais sa force morale dépassait chez elle tous ses sentiments. Cependant, elle ne réussit pas à dissimuler sa souffrance devant la chère sœur spirituelle de sa jeunesse, laissant ainsi transparaître dans ses yeux larmoyants, sa tristesse et ses craintes.

Tullia Cevina l'a longuement embrassée en lui disant à demi-voix :

- Chère Lucinie, moi aussi j'ai déjà souffert des angoisses que tu ressens actuellement, mais j'ai trouvé un remède efficace. Veux-tu l'essayer ?

- Sans aucun doute. Où trouver un tel remède ?

- Écoute-moi - lui dit son amie avec une bonté confiante, presque infantile -, tu as certainement déjà entendu parler de Lucile Veintus et de ses scandales à la Cour. Un beau jour, Maximin a laissé paraître ses penchants pour cette femme en arrivant même à sérieusement perturber notre bonheur domestique ; mais Salvia Subria m'a suggérée de me rendre à une réunion chrétienne où j'ai fait appel aux prières d'un vénérable ancien qui pontifie là en tant que prêtre. Depuis que j'ai utilisé de tels recours, mon mari est revenu à la douceur du foyer, augmentant notre bonheur conjugal.

- Mais, as-tu été obligée d'engager ta parole ? - a interrogé Alba Lucinie fort intéressée par le sujet.

- Aucunement.

- Mais les chrétiens ont-ils jeté quelque sortilège en ta faveur ?

- Non plus. Ils m'ont informée que la vertu de la prière se trouve dans le fait qu'elle est dirigée à un nouveau dieu que les croyants appellent Jésus de Nazareth.

- Ah ! - lui fit Alba Lucinie se rappelant de la Judée et des convictions de sa fille - la doctrine chrétienne ne m'est pas étrangère mais mon mari ne la tolère pas, ses déclarations sont contraires à nos dieux. En conséquence, je pense qu'avant de prendre une résolution de cette nature, il conviendrait que j'en parle à ma mère pour suivre ses conseils.

- Ça non.

- Pourquoi ?

- Parce qu'après que Salvia m'en ait parlé, je suis aussi allée voir ta mère pour lui demander son avis, mais son esprit sectaire et sa franchise intransigeante firent qu'elle s'est montrée hostile à mes idées, alléguant que la femme romaine dispense tous nouveaux dieux car elle est la matrone incorruptible devant la société et la famille. Malgré tout, j'ai décidé de faire appel à ces recours et j'ai obtenu les meilleurs résultats.

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- Ma mère doit avoir raison - dit Alba Lucinie convaincue. - De plus, je ne peux me résoudre à la promiscuité de ces rassemblements plébéiens.

Sincèrement désireuse de collaborer à la réédification du bonheur de son amie, Tullia écoutait ses pondérations et objecta délicatement :

- Écoute Lucinie - je sais que ton tempérament n'apprécie pas les réunions de cette nature, mais si tu veux, j'irai à ta place comme j'y suis allée pour moi... À ces assemblées, préside un homme saint qui se nomme Polycarpe. Sa parole nous parle du nouveau dieu avec une foi si pure et une sincérité si grande qu'aucun cœur ne résiste à la beauté spirituelle de ses affirmations... Ses expressions ravissent notre âme et nous portent au royaume du bonheur éternel où Jésus nazaréen doit être face à tous nos dieux, à nous attendre au-delà de cette vie avec les bénédictions d'un bonheur éternel...

Je ne suis pas chrétienne, comme tu le sais, mais j'ai bénéficié de ces prières et, à. l'inverse de ce que l'on affirme, je suis témoin que les adeptes de Jésus sont pacifiques et bons!...

L'épouse d'Helvidius accueillait ces suggestions pleines d'affection avec beaucoup de sensibilité.

- Et tu irais seule sans la protection d'un garde ? - a-t-elle demandé avec admiration.

- Pourquoi cette question ? Les chrétiens sont victimes de mesures vexatoires de la part des autorités gouvernementales. Or, il s'agit de ton bonheur personnel, je vais donc les voir en toute confiance.

- Tu as une si grande foi en une telle providence ?!... - demanda Lucinie avec intérêt et reconnaissance.

- Une totale confiance.

Et faisant un geste expressif, comme si elle se souvenait d'un nouvel argument, elle ajouta :

- Écoute, ma chère : depuis que tu m'as parlé des prédilections de Célia pour cette doctrine, malgré notre secret familial sur le sujet, pourquoi ne me donnes-tu pas le plaisir de ta compagnie ? Ces réunions ont lieu dans les vieilles catacombes de la voie Nomentane, dans un endroit distant. Je suis sûre du succès de ces prières et il suffira d'une seule fois pour que la paix retrouve le chemin de ton foyer et de ton cœur.

Face à la douce perspective du bonheur domestique retrouvé, Alba Lucinie se sentait réconfortée par les promesses de son amie dont la foi était profonde et contagieuse, et ajouta :

- Je vais y réfléchir et nous verrons. Mais, si tu as besoin d'une compagnie, c'est à moi d'y aller.

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En se quittant, elles se sont affectueusement embrassées, alors que la longue ombre d'Hatéria s'éloignait rapidement d'un grand rideau oriental, après avoir entendu la singulière conversation.

Dans une société comme celle-là où, depuis toujours et en vertu des influences étrusques, toutes les classes faisaient appel à l'invisible et au surnaturel dans les circonstances les plus diverses de la vie quotidienne, Alba Lucinie se mit à réfléchir à la précieuse occasion suggérée par son amie d'enfance.

Bien que trouvant un certain réconfort à cette idée, elle passa le reste de la journée entre l'indécision et la souffrance morale.

Elle eut envie d'aller à Tibur pour arracher son mari de la dangereuse situation où il se trouvait, mais la raison prit le dessus sur toutes ses inquiétudes angoissantes.

Dans la nuit, alors que tout le monde dormait, elle s'est dirigée vers le sanctuaire domestique où elle s'est prosternée devant l'autel de Junon, et entre les larmes, elle a demandé à la déesse de soutenir son esprit sur le difficile chemin du devoir et de la vertu.

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IV

SUR LA VOIE NOMENTANE

Une semaine après les événements que nous venons de relater, nous allons trouver Claudia Sabine assise dans la soirée à la terrasse de sa maison à Rome, à parler tranquillement avec Hatéria dans la plus grande intimité.

- Alors, Hatéria - disait-elle tout bas après la longue exposition de sa complice -, mon mari semble ainsi vouloir faciliter la réalisation de mes projets. À l'exception de ses armes jamais je ne l'aurais cru capable d'éprouver de la passion pour qui que ce soit.

- Cependant, Madame, chacun de ses gestes, chacun de ses mots, infèrent parfaitement les sentiments qu'il porte en son âme.

- Très bien - s'exclama l'ancienne plébéienne comme si le sujet l'ennuyait, - mon mari n'est pas l'homme qui m'intéresse. Tes nouvelles d'aujourd'hui signifient que le hasard coopère aussi en ma faveur.

- En outre - a rappelé Hatéria soulignant le caractère secret de ces révélations -, Lucinie et Tullia ont décidé de demander la bénédiction d'une réunion chrétienne afin qu'Helvidius Lucius revienne immédiatement de Tibur et réintègre l'harmonie domestique.

Claudia laissa échapper un rire nerveux et l'interrogea avidement :

- Ah, oui ? Et comment l'as-tu su ?...

- Il y a une semaine, elles ont échangé des confidences et hier, dans la soirée, elles ont monté leur plan, bien que la patronne se sente très abattue, je pense qu'elles vont le mettre à exécution dans les prochains jours.

- Tu dois être vigilante et les accompagner sans qu'elles s'en rendent compte, afin de rester informée des événements.

Et, esquissant un geste de malice, elle trancha :

- Ces dames méconnaîtraient-elles, par hasard, les décrets impériaux qui visent à l'élimination du christianisme ? Quelle marque d'indifférence en regard des lois ?... Enfin,

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d'une manière ou d'une autre, nous ferons aussi en sorte d'attirer l'attention des autorités sur ce nouveau noyau doctrinaire. Après cet entretien, j'en parlerai à Bibulus Quint.

Hatéria et Claudia ont poursuivi leur discussion pendant quelque temps encore, examinant les détails de leurs infâmes projets criminels, les adaptant à la situation présente.

Le lendemain matin, une modeste litière sortait du palais du préfet, conduisant quelqu'un qui s'absentait de la maison dans la plus grande discrétion.

C'était Claudia Sabine, vêtue très simplement, elle partait pour Suburra.

Après un long parcours, elle donna l'ordre à ses esclaves de confiance de l'attendre dans un endroit précis et s'engouffra, seule, dans des ruelles désertes et pauvres.

Atteignant un bloc de maisons humbles et minuscules, elle s'est brusquement arrêtée comme si elle désirait s'assurer du lieu, elle aperçut à une courte distance une maison verte très caractéristique qui se différenciait de toutes les autres.

La femme de Lolius Urbicus esquissa un sourire de contentement et pressant le pas, elle frappa à une porte avec un visible intérêt.

Quelques minutes plus tard, une petite femme très vieille, les cheveux ébouriffés portant de gros bourrelés qui lui ridaient le visage, est venue lui répondre avec une expression de curiosité, les yeux minuscules et gonflés.

Tout en observant sa visiteuse qui exhibait une toge simple mais riche, un filet doré retenant sa chevelure gracieuse et abondante, la vieille femme a souri satisfaite, pressentant la situation financière attrayante de cette cliente qui avait besoin de ses services.

- C'est bien ici - a demandé Claudia avec une fausse modestie - qu'habité Plotine, ancienne pythie de Cumes ?

- Oui, Madame, c'est moi-même pour vous servir. Entrez. Ma hutte s'honore de votre visite.

L'épouse du préfet accueillit volontiers cette réception flatteuse et affectée.

- J'ai besoin de votre coopération - dit la visiteuse tout en pénétrant avec désinvolture à l'intérieur -, je viens vous voir sur les recommandations de l'une de mes amies de Tibur.

- Je vous en suis très reconnaissante, j'espère répondre à votre confiance.

- On m'a dit que je n'aurai pas besoin d'exposer l'objet de ma visite. Est-ce bien cela?...

- Parfaitement - a acquiescé Plotine de sa voix énigmatique -, mes pouvoirs occultes dispensent toute explication de votre part.

S'asseyant sur un vieux divan, Sabine a remarqué que la sorcière était allée chercher un tripode qu'elle plaça près d'elle et de ses nombreuses amulettes que la douce lueur d'une

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petite torche, allumée pour répondre aux besoins du moment, éclairait faiblement. Ensuite, après avoir pris une attitude contemplative et reposée, Plotine a laissé tomber sa tête entre ses mains, exhibant une pâleur cadavérique, comme si sa mystérieuse voyance était sur le point de découvrir les plus sinistres mirages du monde invisible.

Claudia Sabine suivait ses moindres gestes avec un singulier intérêt, entre la crainte et la surprise de l'inconnu, alors que bientôt, la physionomie de l'intermédiaire du monde et des forces du plan invisible se normalisait, les contractions nerveuses de son visage s'atténuaient et les expressions d'une profonde fatigue qui échappaient de ses lèvres enflées, disparaissaient.

Le visage calme et curieux, comme si son âme revenait des mystérieux parages aux confins de grandes révélations, elle prit les mains distinguées de Claudia, s'exclamant sur un ton discret :

- Les voix m'ont dit que vous aimez un homme, prisonnier d'une autre femme par les liens les plus sacrés de cette vie. Pourquoi ne pas éviter quand il est encore temps une tempête d'amertumes qui retombera, plus tard, sur votre propre destinée ? Vous êtes venue jusqu'ici en quête d'un conseil qui guidera vos prétentions, mais il vaudrait mieux abandonner tous les projets que vous avez à l'esprit...

Claudia Sabine l'écoutait, effrayée, mais réagit avec véhémence :

- Plotine, je connais le caractère supérieur de ta science et je viens faire appel à tes connaissances avec une confiance absolue ! Si ta vision peut entrevoir le passé, cherche à réparer au présent l'unique préoccupation de ma vie... Aide-moi ! Je récompenserai royalement tes services !

La consultante a ouvert une bourse pleine, laissant tomber une grande quantité de pièces sur le tripode comme si elle versait une avalanche de sesterces, alors que la vieille sorcière ouvrait grands ses yeux, prise de cupidité et pleine d'ambition face à ses bas instincts.

- Madame - dit-elle désireuse d'obtenir la recette d'une telle manne financière -, je vous ai déjà donné le premier conseil qui est celui de la sagesse qui m'assiste ; mais je suis aussi un être humain et je veux satisfaire votre générosité. Je connais les projets qui vous animent et je chercherai à vous assister, afin que vous puissiez les mener à terme !...Je dois vous dire, néanmoins, que votre rivale est assistée par une figure angélique, bien que je ne sois en mesure de dire si cette créature vit sur terre ou au ciel. Grâce à mon pouvoir occulte, j'ai vu la femme que vous haïssez auréolée par l'intense aura d'un ange qui est auprès d'elle.

Et, comme si elle était engagée dans un duel de conscience face à l'enviable situation financière de sa consultante, elle ajouta :

- Nous devons faire très attention, Madame... Cette créature céleste peut défendre votre rivale de toutes les souffrances étrangères à sa destinée...

- Mais comment cela peut-il être ?! - a demandé Claudia Sabine profondément impressionnée.

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- Votre rivale n'a-t-elle pas d'enfants et, parmi eux, n'en est-il pas un au cœur pur et miséricordieux ?

- Si - s'exclama l'interpellée quelque peu contrariée -, bien que ne sachant pas si l'unes de ses filles se trouvait dans une telle situation. Toutefois, je ne suis pas là pour traiter de cela, mais de mon propre intérêt passionnel. Pourquoi me parles-tu, donc, de cette défense angélique incompréhensible à mes yeux ?

- Madame, pour vous aider de toutes mes forces, il me faudra de l'argent pour répondre aux besoins les plus pressants, mais je dois vous prévenir que nous courrons le risque de voir nos efforts annihilés parce qu'un ange de Dieu peut entraver les coups du mal, puisque la souffrance telle que nous l'entendons n'existe pas pour leurs cœurs purifiés. Alors que l'inquiétude et la douleur peuvent entraîner les âmes vulgaires dans le tourbillon des passions et des souffrances du monde, l'Esprit qui s'est racheté a réalisé en lui la construction de la foi, qui le lie à Dieu Tout-puissant. Pour ces cœurs immaculés, Madame, la terre ne peut engendrer le tourment ou le désespoir !

Claudia écoutait ses pondérations, éminemment impressionnée, mais elle fit observer avec son esprit déterminé :

- Plotine, je préfère ne pas croire en cette soi-disant défense et accepter la coopération de tes pouvoirs occultes, confiant complètement en la réussite de mes aspirations. Ne m'entraîne pas dans tes digressions philosophiques, car je veux vivre ma propre réalité. Dis-moi ! Que suggères-tu pour mon bonheur ?

- Face à votre décision, nous devons faire appel aux moyens les plus concrets.

- Crois-tu que nous devrions étudier la possibilité d'éliminer la femme que je haïe ?

- Dans votre situation et dans votre cas, vous ne devriez pas penser à détruire son corps mais plutôt à flageller son âme, sachant que l'unique mort qui puisse être appliquée à un ennemi est celle qui s'impose à une créature hors de la tombe et en pleine vie.

- Tu as raison - a murmuré Sabine intéressée. - Tes arguments sont plus intelligents et plus pratiques. Quels sont tes conseils en ma faveur ?

Plotine marqua une longue pause comme si elle faisait une nouvelle consultation à l'oracle et devant la lumière de la minuscule torche étincelante, elle ajouta :

- Madame, avez-vous déjà eu l'occasion d'organiser le départ provisoire de l'homme bien-aimé pour Tibur... Je dois vous informer que l'Empereur Aelius Hadrien, avant de se retirer pour ses palais en construction dans la ville en question où il attendra la fin de ses jours, devrait faire un dernier voyage en provinces, conformément à sa vocation bien connue... Vous serez obligée d'accompagner sa suite, ceci serait donc l'occasion de voir l'homme qui vous est cher partager ce voyage.

- Ah oui ? - demanda Claudia visiblement enchantée. - Et que me conseilles-tu?

Plotine s'est alors penchée, collant ses lèvres à son oreille, lui suggérant un plan terrible et criminel que la consultante accueillit avec un sourire significatif.

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Elles ont encore parlé pendant un long moment comme si leurs esprits étaient en

parfaite communion d'idées et de principes, ayant pour autant les mêmes objectifs. On notera qu'en se quittant, après lui avoir donné tout l'argent qu'elle avait apporté, Claudia prit bien note des besoins de sa nouvelle complice lui promettant d'agir en fonction.

Quelques heures plus tard, la modeste litière retournait au palais de Lolius Urbicus, par la porte du fond.

Deux jours après, nous allons retrouver chez Helvidius Lucius, Alba Lucinie et son amie fidèle à discuter très discrètement dans l'une des pièces les plus isolées de la maison.

Tullia Cevina paraissait être en très grande forme physique malgré l'inquiétude qu'exprimait son regard, ce qui n'était pas le cas de la femme d'Helvidius qui, presque allongée dans son lit, semblait prise d'un abattement profond.

- Lucinie, ma chère - s'exclama Tullia affectueusement -, je sais déjà que la réunion aura lieu cette nuit. Je suis à ta disposition pour que nous y allions sans crainte. Nous pourrons sortir en début de soirée.

- Impossible - a répliqué la pauvre femme visiblement malade qui ajouta sur un ton d'une douloureuse mélancolie -, je me sens profondément fatiguée et accablée !... Et pourtant, j'ai vraiment décidé de faire appel à ces prières !... Quelque chose de surnaturel doit me rende ma paix intérieure. Je ne peux continuer dans cette angoisse morale qui annihile toutes mes forces.

Des larmes arrières coupèrent ses propos attristés.

- J'irai de toute manière - a dit Tullia en l'étreignant -, je suis sûre que le nouveau dieu te secourra dans la pénible incertitude où tu te trouves !...

Tout en observant son dévouement tendre et fidèle, Alba Lucinie l'avertit :

- Ma chère, je ne peux me faire à l'idée que tu y ailles seule. Je demanderai à Célia de t'accompagner.

Tullia esquissa un sourire de satisfaction pendant que son amie demanda à une jeune esclave d'appeler sa fille.

Quelques instants plus tard, la jeune fille pleine de grâce apparaissait.

- Célia - lui dit sa mère, émue et triste -, pourrais-tu aller ce soir en compagnie de Tullia assister à une réunion chrétienne afin de faire une prière pour la tranquillité de ta mère?...

La jeune fille eut un geste de surprise et un large sourire de satisfaction s'est dessiné sur ses lèvres.

- Que ne ferais-je pas pour vous, mère ? Et elle l'a embrassée.

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Alba Lucinie ressentit un réconfort immense à cette manifestation de tendresse et ajouta :

- Ma fille, je me sens épuisée et malade, j'ai donc décidé de faire appel à Jésus de Nazaré par tes prières. Tu sais bien que nous ne devons en parler à personne, tu comprends, n'est-ce-pas ?

Célia fit un geste expressif comme si elle se souvenait de ses propres peines et dit :

- Oui, mère. Soyez tranquille. Peu importe où ce sera, j'irai avec Tullia faire les prières nécessaires ! Je supplierai Jésus de te rendre heureuse et j'espère que son infinie bonté versera dans ton cœur le doux baume de son amour qui nous remplit de vie et de joie. Alors, tu sentiras que de nouvelles énergies te rendront heureuse...

Surprise de ses connaissances, Tullia Cevina écoutait attentivement ces propos. Tout en étreignant sa fille tendrement, Lucinie lui révéla bientôt :

- Célia a intimement connu en Judée la question du christianisme. Mon enfant, bien que très jeune, a déjà beaucoup souffert...

Mais Célia, qui perçut à ces mots que sa mère allait entrer dans des détails concernant sa pénible histoire d'amour, s'exclama avec tendresse :

-Voyons, mère, de quoi pourrais-je souffrir si je garde toujours votre affection ?

Et coupant court au sujet concernant son cas personnel, elle demanda :

- À quelle heure devrons-nous sortir ?

- En début de soirée - l'informa Tullia -, car nous avons du chemin à faire, la réunion a lieu dans un endroit après la porte Nomentane.

- Je serai prête à temps.

Toutes trois se sont mises d'accord sur les préparatifs nécessaires et, à la tombée de la nuit, vêtues de modestes toges, Tullia et Célia ont pris une litière qui leur évita la fatigue d'une grande partie du chemin pour traverser les quartiers les plus fréquentés de la ville.

Elles descendirent ensemble à la porte Viminal et une fois qu'elles eurent dispensé les porteurs, elles ont entrepris leur marche courageusement.

La nuit déployait son éventail d'ombres tout le long de la plaine. Il faisait froid, mais les deux amies emmitouflées dans leur cape en laine cachaient leur tête dans la partie la plus épaisse et la plus sombre.

Il faisait nuit noire quand elles ont atteint les ruines de l'ancienne muraille qui fortifiait le site en d'autres temps, mais elles avançaient d'un pas résolu tout le long des larges routes...

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Une fois la porte Momentané franchie, elles se sont trouvées face aux collines toutes proches sur lesquelles des cimetières déserts et tristes étaient alignés que le clair de lune arrosait de ses tons pâles.

Au fur et à mesure qu'elles approchaient du lieu de culte, elles observaient un nombre chaque fois plus grand de pèlerins qui s'aventuraient sur les mêmes sentiers à des uns identiques. C'étaient des ombres couvertes de longues tuniques foncées, qui passaient à leurs côtés, le pas pressé ou lent, certains silencieux, d'autres discutaient presque imperceptiblement.

Beaucoup tenaient de minuscules lanternes aidant leurs compagnons à voir là où la faible clarté de l'astre nocturne ne réussissait pas à dissiper les ombres épaisses.

Les deux patriciennes, habillées avec une extrême simplicité et portant de lourds manteaux, ne pouvaient être reconnues par les compagnons qui allaient dans la même direction. Ils les considéraient chrétiennes comme eux, tous unis dans leur foi et dans le même idéalisme.

Devant les parois boueuses qui entouraient de grands monuments en ruine, Tullia s'est assurée qu'il s'agissait bien du lieu qui donnait accès à l'enceinte, faisant un signe de croix caractéristique à deux chrétiens qui, sous le porche, recevaient le mot de passe de tous les prosélytes, mot de passe qui était ce signe tracé avec la main ouverte d'une façon toute spéciale mais très facile à imiter. Elles sont alors entrées à l'intérieur de la nécropole sans la moindre difficulté.

Une fois dans l'enceinte, la foule était installée sur des bancs improvisés et on pouvait noter qu'en général, ils gardaient tous leur capuche sur la tête dissimulant leur visage, quelques-uns craignant le froid intense de la nuit, d'autres redoutant les loups de la trahison qui pouvaient se trouver là cachés sous le masque des moutons.

À la clarté lunaire qui baignait l'atmosphère venait s'ajouter la lumière des torches et des lanternes qui se trouvaient principalement autour d'un tas de ruines funèbres d'où l'apôtre de ce groupe de partisans du Christ devait parler.

Ici et là, quelqu'un balbutiait une prière, tout bas, comme s'il parlait à l'Agneau du Ciel du plus profond de son cœur ; mais du centre de la masse s'élevaient des hymnes pleins d'une exaltation religieuse sublime. C'étaient des cantiques d'espoir, marqués par un singulier découragement du monde, qui extériorisaient le rêve chrétien d'un royaume merveilleux au-delà des nuages. Dans chaque vers et dans chaque son émis conjointement prédominaient les notes d'une pénible tristesse, de ceux qui avaient abandonné toutes les illusions et les fantaisies terrestres, se livrant à la résignation de tous les plaisirs, de tous les biens de la vie, pour attendre les récompenses lumineuses de Jésus dans les gloires célestes...

Sur des bancs improvisés en bois brut ou des pierres oubliées là, des centaines de personnes étaient installées concentrées en un recueillement absolu.

Un silence profond régnait parmi eux quand une estrade usée fut transportée sur les lieux où presque toutes les lumières étaient concentrées.

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Célia et Tullia prirent place, là où cela leur sembla le plus commode. Peu après un nouveau cantique s'élevait à l'infini en des vibrations d'une beauté indéfinissable... C'était un hymne de remerciements au Seigneur pour sa miséricorde inépuisable ; chaque strophe parlait des exemples et des martyres de Jésus avec des sentiments teintés de la plus haute inspiration.

Quelle ne fut pas l'admiration de Tullia Cevina quand elle vit sa compagne élever sa voix cristalline accompagnant aussi le chant des chrétiens comme si elle l'avait su par cœur ! La femme de Maximin Cunctator ne pouvait dissimuler son émotion en regardant Célia chanter tel un oiseau exilé du paradis !... Ses yeux calmes étaient tournés vers le firmament qui semblait fixer les limites du pays de son bonheur entre les étoiles qui brillaient dans le ciel comme des sourires caressant la nuit. Les vers qui s'échappaient de ses lèvres avaient une telle richesse mélodique, inspirés par cette musique spéciale, que son amie en était émue jusqu'aux larmes, se sentant transportée dans une contrée divine...

Oui, Célia connaissait ce cantique qui remplissait son cœur de doux souvenirs. Cirus le lui avait enseigné sous les arbres touffus de la Palestine, pour que son âme sache manifester sa reconnaissance à Dieu, dans les heures d'allégresse. À cet instant, en communion avec tous ces esprits qui vibraient aussi dans leur foi, elle se sentait loin de la terre, comme si son âme était touchée par une joie suprême...

Puis une fois le silence revenu, un homme du peuple du nom de Serge Hostilius est apparu à la tribune improvisée, s'exclamant ému, après avoir ouvert un parchemin :

- Mes frères, aujourd'hui encore nous étudierons les enseignements du Maître dans les chapitres de Matthieu, avec la leçon de cette nuit : « ceux qui sont les vrais frères du Messie!... »

Et déroulant une feuille que le temps avait ternie, Serge Hostilius lut posément :

« Comme Jésus s'adressait encore à la foule, voici que sa mère et ses frères, qui étaient dehors, voulurent lui parler. Quelqu'un lui dit : - Ta mère et tes frères sont dehors et ils cherchent à te parler. Mais Jésus répondit à celui qui le lui disait : Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? Puis, étendant la main sur ses disciples, il dit : -Voici ma mère et mes frères. Car, quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère et ma sœur, et ma mère. »

Une fois la lecture évangélique terminée, le même compagnon de croyance qui occupait la tribune, s'est exprimé avec émotion :

- Mes amis, pour éclairer ces enseignements sachez que le don de l'éloquence me manque ; aussi j'invite l'un de nos frères présents pour qu'il développe les justes commentaires de cette nuit...

Tous les regards, celui de Tullia Cevina compris, ont marqué une pause, anxieux qu'ils étaient, cherchant la vénérable figure de Polycarpe, le dévoué apôtre de toutes les réunions. Tullia Cevina remarqua son absence avec beaucoup de déception telle était la foi qui imprégnait ses prières, si sages et bienveillantes étaient ses paroles. Sur un ton amer, Serge Hostilius leur a expliqué :

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- Mes frères, je vois bien que vos yeux cherchent Polycarpe avec anxiété, mais avant de vous donner de ses nouvelles, élevons notre cœur à Celui qui n'a pas dédaigné l'offense et le sacrifice...

L'apôtre de notre foi, malgré son auguste vieillesse, par ordre du sous-préfet Bibulus Quint, a été enfermé hier dans la matinée à la prison de l'Esquilin!

Implorons la miséricorde de Jésus pour qu'il puisse accepter le calice de nos douleurs avec résignation et humilité.

Beaucoup de femmes se mirent à pleurer l'absence de ce grand homme qu'elles aimaient comme un père et après quelques minutes, pendant lesquelles personne ne se risqua à substituer ses enseignements sages et aimants, un homme de la plèbe marcha jusqu'à la tribune, se découvrit, pris d'une fervente religiosité, il fit le signe de croix.

La clarté des torches illumina ses traits alors que Célia et sa compagne identifièrent immédiatement son visage humble et déterminé.

Cet homme était Nestor, le libéré d'Helvidius, qui, bien qu'assistant le censeur Fabien Corneille dans le cabinet même de la préfecture des prétoriens, n'avait pas honte de donner en public le témoignage de sa foi.

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V

PRÊCHER L'ÉVANGILE

Salué par le regard attentif et confiant de tous, Nestor commença à parler avec une émouvante sincérité :

- Mes frères, je sens que ma pauvreté spirituelle ne peut remplacer le cœur de Polycarpe sur cette tribune, mais le feu sacré de la foi doit se maintenir dans les Ames !

En assumant la responsabilité de vous parler ce soir, Je me souviens de mon enfance lorsque je vis Jean, l'apôtre du Seigneur, qui pendant de longues années a illuminé l'église d'Éphêse !

Le grand évangéliste, dans l'extase de sa foi, nous parlait du ciel et de ses visions réconfortantes... Son cœur

était en contact permanent avec celui du Maître dont il recevait l'inspiration divine en tant que dernier disciple sur terre, sanctifiant ses leçons et ses paroles du souffle sublimé des vérités célestes !...

J'invoque ces souvenirs lointains pour rappeler que le Seigneur est la miséricorde infinie. Dans ma pauvreté matérielle et morale, je n'ai vécu que par sa bonté inépuisable et je veux invoquer son assistance charitable pour mon cœur, en cet instant.

Depuis ma plus tendre enfance, j'ai les yeux tournés vers les sublimes enseignements de son amour et il me semble aussi l'avoir vu dans son apostolat de lumière pour notre rédemption sur la face obscure de la terre. Parfois poussé par un mécanisme d'émotions merveilleuses, j'ai la douce impression de le voir encore près de Tibériade, à enseigner la vérité et l'amour, l'humilité et le salut !... Je me figure souvent que ces eaux claires et sacrées chantent dans mon cœur un hymne d'éternel espoir et malgré le voile épais de ma cécité, je sens qu'il se trouve dans Nazaré ou dans Capharnaûm, dans Césarée ou dans Betsaida, rassemblant les moutons égarés de sa bergerie.

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Oui, mes frères, le Maître ne nous a jamais abandonné dans son apostolat divin. Son regard percutant va chercher les pécheurs dans les repaires les plus secrets de l'iniquité, et c'est par sa tendresse infinie que nous réussissons à avancer indemnes dans les gorges du crime et du malheur !...

Pendant longtemps, Nestor a parlé des souvenirs les plus chers à son cœur.

Son enfance en Grèce, les bienveillantes descriptions de Jean l'Évangéliste à ses chers disciples ; les prêches et les exemples du Seigneur, ses visions sur les plans célestes, les réminiscences du Prêtre Johanes à qui l'inoubliable apôtre avait confié les textes manuscrits de son évangile, tout était exposé là devant cette assemblée par l'affranchi, dans les nuances les plus vives et les plus impressionnantes.

L'auditoire écoutait sa parole, ému, comme si les Esprits, transportés dans le passé par les ailes de l'imagination, contemplaient tous ces événements rapportés à travers son récit.

Même Tullia Cevina qui ne connaissait le christianisme que superficiellement, se montrait profondément sensible. Quant à Célia, elle l'accueillait joyeusement, admirant son courage et sa foi face à sa prometteuse position matérielle auprès de son père, et se disait en même temps qu'il n'avait jamais révélé ses croyances, pas même lors des leçons qu'il lui avait données, démontrant ainsi le respect que les autres croyances méritaient.

Après avoir évoqué ses souvenirs d'Éphèse sous ses aspects les plus éminents, il voulut commenter la lecture de la soirée :

- En ce qui concerne la leçon évangélique de cette nuit, rappelons-nous que Jésus ne pouvait condamner les liens humains et sacrosaints de la famille. Ses paroles prononcées pour l'éternité, appréhendent et appréhenderont toutes les situations et tous les siècles à venir afin de démontrer que la fraternité est sa cible et que nous tous, hommes et groupes, collectivités et peuples, sommes les membres d'une communauté universelle, une fraternité que nous intégreront tous un jour comme des frères bien-aimés et pour toujours.

Ses enseignements se rapportent à ceux qui, accomplissant la volonté souveraine et juste du Père qui est aux cieux, marchent à l'avant-garde des chemins humains, comme l'exige son règne d'amour, plein de beautés impérissables !

Ceux qui savent respecter en ce monde les desseins de Dieu avec humilité et tolérance, avec résignation et avec amour, arriveront plus rapidement auprès de celui qui nous a révélé, il y a cent ans, le Chemin, la Vérité et la Vie ! Ces esprits aimants et justes, qui s'illuminent intérieurement par la compréhension et par l'application de ses enseignements dans leur vie, seront plus près de son cœur miséricordieux dont les pulsations sacrées résonnent en l'être par la magnanimité infinie ressentie dans l'âme à chaque étape de la vie !... De telles créatures sont dès maintenant ses frères les plus proches par l'illumination évangélique dans l'accomplissement des lois de l'amour et du pardon.

À la lumière prodigieuse de cette vérité, nous sommes obligés de dilater le concept de la famille au plan universaliste, niant notre égoïsme criminel qui parfois prend d'assaut notre cœur créant les germes de la discorde et de la souffrance en son foyer même.

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Si l'homme est la cellule divine de la collectivité, le foyer est le noyau sacré de toute la construction de la civilisation. Un homme détaché du bien et un foyer empoisonné par des déviations sentimentales provoque de singuliers déséquilibres qui tourmentent les peuples !...

Jésus connaissait tous nos besoins et pensait à notre situation, non seulement en fonction du temps qui passe, mais aussi face aux siècles à venir.

Je crois que l'Évangile ne pourra être intégralement compris en ces temps amers de débauche et de décadence ; néanmoins alors que les forces les plus puissantes du monde se concentrent sur cet Empire plein d'orgueil et d'impiété, d'autres énergies profondes travaillent son organisme tourmenté préparant l'avènement des civilisations à venir.

Jusqu'à présent, les aigles romains dominent toutes les régions et toutes les mers ; mais le jour viendra où ces symboles d'ambition et de tyrannie tomberont de leur piédestal en une tempête de cendres et d'ombres !... D'autres peuples seront amenés à diriger la marche du monde.

Mais, tant que l'esprit agressif de la guerre restera parmi les hommes, comme un monstre de ruine et de sang, c'est le signe que les créatures ne se sont pas réalisées intérieurement pour être les frères du Maître, purs et pacifiques.

La terre vivra ses phases évolutives de douleur et d'expériences pénibles jusqu'à ce que la compréhension parfaite du Messie fleurisse dans le monde entier pour les âmes.

Jusqu'à présent, le christianisme a grandi des larmes et du sang de ses martyrs ; mais les Esprits du Seigneur dont j'ai entendu les voix dans ma jeunesse lors des réunions sacrées dans l'église d'Éphèse, assuraient aux disciples de Jean qu'il ne faudrait pas longtemps avant que le prosélytisme du Christ soit appelé à collaborer dans les sphères politiques du monde pour dissiper les ténèbres et la confusion des pièges de l'imposture.

En ces temps, mes frères, peut-être que la doctrine du Maître souffrira l'insulte de ceux qui naviguent sur le vaste océan des pouvoirs terrestres pleins de vanité et de despotisme. Il est possible que des esprits turbulents et endurcis essayent d'annihiler les valeurs de notre foi, la détournant sous l'apparence du polythéisme, mais gare à ceux qui commettront une telle atteinte face aux vérités qui nous guident et nous consolent !...

Dans les efforts de notre foi, n'oublions jamais l'exhortation du Seigneur aux femmes de Jérusalem qui se lamentaient à le voir humilié sur la poutre infamante : - « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Car voici venir des jours où l'on dira : - Heureuses les femmes stériles, les entrailles qui n'ont pas enfanté, et les seins qui n'ont pas nourri ! Alors on se mettra à dire aux montagnes : Tombez sur nous ! Et aux collines : Couvrez-nous - ! Car si l'on traite ainsi le bois vert, qu'adviendra-t-il du sec ? »

Gare à ceux qui ont abusé au nom de Celui qui nous assiste au ciel et connaît nos pensées les plus secrètes car plus tard, comme il l'a promis, la lumière du Très-Haut se fera sur la chair et la voix des cieux sera entendue sur terre à travers les doux enseignements et les prophéties les plus élevées ! Si les hommes manquent à leurs objectifs, les armées d'anges devront venir jusqu'à nous certifiant toute sa miséricorde...

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Car, mes frères, le royaume de Jésus doit être édifié dans les cœurs, dans les âmes, il ne pourra jamais s'accorder en ce monde avec toutes les expressions politiques relevant de l'égoïsme humain ou des doctrines de violence qui structurent les états de la terre !

Le règne du Seigneur souffrira pendant longtemps encore « l'abomination du lieu saint» par la fausse interprétation des hommes, mais viendra le temps où l'humanité, aujourd'hui décadente et corrompue, trouvera la voie d'une Jérusalem glorieuse et libérée !...

Gardons à l'esprit la conviction que le royaume de Jésus n'est pas dans les temples ou dans les manuscrits que le temps se chargera d'annihiler sur son passage Incessant. Mais que les fondations divines doivent être construites en l'homme, de sorte que chaque âme puisse construire ce royaume en elle-même au prix de ses efforts et de ses larmes en route vers les demeures glorieuses de l'Infini où nous attendront après le voyage les bénédictions de l'Agneau de Dieu qui fut immolé sur la croix pour nous racheter du malheur et du péché !...

Après une prière, Nestor termina son témoignage sous le regard bienveillant et ému de tous ceux qui avaient accompagné ses paroles spontanées à travers ses considérations d'ordre évangélique.

Certains pleuraient, troublés, partageant les impressions de l'orateur.

Au début du christianisme lors de ces assemblées, alors que le messianisme doctrinaire était plein d'enseignements purs et simples, l'exposant de la Bonne Nouvelle se devait d'élucider les points évangéliques répondant aux questions de ceux qui avaient des doutes dans la vie pratique.

C'est ainsi qu'après l'élocution, de nombreux confrères se sont approchés de Nestor, sollicitant son humble avis fraternel.

- Mon ami - demanda l'un des connaisseurs présents -, comment expliquer la différence, bien que sensible, qui existe entre les évangiles de Matthieu et ceux de Jean, ou entre les narrations de Luc et les épîtres de Paul ? N'ont-ils pas tous été apôtres de l'enseignement chrétien et inspiré par le Saint-Esprit ?

- Oui - répondit l'interpellé -, mais nous devons reconnaître qu'à chaque travailleur Jésus a donné une tâche. Si Luc et Matthieu nous ont montré le berger d'Israël rassemblant les moutons égarés de la bergerie de la vérité et de la vie, Paul et Jean nous ont révélé le Christ divin, Fils du Dieu vivant, dans sa sublime mission universaliste à rédimer le monde.

- Nestor - demanda un autre peu soucieux de trouver la paix intérieure par la méditation et par l'étude -, qu'adviendra-t-il de moi qui suis victime des intrigues et des calomnies de mes voisins ?... Je veux apprendre et progresser dans la foi, mais la provocation de la médisance ne me le permet pas.

- Et comment pourras-tu aller vers Jésus tout en étant prisonnier de l'opinion du monde ?! - demanda plein d'attention l'affranchi d'Helvidius. - La science du bien-être n'est pas seulement dans l'art de ne pas déranger avec nos pensées et nos actes tout un chacun, mais aussi à faire en sorte que les autres ne s'intéressent pas constamment à notre vie personnelle.

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- Maître - s'exclama alors une femme au visage âgé et triste, s'adressant à l'ancien esclave -, mes souffrances me submergent !... Priez pour moi pour que Jésus réponde à mes suppliques!...

- Ma sœur - lui répondit Nestor légèrement véhément -, as-tu oublié que Jésus nous a recommandé de ne jamais nous appeler « maîtres » entre nous ? Je ne suis que l'humble serf de ses serviteurs, indigne d'agiter la poussière des sandales de l'unique et divin Maître. Ne vous laissez pas aller aux tristesses et aux lamentations, parce qu'en ce qui concerne la foi, il n'y a que vous pour donner à Jésus le témoignage de votre amour et de votre confiance. De plus, il convient de rappeler que la terre n'est pas le paradis, nous devons rester attentifs à la recommandation du Messie qui dit que pour atteindre le bonheur céleste, il faut prendre notre croix avec humilité et le suivre.

À cet instant, son regard perça la foule des croyants autour de lui et il reconnut Célia et Tullia qui approchaient courtoisement. Surpris, le libéré les saluées alors que la jeune fille lui adressait des paroles pleines de joie et de sympathie.

- Nestor - s'exclama Célia radieuse - pourquoi ne m'as-tu jamais parlé de tes convictions, de ta foi ?

- Mon enfant, malgré ma ferveur chrétienne, je ne pouvais mépriser les principes de la famille qui m'a accordé la liberté.

Ils étaient heureux et joyeux de se retrouver dans la même foi, éprouvant la satisfaction d'une mutuelle communion, quand une surprise encore plus grande vint les bouleverser.

À l'aube à peine naissante alors que la majorité des compagnons se mettait en route sur le chemin du retour en ville, ils virent surgir des différents groupes un jeune homme fort et d'allure sympathique, qui se dirigeait vers la tribune avec dans les yeux un regard fulgurant plein d'anxiété et de joie. Les bras grands ouverts, il s'est approché de Nestor et de Célia, quand l'affranchi et la jeune patricienne en même temps s'exclamèrent d'une seule voix, pris d'émotion et d'une profonde joie :

-Cirus !... Cirus !...

- Mon père ! Célia !

Et le jeune homme les a presque réunis dans une même étreinte d'amour et de bonheur.

Tullia Cevina regardait cette scène émouvante, stupéfaite. Alba Lucinie lui avait déjà parlé du drame intime de sa fille et la femme de Maximin avait du mal à admettre les circonstances qui avaient conduit la jeune fille à cette rencontre aux conséquences imprévisibles.

L'absence de Polycarpe qui l'empêchait de demander une prière pour le bonheur domestique de son amie conformément à sa foi ; le fait d'avoir été aperçue avec Nestor quand elle aurait préféré garder le secret de sa présence en ces lieux et la rencontre inattendue de Cirus, tous ces événements la contrariaient beaucoup. Mais Célia, rayonnante, ne pouvant traduire sa joie à l'idée que Nestor était le père de son fiancé spirituel, lui a présenté le jeune homme que la patricienne fut obligée de saluer poliment, en vertu des circonstances.

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Les yeux remplis de larmes, l'ex-captif étreignait son fils et envoyait à Jésus sa plus profonde reconnaissance, manifestant sa réelle surprise en apprenant que son fils aussi avait été affranchi par HeMdius Lucius augmentant ainsi sa gratitude pour ses libérateurs.

Et pendant que tout le monde se retirait, le groupe parlait avec un intérêt grandissant.

Répondant à une question de Célia, le jeune homme expliqua qu'au port de Césarée, il avait été livré au commandant Vettius Quint qui était un ami personnel d'Helvidius et qui avait insisté pour lui laisser sa liberté, le conduisant sur les côtes de Campanie, avec beaucoup de gentillesse. De là, un bateau l'avait transporté jusqu'à Ostie parmi le personnel de l'équipage et il décida de rester à Rome, dans l'espoir d'obtenir des nouvelles de son père ou de celle qui remplissait son cœur de souvenirs affectueux et éternels.

Célia souriait, contente, se sentant, dans ce cimetière solitaire et triste, la plus heureuse des créatures.

Mais le clair de lune avait déjà disparu. À peine quelques étoiles sous la voûte obscure du firmament brillaient de scintillements plus intenses, préludant la clarté de l'aube.

Tullia Cevina s'est alors souvenue qu'il valait mieux qu'elles repartent le plus vite possible.

Nestor ressentait un immense désir d'entendre son fils lui raconter les événements encourus dans le passé et d'en découvrir les moindres détails depuis leur séparation si pénible et si longue, mais remarquant son intimité avec la jeune patricienne, il s'abstint de tous commentaires, restant calmement à attendre, car il devinait la romance amoureuse de ces deux créatures à peine sorties de l'adolescence. L'ex-esclave gardait une attitude réservée et, pendant que Tullia Cevina se montrait inquiète, les deux jeunes gens parlaient en chemin de leurs souvenirs ou de leurs espoirs en Jésus, à la douce clarté des étoiles qui palissait dans le firmament.

Se mêlant aux autres sur le chemin du retour, ils marchaient maintenant avec les paysans insouciants et joyeux qui se dirigeaient vers la ville aux premières heures de l'aube, emportant les produits de leur champ qu'ils allaient vendre à la foire. Cependant, dans le groupe de nos personnages, personne ne remarqua que deux ombres les suivaient de près avec beaucoup d'attention, bien que méconnaissables en raison des capuches qui couvraient leur visage.

Nestor et Cirus accompagnèrent les deux patriciennes à proximité de la résidence d'Helvidius Lucius où Tullia Cevina est allée se reposer en fonction des circonstances et conformément au plan préétabli, alors que le père et son fils repartaient par le même chemin, jusqu'à ce qu'ils rejoignent aux alentours de la porte Salarienne l'appartement de Nestor où ils se sont reposés.

C'est alors que Nestor, n'ayant pas sommeil, vu les émotions vécues pendant la nuit, a écouté le récit de son fils jusqu'au lever du soleil, prenant conscience qu'une nouvelle phase de sacrifices lui serait imposée par les circonstances qui étaient en jeu.

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Le soleil répandait déjà ses rayons d'or de toute part quand le libéré d'Helvidius, quelque peu fatigué, malgré la joie qu'il ressentait à revoir son cher fils, lui dit en l'étreignant avec tendresse :

- Mon fils, je remercie le Seigneur pour la joie de te retrouver libre, saint et sauf, la pensée illuminée par nos profonds espoirs en Jésus-Christ, mais je crains pour toi, désormais, comme un père tendre et aimant.

Je crois que, malgré la foi que tu me témoignes, tu n'as pas su dominer ce cœur jeune et idéaliste au moment opportun, mais puisque tu comprends la vie telle que tu l'entends maintenant, tu es apte à reconnaître l'inutilité de toute fantaisie concernant les bonheurs transitoires en ce monde !...

D'autre part, je loue ta conduite honnête et je me réjouis de tes efforts dans la sanctification de ton affection.

Je suis d'avis que maintenant nous serons appelés aux plus pénibles témoignages de courage moral puisque la famille de Célia ne pourrait jamais tolérer quelque prétention venant de toi...

Mais, repose-toi mon fils ! Tu as besoin d'énergie et de repos ! Quant à moi, je ne pourrai dormir maintenant... J'en profiterai pour aller au Vélabre où je suivrai tes informations afin de rapporter les objets qui t'appartiennent et, en même temps, j'informerai le censeur Fabien Corneille que je ne pourrai travailler aujourd'hui.

Et soulignant ses paroles avec un sourire de satisfaction, il conclut :

- Désormais, nous serons toujours ensemble pour effectuer la même tâche et nous resterons ici tant que Jésus nous le permettra.

En guise de réponse, Cirus baisa ses mains avec émotion.

Avant de se diriger vers le Vélabre qui était l'un des quartiers les plus pauvres et les plus populaires de Rome, l'affranchi est allé à la préfecture des prétoriens, pour parler au licteur Domitien Fulvius, une personne de confiance parmi ses chefs, pour lui demander d'informer le censeur de son empêchement ce jour-là et s'occupa le plus rapidement possible de transporter les affaires de son fils chez lui.

Il sentait son cœur inquiet et affligé en raison des événements, néanmoins, il se reposait sur sa foi avant tout, suppliant Jésus de lui accorder la juste inspiration pour résoudre tous les problèmes.

Quant à Tullia Cevina, un peu déçue, elle informa son amie dans la matinée des singuliers faits qui s'étaient produits. Alba Lucinie l'écouta, assez surprise, sentant son cœur s'emplir de sombres présomptions. Elle fit appeler sa fille dans son cabinet de repos, mais remarquant sa sérénité et recevant sa promesse de bien respecter les recommandations de son père, elle chercha à se calmer afin de minimiser ses propres peines.

En arrivant dans son cabinet de bon matin, Fabien Corneille reçut la visite de Pausanias qui, à Rome, encadrait le personnel des serviteurs de la maison de son gendre et qui avait demandé à lui parler avec insistance, après s'être introduit avec respect :

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- Illustre Censeur, obéissant aux desseins sacrés des dieux, je viens ici vous informer que des événements graves se sont produits cette nuit.

- Mais, comment cela de graves événements ? - a demandé le beau-père d'Helvidius, visiblement impressionné.

Pausanias lui a alors raconté tout ce qui s'était passé. Vu son zèle assidu pour tout ce qui touchait au nom et à la position de son maître et tout en saturant ses affirmations d'expressions flatteuses ou exagérées pour mieux marquer son autorité et son prestige, il assura avoir suivi les deux dames.

- Mais alors Nestor est chrétien ? - a interrogé le censeur, admiratif. - J'ai du mal à le croire.

- Seigneur, par la grâce de Jupiter, je vous affirme la vérité ! a répondu Pausanias prenant une attitude humble face au plus puissant.

- Helvidius a agi avec précipitation - dit l'orgueilleux patricien comme s'il se parlait à lui-même - en accordant à un tel homme de si grandes responsabilités dans le cadre de nos activités ; néanmoins, je prendrai dès aujourd'hui toutes les dispositions que le cas exige et je te remercie de tes bons services.

Pausanias se retira, alors que Fabien Corneille qui n'ignorait pas non plus la romance de Cirus et de sa petite-fille, se prit de colère pour les deux ex-esclaves qui venaient perturber sa paix domestique.

Considérant l'absence de son gendre qui était toujours à Tibur, il prit toutes les mesures qu'il jugea indispensables, sans vaciller dans l'accomplissement de ses décisions sur le sujet.

Dans les premières heures de l'après-midi, obéissant aux ordres émanant de la justice impériale, un détachement de prétoriens arrivait à l'habitation collective où étaient logés le père et son fils.

Lorsqu'ils furent appelés, les deux affranchis ont compris la gravité de la situation en déduisant que quelqu'un les avait dénoncés et trahis. Ils se sont étreints dans une prière mutuelle comme s'ils désiraient renouveler leurs vœux de confiance et de foi en la providence divine, se promettant l'un à l'autre le maximum de courage et de résignation face aux luttes angoissantes qu'ils pouvaient entrevoir.

En présence des soldats, Nestor a demandé avec sérénité au licteur qui les commandait:

- Que me veux-tu, Pomponius ?

- Nestor - rétorqua le chef du détachement qui le connaissait personnellement et qui était son ami -, je viens de la part du censeur Fabien Corneille qui a fait ordonner que l'on t'emprisonne, ainsi que ton fils, nous recommandant le plus grand soin pour que vous ne vous enfuyiez pas.

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Puis déroulant un parchemin, il leur a montré l'ordre écrit de sa main, ce à quoi l'affranchi a déclaré :

- Aurais-tu supposé par hasard que nous te résisterions ? Garde cet ordre et ne t'inquiète pas de ton épée, car la meilleure arme qui soit, n'est pas celle de celui qui commande, mais de celui qui obéit.

Une fois cela dit, les prisonniers se sont postés devant les soldats et partirent en direction de la préfecture où le censeur voulut à tout prix interroger en privé celui qui l'avait assisté dans sa charge.

Séparé de Cirus qui fut placé dans une antichambre sous la surveillance de prétoriens, Nestor fut conduit dans une grande pièce où quelques minutes plus tard, arrivait le vieux Romain, exprimant un regard de colère offensé dans sa dignité.

- Nestor - s'exclama-t-il rudement -, j'ai été informé des graves événements encourus cette nuit. Je ne peux comprendre la situation sans t'entendre de vive voix et ne pas utiliser négativement les dénonciations qui m'ont été rapportées.

- Interrogez-moi Seigneur - lui dit l'ex-captif avec une respectueuse tranquillité dans la voix -, et je vous répondrai avec la plus grande sincérité.

- Tu es chrétien ? - demanda le censeur avec un profond intérêt.

- Oui, par la grâce de Dieu.

- Quelle absurdité ! - a répondu Fabien Corneille scandalisé. - Et pourquoi nous as-tu trompés de cette manière ? Tu considères qu'il est raisonnable de se moquer de la considération que nous t'avons dispensée ? C'est ainsi que tu rends l'estime et la confiance que nous t'avons témoignées ?

- Seigneur - réagit l'ex-captif peiné -, j'ai toujours eu une attitude de grand respect face aux positions et aux croyances d'autrui ; quant au fait de vous avoir trompé, je demande la permission que vous expliquiez davantage vos affirmations, puisque personne, jusqu'à ce jour et dans cette maison, n'a exigé de déclaration concernant mes convictions religieuses.

Fabien Corneille perçut la sérénité intérieure qui animait l'homme qu'il avait devant lui et se dit qu'il était inutile de faire appel à telle ou telle circonstance pour qu'il renie ses convictions afin de trouver une solution à la situation délicate qui surgissait entre eux, il le regarda alors de haut en bas fièrement et scanda avec énergie :

- Je considère que tes affirmations sont des affronts à mon autorité, d'autant que je perçois par la même occasion toute ton ingratitude pour ceux qui t'ont tendu leur main bienfaitrice et amicale.

- Mais Seigneur, serait-ce une insulte, par hasard, que de dire la vérité ? a demandé Nestor désireux de se faire comprendre.

- Et sais-tu la punition qui t'attend ? - a répondu le vieux censeur avec mauvaise humeur.

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- Je ne peux craindre les punitions du corps en ayant la conscience tranquille et éclairée.

- C'en est trop ! Tes propos seront toujours ceux d'un esclave intraitable et odieux !...

Cela suffit ! J'informerai Helvidius de ton détestable comportement.

Il appela Pomponius Gratus pour entendre ses déclarations et tandis que Nestor était obligé de déclarer sa condition d'adepte et de propagandiste du christianisme, réaffirmant être le père de Cirus et fournissant d'autres informations, de sorte à satisfaire les autorités en exposant ses antécédents, le fier patricien s'est retiré de la pièce foulant le sol lourdement.

- Nestor - s'exclama Pomponius Gratus, prenant des airs d'importance en sa capacité d'enquêteur dans le cas présent -, tu n'ignores pas que tes affirmations forgeront les bases d'un procès dont le résultat sera ta propre condamnation. Tu sais que l'Empereur est juste et magnanime pour tous ceux qui se repentissent à temps d'une attitude déraisonnée et malheureuse comme la tienne. Pourquoi ne renonces-tu pas, maintenant, à de telles sorcelleries ?

- Nier ma foi chrétienne serait trahir ma propre conscience - répliqua l'affranchi calmement.

- D'ailleurs, je n'ai rien fait qui puisse m'induire au repentir.

- Mais tu n'étais pas un esclave ? Si tu viens d'une condition pénible et misérable, pourquoi ne pas transiger avec tes idées personnelles en signe de gratitude envers ceux qui t'ont donné l'indépendance ?

- En captivité, je n'ai jamais cessé de cultiver la vérité comme étant la meilleure manière d'honorer mes maîtres ; mais même ainsi, j'ai toujours eu un autre joug, doux et léger qui est celui de Jésus. Et maintenant, je crois que le Divin Seigneur me convoque au témoignage de la foi!...

- Tu creuses l'abîme de tes maux avec tes propres mains - lui dit le licteur avec indifférence.

Et avec beaucoup d'intérêt, appuyant ses paroles, il ajouta :

- Maintenant, il est nécessaire que tu nous dises où se réunissent ces assemblées pour que les autorités poursuivent leur campagne et purgent la ville des éléments les plus dangereux.

- Pomponius Gratus - répliqua Nestor hautement -, je ne peux répondre à cela car le véritable adepte de Jésus ne connaît pas la délation, ni ne fuit les responsabilités de sa foi en accusant ses frères.

Le licteur s'est alors irrité, répondant âprement :

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- Et tu ne crains pas les punitions qui te forceront à le faire en temps opportun ?

- Aucunement. Appelés au témoignage de Jésus-Christ, nous ne pouvons craindre les usages mondains.

Pomponius esquissa alors un geste expressif comme s'il venait de se rappeler d'une nouvelle possibilité, et lui fit remarquer :

- D'ailleurs, nous avons d'autres sources pour trouver ces stupides conspirateurs.

Nous entendrons, aujourd'hui encore et ici-même, ceux qui nous ont transmis les informations à ton sujet.

- Oui - a répliqué le libéré sans s'altérer -, ceux-là pourront mieux éclairer la justice de l'Empire.

Puis, un groupe de soldats armés est sorti de la préfecture escortant les deux accusés jusqu'à la prison Mamertine où ils ont été jetés dans l'un des cachots les plus humides.

Mais les nouvelles informations transmises par Pausanias ne suffirent pas au licteur Pomponius Gratus qui, avec l'autorisation du censeur Fabien Corneille, l'avait convoqué pour avancer dans ses recherches.

Ce même jour une ombre pénétrait dans la résidence de Lolius Urbicus, à la tombée de la nuit, pour faire une dénonciation identique.

C'était Hatéria, qui, indépendamment de Pausanias, était aussi allée aux catacombes, accomplissant ses odieuses activités, mettant en jeu son habileté et son astuce pour tenir

Claudia Sabine informée de tout ce qui se passait.

C'est ainsi qu'avant de retourner à Tibur, après une semaine de repos chez elle, l'ex-plébéienne a averti Bibulus Quint des rassemblements de chrétiens au-delà de la porte Nomentane, lui dépeignant les séditieux tableaux, de sorte à exacerber la crainte des conspirations qui caractérisait les administrateurs politiques de l'époque.

De nombreux détachements de prétoriens ont comparu au cimetière abandonné lors de la prochaine réunion.

Des centaines d'emprisonnements ont été effectués.

Les sombres geôles du Capitule et les prisons de l'Esquilin étaient pleines et le plus grave était que, parmi les prisonniers, figuraient des personnes de toutes les classes sociales.

Irrité, l'Empereur fit ordonner que l'on instaure des procès individuels afin de mesurer toutes les responsabilités respectives, désignant plusieurs dignitaires de la cour pour les besoins de l'enquête.

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Aelius Hadrien n'a jamais procédé comme Néron qui ordonnait l'extermination systématique des chrétiens sans cogiter de la faute de chaque individu en conformité avec les dispositifs légaux, comme l'évolution juridique de l'État romain ; mais lui non plus n'a jamais pardonné les adeptes du Christ qui avaient le courage moral de ne pas trahir leur foi, face à son autorité ou à celle de ses préposés.

L'enquête a commencé terrible et funeste.

Des familles désespérées de douleur étaient jetées en prison implorant la miséricorde de leurs bourreaux.

Tous ceux qui abjuraient de leur croyance en Jésus devant l'image de Jupiter capitolin, lui jurant une éternelle fidélité, pouvaient retourner librement à leur foyer, retrouvant leur liberté et leur droit à la vie ; ceux qui ne se prosternaient pas devant l'idole romaine, se maintenant inébranlable dans leur foi chrétienne, pouvaient compter sur la torture, voire la mort.

Sur plus de trois cent créatures, seulement trente cinq réaffirmèrent leur foi en Jésus-Christ avec sincérité et une ferveur irréductible.

Pour ceux-là, les portes de la prison se sont refermées sans miséricorde et sans espoir. Parmi les condamnés, se trouvaient Nestor et son fils qui, fidèles à Jésus, se reposaient sur leurs idées miséricordieuses, convaincus que tout sacrifice pour leur cause, était une porte ouverte à la lumière et à la liberté.

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VI

UNE VISITE EN PRISON

La nouvelle concernant ces événements arriva bientôt à la résidence d'Helvidius Lucius, occasionnant les plus tristes inquiétudes et les plus angoissantes perspectives.

Malgré la foi qui fortifiait son cœur, la jeune Célia s'est sentie prise d'une profonde désolation et sa seule consolation était d'entendre son grand-père paternel, qui, à cette époque, lisait déjà avec intérêt les Évangiles et les Épîtres de Paul, abritant en son for intérieur la même foi qui illuminait déjà tant de héros et de martyrs.

Tous deux passaient des heures à échanger de tendres confidences assis à la terrasse de son palais sur la colline de l'Aventin, à observer le long cours d'eau clair du Tibre ou absorbés à contempler le ciel. Faisant appel à son expérience, le vénérable Cneius Lucius consolait sa petite-fille abattue. Ils citaient maintenant les mêmes textes évangéliques, manifestaient de concert des impressions analogues.

Quant à Alba Lucinie, après avoir entendu les réprobations les plus énergiques de la part de son vieux père concernant les dénonciations de Pausanias, elle se sentait grandement réconfortée depuis qu'elle avait la certitude que son mari reviendrait prochainement et définitivement au foyer, obéissant à des ordres inopinés du gouvernement impérial.

La pauvre femme attribuait cette joie aux prières de Tullia et de sa fille, remerciant le nouveau dieu au plus profond de son âme puisque le retour d'Helvidius était un baume pour son cœur tourmenté.

Et de fait, quelques jours plus tard, le tribun regagnait ses pénates avec un soupir de satisfaction et de soulagement, après avoir accompli toutes les obligations qui le retenaient sur le site de prédilection de César.

Informé des événements concernant Nestor et de son attitude, le patricien fut péniblement surpris, désireux qu'il était de tirer l'ex-captif de la situation délicate où il se

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trouvait ; mais dès qu'il sut que c'était aussi le père de Cirus qui avait ressurgi à Rome aggravant ses préoccupations morales, Helvidius Lucius fit un geste d'étonnement et d'incrédulité. Cependant, il écouta jusqu'au bout le récit de son beau-père, profondément contrarié par la conduite de sa femme qui avait permis que sa fille comparaisse à une réunion condamnable, à son avis.

Alba Lucinie, à son tour, sut respecter tous les reproches avec l'humilité nécessaire à l'harmonie domestique et, loin de le tourmenter davantage avec des lamentations, elle fit taire ses propres peines lui cachant l'attitude odieuse de Lolius Urbicus, ainsi que ses craintes concernant Claudia Sabine face aux confidences de Tullia qui avaient vivement blessé son cœur. La noble femme, dotée de capacités élevées de dévouement pour son foyer et de réflexion devant les problèmes de la vie en général, opéra de vrais miracles d'affection et de dévouement pour que son cher mari retrouve toute sa tranquillité.

Le lendemain à son retour, HeMdius Lucius prit toutes les mesures requises pour voir Nestor à la prison Mamertine.

L'apparition de Cirus dans la capitale de l'Empire était pour lui un fait invraisemblable. Il ne pouvait croire que l'affranchi qui avait toute sa confiance et dont le comportement avait su conquérir son affection, pouvait être le père d'un homme que son cœur détestait. Il voulait, ainsi, se certifier de la véracité des événements par lui-même. De plus, si les faits s'avéraient faux, il engagerait tout son prestige personnel auprès de l'Empereur, afin d'éviter le martyre et la mort du prisonnier.

La réalité, néanmoins, viendrait contrarier ce projet sans le moindre appel.

Une fois arrivé à la prison, il réussit à obtenir de Sixtus Plocius, l'officier qui veillait sur l'établissement, une autorisation inconditionnelle de sorte à s'entretenir avec le prisonnier comme il l'entendait.

Peu après, il arpentait les couloirs et descendait des escaliers souterrains, longeant des cellules immondes où la lumière de toute évidence perçait à peine et manquait terriblement, mais il ne tarda pas à trouver Nestor en compagnie de son fils. Tous deux étaient maigres, défigurés, au point que le patricien, fusse en raison de l'abattement physique du jeune homme ou de l'obscurité dans laquelle ils étaient, d'emblée n'a pas reconnu Cirus et en ces termes qui l'ont profondément ému, il s'est adressé au libéré :

- Nestor, je connais les raisons pour lesquelles on t'a amené en prison et je n'ai pas hésité à venir jusqu'ici t'entendre personnellement, telle fut la surprise que le récit des faits exposés m'a causée !

Ces paroles furent prononcées sur un ton de sensibilité et de sympathie blessée que l'ex-esclave reçut comme une douce consolation à son cœur.

- Maître - a-t-il répondu respectueusement - du plus profond de mon âme, je vous remercie de votre généreuse impulsion... Dans ces cachots gisent aussi des fous et des lépreux, et pourtant, vous n'avez pas hésité à apporter à votre misérable esclave votre parole d'exhortation et de réconfort !...

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- Nestor - a continué Helvidius avec un généreux respect -, mon beau-père m'a rapporté certains faits à ton sujet que j'ai du mal à croire, malgré son honorabilité d'homme public et son intérêt paternel envers moi.

A cet instant, père et fils regardaient inquiets celui dont dépendait peut-être leur liberté, alors que Cirus reculait dans un coin de la cellule, craignant l'attitude d'anxiété soupçonneuse avec laquelle Helvidius Lucius l'observait.

Le tribun a continué :

- Je n'ai pu accepter dans son intégralité ce qui m'a été dit et je suis venu m'en assurer par moi-même à travers tes propres propos.

Et accentuant ces mots, il lui a soudainement demandé :

- Es-tu donc chrétien ?

- Oui, Maître - a murmuré l'interpellé, comme s'il répondait contraint face à la si grande générosité qui lui était témoignée. - J'ai promis à Jésus, au plus profond de ma conscience, que je ne renierai ma foi à aucun moment.

Le tribun a frotté son visage d'un geste qui lui était caractéristique et contrarié il ajouta sur un ton affligé :

- Je n'aurais jamais imaginé que j'avais placé un chrétien au sein de mon foyer et je suis venu jusqu'ici sincèrement désireux de plaider pour ta liberté.

- Je vous remercie, Maître, de tout cœur et jamais je n'oublierai votre intervention - ajouta

Nestor avec une douloureuse sérénité.

- M'intéressant à ton sort - a continué Helvidius gêné -, je suis allé voir le sénateur Quirinus Brutus, chargé par l'autorité impériale de l'instruction de la procédure concernant les agitateurs chrétiens, et j'ai appris, hier encore, que treize des impliqués ont reçu le jugement de bannissement perpétuel et vingt deux seront condamnés à mort sous la torture.

Malgré leur ferveur religieuse, les deux prisonniers sont devenus livides.

Helvidius Lucius, quant à lui, restait imperturbable.

- Parmi ces derniers, j'ai vu ton nom et celui d'un jeune homme qu'ils m'ont dit être ton fils. Que me dis-tu de cela ? Ne désirerais-tu pas, par hasard, abjurer une foi qui ne t'apportera que la mort infamante par les supplices les plus atroces ? Et celui qui t'accompagne, serait-il effectivement ton fils ? Dis quelque chose qui clarifierait la situation ou me fournisse des éléments pour une juste défense...

- Maître - se défendit l'affranchi invoquant toutes ses énergies pour ne pas faiblir dans son témoignage -, ma gratitude pour votre généreux intérêt sera éternelle ! Vos paroles émeuvent toutes les fibres de mon cœur !... À vous entendre, je sens que je devrais suivre vos

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pas avec humilité et soumission par tous les chemins ; mais c'est aussi par amour pour ma foi que je ne peux céder à ma tentation de liberté !... Jésus exerce en moi un joug doux et divin... Bien que vous aimant, Maître, je ne peux trahir Jésus face aux circonstances actuelles de ma vie... Si le Maître de Nazaré s'est laissé immoler sur la croix, pur et innocent qu'il était, pour la rédemption de tous les pécheurs de ce monde, pourquoi serais-je épargné du sacrifice quand je me sens rempli de la boue du péché ? Jamais je ne pourrai, en toute conscience, abjurer une foi qui a été la lumière de mon âme pendant toute ma vie !... La mort ne m'intimide pas car au-delà du martyre et de la tombe, une aube immortelle resplendit pour notre esprit !

Helvidius Lucius écoutait surpris cette démonstration d'espoir en une vie spirituelle que sa mentalité était loin de comprendre, alors que Nestor continuait à parler, posant alors sur le jeune homme qui l'accompagnait, ses yeux humides et tendres :

- Néanmoins, Maître, je suis père et, en tant que père, je suis encore très humain ! Ne vous intéressez pas à moi, raté et malade que je suis, pour qui la condamnation à mort pour la cause de Jésus doit représenter une bénédiction divine !... Mais, si cela vous est possible, sauvez mon fils, de sorte à ce qu'il vive pour vous servir !...

Cirus accompagnait l'attitude paternelle avec le même esprit de ferveur et de détermination, désireux de protester contre cette prière, démontrant aussi préférer le sacrifice ; mais le libéré continuait entre les larmes mal contenues, s'adressant au tribun qui l'écoutait éminemment impressionné :

- Sachez, Maître que je suis au courant du passé amer et pénible et je lamente beaucoup l'attitude de mon fils dans votre maison d'Antipatris !... Je vous demande pardon pour les tourments causés par sa jeunesse !... Mon pauvre Cirus a obéi à l'impulsion du cœur, sans écouter la raison qui aurait dû le conseiller, mais dans la désolation de ces sombres cachots, il a donné sa parole, s'il retrouvait la liberté, de ne jamais plus lever les yeux sur l'enfant adorable qui est un archange du ciel au sein de votre foyer... Si vous l'exigez, Maître, Cirus quittera Rome pour toujours, de sorte à ne jamais plus déranger votre bonheur domestique !...

Mais l'expression d'Helvidius Lucius se durcit comme s'il avait pris une décision implacable.

De la générosité la plus pure, il était passé au refus le plus violent en présence de son ex-captif d'Antipatris dont il ne pourrait jamais tolérer les principes.

- Nestor - s'exclama-t-il sur un ton presque rude -, tu sais toute l'affection que je te porte, mais jamais je ne t'aurais supposé chrétien et conspirateur, encore moins aurais-je pu imaginer que tu pouvais engendrer un être comme celui-là. Comme tu le vois, je ne peux intervenir en faveur de vous deux... Certains arbres meurent, parfois, de la pourriture de leurs propres branches !... Je suis venu ici pour t'aider, mais je trouve une réalité qui m'est intolérable. Aussi, préférerai-je vous oublier le plus vite possible.

- Maître... - murmura encore l'affranchi comme s'il désirait retenir son amitié en lui demandant pardon et mourir avec la certitude que le tribun avait sincèrement reconnu ses remerciements.

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Mais Helvidius Lucius lança à tous deux un regard affecté et ajustant sa toge pour se retirer immédiatement, il s'est exclamé impulsivement :

- C'est impossible !

Une fois cela dit, il tourna le dos aux prisonniers et appelant les deux gardes qui l'accompagnaient, il s'est retiré de façon précipitée, alors que les deux condamnés gardaient leur regard fixé à sa silhouette ferme et austère et tendaient l'oreille pour écouter le bruit de ses pas qui s'éloignaient sur les dalles de la prison, comme s'ils percevaient, pour la dernière fois, l'espoir qui pourrait les reconduire à la liberté.

Nestor étouffait, mais le flot de ses larmes débordait de ses yeux pour atténuer sa douleur, alors que Cirus se jetait à ses pieds, lui baisant les mains, il murmura :

- Mon père ! Mon père!...

Tous deux auraient voulu retourner voir l'éblouissant soleil de la vie, sentir les émotions de la nature, mais l'ambiance étouffée de la prison les asphyxiait.

Toutefois, le lendemain après-midi, Sixtus Plocius, recevait l'ordre de la justice impériale de séparer les treize prisonniers destinés à l'exil perpétuel, réunissant les autres dans une cellule moins triste et plus spacieuse.

Les deux affranchis ont été retirés du cachot où ils se trouvaient et ont été transportés auprès des autres condamnés.

Leur nouvelle cellule se trouvait aussi dans la partie souterraine, mais sur l'un des murs on pouvait voir le ciel à travers des barreaux renforcés.

Le crépuscule venu déversant sur la ville ses encres merveilleuses, tous ces cœurs tourmentés contemplaient les maisons à l'horizon, pris d'une joie infinie.

Au loin, au firmament, les premières étoiles s'allumaient sous la voûte toute bleue !...

Polycarpe, le vénérable prêcheur de la porte Nomentane, transporté de l'Esquilin au Capitole afin de se trouver avec ses compagnons, traça dans l'air une croix de sa main rugueuse et ridée... Alors, tous ses frères de foi, parmi lesquels étaient quelques femmes, se prosternèrent et contemplant le ciel romain beau et constellé, se mirent à chanter des hymnes de dévotion et de joie. Des espoirs versifiés qui devaient monter à Jésus, traduisant l'amour et la confiance de ces cœurs résignés qui vivaient ivres des douces promesses de son Royaume...

Petit à petit, les voix s'élevaient harmonieuses et argentines prononçant des strophes d'hosanna et d'espoir ! Des êtres spirituels, imperceptibles, s'agenouillaient auprès des condamnés et le doux écho des cithares de l'invisible arrivait à leurs oreilles...

Alors, quelques prétoriens qui montaient la garde, entendant leurs cantiques de foi, ont comparé la voix de ces cœurs angoissés à des hoquets de rossignols poignardés en plein clair de lune dans l'immensité de l'espace infini.

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Pendant que les prisonniers attendaient le jour réservé au sacrifice, accompagnons nos personnages dans le déroulement de leur vie quotidienne.

Après une visite à Tibur, Aelius Hadrien voulant se certifier de la précieuse collaboration d'Helvidius Lucius dans ses extravagantes constructions, l'invita à lui rendre visite avec sa famille pour lui témoigner sa reconnaissance.

Le jour dit, à l'exception de Célia qui ne pouvait dissimuler son abattement, comparaissaient au banquet que l'Empereur leur offrait, le tribun et sa famille, accompagnés de Caius Fabrice et de Fabius Corneille.

Hadrien les reçut avec une amabilité extrême, évoquant lors de leurs échanges de l'après-midi les sujets les plus variés concernant la vie sociale et politique de l'Empire.

À un certain moment, après les dégustations habituelles, Hadrien s'est adressé à Helvidius Lucius en ces termes :

- Mon ami, l'objectif principal à cette invitation est de te remercier de ta précieuse collaboration acquise à l'exécution de mes plans dans Tibur. Franchement, tes réalisations ont dépassé mes attentes les plus optimistes !

- Merci, Auguste ! - a répondu le patricien ému et satisfait.

Et comme s'il voulait changer de sujet de conversation, l'Empereur lui demanda avec un vif intérêt :

- Quand réaliseras-tu le mariage de ta fille ? Je prétends faire un long voyage en Grèce avant de me retirer à Tibur de manière définitive, mais je ne souhaiterais pas partir sans assister au bonheur des fiancés.

Désignant Caius qui ressentait la plus grande joie vu l'intérêt impérial porté à sa situation, Helvidius a répliqué :

- Auguste, vous nous honorez beaucoup de votre généreuse attention. Le mariage de ma fille ne dépend que de son fiancé qui se suborne à l'expérience de la vie, avant de répondre à l'appel de l'amour.

- Qu'en est-il, Caius ? - a demandé l'Empereur avec un large sourire. Qu'attends-tu alors ? Si Vénus n'a pas encore frappé fort aux portes de ton âme, tu ne peux entretenir avec des promesses le cœur qui t'attend au printemps de l'amour.

- Vos propos, César - répondit l'interpellé en parfait auguste -, me réconfortent l'esprit comme les rayons du soleil ; cependant, devant remplacer Vénus par Junon dans mon sanctuaire domestique, j'attends l'occasion propice à ma future tranquillité.

Aelius Hadrien fit un geste expressif, fixant son regard énigmatique dans celui d'Helvidius Lucius, il ajouta :

- L'occasion attendue doit être arrivée alors. La sagesse des anciens affirmait que la meilleure façon de parler à des parents est de faire le bien à leurs enfants, raison pour laquelle

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j'ai décidé de prendre soin de la dote de la jeune Helvidia en lui donnant une délicieuse propriété dans les environs de Capoue, au pied du Volturno où le fruit des vignes et des oliviers suffirait à entretenir le bonheur d'une famille pendant cent ans d'existence sans autres inquiétudes d'ordre matériel.

Un souffle de joie a animé tous les visages, se dessinant tout particulièrement sur ceux d'Helvidius Lucius et de sa femme qui se regardèrent heureux pris d'une sincère reconnaissance pour la générosité spontanée de l'Empereur à qui Fabius Corneille s'est adressé avec la plus respectueuse courtoisie, le remerciant au nom de tous de ce cadeau royal.

Caius Fabrice, ne pouvant contenir sa joie, a serré les mains de sa fiancée, s'exclamant:

- Après les paroles de Fabius, nous souhaitons manifester notre reconnaissance à votre magnanimité, Auguste ! Votre pensée exprime la générosité et votre pouvoir sur le monde !... Et puisque la date du mariage dépend de moi, nous la marquerons pour le mois prochain, comme il vous plaira !... Notre unique désir est que vous nous honoriez de votre présence, puisqu'en raison de votre paternelle protection, nous sentons que les dieux nous bénissent et nous guident !...

- Oui - confirma Hadrien en réfléchissant -, le mois prochain, je prétends réaliser mon dernier voyage en Italie et en Grèce. J'ai promis à mes amis d'Athènes que je ne me retirerai pas à Tibur sans leur avoir fait une dernière visite ! Avant de m'absenter, je prétends commémorer l'inauguration des nouveaux édifices de la ville2 avec des fêtes publiques. Nous profiterons, alors, de cette occasion pour que ton bonheur s'accomplisse.

(2) Parmi les nombreuses constructions d'Hadrien réalisées pendant son règne,il y a le célèbre château de Saint-Ange, considéré comme étant des plus modernes pour l'époque. - Note d'Emmanuel.

Alba Lucinie qui avait les yeux larmoyants étreignait sa fille joyeusement et c'est ainsi que se termina le banquet dans une joie parfaite.

Le lendemain, l'Empereur prit toutes les mesures nécessaires pour la donation, et alors qu'Helvidius Lucius et sa famille se préparaient à cet événement familial, Caius Fabrice se dirigea vers l'ancienne « terre de Labour », afin de connaître la région où se trouvait sa future résidence.

Néanmoins, malgré les grandes joies, les graves préoccupations et les grandes douleurs persistaient.

Helvidius et sa femme ne pouvaient s'esquiver de la contrariété qui les martyrisait intimement en voyant Célia qui maigrissait malgré tous les efforts qu'elle même faisait, grâce aux puissantes énergies de sa foi pour ne pas affliger le cœur de ses parents.

Comparant sa fille à une fleur fanée et triste, la haine du tribun à l'encontre des idées chrétiennes ne faisait qu'augmenter, il se souvenait de Cirus avec d'autant plus d'aversion et de rancœur. Le pénible contraste dans la destinée de ses filles était pour lui un sujet de profondes méditations. Il s'intéressait à elles deux avec la même affection ; néanmoins, malgré ses bonnes intentions, la plus jeune semblait lointaine à sa dévotion paternelle. Elle n'appréciait

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pas la fréquentation des milieux en société, ni ne s'intégrait aisément au rythme domestique comme il l'aurait souhaité. Ses yeux n'avaient jamais manifesté d'intérêt pour les fantaisies de la jeunesse et, plongés dans des schismes constants, ils semblaient se fixer dans un ailleurs que son esprit paternel n'avait jamais pu définir exactement. À son avis, elle était victime d'une si grande fragilité, que son zèle de père attribuait à l'influence des principes chrétiens dont elle s'était imprégnée en contact avec les esclaves, là-bas en Palestine... Par bonheur Helvidia serait heureuse et cela, en quelque sorte, le consolait !... Quant à Célia, lui et sa femme plus tard l'emmèneraient en des terres étrangères où sa sensibilité maladive pourrait changer de manière salutaire.

Tandis que le tribun faisait tant d'efforts pour dissimuler de telles conjectures, les joies festives se multipliaient au sein du foyer.

Mais au fur et à mesure qu'augmentaient les espoirs et les joies familiales, Célia remarquait que ses souffrances morales dépassaient ses propres forces.

La nouvelle de la condamnation de Cirus comme conspirateur déchirait son cœur. D'ailleurs, il suffirait d'un seul mot venant de l'Empereur pour que son terrible supplice cesse. Ces perspectives angoissantes annihilaient tous ses espoirs. À ses côtés, le trousseau de sa chère sœur se couvrait de perles et de fleurs ! Elle ne lui enviait pas son bonheur, elle ne désirait que sauver la vie de l'élu de son cœur. Elle priait toujours, mais ses prières étaient contaminées par une détresse bien réelle sans la douce légèreté d'antan qui les faisait monter au ciel.

Maintenant, les vibrations spirituelles étaient mêlées d'anxiétés amères et pénibles !... Elle désirait voir Cirus, entendre sa voix, savoir de sa bouche que son cœur continuait ferme et résigné face à la mort pour que son âme puise dans son courage, mais ne pouvait y penser. Ses parents ne l'approuveraient jamais. Aussi des réflexions éprouvantes envahissaient son esprit, l'affaiblissant.

En quelques jours, son organisme ne se tenait plus debout. C'est ainsi qu'avec tout le bon sens qui caractérisait ses initiatives, Alba Lucinie s'est dit qu'il pourrait lui être bénéfique de la faire transporter à l'Aventin où elle serait bien entourée auprès de son vieux grand-père et de Marcia qui l'adoraient.

Une fois l'idée acceptée, Cneius Lucius vint la chercher personnellement avec toute sa sollicitude paternelle.

Chez lui la jeune fille sortit de cet état fébrile qui la débilitait tant, mais son singulier abattement moral se jouait de tous les soins du vénérable ancien qui inventait mille manières de ramener la joie sur le visage de son adorable petite fille.

Un beau jour, mettant en jeu ses capacités psychologiques pleines de tendresse, il s'est approché de sa petite-fille, s'exclamant avec une profonde bonté :

- Célia, ma chérie, il me peine de te voir ainsi abattue et malade, malgré tous les efforts prodigués par notre amour empressé.

Et comme il voyait des larmes briller au bord de ses yeux, il a poursuivi affectueux :

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- Moi aussi, ma fille, au fond de ma conscience, je suis aujourd'hui un adepte du christianisme avec toute la ferveur de mon esprit ! Je connais l'essence des Évangiles évoqués par les affectueuses suggestions de ton âme candide et généreuse !... Pour moi maintenant, les sacrifices faits à nos vieux dieux silencieux et froids ne servent plus à rien, car seules servent les offrandes de notre propre cœur à celui qui veille sur notre destinée du Haut de son trône ! Mais écoute mon enfant : ne sais-tu pas que Jésus ne veut pas la mort du pécheur ? Ne connais-tu pas cet enseignement plein de vie et de joie ?

Et comme s'il devinait les peines qui lacéraient ce cœur affectueux et croyant, il avait aussi les yeux larmoyants.

Sa petite-fille reçut ses paroles comme s'il s'agissait d'un doux élixir et répondit :

- Oui, je comprends tout cela et je prie Jésus de m'accorder des forces pour trouver à travers votre exemple une raison à ma vie...

Cette réponse cependant fut à demi prononcée, une vague de larmes envahit ses grands yeux calmes comme si elle hésitait à confesser au vénérable vieil homme sa pénible et incessante préoccupation.

Tendrement, Cneius Lucius l'a étreinte alors qu'elle murmurait d'une voix suppliante :

- Grand-père, je promets d'avoir la foi et de surmonter toutes mes souffrances, mais je désirerais voir Cirus avant sa mort.

Le respectable ancien comprit combien il lui serait difficile de satisfaire un tel désir mais il a répondu sans hésiter :

- Tu le verras avec moi demain dans la matinée. J'en parlerai aujourd'hui même à tes parents.

La jeune fille lui a lancé un profond regard d'allégresse où l'on pouvait lire la plus tendre de toutes les joies, mêlée d'amour et de gratitude.

Dans l'après-midi, une litière sortait de l'Aventin, conduisant le vénérable patricien chez son fils qui, aux côtés de son épouse, reçut sa demande avec le plus grand embarras qui transparaissait sur son visage.

Avec sa sensibilité de femme, Alba Lucinie comprit immédiatement que l'accession au désir de sa fille était juste, reconnaissant vouloir accepter cette requête alarmée.

Le tribun quant à lui y était réfractaire et s'il n'opposait pas un refus formel, c'était en raison de l'intercesseur qui était non seulement son père, mais aussi son maître et son meilleur ami.

- Mais, mon père - réagit-il après une longue pause -, cette demande venant de votre bouche me surprend beaucoup. Une telle mesure mise en pratique attirerait sur notre maison et sur nous-mêmes de nombreux commentaires et soupçons. Que diraient les administrateurs de la prison en voyant ma fille s'intéresser à un condamné ?

- Mon fils - a répliqué Cneius Lucius imperturbable -, je comprends que tes scrupules soient justifiés, mais nous devons nous dire que Célia peut empirer et fatalement, si nous lui

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refusons la satisfaction d'un tel désir. En outre, je me propose de l'accompagner moi-même. Quant à notre entrée dans la prison, loin de la curiosité maladive, j'ai déjà pensé au meilleur moyen d'y arriver. J'y emmènerai ma petite-fille en tant que pupille de ma maison, comme si c'était la fille d'un condamné puisque nous savons que les prisonniers ne vont pas mourir comme des chrétiens mais comme des conspirateurs et des révolutionnaires. Avec les privilèges dont je dispose, je pénétrerai dans la prison en sa compagnie, sans la présence importune des fonctionnaires ou des prétoriens, de sorte que je serai l'unique témoin à savoir ce qui se passera entre eux deux !

Helvidius l'écoutait silencieux. Mais le vénérable patricien, sans abandonner ses intentions, lui prit ses mains entre les siennes, murmurant humblement :

- Donne ton accord ! Ne nie pas à ta fille malade la satisfaction d'un désir aussi juste!... De plus, mon fils, souviens-toi qu'il ne s'agit que d'une simple rencontre pour la dernière fois...

L'idée que sa fille allait rendre visite au serviteur haï, et de surcroit avec son approbation, le répugnait ; mais, il y avait une telle tendresse dans les paroles de son père que son cœur a brusquement cédé à cette attitude aimante pleine d'humilité.

Fixant des yeux le généreux vieillard comme s'il n'y consentait que par considération pour celui qui était son père et son plus grand ami, il a murmuré un peu affecté :

- C'est entendu, mon père, que votre volonté soit faite ! Je vous laisse vous occuper de ce cas.

Et laissant entendre que le sujet lui déplaisait, il se mit à parler d'autres choses, emmenant son vieux père à l'intérieur où s'intensifiaient les préparatifs pour les fiançailles d'Helvidia.

Cneius Lucius, qui comprenait l'âme de son fils depuis tout petit, vanta toutes les initiatives prises par son garçon avec bonne humeur et joie, donnant son opinion avec optimisme sur tout ce qu'il entreprenait et se réjouissait également de ses décisions, manifestant sur son visage une satisfaction spontanée et sincère comme si aucune inquiétude ne peuplait son esprit.

Le lendemain dès les premières heures du jour, la litière du vénérable patricien se garait près de la prison Mamertine, pendant que le grand-père et sa petite-fille qui portaient des vêtements très simples dans de grandes tuniques qui dissimulaient même leurs traits, entrèrent dans le funeste édifice. Prétextant que Sixtus Plocius, préalablement informé, avait reçu Cneius Lucius et celle qu'il présentait comme étant la fille adoptive de sa maison, il lui avait donné toute la liberté de s'entretenir avec les prisonniers.

Dans la grande cellule où étaient entassés les vingt deux condamnés, les premiers rayons du soleil pénétraient à l'intérieur telle une bénédiction.

Nestor et Cirus, qui se trouvaient avec les autres, étaient profondément défigurés. L'alimentation déficiente, les perspectives angoissantes, les punitions appliquées dans la prison, tout se conjuguait pour anéantir leurs forces physiques. Néanmoins, dans leur regard serein tous les condamnés avaient un éclair sublimé et brûlant, extériorisant des énergies

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mystérieuses. Ils vivaient de la foi et pour la foi, plaçant tous leurs espoirs en ce royaume divin que Jésus leur avait promis dans chacun de ses enseignements.

Volusius et Lepidus, deux prétoriens qui avaient la confiance des administrateurs de la prison, ont conduit les visiteurs au cachot des condamnés.

Un cri de joie s'est échappé de la poitrine de Cirus en voyant le visage de Célia qui marchait vers lui avec un sourire aimant, bien qu'affligé. Nestor n'aurait pu exprimer la reconnaissance qui inondait son âme, et bien que n'étant pas un compagnon de conviction, Cneius leur tendait ses bras généreux.

Au début, l'émotion et la joie les submergèrent tous ; mais la jeune patricienne, dans une impulsion toute naturelle et très féminine, observant la désolante situation du bien-aimé de son âme, a éclaté en sanglots, alors que son vieux grand-père murmurait avec bienveillance et affection :

- Pleure, ma fille !... les larmes font du bien à ton cœur!...Et avec bonté comme s'il accordait au jeune affranchi la tâche de la consoler, il s'est

éloigné avec Nestor dans un coin de la cellule qui le présenta aux autres condamnés.

Presque à seuls, les deux jeunes gens pouvaient échanger leurs dernières impressions.

- Célia, comment peux-tu te livrer à la souffrance de cette manière ? - lui demanda le jeune homme évoquant toutes ses forces pour faire preuve de courage et de sérénité. - Ne vaut-il pas mieux mourir pour le Maître que nous aimons tant ? Je suis très reconnaissant à Jésus de recevoir ta visite dans cette cellule solitaire et triste. Depuis que j'ai été fait prisonnier, j'ai ardemment supplié que sa miséricorde ne me permette pas de mourir sans t'avoir consolée !...

Cette nuit encore, chérie, j'ai rêvé que j'étais arrivé au Royaume du Seigneur et que je voyais beaucoup de lumière et beaucoup de fleurs... En arrivant aux portes de ce paradis indéfinissable, je me suis souvenu de ton cœur et j'ai senti une profonde nostalgie !... Je voulais te trouver pour pénétrer au ciel avec toi... Sans ta compagnie, les zones de lumière me semblaient moins belles, mais un être divin, de ceux que nous devons appeler des anges de Dieu s'est approché, m'expliquant à ces mots : - Cirus, bientôt tu frapperas à ces portes, libre de tous liens qui te retiennent encore à ton corps périssable ! Manifeste ta gratitude à ce Père de miséricorde qui t'accorde tant de grâces, mais ne pense pas au repos car les luttes ne font que commencer ! Tu devras encore racheter beaucoup de siècles d'erreur et de ténèbres, d'ingratitude et d'impénitence !... Console ton esprit abattu dans la contemplation des paysages sublimes de la création pour que tu puisses aimer la terre avec ses expériences les plus douloureuses qui servent aussi de divin apprentissage à l'école de l'amour de Dieu !...

Alors, chérie, j'ai demandé à cette entité pure et aimante qu'après ma mort, elle m'aide à renaître auprès de toi, que ce soit portant le poids de la responsabilité des richesses terrestres, ou dans la condition de la plus grande misère. Et je sais que Jésus qui est si puissant et si bon, m'accordera cette grâce. Ne pleure plus ! Calme ton cœur dans les promesses divines de l'Évangile !...

Supposons que je vais faire un long voyage imposé par les circonstances... mais, si Dieu le permet, je serai de retour en ce monde au plus vite afin que nous nous retrouvions encore. Comment sera cette nouvelle rencontre ? Peu importe que nous le sachions parce que, de toute façon, nous nous aimerons toujours en esprit, à travers nos réalités immortelles !

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Promets-moi que tu seras joyeuse et forte en attendant mon retour. Ne permets pas que des énergies destructrices souillent ton cœur !...

Tout en présumant que la jeune fille pourrait, plus tard, se fatiguer de sa propre destinée, il a souligné :

- J'ai confiance en toi, j'espère que jamais tu ne renieras la position sociale que le Seigneur t'a accordée. Dans les heures angoissantes de la vie, souviens-toi qu'après l'amour de Dieu, nous devons honorer père et mère par-dessus tout, nous sacrifiant pour eux de toute notre énergie !....

Elle cessa de pleurer, mais une brume de tristesse a envahi ses yeux désenchantés. Elle contemplait son front avec une tendresse que le cœur ne saurait jamais définir. Fiancé ou frère ? Parfois, elle avait l'impression au fond d'elle-même qu'il devrait aussi être son fils. Les âmes jumelées s'aiment pour l'éternité, se confondant dans l'alternative contingente des liens de l'esprit. Ils inhalent un bonheur pur et immortel et ne vivent heureux que quand ils sont intégrés dans l'union éternelle et indissoluble.

Dans la forteresse morale qui occultait ses plus pénibles émotions, le jeune homme continuait :

- Dis-moi, Cêlia, que tu aimeras toujours la vie, que tu auras une très grande foi et que tu m'attendras, pleine de confiance. Je veux affronter le sacrifice avec la certitude que tu continueras, comme toujours, forte dans la lutte et résignée face aux desseins du Créateur!...

- Oui - a-t-elle murmuré avec une étincelle de foi qui brillait dans ses yeux -, pour toi, jamais je ne haïrai la vie ! Par la confiance que j'accorde aux promesses du Christ, je me réjouirai quand tu arriveras... je sentirai à nouveau la douce caresse de ta présence affectueuse, car mon cœur identifiera le tien entre mille créatures, parce que je t'ai aimé comme Jésus nous a enseigné, avec dévouement céleste.

- C'est cela, chérie - murmura le jeune homme rassuré -, c'est toujours comme ça que j'ai idéalisé ton cœur humble et généreux.

- Cirus - a dit la jeune fille candide -, je prie Jésus qu'il nous accorde la foi face aux angoisses de cette heure ! J'attendrai ton retour, pleine de confiance en toi, sachant que tu m'as toujours chérie, tout comme je t'ai aimé !...

Après une pause, les y eux larmoyants, elle a continué émue :

- Tu sais ? Je me rappelle maintenant de notre excursion sur le lac d'Antipatris... T'en rappelles-tu ? J'étais surprise de te voir quand la vague m'a emportée, poussée par le vent... Aujourd'hui, je me demande si je n'aurais pas mieux fait de mourir.

J'apprendrais à aimer Jésus dans un monde qui n'est pas celui-ci, et je t'attendrais dans l'autre vie débordante de mon amour grand et sacré '.... Je sens encore l'émotion de la minute où tu m'as sauvée, me remontant à la surface !...

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- C'est vrai - l'interrompit Cirus faisant son possible pour ne pas trahir l'émotion de ces souvenirs -, mais nous rappelant de tout cela, ne sommes-nous pas portés à croire que Jésus désirait te voir en vie, comme il le désire toujours ? Ce n'est pas moi qui t'ai sauvée, mais le divin Maître qui te voulait sur terre.

- Oui - dit-elle émue -, je continuerai à implorer Jésus de te permettre de revenir, comme promis ! Le monde, Cirus, est toujours un lac agité par le vent des passions, et au fond des eaux, il y a toujours de la vase qui étouffe les plus nobles aspirations de l'esprit. Que la compagnie de Jésus ne me manque pas à l'avenir, car je veux vivre pour le servir à la clarté de ta mémoire que j'honorerai toute ma vie !...

- Célia, ne doute pas du Seigneur et ne doute pas de mon retour. Je penserai toujours à toi, car jamais je ne t'oublierai...

Et pour dissiper la difficile attente de ce moment crucial, il s'est retourné, a relevé un pan du matelas immonde, placé là en guise de lit, d'où il retira un morceau de parchemin qu'il a offert à la jeune fille en ajoutant :

- Avant-hier encore, ici même, nous avons écrit un hymne pour glorifier le Maître le jour du sacrifice. Je me suis souvenu que je devais suggérer cette musique que je t'ai enseignée sous les cèdres de ta maison, et ils ont accepté mon idée. Depuis cet instant, chérie, mon grand tourment fut de trouver un moyen de t'en laisser une copie car j'avais la conviction que Jésus m'accorderait le bonheur de te revoir. Il y a ici un prétorien du nom de Volusius, bienveillant à l'égard du christianisme, et qui m'a donné de quoi écrire ces quelques vers.

Lui remettant le bout de parchemin, il souligna :

- Garde cet hymne qui est mon dernier souvenir avant notre départ ! Nous avons tous collaboré à la réalisation du poème, mais me souvenant de notre éternelle affection, j'y ai inclus quelques rimes où sont exprimés tous mes espoirs. Je te les dédie pour t'assurer de mon dévouement à tout instant !

- Dieu te bénisse et te protège ! - s'exclama la jeune patricienne, gardant le précieux souvenir.

Ils se sont tous deux regardés poussés par la puissante attraction de leurs sentiments purifiés, mais Cneius Lucius, après avoir longuement parlé avec Nestor et ses compagnons, examinant tous les détails de la prison, s'approcha d'eux avec un sourire complaisant.

Connaissant la sensibilité de sa petite-fille, il lui a adressé la parole en ces termes :

- Ma fille, le temps passe, je suis à ta disposition pour repartir quand tu le désireras.

Elle s'est approchée du respectable vieil homme qui était accompagné de l'affranchi de son fils, et posa sur Nestor un regard mélancolique, mais l'ex-captif vint à sa rencontre avec ces mots :

- Célia, ta venue dans cette prison représente pour nous la visite d'un ange. Ne sois pas impressionnée par notre condamnation qui aux yeux de Dieu doit être utile et juste.

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L'inspiration de Paul disait que la mort est notre dernier ennemi. Nous vaincrons, donc, cette nouvelle étape, avec Jésus et pour Jésus. Malgré tout, n'oublie pas que le cadeau de la vie est un bien précieux que le ciel nous confie. Pour l'âme fervente, le plus grand sacrifice n'est pas celui de la mort par le martyre, ou par l'infamante humiliation des hommes, mais bien celui qui se réalise pendant toute la vie par le travail et par l'abnégation sincère, supportant toutes les luttes, renonçant à lui-même pour gagner la vie éternelle dont nous parlait le Seigneur dans ses divines leçons !

Célia sentit que sa foi touchait un degré supérieur grâce à ces exhortations amicales et affectueuses, et se tournant vers Cirus qui, de son regard, semblait lui recommander de suivre ces conseils, elle a répondu émue :

- Oui, je garderai en moi tes paroles avec le respectueux amour d'une fille.À son grand-père, elle a demandé l'autorisation de saluer les deux condamnés, et,

s'approchant du jeune homme qui cachait toute l'émotion éprouvée au fond de son âme, elle a pris ses mains entre les siennes pendant un instant, les baisant légèrement.

- Que Dieu te protège ! - a-t-elle dit à voix basse, presque imperceptible.

Puis, elle s'est approchée de Nestor qui l'a étreinte respectueusement, lui déposant un baisé sur le front.

Les deux condamnés auraient désiré la remercier, mais ne le purent. Une puissante force retenait leur voix. Ils sont restés là immobiles, silencieux, alors que Cneius Lucius, touché par la scène émouvante, se retira avec un léger signe de la main.

Néanmoins, jusqu'au bout, Cirus démontra sur son visage une expression de force avec un sourire affectueux qui consolait profondément l'âme jumelée à la sienne...

Encore un geste d'adieux dans ce silence que des paroles auraient profané, et la porte de la prison a de nouveau grincé de ses charnières sinistres et terribles.

À cet instant, le sourire du jeune homme chrétien a disparu de son visage défiguré. Il s'est dirigé vers les grilles de la prison, s'agrippant aux barreaux comme un oiseau assoiffé de lumière et de liberté. Ses yeux agités balayèrent l'extérieur, cherchant à voir, pour la dernière fois, la litière qui devait reconduire son aimée.

Mais, peu à peu, sa jeunesse inquiète se tourna vers Jésus avec toute la ferveur de ses aspirations passionnées. Il a lâché prise pour finalement s'agenouiller. La lumière du soleil, qui resplendissait maintenant par une belle matinée, baigna sa face et ses cheveux. Il pria, suppliant Jésus de lui donner la force et l'espoir nécessaire. La clarté solaire semblait inonder son front des grâces du ciel, et pourtant laissant tomber sa tête, il a caché son visage dans ses mains amaigries pour pleurer humblement.

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VII

Aux FÊTES D'HADRIEN

Rapidement, Cneius Lucius remarqua que la visite de sa petite-fille aux condamnés avait eu un effet très bénéfique. Malgré son abattement, Célia se montrait courageuse dans sa foi, plus calme et mieux disposée. Toutefois considérant toute la sensibilité de son jeune cœur aimant, son vieux grand-père s'organisa avec ses enfants pour qu'elle reste en sa compagnie jusqu'à ce que les fêtes du mariage d'Helvidia fussent passées.

Entre-temps, nous ne pouvons oublier que l'épouse de Lolius Urbicus, de retour à Rome, allait souvent à Suburra où elle avait de longs entretiens secrets avec la vendeuse de sortilèges qu'elle connaissait.

Sachant qu'Hatéria avait conquis toute l'estime de ses employeurs et rapportait à l'ancienne plébéienne tout ce qui se passait dans la vie intime du couple, pendant des heures, Claudia et Plotina échangeaient des idées en sourdine basées sur des actions criminelles ou élaborant de funestes plans.

La veille du mariage d'Helvidia, nous allons trouver la capitale de l'Empire prise d'une agitation caractéristique aux périodes festives.

Se préparant à son dernier pèlerinage dans l'un des centres les plus anciens du monde, Hadrien désirait offrir aux romains des spectacles inoubliables.

En de telles circonstances, les autorités politiques se rapprochaient du sentiment populaire, le nourrissant d'extravagance et de joie. L'inauguration des nouvelles constructions, les préparatifs du voyage et l'adhésion du peuple au programme officiel justifiaient les plus grands caprices de la magnanimité impériale. De toute part, on pouvait remarquer les frissons des travaux extraordinaires, remplissant la ville d'improvisations transformatrices, la

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construction de nouvelles arcades, de ponts ou d'aqueducs provisoires, de distributions de blé et de vin, d'organisation de cortèges religieux, d'hommages à des temples spéciaux, de loteries populaires et, finalement, de cirques avec leurs formidables nouveautés.

La population attendait toujours de telles manifestations avec une joie ostensible.

Installé au Palatin, Aelius Hadrien voulait distraire les masses romaines en organisant des commémorations de cette nature, poussant les autorités et les induisant à garder confidentiel l'objectif principal de toutes les activités qui étaient son voyage en Grèce dont les grâces avaient déjà conquis sa plus grande sympathie. Le grand Empereur, classé dans l'histoire comme le plus grand bienfaiteur des villes anciennes où s'était érigé le berceau de la culture et de la civilisation, projetait les meilleures constructions pour Athènes, ainsi que l'étude spécialisée des ruines de toute l'Hellade, afin de faire bénéficier le patrimoine grec de toutes ses ressources.

À la veille de ces événements, nous allons retrouver le souverain en privé en compagnie de Claudia Sabine et de Flegon, son secrétaire de confiance. Ils analysent les détails de la croisière que les galères impériales doivent faire sur les eaux méditerranéennes.

Arrivé un moment, Hadrien interpela son secrétaire :

- Senecius, as-tu déjà exécuté mes ordres concernant l'envoi des invitations ?

- Par Jupiter ! - s'exclama Flegon fièrement - jamais je n'oublierais de satisfaire rigoureusement une décision d'Auguste.

- Comme tu vois - dit l'Empereur s'adressant à Claudia -, tout est prêt et en bon état d'avancement. Toutefois, j'ai besoin que quelqu'un m'accompagne, non pas tant pour son sens de l'art ou de la critique, mais pour y effectuer un travail qui répondra à mon souhait de faire transporter à Tibur quelques colonnes célèbres et de magnifiques reliques des ruines de Phocis et de Corinthe.

Je prétends décorer nos bâtiments des trésors du monde antique. Dans ma retraite à Tibur, je ne pourrai m'abstenir des visions du jardin des dieux qui seront à mon âme de précieuses suggestions.

La femme du préfet l'écoutait avec une attention toute particulière et profitant de l'occasion pour réaliser ses projets tout en feignant la plus grande indifférence, elle lui suggéra:

- Divin, le fils de Cneius figure-t-il sur la liste de vos invités ?

- Non. Helvidius Lucius serait un excellent compagnon, mais je me suis abstenu de le déranger, soucieux de sa situation très spéciale d'homme marié et de chef de famille.

- Voyons - a répliqué contrariée l'ancienne plébéienne -, me permettrez-vous d'être en désaccord avec votre façon de penser sur ce sujet. N'ai-je pas moi aussi un foyer qui exige mon dévouement et tous mes soins ? Ne vais-je pas nie séparer de mon mari qui sera retenu ici par les devoirs de sa tâche ? Et pourtant, je nie considère honorée de vous

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accompagner, obéissant au devoir de vous représenter pour nous tous, vous qui êtes notre souverain et notre chef magnanime. Je crois que le gendre de Fabius pensera comme moi, sans émettre la moindre divergence. Dans deux jours, se réalisera les fiançailles de sa fille la plus âgée, sous votre regard clément. Lui qui a reçu tant de faveurs de vos mains généreuses, pourrait-il dédaigner de vous être utile en quoi que ce soit ?

Après une pause pendant laquelle ses yeux fixèrent profondément l'Empereur afin d'arriver à ce que ses paroles fassent tout leur effet, elle a continué :

- Connaissant personnellement les œuvres de Tibur qui séduisent tant l'engouement artistique, je pense que seul un esthète comme Helvidius pourrait opérer le miracle de choisir le précieux matériel et veiller à son transfert pour Tibur. De plus, Divin, je crois que ce voyage, pour lequel nous serons absents de Rome pendant plus d'une année, sera très agréable à son esprit de patricien !... De nouvelles possibilités, de nouvelles réalisations et de nouvelles perspectives, je pense, entraîneront des avantages pour sa propre famille, car l'Empire représenté par votre magnanimité, saura le récompenser de tous ses mérites.

Aelius Hadrien réfléchit un instant pendant que son secrétaire prenait quelques notes.

Puis, tenant compte des commentaires de Claudia qui le fixait anxieusement, il répondit promptement :

- Tu as raison. Helvidius Lucius est l'homme que je cherche.Sabine fit un geste expressif de satisfaction, alors que l'Empereur chargeait Flegon de

porter en son nom la dite invitation.

Les messagers le trouvèrent chez lui en pleine activité festive. Le tribun fut grandement surpris, il ne s'attendait pas une demande de cette nature. Tout autre se serait honorer d'une telle gentillesse ; lui, néanmoins, sentimental par nature, préférait la paix domestique, loin du tourbillon des bagatelles frivoles de la cour. Ce voyage en Grèce dans de telles conditions lui semblait ennuyeux et inopportun. D'ailleurs, il devrait partir dans une semaine. Et qui pouvait penser au retour ? Le souverain était habitué à faire des excursions longues et fréquentes dans le monde antique. Lors de son voyage en 124, il s'était absenté de Rome pendant plus de trois années consécutives, et il était tellement passionné par Athènes qu'il en était arrivé au point de s'initier personnellement aux mystères d'Eleusis.

Néanmoins, avant que ces pénibles réflexions annihilent sa bonne humeur, il fit appeler sa femme au tablinum où ils examinèrent attentivement le sujet.

- Pour ma part - s'exclama le tribun de son esprit résolu -, je chercherais à m'esquiver, à renoncer à cette invitation. Ces absences de Rome me séparant de ma famille me perturbent. Je me sens désorienté, ennuyé, profondément insatisfait.

Alba Lucinie écoutait ses affirmations le cœur en émoi. Pour son esprit sensible, de telles perspectives étaient terriblement amères et perturbatrices. De toute évidence, Claudia Sabine partirait aussi pour l'Hellade lointaine et pour une durée que personne ne pouvait prévoir. Approuver le voyage de son mari, c'était le livrer aux basses séductions de cette femme dont son intuition féminine pressentait les sentiments inconfessables. Mais il n'y avait pas que cela qui l'inquiétait. Sa situation à Rome lui serait à nouveau insupportable pendant

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l'absence de son compagnon, car sans aucun doute, Lolius ne manquerait pas de la harceler redoublant de véhémence et d'obstination.

Pendant un instant elle pensa en parler à Helvidius, le mettre au courant de tous les faits survenus en son absence, lui exposer avec sincérité ses scrupules, mais ensuite, lui vint à l'esprit le visage de son père. Fabius Corneille dépendait vraiment du prestige et de l'aide du préfet, de plus sa mère et ses frères inexpérimentés se reposaient sur son vieux géniteur.

D'un coup, la noble femme comprit qu'il lui était impossible de manifester franchement ses plaintes dans de telles circonstances, et, se rappelant encore de la gentillesse de l'Empereur envers sa fille lui assurant généreusement son avenir, elle a senti que la voix de la gratitude devait parler plus fort que ses intérêts personnels.

- Helvidius - a-t-elle murmuré après avoir difficilement surmonté ses luttes personnelles -, personne plus que moi ne pourra souffrir de ton absence. Tu sais que ta présence au foyer signifie ma protection et celle de notre famille, mais, et le devoir, mon chéri, où se trouve le devoir dans les conditions actuelles de notre vie ? L'invitation de l'Empereur ne serait-elle pas pour nous une preuve de confiance ? Et la générosité d'Hadrien envers notre famille ? Le cadeau de Capoue n'est-il pas là pour gagner notre estime pour toujours ?

- Tout cela est vrai - a confirmé le tribun calmement -, mais je haïs ce totalitarisme de l'Empire qui vole notre autonomie individuelle et brise notre propre volonté.

- Néanmoins, nous devons réfléchir pour nous adapter aux circonstances - pondéra sa femme pour consoler l'esprit abattu de son compagnon.

- Ce n'est pas seulement la politique qui m'impressionne désagréablement - lui dit Helvidius se soulageant -, c'est aussi la perspective de notre séparation pour un temps indéfini ! Loin de ton cœur prudent et aimant, je me sens passible de défaillance face à l'assaut des tentations de toutes espèces qui m'empêchent de prendre les initiatives nécessaires. De plus, je devrai partir en compagnie de personnes qui ne me sont pas sympathiques et dont je déteste les relations sociales, sans restriction aucune.

Alba Lucinie comprit les allusions indirectes de son mari exaspéré et lui prenant les mains affectueusement, elle s'exclama avec tendresse :

- Helvidius, très souvent celui qui haït, est celui qui n'a pas su aimer correctement. Faisons en sorte de maintenir l'harmonie et la paix dans le cadre de nos relations. Comme la notion de devoir parle plus fort dans les traditions de notre nom, je crois que tu partiras et ne te laisseras pas aller à des sentiments inférieurs !... Soit calme et juste, assuré que je resterai ici à prier pour toi, t'aimant et t'attendant pendant tout ce temps. Cette douce perspective ne sera-t-elle pas pour toi une consolation à chaque instant ?

Après avoir fait une pause pendant laquelle il réfléchit aux pondérations de sa compagne, le tribun reconnaissant l'a attirée contre lui et l'embrassa.

- Oui, chérie, les dieux écouteront tes prières pour notre bonheur. Je pense aussi que la dote d'Helvidia exige de nous ce sacrifice supplémentaire ; néanmoins, à mon retour, nous prendrons les mesures nécessaires pour changer notre vie.

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Alba Lucinie ressentit un doux soulagement à l'idée que ses paroles avaient calmé son compagnon, mais retournant à son petit monde domestique, elle se remit à réfléchir à sa déplaisante situation personnelle considérant les désolantes épreuves que la destinée lui réservait au cours de sa vie. En vain, elle s'isolait dans le sanctuaire de son foyer à intervalles réguliers lors de ses activités intenses, implorant la protection des divinités qui avaient présidé à son mariage. Malgré la ferveur avec laquelle elle le faisait, les dieux d'ivoire lui semblaient froids, implacables, et prise dans le tourbillon des joies domestiques, son sourire occultait beaucoup de larmes silencieuses qui ne débordaient pas de ses yeux mais lui brûlaient le cœur.

Entre les cris de joie générale, surgirent les fêtes d'Hadrien et, avec elles, l'heureuse date du mariage de la fille d'Helvidius Lucius.

Les cérémonies de noces furent l'un des événements les plus marquants pour la société de l'époque où apparut ce que Rome possédait de plus distinct dans les rangs de l'aristocratie.

Fabius Corneille, désireux de célébrer le bonheur de sa petite-fille préférée, sut inventer les plus beaux jeux d'illumination dans le parc de la résidence de ses enfants.

De toute part exhalait le parfum de fleurs merveilleuses, dans tous les coins des chansons et des rimes passionnées se confondaient avec les sons des cithares et des timbales jouées par les mains de maîtres éminents... Alors que les esclaves étaient affairés à satisfaire les caprices des convives, des danseurs célèbres s'agitaient à la ritournelle mélodieuse des luths. De petits bassins, improvisés en aquariums naturels, exhibaient des plantes magnifiques venues d'Orient et des poissons exotiques provoquaient l'admiration de tous ceux qui étaient enchantés par les joies de la nuit.

Ce scénario festif spécialement préparé avec anticipation et quintessence de bon goût fut surtout marqué par le spectacle de la piscine où des barques gracieuses et légères transportaient des nymphes et des troubadours, et par l'arène dans laquelle pour clôturer la fête, deux esclaves jeunes et athlétiques perdirent la vie sous le puissant glaive de combattants plus robustes.

Aucune faille ne fut décelée, seule l'absence de Cneius Lucius qui, comme les hôtes en étaient informés, était resté aux côtés de son autre petite-fille malade dans sa demeure sur l'Aventin.

Le lendemain, alors qu'Helvidia et Caius partaient pour Capoue sous une pluie de fleurs et bien que les cérémonies du peuple fussent à leur apogée, Alba Lucinie ne réussissait pas à dissiper la vague de craintes qui assaillait son cœur. Elle avait la conscience tranquille concernant ce qu'elle avait suggéré à son mari, sachant que leur gratitude à l'égard de l'Empereur n'admettait aucune tergiversation quant à ce voyage en Grèce. Mais Helvidius Lucius lui avait parlé de ses propres craintes face aux tentations... Ses mains sentaient encore la chaleur des siennes lorsqu'il eut terminé ses confidences amères. Était-il juste de l'inciter à accepter les nouvelles charges imposées par l'Empire ? Ne devrait-elle pas, également, défendre son mari de toutes les situations difficiles, déterminées par la politique avec ses égarements pervers ?...

Elle eut alors l'idée d'aller voir Claudia Sabine et de lui demander avec humilité son interférence. Une telle attitude n'était pas compatible avec les traditions d'orgueil de sa lignée,

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mais le désir du bien allié à la vibration de sa sincérité pure pourrait, à son avis, modifier les intentions bâtardes qui d'aventure vivaient dans le cœur de cette créature fatale.

Depuis qu'elle avait perçu l'indécision d'Helvidius, elle ressentit le besoin de coopérer activement à sa tranquillité morale le déviant de tous les dangers en mobilisant les forces puissantes de son affection qui arrivaient à vaincre en elle les exigences de l'orgueil inné.

C'est ainsi qu'après y avoir longuement réfléchi, le lendemain du mariage d'Helvidia, elle décida d'aller voir Claudia Sabine pour la première fois dans son palais du Capitole.

Sa litière fut reçue dans l'atrium avec engouement mais la femme du préfet, bien que faisant des efforts surhumains pour dissimuler la contrariété que lui causait cette visite inattendue, l'a reçue avec agacement et hauteur.

La femme d'Helvidius, néanmoins, malgré tout l'orgueil exalté par la hiérarchie de sa naissance, se maintenait digne et sereine dans une attitude de sincère humilité.

- Madame - expliqua la fille de Julia Spinter après les salutations usuelles -, je suis venue jusqu'ici pour solliciter vos bons offices pour notre tranquillité domestique.

- Je suis à vos ordres ! - rétorqua l'ancienne plébéienne prenant des airs de supériorité et coupant la parole de son interlocutrice. - J'aurai le plus grand plaisir à vous être utile.

Ne pouvant pénétrer les sentiments les plus intimes de la femme de Lolius Urbicus, à son égard, la noble femme continua avec simplicité :

- Il se trouve que l'Empereur, avec toute la noblesse et la bonté qui le caractérise, a invité mon mari à l'accompagner en Grèce où il restera peut-être plus d'une année. Helvidius, toutefois, a de nombreux travaux en perspective et qui concernent notre tranquillité future. Ladite excursion, avec l'honorable charge qui lui sera confiée, est pour nous un motif d'honneur et une joie, cependant, j'ai décidé de faire appel à votre généreux prestige auprès de César afin qu'il dispense mon mari de cette tâche.

- Oh ! Mais cela perturberait complètement les plans d'Auguste - lui dit Claudia Sabine avec une visible ironie. - Alors la femme d'Helvidius ne se réjouirait pas de partager avec lui la confiance sacrée de l'Empire ? Je n'aurais pu imaginer qu'une patricienne de naissance puisse un jour ne pas soutenir son mari dans ces précieux efforts qui élèvent l'homme aux sommets du service officiel.

Alba Lucinie l'écoutait, surprise, comprenant parfaitement ses propos ironiques et intrépides.

- Répondre à une demande de cette nature est humainement impossible -poursuivit-elle avec une expression sur le visage presque brutale. - Helvidius Lucius ne pourra pas s'esquiver du programme administratif, je pense en conséquence que votre cœur de femme devra se résigner aux circonstances.

La fille de Fabius Corneille écoutait ses paroles caustiques, se rappelant des confidences de Tullia concernant le passé de son mari. Elle observait les gestes de l'ancienne

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plébéienne portée par le destin aux positions les plus élevées dans les cercles de la noblesse et sentait à ses expressions empruntées et étranges, un vaste complexe d'odieux sentiments réprimés. Seule la jalousie avait pu la transformer de cette manière, au point de modifier les traits les plus gracieux de sa physionomie.

Elles n'avaient pas le même âge, mais possédaient toutes deux les mêmes attraits physiques des femmes belles qui ne sont pas encore arrivées à l'automne de leur vie et gardent les meilleures grâces de leur printemps passé. Alors qu'Alba Lucinie avait atteint les trente huit ans, Claudia était arrivée à quarante deux, présentant toutes deux les mêmes dispositions d'une jeunesse avisée.

Notant qu'Alba Lucinie remarquait tous ses gestes, analysant ses moindres expressions avec toute l'intelligence de son sens de l'observation et gardait toute sa supériorité face à ses idées prononcées avec précipitation, la femme d'Urbicus s'est sentie profondément irritée.

- Après tout - s'exclama-t-elle presque sèchement à la patricienne qui l'écoutait en silence -, vous me demandez l'impossible Madame. Sachez que nous traversons une époque difficile où les femmes sont obligées d'abandonner leurs compagnons au gré de la chance. Moi-même, dotée du prestige auquel vous venez faire appel, je ne suis pas épargnée par de telles contingences. Mariée avec le préfet des prétoriens, j'ai déjà entendu de ses propres lèvres la pénible affirmation qu'il ne pourra jamais me vouloir.

Tout en disant cela, elle fixa sur son interlocutrice ses yeux brillants de colère, alors qu'Alba Lucinie sentait son cœur battre précipitamment.

- Et vous savez Madame, quelle est la femme qui a les préférences de mon mari ? - a demandé l'ancienne plébéienne avec une expression haineuse indéfinissable.

La noble patricienne a reçu cette intrépide allusion les yeux larmoyants où transparaissait sa dignité d'âme.

- Votre silence - a murmuré Sabine arrogante -dispense tous commentaires.

Le visage en feu, Alba Lucinie s'est levée, s'exclamant avec dignité :

- Je me suis lamentablement trompée en supposant que la sincérité d'une femme honnête et d'une mère dévouée pourrait émouvoir votre cœur. En échange de mes loyaux sentiments, je reçois des insultes d'une ironie mordante et injustifiable. Je ne vous condamne pas. L'éducation n'est pas la même pour tout le monde au sein d'une même communauté et nous devons la soumettre au bon sens de la relativité. En outre, chacun donne, ce qu'il a.

Et sans même la saluer, elle s'est dirigée courageusement vers l'atrium où une litière l'attendait entourée d'esclaves empressés, alors que Claudia Sabine pétrifiée dans sa haine face à la leçon de supériorité et le dédain reçu, affichait un rire nerveux qui éclaterait bientôt en critiques indécentes contre les esclaves.

Dans l'intimité de son foyer, Alba Lucinie a prié, suppliant aux dieux de lui donner la force de supporter ses épreuves et toute leur protection. Le voyage de son mari ne tarderait pas et elle ne jugeait pas opportun que de telles révélations concernant ses contrariétés intimes fussent faites à Helvidius. Résignée, elle resterait à Rome, croyant plus tard pouvoir voir fleurir ses espoirs de paix et de bonheur au sein de son foyer. Il était nécessaire de conserver

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l'harmonie et le courage moral de son compagnon, de manière à ce que son cœur puisse supporter toutes les difficultés et vaincre bravement les situations les plus laborieuses. Cachant ses larmes, la pauvre femme a organisé tous les préparatifs de voyage avec la plus grande affection. Helvidius partirait avec son amour et avec sa confiance et cela devait suffire à son cœur sensible et généreux.

Néanmoins, le dernier jour des festivités était arrivé et les protocoles de la cour obligeaient Alba Lucinie à accompagner son mari aux dernières exhibitions du cirque où Nestor et son fils devaient être sacrifiés.

La perspective d'un tel spectacle lui gelait le sang, prévoyant l'horreur des scènes brutales de l'amphithéâtre, organisées par des esprits insensibles.

Elle s'est souvenue que la veille, elle avait accompagné Helvidia et Caius Fabrice à l'Aventin pour qu'ils fassent leurs adieux au grand-père et à Célia, et elle avait remarqué que sa pauvre fille était profondément défigurée par les douleurs de son grand et malheureux amour. Son cœur de mère ressentait, encore, la chaleur de l'étreinte affectueuse de sa fille qui lui dit à l'oreille d'une voix presque imperceptible : Au dernier spectacle, Cirus mourra. Elle revoyait ses yeux larmoyants en lui donnant résignée une telle nouvelle, se souvenant en même temps de la générosité avec laquelle Célia avait accueilli le bonheur de sa sœur qui, souriante et heureuse, partait pour les délices de Capoue avec ses vœux fraternels de félicité et de paix.

Alba Lucinie réfléchit longuement aux pénibles soucis qui la tourmentaient, mesurant tout le temps le besoin de les garder secrets sous le voile des joies déguisées et factices, s'attardant tristement sur les raisons de la souffrance et sur les contrastes de la chance.

Mais elle devait à tout prix changer ses dispositions mentales.

En effet, quelques heures plus tard Helvidius lui rappelait leurs obligations protocolaires et ce n'est pas sans émotions qu'elle a revêtu sa tunique de gala, se livrant aux esclaves pour la singulière mise en forme de sa coiffure en vogue.

Dans l'après-midi, observant à la lettre la tradition des cortèges, les joies populaires débordaient dans le cirque entre les perfidies et les éclats de rire.

La caravane de César était déjà arrivée sous une pluie d'applaudissements assourdissants.

Sur un podium doré, Aelius Hadrien était entouré des patriciens les plus célèbres parmi lesquels les personnages de l'aristocratie de ce récit. Autour de la tribune d'honneur, il y avait les vestales formant un magnifique tableau et une suite de rangées hiérarchiques des plus hauts représentants de la cour.

Des sénateurs en manteaux de pourpre, des chefs militaires avec leurs armures argentées et brillantes, des dignitaires impériaux, se confondaient en rangs symétriquement bien ordonnés sur un véritable océan de têtes humaines - la plèbe qui donnait libre cours à sa joie.

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Dans la tribune impériale, les libations se succédaient quand le souverain s'est adressé à Lolius Urbicus en ces termes :

- J'ai décrété le supplice et l'exécution des conspirateurs pour cet après-midi, souhaitant ainsi manifester mes égards face aux beaux services rendus par la préfecture des prétoriens qui illustre les hauts faits de l'Empire.

- D'ailleurs, Divin - réagit le préfet avec un sourire -, ce grand effort réalisé nous le devons à Fabius Corneille dont le dévouement extrême aux services de l'État est de plus en plus marquant au niveau administratif.

Le vieux censeur fit un signe pour remercier la référence directe faite à son nom, pendant qu'Hadrien ajoutait :

- J'ai pris soin d'exclure du jugement tous les éléments d'origine romaine qui figuraient parmi les agitateurs livrés à la justice. J'ai fait ordonner d'en libérer la majorité lors des premières procédures, exilant définitivement vers les provinces les treize éléments les plus fanatiques, ne restant que les vingt deux étrangers qui sont des Juifs, des Éphésiens et des Colossiens.

- Divin, vos décisions sont toujours justes -s'exclama le censeur Fabius Corneille, soucieux de dévier ce sujet de conversation et de ne pas se souvenir du cas de Nestor qui, appuyé par son gendre, avait travaillé aux services des parchemins de la préfecture.

Profitant de la pause qui se fit, le fier patricien a souligné :

- Mais, la grandeur du spectacle d'aujourd'hui est vraiment digne de César !

Il n'avait pas encore fini sa phrase que le regard de tous les spectateurs se tourna vers le centre de l'arène où, après les gesticulations exotiques des danseurs, allaient commencer les chasses fabuleuses. De jeunes athlètes se mirent à combattre avec des tigres féroces, puis arrivèrent

des éléphants et des antilopes, des chiens sauvages et des aurochs aux cornes pointues.De temps en temps, un chasseur tombait ensanglanté sous des applaudissements

délirants alors que se suivaient les nombreux numéros de l'après-midi au son d'hymnes qui exacerbaient l'instinct sanguinaire du peuple.

Parfois de sinistres cris explosaient de la foule en fureur : « chrétiens aux fauves », « mort aux conspirateurs ».

En fin d'après-midi, quand les derniers rayons du soleil tombaient sur les collines du Celio et de l'Aventin où se tenait le fameux cirque, les vingt deux condamnés furent conduits au centre de l'arène. De sinistres poteaux étaient dressés là, les prisonniers y furent attachés avec de grosses cordes retenues par des entraves en bronze.

Nestor et Cirus étaient mêlés au petit groupe d'êtres défigurés par les dures punitions corporelles. Tous deux étaient squelettiques et presque méconnaissables. Seuls Helvidius et sa femme, extrêmement touchés en raison du supplice infamant, remarquèrent la présence de

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leurs anciens libérés parmi les martyrs et firent leur possible pour cacher le malaise que la scène cruelle leur causait.

À l'exception des sept femmes qui portaient une tunique, les condamnés étaient presque nus, vêtus d'un simple pagne qui leur couvrait la taille jusqu'aux reins. Chacun fut placé à un poteau différent, pendant que trente athlètes noirs de Numidie et de Mauritanie comparaissaient dans l'arène au son des harpes qui se mariait étrangement aux cris de la plèbe.

Vu le caractère exemplaire et tolérant d'Hadrien qui faisait toujours son possible pour éviter les accrochages religieux, il y avait longtemps que Rome n'assistait pas à de telles scènes, à un spectacle aussi sinistre.

Tandis que les géants africains préparaient les arcs ajustant des flèches empoisonnées, les martyrs du christianisme commencèrent à entonner un doux cantique. Personne n'aurait pu définir ces notes saturées d'angoisse et d'espoir.

En vain, les autorités de l'amphithéâtre ordonnèrent d'intensifier le bruit des timbales et les sons aigus des flûtes et des luths afin d'étouffer les voix intraduisibles de l'hymne chrétien. L'harmonie de ces vers résignés et tristes était toujours plus fort, dépassant tous les bruits dans sa majestueuse mélancolie.

Nestor et Cirus chantaient aussi, dirigeant leurs yeux vers le ciel où le soleil dorait les derniers nuages crépusculaires.

Les premières flèches furent lancées à la poitrine des martyrs avec un singulier savoir-faire, ouvrant des rosés de sang qui se transformèrent immédiatement en épais filets de souffrance et de mort, mais le cantique continuait comme un arpège angoissé à se répandre sur la terre sombre et douloureuse... À cette mélodie se mêlaient, indistinctement, la nostalgie et l'espoir, les joies du ciel et les désillusions du monde, comme si cette poignée d'abandonnés était un troupeau d'alouettes poignardées, s'abreuvant à l'atmosphère de la terre en route vers le paradis :

Agneau sacré de Dieu,

Seigneur de toute la vérité,

Sauveur de l'humanité,

Verbe sacré de lumière !..

Berger de la paix, de l'espoir,

De ta divine demeure,

Seigneur Jésus, illumine

Le supplice de notre croix !...

Toi aussi, tuas eu ton calvaire

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De douleur, d'angoisses, de calomnies,

En offrant au monde entier

La lumière de la rédemption ;

Tu as souffert de la soif et des tourments,

Mais, sous le fiel, et les maux,

Tu as racheté les pécheurs

Du plus triste esclavage !

Si toi aussi tu as bu le calice De l'amertume et de l'ironie,

Nous voulons la joie

De souffrir et pleurer...

Car tels des moutons égarés,

Nous sommes les fils de l'erreur,

Qui en cette terre d'exil

Vivent à t'attendre.

Donne-nous Seigneur que nous puissions

Vivre le bonheur

Des bénédictions de l'Éternité

Qui ne se trouvent pas ici ;

La joie de te rencontrer

Dans les dernières souffrances,

Allume en nous le plaisir

De bien mourir pour Toi !...

Seigneur, pardonne les bourreaux

De ta doctrine sacrée !

Protège, soutiens, relève

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Ceux qui dans le mal vivent pour mourir...

En route vers Ton royaume,Toute la douleur se transforme,

Toute larme est bonheur,

Le bien consiste à souffrir!...

Console, Jésus aimé,

Ceux qui nous sont chers,

Qui sont restés en arrièreDans la nostalgie et dans l'amertume ;

Donne-leur la foi qui transforme

Les souffrances et les pleurs

Dans les trésors sacrés

De la vie de Ton amour!...

D'autres strophes se sont élevées au ciel comme des soupirs de résignation et d'espoir...

La poitrine criblée de flèches qui saignaient son cœur alors qu'il contemplait le cadavre de son fils qui expirait devant lui vu sa faiblesse organique, Nestor a senti qu'un tourbillon de souvenirs indéfinissables a affleuré sa pensée déjà vacillante, confus, au bord de l'agonie. Les yeux troublés par l'angoisse de la mort à lui ravir ses forces, il perçut la foule qui les huait et entendait toujours son tumulte bestial... Il a regardé la tribune impériale où devaient se trouver ceux qui avaient mérité son affection pure et sincère, mais sentit remonter de son for intérieur des émotions intraduisibles, il s'est vu lui aussi dans ses souvenirs confus à la tribune d'honneur portant la toge de sénateur, décoré de pourpre... Couronné de rosés3 lui-même applaudissait la tuerie de chrétiens qui, sans les poteaux du supplice ni les flèches empoisonnées à leur transpercer la poitrine, étaient dévorés par des fauves hideux et insatiables... Il voulut marcher, bouger, mais en même temps il se voyait agenouillé au bord d'un grand lac devant Jésus de Nazareth dont le regard doux et profond pénétrait les secrets de son cœur... Agenouillé, il tendait les mains au Maître divin, implorant son soutien et sa miséricorde... Des larmes ardentes lui brûlaient le visage triste et décharné..

À ses yeux moribonds, la foule furieuse du cirque avait disparue...3 Nestor était la réincarnation de l'orgueilleux sénateur Publius Lentulus Corneille.

(Voir l'œuvre* Il y a 2000 Ans... ») Note d'Emmanuel

C'est alors qu'une figure d'ange ou de femme4 a marché vers lui, lui tendant ses mains affectueuses et translucides... Le messager du ciel s'est agenouillé auprès du corps ensanglanté et lui a caressé les cheveux, l'embrassant doucement. L'ancien esclave a ressenti la caresse de

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ce baiser divin et son esprit fatigué et affaibli s'est légèrement endormi comme s'il était un enfant.

4 Livia. (Voir * Il y a 2000 Ans... ») - Notes d'Emmanuel

Dans toute l'arène ont vibré des radiations invisibles descendant des régions les plus élevées de la spiritualité... Des êtres dévoués et resplendissants tendaient fraternellement leurs bras aux compagnons qui abandonnaient leur enveloppe périssable, témoignage de leur foi, par l'injure et par la souffrance.

Quelques minutes plus tard, tandis que les serviteurs de l'amphithéâtre retiraient des poteaux de martyre les restes ensanglantés aux cris des applaudissements de la foule en folie, Helvidius Lucius, à la tribune d'honneur, serrait nerveusement les mains de sa femme, lui laissant comprendre les commotions inexplicables qui l'accablaient en son for intérieur. Pendant cela, obligée de garder une attitude protocolaire, elle fixait son compagnon de ses yeux larmoyants.

Mais, dans le palais de l'Aventin, en cet après-midi limpide et serein, le spectacle fut peut-être plus impressionnant par sa majesté douloureuse et silencieuse.

Recueillis dans une salle de repos, Cneius Lucius el sa petite-fille observaient tous les mouvements extérieurs aux cérémonies d'Hadrien, remarquant que la vague du peuple s'était engouffrée dans le cirque pour les derniers spectacles programmés.

Alors que le ciel romain s'obscurcissait, la jeune fille alla chercher le bout de parchemin où Cirus avait écrit les huit rimes du dernier hymne, s'exclamant au vieillard doucement :

- Grand-père, à cette heure Nestor et Cirus doivent être en marche pour le sacrifice !

Tu crois, grand-père, que nos êtres chers peuvent revenir du ciel pour soulager notre destinée?

- Pourquoi pas, ma fille ? Puisque Jésus a promis de venir à la rencontre de ceux qui se réunissent en son nom, en ce monde, pourquoi ne permettrait-il pas à ses messagers de revenir auprès de ceux qui les aiment déjà dans cette vie ?

Célia a tourné vers le vieillard ses grands yeux tristes illuminés par une candeur merveilleuse.

Ensuite, très sereine, elle s'est levée, s'est dirigée vers la grande fenêtre qui donnait sur le Tibre dont les eaux reflétaient les nuances de l'heure crépusculaire.

Fixant le parchemin, elle en a lu tout le contenu en silence, puis chanta d'une voix presque imperceptible les vers de l'hymne chrétien et s'arrêta d'une manière particulière à la dernière strophe, la relisant en larme, elle cherchait à deviner dans ces lignes la pensée de l'élu de son cœur.

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Le vénérable patricien écoutait sa voix tendre, comme s'il écoutait un oiseau déplumé, abandonné et seul parmi les hivers du monde, sans pouvoir extérioriser les émotions qui assaillaient son âme douloureuse.

Les réflexions les plus tristes peuplaient son être, elle sentait son cœur battre à un rythme terriblement accéléré.

L'âme torturée, il observait sa petite-fille qui se tournait maintenant vers le ciel à chercher parmi les nuages du bleu vespéral le cœur de celui qu'elle idolâtrait.

Quelques minutes se sont écoulées ainsi, longues et pénibles pour sa pensée épuisée et meurtrie.

À un moment donné, alors que le firmament s'était déjà évanoui, de ses yeux tendres et profonds, la jeune fille a fixé le ciel avec une plus grande attention comme si elle percevait une vision qui l'émerveillait.

Elle semblait absente de toutes les sensations du monde extérieur, de tout ce qui l'entourait, se figurant même ne pas percevoir la présence de son grand-père qui accompagnait son extase, prise d'émotion.

Après quelques instants, cependant, ses bras ont à nouveau bougé, les expressions qui lui étaient propres reprenaient le cours de la réalité et de la vie.

- C'est vrai ! - a soupiré Cneius Lucius presque dans un murmure.

- Grand-père - a-t-elle dit alors avec une placidité divine qui brillait dans ses yeux -, j'ai vu un groupe de colombes blanches dans le ciel, on aurait dit qu'elles sortaient du cirque du martyre !...

- Oui, mon enfant - a répondu Cneius Lucius angoissé, après s'être levé pour contempler le bleu serein -, ce doit être les âmes des martyrs qui remontaient à la Jérusalem céleste !...

Un profond silence se fit entre eux deux.

L'anxiété de leur cœur dans la grandeur mélancolique du moment, parlait plus fort que tous les mots.

Toutefois Célia a interrompu ce calme divin en demandant :

- Grand-père, avez-vous déjà lu le Sermon de la Montagne où Jésus bénit tous ceux qui souffrent ?!...

-Oui.. - a répondu le vieil homme attristé.

- Certainement - poursuivit la jeune fille avec son innocence affectueuse et délicate - que Jésus a préféré que je reste au monde sans l'amour de Cirus, à souffrir le sacrifice de la séparation et de la nostalgie, afin de me sauver un jour au ciel où se retrouvent tous les bienheureux !...

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Cneius Lucius a profondément senti toute la douce résignation de ces paroles. Il aurait voulu répondre, l'exhorter à poursuivre dans la sublime persévérance de ce sacrifice, mais son vieux cœur s'étouffait. Il a alors attiré sa petite-fille à lui et embrassa son front tendrement. Ses cheveux blêmes se mêlaient à la chevelure épaisse de la jeune fille, comme si sa vénérable vieillesse était une nuit étoilée baisant l'aube.

Au loin, on entendait encore les derniers cris de la foule, mais le firmament de Rome s'est couvert d'une beauté sublime et mystérieuse. L'immense tranquillité du crépuscule semblait se peupler des appels sacrés de l'infini.

Alors, tous deux priant silencieusement ont regardé le Tibre et le ciel, puis se sont mis à pleurer…

DEUXIEME PARTIE

I

LA MORT DE CNEIUS Lucius

Il y avait deux mois que l'Empereur et ses courtisans favoris avaient quitté Rome.

En cette fin de printemps de l'année 133, la vie de nos personnages, dans la capitale de l'Empire, se passait dans une apparente sérénité.

Au quotidien, Alba Lucinie concentrait toute son attention sur sa fille et sur ses parents bien que se sentant très abattue, vu les intenses préoccupations morales causées non seulement par l'absence de son mari, mais aussi par l'attitude de Lolius Urbicus qui, ayant le champ libre, abusait de l'autorité dont il disposait en l'absence de César, redoublant ses avances avec plus de témérité et de véhémence.

La noble femme faisait tout pour dissimuler une situation aussi amère et, néanmoins, le conquérant continuait, implacable, dans ses intentions frénétiques, supportant mal l'ajournement indéfini de ses espoirs inavouables.

Auparavant, Tullia Cevina était presque une sceur pour la femme d'Helvidius, son amitié affectueuse et attentive savait la réconforter dans les moments d'épreuves les plus difficiles ; mais, avant le départ en voyage de César, le tribun Maxima Cunctator fut chargé d'exécuter une mission politique dans la lointaine Ibérie, emmenant son épouse avec lui.

Alba Lucinie se retrouvait presque seule avec son désespoir moral car elle ne pouvait révéler à ses vieux parents, si tendres, les chagrins secrets de son cœur tourmenté.

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Très souvent, elle se laissait aller pendant des heures à parler avec sa fille dont la simplicité d'esprit et la ferveur en sa croyance l'enchantaient, mais, malgré tous ses efforts, elle n'arrivait pas à dominer sa faiblesse physique qui commençait à inquiéter tout le monde dans la famille.

Un événement vint perturber encore davantage l'existence apparemment tranquille de nos amis dans la capitale de l'Empire. Cneius Lucius tomba gravement malade du cœur, ce qui pour les médecins, d'une manière générale, était une chose naturelle, vu son grand âge.

En vain des élixirs et des stimulants, des tisanes et des panacées furent utilisés, mais le vénérable patricien se montrait chaque jour plus faible. Toutefois, Cneius désirait vivre encore un peu jusqu'au retour de son fils, afin de le serrer dans ses bras avant de mourir. Dans ses élans d'affection paternelle, il voulait lui recommander d'apporter son soutien à ses deux sœurs Publicia et Marcia et exprimer à Helvidius ses dernières volontés. Mais sa connaissance expérimentée des obligations politiques le forçait à renoncer à de telles circonstances. Aelius Hadrien, conformément à ses habitudes, ne reviendrait pas avant un an, dans la meilleure des hypothèses. Et une voix intérieure lui disait que d'ici là son corps épuisé devrait être livré, réduit en cendres, à la paix du sarcophage. Un peu triste, malgré la force de sa foi, le vénérable ancien nourrissait secrètement des méditations graves et profondes, concernant la mort.

Seule Célia lors de ses visites réussissait à l'arracher pendant quelques heures à ses pénibles réflexions.

Avec un sourire de sincère satisfaction, il étreignait sa petite-fille, se dirigeaient tous deux à la fenêtre qui donnait sur le Tibre, et quand la jeune fille lui parlait de la joie qu'elle avait à prier dans un endroit aussi beau, Cneius Lucius avait l'habitude de lui dire :

- Mon enfant, autrefois je ressentais le besoin du sanctuaire domestique avec toutes ses expressions extérieures... Je ne pouvais dispenser les images des dieux, ni renoncer au don des plus riches sacrifices ; aujourd'hui néanmoins, je dispense tous les symboles religieux pour mieux sonder mon propre cœur, me rappelant de l'enseignement de Jésus à la Samaritaine, au pied du Garizim qui dit qu'un jour viendra où le Père Tout-puissant sera adoré, non pas dans les sanctuaires de pierre, mais à l'autel de notre propre esprit... Et l'homme, ma fille, pour rencontrer Dieu au fond de sa conscience, ne trouvera jamais de meilleur temple que celui de la nature, sa mère et maîtresse...

Telles étaient les idées qu'il échangeait lors de ses entretiens avec sa petite-fille.

Elle, à son tour, transformait ses espoirs brisés en aspirations célestes et sa souffrance en consolation pour le cœur du vieillard idolâtré. Son esprit fervent doté de la sublime intuition de sa foi, qui augmentait sa capacité de compréhension, devinait que son adoré grand-père ne tarderait pas à prendre lui aussi le chemin de la tombe. Elle déplorait déjà l'absence de cette âme affectueuse et amicale, convertie en un refuge pour sa pensée désappointée, mais en même temps, elle suppliait le Seigneur de lui donner du courage et des forces.

Un jour de grand abattement physique, Cneius Lucius vit que Marcia ouvrait la porte de sa chambre tout doucement avec un sourire de surprise. L'aînée de ses filles venait lui annoncer l'arrivée de quelqu'un de très cher à son généreux esprit. C'était Silain, son fils

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adoptif, qui revenait de Gaules. Le patricien lui a demandé d'entrer avec une joie chaleureuse et sincère. Il s'est levé tremblant pour étreindre le jeune homme qui, dans la jeunesse de ses vingt deux ans, l'a aussi embrassé, pleurant presque de joie.

- Silain, mon fils, tu as bien fait de venir ! -s'exclama-t-il calmement. Mais dis-moi ! Tu viens à Rome par ordre de tes chefs ?

Le jeune homme lui dit que non, qu'il avait demandé un congé pour revoir son père adoptif qui lui manquait beaucoup, ajoutant son intention de rester dans la capitale de l'Empire, si toutefois cela était accepté, car il expliqua que son commandant en Gaules, Jules Saul était un homme brut et cruel qui le soumettait sans cesse à de mauvais traitements prétextant respecter la discipline. Il supplia son père de le protéger auprès des autorités en empêchant son retour.

Cneius Lucius l'écouta avec intérêt et répliqua :

- Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour satisfaire tes justes désirs.Ensuite, il a beaucoup réfléchi alors que son fils adoptif remarquait son grand

abattement physique.

Sortant, néanmoins, de ses pensées austères, Cneius Lucius a ajouté :

- Silain, tu n'es pas sans connaître le passé et, un jour déjà, je t'ai parlé des circonstances qui t'ont uni à mon cœur paternel.

- Oui - a répondu le jeune homme sur un ton résigné

-, je connais l'histoire de ma naissance, mais les dieux ont bien voulu accorder au misérable abandonné que je suis, un père affectueux et dévoué comme vous et je ne maudis pas ma destinée.

L'ancien s'est levé et, après l'avoir embrassé pris d'émotion, il s'est mis à marcher dans la chambre se soutenant avec effort. À un moment donné, il a arrêté ses pas lents devant un coffre-fort en bois décoré d'acanthe et l'ouvrit soigneusement.

Parmi les parchemins qui se trouvaient là, il a retiré un petit médaillon, s'adressant au jeune homme en ces termes :

- Mon fils, les enfants trouvés n'existent pas pour la Providence divine. Pas même en remontant dans le passé, tu ne dois nourrir de peines en ton for intérieur, en raison de ton sort. Tous les destins sont utiles et bons quand nous savons profiter des possibilités que le ciel nous accorde pour notre propre bonheur...

Et, comme s'il plongeait sa pensée dans l'abîme des souvenirs les plus lointains, il a continué après une pause :

- Quand Marcia t'a embrassé pour la première fois dans cette maison, elle a trouvé sur ta poitrine de nouveau-né ce médaillon que j'ai gardé pour te le donner plus tard. Je ne l'ai jamais ouvert, mon fils. Son contenu ne pouvait m'intéresser, car quoi qu'il en soit tu devais être pour moi un fils beaucoup aimé... Cependant, il me semble que l'occasion de te

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le donner est arrivée. Mon cœur me dit que je ne vivrai pas très longtemps maintenant. Je dois être en train d'épuiser les derniers jours d'une existence dont je demande de toutes mes forces le pardon du ciel pour mes erreurs. Mais, si je me trouve au bord de la tombe, tu es jeune et tu as largement le droit à l'existence terrestre... Il est possible que tu vives à Rome désormais, et il se peut aussi que vienne le moment où tu auras besoin d'un souvenir comme celle-ci... Garde-le, donc, avec toi.

Silain, à cet instant, était profondément ému.

- Mon père - s'exclama-t-il tendrement tout en prenant le médaillon délicatement -, je le garderai en souvenir sans que le contenu ne m'intéresse. De toute façon, en ce qui me concerne, je n'aurai pas d'autre père si ce n'est vous. En cette âme généreuse, j'ai trouvé l'affection maternelle qui m'a manqué dans les jours les plus reculés de ma vie.

Tous deux se sont étreints avec attachement poursuivant leurs échanges sur des faits relatifs à la province ou à la cour.

Dans la soirée, le vénérable patricien reçut la visite de Fabius Corneille auprès de qui il sollicita que des mesures favorables fussent prises à l'égard de son fils adoptif.

Très sensible aux circonstances solennelles dans lesquelles cette demande était faite, le censeur a examiné le sujet avec le plus grand intérêt, de sorte que peu de temps après, il obtenait le transfert de Silain pour Rome, et le prenait à son service dans le cadre même de sa gestion administrative, faisant de lui un fonctionnaire de son entière confiance.

Considérant l'admission de ce nouveau personnage dans la sphère de ses relations familiales, Alba Lucinie s'est souvenue des confidences de Tullia, mais prit soin de mettre de côté ses impressions personnelles, acceptant volontiers l'amitié respectueuse que Silain lui témoignait.

Au foyer d'Helvidius Lucius, néanmoins, la situation morale se compliquait de plus en plus, en raison des avances de Lolius Urbicus qui, d'une certaine façon, ne se décidait pas à abandonner ses prétentions criminelles.

Un beau jour, dans l'après-midi, alors qu'Alba Lucinie et Célia revenaient d'une de leurs promenades habituelles sur l'Aventin, elles reçurent la visite du préfet des prétoriens dont la physionomie torturée démontrait une grande agitation et un profond découragement.

La jeune fille se retira dans sa chambre, alors que la noble patricienne engageait une conversation amicale et digne. Le préfet, néanmoins, après quelques minutes, presque halluciné, s'adressa à elle en ces termes :

- Pardonnez mon audace réitérée et impertinente, mais je ne peux échapper à la force des sentiments qui domine mon cœur. Vous serait-il possible de m'accorder un petit espoir?!... En vain j'ai cherché à vous oublier... Le souvenir de vos vertus attrayantes et exceptionnelles est gravé dans mon esprit en caractères puissants et indélébiles !... L'amour que vous avez éveillé en moi est une lumière indestructible, brûlante, allumée dans ma poitrine pour l'éternité !...

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Alba Lucinie écoutait ses déclarations aimantes prise de crainte et d'étonnement, se sentant incapable de traduire la répugnance que ces affirmations lui causaient.

Aveuglé par sa passion, le préfet des prétoriens continuait :

- Je vous aime profondément et follement... Depuis longtemps et bien jeune encore, j'ai tout fait pour vous oublier, obéissant aux lignes parallèles de nos destins ; mais le temps n'a rien fait d'autre qu'augmenter cette passion qui m'envahit et annule toutes mes bonnes intentions. J'ai aujourd'hui confiance en votre magnanimité et je veux garder dans cette misérable poitrine un léger espoir !... Répondez à mes suppliques ! Accordez-moi un regard !

Votre indifférence me blesse le cœur face à la pénible perspective de ne jamais réaliser le rêve divin de toute ma vie... Je vous adore ! Votre image me poursuit de toute part comme une ombre. Pourquoi ne pas correspondre à ce dévouement sublime qui vibre dans mon âme? Helvidius Lucius ne pourra jamais être le cœur destiné au vôtre pour ce qui est de la compréhension et de l'amour !... Brisons le cercle des conventions qui nous séparent, vivons les désirs ardents de notre âme. Soyons heureux de notre union et de notre amour !...

Stupéfaite, Alba Lucinie se taisait, sans émettre de réponse précise, telle était la torture qu'elle vivait.

Néanmoins derrière les rideaux, une scène significative avait lieu.

Se dirigeant distraitement vers la salle de réceptions, Célia avait surpris les attitudes d'Hatéria qui, telle une ombre, se tenait dans le couloir à l'écoute des paroles du préfet prononcées à voix haute avec imprudence.

S'approchant des lieux, prise d'une terrible surprise, elle devint brusquement toute pâle car elle entendit, elle aussi, les dernières phrases passionnées du mari de Claudia.

Malgré cela, elle remarqua que sa mère gardait un étrange silence. Une telle affection serait-elle possible sous ce toit ? Son cœur innocent ne désirait pas abriter ces pensées dégradantes, outrageantes pour la chasteté maternelle. Elle ressentit le besoin de prier avant que son esprit ne cède à des jugements précipités et moins dignes ; mais elle devait d'abord éloigner la servante à tout prix pour que la situation ne se complique pas au point de susciter la médisance et la curiosité des autres domestiques.

- Hatéria, que fais-tu ici ? - a-t-elle demandé gentiment.

- Je suis venue apporter les fleurs de la patronne - a-t-elle répondu feignant l'insouciance - ; mais j'ai crains de déranger la tranquillité de ma maîtresse et de Monsieur le Préfet qui s'apprécient tant.

La complice de Claudia Sabine avait souligné ces derniers mots avec une telle simplicité, que même Célia, dans la pure naïveté de son âme sensible ne perçut aucune malice,

- C'est bien. Donne-moi les fleurs, je les apporterai moi-même à ma mère.Hatéria s'est immédiatement retirée pour éviter d'éveiller des soupçons, pendant que

Célia plaçait les rosés dans un vase de l'antichambre et se retirait dans sa chambre le cœur oppressé, vidant dans sa prière sincère toutes les larmes de son âme inquiète.

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Le silence de sa mère l'avait profondément impressionnée. Serait-il possible qu'elle aime cet homme ? Des divergences intimes si profondes entre ses parents seraient-elles apparues pour qu'une hécatombe sentimentale vienne s'abattre sur cette maison toujours bercée d'une affection si pure ?... Elle n'avait pas entendu sa mère répondre à son conquérant avec toute l'énergie requise. Ce mutisme terrifiait son cœur. Serait-il possible que les passions du monde aient dominé sa mère si digne et si sincère en l'absence de son père ? Les plus pénibles conjectures peuplaient son esprit surexcité et affligé.

Néanmoins, elle prit la ferme décision de ne pas laisser transparaître ses doutes et ses inquiétudes. Son cœur ne pouvait croire que sa mère ait agi de la sorte, mais même ainsi, elle réfléchissait avec ses sentiments chrétiens et se disait que si Alba Lucinie prévariquait un jour, ce serait le moment pour elle en tant que fille de lui témoigner son ineffable amour avec les sublimes démonstrations d'une résignation suprême.

Se rappelant les précieux enseignements de Jésus, son esprit aimant s'est senti consolé, investi de nouvelles dispositions.

Toutefois, sans que sa fille ait pu entendre ses paroles indignées, après une longue pause, la femme d'Helvidius a répondu énergiquement :

- Monsieur, j'ai toujours toléré vos insultes avec résignation et charité, non seulement pour la relation qui vous lie à mon père, tout comme pour la manifestation de cordialité existante entre vous et mon mari ; mais la patience aussi a ses limites.

Comment votre dignité de patricien a-t-elle pu tomber à un niveau aussi bas, inconcevable chez les plus vils malfaiteurs de l'Esquilin ?! Dans l'environnement provincial où je me trouvais, je n'aurais jamais supposé qu'à Rome les hommes du gouvernement se valent de leurs prérogatives pour humilier des femmes désarmées de toute l'horreur des passions inavouables.

N'avez-vous pas honte de votre conduite en essayant d'entacher la réputation d'une maison honnête et d'une femme que se veut digne de cultiver les vertus domestiques les plus élevées ? Comment pouvez-vous oser un crime aussi incroyable ! Vos effarantes déclarations en l'absence de mon mari valent pour une infâme trahison et la plus vile des lâchetés !...

Considérez-vous bien vos incroyables propos ! Les portes accueillantes de cette maison qui se sont constamment ouvertes pour vous recevoir comme ami, sont aussi ouvertes pour vous expulser comme un monstre !...

Dans un moment aussi dramatique, le visage en feu, Alba Lucinie manifestait fermement son état d'esprit. Indignée, elle indiquait la porte au conquérant, l'invitant à se retirer.

- Madame, c'est ainsi que vous recevez mes sentiments si sincères ? a murmuré Lolius Urbicus d'une voix sourde.

- Je ne connais pas le code de la prévarication et je n'ai jamais pu comprendre l'amitié déguisée d'injure - a déclaré la noble femme avec l'héroïsme de toute son énergie féminine.

À l'entendre et percevant sa vertu indomptable, le préfet des prétoriens a ouvert la porte pour se retirer, s'exclamant en colère :

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- Vous m'écouterez avec plus de bienveillance en d'autres circonstances. Ma patience est inépuisable !

Puis il est sorti précipitamment s'engouffrant dans les ombres de la nuit qui s'était déjà posée sous le ciel grisâtre.

Se retrouvant seule, la patricienne laissa libre cours aux larmes amères qu'elle retenait dans son cœur. L'absence de son mari lui pesait, les préoccupations morales, les insultes du conquérant impitoyable, le manque d'un cœur amical qui aurait pu écouter et partager ses amertumes, tout contribuait pour accumuler les nuages qui brouillaient son raisonnement.

En vain, sa fille essaya de la consoler de ses angoissantes inquiétudes. Trois jours passèrent tristes et amers.

Célia, qui pouvait à peine mesurer les tourments de sa mère, ne réussissait pas à comprendre la cause de sa détresse, se sentant encore troublée et confuse par les déclarations du préfet. S'abstenant, cependant, de toute pensée qui aurait pu infirmer la dignité maternelle, elle voulut oublier le sujet, multipliant ses marques d'affection.

Alba Lucinie, à son tour, réfléchissait avec amertume à la funeste influence que Lolius Urbicus et sa femme exerçaient sur le destin de sa famille, suppliant aux dieux du foyer toute leur compassion et miséricorde avec ferveur.

Dans les mêmes circonstances déplaisantes, la situation se poursuivait, quand, un jour, le vieil employé Bélisaire qui avait la confiance de Cneius Lucius et de sa famille, est venu leur annoncer que l'état de santé du vieillard s'était aggravé inopinément. Marcia les en informait, espérant qu'ils se rendraient de toute urgence à sa demeure de l'Aventin.

Une heure plus tard, la litière d'Helvidius était en chemin.

Peu après, Célia et sa mère étaient devant le gentil vieil homme qui les reçut avec un large sourire malgré son état de faiblesse évident. Sa tête vieillie reposait sur des oreillers d'où il ne se pouvait plus se lever, mais ses mains ridées caressaient sa belle-fille et sa petite-fille avec une merveilleuse tendresse. Alba Lucinie remarqua avec surprise son état d'épuisement général. La fulgurance étrange de son regard laissait entrevoir les plus tristes perspectives.

Aux premières questions, le patient répondit avec sérénité et lucidité :

- Rien ne justifiait tant de craintes de la part de Marcia... Je pense que dès demain j'aurai retrouvé le rythme normal de la vie. Le médecin est déjà venu et a pris toutes les mesures nécessaires et opportunes...

Et remarquant l'abattement profond de la femme d'Helvidius, il a ajouté :

- Qu'y a-t-il, ma fille ? Tu viens voir un souffrant, plus malade et plus accablée que lui ?... Ta faiblesse requiert des soins... Tes yeux sont profonds et tristes, tes joues sont pâles !...

À cet instant, percevant que son grand-père désirait s'adresser en privé à sa mère, Célia s'est éloignée et s'est approchée de Marcia qui lui confia ses appréhensions sur l'état de santé du vieillard.

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Alba Lucinie, s'asseyant au bord du lit, a embrassé la dextre du vieil homme avec amour et tendresse.

Elle voulut s'excuser de l'impression qu'elle causait, prétextant une mauvaise migraine ou alléguant une toute autre banalité qui pourrait justifier son état de faiblesse, mais une singulière tristesse s'est emparée d'elle. En plus de ses peines, quelque chose dans son cœur lui disait que son vieux beau-père, aimé comme un père, était en train de partir pour les brumes de la tombe. À cette éventualité, ses yeux le dévisageaient avec la tendresse miséricordieuse de son cœur féminin. En vain, elle chercha une excuse en son for intérieur pour ne pas le déranger avec ses réalités désolantes mais le regard étrange et fulgurant de Cneius Lucius semblait scruter la vérité en elle-même.

- Tais-toi, ma fille ?... - a-t-il murmuré, après avoir attendu quelques minutes la réponse à ses douces interpellations. - Quelqu'un a blessé ton cœur généreux et aimant ? Ton silence me laisse entrevoir une douleur morale très grande...

Sentant qu'il discernait exactement son état d'âme, Alba Lucinie laissa couler une larme signalant combien son cœur était lacéré.

- Mon père - ne vous inquiétez pas pour moi et ne vous effrayez pas de mon émotion ! Je me sens prisonnière des pensées les plus étranges et les plus torturantes... L'absence d'Helvidius, les problèmes du foyer et maintenant votre état si fragile, forment un tout qui suscite en moi des pensées amères et indéfinissables !... Mais les dieux auront pitié de notre situation, ils protégeront Helvidius et vous rendront votre précieuse santé !...

- Oui, ma fille, mais il n'y a pas que cela qui t'afflige - répliqua Cneius Lucius de son regard calme et pénétrant -, d'autres peines contrarient ton cœur !... Depuis quelque temps déjà, je réfléchis à la vie contrastée que tu avais en province, et à celle que tu as ici, dans le gouffre de nos conventions sociales... De toute évidence, ton esprit sensible doit être blessé par les épines des sentiers rugueux de notre époque de décadence et de fâcheux contrastes !...

Et comme si son analyse la sondait plus avant encore, il a ajouté :

- J'ai l'impression aussi que certaines personnes de notre entourage social ont profondément déchiré ton cœur... N'est-ce pas la vérité ?...

Fixant ses yeux calmes et lumineux dont la réponse n'admettait pas de subterfuges, la femme d'Helvidius a répliqué avec un soupir d'angoisse :

- Oui, mon père, vous ne vous trompez pas ; néanmoins, j'espère que vous avez confiance en moi car dans le cadre de la grandeur de nos codes familiaux je saurai remplir mes devoirs de femme et de mère, en toutes circonstances.

Le vénérable patricien a longuement réfléchi comme s'il cherchait au fond une solution pour

consoler sa belle-fille qu'il avait toujours considérée comme sa propre fille digne et attentionnée.

Puis, comme s'il avait perçu les voix silencieuses de son cœur, il a ajouté :

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- As-tu déjà entendu dire que nous avons plusieurs vies sur terre ?

- Comment, mon père ? Je ne comprends pas.

- Oui, certains philosophes très anciens ont laissé au monde ces vérités réconfortantes. Dans ma jeunesse, dans le cadre de mes études, je les ai combattues, fidèle à nos traditions les plus respectables ; toutefois, la vieillesse et la maladie possèdent aussi de grandes vertus !... Les expériences humaines m'ont enseigné que nous avons besoin de plusieurs existences pour apprendre et nous purifier... Maintenant que je me trouve au seuil de la tombe, les plus profondes méditations me visitent l'esprit. La question des vies successives s'est éclairée avec toute la beauté de ses fabuleuses conséquences. La vieillesse me fait sentir que l'esprit ne se modifie pas seulement avec les leçons ou avec les luttes d'un siècle, et la maladie m'a fait reconnaître en ce corps un humble habit qui se défait avec le temps. Nous vivrons dans l'au-delà avec nos impressions les plus fortes et les plus sincères, et nous reviendrons sur terre pour continuer les mêmes expériences nécessaires à notre évolution spirituelle.

Percevant que sa belle-fille très surprise écoutait ses propos philosophiques, le vénérable ancien a souligné :

- Ces considérations, ma fille, me viennent de l'intérieur pour t'éclairer car malgré la décrépitude porteuse de la mort, mon esprit est vivant, plein d'entrain et d'espoir. Sans la certitude de l'immortalité, la vie terrestre serait une comédie stupide et pénible. Mais je sais qu'au delà de la tombe, une autre vie fleurit et que de nouvelles possibilités illumineront notre être.

Pour cela, je m'émeus de tes douleurs d'à présent, mais je crois qu'à l'avenir la Providence divine nous accordera d'autres expériences et nous ouvrira de nouveaux chemins... Ceux qui aujourd'hui nous haïssent ou nous poursuivent, pourront être convertis au bien par notre amour vigilant et compatissant. Qui sait ? Après cette vie, nous pourrons revenir racheter nos cœurs aux vues du ciel et aider à la rédemption de nos ennemis. Garde la foi, la miséricorde et l'espoir, te disant que le temps doit être pour nous un patrimoine divin !... Conformément au principe élevé des vies multiples, les liens du sang nous donnent les plus sublimes possibilités de transformer la turpitude de la haine ou des sentiments inconfessables, en des chaînes caressantes d'abnégation et d'amour...

Sans forces physiques pour défendre mes chers enfants des embuscades et des dangers du monde, je garde mes tendres espoirs pour un avenir encore lointain, tout en croyant à la sagesse qui régit les travaux et les épreuves de l'existence sur terre.

Cneius Lucius était fatigué, ces paroles sages et inspirées lui sortaient de la gorge avec une difficulté considérable. D'ailleurs Alba Lucinie n'avait pas compris ses exhortations affectueuses et transcendantes qu'elle attribuait au fond à de possibles modifications mentales liées à son état physique. Se montrant un peu plus forte face à ses propres peines, elle fit sentir au vieil homme que son état exigeait du repos et qu'il devrait s'abstenir de faire des efforts prolongés et inadéquats en cet instant.

Le sage patricien qui perçut l'incompréhension de sa belle-fille, a esquissé un sourire aimant et résigné.

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Quelques minutes plus tard, la femme d'Helvidius confiait aux personnes présentes ses impressions quant à l'état mental du patient, ce qui, comme l'expliqua Marcia, n'était pas une surprise depuis que le généreux vieillard avait manifesté ses sympathies pour les doctrines chrétiennes.

Seule Célia comprit la situation, accourant pour le consoler. Avec son immense tendresse, elle a étreint son grand-père, alors qu'il l'avertissait :

- Je sais pourquoi tu m'embrasses et tu m'étreins ainsi... Quel dommage que tous les nôtres ne puissent comprendre les principes qui éclairent et consolent nos cœurs !... Aux autres, je ne devrais pas parler avec la franchise avec laquelle nous échangeons nos idées... à toi, cependant, je peux confesser que mon corps vit ses dernières heures. D'ici peu, je serai parti pour le monde de la vérité où cessent tous les conventionnalismes humains. Plutôt que de te confier à tes parents, je confie mes enfants à ton cœur !... Je sens qu'Helvidius et Lucinie passent par de grandes peines à Rome dont ils se sont déshabitués depuis longtemps... Sacrifie-toi pour eux, ma fille... Si des situations difficiles surviennent, aime-les encore davantage... Toi qui m'as mené à l'Évangile, tu devras te rappeler que Jésus affirmait être le remède des souffrants et des pécheurs... Sa parole miséricordieuse ne venait pas pour les sains mais pour les malades, et ses mains pour sauver les moutons égarés de sa divine bergerie... Ne crains pas le renoncement ou le sacrifice de tous les biens du monde... La douleur est le prix sacré à notre rédemption... Si Dieu s'apitoie de ma pauvreté spirituelle, je viendrai des mystères de la tombe te donner des forces avec mon amour, si cela est nécessaire.

Alors que sa petite-fille l'écoutait, sincèrement émue, mais sereine dans sa foi, le vénérable patricien continua après une longue pause :

- Depuis hier, je sens que je vais pénétrer dans une vie nouvelle et différente... J'entends des voix qui m'appellent au loin et je vois des êtres lumineux et imperceptibles à ceux qui m'entourent, désolés... Je pressens que ce corps ne tardera pas à tomber dans l'agonie... mais avant cela, je veux te dire que tu seras toujours dans le cœur de ton grand-père, où que ce soit et quoi qu'il en soit.

Ses propos étaient lents et haletants, mais la jeune fille, comprenant la situation de son cher grand-père, a soutenu sa tête blanche avec le plus grand soin et plus de tendresse.

- Célia - a-t-il murmuré avec difficulté, tous mes désirs afférents à la vie... matérielle... sont exprimés... dans la lettre à Helvidius. Dans le coffre de mes... souvenirs... ma conscience de pécheur... est en prières et je sais... que Jésus ne méprisera pas mes suppliques...

Mais je désirerais... que tu récites la prière au Seigneur en cette heure extrême...

Ses lèvres bougeaient encore, comme si la chute soudaine d'énergie en empêchait l'élocution, mais sa petite-fille, une âme tempérée dans la foi ardente et dans les grandes émotions des angoisses terrestres, compris le regard calme et profond de l'agonisant, et se mit à murmurer, retenant ses propres larmes :

- Notre Père qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite, sur la terre comme au ciel...

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Et alors que ses paroles semblaient atteindre le paradis, tranquillement elle a terminé sa prière.

L'ancien l'a fixée de son regard aimant comme si dans le silence de cette heure extrême, il avait concentré en son affection ses dernières pensées.

Avec soin, Célia a arrangé ses oreillers, après avoir déposé un baiser en larmes, et s'est dirigé à l'intérieur pour tenir sa mère informée.

Cneius Lucius était tombé dans un épuisement profond. La dyspnée implacable lui coupait la parole et il avait sombré dans une lente agonie qui allait durer plus de soixante-dix heures.

Les moyens médicaux de l'époque à base de frictions et de breuvages n'y purent rien. Le mourant perdait de son « tonus vital », peu à peu, dans les plus grandes souffrances.

Les larmes de Marcia et de Publicia se mêlèrent à celles d'Alba Lucinie et de sa fille, face aux rudes épreuves du vieillard adoré. Un serviteur fut envoyé d'urgence à Capoue, demandant la présence de Caius Fabrice et de sa femme qui pourraient, peut-être, arriver à Rome pour les derniers hommages.

Dans la matinée du troisième jour d'une agonie douloureuse, comme cela se produit avec les personnes d'un âge avancé, Célia perçut que son grand-père vivait les derniers instants de son existence terrestre., sa respiration était presque imperceptible, un froid intense commençait à envahir ses pieds et ses mains.

Toute la famille comprit que l'instant suprême était arrivé... Avec une expression de désolation résignée, Marcia s'est assise auprès de son vénérable père, prenant sa tête sur ses genoux affectueusement, alors que Célia tenait ses mains froides et ridées... Priant avec ferveur, elle demandait à Jésus de recevoir son grand-père dans la lumière de sa miséricorde. Dans l'extase de sa foi, la jeune chrétienne sentit que la chambre spacieuse se remplissait d'une clarté inconnue et indéfinissable. Elle crut pouvoir distinguer des êtres lumineux, aériens, croiser l'alcôve dans toutes les directions... Parfois, elle arrivait à fixer leur physionomie, bien qu'elle ne puisse les identifier, surprise par la vision des tuniques immaculées semblables à de grande toge de neige translucide...

Cependant, parmi ces êtres radieux, elle distingua quelqu'un qu'elle connaissait. C'était Nestor qui la consolait avec un sourire chaleureux. Elle comprit alors que les bien-aimés qui nous précèdent dans la tombe viennent souhaiter la bienvenue à ceux qui ont atteint leur dernière heure sur terre. À cet instant lumineux, son cœur se remplit de joie et de radieux espoirs... Elle voulut parler à la vision de Nestor et lui demander des nouvelles de Cirus, mais elle s'est abstenue de prononcer un seul mot craignant que sa vision bénie ne se défasse... Toutefois, comme si ses pensées les plus intimes avaient été entendues par l'ami désincarné, elle perçut que l'ex-esclave lui parlait et étrangement elle entendit sa voix, comme si le phénomène obéissait à un nouveau mode d'audition intracérébrale.

- Ma fille - semblait lui dire l'Esprit Nestor, affectueusement -, Cirus est déjà reparti et tu le verras bientôt !... Calme ton cœur et garde ta foi sans dédaigner le sacrifice !... Au revoir!... Avec quelques amis dévoués, nous sommes venus chercher ici le cœur d'un juste !...

Les yeux en larmes, la fille d'Helvidius a remarqué que Nestor a étreint le mourant alors qu'une force invincible l'arrachait de l'extase la faisant retourner à la vie ordinaire.

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Comme si elle arrivait d'un autre plan, elle entendit que Marcia et sa mère sanglotaient et s'assura que le mourant avait poussé son dernier soupir.

La conscience édifiée par les profondes épreuves d'une longue vie, Cneius Lucius est parti à l'aube quand le merveilleux soleil romain commençait à dorer les collines de l'Aventin avec les premiers baisers de l'aube...

Alors un pénible deuil s'est abattu sur le palais qui, pendant tant d'années, avait servi de nid à ses grands sentiments. Pendant huit jours, ses restes furent exposés à la visite publique où se confondaient des nobles et des plébéiens qui venaient tous lui témoigner leur reconnaissance.

La nouvelle du funeste événement fut envoyée à Helvidius par les messagers de l'Empereur, alors que Caius et son épouse arrivaient de Campanie afin d'assister aux derniers hommages de l'illustre et cher défunt.

Cneius Lucius n'eut pas le réconfort de la présence d'Helvidius, mais Corneille fit son possible pour que toutes les mesures nécessaires fussent prises et pour qu'il reçoive les honneurs de l'État. Ainsi, le vénérable patricien, légitimement connu et estimé pour ses vertus morales et civiques, avant de descendre dans sa tombe reçut les hommages de la ville en grande pompe.

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II

CALOMNIE ET SACRIFICE

Helvidius Lucius se trouvait entre la Thessalie et la Béotie quand arriva la nouvelle du décès de son père. Il était inutile de penser faire une visite à Rome pour consoler les siens, non seulement parce que plusieurs Jours étaient déjà passés mais aussi parce qu'il avait beaucoup de travail dans les nouvelles fonctions qui lui étaient confiées au gré des caprices de l'Empereur.

Entre les marbres et les préciosités de l'ancienne Phocide dont les ruines requéraient ses talents dans le choix des matériaux utilisables dans les oeuvres de Tibur, 11 ressentit en lui un immense vide. Son père était à ses yeux un soutien et un symbole. Son départ remplissait son âme d'une infinie nostalgie.

Les longs mois de séparation loin de l'ambiance domestique s'écoulaient lentement.

En vain, il se jetait dans le travail pour fuir le découragement qui, souvent, envahissait son cœur.

Bien que la suite impériale soit restée à Athènes auprès d'Hadrien, il n'était pas débarrassé des conventions sociales et politiques dans l'environnement de ses activités quotidiennes. Claudia Sabine surtout ne l'abandonnait jamais dans la poursuite de l'effort en commun, coopérant à sa tâche avec décision et avec succès, elle cherchait à reconquérir son affection et son amitié d'antan. Et si Helvidius Lucius admirait sa capacité de travail, il ne pouvait transiger quant aux devoirs conjugaux qui pour lui étaient sacrés et gardait l'image de sa femme dans le sanctuaire de ses souvenirs les plus chers avec loyauté et vénération. Il recevait ses lettres affectueuses et confiantes comme une stimulation indispensable à son comportement et caressait l'espoir de retourner à Rome rapidement comme quelqu'un qui attendrait anxieusement qu'un jour de paix et de liberté arrive.

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Depuis longtemps, cependant, le généreux patricien vivait le cœur plein d'inquiétudes et d'idées sombres.

La femme de Lolius Urbicus, modifiant ses modes de séduction, se présentait maintenant, à ses yeux, comme une amie dévouée et fidèle, sœur de ses idéaux et de ses tourments. Au fond, l'ancienne plébéienne avait gardé cette passion débordante de toujours, accompagnée des mêmes intentions de vengeance envers Alba Lucinie qu'elle considérait comme l'usurpatrice de son bonheur.

Mais le tribun qui observait son dévouement réitéré et apparemment sincère, se mit à croire en son désintéressement, remarquant la réconfortante transformation de ses sentiments loin de sa profonde capacité à paraître artificielle. Claudia Sabine, néanmoins, ne cessait de le vouloir éperdument. Le constant ajournement à ses espoirs endiguait sa passion avec plus de violence. Au fond, elle ressentait les souffrances d'une lionne blessée, mais la vérité était qu'à chaque manifestation de son affection, Helvidius lui faisait percevoir le caractère sacré de leurs obligations matrimoniales, indifférent à son regard sombre et à ses aspirations inavouables. La femme de Lolius Urbicus désirait être aimée avec tant de fidélité et de dévouement, mais les sentiments bruts de son cœur l'empêchaient de percevoir les vibrations les plus nobles de l'esprit. Elle ne savait qu'une chose, elle aimait Helvidius Lucius avec toute l'impulsion de son tempérament lascif. Pour réaliser ses projets indignes, elle ne reculerait devant rien. Elle haïssait Alba Lucinie et n'hésiterait pas à lui imposer sa vengeance la plus cruelle dès qu'elle réussirait à revivre les délices de son ancien amour, fait d'exclusivité et de violence.

Claudia perçut que le tribun, attaché aux principes du devoir, ne pourrait être vaincu que par une dissimulation à toute épreuve et pour cela elle entourait Helvidius d'attentions aimantes et d'un constant dévouement. Quand accidentellement, il lui arrivait de se rapporter à sa femme absente, elle prenait soin de faire son éloge s'efforçant de nuancer ses idées avec la plus grande sincérité.

De cette manière, le fils de Cneius Lucius se laissa à nouveau prendre par les enchantements de cette femme, lui accordant une attention indue, touché dans les fibres les plus profondes de son cœur bien que n'arrivant jamais à oublier ses obligations les plus sacrées.

Claudia Sabine, néanmoins, caressait de nouveaux espoirs. À ses yeux, il suffirait d'éloigner de son chemin le personnage gênant d'Alba Lucinie pour assurer son bonheur adultère.

Un beau jour, l'épouse du préfet, feignant d'être distraite, comme d'habitude, affirma à Helvidius sur un ton de confidence :

- Dans sa dernière lettre l'une de mes amies à Rome m'apprenait un détail curieux concernant la vie de mon mari. A travers ses courriers, Musonia m'informe qu'Urbicus passe presque tout son temps de loisir, chez toi.

- Chez moi ? - a demandé le tribun, rougissant, devinant la malice cachée par de telles informations.

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- Oui - a répondu Claudia avec la plus grande indifférence -, j'ai toujours remarqué que mon mari porte une singulière prédilection pour ta famille. Lucinie et ta fille ont toujours fait l'objet de gentillesses toutes spéciales de sa part. D'ailleurs, cela ne peut nous surprendre,

Fabius Corneille est ton meilleur ami depuis de nombreuses années.

- Oui, cela est vrai - répliqua Helvidius un peu désappointé par de telles allusions à son foyer.

Sabine perçut que l'instant était favorable pour initier le sinistre plan et feignant de s'intéresser à la paix domestique d'Helvidius Lucius, elle a ajouté sans pitié :

- Mon ami, entre nous, je dois te dire que mon mari n'est homme qui justifie les plus précieux usages de la culture romaine. Tu imagines combien il m'en coûte de te faire cette confidence, mais je désire veiller à la paix de ton foyer par dessus tout. Hypocrite et impulsif de nature, Lolius Urbicus a fait de nombreuses victimes sur le terrain de ses aventures de conquérant invétéré. Je crains pour ta femme et ta fille.

Helvidius devint pâle, mais Claudia percevant l'effet de ses paroles, continua impitoyable :

- Nous vivons à une époque de surprises terribles où les plus solides réputations chancellent brusquement... Depuis que je suis mariée avec le préfet, je passe par une série d'épreuves. Ses aventures amoureuses m'ont causé de grandes déceptions, vu l'immense clameur de ses victimes et les répercutions sur mon cœur...

- Par Jupiter ! - a murmuré le tribun fortement Impressionné - je ne peux contester tes appréciations, mais je veux croire que Fabius Corneille ne pourrait s'être trompé depuis tant d'années élisant le préfet comme l'un de ses meilleurs amis.

- Oui, à première vue, cet argument semble tenir - a répondu Sabine avec astuce -, mais il faut se souvenir, cher ami, qu'après de nombreuses années pendant lesquelles tu as été habitué à la tranquillité de la province, tu recommences ta vie dans la capitale de l'Empire. Le temps sera là pour prouver que le censeur et le préfet se sont fortement identifiés dans tant d'affaires de l'État. Tous deux sont obligés de se respecter et de s'apprécier mutuellement, mais quant à leur conduite individuelle, seuls les dieux connaissent la réalité de mes affirmations.

Helvidius Lucius dévia alors leur entretien sur d'autres sujets de conversation, reconnaissant la délicatesse de ces commentaires sur l'honorabilité d'autrui et à propos de son foyer ; mais, quand Sabine s'est levée, il s'est senti contaminé par des soupçons injustifiables et vains. Que signifiaient les visites réitérées de Lolius Urbicus chez lui ? Par hasard, Alba Lucinie aurait-elle oublié ses devoirs sacrés ? Fabius Corneille serait-il si attaché aux intérêts matériels au point d'oublier le nom et les respectables traditions de sa famille ? Dans l'esprit du tribun, le flux des cogitations intimes s'embrouillait et le tourmentait. Encore heureux que cette déchirante absence était sur le point de se terminer. Aelius Hadrien avait déjà envoyé des ordres pour que les galères quittent l'Italie et les ramènent sur le chemin du retour.

À Rome, cependant, la situation d'Alba Lucinie et de sa fille atteignait le summum de la souffrance morale. À plusieurs reprises, Célia avait perçu des entretiens entre sa mère et

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l'impitoyable conquérant, mais vu sa timidité, elle ne put percevoir toute la répulsion de sa mère lace à l'infamie et à la cruelle audace de cet homme. Lucinie, à son tour, lors de visite chez elle et alors qu'elle s'absentait brièvement de la présence de ses amies, avait quelques fois rencontré le préfet des prétoriens échangeant des propos avec sa fille qui l'accueillait avec toute la tolérance de ses bons sentiments pour ne pas blesser le cœur maternel. La femme d'Helvidius craignait, sincèrement, la présence de cet homme cruel, transformé en démon de son foyer.

La noble Lucinie, abattue et malade, pensa exposer la situation à son vieux père, néanmoins, elle se dit que le censeur aurait dû percevoir depuis longtemps sa position angoissante sur le plan moral, supposant donc que s'il se taisait, c'est qu'il avait de bonnes raisons à cela.

Plusieurs fois, elle avait essayé de parler de ce sujet si délicat à sa fille, la supposant aussi victime des persécutions insidieuses de l'ennemi de leur tranquillité ; néanmoins, Célia, avec sa pudeur naturelle, n'avait jamais fait de confidences à sa mère déviant chaque fois le cours de la conversation et redoublant d'affection à son égard, car elle devinait ses plus angoissantes préoccupations.

Finalement, alors qu'il ne manquait que deux mois avant le retour définitif d'Helvidius, Alba Lucinie fut alitée, extrêmement abattue.

Cela faisait plus d'un an que l'Empereur s'était absenté.

Ce furent quatorze mois d'angoisses pour la fille de Fabius Corneille dont la santé n'avait pu résister au choc des épreuves les plus accablantes. Célia, aussi, avait le teint pâle et une expression triste sur le visage. À travers ses traits, on pouvait noter sa faiblesse organique. Les inquiétudes de sa fille se traduisaient par de longues nuits d'insomnie qui finirent par ruiner sa santé auparavant vigoureuse. Avec sa tendresse innée, elle faisait tout pour réconforter sa chère mère souffrante.

Des ports d'Italie quatre grandes galères furent envoyées pour le retour d'Hadrien et de sa suite. Le premier bateau arrivé sur le littoral d'Attique fut disputé par ceux qui étaient les plus impatients de retourner à Rome, dont Claudia Sabine qui prétextait avoir besoin de repartir au plus vite car elle disait être demandée auprès des siens.

Helvidius Lucius trouva cet empressement étrange, mais ne pouvait deviner la portée de ses plans. Lui aussi désirait retourner chez lui de toute urgence mais il était obligé de répondre à l'invitation de l'Empereur qui souhaitait sa compagnie sur le bateau d'honneur qui arriverait à Ostie huit jours après les premières galères.

Quelques jours plus tard, la femme du préfet des prétoriens arrivait à la capitale de l'Empire avec une avance d'une semaine pour mettre en place la réalisation des sinistres projets de vengeance qu'elle avait à l'esprit. Son mari l'a reçue avec sa froideur habituelle et les employés de maison avec l'angoisse que sa présence occasionnait.

Claudia Sabine trouva le moyen de faire savoir à Hatéria la nouvelle de son retour, alléguant une possible urgence pour lui rendre visite.

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Devant sa complice, pour qui elle manifestait la plus grande générosité, l'ancienne plébéienne lui dit, soucieuse :

- Hatéria, le moment est venu de jouer la dernière carte de la partie. Je réaliserai mon projet sans vaciller dans mes intentions, quant à toi, tu recevras alors le prix de ton dévouement.

- Oui, Maîtresse - riposta la servante d'un regard cupide considérant sa récompense.

- Comment va la femme d'Helvidius ?

- La patronne est très abattue et malade.

- Encore heureux - a murmuré Sabine satisfaite -cela facilite l'exécution de mes plans.

Et après avoir fixé sa compagne d'un regard, elle a souligné d'une manière singulière :- Hatéria, tu es prête à affronter ce qui peut arriver ?

- Sans aucun doute, Maîtresse. Je suis entrée chez le patricien Helvdius Lucius spécialement pour vous servir.

- Tu ne t'en repentiras pas alors - lui dit Sabine avec énergie. - Écoute-moi : nous arrivons aux termes de ta mission chez Alba Lucinie. J'attends de toi un dernier service face à mon besoin de réparation pour l'affront dont J'ai souffert dans le passé. J'ai été généreuse avec toi mais je désire assurer ton avenir pour les bons services que tu m'as rendus. Que désires-tu pour le repos de ta vieillesse au sein de la plèbe désemparée ?

Après avoir réfléchi un moment, la vieille employée a murmuré d'un air satisfait comme si elle avait déjà fait tous les calculs nécessaires à une réponse la plus exacte possible.

- Madame, vous savez que j'ai une fille mariée dont l'époux passe par la plus grande misère en ces jours de tourments et de pauvreté. Valère, mon gendre, a toujours eu un grand amour pour la vie à la campagne ; mais dans sa pénible condition de pauvre libéré, il n'a jamais réussi à rassembler suffisamment d'argent pour acquérir un lopin de terre où il pourrait faire le bonheur de sa famille. Mon souhait pour autant serait de posséder un site loin de Rome où je me retirerais avec mes enfants et mes petits-enfants qui m'estimeront, comme ils le font aujourd'hui, dans les jours proches de la vieillesse, incapable que je serai de travailler.

- Tes désirs seront satisfaits - s'exclama la femme du préfet alors qu'Hatéria l'écoutait toute joyeuse - ; je vais chercher le coût d'un site agréable et le moment opportun venu, je te donnerai la quantité nécessaire.

- Et que dois-je faire maintenant pour gagner un tel bonheur ?

- Écoute bien - lui dit Claudia avec gravité -, d'ici une semaine Helvidius Lucius devrait être de retour. Dans l'après-midi de son arrivée, tu devras venir me voir pour recevoir des instructions. Ce même jour, tu auras l'argent nécessaire pour réaliser tes désirs. Pour le moment, va en paix et aie confiance en moi.

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Hatéria était rayonnante face aux perspective» d'avenir, indifférentes aux actes criminels qu'elle aurait à pratiquer pour arriver à ses fins.

Le lendemain, dans la matinée, une modeste litière sortait de la résidence de Lolius Urbicus, en direction de Suburra.

Il serait bien inutile de dire qu'il s'agissait de Claudia Sabine qui se dirigeait chez la jeteuse de sortilèges bien connue dans Rome et avec qui elle allait conclure ses funestes projets.

La sorcière de Cumes l'a reçue sans surprise, comme si elle l'attendait.

Après avoir plongé ses mains avides dans la quantité de pièces que Claudia lui apportait, Plotina s'est concentrée devant l'oracle que nous connaissons déjà, puis elle a dit :

- Madame, le moment est unique ! Nous devons soigner les moindres détails quant à ce que vous devez faire pour que nos efforts n'aient pas été vains.

Claudia Sabine s'est mise à réfléchir à un minutieux plan que la sorcière soumettait à ses critères.

Plotina parlait à voix très basse comme si elle craignait que les murs eux-mêmes entendent, telle était l'ignominie des suggestions criminelles planifiées.

Une fois la longue exposition faite, la consultante répliqua pensive :

- Mais, ne vaudrait-il pas mieux exterminer ma rivale ? J'ai quelqu'un chez elle qui pourrait se charger du coup fatal. Je sais que tu connais les potions les plus violentes et que tu peux me les fournir aujourd'hui même.

- Madame - vos pondérations sont raisonnables mais vous devez vous rappeler que la mort du corps ne profite qu'aux questions d'ordre matériel, et dans notre cas, elles sont d'ordre spirituel, rendant indispensable un coup infaillible. Qui nous dira que l'homme aimé reviendra dans vos bras si sa compagne descend dans les antres de la tombe ? Ceux qui partent laissent habituellement une nostalgie durable, nourrissant toujours une passion inoubliable.

Et pendant que la femme du préfet considérait ces étranges insinuations comme justes et avisées, Plotina continuait :

- Il faut instiller la haine dans le cœur de l'homme désiré pour que votre bonheur soit accompli. Pour atteindre cet objectif, il faut flageller son âme en l'abattant et en la détruisant.

- Oui, tes avertissements sont assez judicieux et je ne dois pas les mépriser, mais selon ton plan, mon mari devra disparaître.

- Et en quoi cela vous gêne-t-il, si sa mort est nécessaire ? Vous ne forceriez pas le destin pour jouir de tout le bonheur possible avec un autre homme ?

- Si, ton plan est le meilleur dès lors que tu en as prévu toutes les conséquences.

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Et, comme si elle interpelait la figure imaginaire de sa rivale, victime de son insanité et de sa haine, elle scanda les yeux perdus dans le vide :

- Alba Lucinie devra vivre !... Reléguée à un plan inférieur, vivant avec sa honte, elle souffrira le dédain et l'exécration dont j'ai souffert!...

Plotina s'est levée. D'une étrange armoire, elle a retiré des flacons et des emballages qu'elle a donnés à sa cliente avec des observations particulières.

Acceptant de bon gré le plan odieux, Claudia Sabine est sortie promettant de revenir.

Quelques jours plus tard, Aelius Hadrien avec son imposante suite entrait par la porte Ostie, acclamé par une immense foule où se mêlaient l'aristocratie et le peuple.

L'Empereur, avec sa prédilection pour les reliques de l'antiquité, avait recommandé à Helvidius de veiller sur tous les services de déchargement des pièces curieuses de Phocide, destinées à Rome. Mais déléguant cette tâche à l'un de ses hommes de confiance, le tribun s'est dirigé en ville pour étreindre sa femme et sa fille.

Lucinie et Célia le reçurent transportées d'une joie Indicible.

En les revoyant, le tribun fut pris d'une énorme surprise, toutes deux étaient si transformées et si malades. Malgré tout, ils ont échangés des impressions touchantes, pleines d'enchantement et de joie du fait de se revoir. Remarquant cette émouvante allégresse, le généreux patricien, attaché à son foyer, a retiré d'une petite boîte un magnifique bracelet de pierres précieuses, qu'il a donné à sa femme en souvenir d'Athènes et remit à sa fille une belle perle acquise en Achaïe comme souvenir de la lointaine Grèce.

Puis, ce fut une longue suite de souvenirs doux et amicaux, Alba Lucinie dut confier à son mari les péripéties de la maladie de Cneius Lucius, son agonie et sa mort.

Pendant que la ville s'animait de spectacles à l'occasion du retour de l'illustre Empereur, HeMdius Lucius et les siens échangeaient de doux propos, tuant les privations passées.

Néanmoins, quand les dernières lueurs du soleil préludaient au crépuscule, le patricien dit à sa femme avec une grande tendresse :

- Maintenant, chérie, je vais retourner à Ostie où je suis obligé de dormir aujourd'hui encore. Demain j'aurai définitivement réintégré la maison afin d'organiser notre nouvelle vie. J'ai déjà vu Fabius Corneille qui a accompagné l'Empereur aux côtés du préfet, mais ce n'est que demain que je pourrai voir Marcia, pour écouter ce qu'elle a à me dire concernant mon père et ses dernières volontés.

- Mais, tes responsabilités à Ostie sont si impérieuses ? a demandé Alba Lucinie inquiète. - Pour servir l'Empereur plus d'une année d'absence n'était-ce pas suffisant ?

- Oui, chérie, il est nécessaire d'accomplir notre devoir dans ses moindres détails. Hadrien m'a chargé de la vérification de toutes les reliques apportées de Grèce et je ne peux

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me fier qu'au travail des serviteurs étant donné la valeur considérable du chargement en question. Mais, ne t'inquiète pas pour cela !... Souviens-toi que demain je serai ici pour préparer nos projets familiaux.

Alba Lucinie a acquiescé avec un triste sourire comme si elle était face à l'inévitable. Son cœur, néanmoins, désirait la présence de son compagnon pour lui confier, immédiatement, ses déboires intimes.

En fin d'après-midi, la litière d'Helvidius sortait de chez lui précipitamment.

Alba Lucinie se retira dans sa chambre, pleine de nouveaux espoirs, pendant que sa fille retournait à ses méditations.

Quelqu'un, néanmoins, sortait de la résidence du tribun, prudemment et précipitamment, sans éveiller la curiosité des domestiques. C'était Hatéria qui se dirigeait vers le Capitole.

Claudia Sabine l'a reçue impatiente, la fit entrer dans un cabinet plus discret et lui parla en ces termes :

- Heureusement que tu es venue plus tôt ! Je dois prendre plusieurs mesures.

- J'attends vos ordres - a répondu la créature avec une feinte humilité.

- Hatéria - reprit Sabine d'une voix presque imperceptible -, je vis des heures décisives pour ma destinée. J'ai confiance en toi comme en ma propre mère.

Et lui livrant une lourde bourse, avec le prix de sa trahison, elle ajouta :

- Ici tu as la rançon à ton dévouement pour mon bonheur. Ce sont des économies avec lesquelles tu pourras acquérir un site loin de Rome comme tu le désires.

Hatéria, cupide, recevait la petite fortune, laissant transparaître une étrange joie dans ses yeux fulgurants.

La femme de Lolius Urbicus, néanmoins, continuait sur un ton discret :

- En échange de ma générosité, j'exige cependant un secret tombal, tu as entendu ?

- Je vous suis très reconnaissante de cette exigence, croyez le bien lui dit sa complice.

- J'ai confiance en ta parole.

Et après une pause, les yeux perdus dans le vide comme si elle prévoyait ses faits horribles, elle a souligné :

- Tu connais la colonne lactaire au marché aux légumes ? 5

5 La colonne lactaire au marché aux légumes ou au forum Olitorium, était le lieu où étaient exposés quotidiennement les nouveau-nés abandonnés.

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- Oui, ce n'est pas loin du portique d'Octavie. Il y a plusieurs années, je me suis promenée par là pour observer les enfants abandonnés.

- Dans ce cas, ce ne sera pas difficile de t'expliquer mes intentions.

Elle se mit à parler avec la vieille servante à voix très basse, lui exposant ses projets pendant qu'Hatéria l'écoutait très admirative mais acquiesçait à toutes ses suggestions.

Claudia Sabine semblait hallucinée. Le regard abstrait, son expression physionomique avait quelque chose de sinistre. Comme concentrée sur l'unique objectif d'accomplir ses plans, elle s'adressait à la vieille employée machinalement :

- Hatéria - dit-elle, je te remets ce minuscule flacon -, cette potion détend et apporte un sommeil prolongé... En l'administrant, il faut qu'Alba Lucinie se repose tranquillement...

Lui confiant un autre flacon, plus gaillarde elle a ajouté :

- Prends aussi celui-là ! Tu en auras besoin...

Et, pendant que la servante rangeait les éléments du crime, elle souligna :

- Que les dieux de ma vengeance nous protègent... Enfin, l'instant de la revanche est arrivé...

Oui, Hatéria, demain Helvidius Lucius saura à toutes fins utiles, que sa femme lui a été infidèle en lui présentant le fruit de son crime... Je te laisse le choix de l'enfant... Je peux absolument compter sur toi ?

- Par ma foi en la puissance de Jupiter, vous pouvez avoir confiance en moi, Madame. J'irai à la colonne lactaire, après minuit, et je prendrai un enfant avec moi. Des nouveau-nés sont abandonnés là par dizaines quotidiennement...

Une fois la sinistre intrigue organisée, la nuit avait déjà déposé sur Rome son manteau d'ombres épaisses.

Et pendant qu'Hatéria retournait chez ses maîtres, Claudia Sabine renonçait aux fêtes nocturnes de l'Empereur et prenait précipitamment la direction de la porte d'Ostie.

Retrouvant là-bas le fils de Cneius Lucius, elle lui demanda de lui faire la faveur d'échanger quelques mots en privé, ce qu'il a immédiatement accepté.

- Helvidius - lui dit la perverse créature avec sa facilité de dissimulation -, je suis ici pour te prévenir en toute discrétion que de graves incidents, que j'avais d'ailleurs déjà prévus alors que nous étions encore en Grèce, ont eu lieu.

- Mais de quoi s'agit-il ? - a interrogé le patricien avec anxiété.

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- Tu dois être prêt à m'entendre car je crois que le préfet des prétoriens, avec toute la brutalité de ses sentiments, en est arrivé à souiller l'honneur de ton foyer.

- Impossible ! - s'exclama le tribun avec véhémence.

- Néanmoins, tu dois entendre Alba Lucinie immédiatement et vérifier jusqu'où Lolius Urbicus a réussi à s'introduire dans ton foyer.

- Je ne peux douter de ma femme une seule seconde a-t-il répondu avec sincérité.

- Veux-tu ou ne veux-tu pas m'entendre jusqu'au bout et connaître les détails des faits encourus ? - a demandé Sabine irritée.

- Je t'écouterai avec plaisir, dès lors que le sujet ne se rapporte pas à ma famille et à l'honneur de ma maison.

- Il est possible que tu changes d'avis demain.

Et, saluant brusquement l'homme de toutes ses passions qui savait défendre les traditions du foyer et de la famille, l'ancienne plébéienne est retournée au Capitole, plus que jamais intéressée par le dénouement de ses funestes desseins. Le génie du mal qui parlait à son cœur préparait pour cette nuit-là les événements les plus terribles.

Jusqu'à l'aube, Sabine était restée dans le cabinet de Lolius Urbicus à examiner des documents et des parchemins, alors qu'Hatéria avait pris le chemin du marché aux légumes.

La société romaine s'était déjà habituée à voir près de la colonne lactaire les misérables enfants abandonnés. Le triste souvenir de cet endroit où tant de mères dévouées recueillaient de pauvres enfants délaissés, était un peu les débuts des célèbres « roues des enfants trouvés», dans les établissements de charité chrétienne qui fleuriront plus tard de par le monde.

À la clarté funeste de la lune, avant l'aube, la vieille servante a constaté la présence de trois pauvres petits. L'un d'eux, néanmoins, attira son attention par ses doux gémissements de nouveau-né. C'était un enfant aux traits délicats et nobles, que la complice de Claudia put examiner minutieusement à la lumière d'une torche. L'abandonné portait des vêtements très pauvres et semblait être né depuis peu. Hatéria le prit dans ses bras, presque charmée, tout en se disant : cet enfant doit être le digne rejeton de patriciens romains !... Quelle triste romance peut bien se cacher sous ces habits déchirés et ordinaires...

Elle l'emporta avec elle et discrètement pénétra chez ses maîtres.

Le jour se levait...

Cette nuit-là, la criminelle avait ajouté le narcotique aux remèdes de sa maitresse.

Elle est entrée dans la chambre où l'épouse d'Helvidius se reposait et tranquillement a déposé l'enfant à ses côtés, l'enveloppant dans la chaleur tiède des couvertures. Ensuite, elle a préparé toute la mise en scène nécessaire, sans que la pauvre victime de la potion, qu'elle avait plongée dans un long et lourd sommeil, puisse percevoir ce qui se passait.

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Mais le bébé se mit à pleurer faiblement bien que la servante criminelle fasse son possible pour le calmer.

Dans la pièce contigûe à celle de sa mère, compte tenu du bruit insolite, Célia s'est réveillée.

Elle s'éveilla hagarde et émue. Elle venait de rêver qu'elle se trouvait à nouveau dans le triste cimetière de la porte Momentané comme lors de la mémorable nuit où elle put revoir le bien-aimé de son âme. Elle se figurait qu'elle regardait Cirus à ses côtés, tandis que Nestor gardait la même attitude que lors de ses anciennes prêches, et demandait : - Qui est ma mère et qui sont mes frères ?

Elle était encore prisonnière de ces douces émotions et des plus tendres souvenirs à son cœur de fille et de jeune femme...

Quand à cet instant, un bruit insolite est arrivé jusqu'à elle. Des gémissements d'enfant?

Qu'est-ce que cela signifiait ?Perplexe et prise d'inquiétudes, elle s'est levée précipitamment.

Remarquant que quelqu'un approchait, immédiatement Hatéria s'est rapidement retirée mais la jeune fille avait déjà passé la porte et nota sa présence.

Voyant l'enfant à côté de sa mère endormie et les marques évidentes d'un accouchement sur place, les amers soupçons de son cœur filial laissaient entrevoir le drame qui s'était produit.

Un tourbillon d'affligeantes pensées assailli son cerveau affaibli. Oui, cet enfant devait être né là, conséquence fatale d'une tragédie inoubliable.

- Hatéria - s'est-elle exclamée bouleversée -, que signifie tout cela ?

- Votre mère, cette nuit, ma bonne enfant - répondit la servante criminelle, sans s'altérer -, a donné la lumière à un bébé...

- C'est incroyable ! - sanglota la fille d'Helvidius la voix étranglée.

- Néanmoins c'est la vérité - a répondu Hatéria à voix très basse -, je n'ai pas dormi et j'ai assisté Madame dans ses souffrances !

Et montrant l'infortunée compagne du tribun, elle s'est exclamée presque tranquille :

- Et maintenant elle dort... et a besoin de se reposer.

Célia ne pouvait définir la douloureuse intensité des pensées qui l'assaillaient. Jamais elle n'aurait cru sa mère capable de prévariquer en l'absence paternelle. Son cœur aimant avait toujours été, à son avis, un modèle de vertus, un symbole d'honnêteté. Certainement que Lolius Urbicus avait poussé l'infamie aux plus affreuses extrémités. Elle avait d'ailleurs bien entendu ses paroles de conquérant dénaturé et cruel ! En outre, sa mère était malade depuis

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longtemps. Certainement que son cœur bon et honnête était rempli des tourments de la componction et du repentir. Elle sentait pour elle une tendresse infinie. Son père était revenu la veille, plein de nouveaux espoirs. Elle avait surpris des larmes dans les yeux maternels, des larmes qui devaient être celles d'une joie intense et émouvante. Comme le cœur de sa mère avait dû souffrir pendant ces longs mois d'attente angoissante ! Alba Lucinie, néanmoins, sa mère et sa meilleure amie, avait maintenant un enfant qui n'était pas une fleur du thalamus conjugal. Helvidius Lucius ne lui pardonnerait jamais. Célia connaissait la fibre de son père, très généreux, mais excessivement impulsif. De plus, la société romaine était intransigeante en ce qui concerne les tragédies de cet ordre au sein de la noblesse. Des larmes bouillonnaient dans ses yeux, plongée dans ses dures et singulières réflexions, la jeune chrétienne s'est souvenue du rêve de cette nuit, et il lui a semblé encore entendre Nestor qui répétait les paroles de l'Évangile - « Qui est ma mère et qui sont mes frères ?» - Et poussant ses souvenirs encore plus loin, son exhortation à la veille du sacrifice lui est revenue en mémoire quand il avait affirmé que la plus grande résignation pour Jésus n'était pas vraiment celle de la mort, mais celle du témoignage que le croyant donne par l'exemple de sa vie. Ensuite spontanément, la figure de son grand-père est apparue à son esprit. Il lui semblait que Cneius revenait de la tombe pour lui recommander, une fois encore, la tranquillité de son père et le bonheur de sa mère, dans les rudes épreuves...

Les yeux en pleurs, elle prit le petit qui ouvrit les yeux pour la première fois aux premières clartés du jour... L'enfant abandonné fit un geste avec ses bras minuscules comme si il les portait vers elle, suppliant son réconfort et son amour. Célia a senti que ses larmes coulaient sur son visage blanc et minuscule, ressentant dans son cœur une tendresse infinie. Elle le retira avec soin comme s'il s'agissait d'un petit frère... Son petit cœur battait à la rencontre du sien, comme celui d'un oiseau effrayé égaré et sans nid... Son esprit fut comme touché par des sentiments mystérieux et inexplicables, peuplé des plus profondes émotions maternelles...

Après quelques minutes, pendant lesquelles Hatéria la dévisageait surprise, Célia s'est agenouillée aux pieds de l'employée, s'exclamant émue avec ce sublime esprit de sacrifice :

- Hatéria, ma mère est honnête et pure ! Cet enfant que tu vois dans mes bras est mon fils ! Ce sera mon enfant maintenant et pour toujours, tu comprends ?

- Jamais je ne le dirai - a répondu la complice de Claudia, atterrée.

- Mais écoute ! Toi qui as été la confidente de ma mère, aide-moi à la sauver !... Par amour à tes croyances, confirme mes intentions !... Ma mère doit s'occuper de mon père au quotidien et mon père l'adore ! Si elle a commis une erreur, pourquoi ne l'aiderions-nous pas en rendant à son âme le bonheur mérité ? D'elle-même, ma mère ne commettrait jamais une telle maladresse !... Elle a toujours été bonne, affectueuse et fidèle... Seul un homme très pervers a pu l'induire à un manquement de cette nature par les voies du crime !...

En larmes alors que la domestique l'écoutait atterrée, elle continuait :

- Accède à mes désirs ! Oublie ce que tu as vu cette nuit, te disant que les tyrans de nos temps ont l'habitude d'enlever de nobles dames, leur administrant les potions de l'oubli ! Ma pauvre mère doit avoir été victime de ces misérables pratiques !... Je veux la sauver et je compte sur toi !... Je te donnerai mes bijoux les plus précieux. Mon père n'a pas l'habitude de me donner de l'argent en espèce, mais je détiens me venant de lui et de mon grand-père les

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plus riches souvenirs... Tu les garderas ! Vends-les où tu voudras... Ça te fera une petite fortune...

- Mais et vous ? - a murmuré Hatéria étonnée par la tournure imprévisible que prenaient les événements - avez-vous déjà pensé que cette idée du sacrifice était Impossible ? Avec qui resterez-vous au monde ? Votre père, par hasard, supporterait-il de vous voir ainsi, mère d'un malheureux enfant ?

- Moi... - s'exclama la jeune fille avec retenue, comme si elle désirait se rappeler quelqu'un qui pourrait l'aider en de si pénibles circonstances -je... resterai avec Jésus !...

Ensuite, face au silence d'Hatéria qui lui obéissait machinalement, tout le scénario fut transporté dans sa chambre, alors que Célia retenait le petit contre son cœur et donnait à la servante ambitieuse ses bijoux les plus précieux, ne gardant à peine que la perle qu'Helvidius lui avait offerte la veille.

Alba Lucinie, néanmoins, sortit soudainement de sa torpeur. Abasourdie par l'effet du narcotique, elle fut surprise en entendant dans la chambre de sa fille les gazouillis de l'enfant.

Devinant la silhouette d'Hatéria à travers le rideau, elle l'appela à voix haute pour savoir ce qui se passait.

La domestique criminelle, néanmoins, est apparue devant elle, livide et atterrée...Portant ses mains à sa tête dans un geste de feint désespoir, elle s'exclama avec un

étrange désarroi :

- Madame !... Madame ! Quelle grande catastrophe !...

L'épouse du tribun, le cœur bondissant dans sa poitrine, pâle et ahurie, allait interroger la domestique quand quelqu'un a traversé la porte et a pénétré dans la pièce.

C'était Helvidius. Le gendre de Fabius n'avait pas réussi à dormir. Après les perfides insinuations de Sabine, il semblait que le poison atroce avait détruit toutes les forces de son cœur. Il avait beaucoup travaillé pour que les heures de la nuit fussent moins amères et pourtant à la naissance de l'aube, il avait enfourché un cheval qui le transporta rapidement chez lui pour s'assurer de sa tranquillité spirituelle auprès de sa femme et de sa fille.

Arrivé là, il avait juste entendu la vieille employée s'écrier désespérément :

- Une catastrophe !... Une grande catastrophe...

Alors que Lucinie la dévisageait angoissée et bouleversée, Helvidius Lucius marchait vers elle et vers la domestique, le visage sombre et triste...

- Explique-toi, Hatéria !... - eut la force de murmurer la pauvre femme angoissée.

À cet instant cependant, après une longue prière, la jeune chrétienne est apparue presque chancelante à la porte de l'alcôve maternelle.

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Elle avait les yeux rouges et tristes, ses vêtements étaient mal mis, ses cheveux en désordre. Bercé par ses bras aimants, le petit s'était calmé comme un oiseau qui avait retrouvé son doux nid.

Helvidius et sa femme ont dévisagé leur fille, surpris et atterrés.

- Mais qu'est-ce que tout cela signifie ? - a explosé le tribun s'adressant à l'employée.

Célia voulut s'expliquer mais sa voix s'étranglait dans Ha gorge, tandis qu'Hatéria lui disait :

- Maitre, votre fille, cette nuit...

Mais affrontant le dur regard du patricien, sa voix se perdit dans les réticences des remords et des doutes, face aux terribles conséquences de son infamie.

Alors Célia pleine de foi en la providence divine et sincèrement désireuse de se sacrifier pour sa mère, s'est agenouillée, humble, et a articulé d'une voix presque ferme :

- Oui, mon père... ma mère... la confession de mon erreur me pèse, mais cet enfant est mon fils !...

Le tribun a senti qu'une commotion inconnue a envahi tout son être. Sa tête tournoyait, en même temps qu'une expression livide de marbre couvrait son visage ridé de colère et d'angoisse. Le même phénomène physiologique se passait avec sa femme dont les yeux atterrés ne trouvaient pas de larmes pour pleurer. Alba Lucinie, néanmoins, eut encore l'énergie de murmurer, en regardant vers le ciel :

- Dieux du ciel !...

Puis agenouillée, tandis qu'Hatéria levait la tête froide et impassible, Célia s'est exclamée en sanglots pleine d'humilité : quand quelqu'un a traversé la porte et a pénétré dans la pièce.

C'était Helvidius. Le gendre de Fabius n'avait pas réussi à dormir. Après les perfides insinuations de Sabine, il semblait que le poison atroce avait détruit toutes les forces de son cœur. Il avait beaucoup travaillé pour que les heures de la nuit fussent moins arrières et pourtant à la naissance de l'aube, il avait enfourché un cheval qui le transporta rapidement chez lui pour s'assurer de sa tranquillité spirituelle auprès de sa femme et de sa fille.

Arrivé là, il avait juste entendu la vieille employée s'écrier désespérément :

- Une catastrophe !... Une grande catastrophe...

Alors que Lucinie la dévisageait angoissée et bouleversée, Helvidius Lucius marchait vers elle et vers la domestique, le visage sombre et triste...

- Explique-toi, Hatéria !... - eut la force de murmurer la pauvre femme angoissée.

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À cet instant cependant, après une longue prière, la jeune chrétienne est apparue presque chancelante à la porte de l'alcôve maternelle.

Elle avait les yeux rouges et tristes, ses vêtements étaient mal mis, ses cheveux en désordre. Bercé par ses bras aimants, le petit s'était calmé comme un oiseau qui avait retrouvé son doux nid.

Helvidius et sa femme ont dévisagé leur fille, surpris et atterrés.

- Mais qu'est-ce que tout cela signifie ? - a explosé le tribun s'adressant à l'employée.

Célia voulut s'expliquer mais sa voix s'étranglait dans sa gorge, tandis qu'Hatéria lui disait :

- Maître, votre fille, cette nuit...

Mais affrontant le dur regard du patricien, sa voix se perdit dans les réticences des remords et des doutes, face aux terribles conséquences de son infamie.

Alors Célia pleine de foi en la providence divine et sincèrement désireuse de se sacrifier pour sa mère, s'est agenouillée, humble, et a articulé d'une voix presque ferme :

- Oui, mon père... ma mère... la confession de mon erreur me pèse, mais cet enfant est mon fils !...

Le tribun a senti qu'une commotion inconnue a envahi tout son être. Sa tête tournoyait, en même temps qu'une expression livide de marbre couvrait son visage ridé de colère et d'angoisse. Le même phénomène physiologique se passait avec sa femme dont les yeux atterrés ne trouvaient pas de larmes pour pleurer. Alba Lucinie, néanmoins, eut encore l'énergie de murmurer, en regardant vers le ciel :

- Dieux du ciel !...

Puis agenouillée, tandis qu'Hatéria levait la tête froide et Impassible, Célia s'est exclamée en sanglots pleine d'humilité :

- Si vous le pouvez, pardonnez votre fille qui n'a pas réussi à être heureuse ! Je sais le crime que j'ai commis et j'accepte de bonne volonté les conséquences de mon erreur !

Les yeux baissés, des larmes effleurant la face du petit innocent, la jeune fille continuait s'adressant à son père qui l'écoutait atterré comme si la terreur de cette heure l'avait pétrifié :

- En votre absence, dans cette maison l'esprit d'un tyran est passé !... Reçu comme un ami, il a harcelé ma mère avec tous types d'infamie... Elle, néanmoins, comme vous le savez, a toujours été fidèle et pure !... Reconnaissant sa vertu incorruptible, le préfet des prétoriens a abusé de mon innocence, me forçant à l'irréparable !... Je n'ai jamais confessé à ma mère les erreurs de mon âme, mais, cette nuit, j'ai ressenti toute la réalité de mon malheur ! À l'auge de mes souffrances, j'ai demandé de l'aide à Hatéria pour sauver la vie de cet innocent !...

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Et levant ses yeux suppliants sur la domestique impassible, la jeune fille a ajouté :

- N'est-ce pas la vérité, Hatéria ?

Lucinie et son époux ne pouvaient croire ce qu'ils voyaient, mais l'employée criminelle confirmait avec un embarras simulé :

-C'est la vérité...- Je sais que nos traditions ne me pardonneront pas cet égarement -continuait Célia

tristement -, mais toute ma peine vient du fait d'avoir souillé le foyer paternel en acceptant de commettre un affront et en laissant place au déshonneur !... Je ne peux être pardonnée mais voyez mon repentir et ayez pitié de mon esprit abattu ! J'expirerai mon crime comme les circonstances l'exigent, et si la mort est nécessaire pour laver l'offense, sachez que Je mourrai avec humilité !...

Les larmes saisissaient sa voix, bien que se sentant soutenue par des bras intangibles du plan spirituel à l'instant pénible du sacrifice.

Sortant de sa stupeur, Helvidius Lucius a fait quelques pas en direction de sa femme tremblante, demandant d'une voix étrange et presque sinistre :

- Il s'agit donc de Lolius Urbicus, l'infâme ?

Alba Lucinie ressentant que toutes ses énergies la lâchaient, se souvint de son calvaire domestique face au harcèlement du conquérant, dont la persécution vis-à-vis de sa fille lui était venue à l'esprit. Loin d'imaginer toute la sinistre réalité de ces scènes que le génie criminel de Claudia Sabine avait idéalisées, elle dit à peine :

- Oui, Helvidius, le préfet a été le bourreau Impitoyable de notre maison !

- Mais, mon cœur ne peut croire ce que mes yeux voient - a balbutié le tribun sourdement.

Célia continuait agenouillée, les yeux voilés par les larmes, serrant le petit qui pleurait.

Prise d'amertume et d'étonnements, Alba Lucinie regardait sa fille. Maintenant, elle pensait comprendre les esquives de sa fille à toutes ses promenades de ces derniers temps, pour rester seule cloîtrée dans sa chambre, plongée dans les prières et les méditations. Elle attribuait la rétraction de Célia au décès de son grand-père qui avait laissé à elles deux les plus grands regrets. Mais sa méfiance de mère comprenait maintenant que le lâche conquérant avait abusé de l'inexpérience de sa fille. Combien de fois, avait-elle craint de sortir en la laissant seule au foyer, quand son intuition maternelle l'avait si souvent avertie que Lolius Urbicus chercherait à se venger en mettant ses terribles menaces à exécution. Maintenant, la réalité amère lui torturait l'esprit.

- Lucinie - a continué Helvidius grave -, explique-toi !... N'aurais-tu pas exercé chez nous la précieuse vigilance maternelle ? Est-il vrai que le préfet des prétoriens a insulté ta dignité ?...

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- Helvidius - sanglotait-elle d'une voix tremblante -, tout ce qui se produit ici est absolument étrange et incroyable, mais le fait est clair, et atteste d'une réalité plus désolante ! Je soupçonnais que notre pauvre fille fût aussi victime de l'ami pervers de mon père puisqu'en ce qui me concerne, je souffre, depuis que tu es parti, des plus atroces persécutions qui se sont traduites par de constantes menaces, étant donné ma résistance à ses désirs inavouables...

Les paroles sincères de sa femme qui se montrait amère et surprise annihilèrent ses derniers espoirs, le fier patricien se laissa complètement dominer par les réalités apparentes de cette heure tragique.

Les poings fermés, les yeux durs et sombres qui révélaient des dispositions inflexibles de vengeance, Helvidius Lucius s'exclama d'une voix terrible alors que tous ses traits étaient dominés par un rictus d'angoisse :

- Je me vengerai de l'infâme, sans pitié !...

Et dévisageant sa fille qui était restée à genoux, les yeux baissés comme pour éviter le regard paternel, il a prononcé ces mots terribles :

- Quant à toi, tu devras mourir pour sauver ce crime hideux !... Tu as commencé à me déplaire en préférant des esclaves et tu as fini par ruiner mon nom, en mettant cette maison dans une situation exécrable ! Mais, je saurai laver la tache criminelle par des décisions implacables !...

Une fois qu'il eut dit cela, l'orgueilleux tribun a sorti un poignard aiguisé qui brilla à la lumière du soleil matinal, mais Alba Lucinie, d'un bond, prévoyant sa décision inflexible, a retenu son bras, s'exclamant angoissée :

- Helvidius, par les dieux et pour ce que tu es... La douleur immense de notre honte et de notre malheur ne suffit-elle pas ?!... Tu veux aggraver nos souffrances avec la mort et avec le crime ? Non ! Pas cela !... Par dessus tout, Célia est notre fuie !

A cet instant, le tribun s'est soudainement rappelé des prières aimantes de son père au plus profond de ses souvenirs, comme s'il l'incitait au calme, à la résignation et à la clémence. Il lui semblait que Cneius Lucius revenait des ombres de sa tombe pour le supplier d'épargner sa petite-fille idolâtrée coopérant ainsi aux exhortations de sa femme.

Alors, sentant son cœur saturé d'une souffrance morale indéfinissable, il dit d'une voix caverneuse :

- Les dieux ne permettront pas que je sois un misérable infanticide... Mais j'écraserai le traître comme on écrase une vipère !

Et, se tournant soudain vers sa fille humiliée, il sévit avec énergie :

- J'épargne ta vie, mais désormais pour notre immense malheur tu es définitivement morte et ton indignité ne te permet plus de vivre une minute de plus sous le toit paternel !... Tu es maudite pour toujours !... Fuis n'importe où, sans te rappeler de tes parents ou de ta naissance, parce que Rome assistera bientôt à ton enterrement ! Tu seras une

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étrangère pour nous !... Ne te souviens plus jamais de nous, ne te raccroche pas au passé car je pourrais t'exterminer dans un moment d'impulsion !...

Humblement, Célia continuait agenouillée mais à ses oreilles résonnaient les paroles décisives de son orgueilleux père offensé dans son amour propre.

-Va-t'en, fuis, maudite !...

Elle s'est alors levée, chancelante, et elle a adressé à sa mère un dernier regard qui semblait concentrer toute sa confiance et tous ses espoirs... Alba Lucinie lui a renvoyé ce signe d'affection la fixant pleine d'une douloureuse tendresse. Elle sembla découvrir dans la limpidité de son expression toute l'innocence de l'âme miséricordieuse et chrétienne de sa malheureuse fille et son cœur maternel remercia intimement les dieux d'avoir épargné sa vie...

Comprenant le caractère inflexible de l'ordre paternel, Célia a fait quelques pas titubante et sortit par une issue latérale, elle s'est retrouvée en pleine rue sans avoir où aller alors que derrière elle, les portes du foyer paternel se refermaient pour toujours.

Après avoir fait des reproches à sa femme sur sa conduite l'accusant d'indifférence et de son manque de vigilance, et après avoir promis de récompenser le silence d'Hatéria, la menaçant aussi de prison au cas où elle agirait contrairement, il envoya un serviteur de confiance à la résidence de ses beaux-parents pour leur demander de venir chez lui de toute urgence.

Une heure plus tard, Fabius Corneille et sa femme se trouvaient auprès du couple apprenant tout ce qui s'était passé.

Alors que Julia Spinter était touchée par les plus pénibles émotions, le vieux et fier censeur s'exclama convaincu :

- Oui, Helvidius, partons immédiatement trouver le traître pour l'exterminer quelles qu'en soient les conséquences ; mais tu aurais dû exécuter ta fille, car le sang doit compenser les préjudices de la honte selon nos codes d'honneur !... Mais, bon, elle sera moralement morte pour toujours. Après avoir éliminé Lolius Urbicus, nous ferons en sorte que les cendres de Célia viennent de Capoue pour être déposées à Rome dans le caveau familial.

Pendant que les deux femmes bouleversées, mère et fille, restaient dans la chambre d'Alba Lucinie à se consoler réciproquement et suppliaient la protection des dieux pour cette tragédie inattendue si éprouvante, Fabius et Helvidius se sont précipitamment dirigés vers le Capitule afin de liquider l'ennemi comme s'ils allaient supprimer un serpent immonde et vénéneux.

Cependant, une surprise, aussi grande que la première, les attendait.

Au palais du préfet des prétoriens, l'agitation était inhabituelle et étrange.

Avant d'atteindre l'atrium, les deux patriciens furent informés que Lolius Urbicus était mort quelques minutes auparavant et l'on croyait qu'il s'agissait d'un suicide.

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Le décès de son mari faisait partie du sinistre plan de Claudia, maintenant propriétaire d'un riche patrimoine financier, car de cette manière, il ne resterait personne pour éclairer Helvidius Lucius sur l'infamie que l'ancienne plébéienne croyait avoir jeté sur le nom de son épouse. En outre, tard dans la nuit, Sabine avait pris l'un des parchemins vierges signés de la main du préfet, et imitant parfaitement son écriture rédigea un billet laconique où il se reconnaissait fatigué de la vie et suppliait Flavius Corneille, son ami de tous les temps, de lui pardonner les dommages moraux qu'il lui avait causés.

Pénétrant abasourdis chez leur ennemi mort, Fabius et Helvidius furent abordés par Claudia Sabine qui leur est apparue en larmes en ce matin tragique.

Après avoir déploré la tragique décision de son époux qui avait déserté la vie, Sabine livra au censeur le dernier billet d'Urbicus, qu'elle disait avoir été écrit par son mari à sa dernière heure, laissant transparaître une grande curiosité concernant cette demande de pardon injustifiable et étrange. Elle désirait ainsi, connaître les premiers résultats du funeste travail d'Hatéria, attendant anxieusement des informations indirectes des lèvres d'HeMdius ou quelque allusion venant de Fabius que son esprit vindicatif attendait impatiemment.

Le censeur et son beau-fils, néanmoins, reçurent sèchement et avec indifférence le supposé billet d'Urbicus. Et comme il fallait dire quelque chose face à cet événement imprévisible, Fabius Corneille a ajouté :

- Je garderai ce billet comme preuve de son déséquilibre mental dans ses derniers instants car il n'y a que comme cela que peut se justifier une telle demande. Et maintenant, Madame - a-t-il dit énigmatiquement à Claudia qui l'écoutait avec attention -, vous devez nous excuser de devoir nous retirer car chacun a ses disgrâces...

Le vieux patricien lui a tendu sa main en guise d'adieu mais sentant sa curiosité aiguisée par cette expression, l'ancienne plébéienne a demandé avec intérêt, comme pour provoquer quelque clarification de la part d'HeMdius Lucius qui était renfermé dans un mutisme énigmatique.

- Disgrâces ? Mais que désirez-vous dire par là ? Vous prétendez m'abandonner dans cette situation ? Pourquoi quittez-vous ainsi cette maison quand le cadavre d'un ami et d'un chef exige le témoignage de la vénération et de l'amitié ? Par malheur est-il arrivé quelque chose de grave à Alba Lucinie ?...

De toute évidence, cette dernière question avait un mystérieux sens. Elle attendait qu'Helvidius lui parle de sa tragédie domestique, de ses profonds chagrins conjugaux, de l'infidélité de sa femme, comme elle avait prévu que cela se déroulerait dans ses plans. Son cœur bâtard s'attendait à ce que l'homme aimé, à cet instant, lui manifeste toutes les attentions aimantes si ardemment désirées pendant ces derniers mois où ses sentiments mesquins avaient aussi caressé de grands espoirs. Cependant, le tribun restait impassible comme s'il avait les lèvres pétrifiées.

Fabius Corneille, néanmoins, sans trahir sa fibre orgueilleuse, éclaira Sabine en ces termes :

- Ma fille va bien, grâce aux dieux, mais nous venons aussi d'être blessés au plus profond de notre cœur ! Un émissaire de Campanie nous a apporté ce matin, la pénible nouvelle de la mort subite de ma petite-fille célibataire qui se trouvait auprès de sa sœur, en

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cure de repos. C'est la raison qui nous empêche de prêter au préfet les derniers hommages puisque nous venions justement lui communiquer notre départ immédiat pour Capoue afin de réaliser le transport des cendres!...

Une fois que cela fut dit, les deux hommes se sont sèchement retirés, sortant d'un pas ferme au bruit des amis et des serviteurs empressés qui manifestaient bien évidemment à Lolius Urbicus les dernières adulations.

Devant cette scène énigmatique, Sabine laissait aller ses pensées à des suppositions. Hatéria aurait-elle oublié d'accomplir aveuglement ses ordres ? Qu'était-il arrivé à sa rivale dont les nouvelles la laissaient perplexe, alors qu'elle avait tout prémédité avec tant d'assurance ? Néanmoins, les préjugés sociaux et les obligations de cette heure extrême que sa propre méchanceté avait provoquées, ne lui permettaient pas de courir comme une folle à la poursuite de sa complice, où qu'elle soit, pour assouvir sa curiosité.

Et alors que son esprit se perdait dans des divagations agitées, Fabius Corneille et son beau-fils s'adressaient à l'Empereur, obtenant la licence nécessaire pour les besoins du voyage en Campanie, qui leur céda immédiatement une confortable galère qui les recevrait à Ostie, afin d'écourter le plus possible leur voyage.

L'après-midi même, le bateau quittait le port mentionné, conduisant toute la famille vers sa destination, sans oublier qu'Helvidius Lucius ne manqua pas d'emporter Hatéria et quelques autres serviteurs de son entière confiance.

Alors que la noblesse romaine rendait hommage au préfet des prétoriens et que la galère d'Helvidius s'éloignait conduisant en son sein quatre cœurs angoissés, suivons la jeune chrétienne dans ses premières heures d'amertume et de sacrifice.

Sortant de la maison paternelle, Célia avait traversé des rues et des places, craignant de rencontrer quelqu'un qui la reconnaisse sur son triste chemin...

Elle tenait le bébé contre son cœur, comme s'il était son propre fils, telle était la tendresse que sa petite figure lui inspirait.

Après avoir longuement erré, prisonnière d'angoissantes réflexions, elle sentit que le soleil brillait haut dans le ciel et qu'elle devait trouver à manger pour le petit. Elle avait traversé les quartiers riches et se trouvait maintenant près du pont Fabricius (6), très fatiguée, exténuée. Au-delà du Tibre, apparaissaient les modestes constructions des juifs et des pauvres libérés ; il y avait là, la célèbre île du Tibre où autrefois s'élevaient les temples de Jupiter Lycaonius et d'Esculape... À ses côtés passaient les enfants de la plèbe, anxieux et pressés. De temps en temps, apparaissaient des soldats de la marine, de la flotte de Ravenne, cantonnés à Trastevere, qui lui jetaient des regards libidineux. Éreintée, elle se dirigea vers une maison de juifs, où une femme du peuple lui donna de quoi manger, pourvoyant à tous les besoins du petit. Réconfortée, elle emporta une petite provision de lait de jument. La fille d'Helvidius a continué son dur pèlerinage sur la voie publique comme si elle attendait une heureuse inspiration à sa farouche destinée.

(6) Le pont Fabricius fut ensuite nommé Ponto di Quatri Capi, en raison d'une statue de Janus Quadrifons, postée à l'entrée de la place. Elle fut construite en pierre, après la conjuration de Catilina. — Note d'Emmanuel.

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Dans l'après-midi, cependant, elle se retrouva au même endroit, là où elle avait été aidée par les plus humbles.

Triste et seule, elle s'est reposée à un angle du pont Fabricius, regardant tantôt les passants vêtus pauvrement, tantôt les eaux du Tibre, le cœur plongé dans de pénibles conflits.

Peu à peu, le soleil s'est lentement caché, dorant au loin les derniers nuages à l'horizon.

Un vent froid glacial commençait à souffler dans toutes les directions. Dévisageant les ouvriers pauvres qui rentraient aux foyers, la jeune chrétienne serra plus fortement contre sa poitrine la misérable créature. Se sentant découragée, elle se mit à prier et s'est rappelé que Jésus aussi avait marché de par le monde, à l'abandon, ressentant une douce consolation à cette réminiscence évangélique. Néanmoins, une poignante nostalgie de son foyer blessait son cœur sensible et aimant. Après leurs éreintantes besognes du jour, des femmes du peuple retournaient chez elle avec une auréole de joie tranquille qui transparaissait sur leur visage, tandis qu'elle, fille de patriciens, se sentait contrariée face aux incertitudes de son sort et se trouvait exposée au froid cinglant du crépuscule...

Retenant toujours le petit, comme si elle voulait le protéger de l'air glacial de l'après-midi, malgré sa foi et sa résignation, elle ne put contenir ses larmes, réfléchissant amèrement sur son triste sort !...

Les grands nuages fouettés par le soleil se dissipaient peu à peu, laissant place aux premières étoiles.

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III

La route de l'amertume

Après avoir débarqué dans un port de Campanie, à proximité de Capoue, Helvidius Lucius s'est adressé à ses parents afin de préparer ses enfants à la réalisation de ses volontés.

Les révélations inattendues concernant Celia furent Un rude coup pour Caius Fabrice et sa femme et obéissant aux décisions du tribun, ils ont créé les conditions nécessaires pour que les cercles aristocratiques de la Ville reçoivent la nouvelle venant de chez eux, tandis que les prêtres du temple, sans dédaigner les larges Compensations financières qu'Helvidius leur offrait, facilitaient les modalités en gardant ainsi pour toujours les Souvenirs de la jeune fille dans une poignée de cendres.

Après avoir reçu les hommages de la société patricienne de Capoue qui n'a pas manqué de trouver étrange le mystérieux événement, Fabius Corneille et tous les membres de la famille retournèrent rapidement à Rome où ils ont réalisé l'enterrement dans la plus grande simplicité, selon les usages de l'époque et les exigences de la tradition familiale.

Néanmoins, alors que les prétendues cendres de Célia venaient à peine d'être déposées dans le sarcophage, une nouvelle douleur vint accabler le cercle domestique de nos personnages.

Profondément blessée dans les fibres les plus sensibles de son cœur maternel, Julia Spinter ne réussit pas à supporter un aussi profond chagrin, venant s'ajouter aux nombreux autres qui minaient son existence. Elle quitta la terre inopinément, sans que ses proches puissent au moins prévoir l'approche de sa mort qui eut lieu pendant la nuit, d'un seul coup et faisant suite à une crise cardiaque.

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Ce nouveau deuil qui touchait la maison d'Helvidius provoqua chez Alba Lucinie les plus atroces souffrances. À cette époque, compte tenu de la disparition de Lolius Urbicus, Fabius Corneille avait reçu de nouvelles fonctions auprès de l'Empereur, charges qui lui accordaient de grands pouvoirs et de graves responsabilités pour résoudre les problèmes financiers existants.

Le décès de sa femme avait rempli son cœur de singuliers regrets. Il chercha, néanmoins, à réagir face aux forces qui le déprimaient, exerçant toujours son autorité avec le même orgueil qui le caractérisait.

Se sentant très seuls, HeMdius Lucius et sa femme auraient souhaité retourner à la tranquillité provinciale de la Palestine, mais le brusque décès de la noble femme les empêchait de réaliser à nouveau l'exécution des projets si longtemps caressés, concernés par l'isolement dans lequel se retrouverait le vieux censeur dont le cœur fier et froid leur avait toujours donné les plus grandes preuves d'amour et de dévouement.

Clarifiant la situation de tous les personnages, nous devons évoquer le cas de Claudia Sabine après les singuliers résultats des événements pénibles qu'elle avait elle-même funestement engendrés. Une fois son mari mort et se sentant frustrée par l'échec de tous ses plans, elle chercha en vain à voir Hatéria, qui, élevée à une position de confiance accrue au sein du foyer d'Helvidius Lucius, était disposée à ne jamais abandonner la demeure, craignant des représailles. En possession de la large somme que le tribun lui avait donnée en échange de son silence, la vieille employée a appelé son gendre et sa fille à la résidence de ses maîtres, pour leur livrer une partie de la petite fortune avec laquelle ils ont acquis, à son nom, un beau site à Benevento, organisant ainsi la vie de ses enfants jusqu'à ce qu'elle fût disposée à partir pour la vie rurale.

Malgré ses efforts, Claudia Sabine n'avait pu lui parler puisque Hatéria ne s'absentait jamais de la maison de ses maitres. De plus, Fabius Corneille détenait des pouvoirs de plus en plus puissants dans la ville impériale, l'obligeant indirectement à rester silencieuse et à distance.

C'est ainsi que l'ancienne plébéienne a quitté Rome pour Tibur, accompagnant les futilités de la cour d'Hadrien, dont les derniers temps de son règne se caractérisèrent par une cruelle indifférence.

Entourée de domestiques mais dans un complet ostracisme social, la veuve du préfet des prétoriens acquit une demeure tranquille où elle dut passer de longues années alimentant sa haine dans de détestables réflexions.

Après ces brèves observations, reprenons les pérégrinations de Célia pour accompagner sa pénible errance.

En quittant le pont Fabricius, elle avait marché au hasard voulant atteindre l'île du Tibre où se concentrait la plupart des pauvres.

Aux dernières lueurs de l'après-midi, elle chercha à traverser le pont Cestius, trouvant sur un bout de chemin une femme du peuple au visage humble et joyeux. Célia s'assit un moment pour accommoder le petit. Mais elle sentit que le regard de l'inconnue pénétrait doucement son cœur.

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Finalement, éprouvant une secrète confiance inspirée par cette femme simple, elle a tracé par terre avec la main droite dans la poussière, un petit signe de croix, grâce auquel tous les chrétiens de la ville se reconnaissaient.

Toutes deux ont alors échangé un regard expressif de sympathie, pendant que l'inconnue s'approchait lui disant gentiment :

- Tu es chrétienne ?

- Oui - a murmuré Célia en sourdine.

- Tu es perdue ? - a demandé discrètement l'inconnue révélant dans ces quelques mots la plus grande prudence afin de ne pas être surprise en tant qu'adeptes du christianisme.

- Oui, Madame - a répondu Célia, quelque peu consolée par cet intérêt spontané -, je suis seule au monde avec ce petit.

- Alors viens avec moi, il est possible que je te sois utile.

Dans l'océan d'incertitudes où elle se trouvait, avide de protection, la petite-fille de Cneius Lucius l'a suivie. Elles ont calmement traversé le pont Cestius comme de vieilles amies qui se seraient retrouvées, se dirigeant vers un ensemble de maisons pauvres.

Loin de la foule, la femme du peuple, toujours affectueuse, se mit à parler :

- Ma bonne enfant, je m'appelle Orphilia et je suis ta sœur de foi ! Dès que je t'ai aperçue, j'ai compris que tu étais seule et abandonnée en ce monde ayant besoin de l'aide de tes frères ! Tu es jeune et Jésus est puissant. J'ai surpris des larmes dans tes yeux, mais tu ne dois pas pleurer quand tant de nos frères ont souffert d'atroces sacrifices par les temps amers que nous traversons...

Célia l'écoutait réconfortée, mais au fond, elle ne savait pas comment procéder dans de si difficiles circonstances quand une compagne de croyance se révélait à elle en toute sincérité.

Alors qu'Orphilia se tut un instant, la fille d'Helvidius la remercia en quelques mots :

- Oui, Madame, je suis émue et je ne sais pas comment vous remercier.

- Je suis blanchisseuse - a continué la plébéienne avec sa simplicité de cœur -, mais j'ai le bonheur d'avoir un mari miséricordieux et chrétien qui ne cesse de me fournir au travail et au sein de notre foyer les témoignages les plus sacrés de notre foi ! Tu vas le connaître !... Il s'appelle Horace et il sera heureux de savoir que nous pouvons t'être utiles en quoi que ce soit... J'ai aussi un fils du nom de Junin, qui est notre espoir pour l'avenir quand dans notre pauvreté matérielle nous ne serons plus en mesure de travailler !...

Et s'approchant de plus en plus de la pauvre maisonnette, elle ajouta :

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- Et toi, ma sœur, que t'est-il arrivé pour porter sur ton visage tant de tristesse et de désillusion ?... Si jeune et avec un enfant dans les bras, si belle et si malchanceuse ?...

- Je suis veuve et abandonnée - s'exclama Célia les yeux en larmes -, mais j'espère que Jésus m'aidera à trouver le nécessaire pour mon fils et moi...

Elle n'avait pas encore fini ses explications timidement formulées qu'elles se trouvèrent sur le seuil d'une salle très pauvre, presque dégarnie.

Deux hommes parlaient à la faible clarté d'une torche et immédiatement ils se sont levés pour les recevoir.

Dûment présentée au père et au fils, Célia a remarqué qu'Horace semblait effectivement bon et sérieux, mais remarqua chez son fils quelque chose qui lui déplu beaucoup, il avait le regard des jeunes gens frivoles et inconstants, plein de fantaisie et très loquace.

- Vous savez, mère - dit le jeune homme comme s'il avait toutes les qualités d'un cancanier -, un grand événement a bouleversé toute la ville !

Tandis qu'Orphilia faisait un geste d'étonnement, Junin continuait :

- La première nouvelle qui a ébranlé aujourd'hui l'entourage du forum dans la matinée fut la mort du préfet Lolius Urbicus qui s'est suicidé scandaleusement, entraînant le gouvernement à de nombreux hommages !

- Comme c'est étrange - s'exclama l'interpellée -, plusieurs fois, j'ai vu cet homme noble en public à l'allure fière et virile. Hier encore, je l'ai aperçu sur les chars à l'occasion des fêtes triomphales de l'Empereur. Son visage débordait de joie et pourtant...

- Et bien - interrompit le chef de maison -, nous traversons une phase de terribles surprises dans toutes les classes sociales. Qui pourrait garantir avec certitude que le préfet des prétoriens s'est réellement suicidé ? Le mois passé, la ville a assisté à deux événements de ce type, pourtant, on a appris ensuite que les deux patriciens suicidaires avaient été cruellement assassinés par des tueurs de leur propre bande.

Célia assise dans un coin comme si elle était une jeune mendiante, écoutait ces remarques, amèrement impressionnée. La mort étrange de Lolius Urbicus l'atterrait. Bien qu'inquiète, elle faisait son possible pour ne pas trahir ses plus vives émotions.

- Mais la journée n'a pas seulement été marquée par cet événement là -continuait Junin, loquace - ; on m'a dit au forum que quelques chrétiens ont été arrêtés alors qu'ils étaient réunis près de l'Esquilin et que le censeur Fabius Corneille et sa famille sont partis pour Capoue afin de rapporter à Rome les cendres de l'une des filles du tribun Helvidius Lucius, récemment décédée...

La jeune chrétienne reçut cette nouvelle avec étonnement, comprenant la gravité de sa situation face à ses parents orgueilleux et inexorables. Elle fut tristement choquée par des nouvelles aussi affligeantes... L'idée lui vint à l'esprit de retourner chez elle et de reposer son corps épuisé... Elle ne s'était jamais éloignée de son foyer, excepté quand elle se reposait auprès de son grand-père malade, au palais de l'Aventin. Elle s'est souvenue des serviteurs

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amicaux et dévoués, a évoqué tous les recoins du nid paternel avec ses aspects particuliers. Une nostalgie immense de sa mère l'a profondément envahie et pourtant par une secrète intuition, son cœur lui disait que jamais plus ses yeux ne reverraient la tranquillité du foyer paternel, si ce n'est lorsqu'elle aurait quitté la prison du monde. D'après les informations de Junin, elle comprit que les portes de la maison paternelle lui étaient à jamais fermées... Symboliquement morte, ce n'est qu'en tant qu'ombre qu'elle pourrait un jour retrouver les siens...

Observant ses yeux larmoyants et reconnaissant son énorme fatigue, Orphilia voulut interrompre les sujets frivoles lui adressant la parole gentiment :

- Et toi, ma chère enfant, pour peu nous ne finissions pas notre histoire. Tu te dis veuve ? Mais, quelle pitié !... Tu es si jeune !

La prenant par la main, elle la conduisit à l'intérieur sous le regard surpris des deux hommes qui remarquaient la noblesse des traits de l'inconnue, tout en disant :

- Entrons, ma Me !... Il fait très froid et tu semblés fatiguée. En outre, nous avons besoin de nous occuper de l'alimentation du petit. Viens !

Après les remarques de Junin, comprenant qu'elle ne pourrait pas exposer à cette amie occasionnelle la réalité de sa situation, Célia priait Jésus de l'inspirer dans des circonstances aussi difficiles alors qu'Orphilia continuait avec intérêt :

- Mais, comment t'appelles-tu, ma sœur ? Tu es veuve depuis longtemps ? Et tu n'as pas d'amis ?...

La fille d'Helvidius, mesurant toute la délicatesse du moment, lui donna un faux nom et dit :

- Je suis devenue veuve il y a à peine quatre mois et Je suis complètement abandonnée avec cet enfant de quelques jours. J'ai supporté toutes les souffrances d'une pauvre malheureuse de la plèbe, mais j'ai toujours gardé ma foi en Jésus comme unique refuge. Même maintenant, votre charité fraternelle qui m'accueille dans cette maison, est pour moi le témoignage vivant de la protection du Maître Divin à qui j'ai adressé toutes mes prières!...

Non seulement Orphilia, mais son mari et son fils aussi l'ont écoutée peines.

- Et quels sont tes projets, ma fille ? - a demandé la maîtresse de maison, émue.

À cette question, Célia s'est souvenue de Cneius Lucius qui lui avait promis son soutien dans les moments les plus difficiles si le Seigneur le lui permettait, et implorant ses valeureux conseils par les vibrations silencieuses de sa pensée, elle répondit avec une certaine fermeté :

- Il faut que je quitte Rome le plus tôt possible. Malheureusement, les moyens nécessaires me manquent, mais j'espère que Jésus m'aidera... J'ai quelques parents dans la banlieue de Naples et aux confins de la Campanie. Je veux faire appel à eux tous, car je ne pourrai pas rester ici sans conditions pour nous faire vivre mon pauvre enfant et moi.

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- C'est juste - a répondu Orphilia doucement -, Horace et moi, nous pourrons t'aider dans les premières mesures à prendre.

- D'ailleurs - a répliqué le chef de famille, avec un geste paternel -, en tant qu'employé du forum, Junin devra partir en voyage ce mois-ci, emportant des documents de peu d'importance jusqu'à Gaète ! Munie des quelques ressources que nous pourrons trouver, tu pourras commencer avec de nouveaux recours pour rejoindre tes parents.

Célia l'écoutait consolée et reconnaissante pendant qu'Orphilia prenait l'enfant pour le nourrir correctement, incitant la jeune fille à se servir, à son tour, une assiette de bouillon.

- Cette idée tombe à point nommé - dit Orphilia s'adressant à son mari, les nobles partent pour Naples sur de luxueuses galères, mais nous, les humbles, nous devons utiliser les procédés les plus pauvres.

- Toutefois, tout est entre les mains de la miséricorde divine - a commenté Horace, convaincu.

Et s'adressant à son fils, alors que sa femme se taisait, il a demandé :

- Quand pars-tu ?

- Dans deux semaines, je crois.

- Très bien, Orphilia, d'ici là, nous aurons pourvu aux besoins nécessaires pour le voyage de notre sœur.

Célia a esquissé un sourire de remerciements se •entant bien aux côtés de ces cœurs simples et généreux.

Peu après, elle reposait avec le petit dans un modeste lit très propre que la maîtresse de maison lui avait préparé, près de sa chambre.

Accommodant affectueusement l'enfant entre les pauvres couvertures, la fille d'Helvidius Lucius se mit à prier, méditant sur les pénibles péripéties de ce jour inoubliable. Quand l'on souffre, la vie est comme un tourbillon de cauchemars intenses. À son esprit accablé, il lui a semblé qu'elle était séparée des siens depuis plusieurs années, telle fut l'angoisse martyrisante des heures interminables où elle errait sur les voies publiques, sans but et sans aucun espoir... Sans perdre de vue le bébé, elle a senti que petit à petit son corps exténué cédait au sommeil réparateur. Elle s'est alors endormie tranquillement comme si dans les ailes de la nuit son esprit fuyait temporairement sa prison, libérée de la pénible réalité.

Pendant deux semaines, grâce à la protection d'Orphilia et de son mari, la jeune fille chrétienne s'est préparé des vêtements pour elle et pour le petit. Avec ce que ses amis lui fournissaient, elle s'est coupé des habits pauvres et simples avec lesquels elle entreprendrait son chemin d'humilité.

Où irait-elle ? Elle ne pouvait pas le savoir en fait.

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Elle ne connaissait pas Naples si ce n'est à travers les descriptions de son vieux grand-père quand il inventait des voyages imaginaires pour instruire sa petite-fille aimée.

Il était possible qu'elle n'arrive pas jusqu'à Naples, ni même en Campanie où elle gardait le souvenir de sa sœur et de Caius Fabrice domiciliés à Capoue. Inutile d'espérer l'aide de sa sœur puisque Helvidia et son mari, certainement informés de ce qui s'était produit à Rome, ne pourraient absolument pas lui pardonner.

Néanmoins, elle était disposée à partir, pleine de confiance en Dieu. Au moment opportun, Jésus saurait bénir ses pas les guidant vers le bon chemin. Dans la complexité de ses méditations, elle se rappelait sans cesse les paroles de son grand-père le jour du sacrifice de Cirus et de Nestor, attendant que les messagers du Seigneur ou les âmes des êtres chers reviennent de la tombe pour guider leur cœur dans le dédale des anxiétés angoissantes.

Craignant des complications, la jeune fille ne sortit jamais de l'humble quartier du Trastevere où elle avait été accueillie, jusqu'à ce qu'un jour, aux premières clartés de l'aube elle dit adieu à ses amis les larmes aux yeux.

La voiture de Junin avait été préparée la veille, de sorte que leur départ eut lieu à l'aube. Orphilia et Horace étaient également émus, mais obéissant à l'impératif des épreuves sur terre, Célia se blottit dans le véhicule fabriqué conformément aux diligences de l'époque, où elle rangea son sac de vêtements et une importante provision d'aliments qu'Orphilia n'avait pas oublié de préparer pour le petit avec amour.

Après de tendres étreintes et des vœux de bonne chance, quelques instants plus tard sous le froid intense du matin, Junin faisait claquer le petit fouet sur le dos des animaux traversant les voies publiques.

Célia priait Jésus de fortifier son esprit angoissé en lui donnant le courage d'affronter les routes tortueuses de la vie... En quittant Rome, les yeux remplis de larmes, sentant son cœur flagellé par les souvenirs impitoyables, son profond martyre lui sembla plus intense. Regardant, cependant, le bébé presque endormi dans ses bras, elle ressentait une force irrésistible qui la soutiendrait dans tous les sacrifices.

Les premiers rayons de soleil commençaient à envahir le vaste ciel quand la voiture traversa la porte Caelimontana7, et les chevaux partirent au trot sur la voie Appienne... Face à la campagne romaine sur la route où s'élevait l'admirable aqueduc de Claude, la fille d'Helvidius s'extasiait à la contemplation de la nature, l'esprit plongé dans de douces prières et de profondes méditations.

(7) Porte Caelimontana a été appelée, plus tard, porte de Saint-Jean. - Note d'Emmanuel.

Il était à peine dix heures quand ils ont passé Albe-la-Longue avec ses maisons simples et coquettes.

Avec une expression énigmatique dans le regard, Junin fit en sorte que sa compagne de voyage et le bébé prennent un léger repas avant d'initier l'ascension des monts du Latium.

Poursuivant leur route sur les chemins bordés d'arbres et de fleurs sauvages, ils sont ainsi parvenus à Aricia entourée de jeunes oliviers et de jardins immenses. Plus tard, ils

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atteignaient Genciano8, un village gracieux et agréable au pied du lac Nemi où fleurissaient d'interminables roseraies sur les bords de la route.

(8NT): Gensano (Gentiano, Genciano, Genzano), petite ville à 29 km au sud de Rome.

Célia avait l'esprit plongé dans de douces réflexions en raison de l'enchantement merveilleux du paysage dont la beauté dépassait tous les tableaux de la Palestine gardés en mémoire pour toujours. De toute part, des oliviers généreux, des orangers en fleur, des jardins immenses et bien soignés, des rosiers parfumés et des détails précieux que les hommes de la campagne avaient organisés.

Que ce soit l'influence caressante de l'air embaumé d'arômes ou en raison de la fatigue de sa longue excursion, l'enfant s'était endormi dans les bras de la Jeune maman que le ciel lui avait donnée, alors qu'elle caressait son visage minuscule avec le plus tendre amour.

Et comme l'ombre des bois atténuait les rayons chauds du soleil crépusculaire, Junin, qui ne restait jamais silencieux, attirant l'attention de sa compagne de voyage sur tel ou tel détail en chemin, se mit à lui parler d'un étrange sujet. La jeune fille a rougi et lui a demandé de se rappeler de la tradition chrétienne de ses parents qui l'avaient traitée généreusement, le suppliant de la laisser tranquille avec son pénible veuvage, au gré de son sort. Elle remarqua, néanmoins, que le jeune homme était plein des vices de son temps et se dit que le fils de ses protecteurs serait insensible à ses prières les plus ardentes. Repoussé dans ses intentions indécentes, laissant alors transparaître Sur son visage une dégoûtante expression de vautour blessé, le fils d'Horace dit à sa victime :

- Nous sommes près de Velitrae où nous passerons la nuit et comme tu devras continuer avec moi jusqu'à Gaète, j'espère te convaincre demain. Sinon...

Tout en se rappelant qu'elle devait prier et rester Vigilante, Célia avala l'insulte tout en conservant sa pensée plongée dans un fervent recueillement afin que le Divin Maître, par ses messagers, lui inspire la meilleure chose à faire.

Quelques instants plus tard, ils entraient dans la belle ville construite en des temps reculés par les Volsques et qui fut le berceau du grand Auguste. Velitrae, puis plus tard Velletri, se trouve sur une grande colline, offrant de très belles perspectives topographiques au voyageur. Ses crépuscules sont empreints d'une douce et d'une merveilleuse beauté... En contemplant l'orient, on voit les montagnes de la Sabine reliées par les précipices profonds où se trouve la ville, et en fin de journée, quand le soleil disparaît, la neige des montagnes se mêle au brouillard de la nuit, offrant des prismes visuels aux plus éblouissants effets.

Junin posa les rênes devant une auberge en apparence très simple. Reçu avec des démonstrations de joie par ses anciennes connaissances, immédiatement un logement pour Célia avec l'enfant fut mis à leur disposition et les animaux furent rentrés dans l'étable.

Après le repas, la jeune chrétienne se recueillit dans sa chambre pour réfléchir et prier. Junin avait prévu de repartir à l'aube. Mais elle était prise d'angoisse et d'incertitude. Le fils de ses bienfaiteurs ne semblait pas partager les mêmes sentiments élevés de ses parents. Ce regard intraitable semblait présager de la malice d'un serpent. Ses gestes étaient intrépides, ses idées indifférentes aux notions du devoir et de la responsabilité.

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Tard dans la nuit, une employée de maison est venue s'informer si son hôte avait besoin de quelque chose, elle la trouva inquiète et angoissée à se demander ce qui pourrait bien lui arriver en ce lendemain menaçant.

Après d'amères réflexions, inspirée par ses amis de l'invisible, elle décida de quitter l'auberge dès les premières heures de l'aube et de fuir la perversité de l'ennemi de sa paix intérieure.

C'est ainsi qu'à l'aube, apeurée, elle s'est éloignée de la grande maison inconnue. Serrant le bébé contre sa poitrine, elle sentait son cœur battre à vive allure. Jamais, elle n'avait affronté de situation aussi difficile et, néanmoins, elle se disait que Jésus l'aiderait par de précieuses suggestions.

Laissant Velitrae à sa gauche, elle prit courageusement un large chemin, portant le petit et son pauvre bagage, elle marcha jusqu'à l'aurore et se retrouva dans l'ancien village de Cora, célèbre pour son temple à Castor et Polux. Là, une femme du peuple l'accueillit chez elle pendant quelques minutes et lui offrit de nouvelles provisions compatissant de sa dure journée avec le petit dans ses bras.

Poursuivant sa marche, possédée par une étrange force comme si quelqu'un guidait ses pas, malgré l'itinéraire incertain, elle s'est bientôt retrouvée sur les bords de l'Astura à traverser des petits villages où il y avait toujours un bon cœur pour lui prodiguer une gentillesse fraternelle.

Avant midi, elle rencontra de simples conducteurs de charrettes, employés par de riches propriétaires de la région qui travaillaient au transport, dont l'un d'eux ayant l'allure d'un patriarche, lui offrit une place à ses côtés pour soulager la douleur de ses pieds.

Rapidement installée dans un véhicule assez rapide pour l'époque, la jeune chrétienne pouvait apercevoir à l'horizon les célèbres marais Pontins, une vaste étendue de terre sans relief vers où convergeaient les eaux abondantes de quelques fleuves.

Célia traversa ainsi différentes agglomérations, des villages naissants ou des vieilles villes en ruines, retenant plus longuement ses yeux tristes sur les humbles constructions du Foro Appio (Forum Appii), où les traditions chrétiennes de Rome assuraient qu'avait eu lieu la rencontre de Paul de Tarse avec ses frères de la ville de César.

Plongée dans ses réflexions, la voyageuse passa près d'Anxur, qui s'appellera plus tard Terracine, et qui débouchait sur les flancs escarpés de la montagne, passant par les ruines bien conservées d'anciens palais qui avaient appartenu à de lointains souverains. Des sommets, ses yeux découvraient toute la région des célèbres marais ainsi que la vaste étendue de la mer Tyrrhénienne.

Arrivée là, cependant, elle sentit son cœur affligé se glacer, car sur cette route hostile et montagneuse, le cocher âgé, bienveillant et amical, devait faire marche arrière obéissant ainsi aux ordres reçus.

Le soir tombait. Le vieux transporteur de terre a salué sa compagne qui avait les yeux larmoyants. Pendant tout le chemin, Célia était restée triste et silencieuse, mais, percevant que

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son bienfaiteur ému craignait de devoir l'abandonner dans un endroit aussi ingrat à une telle heure, elle lui dit courageusement :

- Adieu, mon bon ami ! Que le ciel récompense votre bonté. Votre offre généreuse m'a évité une grande fatigue sur cette route !...

- Vous allez à Fundi ? - a demandé le bon vieillard avec intérêt.

- Je n'aurai pas besoin d'aller jusqu'à là-bas - a répondu la jeune fille avec un courage inouï - ; la maison de mes parents est toute proche.

- Encore heureux - a-t-il répliqué réconforté -, je craignais que vous ayez à marcher encore longtemps car ces régions sont infestées de fauves et de hors-la-loi.

- Soyez tranquille - a dit Célia cachant sa propre angoisse -, ces routes ne me sont pas inconnues. En outre, je suis sûre que le ciel me soutiendra, protégeant mon enfant...

Entendant cette invocation faite au ciel, dans sa Simplicité d'âme vouée à Dieu, le généreux transporteur s'est respectueusement découvert et après avoir tendu sa main à la jeune inconnue, il s'est préparé à descendre la montagne où il n'était monté que pour répondre à la Sollicitation de sa gracieuse passagère. Il reprit les mêmes sentiers escarpés afin d'accomplir à Anxur la tâche qui lui Incombait.

Célia le vit disparaître dans les courbes raides, accompagnant le véhicule d'un regard triste et soucieux, elle aurait aussi voulu faire demi-tour car une crainte immense des hommes impitoyables qui ne sauraient pas respecter sa chasteté, la poussait à chercher l'inconnu entre les ombres épaisses des forêts du Latium.

Plongée dans la prière, elle a marché presque mécaniquement, observant, angoissée, que les ombres du crépuscule s'avoisinaient...

La route passait par une étroite vallée, d'un côté elle pouvait voir l'océan et de l'autre la chaîne de montagnes. Les derniers rayons de soleil doraient les immenses sommets quand ses yeux découvrirent sur la gauche, une grotte providentielle formée par les éléments de la nature. C'était, néanmoins, une construction naturelle si imposante qu'il a suffi d'un examen plus poussé pour qu'elle se rappelle des leçons de son grand-père, en d'autres temps, identifiant l'endroit avec les souvenirs de ses études. Cette grotte était le lieu célèbre où Séjan avait sauvé la vie de Tibère, quand l'ancien Empereur, encore prince, se dirigeait avec quelques amis vers les villes de Campanie. Se sentant assaillie par les faibles clartés en fin d'après-midi, elle s'est dirigée vers l'intérieur où une cavité naturelle semblait bien adaptée au repos d'une nuit. Remerciant Jésus d'avoir trouvé un abri comme celui-ci, elle a arrangé les pauvres vêtements qu'elle avait apportés pour accommoder le petit et se mit à récolter de grandes brassées de mousse sauvage qui tombait des vieux arbres, elle rembourra le lit dur avec le plus grand soin. Alors qu'elle cherchait à barrer le passage dans la grotte où elle allait se reposer avec des pierres et des branches vertes, envisageant la possible apparition de quelque bête sauvage, voici qu'elle entendit s'approcher rapidement le bruit des sabots de chevaux au trot sur le chemin...

Reprenant le petit dans ses bras, elle est accourue vers eux, désireuse de parler à quelqu'un et de pouvoir fuir cette triste impression de solitude, espérant que la Providence

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divine, par l'intermédiaire d'un cœur bienveillant, lui éviterait l'angoisse d'une nuit qui se présentait terrifiante...

Serait-ce un véhicule, ou serait-ce de généreux cavaliers qui lui tendraient une main fraternelle ? Il se pouvait aussi que ce soit des voleurs à cheval, perdus dans la forêt en quête d'aventures... Considérant cette dernière hypothèse, elle voulut faire marche arrière, mais dans l'obscurité de la nuit, trois ombres se sont détachées à ses côtés l'empêchant de battre en retraite car freinés brusquement, les élégants chevaux ont interrompu leur trot accéléré et bruyant.

Reprenant courage grâce au flux des puissantes énergies qui venaient de l'invisible et se déversaient sur elle, la fille d'Helvidius a demandé :

- Vous allez à Fundi, cavaliers ?

En entendant ces paroles, celui qui semblait être le chef des deux autres s'est écrié d'une voix atterrée :

- Urbain ! Lucrèce ! - allumez les lanternes. Stupéfaite, Célia a immédiatement reconnu cette voix dans la nuit.

Il s'agissait de Caius Fabrice qui revenait de Rome où il avait laissé sa femme en compagnie de ses parents, contraint de répondre à des obligations urgentes à Capoue après les présumées funérailles de Célia, conformément aux arrangements de la famille.

La jeune chrétienne ressentit les craintes les plus poignantes entremêlées d'espoirs. Qui sait sa situation pourrait peut-être changer face à cette rencontre imprévisible ?

Avant qu'elle n'ait eu le temps de penser plus avant, deux lanternes ont illuminé l'atmosphère.

Le mari d'Helvidia l'a dévisagée, atterré. La vision de Célia, seule et abandonnée, retenant dans ses bras l'enfant qu'il supposait être son fils, a ému son cœur ; néanmoins comprenant la gravité des événements survenus à Rome, conformément aux pénibles informations transmises par son beau-père, il choisit de cacher son émotion et afficha la plus froide indifférence :

-Caius !... - a imploré la jeune fille avec une indicible inflexion de voix, alors que la lumière baignait son visage abattu.

- Vous me connaissez ? - a demandé le fier patricien.

- Se peut-il que tu ne me reconnaisses pas ?

- Qui êtes-vous ?

- Tu devrais ouvrir les yeux ?

- Je ne vous connais pas.

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- Serais-je transformée à ce point ? Tu ne te rappelles pas de la sœur de ta femme ? - a-t-elle demandé suppliante.

- Ma femme - a conclu le voyageur pendant que les deux serviteurs le regardaient grandement surpris -n'avait qu'une sœur qui est morte il y a dix-huit jours. De toute évidence, vous vous trompez puisque je reviens de Rome où j'ai assisté à son enterrement.

Ces mots furent prononcés avec une froideur indéfinissable.

La fille d'Helvidius Lucius a fixé ses yeux remplis de larmes dans les siens et son visage transfiguré portait les marques d'une infinie affliction. Elle comprit qu'il était inutile de caresser tout espoir de retourner au sein de sa famille. À toutes fins utiles elle était morte, et pour toujours. Elle sembla se réveiller plus violemment encore de sa déchirante réalité, mais sentant que quelqu'un soutenait son esprit à un moment aussi bouleversant, elle s'est exclamée:

- Je comprends !...

Et avec la plus grande froideur pour ne pas trahir ses sentiments devant les serviteurs, le mari d'Helvidia a répliqué :

- Madame, si vous voulez utiliser cette excuse pour obtenir l'argent nécessaire à vos besoins, je vous en donne volontiers.

Et pendant que le fier Romain plongeait sa main dans sa bourse pour accomplir cette action, elle lui répondit avec noblesse et dignité :

- Caius, suis ton chemin en paix !... Garde ton argent, car une bénédiction de Jésus vaut plus qu'un million de sesteroes ! ...

Extrêmement dérouté, le mari d'Helvidia a rangé sa bourse s'adressant contrarié à ses employés en ces termes :

- Éteignez les lanternes et continuons le voyage !

Observant la consternation des deux esclaves éminemment impressionnés par cette scène, il a ajouté hautain :

- Qu'attendez-vous de plus pour exécuter mes ordres ? Ne nous laissons pas impressionner par des incidents de parcours. Je ne suis jamais passé par les routes d'Anxur sans rencontrer une folle de ce genre !

Et comme s'ils étaient soudainement réveillés par des ordres plus sévères, Urbain et Lucrèce ont obéi aux exigences de leur maître, éteignant la lumière qui brillait dans l'obscurité de la nuit et quelques instants plus tard, les trois cavaliers reprenaient leur marche comme si de rien n'était.

Caius Fabrice était généreux mais la faute de Célia, aux yeux de sa famille, était trop grave pour qu'elle puisse être pardonnée. À personne, il ne révélerait cette rencontre, d'autant plus qu'entre lui et sa femme, ils avaient formulé l'engagement de garder le secret absolu à ce

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sujet. Il décida donc d'étouffer tous les élans de compassion qu'il aurait pu éprouver pour sa malheureuse belle-sœur.

Quant à elle, les yeux baignés de larmes, elle est restée comme pétrifiée à entendre le trot cadencé des animaux qui s'éloignaient jusqu'à ce qu'un silence profond et mystérieux se fasse sentir de toute part dans la forêt lugubre.

Dans sa fragilité féminine, voyant Caius éloigner, elle éprouva l'envie de demander son aide le suppliant d'avoir la charité de la conduire jusqu'à la ville de Fundi où elle trouverait certainement quelqu'un pour l'abriter pendant une nuit. Toutefois, elle était restée muette comme si l'insensibilité de son beau-frère l'avait glacée jusqu'à l'âme.

Elle pleura longuement mêlant ses prières à ses larmes abondantes, les yeux tournés vers le ciel où brillaient quelques rares étoiles...

Le pas chancelant, elle est retournée à la grotte sauvage que la nature avait creusée.

Une fois à l'intérieur, elle a installé l'enfant de la meilleure manière possible et est entrée méditer morose.

Les vents du Latium ont commencé à susurrer une symphonie triste et étrange, alors qu'au loin elle pouvait entendre les échos des loups sauvages hurlant dans la forêt...

Plus que jamais, Célia s'est sentie abandonnée. Un profond découragement s'est emparé de son esprit, sentant que malgré toute sa foi, sa force morale s'évanouissait face à tant de douloureuses souffiances... Elle s'est souvenue, une à une, de toutes ses joies domestiques se rappelant chacun de ses parents avec les caractéristiques charmantes de sa tendre affection. Jamais la souffrance morale n'avait touché si profondément son cœur sensible !... Alors que des larmes silencieuses coulaient sur ses joues, plus que jamais lui sont revenues en mémoire les exhortations de Nestor à la veille du sacrifice, suppliant Jésus de lui accorder des forces pour supporter les résignations purificatrices...

Plongée dans une profonde obscurité, elle câlinait le visage du tout petit, craignant l'attaque des reptiles et sans perdre confiance en la miséricorde de Jésus, elle sécha ses larmes pour mieux réfléchir à l'avenir.

C'est alors qu'à la stupeur de ses yeux affligés, un point lumineux a émergé de l'ombre qui augmentait à une vitesse prodigieuse sans qu'elle puisse savoir réellement ce qui se passait... Étourdie et abasourdie, elle finit par deviner à ses côtés la figure de son grand-père qui envoyait à son cœur tourmenté les plus tendres sourires..

Son amertume était telle, et si grande était l'agitation de son cœur alarmé, qu'elle ne put manifester la moindre étrangeté. Dans la clarté de sa foi, elle s'est immédiatement souvenue de la leçon évangélique des apparitions du Divin Maître à Marie Madeleine et à ses disciples, tendant à son grand-père ses bras anxieux. Pour son esprit éprouvé, la vision de Cneius Lucius était une bénédiction du Seigneur à ses indicibles martyres intimes. Elle voulut parler, mais, face à la figure radieuse du bon vieil homme, sa voix s'étouffa dans sa gorge sans réussir à articuler un seul mot. Néanmoins, elle avait les yeux pleins de chagrin et il y avait sur son visage une telle expression de sublimité qu'on l'aurait crue plongée dans une profonde extase.

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- Célia - a murmuré l'Esprit affectueux et bienfaiteur - Que Dieu te bénisse dans les tempêtes amères de la vie matérielle !... Heureuse, ô toi, qui t'es élue en sacrifice comme si tu avais reçu une mission gratifiante du Maître !... Ne faiblis pas dans les heures les plus difficiles, car parmi les fleurs du ciel il en est qui accompagnent tes tourments fortifiant les fibres de ton esprit exilé ! Ne pense jamais que tu es abandonnée puisque de l'au-delà, nous te tendons des mains fraternelles. Toutes les douleurs, ma fille, passent comme l'éblouissement des éclairs ou comme le voile du brouillard dissipé au soleil... Seule la joie est éternelle, seule la joie atteint l'éternité. En nous réalisant intérieurement pour Dieu, nous comprenons que toutes les souffrances sont à la veille divine de la joie spirituelle au niveau de la vraie vie ! Nous connaissons l'intensité de tes souffrances, mais en cohérence avec ta foi, garde ta pensée toujours pure ! En croyant te sacrifier pour ta mère, tu accomplis l'une des plus belles missions de charité et d'amour aux yeux de l'Agneau de Dfeu... Ne pense jamais que les sentiments de ta mère se soient déviés un jour du code de la loyauté et de la vertu domestique, mais reçois toutes tes souffrances comme les éléments sacrés de ta propre rédemption spirituelle ! Ta mère n'a jamais manqué à la fidélité conjugale et ton esprit d'abnégation et de résignation recevra de Jésus la plus grande conquête de bénédictions.

À ces paroles qui tombaient comme un baume divin dans son cœur découragé, la fille d'Helvldius laissa couler sur son visage des larmes de réconfort, comme si ses pleurs pouvaient laver toutes ses douleurs. Elle identifiait son affectueux grand-père qui était aussi son ami, là, Juste à ses côtés comme lors des jours les plus heureux de son existence. Entouré d'une douce lumière, Cneius Lucius lui souriait avec la bienveillance qu'il lui avait toujours manifestée. En entendant les révélations faites à l'intégrité morale de sa mère, Célia a reconsidéré les pénibles événements advenus dans son foyer. Il avait suffi qu'elle effleure de telles pensées, sans les exprimer verbalement, pour que la respectable entité spirituelle l'éclairé en ces termes :

- Ma fille, ne pense qu'à bien accomplir les desseins du Seigneur en ce qui te concerne... Ne permets pas que tes pensées revoient le passé et te contaminent de nouvelles afflictions générant d'autres chagrins dans ta vie ! Ne cherche pas à démontrer la faute de quelqu'un ou à indiquer les erreurs de qui que ce soit, parce qu'il est une cour de justice incorruptible qui légifère au-dessus de nos têtes !... Pour elle, il n'est pas de procès obscurs, ni d'informations inexactes ! Si cette justice sublime a décidé de ta marche sur les chemins de la calomnie et du sacrifice, c'est que cette route convenait le mieux à ton perfectionnement et au type de travail qu'il t'appartenait d'accomplir. Jamais plus tu ne retourneras à la douceur du foyer paternel auquel tu te sentiras attachée par les liens indestructibles de la nostalgie et de l'amour par tous les chemins que tu parcourras, mais cette séparation de nos affections les plus chères sera comme un point de lumière immortelle marquant la transformation de nos destinées ! Ton sacrifice, ma fille, doit être pour toujours une marque rénovatrice de nos énergies spirituelles dans le grand mouvement des réincarnations successives en quête d'amour et de sagesse ! Augmentant mes chances pour retourner aux luttes terrestres, je bénis ta douleur, parce que ta résignation est grande et méritoire aux yeux de Jésus.

C'est alors qu'elle réussit à rompre les émotions qui l'asphyxiaient, s'exclamant d'une voix triste et éprouvée :

- Plus que des paroles, mon cœur, que votre esprit est en mesure de scruter, peut vous dire ma joie et ma reconnaissance !... Protecteur et ami, guide aimant de mon âme, puisque vous venez des ombres de la tombe pour m'apporter les vérités les plus consolatrices, aidez-moi à vaincre les pénibles difficultés de la vie !... Stimulez-moi ! Inspirez-moi par votre

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sagesse et votre amour compatissant ! Ne me laissez pas désorientée au milieu de ces durs rochers !... Grand-père, mon cœur est aussi triste que cette nuit, et le découragement et l'amertume clament en mon for intérieur comme les loups féroces qui hurlent dans ces forêts!... Désormais, néanmoins, je saurai que je vous ai près de moi !... Je marcherai consciente que vous suivrez mes pas en quête du vrai bonheur !... Priez Jésus que j'accomplisse austèrement tous mes devoirs ! Et, surtout, soutenez aussi cet innocent dont je chercherai à protéger la vie en toutes circonstances !...

La voix de Célia s'arrêta alors. Entendant ses suppliques avec la même expression de sérénité et d'affection dans le regard, Cneius Lucius s'est avancé lentement jusqu'au lit improvisé du petit, illuminant son petit visage blanc d'un geste de sa main droite radieuse, il lui dit souriant :

- Ainsi donc ma fille - a-t-il dit en montrant du doigt l'enfant -, Cirus a accompli sa promesse en revenant immédiatement au monde pour être plus près de ton cœur, sous les bénédictions de l'Agneau !...

- Comment ne me l'avez-vous pas révélé avant ? - se dit la jeune fille profondément possédée d'un sublime enthousiasme.

- C'est que Dieu - répondit l'entité généreuse devinant ses pensées - souhaite que nous spiritualisions tous l'amour, en cherchant ses expressions les plus pures et les plus sublimes. En recevant un enfant abandonné comme ton frère, sans te laisser conduire par d'autres dispositions particulières, tu as su sanctifier bien davantage ton affection pour Cirus, par le lien indissoluble des âmes jumelées, en route vers les plus lucides conquêtes spirituelles dans la rédemption suprême...

- Oui - a dit la jeune patricienne dans sa joie spirituelle -, maintenant je comprends mieux mon attendrissement, et puisque vous m'avez apporté au cœur une joie aussi douce, dites-moi comment je dois agir à partir de là, donnez-moi une orientation adéquate pour que je puisse accomplir irréprochablement tous mes devoirs...

- Ma fille, l'orientation de tous les hommes est tracée par les exemples de Jésus-Christ! Nous n'avons pas le droit de gêner l'initiative et la liberté des êtres qui nous sont les plus chers, parce que sur le chemin de la vie, l'effort personnel est indispensable ! Lutte avec énergie, avec foi et persévérance pour que le royaume du Seigneur fleurisse en lumière et en paix dans ta propre vie... Garde ta conscience toujours pure et si un jour le doute vient perturber ton cœur, demande toi ce que ferait le Maître à ta place dans les mêmes circonstances... Ainsi tu apprendras à agir avec assurance, illuminant tes résolutions à la lumière de l'Évangile !...

Après une pause pendant laquelle Célia ne savait pas si elle devait fixer la personnalité survivante de son grand-père, ou si elle réveillait l'enfant abandonné pour revoir dans ses yeux, encore une fois, le souvenir de son bien-aimé, Cneius Lucius a ajouté :

- Après tant de surprises exaltantes et tant de fatigue, tu dois te reposer ! Repose ton corps douloureux qui devra encore supporter beaucoup de luttes... Continue avec tes prières et la même vigilance de toujours car Jésus ne t'abandonnera pas sur les mers intrépides de la vie!...

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Alors, comme si un pouvoir invincible annihilait ses capacités de résistance, Célia s'est sentie enveloppée d'un magnétisme doux et délicieux. Peu à peu, elle cessa de voir la figure radieuse de son grand-père qui se posta à ses côtés telle une sentinelle affectueuse la protégeant contre l'irruption de tous dangers... Un paisible sommeil ferma ses paupières fatiguées et, étreignant le petit, elle a tranquillement dormi jusqu'à ce que les premiers rayons du soleil pénètrent dans la grotte annonçant le jour.

IV

DE MINTURNES A ALEXANDRIE

Pendant que la vie familiale de Fabius Corneille suivait son cours dans la ville impériale sans incidents majeurs, suivons la fille d'Helvidius Lucius sur son pénible chemin.

De bon matin, Célia a rejoint le village de Fundi où dans les environs une généreuse créature l'a accueillie une journée avec tendresse et bonté. Ce fut suffisant pour la consoler de ses dures et longues randonnées et le lendemain, elle se remettait en chemin en direction d'Itri, l'ancienne « Urbs Mamurrarum », profitant toujours du tracé de la voie Appienne.

En chemin, elle eut la satisfaction de rencontrer la charrette de Grégoire, l'humble transporteur qui l'avait laissée la veille dans les montagnes de Terracine, ces retrouvailles furent pour elle une grande joie. Dans les difficultés et les douleurs du monde, la fraternité crée des liens profonds qui n'existent pas dans les joies mondaines toujours fugaces et transitoires.

Grégoire lui a offert la même place à ses côtés, un geste de protection que la jeune fille a accepté bien volonté le considérant comme étant une bénédiction du ciel.

Comme deux bons vieux amis, ils ont parlé du paysage et des petits incidents de parcours, quand Grégoire lui a demandé avec intérêt :

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- Avez-vous d'autres parents que ceux de Fundi ? Ce n'est pas un petit sacrifice que de s'aventurer à faire un voyage aussi long que celui d'avant-hier, me semble-t-il... Comment ont-ils pu approuver que vous fassiez un autre voyage à pied ?

- Oui, mon ami - a-t-elle répondu cherchant à dévier son aimable curiosité -, mes parents de Fundi sont très pauvres et je ne souhaite pas retourner à Rome sans avoir revu un oncle malade qui habite à Minturnes."

- Très bien - a murmuré le généreux plébéien satisfait par cette réponse -, puisqu'il en est ainsi, je pourrai vous conduire jusqu'au bout de votre voyage aujourd'hui même car je vais au-delà des lagunes de la ville.

Leur route a continué entre les gentillesses de Grégoire et les remerciements de Célia qui appréciait sa bonté, émue.

Ce n'est qu'en fin d'après-midi que le véhicule a atteint la banlieue de la célèbre ville.

Saluant l'affectueux compagnon, la jeune chrétienne contempla le magnifique paysage qui se révélait à ses yeux. Une belle végétation côtière surgissait des terres inondables dans une abondance de fleurs. La première porte de la ville était à quelques mètres, mais son amour pour la nature la fit s'arrêter près des grands arbres sur le chemin. Le soleil qui baissait renvoyait à la vision fleurie ses rayons agonisants. Dominée par de sublimes pensées et reprenant confiance en la vie grâce aux paroles de vérité et de consolation que son grand-père lui avait apportées la veille des confins de sa tombe, elle se mit à prier, remerciant Jésus de toutes ces grâces merveilleuses et infinies.

Dans son doux ravissement, elle a dévisagé la petite figure délicate qui s'agitait dans ses bras et lui embrassa le front dans une extase de spiritualité.

La veille, ils avaient reçu l'hospitalité de la nature, mais maintenant, devant les files de taudis tout près de la route, elle se demandait quel serait le meilleur moyen de faire appel à la miséricorde de son prochain, comptant bien sûr, comme les autres fois, sur l'assistance de Jésus qui lui fournirait l'inspiration la plus juste par l'intermédiaire de ses messagers éclairés.

C'est alors qu'elle a remarqué une hutte entourée d'orangers où la vie semblait être plus simple et plus solitaire. Son modeste aspect émergeait du bois à deux cents mètres du lieu où elle se trouvait, et comme attirée par quelque détail qu'elle ne pouvait définir, Célia a atteint le sentier et a frappé à la porte. Les premières étoiles brillaient dans le ciel.

Après avoir appelé plusieurs fois, elle a senti que quelqu'un approchait avec difficulté et faisait tourner une clé dans la serrure.

Sans plus tarder, elle avait devant ses yeux surpris une figure respectable et vénérable qui l'accueillit avec sollicitude et sympathie.

C'était un vieil homme qui portait une barbe vraiment grisonnante. Sa chevelure argentée renforçait ses nobles traits romains, irréprochables. Il semblait avoir plus de soixante-dix ans, mais son regard était plein de tendresse et de vie, comme si ses facultés de jugement étaient en pleine maturité. Lui tendant des mains ridées et tremblantes, Célia a remarqué une petite croix accrochée à sa poitrine par-dessus sa toge décolorée et usée.

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Profondément émue et comprenant qu'elle se trouvait devant un vieux chrétien, elle a murmuré humblement :

- Loué soit Notre Seigneur Jésus-Christ !

- Pour toujours, ma fille ! - a répondu l'ancien révélant par un sourire toute la joie que ce salut lui causait. - Entre dans la chaumière du misérable serf du Seigneur et dispose de celui qui est également ton serviteur.

La fille d'Helvidius Lucius lui a alors expliqué qu'elle se trouvait désemparée en ce monde avec un petit enfant de quelques jours, bénissant l'heureux instant où elle avait frappé à la porte d'un chrétien qu'elle considérerait dès lors comme un maître. Immédiatement, il s'est établi entre eux deux un sentiment mutuel de cordialité et d'affection si fort et si pur qu'il semblait trouver son origine dans l'éternité.

Entendant son histoire, l'ancien de Minturnes lui a parlé avec douceur et sincérité :

- Après avoir analysé ta situation, ma fille, de par mon expérience et ma foi, tu dois me permettre de t'aider comme un père ou comme un frère aine. C'est que moi aussi j'ai eu une fille que j'ai perdue il y a peu de temps, exactement quand je venais la chercher pour m'accompagner dans mon exil volontaire et béni en Afrique... Elle te ressemblait beaucoup et ce serait pour moi un grand bonheur si tu pouvais me regarder avec la même sympathie que tu m'inspires. Tu resteras dans cette maison le temps que tu voudras ou dont tu as besoin... Je suis seul, après avoir vécu une existence pleine de plaisirs et de douleurs... Dans le temps, l'affection de ma fille retenait encore mon cœur aux cogitations mondaines, mais maintenant je ne vis que pour ma foi en Jésus-Christ, attendant bientôt que ses paroles de miséricorde m'appellent en son royaume pour mesurer mon indigence !

Sa voix était entrecoupée de soupirs comme si les plus atroces souffrances intimes lui flagellaient le cœur en évoquant ces réminiscences.

- Depuis plus d'un an - a-t-il continué - j'attends l'occasion de retourner à Alexandrie, mais mon dépérissement physique semble m'avertir que sous peu je serai forcé de livrer ce corps à la terre de Campanie, malgré mon désir de mourir dans un endroit solitaire d'où mon esprit serait transporté.

Tandis qu'il faisait une pause, la jeune fille suggéra innocemment :

- Vous êtes romain, je présume, par les traits évidents de votre physionomie patricienne.

La regardant bien dans les yeux, comme s'il voulait se certifier de la pureté et de la simplicité d'âme de son interlocutrice, l'ancien a répondu posément :

- Ma fille, ta condition de chrétienne et la candeur qui rayonne de ton âme m'oblige à la plus grande sincérité envers toi !...

Dans cette ville personne ne me connaît tel que je suis !... Depuis le jour où je me suis consacré à l'institution chrétienne à laquelle je participais en Egypte lointaine, je m'appelle

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Marin à toutes fins utiles. Dans notre communauté d'hommes sincères et croyants, détachés des biens matériels, nous avons fait un vœu solennel de résignation quant aux avantages éphémères de cette terre, de toutes ses joies, afin de nous unir au Seigneur et Maître avec la compréhension claire et profonde de sa doctrine. Tandis que les despotes de l'Empire projettent la fin du christianisme supposant l'annihiler par le supplice des adeptes, en dehors de Rome s'organisent des forces puissantes qui agiront à l'avenir pour défendre les idées sacrées ! Dans toutes les provinces de l'Asie et de l'Afrique, les chrétiens s'organisent en groupements pacifiques et laborieux et gardent les précieux écrits des disciples du Seigneur et de ses dévoués partisans, protégeant le trésor des croyants pour une postérité plus miséricordieuse et plus heureuse !...

Alors que Célia l'écoutait avec intérêt, l'ancien de Minturnes poursuivit, après avoir fait une pause comme pour se préparer à mieux expliquer ses souvenirs.

- À ma propre fille, je n'aurais pu confier ce que je vais te révéler ce soir porté par une impulsion du cœur... Peut-être que mon esprit approche de la tombe et que le Maître aimé désire indirectement avertir mon âme coupable et douloureuse. Quelque chose m'oblige à te confesser mon passé avec ses inquiétudes et ses incertitudes... Je ne pourrais t'expliquer ce que c'est... Je sais à peine que l'innocence de ton regard de chrétienne, de fille pieuse et douce, fait naître dans ma poitrine exténuée les dons divins de la confiance !...

Mon vrai nom est Lesius Munacius, fils d'anciens guerriers dont les descendants ont été remarqués pour leurs actes au sein de la République... Ma jeunesse a été une longue suite de crimes et de déviations auxquels s'est livré mon esprit fragile, vu l'ignorance des enseignements de Jésus... Je n'ai pas hésité en d'autres temps à brandir l'épée homicide, disséminant la ruine et la mort parmi les plus humbles et les plus méprisés... J'ai participé à la persécution des noyaux du christianisme naissant, menant des femmes désarmées au martyre et à la mort, à l'occasion de fêtes exécrables !... Pauvre de moi !... Mais je ne savais pas qu'un jour résonnerait en moi la même voix divine et profonde qui a retenti pour Paul de Tarse en route vers Damas ! Après cette vie aventureuse, je me suis marié tard quand les fleurs de la jeunesse perdaient déjà leurs pétales à l'automne de la vie ! Je ne l'avais pas encore fait !... Pour conquérir l'affection de ma compagne, j'ai été obligé de dépenser l'impossible, abandonnant tous mes biens ! Sans préparation spirituelle, j'ai construit un foyer dans la plus grande simplicité ! Peu après, une petite fille gracieuse est venue illuminer les profondeurs secrètes de mes réflexions sur la destinée mais tourmenté par les plus durs besoins afin de garder à Rome notre niveau de vie sociale, j'ai senti que ma pauvre femme, prise d'illusions, ne boirait pas avec moi le calice de la pauvreté et de l'amertume ! En effet, bientôt mon foyer était outragé et déserté !...

Le juge Flavius Hilas, abusant de l'amitié et de la confiance que je lui témoignais, a séduit ma femme la déviant ostensiblement du sanctuaire domestique, dédaignant mes espoirs et mes souffrances... J'ai désiré mourir pour fuir la honte, mais mon attachement à ma petite fille m'avertissait que ce geste extrême n'était qu'une lâcheté... J'ai alors pensé aller voir Flavius Hilas et ma femme infidèle pour les assassiner carrément d'un coup d'épée, mais quand j'allais réaliser ce funeste dessein, j'ai rencontré en chemin près du temple de Sérapis, un vieux mendiant qui m'a tendu sa main droite mutilée, non pour implorer une aumône mais pour me donner un fragment de parchemin que j'ai pris empressé comme si je recevais le message secret d'un ami. Après quelques pas, j'ai reconnu atterré que quelques pensées de Jésus-Christ s'y trouvaient inscrites et qui venaient du Sermon de la Montagne, ce que j'apprendrai plus tard..

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Avec cet hymne bienheureux, il était noté que quelques amis du Seigneur se réuniraient près des vieux murs de la voie Salarienne, cette nuit-là !... J'ai fait demi-tour pour obtenir plus d'informations du mendiant, mais je ne l'ai pas trouvé, ni n'ai plus jamais eu de ses nouvelles.

Ces enseignements du prophète galiléen ont rempli mon cœur... Il semblerait qu'il n'y ait que dans les grandes douleurs que l'âme humaine peut sentir la grandeur des théories de l'amour et de la bonté. Je suis retourné chez moi sans mettre mes funestes projets à exécution et considérant l'innocence de ma fille dont l'affection infantile m'incitait à vivre, je suis allé à la rencontre chrétienne où j'ai eu le bonheur d'entendre de valeureux prêcheurs des vérités divines.

Il y avait là des hommes souffrants et humiliés parmi lesquels certaines de mes connaissances que les furies politiques avaient jetées dans la souffrance et l'ostracisme. Des créatures humbles écoutaient la Bonne Nouvelle, où se mêlaient aussi des membres de l'aristocratie que les circonstances du destin avaient conduits à l'adversité... Pour tous, la parole de Jésus était une douce consolation pleine d'une énergie mystérieuse... Sur tous les visages, à la triste clarté des torches, apparaissait une expression de vie nouvelle qui s'est communiquée à mon esprit fatigué et blessé... Cette nuit-là, je suis retourné chez moi comme si je renaissais pour affronter la vie !

Le lendemain, cependant, alors que je m'y attendais le moins dans la tranquillité de mon âme, un peloton de soldats entourait ma résidence et me conduisait en prison sous la plus injuste des accusations... Dans la nuit, le misérable Flavius Hilas avait été poignardé dans de mystérieuses circonstances. Devant son cadavre, ma propre femme a juré que j'étais son assassin. Souffrant de calomnie, j'ai fait en sorte que mes relations d'amitié s'interposent pour retrouver ma liberté et pouvoir m'occuper de ma pauvre fille recueillie alors par des mains généreuses et humbles de l'Esquilin ; mais mes amis m'ont répondu que seul l'argent pouvait faire avancer l'appareil judiciaire de l'Empire en ma faveur et je n'en avais plus...

Abandonné en prison, ne pouvant me justifier, vu que j'étais allé à l'assemblée chrétienne cette nuit-là, j'ai préféré me taire plutôt que de compromettre ceux qui avaient apporté la consolation à mon esprit abattu... Piétiné dans mes sentiments les plus sacrés, j'ai attendu la décision de la justice impériale pris d'une indéfinissable angoisse. Quand finalement, deux centurions sont venus me notifier du jugement inique. Considérant l'extension du crime, les autorités me privaient de tous mes titres et prérogatives, me condamnant à mort, car le juge assassiné était un homme de confiance de César... J'ai reçu cette sentence presque sans surprise bien que désirant vivre pour servir Jésus dont les enseignements grandioses avaient été une lumière pour moi dans les ombres épaisses de la prison mais aussi pour accomplir mes devoirs paternels envers ma chère fille abandonnée par la tendresse maternelle...

J'ai attendu la mort plongé dans mes prières, mais à cette époque, il y avait à Rome un homme juste, un peu plus jeune que moi, dont le père était un camarade d'enfance du mien. Cet homme savait que mon caractère avait bien des défauts, mais que j'étais loyal. Il s'appelait Cneius Lucius et il est allé personnellement voir Trajan, défendre la cause de ma liberté. En affrontant la colère d'Auguste, il n'a pas hésité à solliciter sa clémence pour mon cas et réussit à faire en sorte que l'Empereur change ma peine et me bannisse de la cour avec la suppression de tous les avantages accordés à mon nom...

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Pendant que le vieillard faisait une pause, la jeune fille se mit à pleurer prise d'émotion, en raison de l'allusion faite à son grand-père dont le souvenir remplissait son être des plus vifs regrets.

- Une fois libre - a continué le vieux de Minturnes -, Je me suis rapproché de mes anciens compagnons qui avec moi avaient goûté au même calice lors des persécutions d'ordre politique et qui partageaient déjà la même foi en Jésus-Christ... Bannis de Rome et humiliés, nous sommes partis pour l'Afrique où nous avons fondé un refuge solitaire, non loin d'Alexandrie afin de cultiver l'étude des textes sacrés et d'y conserver les trésors spirituels des apôtres.

En quittant la capitale de l'Empire, j'ai confié mon Unique fille à un couple d'amis dont la pauvreté matérielle ne ternissait pas leurs nobles sentiments. Pourvoyant à l'avenir de mon enfant avec tous les moyens à ma portée, je suis parti pour l'Egypte plein de nouveaux idéaux, à la lumière de la nouvelle croyance ! Grâce aux sévères méditations et aux austères exercices spirituels auxquels je me suis soumis, je suis arrivé à oublier les grandes luttes et les pénibles afflictions de ma destinée !...

Le repos de l'esprit en Jésus me soulagea de tous mes regrets. Le seul lien qui me retenait encore à la péninsule était justement ma fille, jeune à l'époque, et que je désirais faire venir auprès de moi en Afrique... Après vingt ans au sein de notre communauté en prières et en méditations salutaires, j'ai demandé à notre directeur spirituel l'autorisation nécessaire pour faire venir un parent dans notre retraite. Je nie suis rapporté à un parent car je désirais convaincre ma pauvre Lésia de m'accompagner dans des vêtements masculins, prenant en considération l'enseignement de Jésus qu'ils existent au monde ceux qui se font eunuques par amour de Dieu...

Les statuts de la communauté ne permettaient pas la présence de femmes auprès de nous par décision d'Aufide Priscus qui était vénéré comme un chef, et portait le nom d'Épiphane... Il n'était pas dans mon intention de mépriser les lois de notre ordre mais de ravir mon enfant à l'environnement de séductions de ces temps de décadence où les intentions les plus sacrées sont récoltées par les loups de la vanité et de l'ambition qui hurlent en chemin... Je désirais la garder, près de moi, dans le plus saint des anonymats jusqu'à ce que je réussisse à modifier les dispositions d'Épiphane concernant les règlements de notre ordre et relatifs aux circonstances particulières de ma vie !...

Une fois que j'eus obtenu l'autorisation requise pour venir sur la péninsule, j'ai accosté ici, voilà presque deux ans maintenant. J'ai éprouvé une si grande douleur à retrouver ma Lésia aux derniers instants de sa vie... Te décrire ma souffrance vécue par la séparation de ma chère fille après tant d'années d'absence à caresser tant d'espoirs est une tâche au dessus de mes forces.. J'ai accompagné ses restes dans la tombe où je l'ai fait enterrer peu après ceux de mes chers amis qui lui avaient servi de parents, aussi emportés par la peste qui, à cette époque-là, flagellait toute la population de Minturnes !...

Pauvre de moi, qui n'ai mérité que des angoisses et des tourments sur les routes difficiles de l'existence face aux crimes innommables commis dans ma jeunesse !... '

Il me reste toutefois l'espoir de l'amour de l'Agneau de Dieu dont la miséricorde est venue en ce monde pour nous ravir de rhumiliation et du péché...

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Approchant de la tombe, je prie le Seigneur qu'il ne m'abandonne pas... Au-delà de la mort, je sens que brille la lumière de ses enseignements dans un royaume de paix miséricordieuse et compatissante ! C'est certainement là que m'attendent ma fille idolâtrée et mes amis Inoubliables. La terre fleurie de Campanie, je le pressens, recevra bientôt mon corps accablé ; mais au-delà de mes forces épuisées de la vie matérielle, j'espère trouver la vérité réconfortante de notre survie ! Je recevrai volontiers le jugement le plus sévère de mon passé délictueux et renonçant à tous mes sentiments personnels, j'accepterai complètement les desseins de Jésus dans sa justice équanime et miséricordieuse !...

L'ancien de Minturnes parlait ému, d'un regard lucide, il fixait le ciel comme s'il était devant une assemblée plénière céleste soutenu par la sérénité de sa foi robuste et ardente.

Mais arrivant aux termes de ses pénibles confidences, il remarqua que Célia avait les yeux pleins de larmes au point de ne pouvoir parler, telle était la commotion qui étranglait sa voix dans sa poitrine accablée.

- Pourquoi pleures-tu mon enfant - a-t-il ajouté avec douceur -, puisque ma pauvre histoire de vieillard ne te touche pas directement ?

La fille d'Helvidius n'a pas répondu, dominée par l'émotion du moment, mais l'ancien continua, surpris et mélancolique :

- Aurais-tu par hasard une histoire aussi triste que la mienne ? Malgré la foi intense que je devine en toi, une telle sensibilité spirituelle n'est pas justifiée à ton âge. Dis-moi, ma fille, si tu as le cœur également touché par un poignant ulcère... si les douleurs pèsent dans ton âme désappointée, rappelle-toi la parole du Maître quand il prêchait dans Capharnaùm : - « Venez à moi vous tous qui portez au fond de vous les tourments du monde et je vous soulagerai... » Il est vrai que tu n'es pas devant le

Messie de Dieu, mais nous devons quand même nous souvenir de la leçon de Jésus qui accepta l'affection de Simon de Cyrène quand il l'a aidé à porter sa croix !... Lui qui était la personnification de toute l'énergie de l'amour, n'a pas hésité à recevoir le soutien d'un humble fils d'infortune... Je suis aussi un misérable pécheur, fils des épreuves les plus dures et les plus épineuses ; mais si tu pouvais lire dans mon cœur, tu verrais qu'au fond, bat pour toi la bonté d'un père. Ta présence éveille en moi une inexplicable et mystérieuse tendresse... J'ai confié à ton esprit ce que je ne dirais qu'à ma fille adorée qui m'a précédé dans les ombres de la tombe. Si tu te sens accablée par les tourments du monde, parle-moi un peu de tes douleurs. Tu partageras avec moi tes souffrances et la croix des épreuves te semblera plus légère'...

À ces exhortations tendres et spontanées qu'elle n'avait plus entendu depuis le décès de son grand-père dont le nom avait été prononcé par le vieillard de Minturnes, comme une référence faite à la confiance qu'il lui témoignait, après avoir installé le petit qui était endormi, Célia s'est assise à côté de son bienfaiteur avec l'intimité de quelqu'un qui le connaîtrait depuis longtemps et d'une voix entrecoupée par une forte émotion, elle s'est mise à parler :

- Puisque vous me considérez comme votre fille, vous permettrez que je baise vos mains généreuses et que je vous appelle mon père, par les affinités les plus sacrées qui soient.

Vous venez d'évoquer un nom qui m'oblige à m'émouvoir face à mes souvenirs si désolants... Je me confierai à. vous comme je l'ai toujours fait à mon affectueux grand-père

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dont vous vous êtes rappelé avec reconnaissance. Moi aussi je viens de Rome par les mêmes chemins éprouvants d'amertume et de sacrifice. Vous remerciant de votre confiance, je vous révélerai moi aussi ma malheureuse histoire quand la jeunesse semblait me sourire en pleine floraison printanière.

Abandonnée et seule, je recevrai certainement de votre expérience sur les routes de la vie le bon conseil qui me permettra de m'arrêter quelque part afin d'accomplir ma mission de mère pour ce pauvre innocent ! Depuis mon départ de Rome, je ressens le plus atroce besoin d'en parler à un cœur bienveillant qui pourra me guider et m'éclairer. Dans mon périple, partout j'ai trouvé des hommes impitoyables qui me jetaient des regards pleins de corruption et de volupté. Quelques-uns en sont même arrivés à insulter ma chasteté mais j'ai sans cesse supplié Jésus de me donner l'occasion de rencontrer un esprit bienfaiteur et chrétien qui me soutiendrait !...

Se sentant prise d'une inexplicable confiance alors que le petit vieux de Minturnes l'écoutait surpris, malgré l'immense sérénité qui transparaissait de son regard, la fille d'Helvidius Lucius lui raconta sa romance pleine d'événements intenses et émouvants. Reconnaissant être la petite-fille du magnanime Cneius, ce qui sensibilisa profondément son interlocuteur, elle lui narra tous les épisodes de sa vie, depuis ses premières contrariétés de jeune fille et de jeune femme dans la Palestine lointaine-, jusqu'au long récit de la vision de son grand-père, la nu il précédente, quand elle fut forcée de passer la nuit dans la grotte de Tibère.

À la fin, elle avait les yeux gonflés de larmes comme quelqu'un qui aurait longtemps tardé à décharger son cœur du poids de sa détresse.

Ému, le vieillard lui caressait les cheveux comme il l'aurait fait à sa fille après une longue absence pleine de déchirantes nostalgies et lui dit finalement :

- Ma fille, en me proposant de te consoler, c'est ton propre cœur d'enfant par les plus beaux exemples de sacrifice et de courage qui me console !... Pour moi, qui si souvent ai abrité le mal et qui me suis perverti dans le crime, les souffrances de la terre signifient la justice des destins humains ; mais pour ton esprit affectueux et bon, les épreuves terrestres sont un héroïsme du ciel !... Dieu bénisse ton cœur fustigé par les tempêtes du monde avant les floraisons du printemps. Des joies du royaume de Jésus, Cneius Lucius doit se réjouir au Seigneur de tes faits héroïques... Je sens que son âme anoblie dans la pratique du bien et de la vertu, suit tes pas comme une très fidèle sentinelle !...

Après une longue pause pendant laquelle Marin a semblé réfléchir à l'avenir de sa gracieuse compagne, il lui dit paternellement :

-Alors que tu me disais tes souffrances personnelles. Je me demandais quelle serait la meilleure manière de t'aider au crépuscule de ma vie ! Je comprends ta situation de jeune fille abandonnée et seule au monde avec le lourd poids de devoir t'occuper d'un enfant accueilli dans de si étranges circonstances. Te conseiller de retourner à ton foyer, je ne peux le faire, connaissant la rigidité des coutumes dans certaines familles de la noblesse. En outre, chez toi, on te considère morte pour toujours, et les paroles aimantes de Cneius Lucius ne peuvent avoir de valeur inestimable que pour nous qui en comprenons la portée et la sublime révélation. Selon lui, nous devons admettre la complète innocence de ta mère, mais si tu retournes à Rome, l'apparition de cette nuit ne suffirait pas à élucider tous les problèmes de la situation te laissant dans les mêmes circonstances de suspicion. Et tu sais qu'entre le doute et

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la vérité, il vaut mieux choisir le sacrifice, car la vérité est de Jésus et elle vaincra dès que sa miséricorde jugera sa victoire opportune.

Mon expérience acquise en ces temps de décadence morale me laisse penser que presque tous les jeunes gens pleins de sentiments douteux se plieront devant ta fraîcheur, pris d'intentions ignominieuses. La destruction de mon foyer sera toujours une preuve vivante des misères morales de notre temps.

Réfléchissant à tes difficultés, je désir sauver ton cœur de tous les dangers en t'évitant les embuscades des chemins insidieux, cependant, la maladie et la décrépitude ne me permettront pas d'assurer ta défense... Dans Minturnes, presque tout le monde me hait gratuitement en vertu des idées que je professe. Pendant longtemps encore, un chrétien sincère devra souffrir de l'incompréhension et de la torture des bourreaux du monde, et s'ils ne me mènent pas au sacrifice lors des fêtes régionales qui sont organisées ici, c'est en raison de ma vieillesse avancée et pénible, de mes rides et de mes cicatrices... Présenter un vieux misérable aux puissants fauves ou à l'exercice des athlètes de la débauche et de l'impiété, pourrait sembler relever de la pure lâcheté, raison pour laquelle je me juge épargné.

Je n'ai donc plus aucune relation d'amitié qui pourrait t'être utile dans ta situation.

Souviens-toi qu'il y a peu, je t'ai parlé de mon ancien projet de ramener ma fille en Egypte dans des habits masculins afin de la ravir à cet antre de corruption et de crimes. Ce geste d'un père est bien celui d'un cœur aimant pris de désespoir quant à l'avenir spirituel de cette région d'iniquité.

Contemplant ta jeunesse sans défense chargée de si nobles sacrifices, je crains pour tes jours futurs mais je prie Jésus d'éclairer nos pensées.

Après quelques minutes de recueillement, la jeune fille lui dit :

- Mais, mon cher ami, ne me considérez-vous pas comme votre propre fille ?...

L'ancien de Minturnes, dans la sereine clarté de ses grands yeux, a laissé transparaître qu'il avait compris l'allusion faite et lui répondit gentiment :

- Je comprends, ma fille, la portée de tes propos, mais serais-tu de surcroit sincèrement déterminée à ce noble sacrifice ?

- Comment ne pas l'être si autour de moi apparaissent les plus terribles persécutions?

- Oui, tes nobles actes me poussent à comprendre que je peux me fier à tes résolutions. Et puisque tu te sens prête à lutter pour l'Évangile, nous n'hésiterons pas à préparer ton avenir ! Tu resteras dans cette maison le temps que tu voudras, même si je suis convaincu que je ne tarderai pas à faire mon voyage dans l'au-delà. Demain même tu porteras tes nouveaux habits afin de faciliter ton départ pour l'Afrique, le moment opportun venu. Tu seras « mon fils » aux yeux du monde, à toutes fins utiles. J'appellerai demain le préteur de Minturnes pour qu'il vienne ici afin de s'occuper de ta situation légale, au cas où je viendrais à décéder. J'ai l'argent nécessaire pour que tu ailles jusqu'à Alexandrie et, avant de mourir, je te laisserai une lettre de présentation à Épiphane stipulant que je te considère comme mon

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successeur légitime au siège de notre communauté. Une fois là-bas, quand tu auras utilisé mes dernières économies que j'ai réussi à accumuler à Rome dans le passé, il est possible qu'ils ne te créent pas d'embarras pour que tu te livres à une vie de repos spirituel dans la prière et dans la méditation pendant le temps que tu voudras.

Épiphane est un esprit énergique et quelque peu dogmatique dans ses conceptions religieuses, mais il a été mon ami et mon frère pendant de longues années lors desquelles les mêmes aspirations nous ont unis dans cette vie. Parfois, il est un peu rigide dans ses décisions, caractérisant des tendances pour la prêtrise organisée que le christianisme doit éviter de toutes ses forces pour ne pas nuire au messianisme des apôtres du Seigneur. Mais si un jour tu es blessée par ses austères résolutions de chef, souviens-toi que l'humilité, tel un passe-partout à toutes les vertus, est le meilleur trésor de l'âme, et rappelle-toi la suprême leçon de Jésus sur la poutre !... Dans toutes les situations, l'humilité peut être l'élément de base apportant la solution à tous les problèmes !...

- Oui, mon ami, je me sens abandonnée et seule au monde et je crains le harcèlement des hommes pervertis. Jésus me pardonnera la décision d'opter pour d'autres habits aux yeux de nos frères sur terre, car dans sa bonté infinie, il sait les besoins pressants qui m'obligent à prendre cette insolite attitude. En outre, je promets, au nom de Dieu, d'honorer la tunique que je porterai peut-être à Alexandrie, au service de l'Évangile... Je prendrai avec moi l'enfant que le ciel m'a accordé et je demanderai à Épiphane de me permette de veiller sur lui sous le ciel africain avec les bénédictions de Jésus !

- Que le Maître bénisse tes bonnes intentions ma fille... - a répondu l'ancien avec une expression sereine d'allégresse.

Tous deux se sentaient dominés par une intense joie profonde comme s'ils avaient été deux âmes vigoureusement liées en d'autres temps, se retrouvant heureux, après une absence prolongée.

Déjà les coqs de Minturnes saluaient les premières lueurs de l'aube. Baisant les mains de son vieux bienfaiteur, les yeux pleins de larmes, la jeune patricienne est finalement partie se reposer l'âme satisfaite, sans les angoissantes inquiétudes du lendemain remerciant Jésus de son amour et de sa reconnaissance en priant.

Le jour suivant, les gens pauvres des environs de Minturnes apprirent que le fils du vieillard était arrivé de Rome pour l'aider dans ses derniers jours.

Profitant des vieux habits que son bienfaiteur lui présentait pour résoudre sa situation, Célia n'a pas hésité à prendre sa nouvelle tenue pour fuir la persécution irrévérente de ceux qui pourraient abuser de sa fragilité féminine.

Le vieux Marin la présentait aux rares voisins qui s'intéressaient à sa santé, comme étant son très cher fils, il expliquait qu'il était récemment devenu veuf et qu'il avait avec lui son petit-fils qui illuminerait les ombres de sa triste vieillesse.

La fille des patriciens, travestie maintenant par la force des circonstances en un gracieux jeune homme imberbe, s'occupait affectueusement de tous les services domestiques. Elle cherchait à servir le bon petit vieux avec la plus grande sollicitude.

Un fait, néanmoins, vint douloureusement éprouver le cœur sensible de Célia. Était-ce parce qu'il avait reçu un traitement inadéquat jusqu'à présent ou à cause des privations

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supportées pendant le si long voyage, mais le petit se mit à beaucoup maigrir présentant rapidement tous les symptômes d'une mort inévitable.

En vain, le vieil homme employa tous les recours à sa portée pour assurer la vie vacillante du petit innocent.

Touchée au plus profond d'elle-même en vertu des révélations de son grand-père quant à la personnalité de Cirus, la jeune fille a senti en son for intérieur la répercussion dilatée de toutes les souffrances physiques du petit. Avec toutes les énergies de son esprit lacéré, elle aurait voulu le retenir en vie, de toutes ses forces d'amour réaliser un miracle pour le ravir aux griffes de la mort, mais en vain elle mêla les larmes et les prières à ce ravissement émotif.

Contemplant son agonie, l'enfant semblait parler à son âme affectueuse et fragile d'un regard scintillant et profond où prédominaient les expressions d'une douleur étrange et indéfinissable.

Finalement, après une nuit d'insomnie, Célia a supplié Jésus dans sa miséricorde de faire cesser ce tableau d'intense amertume. Pleine de foi, elle supplia l'Agneau de Dieu de reconduire son bien-aimé au plan spirituel si tels étaient ses desseins impénétrables. Elle, qui l'avait tant aimé et s'était tant sacrifiée pour conserver la lumière de sa vie, s'était finalement résignée à la volonté du ciel, comme le jour où elle le vit marcher au sacrifice, exposé à la perversité des hommes impitoyables.

Et ce fut comme si son émouvante prière avait été entendue, pleine de larmes de foi et d'espoir en la bouté du Seigneur, l'innocent a fermé les yeux de la chair pour toujours à l'aube du lendemain, telle une hirondelle céleste craignant les hivers du monde, il était rapidement remonté au paradis.

Sur le petit corps endurci, la fille d'Helvidius pleurait son indicible douleur avec des larmes ardentes ressentant la déception de ses rêves maternels ébranlés et de ses espoirs anéantis...

Néanmoins, la parole sage et évangélique du vieillard de Minturnes était là pour la relever de tous les désespoirs et, après l'heure angoissée de la séparation, elle a cherché à sublimer sa nostalgie dans le sanctuaire de ses humbles et ferventes prières.

Oui, son cœur sensible savait que Jésus n'abandonne jamais l'esprit des moutons égarés dans les abîmes du monde et se réfugiant dans ses oraisons, elle a attendu que viennent du ciel tous les secours spirituels nécessaires à son réconfort. Les humbles voisins furent très impressionnés par ce jeune homme chez qui rayonnait une tendre gentillesse mêlée d'une mélancolie inaltérable qui touchait sa personnalité de singuliers enchantements...

Une nuit sereine alors que l'âme caressante de la nature s'était complètement apaisée, après les habituelles activités du soir, Célia s'est jointe au généreux vieillard qui était pour elle un père dévoué et elle sentit qu'une force étrange apaisait son esprit las et désolé.

Peu après sans se rendre compte de sa surprise et de sa stupéfaction, elle se vit devant Cirus qui lui tendait ses mains affectueuses avec un regard suppliant rempli d'une indicible reconnaissance.

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- Célia - lui dit-il doucement alors qu'elle se concentrait prise d'une douce émotion à l'entendre -, ne nie pas le calice des épreuves rédemptrices quand les plus pures vérités encensent notre cœur !... Après quelque temps en ta compagnie, me voilà à nouveau ici, où je dois aspirer à de nouvelles forces pour recommencer la lutte !... Ne sois pas triste face aux laborieuses circonstances de notre séparation sur les sentiers obscurs de la destinée. Tu es mon ancre de rédemption par tous les chemins ! Jésus dans l'infinie grandeur de sa miséricorde a permis que ton âme, telle l'étoile de mon esprit, descende des sphères sublimes et radieuses pour éclairer mes pas en ce monde à la lumière de l'abnégation et du martyre moral qui sauve et régénère pour toujours !...

Si les mains sages et justes de Dieu m'ont fait retourner aux plans invisibles, réjouissons-nous en notre Seigneur, car toutes les souffrances sont les prémisses d'un bonheur suprême et immortel ! Ne te laisse pas aller au découragement parce que dans le passé, Célia, mon esprit s'est noirci dans des combats presque éternels, sous les traits d'un ambitieux tyran ! Alors que tu brillais dans le ciel comme un astre d'amour pour mon cœur cruel, Je décrétais la misère et le crime en abusant de l'autorité et du pouvoir, de la culture et de la confiance de mon prochain, je n'ai pas hésité à détruire de doux espoirs en semant la tyrannie, la ruine et la désolation dans des foyers désarmés ! Si ton esprit de résignation et de dévouement illimités n'avait pas été là, j'aurais presque été damné ! Au fur et à mesure que je descendais, pas à pas, l'escalier abominable du crime de mon passé lointain et pénible, ton cœur aimant et loyal suppliait le Seigneur de l'Univers la possibilité du sacrifice !...

Et sans redouter l'horreur des ténèbres agressives qui m'entouraient, tu es descendue dans la prison de mes impénitences !... Tu as répandu autour de ma misère l'arôme sublime de la résignation sanctifiante et je me suis éveillé sur les chemins de la régénération et de la compassion ! Tu m'as pris par la main comme tu l'aurais fait avec un enfant perdu et tu m'as enseigné à les lever vers le ciel implorant la protection et la miséricorde divines ! Depuis quelques siècles déjà ton esprit m'accompagne plein de son dévouement suprême et sanctifié ! C'est que les âmes jumelées préfèrent arriver ensembles aux régions sublimes de la paix et de la sagesse, et avec ton amour ardent et compatissant, tu n'as pas hésité à me tendre tes mains dévouées et généreuses, comme une étoile qui renoncerait aux beautés du ciel pour sauver un ver enlisé dans un bourbier, dans la nuit des ténèbres éternelles. Et je me suis réveillé, Célia, aux beautés de l'amour et de la lumière et non satisfaite de cela, tu ne cesses de m'aider à racheter toutes mes lourdes dettes... Ton esprit aimant et immaculé n'a pas hésité à me soutenir sur les routes rocailleuses et tristes que j'avais tracées par mon ambition terrible et effrénée ! Tu as été le point de référence pour mon âme dans tous mes efforts de paix et de régénération pour la conquête des gloires spirituelles. Sous ton influence, j'ai pu témoigner de ma foi dans les cirques du martyre, scellant pour la première fois, ma conviction au profit de la fraternité et de l'amour universel ! Grâce à toi, j'ai déterré en moi l'égoïsme et l'orgueil supportant toutes les batailles intimes dans la certitude de la victoire !

De retour en ce monde, j'ai été à nouveau ravi à tes bras, obéissant aux rudes épreuves que j'aurais encore à supporter pendant longtemps ! Jésus, néanmoins, qui nous bénit de son trône de lumière et de miséricorde, de pardon et de bonté infinie, permettra que je sois avec toi dans tes témoignages de foi et d'humilité consacrés à l'exaltation spirituelle de tous les êtres bien-aimés qui gravitent dans l'orbite de nos destinés ! Et si Dieu bénit mes espoirs et mes prières sincères, je reviendrai auprès de ton cœur dans les luttes farouches... Attends et garde toujours confiance !... Dans son indicible magnanimité, le Seigneur permet que nous puissions revenir des chemins providentiels de la tombe pour consoler les cœurs liés aux nôtres et qui sont encore retenus dans les tourments de la chair... Ce n'est que là dans les

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demeures du Seigneur, où le bonheur et la paix se confondent, que nous pourrons nous reposer dans son amour grand et saint, marchant main dans la main vers les triomphes suprêmes, sans inquiétudes et sans les rudes épreuves du monde !...

Pendant longtemps la voix caressante de Cirus a parlé à son cœur, manifestant à son esprit sensible les plus saintes consolations et les plus doux espoirs ! Au comble de son éblouissement spirituel, la jeune chrétienne a ressenti les joies les plus émouvantes désirant que cette minute glorieuse se prolonge à l'infini...

Quand la parole de son bien-aimé sembla se perdre dans des vibrations calmes et profondes, Célia l'a supplié de l'accompagner dans toutes ses pérégrinations terrestres, implorant son soutien et sa protection à tout instant. Elle lui a confié ses sentiments les plus secrets et ses espoirs angoissés quant à sa nouvelle situation. Alors que Cirus semblait lui sourire gentiment, il lui promettait son concours incessant à travers toutes les embûches et réaffirmait sa confiance en l'assistance du Seigneur qui ne les abandonnerait pas...

Le lendemain, elle était réconfortée, laissant transparaître sur son visage la sérénité intime de son esprit.

Le vieillard remarqua avec joie ce changement et comme s'il était en constants préparatifs de départ pour la tombe, il ne perdit pas l'occasion d'éclairer la jeune fille quant aux problèmes qui l'attendaient dans sa vie solitaire à Alexandrie. Avec une sollicitude extrême, il lui décrivait en détails la nouvelle vie qui allait commencer pour elle, il lui fournissait les noms de ses anciens compagnons de foi et l'informait de toutes les habitudes de la communauté.

Dans ses vêtements d'homme, Célia écoutait ses propos affectueux et bienveillants gardant au fond d'elle le désir de prolonger indéfiniment cette vie oscillante afin de ne jamais plus se séparer de ce cœur gentil et amical ; mais malgré ses plus chers espoirs, l'état du vieillard s'aggrava brusquement. Ce fut en vain qu'elle redoubla d'efforts pour lui rendre son « tonus vital » au niveau physique et, assisté par la jeune fille qui faisait tout ce qui était en son pouvoir, le vieux Marin a reçu la visite du préteur de la ville qui, répondant à sa demande imminente, vint recevoir ses dernières volontés.

Le mourant, qui avait présenté la jeune fille comme étant son fils, a demandé à ce que lui soient remis ses maigres économies, en prévision de son départ pour l'Afrique dès qu'il serait décédé.

- Marin - l'a interpellé l'autorité, après les nécessaires observations -, ce jeune homme partage-t-il tes superstitions ?

Le généreux vieillard qui comprit la portée de la question posée, lui répondit franchement :

- En ce qui me concerne, nous n'avons pas à cogiter de mes convictions religieuses connues de tous, depuis que je suis entré dans cette maison ! Je suis chrétien et je saurai mourir intègre dans ma foi !... Quant à mon fils, qui devra partir pour Alexandrie afin de s'occuper de nos intérêts particuliers, il est libre de choisir les idées religieuses qui lui conviendront.

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Le préteur a regardé avec affection le jeune homme triste et abattu, et dit :

- Encore heureux!...

Puis il a salué le mourant qui semblait vivre ses derniers instants et il les a laissés tous les deux échanger leurs dernières impressions en toute tranquillité.

Marin fit remarquer à son pupille que cette réponse habile était destinée à faire en sorte que le préteur de Minturnes accomplisse ses volontés, sans réticence et en toute légalité, lui recommandant de prendre toutes les mesures que son décès exigerait. Célia écoutait ses exhortations rauques et entrecoupées extrêmement accablée, mais comme dans toutes les tristes circonstances de sa vie, elle s'en remit à Jésus.

Après une agonie poignante qui dura de longues heures pendant lesquelles la fille d'Helvidius vécut des moments d'ineffable émotion, le généreux Marin quitta le monde, après une longue existence peuplée de cauchemars terribles et pénibles. À la tombée du jour, une larme dans les yeux, il s'est éteint pour toujours. Religieusement, devant quelques rares personnes présentes, Célia lui a fermé les paupières dans un geste d'affection et s'agenouillant, comme si elle avait voulu transformer les brises de l'après-midi en messagères de ses appels au ciel, elle a laissé son cœur se noyer en larmes de nostalgie. Elle supplia Jésus de recevoir son bienfaiteur en son merveilleux royaume et de lui accorder un coin de paix où son âme épuisée pourrait oublier les pénibles tempêtes de l'existence matérielle.

Conformément à sa confession chrétienne, le vieux de Minturnes eut une sépulture plus que modeste que la fille du patricien remplit des fleurs de sa tendresse et se plongea dans l'ombre d'une solitude presque absolue.

Quelques jours plus tard, le préteur lui remit la petite somme que Marin lui avait laissée, et qui représentait un peu plus que ce dont elle avait besoin pour faire le voyage jusqu'à la lointaine Afrique. Par un radieux matin de printemps, portant en elle sa sérénité triste et inaltérable, la jeune femme chrétienne, après une prière longue et angoissante sur les humbles tombes du petit et de l'ancien à qui elle demandait leur protection et leur assistance, elle prit place sur une galère napolitaine qui emportait périodiquement des passagers en partance pour l'Orient.

Le visage mélancolique dans ses vêtements masculins, elle attirait l'attention de ceux qui lui tenaient éventuellement compagnie pendant sa grande croisière en Méditerranée, mais profondément désenchantée du monde, la jeune fille gardait un silence presque absolu.

Le débarquement à Alexandrie se fit sans incidents majeurs. Néanmoins, suivant les recommandations de son bienfaiteur, elle apprit auprès de ses connaissances en ville que le monastère se trouvait à quelques miles de distance et elle dût prendre un guide pour arriver jusqu'au lieu de recueillement.

Le monastère isolé était à plus ou moins dix lieues de la ville, soit un jour de marche presque, malgré les bons chevaux attelés au véhicule.

La fille d'Helvidius se retrouva devant le grand et silencieux édifice à l'heure crépusculaire, enthousiasmée par la vision de sa grandeur parmi la végétation en friche. Elle a ressenti alors un singulier repos mental face à cette imposante solitude qui semblait accueillir tous les cœurs désolés.

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Elle tira la corde qui retenait la barrière d'entrée el au même instant elle entendit au loin les sons de lourdes sonnettes dont le bruit étrange semblait vouloir réveiller un géant endormi.

Quelques instants plus tard, les vieilles charnières grinçaient lourdement, laissant entrevoir un homme qui portait une tunique gris-sombre, il avait un visage grave et sombre et ce fut en ces termes qu'il interpella la jeune fille à la physionomie morose transformée en jeune homme :

- Frère, que cherchez-vous dans notre retraite de méditation et de prières ?

- Je viens de Minturnes et j'apporte une lettre de mon père, adressée à Monsieur Aufide Priscus.

- Aufide Priscus ? - a demandé le portier admiratif.

- N'est-ce pas lui votre supérieur ?

- Vous faites référence au père Épiphane ?

- Cela même.

- Écoutez-moi - a réfléchi le frère portier complaisant -, n'êtes-vous pas, par hasard, le fils de Marin, le compagnon qui est parti d'ici il y a environ deux ans afin de vous ramener à notre retraite ?

- C'est vrai. Mon père est arrivé, il y a bien longtemps dans les ports d'Italie, où nous nous sommes retrouvés, cependant, toujours malade, il n'a pas eu le bonheur de m'accompagner pour revenir à la solitude de vos prières.

- Il est mort ? - a demandé l'interlocuteur très surpris.

- Oui, il a rendu son âme au Seigneur, il y a plusieurs jours.

- Que Dieu le garde sous sa sainte protection !

Une fois qu'il eut dit cela, il s'est mis à réfléchir un instant comme plongé dans de ferventes prières. Puis, il a dévisagé avec beaucoup de tendresse le jeune humble et triste, et s'exclama éloquent :

- Maintenant que je sais d'où vous venez et qui vous êtes, je vous salue au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ !

- Que le Maître soit loué - a répondu la fille d'Helvidius Lucius avec ses manières simples.

- Pardonnez-moi si je vous ai reçu avec prudence, à première vue... Nous traversons une phase intense de pénibles persécutions et les serfs du Seigneur, dans l'étude de

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l'Évangile, doivent être les premiers à remarquer si les loups viennent à la bergerie portant l'habit de l'agneau.

- Je comprends...

- Je ne veux pas vous ennuyer avec des questions inconvenantes mais vous prétendez adopter la vie monastique ?

- Oui - a répondu la jeune fille timidement -, et le faisant, je n'obéis pas seulement à une vocation innée, mais je satisfais aussi l'une des plus grandes aspirations de mon père.

- Etes-vous informé des exigences de cette maison ?

- Oui, mon père me les a révélées avant de mourir.

Le frère portier a balayé du regard les alentours et observant qu'ils se trouvaient seuls, il lui dit d'une voix discrète :

- Si vous apportez en ces lieux une vocation pure et sincère, je crois que vous n'aurez pas de difficultés à respecter nos disciplines les plus rigides ; néanmoins, je dois vous avertir que le père Épiphane qui est le directeur de cette institution, est l'esprit le plus dur et le plus arbitraire qu'il m'ait été donné de connaître dans toute mon existence. Cette retraite est le fruit d'une expérience qu'il a initié avec votre digne père, il y a plus de vingt ans. Au début, tout allait bien, mais ces dernières années, le vieux Aufide Priscus abuse largement de son autorité, surtout depuis le départ du frère Marin pour l'Italie. Le père Épiphane est devenu despotique et presque cruel. Peu à peu, il transforme cet abri du Seigneur en une caserne de discipline militaire, là-même où il a fait son éducation.

La petite-fille de Cneius Lucius l'écoutait profondément étonnée.

D'après ce que disait le portier, son vif esprit a immédiatement compris que la retraite des enfants de la prière était également pleine des plus lourdes intrigues.

Toutefois, alors qu'elle réfléchissait à ses considérations, le frère Philippe continuait :

- Imaginez-vous que notre supérieur change l'ordre de tous les enseignements, créant les plus incroyables extravagances religieuses. À l'opposé des enseignements de l'Évangile, il nous oblige à l'appeler « père » ou « maître », des noms que Jésus lui-même s'était nié à accepter dans sa mission divine. En plus d'inventer toute sorte de travaux pour les quarante deux hommes désenchantés du monde qui vivent ici, il applique à sa manière les leçons de Jésus. Si bien que pour le bien de notre communauté chrétienne, nous ne pouvons rien révéler à l'extérieur. Il est lamentable d'observer que l'enceinte est pleine de symboles qui nous rappellent les cérémonies matérielles des dieux cruels. Et nous ne pouvons rien dire sur un ton de critique ou de censure puisque le père Épiphane règne sur nous en roi.

La jeune fille n'avait pas encore réussi à donner son avis vu l'aisance avec laquelle le portier s'exprimait, que le bruit de pas forts qui approchaient est monté à eux, Philippe se tut, habitué qu'il était à des scènes comme celles-ci, et modifiant l'expression de son visage, il s'est exclamé d'une voix étouffée :

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-C'est lui!...

Dans ses habits étranges et pauvres, Célia n'a pas réussi à dissimuler son étonnement.

Sur le seuil d'une large porte est apparue la figure d'un vieil homme d'environ soixante-dix ans dont les traits physionomiques présentaient la plus profonde expression conventionnelle et une fière sévérité. Il s'habillait comme un prêtre romain à l'apogée des temples polythéistes et se soutenant à une robuste canne, il promenait de toute part son regard fulgurant comme pour chercher des motifs d'exaspération et de mécontentement.

- Philippe ! - s'exclama-t-il sur un ton intempestif.

- Maître - répondit le frère portier, avec la plus feinte humilité -, je vous présente le fils de Marin que son cœur de père n'a pas pu accompagner jusqu'ici, étant donné son décès brutal à Minturnes.

Entendant ces éclaircissements inattendus, Épiphane a marché vers le jeune qui lui était complètement inconnu et prononça presque sèchement la salutation évangélique comme un lion se faisant agneau :

- Paix au nom du Seigneur !

Célia répondit comme son vénérable ami le lui avait enseigné avant sa mort et elle remit au supérieur de la communauté la lettre paternelle.

Après avoir rapidement parcouru le parchemin, Épiphane a souligné avec austérité :

- Marin doit être mort avec tout son idéalisme de cigale.

Et comme s'il avait émis cette idée rien que pour lui, il a ajouté avec une expression sévère, s'adressant à la jeune fille :

- Veux-tu vraiment rester ici ?

- Oui, mon père - a répondu le supposé jeune homme, à la fois timide et respectueux. - Poursuivre les traditions de mon père a toujours été mon désir, depuis mon enfance.

Ce ton humble a satisfait Épiphane qui lui a parlé moins agressivement :

- Tu sais, néanmoins, que notre organisation csi constituée de chrétiens convertis qui peuvent coopérer dans nos efforts non seulement avec les valeurs spirituelles mais aussi avec les recours financiers indispensables à nos réalisations ? Ton père ne t'a pas laissé quelque pécule avant de descendre dans sa tombe à Minturnes ?

- Mon héritage ne s'est chiffré qu'au capital nécessaire au voyage jusqu'à Alexandrie. Néanmoins - a-t-elle ajouté innocemment -, mon père m'a révélé, il y a quelques temps que sa petite fortune avait été employée ici, m'assurant que l'administration de cette maison saurait m'accueillir en souvenir de ses services.

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- Et bien - a répondu Épiphane, manifestant une certaine contrariété -, en matière de fortune, sache que tous ceux qui reposent dans cette retraite en ont eu en ce monde et remirent aussi leurs plus grandes valeurs à cette maison.

- Mais mon père - a imploré Célia avec une sincère humilité -, s'il existe ici ceux qui se reposent, il doit exister également ceux qui travaillent. Si je n'ai pas d'argent, j'ai des forces pour servir l'institution. Ne me niez pas la réalisation d'un idéal si longtemps caressé.

Le supérieur sembla ému et répondit avec emphase :

- C'est bon. Je ferai pour toi ce qui est à ma portée.

Et renvoyant Philippe à l'intérieur chercher un grand livre de notes, il a initié son minutieux interrogatoire :

- Ton nom ?

- Le même que celui de mon père.

- Où es-tu né ?

- À Rome.- Où as-tu reçu le baptême ?

- À Minturnes.

Et après lui avoir posé des questions plus détaillées, investi de son austère supériorité Épiphane lui dit sur un ton sec :

- Répondant à ta vocation et en mémoire d'un vieux compagnon, tu resteras avec nous où tu travailleras aux services de la maison. Je veux, néanmoins, t'informer qu'ici entre ces murs, je fais rigoureusement respecter l'Évangile du Seigneur, conformément à ma volonté inspirée du ciel. Après plusieurs années d'expérience, j'ai admis l'idée que la pensée évangélique devait s'organiser selon les lois humaines ou ne pourra pas survivre à la mentalité de l'avenir. Les chrétiens de Rome, comme ceux de Palestine, souffrent d'une hypertrophie de liberté qui les mène, instinctivement, à la diffusion de toutes les absurdités. Ici, cependant, la discipline chrétienne se caractérisera par l'abdication totale de la propre volonté.

La jeune fille l'écoutait calmement, gardant au fond d'elle ses impressions particulières d'après ce qu'elle pouvait observer, pendant qu'Épiphane la conduisait à l'intérieur pour la présenter aux autres compagnons.

Transformée en frère Marin, Célia se mit à vivre sa vie nouvelle singulière et anonyme.

Le vaste monastère, où se trouvaient plus de quarante riches chrétiens désabusés par les plaisirs du monde, était bien l'un des points de départ du second siècle pour le catholicisme et pour la prêtrise organisée sur des bases économiques, qui éliminerait tous développements du messianisme.

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Elle remarqua qu'en ces lieux, la simplicité des catacombes n'était pas de mise. La symbologie païenne semblait envahir tous les coins de la demeure. Les Romains convertis n'avaient pas dispensé les prières formulées à leurs anciens dieux. De toute part, des croix grandes et petites étaient accrochées, taillées dans le marbre ou dans le bois, elles étaient sculptées dans différents moules. Il y avait des salles de prières où reposaient des images du Christ en ivoire et en cire argentée posées inertes sur de vraies touffes de rosés et de violettes. Le culte polythéiste semblait renaître, indestructible et inévitable. Pour la conservation de ces croyances, la même intrigue des flamines de Rome était pratiquée, on aurait dit que l'Évangile n'était en fait qu'un simple prétexte pour galvaniser les croyances mortes.

L'esprit formaliste d'Épiphane avait cherché à doter l'établissement de toutes les conventions en vigueur à l'époque.

Une cloche annonçait le changement des méditations, l'heure du travail, des prières, des repas, et du temps consacré au repos de l'esprit.

L'idée de spontanéité des leçons du Seigneur sur le lac de Tibériades pour concilier les possibilités et les besoins des croyants avait disparu. Les principes implacables d'Épiphane réglementaient tous les services.

Le plus intéressant était que dans ces monastères lointains en Afrique et en Asie où étaient accueillis les chrétiens craignant les persécutions inflexibles de la métropole, les célèbres heures du Chapitre existaient déjà, il s'agissait d'une réunion intime à laquelle participaient tous les membres de la communauté pour alimenter les intrigues et le débat des points de vue individuels.

Célia trouva étrange qu'à l'intérieur d'une institution chrétienne par excellence, puissent être stimulées des aberrations de ce type qui venaient directement des collèges romains où pontifiaient des flamines ou des vestales ; mais elle était obligée d'accepter les ordres supérieurs sans laisser transparaître son désappointement. Bien que condamnant de telles manifestations néfastes de culte, la fille d'Helvidius sut conquérir rapidement l'admiration et la confiance de tous par la rectitude de ses manières à s'illustrer par les actes les plus élevés d'humilité et de compréhension de l'Évangile. Ses façons très douces et l'enchantement de ses paroles délicates et amicales faisaient que le frère Marin devenait l'objet de toutes les attentions, générant les amitiés les plus pures dans cette singulière convivialité.

Cependant, il y avait là quelqu'un qui gardait la plus funeste jalousie face à la pureté de sa vie. C'était Épiphane, dont l'esprit despotique et original s'était habitué à commander les cœurs avec brutalité et rudesse. Le fait de ne rien trouver chez le fils de son ancien compagnon qui ne puisse être censuré, irritait son esprit tyrannique. Dans la salle du Chapitre, à l'occasion de l'étude, il observait que l'avis du frère Marin triomphait toujours par la sublime compréhension de fraternité et d'amour dont il donnait un vrai témoignage. Avec toute sa candeur spirituelle, la jeune fille ne pouvait définir la raison des gestes rudes du supérieur, bien que trouvant étranges ses attitudes.

Un beau jour, à l'heure consacrée aux discordes et aux interrogatoires qui précédaient dans le catholicisme naissant l'institution de la confession auriculaire, Épiphane, plein d'une austérité artificielle, fit un long discours sur les tentations du monde, il a parlé des chemins abominables et des ténèbres qui inondent le cœur de tous les pécheurs, incluant toutes les choses de la vie dans sa condamnation et dans sa furie religieuse.

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Une fois la fanatique conférence terminée, il a sollicité, à la manière des premières assemblées chrétiennes, que tous les frères se prononcent sur ses propos, mais alors que tous approuvaient les idées évoquées, sans restriction aucune, Célia, dans son innocente sincérité, a répliqué :

- Maître Épiphane, vos paroles sont extrêmement respectables pour tous ceux qui travaillent dans cette maison, mais, si je peux me permettre, il me semble que Jésus ne désire pas la mort du pécheur... Je suppose qu'il est juste que nous nous réfugions dans cette retraite jusqu'à ce que passe la vague sanguinaire des persécutions des adeptes de l'Agneau ; néanmoins, une fois la tempête calmée, je trouve qu'il est indispensable de retourner dans le monde pour nous plonger dans les pénibles luttes, parce que, sans ce terrain de souffrance et de travail, nous ne pourrons pas donner le témoignage de notre foi et de notre compréhension de l'amour de Jésus.

Le directeur spirituel lui a lancé un terrible regard, alors que toute l'assemblée semblait satisfaite par cette clarification.

- À l'occasion du prochain Chapitre nous continuerons donc avec les mêmes études - a dit Épiphane sur un ton presque rude visiblement contrarié par l'argument indiscutable présenté contre son innovation despotique au détriment des enseignements évangéliques.

Le lendemain, le frère Marin fut appelé au cabinet du supérieur qui lui a adressé la parole en ces termes :

- Marin, notre frère Dioclèce, fournisseur de cette maison depuis plus de dix ans, est invalide, il est malade et j'ai besoin de confier cette charge à quelqu'un dont la notion de responsabilité me dispense de la gestion et des soins particuliers consacrés à cette tâche. Ainsi, à partir de demain, tu seras chargé d'aller au marché le plus proche, deux fois par semaine, afin de t'occuper correctement des petites provisions du monastère.

La jeune fille accepta cette demande et le remercia de la confiance qu'il lui témoignait par une telle mesure. Ainsi les paroles d'Épiphane, les jours du Chapitre, ne seraient plus dérangées par ses commentaires simples et porteurs de précieux éclairages évangéliques.

Le marché était à une distance d'environ cinq lieues du couvent puisqu'il était situé dans un grand village sur la route d'Alexandrie. Portant deux énormes paniers sous le bras, la fille d'Helvidius faisait sa randonnée à pied, elle était obligée de passer la nuit dans l'unique auberge existante car elle devait attendre une bonne partie de la matinée du lendemain que le marché expose ses produits.

Au début, ces journées hebdomadaires la fatiguaient excessivement, mais, peu à peu, elle s'est habituée aux nouvelles contraintes de ses obligations. Profitant de la solitude en chemin pour faire ses exercices spirituels, elle ne relisait pas seulement de vieux parchemins qui contenaient les principes de l'Évangile et les récits des apôtres, mais elle exerçait aussi les plus saines méditations qui élevaient son cœur dans de douces prières au Seigneur.

Au monastère tous les frères la respectaient. Par ses actes et ses paroles, elle ralliait la sympathie en général qui entourait son esprit de considération et d'une réelle affection...

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Trois années passèrent sans la moindre marque de découragement ou de révolte, d'indécision ou d'amertume, consolidant ainsi chaque fois davantage ses marques de vertu irréprochable.

Auprès de la population la plus proche, là où les services du marché l'amenaient à réaliser sa tâche, tout le monde appréciait également les généreux dons de son âme, principalement dans l'auberge où elle passait la nuit deux fois par semaine.

Mais il se trouva que Ménénius Tullius, l'hôtelier, avait une fille appelée Brunehilde qui avait remarqué les délicats traits du frère Marin, prise de singulières impressions. Bien que s'efforçant d'attirer son attention toujours tournée vers les sujets spirituels, elle finit par s'irriter au fond de son indifférence affectée, toujours cordiale et fraternelle.

De longs mois passèrent sans que Brunehilde puisse démasquer le mystère de cette âme esquivée, pleine de beauté et d'une délicate masculinité à ses yeux, tandis que le frère Marin, par ses dispositions spirituelles élevées, n'avait jamais perçu les pensées et les intentions dégénérées de la jeune fille qui si souvent accumulait les tendres gentillesses à son égard.

Un beau jour, désabusée dans ses intentions inavouables, Brunehilde se mit à fréquenter un soldat romain, ami de son père et de la famille, qui venait d'arriver de la capitale de l'Empire, plein d'audaces et d'attitudes sournoises.

Rapidement, la fille de l'aubergiste s'achemina vers les dangers de la perdition, au point que le séducteur de son âme inquiète et versatile s'absenta exprès et retourna à Rome, après avoir obtenu l'accord de ses supérieurs.

Abandonnée à cette dure épreuve, Brunehilde chercha à déguiser l'angoisse de ses secrètes pensées. L'âme prise d'inquiétudes en raison de la sévérité des principes familiaux, elle désira mourir afin d'éliminer toutes traces de ses erreurs et disparaître pour toujours. Néanmoins, le courage lui manquait pour réaliser un crime aussi odieux.

Mais le jour arriva où elle ne put plus cacher la réalité aux yeux de ses parents.

A la veille de recevoir le fruit de ses amours, elle fut obligée d'en informer Ménénius. Pris d'une douleur sauvage, le père obligea sa fille à se confesser afin de pouvoir se venger. Mais quand elle dut révéler le nom de celui qui lui avait volé sa virginité, Brunehilde ressentit toute l'horreur de sa situation et accusa calomnieusement :

- Mon père, pardonnez mon erreur qui déshonore votre nom respectable et immaculé, mais celui qui m'a amenée à transiger aussi douloureusement avec les principes sacrés familiaux que vous nous avez enseignés, est le frère Marin avec sa délicatesse capricieuse.

Ménénius Tullius eut l'impression que s'ouvrait dans son cœur une plaie vive. Jamais il n'aurait pu imaginer une telle chose. Le frère Marin représentait à ses yeux les espoirs les plus réconfortants, il avait confiance en lui comme en son meilleur ami.

Mais devant l'évidence des faits, il dit sèchement :

- Puisqu'il en est ainsi, ma maison ne gardera pas cette tache indélébile. Ta prévarication ne déshonorera pas le nom de ma famille, car personne ne saura que tu as

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accédé aux intentions criminelles de cet infâme ! Je porterai moi-même l'enfant à Épiphane, afin que ses partisans considèrent l'énormité de ce crime ! S'il le faut, je n'hésiterai pas à lever mon épée pour défendre le cercle sacré de ma famille, mais je préfère les humilier en renvoyant au séducteur le fruit de sa lâcheté !...

Et effectivement, dissimulant la douleur immense de son cœur et de son foyer, le lendemain à l'aube, Ménénius Tullius marchait vers le monastère emportant avec lui un petit panier dont le singulier contenu était un misérable petit.

Alors que le soleil brillait haut dans le ciel, afin de répondre à l'insistance du visiteur à l'entrée, le frère Philippe fit appeler le supérieur de la communauté qui dut entendre les indécences de Ménénius qui avait le cœur glacé de rancœur.

Au courant de toutes les confessions de Brunehilde concernant Marin, le maître Épiphane a ordonné de le faire appeler en sa présence, avec toute la brutalité de ses gestes sauvages.

- Frère Marin - s'exclama le supérieur à la fille d'Helvidius qui l'écoutait, blessée et surprise -, alors c'est ainsi que tu démontres la gratitude que tu dois à cette maison ? Où se trouvent donc tes idées avancées sur l'Évangile qui ne t'ont pas empêché de pratiquer un délit aussi infâme ? En te recevant dans ce monastère et en te confiant cette mission de travail dans cette retraite du Seigneur, j'ai déposé en tes efforts la confiance sacrée d'un père. Néanmoins, tu n'as pas hésité à jeter le scandale sur notre nom, offensant cette institution si vénérable à notre esprit !

Observant le pauvre enfant que tenait l'aubergiste qui ne répondit pas à son salut, pendant qu'Épiphane faisait une pause, la jeune fille a demandé :

- Mais, de quoi m'accusez-vous ?

- Et tu le demandes ? - rétorqua Ménénius Tullius, le visage congestionné. - Ma malheureuse fille m'a révélé ta vile action, n'hésitant pas à salir mon foyer honnête de la boue de ta concupiscence. Tu te trompes si tu penses que ma maison va accueillir le fruit criminel de tes passions déséquilibrées, parce que ce misérable enfant restera dans cette maison, afin que le père infâme décide de son destin.

Après avoir prononcé ces paroles additionnées de grossièretés à l'adresse du supposé conquérant de sa fille, l'aubergiste s'est retiré au grand étonnement de Célia et d'Épiphane, laissant le pauvre petit là, complètement abandonné.

D'un seul coup, la jeune fille a compris que le monde spirituel exigeait un nouveau témoignage de sa foi et alors qu'elle marchait, presque calmement, pour prendre l'innocent dans ses bras, le supérieur de la communauté l'avertit pris de colère :

- Frère Marin, cette maison de Dieu ne peut tolérer plus longtemps ta scandaleuse présence. Explique-toi ! Confesse tes fautes afin que mon autorité puisse traiter des mesures opportunes et nécessaires à prendre !...

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Le temps d'un instant, affligée Célia s'est mise à réfléchir et démontrant la même foi intangible et cristalline qui avait guidé tous les laborieux sacrifices de sa destinée, elle lui dit avec humilité :

- Père Épiphane, celui qui commet un acte de cette nature est indigne de porter l'habit qui doit nous rapprocher de l'Agneau de Dieu ! Je suis donc prêt à accepter avec résignation les peines que votre autorité m'imposera...

- Très bien - a répliqué le supérieur avec sa fière sévérité -, tu dois immédiatement quitter le monastère emportant avec toi ce misérable enfant !...

À cet instant, néanmoins, presque tous les religieux s'étaient approchés et observaient la scène avec intérêt. Ils n'arrivaient pas à croire en la culpabilité du frère Marin, qui se trouvait là en toute humilité, démontrant la sérénité la plus consolatrice à la lumière de ses yeux calmes et humides.

Et sentant que tous ses compagnons compatissaient de sa situation, la fille d'Helvidius, avec une inflexion de voix inoubliable, s'est agenouillée devant Épiphane et a demandé :

- Mon père, ne m'expulsez pas de cette communauté pour toujours !... Je ne connais pas les régions qui nous entourent ! Je suis ignorant et je suis malade ! Ne m'abandonnez pas, rappelez-vous de la parole du Divin Maître qui affirmait être le secours à tous les malades et à tous les désemparés de ce monde ! Si mon âme est indigne de rester dans cette retraite de Jésus, donnez-moi l'autorisation d'habiter la cabane abandonnée au fond du jardin. Je vous promets de travailler, du matin au soir, à soigner la terre afin d'oublier mes erreurs... Père Épiphane, si vous ne m'accordez pas cette grâce, accordez-la à ce petit abandonné pour qui je vivrai avec toutes les forces de mon cœur!...

Elle pleurait copieusement en faisant cette pénible prière. Au fond, le fier Aufide Priscus, qui désirait appliquer l'Évangile à sa manière, voulut récuser cette demande mais d'un regard, il remarqua que tous les compagnons de la communauté étaient émus et apitoyés.

- Je ne déciderai pas de moi-même - a-t-il clamé exaspéré -, tous les membres du monastère devront considérer ta sollicitation comme étrange et impropre.

Néanmoins, une fois que les compagnons, à qui la jeune fille calomniée levait des yeux suppliants, furent consultés, il y eut un mouvement général favorable envers la fille d'Helvidius. Épiphane n'avait pas réussi à obtenir le refus souhaité et adressant à ses bienfaiteurs un affectueux regard de remerciements, le frère Marin a quitté l'enceinte portant courageusement le petit dans ses bras et se dirigeant vers la hutte abandonnée, au bout de l'immense jardin du monastère.

Cette fois, Célia ne se livrerait pas à un nouveau pèlerinage sur de rudes chemins, et seul Dieu pouvait témoigner de ses incommensurables sacrifices. Avec des difficultés inédites, elle a cherché à s'adapter avec le petit à sa nouvelle vie, au prix des plus épuisants travaux dans la pénible solitude de ses angoisses alors que quelques frères du monastère lui tendaient des mains compatissantes.

Avec le souvenir de Cirus en mémoire, elle entourait le petit de tous les soins, attendant que Jésus lui accorde des forces pour l'accomplissement intégral de ses épreuves.

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Pendant la journée, elle travaillait avec acharnement aux cultures potagères, profitant des crépuscules pour ses méditations et ses études qui semblaient peuplées d'êtres et de voix aimantes venant de l'invisible.

Un beau jour, une pauvre femme du peuple passait par le site, à pied, avec un petit qui agonisait presque, elle cherchait la route d'Alexandrie en quête de secours. C'était l'après-midi. Frappant à la modeste porte du frère Marin, il sut ranimer son âme abattue et l'invita aux précieuses méditations de l'Évangile. L'humble créature lui demanda avec insistance d'apposer ses mains sur le petit malade, comme le faisaient les apôtres de Jésus, telle fut l'ambiance de confiance et d'amour qu'elle avait su créer par ses paroles. Se livrant à cet acte de foi pour la première fois, Célia eut le bonheur d'observer que le petit agonisant, un sourire sur les lèvres, reprenait courage et retrouvait la santé. Alors, la femme du peuple se prosterna, rendant grâce au Seigneur et mêlant ses larmes à celles du frère Marin qui lui aussi pleurait d'émotion et de reconnaissance.

Depuis ce jour, jamais plus la petite maison du jardin n'a cessé de recevoir des pauvres et des affligés de toutes les catégories sociales, qui venaient là pour supplier les bénédictions de Jésus à travers cette âme pure et simple, sanctifiée par les plus âpres souffrances.

V

LE CHEMIN EXPIATOIRE

Pendant que Célia accomplissait sa mission de charité à la lumière de l'Évangile, retournons à Rome où nous allons retrouver nos anciens personnages.

Dix années s'étaient écoulées sur la route infinie du temps, depuis qu'Helvidius Lucius et sa famille avaient vécu les plus singulières vicissitudes de leur destinée.

Bien qu'ayant dissimulé leurs déboires familiaux dans leur milieu social, Fabius Corneille et sa famille vivaient le cœur inquiet et angoissé depuis le jour tragique où la plus jeune fille d'Alba Lucinie s'était absentée pour toujours conformément aux pénibles injonctions de sa malheureuse destinée. Dans l'intimité, on se demandait parfois ce qu'il était advenu de celle qui, à Rome, n'était évoquée que comme la chère défunte de la famille. La femme d'Helvidius ressassait les plus accablantes souffrances morales depuis le matin fatal où elle avait été informée des déboires survenus à sa fille.

Sur son visage, Alba Lucinie ne portait plus la jovialité franche et spontanée des sentiments qu'elle avait toujours laissé transparaître à l'époque des jours heureux et que les traits gracieux de sa première jeunesse semblaient indéfiniment prolonger. Les tourments intimes lui ridaient la figure dans une expression d'angoisse marquée. Ses yeux sombres semblaient hantés par un fantôme empreint de méfiance qui la poursuivait de toute part. Les

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premiers cheveux blancs, signalant son esprit tourmenté, dessinaient sur son front le cadre morose de sa vertu souffrante et désolée. Jamais elle n'avait pu oublier sa fille idolâtrée qui apparaissait dans son imagination affectueuse, errante et angoissée sous le signe funeste de la malédiction domestique. Bien que se soutenant à la parole amicale et aimante de son mari qui faisait tout pour maintenir sa fibre courageuse et résolue inflexible, moulée dans les principes rigides de la famille romaine, la pauvre femme semblait continuellement souffrir, comme si une maladie mystérieuse la conduisait sournoisement vers les ombres de la tombe. Les fêtes de la cour, les spectacles, les places d'honneur aux théâtres ou les amusements publics, rien n'y faisait.

Bien que faisant son possible pour cacher ses propres peines, Helvidius Lucius cherchait à remonter en vain le moral de sa compagne. En tant que père, il sentait souvent son cœur torturé et angoissé, mais il cherchait à fuir ces sentiments et s'efforçait de se distraire dans le tourbillon de ses activités politiques et lors des fêtes sociales où il comparaissait habituellement, pris par le besoin d'échapper aux méditations solitaires dans lesquelles son cœur paternel maintenait les plus cruels dialogues avec les idées préconçues du monde. Pour cela, il souffrait intensément, entre l'indécision et la nostalgie, l'énergie et le repentir.

De nombreux changements avaient eu lieu à Rome, depuis le douloureux événement qui avait plongé sa famille dans des ombres épaisses.

Après plusieurs années d'injustice et de cruauté depuis qu'il avait transféré la cour à Tibur, Aelius Hadrien était parti pour l'au-delà, laissant l'Empire entre les mains généreuses d'Antonin, dont le gouvernement se caractérisait par l'entente et la paix dans une ambiance de plus grande justice et de tolérance. Le nouvel Empereur, néanmoins, avait conservé Fabius Corneille comme l'un de ses meilleurs assistants dans son administration libérale et sage. L'ancien censeur était particulièrement, satisfait de cette preuve de confiance impériale et soulignait que dans sa vieillesse déterminée et expérimentée, il se maintenait dans une position de franche progression devant les sénateurs eux-mêmes et les autres hommes d'État, obligés d'entendre ses opinions et ses propositions.

Un homme avait beaucoup grandi dans la confiance de l'ancien censeur, il était devenu pour lui un agent idéal dans l'accomplissement de tous les services. C'était Silain. Satisfait de pouvoir être utile à son ami de longue date, Fabius Corneille avait fait de l'ancien combattant des Gaules un officier intelligent et cultivé, à qui il rendait les plus grands honneurs. En quelque sorte, Silain représentait à ses yeux sa force d'antan, quand la sénilité ne l'avait pas encore touché, obligeant son organisme au minimum d'aventures. Pour le vieux censeur, celui qui avait été recommandé par Cneius Lucius était presque un fils dont la virilité puissante était le prolongement de ses énergies. Dans toutes les entreprises, ils étaient toujours ensembles pour mettre à exécution les ordres particuliers de César, créant entre eux deux une très forte atmosphère d'affinité et de confiance.

En marge de nos personnages, l'un d'entre eux était devenu une profonde énigme. C'était Claudia Sabine. Depuis la mort d'Hadrien, elle était reléguée à l'ostracisme social, se trouvant à nouveau dans l'anonymat de la plèbe d'où elle avait émergé pour monter aux plus hautes sphères de l'Empire. De ses aventures, il lui était resté la fortune qui lui permettait d'habiter où bon lui semblait avec tout le confort possible pour l'époque. Mécontente, néanmoins, de la rétraction générale des amitiés prestigieuses datant de l'époque où elle jouissait d'une grande influence sociale, elle avait acquis une petite demeure aux alentours de

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Rome, dans un modeste faubourg entre les voies Salarienne et Nomentane où elle s'était mise à vivre livrée à ses lamentables souvenirs.

Les rumeurs ne manquaient pas concernant ses nouvelles activités et certaines de ses plus anciennes relations en arrivaient même à assurer que la veuve de Lolius Urbicus commençait à s'adonner aux pratiques chrétiennes dans les catacombes, oubliant son passé de folies et d'erreurs.

En vérité, Claudia Sabine avait eu des premiers contacts avec la religion du Crucifié, mais elle sentait son cœur trop intoxiqué de haine pour s'identifier avec les postulats d'amour et d'humilité. Dix ans étaient passés et elle n'avait pas réussi à connaître le réel résultat de la tragédie qu'elle avait déchaînée au cours de son existence. Elle avait vécu avec la terrible aspiration de reconquérir l'homme aimé, même si pour cela elle avait dû mettre en œuvre tous les arcanes du crime. Ses plans avaient échoué. Sans l'appui d'antan, quand le prestige de son mari lui permettait de disposer d'une foule d'adulateurs et de serviteurs, elle n'arrivait à rien, pas même à parler à Hatéria qui, soutenue par Helvidius, s'était retirée dans son site de Benevento où elle vivait en compagnie de ses enfants dans la plus grande prudence nécessaire à sa propre sécurité.

Claudia Sabine avait trouvé un certain réconfort à ses remords qui mortifiaient son âme, mais elle n'aurait Jamais pu, à son avis, concilier sa haine et son orgueil inflexible avec l'exemple de ce Jésus crucifié et humble qui prescrivait l'humilité et l'amour comme point d'appui à tous les bonheurs sur terre.

En vain elle avait écouté les prédicateurs chrétiens des assemblées auxquelles elle avait assisté avec son avide curiosité. Les théories de tolérance et la pénitence n'eurent pas d'écho dans son esprit intoxiqué. Et, se sentant si abandonnée au fond, avec les lourds souvenirs de son passé criminel, l'ancienne plébéienne se jugeait telle une feuille emportée au gré des vents tourbillonnants. De temps en temps, néanmoins, l'assaillait la peur de la mort et de l'au-delà inconnu. Elle aurait désiré avoir la foi en quelque chose pour soulager son cœur épuisé par les passions de ce monde, mais si d'un côté il y avait les anciens dieux qui ne contentaient pas son raisonnement, de l'autre il y avait ce Jésus immaculé et saint inaccessible à ses désirs ardents tristes et odieux. Parfois, des larmes amères remplissaient ses yeux sombres et pourtant, elle savait bien que ces larmes n'étaient pas de purification, mais venaient de son désespoir irrémédiable et profond. Portant au fond d'elle-même la lourde barque de ses rêves déchus, au crépuscule de sa vie, Claudia Sabine était comme un naufragé fatigué de se battre contre les vagues d'une mer tourmentée, sans l'espoir d'arriver à bon port au grand désespoir de son orgueil et de sa haine infâmes.

L'année 145 se passait calmement porteuse des mêmes souvenirs amers caractéristiques à chacun de nos amis quand quelqu'un, à la première heure par un jour magnifique de printemps, frappa à la porte d'Helvidius avec une singulière insistance.

C'était Hatéria, qui, dans des conditions singulières de maigreur et de faiblesse, fut conduite à l'intérieur de la maison et reçue par Alba Lucinie avec sympathie et gentillesse.

La vieille servante semblait extrêmement angoissée et perturbée mais elle exposa clairement ses pensées. Elle demanda à son ancienne patronne la présence de son père et de son mari pour clarifier un grave sujet.

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La compagne d'Helvidius se dit que la femme désirait s'entretenir en particulier d'un sujet d'ordre matériel relatif à Benevento.

Devant tant d'insistance, elle fit appeler le vieux censeur qui, depuis la mort de Julia, habitait en sa compagnie, et invita également son mari à répondre à la demande d'Hatéria pour qui ils avaient, depuis le drame de Célia, une singulière considération et une estime toute spéciale.

À leur grand étonnement, l'employée demanda à être reçue dans une pièce réservée afin de traiter librement du sujet.

Fabius et Helvidius la jugèrent folle, mais la propriétaire de la maison les invita à l'accompagner afin de satisfaire ce qu'ils pensaient être un simple caprice.

Une fois réunis dans une gracieuse petite pièce près du tablinum, Hatéria a parlé nerveusement, une intense pâleur sur le visage :

- Je viens ici vous faire une confession pénible et terrible et je ne sais pas comment je dois exposer mes crimes d'autrefois !... Aujourd'hui, je suis chrétienne et devant Jésus, je dois éclairer ceux qui m'ont dispensé, par le passé, une estime sincère et dévouée...

- Alors comme ça - a dit Helvidius, la jugeant sous l'influence d'une perturbation mentale -, tu es chrétienne aujourd'hui ?

- Oui, mon Maître - a-t-elle répondu les yeux brillants, énigmatiques, comme prise d'une résolution extrême -, je suis chrétienne par la grâce de l'Agneau de Dieu, qui est venu en ce monde racheter tous les pécheurs... Jusqu'à présent, j'aurais préféré mourir plutôt que de vous révéler mes pénibles secrets. Je prévoyais de descendre dans la tombe avec le terrible silence sur mon passé criminel mais, depuis un an, j'assiste aux sermons d'un homme juste qui des confins de Benevento, annoncent le royaume des cieux avec Jésus-Christ, induisant les pécheurs à la réparation de leurs fautes. Depuis que j'ai entendu la promesse de l'Évangile du Seigneur, je sens mon cœur ingrat plier sous le poids de grands remords. En outre, Jésus enseigne que personne ne pourra aller vers Lui sans porter sa propre croix pour le suivre. Ma croix est mon péché... J'ai hésité à venir, craignant les conséquences de mes révélations, mais j'ai préféré finalement affronter toutes les conséquences de mes crimes car ce n'est qu'ainsi, je présume, que j'aurai la paix de conscience nécessaire au travail de la souffrance qui doit régénérer mon âme. Après ma confession, tuez-moi si vous le voulez !

Soumettez-moi au sacrifice ! Ordonnez ma mort !... Cela soulagera en quelque sorte mon infâme conscience !... Du ciel, ce Jésus aimé, qui a promis d'offrir son aide sacrosainte à tous les pratiquants de la vérité, tiendra compte de mon repentir et consolera mes peines en m'accordant les moyens de me racheter avec sa miséricorde !...

Et alors, face à la perplexité de tous trois, Hatéria se mit à révéler le sinistre drame de sa vie. Elle leur a raconté ses premières rencontres avec Claudia Sabine, leurs intrigues, la vie particulière de Lolius Urbicus, le funeste plan pour souiller l'image d'Alba Lucinie auprès de sa famille et de la société romaine ; la participation de Plotina et l'épilogue du tragique projet qui finit avec le sacrifice de Célia dont le souvenir saisissait sa voix de larmes abondantes lorsqu'elle se rappelait sa bonté, sa candeur, son sacrifice... Un long et pénible récit... Pendant

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plus de deux heures, elle retint l'attention de Fabius Corneille et des siens qui l'écoutaient stupéfaits.

Alba Lucinie qui entendait et réfléchissait aux détails de sa confession, a senti son sang se glacer dans ses veines, prise d'une singulière épouvante. Helvidius avait la poitrine oppressée, étouffée, il essaya en vain de dire un mot. Seul le censeur, dans son inflexibilité terrible et fière, restait ferme, bien qu'éprouvant une terreur intime avec une expression désespérée qui prédominait sur son visage.

- Malheureuse ! - a murmuré Fabius Corneille avec beaucoup d'effort - jusqu'où nous as-tu conduit avec ton ambition méprisable et mesquine !... Criminelle ! Maudite sorcière, comment n'as-tu pas craint le poids de nos mains ?

Sa voix, néanmoins, semblait également asphyxiée par la même émotion qui suffoquait ses enfants.

- Je me vengerai de tous !... - s'est écrié le vieux censeur d'une voix étranglée. À cet instant, Hatéria s'est agenouillée et a murmuré :

- Faites de moi ce que vous voudrez ! Après m'être confessée, la mort sera pour moi un doux soulagement !...

- Tu mourras donc, infâme créature - dit le censeur en dégainant un poignard qui a brillé à la clarté du soleil à travers une fenêtre haute et étroite.

Mais à l'instant où sa main droite allait frapper, Alba Lucinie, comme poussée par une force mystérieuse, a retenu le bras paternel, s'exclamant :

- En arrière, mon père ! Que cesse pour toujours la tragédie dans nos destinées !... À quoi bon un crime de plus ?

Et comme Fabius Corneille cédait, stupéfait, une pâleur de marbre a brusquement envahi le visage de la malheureuse femme qui est partie à la renverse, tombant sur le tapis, sous le regard atterré de son mari qui s'empressa de la secourir.

Jetant, alors, un regard de profond dédain à Hatéria qui aidait le tribun à installer la pauvre femme sur un grand divan, le vieux censeur a ajouté :

- Courage, Helvidius !... Je vais immédiatement appeler un médecin. Laisse cette maudite sorcière livrée à son sort ; mais, aujourd'hui même, j'ordonnerai d'éliminer l'infâme qui a empoisonné notre vie pour toujours.

Helvidius Lucius voulut parler, mais il ne savait plus s'il devait conseiller la pondération à son beau-père impulsif ou secourir sa femme dont les membres étaient froids et durs, par suite du traumatisme moral.

Soutenant Alba Lucinie sur le divan, pendant qu'Hatéria se dirigeait vers l'intérieur de la demeure pour prendre les premières mesures nécessaires, Helvidius Lucius a vu partir son beau-père, foulant le sol d'un pas déterminé.

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Quoiqu'il fasse, le tribun n'arrivait pas à coordonner ses idées pour résoudre l'angoissante situation. Maintenant alitée, Alba Lucinie semblait sous l'emprise d'une force destructrice et absolue qui ne lui permettait pas de récupérer ses sens. En vain le médecin lui donnait des potions et faisait l'éloge de ses précieux remèdes. Les frictions médicamenteuses ne donnèrent pas les moindres résultats. Seuls les mouvements convulsifs de la torpeur léthargie accusaient une pléthore d'énergies organiques. Ses paupières continuaient fermées et sa respiration oppressée était celle des malades prêts à sombrer dans l'agonie.

Pendant qu'Helvidius Lucius multipliait les soins et cherchait à se calmer, Fabius Corneille se rendait à son cabinet où il fit appeler Silain en privé et lui dit sur un ton austère :

- Plus que jamais, aujourd'hui, j'ai besoin de ton dévouement et de tes services !

- Dites ! - répondit l'officier, empressé.

- Aujourd'hui, je dois prendre des mesures punitives pour éliminer une ancienne conspiratrice de l'Empire. Il y a plus de dix ans déjà que j'observe ses manigances, néanmoins, ce n'est que maintenant que j'ai réussi à avoir la confirmation de ses crimes politiques et j'ai décidé de te confier cette tâche d'une singulière importance pour mon administration.

- D'accord - s'exclama le jeune homme calmement -, dites-moi ce dont il s'agit et j'accomplirai toujours vos ordres avec zèle.

- Tu prendras avec toi Lydien et Marc, car tu dois être assisté par deux hommes de notre entière confiance.

Et, d'une voix discrète, il a indiqué au préposé le nom de la victime, sa résidence, sa condition sociale et tout ce qui pouvait faciliter l'exécution du sinistre mandat.

Finalement, il a souligné d'une voix caverneuse :

- J'ordonnerai que quelques soldats encerclent la demeure afin d'empêcher toute tentative de résistance de la part des employés, et après avoir ordonné l'ouverture des veines de cette femme infâme, tu diras que la sentence émanait de mon autorité au nom des nouvelles forces de l'Empire.

- Il en sera fait selon vos ordres - rétorqua l'émissaire résolument.

- Tu devras agir avec la plus grande prudence. Quant à moi, je retourne maintenant chez moi où l'on requiert ma présence. Dans l'après-midi, je serai ici pour savoir comment cela s'est passé.

Tandis que Silain rassemblait les assistants qui allaient l'accompagner, Fabius Corneille retournait à son foyer où les moyens médicaux manquaient pour réveiller Alba Lucinie de son étrange torpeur. Activant tous les employés, Helvidius Lucius faisait tout ce qu'il pouvait pour réveiller sa compagne. Comme fou, son cœur se diluait amèrement en un torrent de larmes et c'était en vain qu'il faisait appel aux promesses silencieuses des dieux domestiques. Alors qu'Hatéria s'asseyait humblement au chevet de son ancienne patronne, le tribun multipliait des efforts inédits. Quant à Fabius Corneille, il se promenait de long en large, agité, dans un cabinet tout proche, tantôt attendant une amélioration de la patiente, tantôt comptant les heures afin de connaître le résultat de sa sinistre commission.

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Et effectivement, dans l'après midi, l'émissaire du censeur, entouré de soldats et de deux compagnons de confiance qui devaient pénétrer dans la résidence de Claudia, sont arrivés dans l'agréable site boisé et fleuri où l'ancienne plébéienne se livrait à ses méditations, à l'automne mélancolique de sa vie.

La veuve de Lolius Urbicus avait passé sa journée livrée à des réflexions amères et angoissantes. Comme si une force mystérieuse la dominait, elle ressentait les sensations les plus tristes et les plus incompréhensibles. En vain, elle s'était promenée dans les délicieux jardins de sa résidence princière où les allées gracieuses et bien soignées étaient saturées des forts parfums du printemps. Des sentiments étranges et intraduisibles l'étouffaient intérieurement, comme si son esprit était plongé dans de sombres présages. Elle avait cherché à fixer sa pensée sur quelque point de référence sentimentale mais son cœur manquait de foi, tel un désert brûlant.

L'âme immergée dans des songes pesants, très surprise, elle vit tout à coup approcher le détachement de prétoriens.

Prise d'émotion, elle s'est souvenue ce que ces petites expéditions de terreur signifiaient en d'autres temps, elle reçut alors dans son cabinet l'officier qui était accompagné de deux hommes athlétiques avec qui il échangea des regards significatifs.

- À quoi dois-je l'honneur de votre visite ? - a-t-elle demandé après s'être assise, adressant à Silain un regard d'une intense curiosité.

- Etes-vous la veuve de l'ancien préfet Lolius Urbicus ?

- Oui... - a répliqué l'interpellée avec indifférence.

- Bien, je suis Silain Plautius et je suis ici par ordre du censeur Fabius Corneille qui, après une longue procédure, a prononcé contre votre personne la sentence finale. J'espère que vous saurez mourir dignement, étant donné votre condition de conspiratrice de l'Empire..

Claudia entendit ces paroles alors qu'elle sentit son sang glacer son cœur. Une pâleur d'albâtre a recouvert son front, ses tempes battaient de façon accélérée. Elle a précipitamment tendu ses mains vers des meubles à proximité, essayant d'utiliser une grande sonnette, mais Silain a retenu son geste, s'exclamant avec sérénité :

- Toute résistance est inutile ! La maison est encerclée. Faites aux dieux vos dernières prières !...

À cet instant, obéissant aux signes en usage, Lydien et Marc, deux géants, se sont avancés vers Claudia Sabine chancelante qui avait du mal à se tenir debout... Tandis que le premier la bâillonnait impitoyablement, le second s'apprêtait à lui couper les pouls avec une lame tranchante...

Éprouvant toute l'horreur de cette situation irrémédiable, Claudia se livrait à ses bourreaux sans résistance, adressant, néanmoins, à Silain un regard inoubliable.

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Que ce soit en raison de la terreur à cette minute ultime ou à cause des émotions irrésistibles et profondes ressenties, le sang de la malheureuse ne coulait pas de ses veines ouvertes. On aurait dit qu'une émotion ardente agitait toutes ses forces psychiques, contrariant les lois communes des énergies organiques.

Devant ce fait insolite et rarement observé lors des exécutions de cette nature, et face au regard angoissé et insistant que la victime lui adressait, comme pour lui demander qu'il l'écoute, l'officier a ordonné à Lydien de lui retirer son bâillon, afin que la condamnée puisse faire ses dernières recommandations et mourir tranquille.

Soulagée du garrot, Claudia Sabine s'exclama d'une voix lugubre :

- Silain Plautius, mon sang se refuse à couler avant que je n'aie confessé toutes les péripéties de ma vie !

Éloigne tes hommes de ce cabinet et ne crains rien d'une femme désarmé etmoribonde!...

Très impressionné, le fils adoptif de Cneius Lucius a ordonné à ses compagnons de se retirer dans une pièce contigûe, tandis que Claudia, maintenant seule avec lui, s'est jetée à ses pieds, les veines ruisselantes, elle lui dit amèrement :

- Silain, pardonne le cœur misérable qui t'a donné la vie !... Je suis ta mère, malheureuse et criminelle, et je ne veux pas mourir sans te demander de me venger ! Fabius Corneille est un monstre. Je le hais ! Mon passé est plein d'ombres épaisses !... Mais celui qui a fait de toi aujourd'hui un matricide est mandataire de nombreux crimes !

Le pauvre jeune homme dévisageait sa victime, pris de consternation. Son visage était devenu extrêmement pâle, dénonçant une commotion profonde ; mais si ses yeux reflétaient une angoissante anxiété, ses lèvres continuaient muettes pendant que la veuve de Lolius Urbicus lui baisait les pieds, effondrée en larmes.

Alors, c'était là que se trouvait le mystère de sa naissance et de sa vie ? Une pénible émotion le domina et Silain éclata en sanglots qui brisaient sa poitrine saturée d'angoisses. Depuis la mort de Cneius, il alimentait le désir d'éclaircir le mystère de sa naissance. Plusieurs fois, il avait projeté de fonder une famille et se sentait désarmé face aux préjugés sociaux lorsqu'il pensait à l'avenir de sa progéniture. À certaines occasions, il avait ressenti l'envie d'ouvrir le petit médaillon que son vénéré protecteur lui avait confié quand il râlait à la mort et, pourtant, une crainte atroce de la vérité paralysait ses intentions.

Alors que les plus déchirantes réflexions embrouillaient son raisonnement, Claudia, à genoux, lui racontait, point par point, l'histoire pénible de sa vie. Atterré face aux vérités prononcées par cette voix qui approchait de la tombe, Silain découvrait ses premières aventures amoureuses, sa rencontre avec Helvidius Lucius dans le tumulte aventureux de sa vie mondaine, son incertitude quant à la paternité légitime et sa résolution de le confier à Cneius qui comme elle le savait, portait le plus grand dévouement à son fils Helvidius, circonstance qui garantirait à l'enfant abandonné un brillant avenir. Puis elle lui raconta les coups de la chance qui eurent lieu postérieurement lorsqu'elle se maria avec un homme d'État ; elle lui parla aussi de ses intrigues avec Fabius Corneille, dans le passé, pour mettre à exécution des jugements iniques au sein de la société romaine, omettant, néanmoins, le

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terrible drame de sa vie concernant Alba Lucinie. Sentant que l'imminence de la mort aggravait sa haine à l'égard du censeur qui en avait décidé ainsi pour sa famille, Claudia Sabine se laissant aller aux dernières erreurs de son âme, laissa entendre que la mort de Lolius Urbicus, mystérieuse et inattendue, était l'œuvre de Fabius Corneille et de ses partisans avides de sang afin de causer sa ruine.

Dans ses derniers instants, portée par la noirceur de sa haine sanguinaire, elle n'a pas hésité à inventer un dernier tissu de mensonges et de calomnies pour semer la désolation dans la famille détestée.

Ces terribles confidences retentissaient aux oreilles de l'officier comme une clameur de revanche qui revendiquerait une vengeance suprême. Néanmoins, en toute conscience, toutes ces émotions ne lui suffisaient pas pour arriver à identifier la vérité. Il avait besoin de quelque chose qui parle à sa raison.

Et comme si Claudia Sabine devinait ses pensées, elle comprit ses hésitations silencieuses :

- Silain, mon fils, Cneius Lucius ne t'a-t-il pas confié un petit médaillon que j'avais enveloppé dans tes habits d'enfant abandonné ?

- Si - a dit le jeune extrêmement perturbé -, je porte avec moi ce souvenir...

- Tu ne l'as jamais ouvert ?- Jamais...

À cet instant, néanmoins, l'émissaire de Fabius a plongé sa main dans une bourse qu'il portait toujours sur lui et en retira le petit médaillon que la condamnée a dévisagé anxieusement.

-À l'intérieur, mon fils - a-t-elle dit -, un jour j'ai écrit ces mots : Mon petit, je te confie à la générosité étrangère avec la bénédiction des dieux. - Claudia Sabine.

Silain Plautius a ouvert le médaillon, nerveusement, conférant, un à un, chacun des mots prononcés.

Une émotion violente lui fit perdre ses moyens. La pâleur de marbre qu'il portait sur son front s'accentua. Le regard effaré, il prit une expression vitreuse d'horreur et d'effroi. Ses larmes ont cessé comme si un sentiment étrange effleurait son âme. Claudia Sabine, se sentant vivre ses derniers instants, dévisageait anxieusement ces transformations soudaines.

Comme s'il avait ressenti la plus radicale de toutes les métamorphoses, le jeune homme s'est incliné sur sa victime et s'est écrié atterré :

- Mère !... ma mère !...

Dans ces mots, il y avait un mélange de sentiments indéfinissables et profonds ; ils s'étaient échappés de sa poitrine comme un cri de satiété affectueuse après plusieurs années d'inquiétude et de tourments.

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Recevant cette suprême et douce manifestation d'affection à l'heure extrême, la condamnée, dont la voix s'éteignait, lui dit :

- Mon fils, pardonne mon passé vil et ténébreux !... Les dieux me punissent en me faisant périr par les mains de celui à qui j'ai donné la vie !... Mon fils, mon fils, malgré tout, j'aime ces mains qui m'apportent la mort !...

Le pupille de Cneius Lucius s'est penché sur le tapis taché de sang. Dans un geste suprême qui démontrait toute sa détresse et l'oubli de l'abandon maternel, pour ne penser qu'à ce lugubre destin qui l'avait conduit au matricide, il a pris dans ses mains la tête inerte de la condamnée dont le regard semblait, maintenant, se réjouir des pensées énigmatiques et criminelles de son âme.

Un phénomène intéressant, c'est alors opéré. Comme si elle avait complètement satisfait son dernier désir, l'organisme spirituel de Claudia Sabine a abandonné son corps terrestre. Sa volonté psychique satisfaite, le sang se mit à gicler en un jet intense et rouge de son pouls ouvert...

Se sentant dans les bras de l'officier qui la regardait halluciné, elle dit à nouveau d'une voix entrecoupée :

- Ainsi... mon fils... je sens... que tu... me pardonnes !... Venge-moi !... Fabius... Corneille... doit mourir...

Les sanglots de l'agonie ne lui permirent pas de continuer, mais ses yeux envoyaient à Silain les plus singuliers messages que le jeune homme interpréta comme des appels suprêmes de vengeance.

Une pâleur de cire avait alors couvert son front contracté dans un rictus de terreur angoissée. Le messager du censeur a ouvert les portes, se présentant à ses compagnons, le visage bouleversé.

Son regard fixe et terrible semblait être celui d'un fou. Au fond, les plus fortes perturbations mentales subjuguaient son esprit désemparé. Il se sentait le plus petit et le plus malheureux des êtres. Il prononça un mot d'ordre à peine et se remit en chemin, de retour au centre urbain, tandis que les serviteurs dévoués de Claudia, en larmes, enveloppaient son cadavre.

Bien que Lydien et Marc, tout comme d'autres amis prétoriens fassent leur possible pour attirer son attention sur tel ou tel détail concernant les événements passés, Silain Plautius gardait un silence inflexible et sombre.

L'idée que Fabius Corneille puisse connaître son terrible passé et qu'il n'ait pas hésité à faire de lui l'assassin de sa mère, ainsi que les histoires calomnieuses de Claudia Sabine, à sa dernière heure, concernant le censeur et ses pratiques dans le passé, provoquèrent en lui une perturbation cérébrale intraduisible. La pensée que jusqu'à la fin de ses jours, il doive se considérer comme un matricide le tourmentait terriblement et lui suggérait les plus horribles projets de vengeance. Dominé par de vils sentiments, il caressait un poignard qui reposait dans son étui, jouissant antérieurement de l'instant où il se sentirait vengé de toutes les offenses vécues dans sa vie.

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Il faisait nuit quand il a pénétré dans l'imposant édifice où Fabius Corneille l'attendait, dans un magnifique cabinet suffisamment illuminé.

Le vieux censeur le reçut avec un visible intérêt et, cherchant à s'isoler des personnes présentes, il lui a demandé dans un coin de la pièce :

- Alors, quelles nouvelles m'apportes-tu ? Tout va bien?

Silain le regardait le regard glacial, comme prisonnier des plus atroces perturbations.

- Mais que se passe-t-il ? - a insisté le censeur extrêmement mal à l'aise - es-tu malade?!... Qu'est-il arrivé?...

Fabius Corneille n'a pas pu continuer, parce que sans dire un mot, tel un halluciné pris d'une crise extrême, l'officier a rapidement dégainé son poignard et l'a enfoncé dans la poitrine du censeur qui est lourdement tombé en appelant à l'aide.

Avec sur le visage l'expression d'un fou, Silain Plautius regardait sa victime sans manifester le moindre signe de responsabilité... Dans son indifférence, il fixait le sang du vieil homme politique qui s'échappait de ses blessures à la gorge et à l'omoplate, tandis que le blessé, aux râles de la mort, lui adressait un terrible regard. C'est à cet instant que les nombreux gardes ont encerclé l'ex-protégé de Cneius Lucius, l'éliminant également en quelques secondes. En vain, l'officier voulut résister aux prétoriens et aux autres amis de l'assassiné mais en quelques minutes, il était abattu par les coups d'épée, il payait ainsi l'affront fait à l'État en perpétrant son crime.

La nouvelle a rapidement parcouru toute la ville.

Assisté par les amis qui lui étaient les plus dévoués, Helvidius Lucius eut besoin de rassembler toutes ses forces pour ne pas chanceler sous des coups aussi rudes.

Étant donnée la situation délicate de sa femme, il prit toutes les mesures nécessaires pour que les restes sanglants fussent transportés à sa résidence avec tous les soins requis, afin que le sinistres et douloureux tableau n'aggrave pas la maladie d'Alba Lucinie, dans l'hypothèse où elle se rétablirait après sa syncope prolongée.

Un messager fut rapidement envoyé à Capoue pour appeler immédiatement Caius Fabrice et sa femme à Rome.

Plongé dans les tourments les plus poignants et ne pouvant parler du poids qui oppressait son cœur à qui que ce soit, étant donnée les tragiques circonstances familiales en jeu, le fils de Cneius versait des larmes douloureuses aux côtés de sa femme entre la vie et la mort, tandis que Marcia assumait la direction de tous les protocoles sociaux dans la résidence et s'occupait de ceux qui visitaient les restes des deux personnes disparues.

Alba Lucinie se réveilla mais une expression d'aliénation balayait son regard.

Elle prononçait des paroles inintelligibles alors qu'Helvidius Lucius aurait donné sa vie pour les comprendre. On percevait qu'elle avait perdu la raison pour toujours. En outre, les

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syncopes se renouvelaient périodiquement, comme si les cellules cérébrales se brisaient lentement, une à une, sous la pression d'une force incoercible...

Obéissant aux impératifs de la situation, le tribun envoya des ordres pour que les enterrements de son beau-père et de son frère adoptif s'effectuent le plus rapidement possible, de sorte qu'une semaine après, Helvidia et son mari arrivèrent de Campanie sans avoir pu assister aux cérémonies funèbres. Ils n'entrèrent dans le foyer paternel que pour s'agenouiller au chevet d'Alba Lucinie qui, depuis la veille, avait sombré dans une affligeante agonie...

La présence de ses enfants apporta au tribun une douce consolation mais, à son esprit lacéré, il se disait qu'il ne pouvait y avoir aucun réconfort possible pour apaiser son cœur humilié et blessé.

Touché dans ses fibres les plus sensibles, il voyait lentement agoniser sa femme comme si un sicaire invisible avait crevé son cœur avec un poignard acéré. Face à la mort, tous ses pouvoirs cessaient, tous ses tendres dévouements s'envolaient. Submergé dans un océan de larmes, tenant les mains froides de sa compagne, Helvidius Lucius n'abandonnait pas la chambre, pas même pour s'occuper de ses enfants qui venaient d'arriver. Pressentant que la mort allait bientôt lui ravir sa femme idolâtrée, il restait à son chevet dominé par les pensées les plus atroces.

De temps en temps, il émergeait de l'abîme de ses réflexions et s'exclamait amèrement comme s'il avait la conviction qu'il était entendu par la mourante :

- Lucinie, alors toi aussi tu m'abandonnes ? Réveille-toi, illumine à nouveau ma solitude !... Si je t'ai parfois offensée, pardonne-moi. Mais je n'ai fait que beaucoup t'aimer !... Allez. Réponds. Je vaincrai la mort pour te garder dans mes bras ! Je combattrai tout le monde! Près de toi, j'aurai la force de vivre en réparant les erreurs du passé ; mais que ferai-je seul et abandonné si tu pars pour l'inconnue ? Dieux du ciel ! Les ruines de mon foyer et les ravages de mon bonheur domestique pour me racheter à vos yeux, tout cela ne suffit-il pas ? Compatissez de mon malheur ! Qu'ai-je fait pour payer un si lourd tribut ?

Et contemplant le ciel comme s'il apercevait les divinités qui président aux destins humains, il désignait sa femme agonisante, répétant d'une voix étouffée et douloureuse :

- Dieux du bien, gardez-la en vie !...

Et pourtant, ce fut comme si ses prières mouraient éteintes devant un sphinx. À l'aube, une larme silencieuse coulant sur sa joue, Alba Lucinie se détachait du monde tandis que les clartés rouges du soleil teignaient les premiers nuages du ciel romain, à la caresse de l'aurore qui pointait.

Percevant son dernier soupir, Helvidius Lucius s'est enfoncé dans une indicible tristesse. Dans ses yeux maintenant secs et étranges, transparaissait une expression de révolte contre tous les dieux à son avis insensibles à ses souffrances et à ses appels désespérés. La résidence du tribun s'est alors couverte de crêpe noir, tandis que sa silhouette en détresse restait près de l'urne magnifique qui renfermait les restes de sa compagne, telle une sentinelle pétrifiée de désespoir.

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Énergique et impassible, il répondait aux appels affectueux de ses amis avec des monosyllabes amers pendant que Caius, Helvidia et la gentille Marcia faisaient les honneurs de la maison.

Après une semaine d'hommages rendus par la société romaine, l'enterrement de la malheureuse femme qui était tombée tel un oiseau blessé dans son amour maternel profond fut réalisé, pendant que son mari vivait la plus angoissante solitude et se sentait abandonné et blessé pour toujours.

Arrière et silencieuse, Hatéria était restée là, jusqu'à l'instant où les voitures mortuaires avaient accompagné Alba Lucinie à l'ombre de sa tombe.

Impressionnée par les tragédies que sa révélation avait provoquées dans ce foyer autrefois si heureux, elle s'est sentie humiliée au plus profond de son cœur. Si souvent, dans les moments terribles d'agonie de son expatronne, elle avait adressé un regard suppliant au tribun pour voir s'il la pardonnait afin de tranquilliser sa lourde conscience. HeMdius Lucius semblait ne pas la voir, indifférent à sa présence et à sa vie...

Ressentant de sinistres remords, Hatéria abandonna la maison d'Helvidius où elle se sentait comme un ver repoussant, telle était l'effroi de ses pensées dans la pénible nuit qui était tombée sur la maison du tribun après les funérailles.

Il faisait froid. Les ombres nocturnes étaient épaisses, impénétrables comme les angoisses qui lui gelaient le cœur... Rester là, après l'enterrement, n'était plus possible, vu l'âpreté des émotions qui vibraient dans son âme.

La vieille servante est sortie, elle se dirigea vers le Trastevere où elle avait d'anciennes relations. Il est intéressant de noter qu'en chemin, elle avait suivi par les rues étroites le même parcours que celui de la jeune Célia quand elle fut obligée d'abandonner le foyer paternel...

Après avoir beaucoup marché, elle s'est arrêtée pics du pont Fabricius, craignant de continuer. Il était presque minuit et les abords de l'île du Tibre étaient déserts. Elle voulut faire demi-tour, poussée par une force inexplicable, elle pressentait quelque danger imminent, quand deux hommes masqués se sont approchés d'elle comme des masses sombres qui se seraient déplacées rapidement entre les lourdes ombres de la nuit. Elle voulut crier, mais il était trop tard. L'un d'eux s'était brusquement jeté sur elle et la bâillonna fortement.

- Lucain - dit tout bas l'inconnu qui lui enveloppait son visage dans une serviette épaisse -, palpe-la vite ! Il est urgent qu'on en finisse !...

- Et bien ça alors - dit son compagnon déçu -, il s'agit d'une vieille misérable !

- Ne te décourage pas ! - a continué l'autre - quelque chose me dit que c'est une bonne proie. Allez ! Ces vieilles ont l'habitude de transporter leur argent caché dans leurs seins quand elles sont malignes et avares!...

Le bandit qui avait les mains libres les a posées sur le thorax de la vieille servante d'Helvidius Lucius et sentit que son cœur battait très vite. En fait, c'était là qu'Hatéria gardait dans une bourse renforcée, tout le capital de ses économies. En trouvant son petit trésor, les deux malfaiteurs ont esquissé un sourire de satisfaction et, obéissant à un signe de son

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compagnon, Lucain a frappé fortement la tête de la victime bâillonnée avec une petite canne en fer et s'exclama d'une voix étouffée quand il s'aperçut qu'elle s'était évanouie :

- C'est toujours mieux ainsi ! Demain, tu ne pourras pas raconter tes aventures aux voisins pour que les autorités viennent nous déranger.

Ensuite, ils ont traîné la victime sonnée par les durs coups qu'elle avait reçus et l'ont jetée sans miséricorde dans les eaux épaisses du fleuve qui courait calmement. Hatéria vécut ainsi ses derniers instants comme si elle avait expié le vil délit de son passé coupable.

Maintenant que nous avons pris connaissance des dernières épreuves de la vieille complice de Claudia Sabine, revenons accompagner Helvidius Lucius dans sa nuit lourde de souffrances intimes.

Ce n'est que le lendemain de l'enterrement de sa femme que le tribun réussit à se réunir avec ses enfants dans un cabinet privé pour leur faire les bouleversantes révélations qui avaient provoqué les terribles événements destructeurs de son bonheur.

Une fois son impressionnant récit achevé, Caius Fabricius raconta à sa femme et à son beau-père sa rencontre avec Célia, dix ans auparavant quand il se dirigeait vers la Campanie répondant à l'époque à des affaires urgentes. Jamais il n'y avait fait référence par égard au vœu formel formulé de ne se souvenir de la jeune fille que comme étant une chère défunte. Jamais il n'avait oublié l'émouvant tableau de sa belle-sœur abandonnée dans la solitude de la nuit, près de la montagne de Terracine, et combien de fois s'en était-il voulu d'être resté indifférent et sourd à ses appels.

Helvidia et son père l'ont écouté pris de peine et de terreur.

Ce n'est qu'à ce moment là, à l'examen de tous les sacrifices de sa chère fille, réfléchissant à ses tourments moraux pour exempter sa famille des coups de la malchance et de la calomnie, que le fils de Cneius Lucius réussit à éveiller en lui les traces de sa sensibilité pour se raccrocher à la vie. Le récit de son gendre venait confirmer que Célia vivait quelque part.

Il s'est rappelé sa femme et se mit à penser que si Alba Lucinie avait encore été sur terre, elle aurait senti une immense joie de pouvoir étreindre à nouveau sa fille discréditée. Certainement que du ciel, sa chère compagne saurait guider ses pas et bénir ses efforts. Et un jour, quand la providence des dieux le permettrait, l'âme de sa femme guiderait son cœur ulcéré jusqu'à sa fille pour qu'il puisse mourir en lui baisant les mains.

Plongé dans ces angoissantes cogitations avec une grave sérénité pour éclairer ses pas, Helvidius Lucius se mit à pleurer pour soulager sa profonde détresse. Maintenant qu'Helvidia les séchait de son affection, ses larmes étaient comme ces pluies bénéfiques qui lavent le ciel après le fracas de la tempête.

Et comme si un nouvel espoir l'animait, le tribun convertit toutes ses douleurs dans le souhait de retrouver, coûte que coûte, son enfant expulsée du foyer pour soulager sa conscience. Au fond, il désirait mourir pour retrouver sa compagne bien-aimée, mais il voulait aussi lui donner la certitude que Célia était réapparue et qu'à genoux, il avait supplié le pardon de sa fille qu'il n'avait pas su comprendre. Avec cette intention en tête, il prit la direction de

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Campante avec ses enfants et retourna à Capoue. Après quelques jours de repos, il dispensa la compagnie de tous ses serviteurs afin de se livrer seul aux recherches nécessaires et il partit pour le Latium, bien qu'Helvidia l'ait supplié d'accepter au moins la compagnie de son gendre.

Triste et sans compagnie, le vieux tribun a déambulé inutilement dans toutes les villes près de Terracine. Il s'est longuement arrêté dans la grotte de Tibère à évoquer les pénibles souvenirs de son beau-fils. Malgré tous ses efforts, ce fut en vain qu'il parcourut l'Italie entière.

C'est ainsi qu'une année après la mort de Lucinie, il est retourné à Rome plus démoralisé que jamais.

Se sentant profondément désemparé, il était comme un bel arbre singulièrement isolé devant la grande plaine qu'était sa vie. Quand il avait encore à ses côtés ses compagnes, il pouvait supporter les ouragans violents qui s'abattaient des hauteurs, mais une fois que les troncs proches dont la présence le fortifiait furent abattus, il était maintenant bien incapable de résister aux vents les plus légers des vallées obscures de la douleur et de la destinée.

Recueilli dans son cabinet, il ne recevait que la visite de ses amis les plus intimes dont les propos ne rappelaient pas à son esprit tourmenté les souvenirs de son malheureux passé.

Un jour, néanmoins, un esclave vint annoncer la visite d'un ancien camarade d'enfance, Rufus Properce, dont il connaissait la triste histoire de ses dernières années. Malgré ses propres luttes, il avait été informé de ses nombreux malheurs.

Helvidius Lucius le fit entrer, empressé de le revoir comme un frère de douleurs et de souffrances.

Une fois qu'ils eurent échangé les premières impressions, Rufus Properce lui dit :

- Cher Helvidius, après une si longue séparation et face aux cruelles hécatombes de mon existence, ma force morale te surprend. Je dois t'expliquer la raison de ma résignation et de ma sérénité. C'est qu'aujourd'hui, j'ai abandonné nos croyances inexpressives pour m'attacher à Jésus-Christ, le Fils de Dieu vivant !...

- Comment cela est-il possible ? - s'exclama le tribun intéressé.

- Oui, aujourd'hui je comprends mieux la vie et les souffrances en ce monde. Ce n'est qu'à travers les trésors de l'enseignement chrétien que j'ai trouvé la force nécessaire à la compréhension de la douleur et de la destinée. Seul Jésus, par ses leçons de compassion et de miséricorde, peut nous sauver de l'abîme de nos angoisses profondes pour une vie meilleure qui ne comporte pas les tromperies et les désillusions amères de la terre..

Et pendant qu'Helvidius Lucius l'écoutait, perplexe de rencontrer un ami intime ancré dans la foi ardente et pure parmi les décombres de son temps, Properce ajoutait :

- Puisque tu te sens également blessé par le destin, pourquoi ne fréquenterais-tu pas avec nous les réunions chrétiennes où je pourrais t'accompagner ? Il est bien possible que tu trouves dans l'Évangile la paix convoitée et l'énergie indispensable pour vaincre tous les tourments de la vie.

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En entendant cette aimable invitation de la part de son ami d'enfance, le tribun s'est instinctivement rappelé de sa fille et de ses convictions. Oui, c'était bien le christianisme qui lui avait donné de telles forces pour supporter la souffrance et pour accepter de tels sacrifices. En outre, il s'est souvenu de la figure de Nestor et de celle de Cirus, qui avaient marché à la mort sans un gémissement, sans une plainte.

Et comme cédant à une soudaine résolution, il a résolument répondu :

- J'accepte l'invitation. Où est la réunion ?

- Dans une humble maison, près de la porte Appienne.

- D'accord, j'irai avec toi.

Rufus le salua lui promettant de venir le chercher dans la soirée. Il passa le reste de la journée plongé dans des cogitations graves et profondes.

À l'heure stipulée, ils se sont dirigés vers le lieu des humbles assemblées où, pour la première fois, Helvidius Lucius a entendu la lecture de l'Évangile et les simples commentaires des chrétiens. Au début, il a trouvé étrange ce Jésus qui pardonnait et qui aimait tout le monde avec la même affection et le même dévouement. Mais, au fur et à mesure qu'il assistait aux réunions, il a mieux compris l'Évangile et bien que ne comprenant pas les leçons entièrement, il admirait le prophète simple et aimant qui bénissait les pauvres et les angoissés du monde, promettant un royaume de lumière et d'amour au-delà des ingrates circonstances de la terre.

Son effort dans l'acquisition de la foi suivait normalement son cours, quand un prédicateur célèbre est apparu, un beau jour, au beau milieu de ces gens simples et bons.

Il s'agissait d'un homme encore jeune, intelligent et cultivé, du nom de Saûl Antoine, qui avait fait de son existence un apostolat sacrosaint consacré au travail d'évangélisation.

Sa parole enflammée et vibrante sur les actes des apôtres, peu après le départ de l'Agneau pour les régions de la lumière, avait profondément impressionné le tribun. Pour la première fois, il écoutait un intellectuel, presque un sage, exalter les vertus des partisans du Christ, faisant des comparaisons extraordinaires entre l'Évangile et les théories de l'époque qu'il avait pour habitude de considérer comme des signes d'évolution inéluctables.

Une fois terminé son discours inspiré et brillant, Helvidius s'est approché de l'orateur, s'exclamant avec sincérité :

- Mon ami, je souhaite manifester tous mes vœux pour que votre parole illuminée ne cesse d'éclairer les chemins sur terre. Je désirais, néanmoins, vous entendre sur un doute qui est né dans mon cœur il y a bien longtemps.

Et alors que le prédicateur accueillait ses propos avec une profonde sympathie, il a continué :

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- Je ne doute pas des actes des apôtres de Jésus, mais je trouve étrange que depuis tant de temps, il n'y ait pas eu sur terre plus d'organisations privilégiées comme celle des anciens partisans du Christ pour soulager nos douleurs et éclairer nos cœurs dans la souffrance !...

- Mon frère - a répliqué l'orateur sans se troubler -, avant de faire appel aux intermédiaires, il est urgent de préparer le cœur pour sentir l'inspiration directe de l'Agneau. Votre objection, cependant, est tout à fait justifiée. Cependant, je dois vous dire que les vocations apostoliques ne sont pas mortes pour tout le monde. Partout elles fleurissent sous les bénédictions de Dieu, qui n'a jamais cessé d'envoyer jusqu'à nous les messagers de son infinie miséricorde.

Et après une courte pause, comme s'il désirait transmettre une impression fidèle à ses réminiscences les plus anciennes, Saûl Antoine a ajouté convaincu :

- Il y a quelques années, j'étais moi-même un ennemi acéré du christianisme et de ses sublimes postulats ; néanmoins, la contribution d'un vrai disciple de Jésus suffit pour que mes yeux s'éclairent et cherchent le vrai chemin... Aujourd'hui encore il se trouve au même endroit, fragile et humble comme une fleur du ciel mal acclimatée entre les bruyères de la terre... n s'agit du frère

Marin qui vit aux alentours d'Alexandrie et qui est un. bénédiction de Jésus permanent et divin pour toutes les. créatures. Image du bien, personnification de la parfaite charité évangélique, je l'ai vu guérir des lépreux et des paralytiques, rendre l'espoir et la foi aux plus tristes et aux plus endurcis ! À sa misérable chaumière accourent des foules angoissées et abandonnées que le vénérable apôtre de l'Agneau ranime et console de ses leçons pleines d'amour et d'humilité ! Après avoir parcouru les sentiers les plus sombres, j'ai eu la chance de rencontrer sa parole aimante et bienveillante qui m'a ouvert à Jésus, me déviant des ténèbres de ma destinée !...

Percevant sa profonde sincérité, Helvidius Lucius lui a demandé anxieux :

- Et cet homme extraordinaire reçoit tout le monde sans distinction ?...

- Toutes les créatures méritent son attention et son amour.

- Et bien mon ami - a répondu le tribun dans sa profonde désolation -, malgré ma position financière et la considération publique dont je jouis à Rome, plus que jamais mon cœur est déconcerté et malade... Les leçons de l'Évangile ont soutenu en quelque sorte mon esprit abattu. Néanmoins, je ressens le besoin d'un remède spirituel qui, en soulageant mes douleurs, m'amènera à mieux comprendre les divins exemples de l'Agneau... Ces références arrivent à point nommé, j'irai donc à Alexandrie chercher la consolation auprès de cet apôtre ; d'ailleurs un voyage en Egypte, dans les circonstances actuelles de ma vie, me fera le plus grand bien...

Le lendemain, le fils de Cneius Lucius a entamé les premières démarches pour effectuer son excursion dans les meilleurs délais.

Et avant que la galère ne quitte Ostie, il se mit à concentrer tous ses espoirs sur ce frère Marin, dont les célèbres vertus étaient vénérées dans toutes les communautés chrétiennes

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et était considéré comme l'émissaire de Jésus, destiné à soutenir dans le monde les traditions divines des temps apostoliques.

VI

DANS LE JARDIN DE CÉLIA

Dans la banlieue d'Alexandrie, la fille d'Helvidius jouissait d'une grande renommée bien méritée pour l'amour et la bonté qu'elle témoignait à son prochain.

Transférée dans cette région de gens pauvres et humbles, elle avait converti ses souvenirs les plus chers, ainsi que ses douleurs les plus profondes, en hymnes de charité pure qui s'élevaient au ciel parmi les bénédictions de tous les pauvres malheureux.

La souffrance et la nostalgie avaient tellement transformé ses traits angéliques que son visage calme exprimait un air indicible de vision céleste... Sa vie d'ascétisme, d'abnégation et de résignation lui avait donné comme un nouveau « faciès » qui laissait transparaître dans ses yeux sereins et brillants, la pureté inouïe de ceux qui s'apprêtent à atteindre les clartés d'une autre vie.

Depuis longtemps, elle était devenue phtisique, néanmoins, elle n'avait pas abandonné sa besogne apostolique auprès des malades. L'après midi, elle lisait l'Évangile, en plein air, pour ceux qui venaient chercher auprès d'elle un soutien spirituel, elle expliquait les enseignements de Jésus et de ses divins adeptes, donnant l'impression que dans ces moments-

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là une force divine prenait possession d'elle. Sa voix, habituellement faible, prenait des tonalités différentes, comme si ses cordes vocales vibraient au souffle d'une divine inspiration.

Elle était restée dans la même chaumière au fond du jardin où elle n'avait jamais cessé de prodiguer l'attention nécessaire aux travaux rudes de la terre. Tous les frères du monastère, excepté Epiphane, cherchaient maintenant sa présence, respectant ses élucidations évangéliques et participant à ses efforts.

La jeune romaine, transformée en un frère attentif aux malheureux, gardait les mêmes dispositions intimes toujours pleine de foi et d'espoir en la bonté et en la sagesse du Seigneur.

Le petit enfant abandonné par Brunehilde, après avoir soulagé sa solitude pendant quelques années de son affection et de ses sourires était décédé, la laissant plus que jamais désappointée et abattue. Impressionnée par cet événement, une nuit alors qu'elle était livrée à la solitude de ses méditations, Célia se mit à prier avec ferveur et c'est ainsi qu'elle vit à ses côtés le visage de Cneius Lucius, la regardant avec une infinie tendresse.

- Ma fille chérie, que cette nouvelle séparation de l'être idolâtré ne meurtrisse pas ton cœur ! Continue dans ta foi, rempli la mission divine que le Seigneur a bien voulu accorder à ton âme sensible et généreuse ! Après avoir parfumé, pendant quelques années, ton sentier sur terre, l'Esprit de Cirus est à nouveau retourné dans l'au-delà pour se remplir de nouvelles forces ! Ne te laisse pas décourager par la nostalgie qui blesse ton cœur si sensible, car notre âme sème l'amour sur terre pour le voir fleurir dans les cieux où n'arrivent pas les éprouvantes inquiétudes du monde !... En outre, Cirus avait besoin de ces épreuves qui tempéreront sa volonté et ses sentiments pour les glorieux desseins de son avenir spirituel !...

À cet instant, cette entité aimante s'est penchée presque intentionnellement pour observer l'effet que ses paroles avaient sur Célia.

En larmes, elle lui parlait mentalement comme si elle discutait avec son grand-père au plus profond de son cœur :

- Je ne doute pas que toutes les douleurs nous sont envoyées par Jésus, afin que nous apprenions le chemin de la rédemption divine, mais quelle est la raison de ces vies temporaires de Cirus sur terre ? S'il est arrivé à vivre dans l'environnement humain, nécessiteux qu'il était encore de vivre des expériences terrestres, pourquoi est-il mort annihilant nos espoirs ?

- Oui - a répondu l'entité aimante -, ce sont les lois des épreuves qui régissent nos destins.

- Mais Cirus, il y a quelques années de cela, n'en est-il pas arrivé à mourir pour le Divin Maître, par le martyre et par le sacrifice ?

- Fille, parmi les martyrs du christianisme, il y a ceux qui se détachent du monde dans une mission sacrosainte et ceux qui meurent pour les plus terribles rachats... Cirus est parmi ces derniers... Lors des siècles passés, il fut un despote cruel qui fauchait sans pitié les espoirs de ses prochains et empoisonnait les cœurs... Puis plongé dans la lutte expiatoire, il a renié les douleurs sanctifiantes et a parcouru les chemins ignominieux du suicide. Il est juste, donc, que maintenant il apprécie les bénéfices de la lutte et de la vie par la difficulté à les réacquérir

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pour sa rédemption spirituelle, soucieux de s'y soumettre de façon adéquate. Ces échecs doivent valoriser son avenir de réalisations et de dignes efforts. En raison de toute la douleur vécue et du travail réalisé, à l'aube qui approche, son cœur aimera chacun des détails de sa lutte rédemptrice. Il saura valoriser dans l'énorme et accablant travail, les ressources sacrées de son élévation vers Dieu, en connaissant la grandeur de l'effort, de la résignation et du sacrifice !...

Consolée par les clarifications de son mentor spirituel, d'un seul coup elle aperçut une autre entité au visage noble et désolé qui la contemplait dans un mélange de joie et d'amertume.

Et comme elle trouvait étrange cette vision, elle a senti que la parole aimante de son grand-père lui disait :

- Ne sois pas surprise, ne t'effraye pas ! Ta mère qui se trouve maintenant dans le plan spirituel, est venue avec moi aujourd'hui, te manifester ses sentiments d'amour et de reconnaissance !...

Une poignante émotion a soudain vibré au fond d'elle, face à ces révélations inattendues. Ses larmes devinrent plus amères et plus abondantes. Elle doutait de sa propre clairvoyance, se rappelant le passé avec ses épines et ses ombres désolantes. Mais, ange ou démon, comme submergé par un voile de tristesse impénétrable, l'Esprit Alba Lucinie s'est approché et a baisé ses mains.

Célia aurait souhaité que cette entité bienveillante dise quelque chose à son cœur affligé. Mais l'ombre maternelle restait muette et consternée. Néanmoins, elle sentit que, dans sa main droite que l'ombre baisait, persistait une sensation indicible, comme si, avec son baiser, Alba Lucinie apportait aussi une larme brûlante et douloureuse.

À ce choc inattendu, la jeune romaine a remarqué que les deux entités échappaient à nouveau à son regard.

Cette nuit-là, elle médita longuement sur le passé, plus qu'à l'habituel, confiant à Jésus ses préoccupations et ses peines, elle supplia le Seigneur de fortifier son esprit afin de comprendre et d'accomplir intégralement les desseins sacrés de sa volonté divine.

Le lendemain de ces amères réflexions concernant son passé austère, une foule vint la voir pour faire appel à ses services fraternels. C'étaient des petits vieux désolés en quête d'une parole réconfortante et amicale, des femmes des villages environnants qui lui apportaient leurs petits malades, sans parler des nombreuses personnes originaires d'Alexandrie, à la recherche d'un soulagement spirituel pour supporter les déboires de la vie.

Au fur et à mesure que les environs du monastère se remplissaient de véhicules, son apparence fragile et mélancolique redoublait d'efforts inédits pour tous les consoler et les éclairer.

De temps en temps, un excès de toux survenait qui provoquait la pitié des personnes présentes ; elle, néanmoins, transformant sa fragilité en énergie spirituelle inébranlable, semblait ne pas sentir la destruction de son corps, afin de toujours garder allumée la lumière de sa mission de charité et d'amour.

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En fin de journée, invariablement, elle procédait aux lectures évangéliques, entendues par les nombreux visiteurs et par les gens simples du peuple.

C'est là, aux lueurs du crépuscule, qu'un beau jour, ses yeux surprirent un véhicule élégant et noble arriver d'où surgit Helvidius Lucius que son cœur filial identifia immédiatement. L'ancien tribun, trouvant la petite assemblée en plein air, chercha à s'accommoder comme il le put, tandis que les traits physionomiques du frère Marin laissaient transparaître les signes d'émotion qui vibrait dans son âme... Bien que prise d'une profonde tendresse, elle ne cessait de faire des commentaires détaillés sur la parabole du Seigneur, analysée ce jour-là. Le frère des malades et des malheureux parlait des sermons du Lac Tibériade, comme s'il avait connu Jésus de Nazareth, telle était remarquable la fidélité et l'aimante vibration de ses propos.

À la contemplation de ce merveilleux tableau, comme transporté, le fils de Cneius Lucius fixait le célèbre missionnaire, pris d'une étrange surprise ! Cette voix, ce profil qui ressemblait à un marbre précieux ravagé par les larmes et les souffrances de la vie, ne lui rappelait-il pas sa propre fille ? Si le frère Marin avait porté des vêtements féminins, se disait le tribun vivement intéressé, ce serait l'image parfaite de sa chère fille qu'il cherchait de toute part sans la moindre consolation et sans le plus petit espoir. Réfléchissant à cela, il accompagnait ses paroles, très agréablement étonné.

Personne encore ne lui avait parlé de l'Évangile avec une telle clarté et une si grande simplicité, avec cette onction d'amour et de fermeté qui, instinctivement, pénétrait son cœur, lui apportant une douce consolation. Il avait fait le voyage d'Ostie à Alexandrie, abattu et malade. Son état organique avait même inquiété ses quelques amis romains, au point d'insister pour qu'il retourne Immédiatement à la métropole. Une profonde fatigue transparaissait de ses yeux tristes, une tristesse inaltérable et un laborieux désenchantement pour la vie. Mais à entendre cet apôtre extraordinaire, plein de bienveillance et de douceur, il ressentit au fond un soulagement salutaire. La brise vespérale lui caressait légèrement le visage avec les derniers reflets du soleil qui se diluaient dans les lointains nuages. À ses côtés, concentrée, la multitude de pauvres, de malades, de désertés par la chance, prononçaient des prières ferventes, comme s'ils attendaient tous les bonheurs du ciel pour leurs jours d'épreuves.

À quelques pas, la figure svelte et délicate du frère des nécessiteux et des angoissés leur parlait avec une merveilleuse douceur.

Helvidius Lucius eut l'impression qu'il était transporté dans un pays mystérieux, plein de figures apostoliques et qu'il se sentait parmi les croyants anonymes pris d'un indescriptible bien-être.

Depuis la regrettable désincarnation de sa compagne, il avait l'esprit plongé dans un voile d'amertumes atroces. Jamais plus il n'avait joui de la tranquillité intérieure, accablé par le poids de ses angoisses poignantes. Néanmoins, les enseignements du frère Marin, ses considérations et ses prières, lui fournissaient un espoir intraduisible. Il se figurait que ce court instant lui suffirait pour reprendre confiance en un futur spirituel, plein de réalités divines. Sans pouvoir expliquer la cause de son émotion, il se mit à pleurer en silence comme si ce ne fut qu'à cet instant que les beautés immenses du christianisme le touchèrent en son for intérieur. Une fois que les interprétations et les prières du jour furent terminées, tandis que la foule se levait émue, Célia est restée sans bouger et sans savoir quelle attitude adopter dans de

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telles circonstances. Au fond, cependant, clic remerciait Dieu de lui avoir donné la grâce sublime de surprendre l'esprit de son père goûter aux lumières divines, et elle suppliait le Seigneur de permettre à son cœur filial de recevoir l'inspiration nécessaire de ses augustes messagers.

Immobile presque, plongée dans ses conjectures en un moment aussi grave de sa destinée, elle fut tirée de ses rêveries par la voix d'Helvidius Lucius qui s'était approché et s'exclama :

- Frère Marin, je suis un pécheur déçu du monde, attiré jusqu'ici par vos vertus sacrosaintes. Je viens de loin et ce bref contact avec vos paroles et vos enseignements a suffi pour me réconforter un peu, me permettant de ressentir une plus grande foi et de nouveaux espoirs. J'aurais souhaité vous parler... La nuit, néanmoins, ne va pas tarder et je crains de vous ennuyer...

L'humilité douloureuse de ces mots donna à la jeune chrétienne une idée exacte de tous les tourments qui avaient annihilé ce cœur paternel.

Helvidius Lucius n'avait plus maintenant l'allure droite et ferme qui le caractérisait comme citoyen légitime de l'Empire et de son temps. Ses lèvres tranquilles, d'autrefois, étaient pénétrées d'un rictus de tristesse et d'angoisses indéfinissables. Ses cheveux étaient complètement blancs, comme si un hiver implacable et dur avait versé sur sa tête une poignée de neige indestructible. Ces yeux qui si souvent étaient imprégnés d'une énergie impulsive et fière, étaient maintenant mélancoliques, ils révélaient une humilité sincère pour tout ou adressaient des suppliques au ciel, comme si depuis longtemps ils étaient plongés dans les plus oppressantes prières.

Célia comprit qu'une dure et inflexible tempête s'était abattue sur l'âme paternelle pour que se réalise cette métamorphose.

- Mon ami - a-t-elle murmuré les yeux humides -, je supplie Dieu que vos impressions premières ne se dissipent pas et c'est en son nom que je vous offre mon humble hutte ! Si cela vous dit, restez chez moi, car je serai très heureux de votre généreuse présence !...

Helvidius Lucius accepta cette offre délicate, ému.

Et c'est avec une énorme surprise qu'il découvrit la chaumière où vivait résigné le frère des malheureux.

En quelques minutes, le frère Marin lui avait arrangé un lit modeste mais propre et l'obligeait à se reposer. Portée par une joie rayonnante, la jeune femme se déplaçait d'un côté à l'autre de la pièce et elle ne tarda pas à servir au tribun, surpris, un bouillon substantiel et un verre de lait pur qui ont réconforté son organisme. Puis vinrent les remèdes faits maison préparés par elle-même avec un indicible plaisir.

La nuit avec son cortège d'ombres était tombée, quand le frère Marin s'est assis auprès de son hôte enchanté et ému d'une si grande sollicitude.

Ils ont alors parlé de Jésus, de l'Évangile, rapprochant harmonieusement leurs avis et leurs concepts concernant l'Agneau de Dieu et l'exemple de sa vie.

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De temps en temps, le tribun dévisageait son interlocuteur avec le plus grand intérêt, gardant en tête l'impression qu'il l'avait rencontré ailleurs.

Finalement, grâce au profond bien-être qu'il sentait renaître en lui, Helvidius Lucius lui dit :

- Je suis venu au christianisme tel un naufragé après les plus amères défaites du monde! Je sens que le Divin Maître a envoyé à mon âme tous les doux appels de sa miséricorde ; néanmoins, je suis longtemps resté sourd et aveugle, commettant de lamentables erreurs. Il a fallu qu'une hécatombe de malheurs s'abatte sur mon foyer et sur ma destinée, pour qu'au grondement de la tempête destructrice, je réussisse à rompre les parois qui me séparaient de la claire compréhension des nouveaux idéaux fleurissant à la mentalité et au cœur du monde.

Je n'ai jamais confié à qui que ce soit les épisodes poignants de ma vie, mais je sens que vous, apôtre de Jésus et adepte du Maître dans l'exemple du bien, pourrez comprendre mon existence, m'aidant à raisonner évangéliquement, pour que j'accomplisse mes devoirs dans mes derniers jours d'activité sur terre. Jamais, où que ce soit, je n'ai cessé de ressentir tel ou tel doute qui m'affligeait ; ici, néanmoins, sans savoir pourquoi, j'éprouve une tranquillité inconnue. Je pense pouvoir avoir confiance en vous, comme en moi-même !... Depuis longtemps, je ressens le besoin d'un réconfort direct et c'est à vous que je confie mes plaies, espérant une aide affectueuse et fraternelle !...

- Si cela vous fait du bien, mon ami - lui fit la jeune femme, séchant une larme discrète - vous pouvez vous fier à mon cœur, qui priera le Seigneur pour votre paix spirituelle en toutes circonstances dans la vie...

Et pendant que le frère Marin caressait sa tête blanchie prématurément, tourmenté par des souvenirs oppressants, sans pouvoir expliquer le motif de sa confiance, Helvidius Lucius se mit à lui raconter la pénible histoire de son existence. De temps en temps, sa voix était étouffée par l'un ou l'autre souvenir ou épisode de sa vie. À chaque pause son interlocuteur, ému, répondait à son état d'âme par telle ou telle remarque, trahissant ses propres réminiscences. Le tribun était étonné, mais il attribuait le fait aux facultés divinatoires présumées de l'apôtre de l'amour et de la charité pure, qu'il avait devant lui.

Après de longues heures de confidences où tous deux pleuraient en silence, Helvidius finit par conclure :

- Voilà frère Marin, ma pauvre histoire. De toutes les tragédies rappelées, je garde de profonds remords, mais ce qui me contrarie le plus, c'est d'avoir été un père injuste et cruel. Avec un peu plus de calme et un peu moins d'orgueil, je serais arrivé à la vérité, éloignant les funestes génies qui pesaient sur mon foyer et ma destinée !... En me rappelant ces événements, aujourd'hui encore, je me sens transporté à ce terrible jour où j'ai expulsé de mon cœur ma fille chérie. Depuis que j'ai appris son innocence. |<- l.i cherche désespérément de toute part ; il me semble, néanmoins, que Dieu, punissant mes actes condamnables, m'a livré au suprême martyre moral pour que je comprenne toute l'extension de mes fautes. Voilà pourquoi, frère, je me sens comme accusé par la justice divine, sans consolation et sans espoir. J'ai l'impression que pour réparer mon grand crime, je dois marcher comme le juif errant de la légende, sans repos et sans lumière dans mes pensées. Par mon exposition sincère et émouvante, vous comprenez maintenant que je suis un pécheur déçu par tous les remèdes

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du monde. Voilà pourquoi, j'ai décidé de faire appel à votre bonté pour m'apporter la consolation. Vous qui avez illuminé tant d'âmes, ayez pitié de moi qui suis un naufragé désespéré !

Les larmes étouffaient sa voix.

Se sentant touchée dans toutes les fibres de son cœur, sa fille douce et aimante l'écoutait les yeux larmoyants.

Elle aurait souhaité révéler son secret à son père, embrasser ses mains ridées, lui dire sa joie de le retrouver sur le même chemin qui la conduisait vers Jésus... Elle aurait voulu lui dire qu'elle l'avait toujours aimé et qu'elle avait oublié ses sanglots passés, afin de pouvoir tous deux s'élever au Seigneur, dans une même vibration de foi, mais une force mystérieuse et incoercible paralysait son élan.

C'est ainsi qu'elle a murmuré affectueusement :

- Mon ami, ne vous livrez pas au découragement et à l'abattement ! Jésus est la personnification de la miséricorde et il consolera certainement votre cœur ! Ayons confiance et attendons sa bonté infinie !...

- Mais - acquiesça Helvidius Lucius dans sa sincérité poignante, je suis un pécheur qui se juge sans pardon et sans espoir !

- Qui ne l'est pas en ce monde, mon ami ? - lui répondit Célia pleine de bonté. - La leçon de la « première pierre » par hasard, ne serait-elle pas destinée à tous les hommes ? Qui pourrait dire « je n'ai jamais commis d'erreur », dans l'océan d'ombres où nous vivons ? Dieu est le juge suprême et dans sa miséricorde inépuisable, il ne peut exiger de ses enfants une dette inexistante !... Si votre fille a souffert, il y avait malgré tout une loi d'épreuves qui s'est accomplie conformément à la sagesse divine !...

- Néanmoins - a gémi le tribun d'une voix amère -, elle était bonne et humble, affectueuse et juste ! En outre, je sens que j'ai été impitoyable parce que j'éprouve maintenant les plus rudes accusations de ma propre conscience !...

Et comme s'il voulait transmettre à son interlocuteur l'image exacte de ses réminiscences, le fils de Cneius Lucius a ajouté, en séchant ses larmes :

- Si vous l'aviez vue, frère, en ce jour fatidique et sinistre, vous seriez d'accord j'en suis sûr pour dire que ma malheureuse Célia était comme un mouton immaculé qui marchait au sacrifice. Je ne pourrai jamais oublier son regard blessé, alors qu'elle s'éloignait du foyer domestique, rejetée du sanctuaire de sa famille honoré par son âme d'enfant à travers les actes 1es plus nobles de travail et de résignation ! Rappelant ces la II s. Je me vois tel un tyran qui, après s'être abandonné à toute sorte de de crimes, marche dans le monde mendiant la justice des hommes, afin d'éprouver le soulagement désiré de sa conscience !

À entendre ces paroles, la jeune femme pleurait copieusement, laissant libre cours à ses propres souvenirs contaminés de douleur et d'amertume.

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- Oui, frère - continua le tribun angoissé -, je sais que vous pleurez pour les malheurs de vos prochains ; je sens que mes épreuves ont aussi touché votre cœur. Mais, dites-moi !... que devrais-je faire pour retrouver ma fille bien-aimée ? Serait-ce qu'elle aussi est partie au ciel sous le coup des angoisses humaines ? Que faire pour embrasser, un jour, ses mains avant sa mort ?

En guise de réponse, ses pénibles questions ne trouvaient que le silence de la jeune femme qui pleurait émue. Peu après, néanmoins, comme prise d'une soudaine résolution, elle lui fit remarquer :

- Mon ami, avant tout nous devons pleinement confier en Jésus, en observant dans toutes nos souffrances la détermination sacrée de sa sagesse et de sa bonté infinies ! Ne perdons pas notre temps à regretter le passé. Dieu bénit ceux qui travaillent et le Maître a promis le soutien divin à tous ceux qui travaillent en ce monde avec persévérance et bonne volonté !... Si vous n'avez pas encore retrouvé votre fille aimée, il faut dilater les liens du sang afin qu'ils se conjuguent avec les liens éternels et lumineux de la famille spirituelle. Dieu veillera sur vous, dès lors que pour remplacer l'affection de votre fille absente, vous chercherez à ouvrir votre cœur à tous les désemparés de la chance... Il y a des milliers d'êtres qui demandent une aumône d'amour à leurs semblables ! En vain, ils tendent des bras nus à ceux qui passent, heureux, par les chemins fleuris des espoirs mondains.

Je connais Rome et le tourbillon de ses funestes misères. À côté des résidences nobles des Carines, des constructions magnifiques du Palatin et des quartiers aristocratiques, il y a les lépreux du Suburre, les aveugles du Vélabre, les orphelins de la voie Momentané, les familles indigentes du Trastevere, la misère noire de l'Esquilin !... Tendez vos bras aux filles de parents anonymes ou aux foyers délaissés par la fortune !... Étreignons les misérables, distribuons notre pain pour atténuer la faim d'autrui ! Travaillons pour les pauvres et pour les malheureux, car la charité matérielle, si facile à pratiquer, nous enseignera la charité morale qui nous transformera en de vrais disciples de l'Agneau. Aimons-nous beaucoup !... Tous les apôtres du Seigneur sont unanimes à déclarer que le bien couvre la multitude de nos péchés ! Chaque fois que nous nous détachons des biens de ce monde, nous acquérons des trésors au ciel, inaccessibles à l'égoïsme et à l'ambition qui dévorent les énergies terrestres. Convertissez le superflu de vos possibilités financières en pain pour les malheureux. Habillez ceux qui sont nus, protégez les orphelins ! Tout le bien que nous ferons aux désemparés est une pièce de lumière que le Seigneur épargne pour notre âme. I In |i>m nous nous réunirons dans la vraie patrie spirituelle. In <m les printemps de l'amour sont interminables. I,à l>;is. personne ne nous demandera ce que nous avons été au monde, mais nous serons questionnés sur les larmes que nous avons séchées et les bonnes ou les mauvaises actions que nous avons pratiquées pendant notre séjour sur terre.

Et les yeux fixes comme si elle percevait les paysages célestes, elle continuait :

- Oui, il y a un royaume de lumière où le Seigneur attend nos cœurs ! Faisons en sorte de mériter ses grâces divines. Ceux qui pratiquent le bien sont des collaborateurs de Dieu sur le chemin infini de la vie... Là-bas, nous ne pleurerons plus dans la nuit sombre, comme cela arrive sur terre. Un jour éternel baignera le front de tous ceux qui ont aimé et ont souffert sur les routes épineuses du monde. Des harmonies sacrées vibreront dans les Esprits élus qui conquerront ces douces demeures !... Ah ! Que ne ferions-nous pas pour atteindre ces jardins de délice où nous nous reposerons dans les réalisations divines de l'Agneau de Dieu ?! Mais,

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pour pénétrer ces merveilles, nous devons commencer notre travail de perfectionnement intérieur en illuminant notre conscience avec l'exemple du Divin Maître !

Il y avait dans le regard du frère Marin une clarté sublime, comme si ses yeux mortels se reposaient dans ce pays de lumière beau et fulgurant que ses promesses évangéliques décrivaient. Des larmes sereines glissaient de ses yeux calmes, cautionnant la vérité de ses propos.

Helvidius Lucius pleurait, ému, il sentait que les émotions sacrées de la jeune femme envahissaient également son cœur par une divine contagion.

- Frère Marin - a-t-il dit avec difficulté -, je pressens la réalité lumineuse de vos concepts et pour cela je travaillerai infatigablement, afin d'obtenir la paix de conscience nécessaire et pouvoir méditer dans la mort avec la beauté de vos idées. Je pratiquerai le bien désormais sous tous ses aspects et par tous les moyens à ma portée, et j'espère que Jésus aura pitié de moi.

- C'est cela, le Divin Maître nous aidera - conclut-elle tout en caressant ses cheveux blancs.

La nuit avançait et Célia, laissant le cœur de son père baigné de réconfortants espoirs, se coucha dans un coin minuscule, où en sanglots, elle a supplié Cneius Lucius de l'éclairer en ce moment difficile, alors que son affection filiale dominait ses fibres les plus sensibles.

Souriant plein de compassion et calmement, l'Esprit du petit vieux entendit ses suppliques, et lui dit son immense gratitude à Dieu, de voir son fils s'ouvrir aux lumières chrétiennes, mais il l'avertit que la révélation de son identité filiale était, dans ces circonstances, désapprouvée et inopportune, et souligna à ses yeux la délicatesse de la situation et les réalisations à venir.

Au matin, fortifiée et encouragée, Célia a préparé leur petit déjeuner que le tribun a ingéré, sentant une nouvelle saveur, il affichait de meilleures dispositions pour affronter à nouveau la vie.

Comme elle connaissait son ancienne prédilection pour l'environnement agricole, le frère Marin l'a emmené visiter le grand jardin, où, au prix de ses efforts et des nombreux travaux, le monastère d'Épiphane possédait un véritable domaine de production salutaire et inestimable.

Dans les grands espaces de terre, s'élevaient des arbres fruitiers, cultivés avec soins, qui laissaient ressortir les zones réservées aux légumes et à un emplacement bien entretenu où se trouvaient les animaux domestiques. Sous les épais branchages, des chèvres apprivoisées reposaient en paix et se confondaient avec les moutons à la laine claire et douce. Plus loin, des juments tranquilles broutaient et, de temps en temps, des nuées de pigeons passaient dans le ciel en bandes joyeuses. Entre les légumes, jouait le filet agile d'un long ruisselet. Helvidius Lucius observait que tout était soigneusement propre et invitait l'homme à la vie bucolique simple et généreuse.

De-ci delà, se trouvaient un humble petit vieux ou un enfant sain que le frère Marin saluait avec un geste de tendresse et de bonté.

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Profondément impressionné par ce qu'il voyait, le fils de Cneius Lucius a souligné, ému :

- Ce jardin merveilleux me donne l'impression d'un tableau biblique ! Entre ces arbres, je respire l'air balsamique comme si la campagne parlait ici plus intimement à l'âme ! Dis-moi! Comment est organisé votre travail ? Combien payez-vous les travailleurs dévoués qui sont vos assistants ?...

- Nous ne payons rien, mon bon ami, je cultive ce jardin depuis plusieurs années et c'est ici que se fournit le monastère dont je suis le modeste jardinier. Je n'ai pas d'employés. Mes assistants sont d'anciens habitants du voisinage qui m'aident gracieusement quand ils disposent d'un peu de temps. Les autres sont des enfants de ma modeste école, fondée il y a plus de cinq ans pour satisfaire les besoins des enfants misérables des villes les plus proches!...

- Mais quel secret y a-t-il dans ces parages -s'exclama Helvidius respirant à plein poumons -, pour que la terre se montre si généreuse, si exubérante ?

- Je ne sais pas - a dit le frère des pauvres, avec simplicité -, ici nous aimons beaucoup la terre, voilà tout ! Pour recevoir leurs cadeaux et leurs fleurs, nos arbres fruitiers ne sont jamais coupés. Les agneaux nous donnent une laine précieuse, les chèvres et les juments un lait nutritif, mais nous ne les faisons pas abattre, jamais. Les orangers et les oliviers sont nos meilleurs amis. Parfois, c'est à l'ombre de leurs branches que nous faisons nos prières, les jours de repos. Nous sommes, ici, une grande famille. Et nos liens d'affection se prolongent à la nature.

Au fur et à mesure de ses explications qu'Helvidius acquiesçait poliment, elle énumérait les coutumes et décrivait les faits relatifs à ses observations et à sa propre expérience, elle donnait à chaque mot une empreinte d'amour qui manifestait toute la simplicité de son esprit.

- Un jour - expliqua-t-elle avec un sourire infantile -nous avons remarqué que les chevreaux les plus âgés aimaient poursuivre les petits agneaux apprivoisés. Alors, les enfants de l'école, se rappelant que Jésus obtenait tout par la douceur de ses enseignements, ont décidé de m'aider à l'élevage des moutons et des chèvres, en construisant pour cela un seul enclos... Encore petits, les uns et les autres, venant de mères différentes, étaient réunis de toute part et, avec le soutien des garçons, ils étaient guidés par nos prières et les leçons en plein air. Les enfants ont toujours cru que les leçons de Jésus devaient aussi concerner les animaux et je les ai laissé nourrir cette charmante conviction. Le résultat a été que les chevreaux querelleurs ont disparu. Dès lors l'enclos devint un nid d'harmonie. En grandissant ensemble, en mangeant la même luzerne et en sentant toujours leur compagnie, les uns et les autres ont éliminé leurs aversions instinctives !... Pour moi, qui observait ces leçons à chaque instant, je me suis mis à penser combien sera heureuse la communauté humaine quand tous les hommes comprendront et pratiqueront l'Évangile ?...

Les larmes aux yeux, le tribun a écouté sa petite histoire qui reflétait sa radieuse simplicité.

Fixant son interlocuteur, Helvidius Lucius a ajouté, laissant transparaître une lueur nouvelle dans son regard :

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- Frère Marin, je comprends, maintenant, l'exubérance de cette terre et la beauté de ce paysage. Tous ces faits sont un miracle de dévouement car vous consacrez toutes vos énergies à la terre bienveillante. Vous avez beaucoup aimé et cela est essentiel. Pendant de nombreuses années, j'ai moi aussi été un homme de la campagne, mais jusqu'à présent, je n'ai exploré la terre que par intérêt commercial. Maintenant je comprends que, désormais, je dois aimer aussi la terre, si je retourne un jour au champ. Aujourd'hui, je comprends que tout au monde est amour et tout exige de l'amour.

La jeune femme, qui était enthousiasmée par ses espoirs, écoutait les considérations paternelles.

Helvidius Lucius est resté là pendant trois jours, à se rétablir dans cette paix inaltérable. Des heures d'une douce tranquillité où toutes les amertumes terrestres comme par enchantement s'étaient calmées au fond de son cœur attristé.

Parfois, Célia éprouvait l'envie de lui communiquer les tendres émotions de son cœur filial mais une étrange force semblait réprimer sa volonté, laissant comprendre que toute révélation était encore prématurée.

Finalement, lorsqu'ils se sont fait leurs adieux, plus fortifié et réconforté, le tribun lui dit :

- Frère Marin, je pars l'esprit frappé par de nouvelles dispositions et débordant d'énergies pour affronter la lutte et les tristes expiations qui m'appartiennent sur terre !... Priez Dieu pour moi, demandez à Jésus que j'aie l'occasion et la force de mettre en pratique vos conseils. Je retourne à Rome avec l'idée de faire le bien qui enchante mon âme. Je suivrai vos suggestions à chaque pas et, avec cet objectif, il est bien possible que le Seigneur satisfasse mes justes aspirations paternelles. Dès que je le pourrai, je reviendrai pour vous saluer !... Jamais je ne pourrai oublier le bien que vous m'avez fait !

Elle lui a alors pris la main droite et l'a embrassée de ses yeux humides. À ce geste d'humilité, le tribun resta admiratif et ému.

Peinée, elle est restée à regarder la voiture qui le transportait de retour à Alexandrie, s'éloigner jusqu'à ce qu'il ait disparu au loin dans un nuage de poussière.

S'enfermant alors dans sa maisonnette, elle a ouvert une petite boîte en bois, rapportée de Minturnes, dans laquelle elle gardait la tunique avec laquelle elle avait quitté son foyer le triste jour de son exil. Parmi les quelques objets, se trouvait la perle que son père lui avait rapportée de Phocide, le seul bijou qui lui soit resté, après avoir été victime de l'ambition criminelle d'Hatéria. Elle retournait sans cesse dans ses mains, en larmes, les objets anciens et simples de ses doux souvenirs.

Élevant ses prières à Dieu, elle l'a supplié de lui donner les énergies indispensables à l'accomplissement intégral de sa mission.

Une fois de retour en Italie, Helvidius Lucius se sentit comme baigné dans un courant de pensées nouvelles.

Le frère Marin, à ses yeux, était un symbole parfait des jours apostoliques quand les partisans de Jésus opéraient dans le monde, en son nom.

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En débarquant à Naples, il s'est dirigé vers Capoue où il fut reçu par ses enfants avec d'exceptionnelles démonstrations d'affection.

Caius et sa femme exultaient en constatant ses améliorations physiques et spirituelles, ils trouvaient seulement étrange qu'il revienne d'Egypte avec tant d'idées de charité et de bienfaisance.

Après leur avoir parlé du frère Marin et de la séduction qu'il avait exercé sur son esprit, Helvidius Lucius a ajouté :

- Mes enfants, je sens que je ne vivrai plus très longtemps et je veux mourir conformément à la doctrine que j'ai étreinte de tout mon cœur. Je retourne maintenant à Rome où je vais traiter de préparer mon avenir spirituel conformément à mes nouvelles convictions. J'espère que vous ne contrarierez pas mes derniers désirs. Je répartirai nos biens et la troisième partie vous sera remise en temps opportun. Le reste, je chercherai à l'appliquer conformément à ma nouvelle croyance. Je compte sur votre assentiment pour cela.

Au fond, Caius et Helvidia ont attribué la soudaine transformation paternelle aux sorcelleries des chrétiens qui, à leur avis, auraient abusé de sa situation de faiblesse et d'abattement en raison des nombreux chocs moraux qu'il avait souffert. Néanmoins, avec la générosité qui la caractérisait, la femme de Fabrice a souligné :

- Mon père, je n'ose discuter la question de votre foi, car au-delà de toute controverse religieuse, il y a notre amour et votre bien-être ! Procédez comme il vous conviendra. Financièrement, vous n'avez pas à vous inquiéter de notre avenir. Caius est travailleur et je n'ai pas de grandes prétentions. En outre, les dieux veilleront toujours sur nous, comme ils l'ont fait jusqu'à présent. Donc, vous pouvez agir et soyez assuré de notre affection et de notre respect quant aux décisions que vous prendrez.

Helvidius Lucius a étreint sa fille en signe de joie pour sa compréhension, tandis que Caius, d'un sourire, esquissait son consentement.

De retour à Rome, depuis ses jours de triomphe et de jeunesse, le fier patricien était radicalement transformé. Son premier acte de véritable conversion à Jésus fut de libérer tous les esclaves de sa demeure, remédiant à leurs besoins pour leur avenir.

Affrontant les dangers de la situation politique, il n'a pas cherché à cacher ses convictions religieuses, il exaltait les vertus du christianisme dans les sphères les plus aristocratiques. Ses amis, néanmoins, l'écoutaient peines. Pour ceux qui partageaient son environnement social, Helvidius Lucius souffrait des signes les plus évidents de perturbation mentale, provenant de la douloureuse tragédie qui s'était abattue sur son foyer dans un deuil perpétuel et angoissant. Néanmoins, comme s'il renonçait à tous les honneurs exigés par sa condition, le tribun semblait inaccessible aux opinions d'autrui et au grand étonnement de toutes ses relations, il consacra la majeure partie de ses biens patrimoniaux à des œuvres de charité, dont des orphelins et des veuves se bénéficièrent.

Ses humbles compagnons de la porte Appienne se réjouissaient de son ardeur évangélique dont il donnait, maintenant, un vrai témoignage en les aidant dans leurs efforts et en les défendant publiquement. Il ne se livrait plus à l'oisiveté sociale, et parfois dans la

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matinée, il était aperçu sur l'Esquilin ou dans Suburre, au Trastevere ou au Vélabre, en quête d'informations sur telle ou telle famille d'indigents. Et ce n'était pas tout. Il rendit aussi visite aux descendants d'Hatéria, dans l'intention de lui pardonner, mais il n'obtint aucune nouvelle la concernant, car personne ne connaissait la tragique fin de la petite vieille qui eut lieu dans des conditions aussi occultes qu'elle avait pratiqué le mal. Le tribun, néanmoins, a profité de son séjour à Benevento pour enseigner aux membres de cette famille qui se considérait sous sa tutelle, les méthodes appliquées par le frère Marin dans le traitement soigné de la terre. Puis, il est parti pour la propriété de Caius Fabrice, où il a assumé volontairement la direction de nombreux services agricoles, utilisant les procédés qu'il ne pourrait jamais oublier, en se faisant aimer comme un père par tous ceux qui recevaient volontiers ses idées nouvelles et intéressantes.

Toutefois, après tant de travaux salutaires, l'ancien tribun est tombé malade, inquiétant le cœur de ses enfants et de ses amis.

Il a passé ainsi un mois, abattu et souffrant, quand un jour, mélancolique et tremblant, il a appelé sa fille et il lui dit avec la plus grande tendresse :

- Helvidia, je sens que mes jours en ce monde sont comptés et je désirerais revoir le frère Marin, avant de mourir.

Elle lui fit comprendre les risques qu'il encourait à faire un tel voyage, mais le tribun réagissait avec tant d'insistance qu'elle finit par accepter à la condition de se faire accompagner par son gendre. Helvidius Lucius a refusé alléguant ne pas vouloir interrompre le rythme domestique. Ils ont décidé alors qu'il voyagerait avec deux serviteurs de confiance, en cas d'éventualité.

Se sentant mieux, conforté à l'idée de retourner à Alexandrie et de revoir les endroits où il avait ressenti un si grand réconfort dans sa détresse morale, le tribun s'est correctement préparé, malgré les craintes de sa fille, qui a embrassé ses mains avec tendresse, le cœur rempli de mauvais présages au moment du départ.

Helvidius Lucius l'a serrée dans ses bras avec un regard ineffable, il contempla ensuite le paysage agricole, mélancoliquement, comme s'il voulait garder dans ses yeux le précieux tableau observé pour la dernière fois.

Caius et sa femme, à leur tour, n'ont pas réussi à cacher leurs larmes d'émotion.

Avec cet esprit résolu qui le caractérisait, le fils de Cneius Lucius ne s'est pas rendu compte des appréhensions de ses enfants. Il partit sereinement, suivi des deux employés de Caius Fabrice qui ne l'abandonneraient pas un seul instant.

Mais avant que le bateau n'arrive à Alexandrie, il se mit à sentir une recrudescence de son mal organique. La nuit, il ne réussissait pas à se débarrasser de sa dyspnée inflexible et durant le jour, il était pris d'une grande faiblesse.

Cela faisait plus d'un an qu'il avait connu de près le frère Marin. Un an de plus de travaux incessants au service de la charité évangélique. Et Helvidius Lucius, qui s'était laissé fasciner par l'esprit aimant du frère des pauvres malheureux, ne voulait pas mourir sans lui prouver qu'il avait profité de ses leçons sublimes. Il n'aurait pu expliquer la profonde

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sympathie que le moine avait éveillée en lui. Il ne savait qu'une chose, il l'aimait avec des sentiments très paternels. Ainsi, pris de joie d'avoir appliqué ses enseignements avec dévouement et sans crainte, il attendait anxieux l'instant de le revoir et de l'informer de tous ces faits, qui, bien que tardifs, avaient extraordinairement calmé son cœur.

D'Alexandrie au monastère, il fit le voyage dans une litière spéciale avec tout le confort possible. Mais même ainsi, il est arrivé à sa destination grandement affaibli.

Le frère Marin, à son tour, vivait les derniers jours de son apostolat. Ses yeux étaient devenus plus profonds et sur son visage planait une expression douloureuse et résignée, comme s'il était absolument sûr de sa fin prochaine.

La scène de leurs retrouvailles fut profondément émouvante parce que Célia aussi attendait anxieuse ce cœur paternel car elle croyait que bientôt elle partirait à la rencontre des êtres chers qui l'avaient précédée dans les ombres de la tombe. Depuis quelques mois, elle avait interrompu ses prêches parce que tous les efforts physiques qu'elle faisait provoquaient des hémoptysies. Néanmoins, les études évangéliques continuaient toujours. Les frères du monastère s'étaient chargés de poursuivre la tâche sacrée, alors que les vieux et les enfants la remplaçaient aux travaux du jardin où les arbres se couvraient à nouveau de fleurs. Ce fut en vain qu'Épiphane, à présent touché par les actes de sacrifice et d'humilité de cette âme généreuse, voulut la faire transporter dans une chambre confortable et pleine de soleil dans le monastère pour atténuer ses souffrances. Mais elle préféra sa petite maison simple au bout du jardin, car elle voulait rester seule dans ses méditations et ses prières, convaincue que son père reviendrait et qu'elle pourrait se révéler à lui avant de mourir.

Il faisait presque nuit noire quand le patricien a frappé à sa porte, tourmenté par de singulières souffrances.

Elle le reçut avec une joie intense, et bien que très faible, elle trouva immédiatement un endroit où loger les serviteurs dans une simple dépendance un peu distante. Ensuite elle retourna chez elle où Helvidius l'attendait affligé, vu son état qui s'était brusquement aggravé.

En vain, la jeune femme lui apporta les remèdes dont elle disposait et qu'elle avait confectionnés, mais d'heure en heure, le tribun souffrait de dyspnées de plus en plus fortes, alors que son cœur battait à vive allure.

La nuit avançait quand Helvidius Lucius demanda à sa fille de s'asseoir près de lui, et lui murmura avec difficulté :

- Frère Marin... ne t'occupe plus de mon corps... J'ai l'impression de vivre mes derniers instants... Je gardais le désir secret de mourir ici en écoutant tes prières qui m'ont appris à aimer Jésus... avec plus d'affection.

Célia se mit à pleurer amèrement, percevant la pénible réalité.

- Vous pleurez ??... vous serez toujours le frère .des malheureux et des désemparés... Vous ne m'oublierez pas dans vos prières..

Et, lançant à sa fille un regard inoubliable et triste, il continuait d'une voix hésitante à l'agonie:

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- J'ai voulu revenir pour vous dire que j'ai cherché à mettre en pratique vos leçons sublimes. Je sais qu'autrefois j'ai été un pervers, un orgueilleux... J'ai été un pécheur, mon frère, je vivais loin de la lumière et... de la vérité. Mais... depuis que je suis venu ici, j'ai fait en sorte de procéder comme vous me l'avez enseigné... J'ai donné la plupart de mes biens aux pauvres et à ceux que la chance avait désertés... J'ai cherché à protéger les malheureuses familles du Trastevere, je suis allé voir les orphelins et les veuves de l'Esquilin... J'ai proclamé ma nouvelle croyance parmi tous les amis qui me ridiculisaient... J'ai donné une maison aux compagnons de foi qui se réunissent près de la porte Appienne... Je suis allé voir tous mes ennemis et je leur ai demandé pardon pour pouvoir calmer mes pensées tourmentées... En restant plusieurs mois dans la propriété agricole de mes enfants, j'ai enseigné le christianisme aux esclaves, je leur ai parlé de votre jardin où la terre reçoit la plus grande coopération d'amour... Alors, j'ai pu voir que tous travaillaient comme vous me l'aviez enseigné... À chaque pièce de monnaie offerte aux malheureux, je vous voyais bénissant mon geste et ma compréhension... Je n'avais pas le courage de m'adresser à Jésus... Je me sens faible et si petit devant sa grandeur... Je pensais ainsi à vous, qui connaissez la pénible histoire de ma vie... Vous prierez pour moi le Divin Maître, car vos prières doivent être entendues au ciel...

Il fit une pause à sa poignante exposition, tandis que la jeune femme en larmes le soutenait et priait en silence.

Bien que difficilement, il chercha à s'assoir plus confortablement. Puis il prit la main droite de Célia et de ses yeux perçants tout en la fixant, il poursuivit d'une voix entrecoupée les révélations de ses derniers espoirs et de ses souhaits :

- Frère Marin, j'ai fait tout cela avec la même aspiration paternelle, retrouver ma fille sur le plan physique... En cherchant les pauvres et les abandonnés par la chance, combien de fois ai-je pensé la retrouver et qu'elle me serait rendue... Depuis que je suis devenu un adepte du Seigneur, je crois fermement en la vie dans l'au-delà... Je crois que je retrouverai outre tombe toutes les affections qui m'ont précédé et je voulais apporter à ma compagne la certitude d'avoir réparé mes funestes erreurs du passé... Ma femme a toujours été réfléchie et généreuse et je désirais lui donner cette nouvelle... lui dire avoir réparé mes impulsions d'antan quand je ne sentais pas Jésus dans mon cœur...

Et comme s'il désirait manifester son dernier désenchantement, le mourant conclut, après une pause :

- Néanmoins... frère... le Seigneur ne m'a pas considéré digne de cette joie... J'attendrai, alors, son bref jugement, avec le même remords et avec le même repentir...

Devant cet acte d'humilité suprême et de sublime espoir au Seigneur Jésus, le frère Marin s'est levé et, le regardant de ses yeux larmoyants et brillants, il s'exclama :

- Votre fille est ici, elle attendait votre venue !... Vous devez reconnaître que Jésus a entendu nos suppliques !...

Helvidius lui a renvoyé un regard pénétrant, plein d'amertume et d'incrédulité, tandis que ses joues pâles étaient baignées d'une abondante sueur d'agonie.

- Attendez ! - dit la jeune femme avec un geste affectueux.

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Et alors qu'elle s'était éclipsée à l'intérieur, elle retira sa soutane et enfila la vieille tunique avec laquelle elle avait quitté son foyer au moment critique de son pénible destin, elle mit sur sa poitrine la perle de Phocide que son père lui avait offerte la veille de cet angoissant événement. Et donnant à sa chevelure son ancienne coiffure, elle a pénétré dans la pièce anxieusement, tandis que le mourant vérifiait sa métamorphose, pris d'étonnement.

- Mon père ! mon père !... - a-t-elle murmure en l'embrassant avec tendresse, comme si à cet instant, elle réalisait enfin tous les espoirs de sa vie.

Mais alors que son front était empâté d'une sueur algide, Helvidius Lucius n'avait plus la force d'exprimer sa joie profonde, abasourdi, il était pris d'un étonnement indéfinissable. Dans sa joie suprême, il aurait voulu embrasser sa fille idolâtrée, lui baiser les mains et lui demander pardon. Mais il n'avait pas de voix pour dire l'allégresse qui dominait son cœur paternel, pour l'interroger et lui exposer ses souffrances inénarrables. Cette intense exaltation avait rompu ses dernières possibilités verbales. Seuls ses yeux, perçants et lucides, reflétaient son état d'âme et disait toute son émotion indescriptible. Des larmes silencieuses se mirent à rouler sur ses joues décharnées pendant que Célia l'embrassait lui murmurant tendrement :

- Mon père, de son royaume de miséricorde Jésus a entendu nos prières ! Je suis ici. Je suis votre fille... Je n'ai jamais cessé de vous aimer !...

Et comme si elle avait voulu s'identifier par tous les moyens possibles aux yeux paternels, à l'instant suprême, elle a ajouté :

- Ne me reconnaissez-vous pas ? Voyez cette, tunique ! C'est celle que je portais le triste jour où j'ai dû quitter la maison... Voyez cette perle ? C'est celle que vous m'avez donné la veille de nos angoissantes et rudes épreuves ... Loué soit le Seigneur qui nous réunit ici en cette heure de douleur et de vérité. Pardonnez-moi si j'ai été obligée de prendre un habit différent afin d'affronter ma nouvelle vie ! J'en ai eu besoin pour me défendre des tentations et me protéger de la concupiscence des hommes inférieurs !... Depuis que j'ai quitté le foyer, j'ai employé mon temps à honorer votre nom... Que puis-je vous dire d'autre pour vous prouver mon affection et mon amour ?...

Mais, Helvidius Lucius sentait que des forces mystérieuses ravissaient son corps ; une sensation inconnue vibrait en lui, l'enveloppant dans une atmosphère glaciale.

Il a encore essayé de parler, mais ses cordes vocales étaient raides. Sa langue était paralysée dans sa bouche enflée. Toutefois, attestant que de profonds sentiments vibraient dans son cœur, de copieuses larmes coulaient sur son visage la couvrant d'un regard aimant et indicible.

Il a esquissé un geste suprême pour porter les mains de Célia à ses lèvres, mais ce fut elle qui, devinant son intention, a pris les siennes inertes et froides pour les baiser longuement. Puis, elle lui a embrassé le front, prise d'une immense tendresse !...

Ensuite elle s'est agenouillée, elle a prié le Seigneur à voix haute qu'il reçoive l'esprit généreux de son père en son royaume d'amour et de bonté infinie !...

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Avec des larmes d'affection et de remerciement au Très Haut, elle lui a fermé les paupières dans son dernier sommeil, observant toutefois que la physionomie du tribun était, maintenant, nimbée de paix et de sérénité.

Pendant quelques instants, elle est restée agenouillée et vit que l'ambiance se remplissait de nombreuses entités désincarnées parmi lesquelles se détachaient le profil de sa mère et de son grand-père, qui étaient là le visage calme et rayonnant à lui tendre leurs bras généreux.

Elle s'est figurée que tous les amis du tribun étaient présents à l'instant extrême afin d'escorter l'âme régénérée vers les lumineuses plaines désertes de l'Agneau de Dieu.

Aux premières lueurs de l'aube, elle envoya quelqu'un pour solliciter la présence des serviteurs du défunt qui ont accouru à son appel pressant.

Célia qui avait remis son habit de moine, alla jusqu'au monastère en informer l'autorité supérieure pour que les mesures nécessaires fussent prises.

Tous, et même Épiphane en personne, ont assisté le frère Marin à résoudre la situation.

Les serviteurs de Caius Fabrice ont expliqué, néanmoins, que leurs employeurs à Capoue, étaient persuadés que le voyageur ne pourrait résister aux difficultés d'un voyage aussi pénible, et leur avaient indiqué les personnalités à qui ils pouvaient s'adresser à Alexandrie, pour que ses restes retournent en Campanie, au cas où le tribun décéderait.

Et ce fut ainsi que le lendemain de bon matin, un groupe de quatre hommes, comprenant les serviteurs de Caius Fabrice, transporta le cadavre d'Helvidius Lucius vers la ville la plus proche.

Appuyée à la porte de sa hutte et sous le regard des frères du monastère qui lui tenaient compagnie, Célia a regardé partir la litière funèbre jusqu'à ce qu'elle ait disparu au loin dans un nuage de poussière.

Une fois que le groupe se fut évanoui dans les dernières courbes de la route, plus que jamais Célia s'est sentie seule et abandonnée. La reviviscence de l'affection paternelle dans de telles circonstances lui avait apporté une amère tristesse. Jamais l'angoisse du monde n'avait aussi fortement envahi son âme. Elle s'est recueillie dans la prière mais elle se figurait que de lourdes ombres submergeaient son être. Elle n'était pas désespérée et son sens du malheur n'approuvait pas les plaintes et les lamentations. Mais la nostalgie singulière de ses défunts bien-aimés remplissait maintenant son cœur d'un filtre mystérieux d'indifférence pour le monde. Plongée dans la pensée de Jésus, bientôt, des rosés de sang se mirent à apparaître dans sa bouche dans un flux continu.

Quelques frères amis s'approchèrent, tandis qu'Épiphane, touché au plus profond de son cœur, ordonnait de la faire porter au monastère avec les plus grands soins.

Mais que ce soient les remèdes ou les suprêmes dévouements en cette heure extrême, rien n'y pu.

Les hémoptysies se prolongeaient terriblement, sans laisser aucun espoir.

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Dans sa vieillesse pleine d'onction et de repentir, le supérieur fit tout ce qui était en son pouvoir pour rendre au jeune moine sa santé dont les vertus s'étaient imposées comme symbole d'amour et de travail...

Deux jours d'une angoisse infinie passèrent.

Pendant ces heures torturantes, Épiphane donna des ordres et les visites furent acceptées. Pour la première fois, les portes du couvent se sont ouvertes au peuple et les petits vieux des alentours pleins de larmes sincères purent voir le frère Marin.

Un à un, ils s'approchaient de la jeune femme pour lui baiser ses mains tremblantes et décharnées.

- Frère Marin - dit l'un d'eux -, tu ne devrais pas mourir !... Si tu pars maintenant, qui enseignera le bon chemin à nos filles ?

- Et qui enseignera l'Évangile à nos petits-enfants ? -clama un autre, cachant ses larmes.

Mais la jeune femme, le regard ferme et serein, s'exclama avec bonté :

- Personne ne meurt, mes frères ! Jésus ne nous a-t-il pas promis la vie éternelle?...

Pour chacun, il avait un regard de tendresse et la lumière caressante d'un sourire.

La nuit suivante ses souffrances se sont aggravées de manière atroce.

Comprenant que la fin approchait, le vieil Épiphane lui a demandé quels étaient ses derniers désirs, et elle, adressant un regard tranquille au supérieur, a répondu :

- Mon père, je prie que vous me pardonniez si à un moment quelconque je vous ai offensé par mes actes ou par mes paroles !... Priez pour moi, pour que Dieu compatisse de mon âme... et si vous me le permettez je vous demanderais quelque chose... je désirerais voir les enfants de l'école avant de mourir...

Épiphane cacha ses larmes portant ses mains à son visage, et, avant l'aube, trois frères sont allés dans le village le plus proche, afin de rassembler les petits et satisfaire les derniers désirs de l'agonisante.

En fin d'après midi, tous les enfants de l'école pénétraient dans la chambre respectueusement. Le frère Marin qui reposait adossé sur des coussins leur envoyait un sourire bon et compatissant, bien que sa poitrine le fasse terriblement souffrir. Dans un geste extrême, il les a appelés à lui, demandant à chacun de lui parler de ses études, de son travail, de l'école... Les garçons comprenaient mal ce qui se passait mais se sentaient à l'aise, tandis que Célia leur souriait.

- Frère Marin - dit l'un des petits avec des yeux graves -, tout le monde à la maison, a demandé à Dieu que vous alliez mieux !

- Merci, mon enfant !... - lui dit l'agonisante, faisant son possible pour cacher ses souffrances.

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Puis ce fut le tour d'une petite dans son pauvre habit qui a balbutié d'un ton discret :

- Frère Marin, le père Épiphane ne m'a pas laissée planter le rosier au pied de l'enclos et il m'a sévèrement réprimandée.

-Allons, allons ?... Père Épiphane a raison... les Unir, n'ont pas leur place près de l'enclos... Tu planteras le nouveau rosier près de la fenêtre. Là, il recevra plus de soleil... Et tu donneras au père Épiphane la première fleur.

- Tu sais, Frère - lui dit un autre petit les cheveux décoiffés -, les moutons cette nuit nous ont donné deux nouveaux agneaux.

- Tu t'en occuperas, mon enfant !... - lui suggéra la jeune femme avec difficulté.

- Frère - s'exclama un autre garçon -, j'ai supplié Jésus pour que ta précieuse santé revienne.

- Mon enfant... - dit l'agonisante -, nous ne devons pas demander ceci ou cela au Seigneur, mais plutôt la compréhension de sa volonté qui est souveraine et juste.

Et en raison de l'inquiétude infantile qu'il l'entourait, elle ajouta désirant concentrer ses dernières énergies sur la prière :

- Les enfants... chantez... pour moi...Parmi eux, il y eut un léger tumulte quant au choix de l'hymne qui allait être chanté.

C'est, alors, que l'une des petites se souvint que le soleil allait disparaître à l'horizon, laissant entendre à ses compagnons, qu'à cette heure, le frère Marin préférait toujours l'« Hymne du Soir », enseigné à tous avec une affection toute fraternelle.

Alors, ils se sont tous donné la main autour du lit où la malade offrait à Dieu ses dernières pensées, tandis que tous les frères de la communauté observaient à distance en pleurant la scène émouvante et pénible.

Quelques minutes plus tard, ils élevaient aux cieux les notes cristallines du simple cantique :

Sois loué, Jésus !

À l'aube pleine de rosée,

Qui apporte le jour, le travail,

Où nous avançons en apprenant.

Sois loué, Seigneur !

Pour la lumière des heures calmes,

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Qui apaise nos âmes

Au moment du crépuscule...

La terre repose en prières,

Le ciel magnifique scintille,

Et notre croyance tranquille

Se repose en ton amour

C'est l'heure de ta bénédiction

À la lumière de la nature

Qui nous conduit à la beauté

De la consolation.

C'est à cette heure divine

Que ton amour grand et auguste,

Donne la paix à l'esprit du juste, Soulagement et réconforte la douleur !

Maître Aimé bénis

Notre simple prière,

Fais la lumière sur le tumulte

Du cœur pécheur !

Viens à nous !

Du ciel heureux,

Soutiens notre espoir,

Nous avons soif de tranquillité,

D'amour, de vie et de lumière !

Dans l'après-midi fait de calme,

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Nous sentons que tu es notre refuge,

Nous voulons vivre avec toi,

Viens jusqu'à nous, mon Jésus !...

Célia écoutait l'hymne des enfants dans ses derniers accords. Elle se figurait que la simple pièce était pleine d'artistes inestimables. Ils étaient tous jeunes et gracieux, des enfants joyeux qui empoignaient des flûtes et des harpes sidérales, des luths et des timbales divines. Elle aurait voulu regarder les enfants de son école humble et leur parler, une fois encore, de sa joie infinie, mais en même temps, elle s'est sentie entourée d'êtres affectueux qui, souriants, lui tendaient leurs bras. Il y avait là ses parents, son vénérable grand-père, Nestor, Hatéria, Lesius Munacius et la figure charmante de Cirus, comme enveloppée d'un voile de neige translucide... À un geste de l'aimante entité Cneius Lucius, Cirus avança en lui tendant les bras. C'était le geste d'affection que son cœur avait attendu toute sa vie durant !... Elle voulut parler de son bonheur et de sa gratitude envers le Seigneur des Mondes, mais se sentait épuisée comme si elle arrivait d'une lutte exténuante.

Tenant son front dans ses mains, au son de la musique pleine d'élévation, Cirus lui dit les yeux larmoyants :

- Entends, Célia ! C'est l'un des sublimes chants d'amour qui t'est consacré sur terre !Elle ne vit pas que les enfants empressés couvraient de larmes ses mains immobiles et

blanches, étreignant tendrement son cadavre de neige... D'un seul coup, tous les frères du monastère se lancèrent émus sur ses restes, alors qu'au plan invisible, un groupe d'entités amies et aimantes conduisait dans une vague de lumière et de parfums, au firmament de l'Infini, cette âme vertueuse de martyre.

VII

DANS LES SPHÈRES SPIRITUELLES

En rendant les derniers hommages au frère Marin, les religieux du monastère connurent la pénible vérité. Ce n'est qu'à ce moment-là, qu'ils ont pris véritablement conscience du fait que le frère calomnié des pauvres et des enfants dépouillés était une vierge chrétienne qui avait donné l'exemple parmi eux des plus grandes vertus évangéliques.

Face à cet événement imprévisible et une fois passe l'étonnement provoqué par ce choc, tous les moines. Épiphane compris, se sont prosternés humblement, baignés des sanglots de la componction et du repentir.

En vain, ils ont cherché à connaître l'origine et les antécédents de la jeune martyre, pour ne conserver de sa personne et de ses faits qu'un souvenir mémorable et pouvoir, plus tard, justifier son exemple sanctifiant.

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Plein d'amertume, le vieux supérieur de la communauté fit appeler Ménénius Tullius et sa fille pour qu'ils éclaircissent la perfide calomnie commise dans le passé, mais devant le cadavre de la vierge chrétienne et se rappelant son humilité, Brunehilde perdit la raison pour toujours.

Jamais plus la figure de Célia ne fut oubliée des religieux, des croyants, des malheureux et des affligés. Convertie en un symbole d'amour et de piété, aux alentours d'Alexandrie, sa mémoire recueillait les vœux et les prières des âmes ferventes et sincères.

Tout en accompagnant nos principaux personnages dans la vie outre-tombe avant d'initier de nouvelles luttes rédemptrices, nous allons les retrouver en groupes dispersés conformément à leur état conscientiel, à la veille de leur retour, tous convoqués à participer à l'effort collectif dans l'institution sacrée qu'est la famille.

À l'exception de Célia qui fut appelée dans un monde supérieur où la tâche de veiller sur l'évolution de ses êtres bien-aimés lui fut accordée, tous les autres étaient restés dans des contrées plus proches de la terre, dans des zones de travail et de lutte, cherchant chacun à stocker de nouvelles énergies pour des efforts ultérieurs sur le plan physique.

De tout le groupe, les personnalités de Claudia Sabine, Lolius Urbicus, Fabien Corneille et Silain Plautius étaient celles qui perduraient dans les régions les plus basses et les plus sombres, vu le déplorable état de conscience qui les caractérisait.

À des niveaux plus élevés, Helvidius Lucius avec ceux qui lui étaient familiers, Cirus compris, se reposaient et s'efforçaient conjointement de fixer les bases spirituelles qui leur assureraient leur succès futur.

Certains personnages, comme Nestor et Polycarpe, faisaient de grandes excursions dans les sombres régions proches de la planète, coopérant avec les messagers de Jésus qui prêchaient la Bonne Nouvelle aux esprits découragés et souffrants, mettant en pratique les apprentissages évangéliques les plus salutaires pour les luttes à venir au niveau terrestre où ils continueraient, plus tard, leur travail béni de rédemption d'un passé coupable.

La vie agréable du plan spirituel était pour tous un doux réconfort.

Continuellement, les grands annonciateurs des décisions divines enseignaient en ces lieux les vérités du Maître, remplissant les cœurs de paix et d'espoir.

Les âmes affines, réunies en groupes familiaux, savent apprécier, loin des lourdes vibrations du monde physique, les biens suprêmes de la vérité et de la paix par les liens sublimes de l'amour et de la sagesse.

Maintenant que nous avons évoqué l'heureux climat de ces sphères dont nous ne pourrons décrire aux lecteurs humains l'intimité charmante, nous allons retrouver Cneius Lucius et ses compagnons dans un lieu de repos où tous nos personnages se trouvent, entourés de la douce affection des nombreuses relations procédant de siècles lointains.

L'atmosphère était celle d'un paisible espoir pour ces cœurs et d'une généreuse disposition d'âme.

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De nobles projets, quant à l'avenir, se succédaient les uns aux autres.

Dans le groupe en question qui affichait une grande tranquillité d'esprit, on attendait Julia Spinter qui, en compagnie de Nestor, était descendue dans les zones inférieures de l'orbe terrestre pour éveiller par son amour les sentiments engourdis de son compagnon qui persistait dans les mêmes dispositions de haine et de vengeance.

- Il est inutile - disait Cneius Lucius avec bonté, tout en se dirigeant à ses enfants et à ses amis -, de garder des intentions de vengeance après les luttes terrestres, car la réincarnation, dans ce cas, résout tous les problèmes ! Lors de ma dernière visite à Rome, j'ai eu l'occasion de voir l'Empereur Aelius Hadrien dans le corps misérable d'un enfant d'esclave. Dès lors, j'ai beaucoup réfléchi à nos devoirs et au besoin de recevoir avec le plus grand amour la volonté divine.

- Oui - réagit Lesius Munacius, alors présent -, pendant mes excursions évangéliques dans les zones inférieures, j'ai revu d'anciens nobles de notre époque qui suppliaient Dieu de leur donner une nouvelle occasion d'évolution sur terre, sans même choisir dans quelles conditions leur futur apprentissage se ferait.

- La connaissance de l'univers - suggéra Helvidius Lucius - semble remplir nos cœurs d'une profonde dévotion pour la souffrance. Face à la grandeur divine et reconnaissant ici notre insignifiance, nous nous sentons capables de toutes les tâches de rédemption, car maintenant, à nos yeux, les plus grands exploits sur terre sont des actions humbles et infimes.

- Grande est la miséricorde de Jésus - disait Cneius - qui nous a accordé le patrimoine de la vie éternelle.

Tandis que la conversation allait bon train avec le concours d'Alba Lucinie et de son ancienne servante, Nestor et Julia Spinter étaient revenus de leur mission d'amour et de fraternité.

La vieille matrone portait sur son visage une expression de déception donnant à ses compagnons le témoignage de son amertume et de ses larmes.

- Et bien, ma mère - s'exclama Lucinie, tout en l'étreignant et lui parlant sur le même ton amical et affectueux qu'elle le faisait sur terre -, as-tu obtenu un quelconque résultat ?...

- Pour l'instant, ma fille - répondit Julia Spinter séchant ses larmes, tous mes efforts ont été inutiles. Malheureusement, Fabien ne travaille pas en son for intérieur à acquérir la suprême compréhension des grandes lois de la vie. Prisonnier de ses tristes pensées, il ne cède en rien à mes suppliques !...

- Néanmoins - élucida Nestor à ses compagnons qui écoutaient ces propos avec intérêt-,

Polycarpe se prépare déjà avec ceux qui l'accompagneront dans la lutte pour la prochaine réincarnation collective. La nôtre ne devrait pas beaucoup tarder. Le seul obstacle

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qui semble retarder notre marche est l'absence d'une compréhension parfaite de l'inoubliable enseignement de Jésus quant au pardon des soixante-dix-sept fois.

- Il suffirait que nous pardonnions pour que le Seigneur nous permette de retourner au travail sanctifiant ? - a demandé Cneius Lucius, intentionnellement.

- Oui - expliqua Nestor dans sa profonde foi -, le pardon sincère est une grande conquête de l'âme.

À cet instant, Cneius Lucius se tourna vers ses enfants qui échangeaient des regards avec une certaine tristesse vu la difficulté qu'ils avaient à oublier les actes de Lolius Urbicus et de Claudia Sabine.

- De ma part - dit Julia Spinter résignée -, je n'ai rien à pardonner aux autres. Depuis ma désincarnation j'ai supplié Jésus avec insistance pour qu'il efface en moi toute expression d'orgueil et d'amour-propre.

- Très bien, ma sœur - observa Cneius avec un sourire serein -, le cœur féminin est inaccessible aux sentiments de haine et de représailles.

Et comme il perçut que les personnes présentes, face à cette allusion généralisatrice, se souvenaient au fond des actes de Claudia, il a ajouté avec bonté :

- La femme qui hait est une douloureuse exception sur le chemin de la vie, car Dieu a confié aux âmes féminines son ministère le plus sacré au sein de la création infinie !

Tous ont compris ses généreuses pensées et louaient ses idées fraternelles, quand Hatéria a murmuré :

- J'ai imploré le Seigneur des Mondes de me rendre digne de vivre auprès de Cneius Lucius lors de mes prochains travaux.

- Et bien, ma fille - réagit l'ancien avec un sourire -, je sais bien que je ne mérite rien, mais ce serait une immense joie si je peux t'être utile en quoi que ce soit... Néanmoins, je ne peux te faire qu'une recommandation à l'avenir, c'est de craindre l'argent comme le pire ennemi à notre tranquillité.

Tous ont souri à cette allusion et la conversation a continué animée.

Il s'écoula encore un certain temps pendant lequel les cœurs de nos personnages furent replongés dans les idées d'amour et de bien, de fraternité et de lumière, dans l'attente de nouvelles luttes.

Un jour, néanmoins, un messager du ciel vint convoquer le groupe de Cneius Lucius à comparaître devant les entités tutélaires qui présidaient à leur destin, afin de procéder au libre choix de leurs futures épreuves.

Une fois que furent examinés les projets d'effort indispensables à l'acte de résolution et de choix dans le cadre des responsabilités individuelles, avec l'entière collaboration de tous

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ceux qui se trouvaient en condition évolutive, le groupe de Cneius Lucius resta à attendre les décisions supérieures pour retourner sur terre.

De temps en temps, on observait chez nos personnages de courtes appréciations telles que celles-ci :

- L'une des situations que je crains le plus - dit Helvidius Lucius - c'est de vivre avec Lolius Urbicus, car je redoute qu'il récidive dans les tendances inférieures de sa personnalité.

- Nous le convaincrons par le dévouement et grâce à notre amour - réagit Alba Lucinie. - J'ai supplié Jésus de nous accorder des forces pour cela et je serai constamment à tes côtés, afin de pouvoir transformer ses sentiments en expression de fraternité et d'affection spirituelle.

- Oui, mes enfants - pondérait l'expérimenté et généreux Cneius Lucius -, nous devons beaucoup aimer ! Ce n'est qu'à travers le renoncement sincère que nous pourrons atteindre le royaume de lumière, promis par le Sauveur. Parmi tous ceux qui sont restés sous notre responsabilité, à l'avenir, il est une âme créancière de notre compassion la plus profonde!...

Et comme Helvidius et sa compagne restaient silencieux devinant ses pensées, l'ancien a continué :

- Je me réfère à Claudia Sabine dont le cœur est encore comme un désert aride. Mes dernières visites faites, dans la région des ombres où elle se trouve, m'ont laissé empreint d'un voile d'amertume !... De terribles remords ont transformé son monde psychique en un chaos d'angoissantes perturbations ! En vain je lui ai parlé de Dieu et de son inépuisable miséricorde, car dans les ténèbres de ses pensées, elle n'arrive pas à percevoir nos suggestions consolatrices.

Alba Lucinie et son compagnon l'écoutaient émus mais s'abstinrent de commenter le pénible sujet.

Hatéria, néanmoins, qui buvait avidement ces paroles, laissant entrevoir les vives craintes qui l'habitaient, objecta :

- Mon généreux protecteur, j'ai déjà été informée que mon chemin de luttes suivrait des lignes parallèles à celles de Claudia Sabine, étant donné le caractère impardonnable de mes erreurs ; toutefois, je demande votre soutien, et cela malgré les nouvelles énergies dont mon âme peut jouir. Claudia est autoritaire et insidieuse et si aujourd'hui elle est humiliée et perd la raison en vertu des souffrances sur le plan invisible, je ne doute pas que de retour sur terre, elle retrouve son caractère orgueilleux et autoritaire.

- Ma fille - réfléchit l'ancien avec un léger sourire -, Jésus veillera sur nous, il nous accordera la force nécessaire à la réalisation de nos devoirs les plus sacrés.

Julia Spinter qui accompagnait les impressions échangées avec un intérêt aimant, s'exclama à son tour :

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- Je donnerais tout pour cultiver dans notre entourage, à l'aube qui approche, la paix perpétuelle et l'harmonie durable. Je réparerai mes fautes du passé, cherchant à comprendre l'essence du christianisme dont la lumière éternelle conduira le cœur de Fabien avec le soutien de l'Agneau de Dieu qui entendra mes sincères prières.

La vie du groupe du vénérable Cneius Lucius était ainsi faite dans l'attente prometteuse de l'avenir. Élevant très haut son cœur, chacun cherchait à appréhender chaque fois davantage les enseignements de Jésus, afin de se rappeler sa clarté sublime parmi les ombres épaisses de la terre.

Les groupes proches de Polycarpe et de Lesius Munacius étaient déjà repartis vers les labeurs du monde, lorsque nos personnages furent amenés à connaître les résolutions supérieures, afin de retourner aux tourments et aux luttes purificatrices de l'environnement terrestre.

Pris de vénération et d'espoir, ils se sont installés devant les exécuteurs de la justice divine, alors qu'à leurs côtés se trouvaient presque une centaine de compagnons comprenant des esclaves, des serviteurs et des amis d'autrefois.

Dans l'enceinte spirituelle d'une beauté merveilleuse, intraduisible vu la pauvreté du langage humain, il y avait une caressante vibration de prière collective qui s'échappait de toutes les poitrines pleines de crainte et d'espoir.

- Mes frères - se mit à dire un mentor divin dont la responsabilité était affectée à la direction de cet amical conclave -, bientôt vous serez à nouveau sur terre où vous serez convoqués à pratiquer les divins enseignements acquis au plan spirituel !... Remercions la miséricorde du Seigneur qui nous accorde de précieuses occasions de travailler en faveur de notre propre rédemption dans notre marche incessante vers l'amour et vers la sagesse. Vous qui vous partez, aimez la lutte rédemptrice, comme l'on doit aimer une aube divine ! Ici, sous la lumière de la bonté infinie de l'Agneau de Dieu, l'âme loin du monde peut se reposer de ses profondes peines. Les cœurs ulcérés se fortifient près de la source inépuisable de la consolation évangélique ; mais, au-dessus de nos fronts, il est un royaume d'amour éternel et de paix inoubliable que nous devons conquérir avec les plus grandes valeurs de la conscience ! Vous avez acquis ici les connaissances les plus élevées en matière de sagesse et d'amour ; vous avez ressenti le souffle des sublimes consolations, comme seuls peuvent le sentir les Esprits libérés des ombres et des angoisses matérielles ; vous avez observé la beauté et le bonheur qui attendent, à l'infini, les âmes rachetées ; néanmoins, il faut retourner à la chair afin de pouvoir expérimenter la valeur de votre apprentissage ! C'est sur terre, cette école laborieuse et bénie de l'âme, que se trouve l'immense étendue de nos réalisations. Les erreurs d'autrefois doivent y être réparées entre les ombres angoissantes et épaisses !... Pendant que les erreurs du passé se réparent sur sa superficie, il nous incombe d'appliquer sur ces routes sombres les enseignements reçus du Haut, en vertu de la grandeur de la miséricorde de Jésus qui ne nous abandonne jamais. Le meilleur apprentissage se fait sur terre, quand ici opère l'examen élevé et juste. Là-bas se fait l'ensemencement, ici la récolte. Retournez aux voies terrestres et réparez le triste passé !... Étreignez vos ennemis d'hier pour vous rapprocher de vos bienfaiteurs à l'avenir ! Fermez les portes de l'exaltation du monde et restez sourds aux ambitions ! Construisez le royaume de Jésus au fond de vous-même, parce qu'un jour, la mort vous ravira à nouveau aux angoisses et aux mensonges humains pour effectuer les analyses salutaires. L'exemple de Jésus est le modèle de tous les cœurs. Ne vous plaignez pas de l'orientation donnée, car partout dans le monde, comme dans toutes les idées religieuses et les

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doctrines philosophiques, il y a une sentinelle de Dieu pour éclairer la conscience des créatures ! Le monde a ses tristes larmes et ses luttes sanglantes. Sur ses sentiers d'épines torturantes se trouvent tous les fantômes des souffrances et des tentations, et vous serez obligés d'affirmer vos valeurs intrinsèques. Aimez donc la lutte comme si ses bénéfices étaient ceux d'un pain spirituel indispensable et précieux !... Après toutes les conquêtes que le plan terrestre peut vous fournir, vous serez, alors, promus aux mondes de régénération et de paix, où vous préparerez votre cœur et votre intelligence pour des royaumes de lumière et de bonheur suprêmes !...

Les paroles sages et inspirées de l'éclairé mentor du ciel étaient écoutées avec une singulière attention.

À un moment donné, néanmoins, après une pause sa voix a expliqué :

- Maintenant, frères bien-aimés, vous retrouverez ici vos adversaires d'hier pour la réconciliation et pour les travaux futurs. Vous avez choisi et avez dessiné le tracé de vos épreuves, puisque vous avez déjà la notion de responsabilité et l'éducation psychique requise pour collaborer à cet effort avec vos guides !... Nos frères malheureux, néanmoins, ne possèdent pas encore ces conditions évolutives et seront obligés d'accepter les décisions de ces génies protecteurs qui accompagnent leur trajectoire dans le cadre de leur destinée humaine... Et ces génies du bien ont délibéré qu'ils doivent vivre avec vous pour qu'ils apprennent par vos actes, qu'ils vibrent dans vos expériences futures ! Les exécuteurs de ces résolutions éminentes les ont tous fait venir, afin que la décision finale soit prise avec votre concours lors de cette assemblée de divins enseignements. Vous avez donc, le droit de choisir parmi eux, ceux qui seront vos compagnons à l'avenir, sans oublier qu'en cet instant, votre cœur peut donner les meilleures preuves de compréhension de la leçon de l'Évangile : « aimez-vous les uns, les autres », où repose la base de notre suprême évolution pour les plans divins !...

Nos personnages se sont tous regardés anxieux.

À cet instant, plusieurs entités ont alors pénétré dans l'enceinte. Sous la noble protection de quelques Esprits charitables et amis, avançaient Claudia Sabine, Fabien Corneille, Silain Plautius, Lolius Urbicus, suivis de nombreux serviteurs d'autrefois, comparses des mêmes erreurs et des mêmes illusions, comme par exemple, Pausanias, Plotine, Bibulus Quint, Pomponius Gratus, Lydien, Marc et bien d'autres, alors que l'enceinte se peuplait de leurs vibrations étranges, saturées d'amertumes indéfinissables.

La plupart démontrait une surprise affligeante et douloureuse.

Presque tous restaient la tête basse, désolés, laissant percevoir de temps en temps quelques pénibles sanglots.

Observant l'impression accablante de ses enfants et sentant bien que tous deux se trouvaient pris sous le coup d'une indécision angoissante, Cneius Lucius implora le Seigneur de lui inspirer la meilleure manière de se sacrifier pour ses enfants bien-aimés, conciliant ainsi son affection avec leurs propres besoins d'évolution face à l'avenir.

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Alors, ils virent le généreux vieillard se lever sans crainte et avec une grande sérénité marcher vers Claudia Sabine désolée, qui n'avait pas osé lever ses yeux saturés de larmes, pour lui dire avec une infinie douceur :

- Puisque la miséricorde de Jésus-Christ me permet de choisir ceux qui vivront avec moi, considère-toi, ma soeur, dès maintenant comme étant ma fille à qui je consacrerai une affection durable et divine !...

Et tout en l'étreignant, il a conclu :

- À l'avenir tu vivras dans mon foyer, transformant la haine et la vengeance en fraternité sublime et sacrosainte !... Tu mangeras notre pain, tu partageras mes joies et mes douleurs, tu seras la sœur de mes enfants !...

Claudia Sabine pleurait émue par l'amour de cette âme dévouée et généreuse.

Puis Hatéria s'est levée et est allée jusqu'à Cneius Lucius, elle lui a baisé les mains qui, à cet instant, étaient lumineuses et translucides.

Julia Spinter à son tour soutenait le cœur désolé de son compagnon et étreignait Silain Plautius lui promettant de lui apporter son aide dévouée et solidaire tout le long des luttes sur terre.

Alors Helvidius Lucius et Alba Lucinie se sont levés et se sont adressés à Lolius Urbicus, qui s'est agenouillé comme oppressé par un tourment implacable, ils lui ont tendu leurs bras fraternels promettant de lui offrir leur amour et leur dévouement.

Poursuivant la même tâche de solidarité et de dévotion, tous ont appelé à eux tel ou tel ancien employé, ainsi que les comparses du passé, afin de les associer à leurs efforts à l'avenir.

Une fois cette tâche bénie terminée, le mentor de la réunion leur a demandé calmement :

- Tout le monde est sûr d'avoir suffisamment pardonné ?

Un silence amer régnait... Au fond nos personnages ressentaient encore certaines difficultés à faire abstraction du passé. Helvidius Lucius n'avait pas oublié les persécutions de Lolius Urbicus ; Alba Lucinie ne pouvait ignorer les actes de Sabine, et Fabien Corneille, à son tour, malgré les souffrances, ne se sentait pas capable de pardonner le crime de Silain.

L'indécision était générale, mais une douce lumière miséricordieuse se mit à jaillir du ciel frappant de plein fouet tous les cœurs. Sans exception aucune, tous les membres du groupe de Cneius Lucius se sont mis à pleurer, pris d'une émotion indéfinissable.

D'un seul coup, ils ont distingué au-dessus d'eux la figure sublime de Célia qui leur manifestait toute sa tendresse et son affection.

Poussés par un doux mystère, ils ont abrité dans leur cœur un pardon sincère et pur, se sentant réciproquement touchés d'une profonde miséricorde.

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Comme si l'ambiance était sensible à l'état d'âme des personnes présentes, une chaleureuse clarté s'installa autour d'eux, tandis que la majorité de nos personnages pleuraient attendris.

Affichant un sourire chaleureux, le mentor s'exclama :

- Grâce à la miséricorde du Très Haut, je sens que vous retournez tous aux plans terrestres débordant d'une nouvelle vibration qui grandit vos cœurs et vos consciences des plus belles expressions de spiritualité ! Que les bénédictions du Seigneur remplissent de lumière et de paix vos chemins à l'avenir !... Soyez heureux ! Tous les secrets du bonheur résident dans l'amour et dans le travail de la conscience rachetée !... Oubliez le sombre passé de douleur et jetez-vous dans la lutte rédemptrice avec héroïsme et humilité... Je sens que vous êtes soutenus par la même vibration de miséricorde et je fais le vœu à Dieu pour que vous compreniez en toutes circonstances que nous sommes frères car nous avons les mêmes faiblesses et nous souffrons des mêmes chutes, en route vers la rédemption suprême dans les luttes à l'infini !...

Face aux propos affectueux et sages du divin messager qui s'adressait à eux, nos amis se sentaient réconfortés par une nouvelle lumière qui les éclairait en leur for intérieur de la plus belle compréhension de l'existence réelle.

La vision de Célia avait disparu, mais comme si sa grande âme assistait à la scène émouvante à travers les lumineux voiles de l'illimité, ils entendirent un hymne merveilleux de vibrations caressantes venues des hauteurs, chanté par des centaines de voix infantiles, arroser les cœurs de courage et d'amour, de consolation et d'espoir... Tel un encens divin, les strophes harmonieuses traversaient l'enceinte et s'élevaient vers le ciel en notes mélodieuses, montant vers la souveraineté de Jésus ! C'était un élan de foi et d'incitation qui faisait naître dans les âmes présentes des larmes de compassion.

Ensuite, accompagnés des prières des affectueux amis et bienfaiteurs spirituels qui restaient au niveau invisible, tous les membres du groupe de Cneius Lucius abandonnèrent l'enceinte, réunis en une caravane fraternelle et partir en direction des sphères les plus basses qui enveloppent la planète terre.

À cette heure, il y avait en chacun d'eux un profond désir de consolider leur paix intérieure avant de recommencer la lutte.

C'est alors que Claudia Sabine, dans un geste spontané, s'est approchée d'Alba Lucinie et lui dit avec une expression angoissée sur le visage :

- Je n'ose vous appeler ma sœur, car j'ai été autrefois impitoyable à faire souffrir votre cœur sensible et bon !... Mais, pour ce que vous êtes, pour les sentiments généreux qui remplissent votre âme, pardonnez-moi encore une fois. J'ai été le bourreau et vous la victime ; néanmoins, vous pouvez constater aujourd'hui ma terrible ruine. Donnez-moi votre pardon pour que je sente la clarté d'un nouveau jour !...

Cneius Lucius a dévisagé sa belle-fille avec une évidente anxiété comme pour implorer sa clémence.

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Alba Lucinie comprit toute la gravité de cet instant et surmontant les hésitations qui troublaient son esprit, elle a murmuré émue :

- Tu es pardonnée... Dieu m'aidera à oublier le passé pour qu'une véritable fraternité se fasse entre nous dans les luttes à venir !...

Julia Spinter a regardé sa fille, laissant transparaître la joie qui lui allait droit au cœur devant son geste généreux ; pendant que Cneius Lucius couvrait la compagne d'Helvidius d'un regard caressant de satisfaction et de profonde reconnaissance.

Tandis que la majorité des personnages échangeait des idées sur l'avenir, apparaissait au loin l'atmosphère de la planète terrestre entourée d'un tourbillon d'ombres épaisses.

Quelqu'un au sein de la caravane a alors dit d'une voix mélancolique et imposante :

- Voici notre école millénaire'...

Déterminés dans leur foi, les yeux tournés vers le ciel, implorant la miséricorde divine, tous guidés par les vertus éclairées du bien qui les enveloppaient, ils ont pénétré dans l'atmosphère planétaire, remplis d'une compréhension de plus en plus élevée et noble des valeurs souveraines du travail et de la lutte.

Seul Nestor concentré dans ses prières à l'approche des fluides terrestres laissait entrevoir des yeux baignés de larmes, face à l'émotion de cette heure pleine d'appréhensions et d'espoirs.

- Seigneur - s'exclama l'ancien esclave, évoquant d'amers souvenirs -, de retour sur terre, cette école bénie de nos âmes, nous comptons sur votre miséricordieuse complaisance, afin d'accomplir tous nos devoirs en marche vers le repentir et la réparation. Assistez-nous dans nos luttes ! Seuls des siècles de travail et de douleur pourront annuler des siècles d'égoïsme, d'orgueil et d'ambition qui nous ont conduits à l'iniquité !... Pardonnez-nous, Jésus ! Daignez bénir nos aspirations humbles et sincères !... Enseignez-nous à aimer la planète avec ses paysages agités, afin de pouvoir trouver sur les sentiers terrestres, la lumière de notre régénération spirituelle, vers votre royaume de paix indestructible !...

Entre les larmes de ses prières, Nestor fut le dernier ù immerger dans l'ampleur des fluides planétaires.

Des hauteurs, néanmoins, émanait une douce clarté compatissante. Toute la caravane sentit le souffle divin d'un nouvel espoir, tout en se lançant dans l'atmosphère de la terre, pris d'un courage rédempteur. Réconfortés par la méditation et dans la prière, les cœurs devinèrent que la lumière de la Providence Divine suivrait leurs expériences dans la peine et dans le labeur comme une bénédiction.

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Francisco Cándido Xavier (2 avril 1910 - 30 juin 2002),

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Francisco Cándido Xavier (2 avril 1910 - 30 juin 2002), alias Chico Xavier, est le médium brésilien le plus célèbre2 et le plus prolifique du XXesiècle. Sous l'influence des « Esprits », il produisit plus de quatre cent livres de sagesse et de spiritualité, dont une centaine édités dans plusieurs langues. Il popularisa grandement la doctrine spirite au Brésil. Chico Xavier reçu d'innombrables hommages tant du peuple que des organismes publics3. En 1981, le Brésil proposa officiellement Chico Xavier comme candidat au Prix Nobel de la paix. En 2000, il fut élu le « Minéro du XXe siècle », à la suite d'un sondage auprès de la population de l'état fédéré brésilien où il résidait4. Après sa mort, les députés de l'assemblée nationale brésilienne ont officiellement reconnu son rôle dans le développement spirituel du pays5.

EnfanceFrancisco Cándido Xavier est né le 2 avril 1910 dans la municipalité de Pedro

Leopoldo, dans l'État du Minas Gerais (Brésil). La famille compte neuf enfants, ses parents, tous deux analphabètes, sont vendeurs de billets de loterie pour son père et blanchisseuse pour sa mère. Il raconte que c'est après avoir perdu sa mère, à l'âge de cinq ans, qu'il commence à entendre des voix. Il travaille dès neuf ans, comme tisserand, tout en continuant l'école primaire. À douze ans, il rédige en classe une rédaction remarquable et explique à sa maîtresse que ce texte lui a été dicté par un Esprit qui se tenait près de lui. À la suite de la guérison de l'une de ses sœurs qui souffrait d'obsession, Chico ainsi que toute sa famille adhère aux théories du spiritisme.

Centre spirite 'Luis Gonzala', à pedro leopoldo, en 2008

Chico Xavier étudie la doctrine spirite et fonde le centre spirite « Luiz Gonzaga », le 21 juin 1927. Il s'investit dans son activité de médium et développe ses capacités en psychographie. Il affirme voir, en 1931. son « mentor » spirituel sous la forme d'un Esprit prénommé Emmanuel. Guidé par cet être invisible, Chico publie son premier livre en juillet 1932 : Le Parnasse d'oulre-tombë1, recueil de 60 poèmes attribués à neuf poètes brésiliens, quatre portugais et un anonyme, tous disparus. Cet ouvrage de haute poésie, produit par un modeste caissier, qui le signe du nom d'auteurs décédés provoque l'étonnement général. Le journal O Globo, de Rio dépêche l'un de ses rédacteurs, non spirite, assister pendant plusieurs semaines aux réunions du groupe spirite du centre Luiz Gonzaga. Il s'ensuit une série de reportages qui popularisent le spiritisme au Brésil.

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Une vie de médium

À partir de sa première publication, Chico Xavier ne cesse d'écrire des poèmes, des romans, des recueils de pensées, des ouvrages de morale ou des traités de technique spirite. Bon nombre de ces publications deviennent des succès de librairie, dont la plus vendue reste Nosso Lar, la vie dans le monde spirituel, diffusée à plus de 1,3 million d'exemplaires . Beaucoup sont traduites en anglais, français et espagnol. La totalité des droits d'auteur reviennent à des œuvres de charité, Chico ne vivant que de son maigre salaire d'employé au ministère de l'agriculture. À partir de 1957, Chico Xavier s'installe àUberabaqui devient un lieu de rassemblement pour les spirites du monde entier. Il y décède le 30 juin 2002, sans jamais varier d'explications à propos de l'origine de sa production littéraire phénoménale. Sous son impulsion, le Brésil est devenu la patrie d'adoption du spiritisme : il y compterait 20 millions de sympathisants dont 2,3 millions de pratiquants, ce qui en ferait la troisième religion du pays.

De son vivant, Chico Xavier fut le citoyen d'honneur de plus d'une centaine de villes, dont Sâo Paulo. En 1980, un gigantesque mouvement national se constitua afin qu'il obtienne le Prix Nobel de la paix, l'année suivante. Dans tous les États du Brésil des comités de soutien se formèrent, des centaines de municipalités, des Assemblées législatives de la plupart des États, des parlementaires de Brasilia, dont Tancredo Neves alors Président du Parti Populaire au Sénat, appuyèrent sa candidature .En 1981, plus de 10 millions de Brésiliens signèrent une pétition en faveur de l'attribution de la prestigieuse distinction à Chico Xavier. La même année, le député José Freitas Nobre transmit lui-même au comité de Stockholm un dossier constitué de plus de 100 kg de documents, afin d'appuyer la candidature du médium . Chico Xavier ne reçut pas le prix Nobel, mais devint une figure emblématique du Brésil. Aujourd'hui, des dizaines de villes au Brésil possèdent une rue Chico-Xavier . La vie de ce médium a servi de base au film "Chico Xavier" produit par Columbia Pictures en 2010.

Principaux livres produits par Chico Xavier

Chico fut un écrivain très prolifique : 451 livres lui sont attribués, dont 39 édités après sa mortâ. Comme tous les médiums, Chico Xavier ne prétendait pas être l'auteur des livres, mais uniquement l'instrument utilisé par les esprits pour se manifester et transmettre leurs enseignements. C'est la raison pour laquelle, le nom d'un Esprit est associé à chaque livre.

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Listes des ouvrages en brésilien à suivre

Xavier Candido Franscisco

437 Livres

1. ...E O Amor Continua Alv. Esp. Diversos 1983

2. A Caminho Da Luz Feb Emmanuel 1938

3. À Luz Da Oração Clarim Esp. Diversos 1969

4. A Morte É Simples Mudança Madras Flávio Mussa Tavares 2005

5. A Ponte Fergs Emmanuel 1983

6. A Semente De Mostarda Geem Emmanuel 1990

7. A Terra E O Semeador Ide Emmanuel 1975

8. A Verdade Responde Ideal Emmanuel/André Luiz 1990

9. A Vida Conta Ceu Maria Dolores 1980

10. A Vida Escreve Feb Hilário Silva 1960

11. A Vida Fala I Feb Neio Lucio 1973

12. A Vida Fala Ii Feb Neio Lucio 1973

13. A Vida Fala Iii Feb Neio Lucio 1973

14. A Volta Ide Esp. Diversos 1993

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15. Abençoa Sempre Geem Esp. Diversos 1993

16. Abençoando Nosso Brasil Pinti Esp. Diversos 2007

17. Abrigo Ide Emmanuel 1986

18. Ação E Caminho Ideal Emmanuel/André Luiz 1987

19. Ação E Reação Feb André Luiz 1957

20. Ação, Vida E Luz Ceu Esp. Diversos 1991

21. Aceitação E Vida Uem Margarida Soares 1989

22. Adeus Solidão Geem Esp. Diversos 1982

23. Agência De Notícias Geem Jair Presente 1986

24. Agenda Cristã Feb André Luiz 1948

25. Agenda De Luz Ideal Esp. Diversos 1998

26. Agora É O Tempo Ideal Emmanuel 1984

27. Algo Mais Ideal Emmanuel 1980

28. Alma Do Povo Ceu Cornélio Pires 1996

29. Alma E Coração Pens Emmanuel 1969

30. Alma E Luz Ide Emmanuel 1990

31. Alma E Vida Ceu Maria Dolores 1984

32. Almas Em Desfile Feb Hilário Silva 1961

33. Alvorada Cristã Feb Neio Lucio 1948

34. Alvorada Do Reino Ideal Emmanuel 1988

35. Amanhece Geem Esp. Diversos 1976

36. Amigo Ceu Emmanuel 1979

37. Amizade Ideal Meimei 1977

38. Amor E Luz Ideal Emmanuel/Esp. Diversos 1977

39. Amor E Saudade Ideal Esp. Diversos 1985

40. Amor E Verdade Ideal Esp. Diversos 2000

41. Amor Sem Adeus Ide Walter Perrone 1978

42. Anotações Da Mediunidade Ceu Emmanuel 1995

43. Ante O Futuro Ideal Esp. Diversos 1990

44. Antenas De Luz Ide Laurinho 1983

45. Antologia Da Amizade Ceu Emmanuel 1995

46. Antologia Da Caridade Ideal Esp. Diversos 1995

47. Antologia Da Criança Ideal Esp. Diversos 1979

48. Antologia Da Esperança Ceu Esp. Diversos 1995

49. Antologia Da Espiritualidade Feb Maria Dolores 1971

50. Antologia Da Juventude Geem Esp. Diversos 1995

51. Antologia Da Paz Geem Esp. Diversos 1994

52. Antologia Do Caminho Ideal Esp. Diversos 1996

53. Antologia Dos Imortais Feb Esp. Diversos 1963

54. Antologia Mediúnica Do Natal Feb Esp. Diversos 1967

Aos Probl. Do Mundo Feesp Esp. Diversos 1972

55. Apelos Cristãos Uem Bezerra De Menezes 1986

56. Apostilas Da Vida Ide André Luiz 1986

57. As Palavras Cantam Ceu Carlos Augusto 1993

58. Assembléia De Luz Geem Esp. Diversos 1988

59. Assim Vencerás Ideal Emmanuel 1978

60. Assuntos Da Vida E Da Morte Geem Esp. Diversos 1991

61. Astronautas No Além Geem Esp. Diversos 1974

62. Atenção Ide Emmanuel 1981

63. Através Do Tempo Lake Esp. Diversos 1972

64. Augusto Vive Geem Augusto Cezar Netto 1981

65. Aulas Da Vida Ideal Esp. Diversos 1981

66. Auta De Souza Ide Auta De Souza 1976

67. Ave, Cristo! Feb Emmanuel 1953

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68. Bastão De Arrimo Uem Willian 1984

69. Baú De Casos Ideal Cornélio Pires 1977

70. Bazar Da Vida Geem Jair Presente 1985

71. Bênção De Paz Geem Emmanuel 1971

72. Bênçãos De Amor Ceu Esp. Diversos 1993

73. Bezerra, Chico E Você Geem Bezerra De Menezes 1973

74. Boa Nova Feb Humberto De Campos 1941

75. Brasil, Coração Do Mundo,

76. Brilhe Vossa Luz Ide Esp. Diversos 1987

77. Busca E Acharás Ideal Emmanuel/André Luiz 1976

78. Calendário Espírita Feesp Esp. Diversos 1974

79. Calma Geem Emmanuel 1979

80. Caminho Espírita Cec Esp. Diversos 1967

81. Caminho Iluminado Ceu Emmanuel 1998

82. Caminho, Verdade E Vida Feb Emmanuel 1949

83. Caminhos Da Fé Ideal Cornélio Pires 1997

84. Caminhos Da Vida Ceu Cornélio Pires 1997

85. Caminhos De Volta Geem Esp. Diversos 1975

86. Caminhos Do Amor Ceu Maria Dolores 1983

87. Caminhos Ceu Emmanuel 1981

88. Canais Da Vida Ceu Emmanuel 1986

89. Canteiro De Idéias Ideal Esp. Diversos 1999

90. Caravana De Amor Ide Esp. Diversos 1985

91. Caridade Ide Esp. Diversos 1978

92. Carmelo Grisi, Ele Mesmo Geem Carmelo Grisi 1991

93. Cartas De Uma Morta Lake Maria João De Deus 1935

94. Cartas Do Coração Lake Esp. Diversos 1952

95. Cartas Do Evangelho Lake Casimiro Cunha 1941

96. Cartas E Crônicas Feb Irmão X 1966

97. Cartilha Da Natureza Feb Casimiro Cunha 1944

98. Cartilha Do Bem Feb Meimei 1962

99. Ceifa De Luz Feb Emmanuel 1979

100. Centelhas Ide Emmanuel 1992

101. Chão De Flores Ideal Esp. Diversos 1975

102. Chico Xavier - Dos Hippies

103. Chico Xavier – Mandato

104. Chico Xavier Em Goiânia Geem Emmanuel 1977105. Chico Xavier Inédito:

106. Chico Xavier Pede Licença Geem Esp. Diversos 1972

107. Chico Xavier, Uma Vida

108. Cidade No Além Ide André Luiz/Lucius 1983

109. Cinquenta Anos Depois Feb Emmanuel 1940

110. Claramente Vivos Ide Esp. Diversos 1979

111. Coisas Deste Mundo Clarim Cornélio Pires 1977

112. Coletânea Do Além Feesp Esp. Diversos 1945

113. Comandos Do Amor Ide Esp. Diversos 1988

114. Compaixão Ide Emmanuel 1993

115. Companheiro Ide Emmanuel 1977

116. Confia E Segue Geem Emmanuel 1984

117. Confia E Serve Ide Esp. Diversos 1989

118. Construção Do Amor Ceu Emmanuel 1988

119. Continuidade Ideal Esp. Diversos 1990

120. Contos Desta E Doutra Vida Feb Irmão X 1964

121. Contos E Apólogos Feb Irmão X 1958

122. Conversa Firme Cec Cornélio Pires 1975

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123. Convivência Ceu Emmanuel 1984

124. Coração E Vida Ideal Maria Dolores 1978

125. Corações Renovados Ideal Esp. Diversos 1988

126. Coragem Cec Esp. Diversos 1971

127. Correio Do Além Ceu Esp. Diversos 1983

128. Correio Fraterno Feb Esp. Diversos 1970

129. Crer E Agir Ideal Emmanuel/Irmão José 1986

130. Crianças No Além Geem Marcos 1977

131. Crônicas De Além-Túmulo Feb Humberto De Campos 1936

132. Cura Geem Esp. Diversos 1988

Da Vida Geem Roberto Muszkat 1984

133. Dádivas De Amor Ideal Maria Dolores 1990

134. Dádivas Espirituais Ide Esp. Diversos 1994

De Amor Ide Emmanuel 1992

De Amor Uem Esp. Diversos 1993

135. Degraus Da Vida Ceu Cornélio Pires 1996

136. Desobsessão Feb André Luiz 1964

137. Deus Aguarda Geem Meimei 1980

138. Deus Sempre Ideal Emmanuel 1976

139. Diálogo Dos Vivos Geem Esp. Diversos 1974

140. Diário De Bênçãos Ideal Cristiane 1983

141. Dicionário Da Alma Feb Esp. Diversos 1964

142. Dinheiro Ide Emmanuel 1986

143. Do Outro Lado Da Vida Inovação Paulo Henrique Bresciane 2006

144. Doações De Amor Geem Esp. Diversos 1992

Dos Benefícios Ger Bezerra De Menezes 1991

145. Doutrina De Luz Geem Emmanuel 1990

146. Doutrina E Aplicação Ceu Esp. Diversos 1989

147. Doutrina E Vida Ceu Esp. Diversos 1987

148. Doutrina Escola Ide Esp. Diversos 1996

149. E A Vida Continua... Feb André Luiz 1968

E Trabalho Ideal Esp. Diversos 1988

150. Educandário De Luz Ideal Esp. Diversos 1985

151. Elenco De Familiares Ideal Esp. Diversos 1995

152. Eles Voltaram Ide Esp. Diversos 1981

153. Emmanuel Feb Emmanuel 1938

154. Encontro De Paz Cec Esp. Diversos 1973

155. Encontro Marcado Feb Emmanuel 1967

156. Encontros No Tempo Ide Esp. Diversos 1979

157. Endereços Da Paz Ceu André Luiz 1982

158. Entender Conversando Ide Emmanuel 1984

159. Entes Queridos Geem Esp. Diversos 1982

160. Entre A Terra E O Céu Feb André Luiz 1954

161. Entre Duas Vidas Cec Esp. Diversos 1974

162. Entre Irmãos De Outras Terras Feb Esp. Diversos 1966

163. Entrevistas Ide Emmanuel 1971

164. Enxugando Lágrimas Ide Esp. Diversos 1978

165. Escada De Luz Ceu Esp. Diversos 1999

166. Escola No Além Ideal Cláudia P. Galasse 1988

167. Escrínio De Luz Clarim Emmanuel 1973

168. Escultores De Almas Ceu Esp. Diversos 1987

169. Espera Servindo Geem Emmanuel 1985

170. Esperança E Alegria Ceu Esp. Diversos 1987

171. Esperança E Luz Ceu Esp. Diversos 1993

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172. Esperança E Vida Ideal Esp. Diversos 1985

173. Estamos No Além Ide Esp. Diversos 1983

174. Estamos Vivos Ide Esp. Diversos 1993

175. Estante Da Vida Feb Irmão X 1969

176. Estradas E Destinos Ceu Esp. Diversos 1987

177. Estrelas No Chão Geem Esp. Diversos 1987

178. Estude E Viva Feb Emmanuel/André Luiz 1965

179. Evangelho Em Casa Feb Meimei 1960

180. Evolução Em Dois Mundos Feb André Luiz 1959

181. Excursão De Paz Ceu Esp. Diversos 1990

182. Falando À Terra Feb Esp. Diversos 1951

183. Falou E Disse Geem Augusto Cezar Netto 1978

184. Família Ceu Esp. Diversos 1981

185. Fé Ideal Esp. Diversos 1984

186. Fé, Paz E Amor Geem Emmanuel 1989

187. Feliz Regresso Ideal Esp. Diversos 1981

188. Festa De Paz Geem Esp. Diversos 1986

189. Filhos Voltando Geem Esp. Diversos 1982

190. Flores De Outono Lake Jésus Gonçalves 1984

191. Fonte De Paz Ide Esp. Diversos 1987

192. Fonte Viva Feb Emmanuel 1956

193. Fotos Da Vida Geem Augusto Cezar Netto 1989

194. Fulgor No Entardecer Uem Esp. Diversos 1991

195. Gabriel Ide Gabriel 1982

196. Gaveta De Esperança Ide Laurinho 1980

197. Gotas De Luz Feb Casimiro Cunha 1953

198. Gotas De Paz Ceu Emmanuel 1993

199. Gratidão E Paz Ide Esp. Diversos 1988

200. Há Dois Mil Anos Feb Emmanuel 1939

201. Harmonização Geem Emmanuel 1990

202. História De Maricota Feb Casimiro Cunha 1947

203. Histórias E Anotações Ceu Irmão X 1989

204. Hoje Ceu Emmanuel 1984

205. Hora Certa Geem Emmanuel 1987

206. Horas De Luz Ide Esp. Diversos 1984

207. Humorismo No Além Ideal Esp. Diversos 1984

208. Ideal Espírita Cec Esp. Diversos 1963

209. Idéias E Ilustrações Feb Esp. Diversos 1970

210. Indicações Do Caminho Geem Carlos Augusto 1995

211. Indulgência Ide Emmanuel 1989

212. Inspiração Geem Emmanuel 1979

213. Instruções Psicofônicas Feb Esp. Diversos 1956

214. Instrumentos Do Tempo Geem Emmanuel 1974

215. Intercâmbio Do Bem Geem Esp. Diversos 1987

216. Intervalos Clarim Emmanuel 1981

217. Irmã Vera Cruz Ide Vera Cruz 1980

218. Irmão Ideal Emmanuel 1980

219. Irmãos Unidos Geem Esp. Diversos 1988

220. Janela Para A Vida Fergs Esp. Diversos 1979

221. Jardim Da Infância Feb João De Deus 1947

222. Jesus Em Nós Geem Emmanuel 1987

223. Jesus No Lar Feb Neio Lucio 1950

224. Jóia Ceu Emmanuel 1985

225. Jovens No Além Geem Esp. Diversos 1975

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226. Juca Lambisca Feb Casimiro Cunha 1961

227. Juntos Venceremos Ideal Esp. Diversos 1985

228. Justiça Divina Feb Emmanuel 1962

229. Lar - Oficina, Esperança

230. Lázaro Redivivo Feb Irmão X 1945

231. Lealdade Ide Maurício G. Henrique 1982

232. Leis De Amor Feesp Emmanuel 1963

233. Levantar E Seguir Geem Emmanuel 1992

234. Libertação Feb André Luiz 1949

235. Linha Duzentos Ceu Emmanuel 1981

236. Lira Imortal Lake Esp. Diversos 1938

237. Livro Da Esperança Cec Emmanuel 1964

238. Livro De Respostas Ceu Emmanuel 1980

239. Loja De Alegria Geem Jair Presente 1985

240. Luz Acima Feb Irmão X 1948

241. Luz Bendita Ideal Emmanuel/Esp. Diversos 1977

242. Luz E Vida Geem Emmanuel 1986

243. Luz No Caminho Ceu Emmanuel 1992

244. Luz No Lar Feb Esp. Diversos 1968

245. Mãe Clarim Esp. Diversos 1971

246. Mais Luz Geem Batuíra 1970

247. Mais Perto Geem Emmanuel 1983

248. Mais Vida Ceu Esp. Diversos 1982

249. Mãos Marcadas Ide Esp. Diversos 1972

250. Mãos Unidas Ide Emmanuel 1972

251. Marcas Do Caminho Ideal Esp. Diversos 1979

252. Maria Dolores Ideal Maria Dolores 1977

253. Material De Construção Ideal Emmanuel 1983

254. Mecanismos Da Mediunidade Feb André Luiz 1960

255. Mediunidade E Sintonia Ceu Emmanuel 1986

256. Mensagem Do Pequeno Morto Feb Neio Lucio 1947

257. Mensagens De Inês De Castro Geem Inês De Castro 2006

258. Mensagens Que Confortam Tt Ricardo Tadeu 1983

259. Mentores E Seareiros Ideal Esp. Diversos 1993

260. Migalha Uem Emmanuel 1993

261. Missão Cumprida Pinti Esp. Diversos 2004

262. Missionários Da Luz Feb André Luiz 1945

263. Momento Ceu Emmanuel 1994

264. Momentos De Encontro Ceu Rosângela 1984

265. Momentos De Ouro Geem Esp. Diversos 1977

266. Momentos De Paz Ideal Emmanuel 1980

267. Monte Acima Geem Emmanuel 1985

268. Moradias De Luz Ceu Esp. Diversos 1990

269. Na Era Do Espírito Geem Esp. Diversos 1973

270. Na Hora Do Testemunho Paidéia Esp. Diversos 1978

271. Não Publicadas 1933-1954 Madras Esp. Diversos 2004

272. Nascer E Renascer Geem Emmanuel 1982

273. Natal De Sabina Geem Francisca Clotilde 1972

274. Neste Instante Geem Emmanuel 1985

275. Ninguém Morre Ide Esp. Diversos 1983

276. No Mundo Maior Feb André Luiz 1947

277. No Portal Da Luz Cec Emmanuel 1967

278. Nos Domínios Da Mediunidade Feb André Luiz 1955

279. Nós Ceu Emmanuel 1985

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280. Nosso Lar Feb André Luiz 1944

281. Nosso Livro Lake Esp. Diversos 1950

282. Notas Do Mais Além Ide Esp. Diversos 1995

283. Notícias Do Além Ide Esp. Diversos 1980

284. Novamente Em Casa Geem Esp. Diversos 1984

285. Novas Mensagens Feb Humberto De Campos 1940

286. Novo Mundo Ideal Emmanuel 1992

287. Novos Horizontes Ideal Esp. Diversos 1996

288. O Caminho Oculto Feb Veneranda 1947

289. O Consolador Feb Emmanuel 1941

290. O Esperanto Como Revelação Ide Francisco V. Lorenz 1976

291. O Espírito Da Verdade Feb Esp. Diversos 1962

292. O Espírito De Cornélio Pires Feb Cornélio Pires 1965

293. O Essencial Ceu Emmanuel 1986

294. O Evangelho De Chico Xavier   Didier Emmanuel    2000

295. O Ligeirinho Geem Emmanuel 1993

296. Obreiros Da Vida Eterna Feb André Luiz 1946

297. Oferta De Amigo Ide Cornélio Pires 1996

298. Opinião Espírita Cec Emmanuel/André Luiz 1963

299. Orvalho De Luz Cec Esp. Diversos 1969

300. Os Dois Maiores Amores Geem Esp. Diversos 1983

301. Os Filhos Do Grande Rei Feb Veneranda 1947

302. Os Mensageiros Feb André Luiz 1944

303. Paciência Ceu Emmanuel 1983

304. Páginas De Fé Ideal Esp. Diversos 1988

305. Páginas Do Coração Lake Irmã Candoca 1951

306. Pai Nosso  Feb Meimei 1952

307. Palavras De Chico Xavier Ide Emmanuel 1995

308. Palavras De Coragem Ideal Esp. Diversos 1987

309. Palavras De Emmanuel Feb Emmanuel 1954

310. Palavras De Vida Eterna Cec Emmanuel 1964

311. Palavras Do Coração Ceu Meimei 1982

312. Palavras Do Infinito Lake Esp. Diversos 1936

313. Palco Iluminado Geem Jair Presente 1988

314. Pão Nosso Feb Emmanuel 1950

315. Parnaso De Além Túmulo Feb Esp. Diversos 1932

316. Pássaros Humanos Geem Esp. Diversos 1994

317. Passos Da Vida Cec Esp. Diversos 1969

Pátria Do Evangelho Feb Humberto De Campos 1938

318. Paulo E Estevão Feb Emmanuel 1942

319. Paz E Alegria Geem Esp. Diversos 1981

320. Paz E Amor Ceu Cornélio Pires 1996

321. Paz E Libertação Ceu Esp. Diversos 1996

322. Paz E Renovação Cec Esp. Diversos 1970

323. Paz Ceu Emmanuel 1983

324. Pedaços Da Vida Ideal Cornélio Pires 1997

325. Pensamento E Vida Feb Emmanuel 1958

326. Perante Jesus Ideal Emmanuel 1990

327. Perdão E Vida Ceu Esp. Diversos 1999

328. Pérolas De Luz Ceu Emmanuel 1992

329. Pérolas Do Além Feb Emmanuel 1952

330. Pétalas Da Primavera Uem Esp. Diversos 1990

331. Pétalas Da Vida Ceu Cornélio Pires 1997

332. Pinga Fogo (1ª Entrevista) Edicel Esp. Diversos 1971

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333. Pingo De Luz Ideal Carlos Augusto 1995

334. Plantão Da Paz Geem Emmanuel 1988

335. Plantão De Respostas Ceu Pinga Fogo Ii 1995

336. Poetas Redivivos Feb Esp. Diversos 1969

337. Ponto De Encontro Geem Jair Presente 1986

338. Pontos E Contos Feb Irmão X 1951

339. Porto De Alegria Ide Esp. Diversos 1990

340. Praça Da Amizade Ceu Esp. Diversos 1982

341. Preito De Amor Geem Esp. Diversos 1993

342. Presença De Laurinho Ide Laurinho 1983

343. Presença De Luz Geem Augusto Cezar Netto 1984

344. Pronto Socorro Ceu Emmanuel 1980Psicografias Ainda 

345. Quando Se Pretende Falar

346. Queda E Ascensão Da Casa

347. Quem São Ide Esp. Diversos 1982

348. Rapidinho Geem Jair Presente 1989

349. Realmente Pinti Esp. Diversos 2004

350. Recados Da Vida Maior Geem Esp. Diversos 1995

351. Recados Da Vida Geem Esp. Diversos 1983

352. Recados Do Além Ideal Emmanuel 1978

353. Recanto De Paz Fmg Esp. Diversos 1976

354. Reconforto Geem Emmanuel 1986

355. Reencontros Ide Esp. Diversos 1982

356. Refúgio Ideal Emmanuel 1989

357. Relatos Da Vida Ceu Irmão X 1988

358. Relicário De Luz Feb Esp. Diversos 1962

359. Religião Dos Espíritos Feb Emmanuel 1960

360. Renascimento Espiritual Ideal Esp. Diversos 1995

361. Renúncia Feb Emmanuel 1942

362. Reportagens De Além-Túmulo Feb Humberto De Campos 1943

363. Resgate E Amor Geem Tiaminho 1987

364. Respostas Da Vida Ideal André Luiz 1975

365. Retornaram Contando Ide Esp. Diversos 1984

366. Retratos Da Vida Cec Cornélio Pires 1974

367. Revelação Geem Jair Presente 1993

368. Rosas Com Amor Ide Esp. Diversos 1973

369. Roseiral De Luz Uem Esp. Diversos 1988

370. Roteiro Feb Emmanuel 1952

371. Rumo Certo Feb Emmanuel 1971

372. Rumos Da Vida Ceu Esp. Diversos 1981

373. Saudação Do Natal Ceu Esp. Diversos 1996

374. Seara De Fé Ide Esp. Diversos 1982

375. Seara Dos Médiuns Feb Emmanuel 1961

376. Segue-Me Clarim Emmanuel 1973

377. Seguindo Juntos Geem Esp. Diversos 1982

378. Semeador Em Tempos Novos Geem Emmanuel 1989

379. Semente Ide Emmanuel 1993

380. Sementeira De Luz Vinha De Luz Neio Lucio 2006

381. Sementes De Luz Ideal Esp. Diversos 1987

382. Senda Para Deus Ceu Esp. Diversos 1997

383. Sentinelas Da Alma Ideal Meimei 1982

384. Sentinelas Da Luz Ceu Esp. Diversos 1990

385. Servidores No Além Ide Esp. Diversos 1989

386. Sexo E Destino Feb André Luiz 1963

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Page 235: Francisco Candido Xavier Fr Série Historique 02 Cinquante Ans Plus Tard Yjsp

387. Sinais De Rumo Geem Esp. Diversos 1980

388. Sinal Verde Cec André Luiz 1971

389. Sínteses Doutrinárias Ceu Esp. Diversos 1995

390. Somente Amor Ideal Maria Dolores/Meimei 1978

391. Somos Seis Geem Esp. Diversos 1976

392. Sorrir E Pensar Ide Esp. Diversos 1984

393. Taça De Luz Feesp Esp. Diversos 1972

394. Tão Fácil Ceu Esp. Diversos 1985

395. Temas Da Vida Ceu Esp. Diversos 1987

396. Tempo De Luz Fmg Esp. Diversos 1979

397. Tempo E Amor Ide Esp. Diversos 1984

398. Tempo E Nós Ideal Emmanuel/André Luiz 1993

399. Tende Bom Ânimo Ideal Esp. Diversos 1987

400. Tesouro De Alegria Ide Esp. Diversos 1993

401. Timbolão Feb Casimiro Cunha 1962

402. Tintino... O Espetácilo Continua Geem Francisca Clotilde 1976

403. Tocando O Barco Ideal Emmanuel 1984

404. Toques Da Vida Ideal Cornélio Pires 1997

405. Traços De Chico Xavier Ceu Esp. Diversos 1997

406. Trevo De Idéias Geem Emmanuel 1987

407. Trilha De Luz Ide Emmanuel 1990

408. Trovadores Do Além Feb Esp. Diversos 1965

409. Trovas Da Vida Ceu Cornélio Pires 1999

410. Trovas Do Coração Ide Cornélio Pires 1997

411. Trovas Do Mais Além Cec Esp. Diversos 1971

412. Trovas Do Outro Mundo Feb Esp. Diversos 1968

413. Tudo Virá A Seu Tempo Madras Elcio Tumenas 2003

414. Uma Vida De Amor E Caridade Fv Esp. Diversos 1992

415. União Em Jesus Ceu Esp. Diversos 1994

416. Urgência Geem Emmanuel 1980

417. Venceram  Geem Esp. Diversos 1983

418. Vereda De Luz Geem Esp. Diversos 1990

419. Viagens Sem Adeus Ideal Claudio R.A . Nascimento 1999

420. Viajaram Mais Cedo Geem Esp. Diversos 1985

421. Viajor Ide Emmanuel 1985

422. Viajores Da Luz Geem Esp. Diversos 1981

423. Vida Além Da Vida Ceu Lineu De Paula Leão Jr. 1988

424. Vida E Caminho Geem Esp. Diversos 1994

425. Vida E Sexo Feb Emmanuel 1970

426. Vida Em Vida Ideal Esp. Diversos 1980

427. Vida No Além Geem Esp. Diversos 1980

428. Vida Nossa Vida Geem Esp. Diversos 1983

429. Vinha De Luz Feb Emmanuel 1952

430. Visão Nova Ide Esp. Diversos 1987

431. Vitória Ide Esp. Diversos 1987

432. Vivendo Sempre Ideal Esp. Diversos 1981

433. Viveremos Sempre Ideal Esp. Diversos 1994

434. Volta Bocage Feb Manuel M.B.Du Bocage 1947

435. Voltei Feb Irmão Jacob 1949

436. Vozes Da Outra Margem Ide Esp. Diversos 1987

437. Vozes Do Grande Além Feb Esp. Diversos 1957

Compilação Geem (Março De 2007) Com Utilização A Partir Do Livro 413 Da Relação Fecfas (Fraternidade Espírita Cristã Francisco De Assis, De Belo Horizonte-Mg)

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