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Jacques François LE SIÈCLE D’OR DE LA LINGUISTIQUE EN ALLEMAGNE de Humboldt à Meyer-Lübke Ouvrage publié avec le concours du Laboratoire d’Excellence TransferS (programme Investissements d’avenir ANR-10-IDEX-0001-02 PSL* et ANR-10-LABX-0099) à paraître aux Éditions Lambert-Lucas Limoges

Francois SIECLE D'OR

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Jacques François

LE SIÈCLE D’OR DE LA LINGUISTIQUE EN ALLEMAGNE

de Humboldt à Meyer-Lübke

Ouvrage publié avec le concours

du Laboratoire d’Excellence TransferS (programme Investissements d’avenir

ANR-10-IDEX-0001-02 PSL* et ANR-10-LABX-0099)

à paraître aux

Éditions Lambert-Lucas Limoges

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À la mémoire de Me Jean-Paul Granier et en souvenir de nos nombreuses conversations sur la langue, l’histoire et la culture allemandes

Schiller, les frères Wilhelm et Alexander von Humboldt avec Goethe à Iéna1

1 Cette gravure d’Adolph Müller probablement datée de 1797 et symbolisant l’idéal du

“classicisme de Weimar” met les frères Humboldt au même rang que les icônes de Weimar, Goethe et Schiller. L’esprit des Lumières (Aufklärung) à Weimar intègre les lettres, les sciences de l’esprit et celles de la nature : si Schiller était essentiellement un homme de lettres et théoricien de l’histoire universelle et de l’esthétique, Goethe était également connu pour ses travaux scientifiques sur les couleurs et l’anatomie animale, Wilhelm von Humboldt figurait en tant que philosophe de l’histoire, de l’État et du langage et son frère Alexander comme le plus grand géographe de son temps.

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INTRODUCTION

COMMENT LES LINGUISTES ALLEMANDS DU 19e SIÈCLE

ONT ÉLABORÉ ET DIFFUSÉ LEUR VISION DU LANGAGE

Plusieurs ouvrages en français traitent de l’histoire de la linguistique entre autres au 19e siècle. Par ordre chronologique,

� celui de Georges Mounin (1967, 21996), qu’ont pratiqué des générations d’étudiants, lui consacre son chapitre IV (“Le XIXe siècle”, 1996 : 157-217),

� le recueil d’André Jacob sur la genèse de la pensée linguistique (1973) présente pour le 19e siècle (le Saussure du Cours ressortissant au 20e siècle) une série de textes de Humboldt, Bopp, Schleicher, Osthoff & Brugmann, Paul, Whitney et Baudouin de Courtenay (ibid : 89-164),

� celui de Bertild Malmberg (1991), le plus exhaustif (mais entaché d’erreurs), dédie un chapitre entier (le 10, ibid : 253-279) à Humboldt, avant de consacrer 170 pages serrées (chapitres 11-18, ibid : 281-452) aux différentes facettes de la linguistique du 19e et du début du 20e siècle (naissance et développement des lois phonétiques de la grammaire comparée des langues indo-européennes, applications hors de ce champ et spécifiquement dans le domaine de la romania et réactions critiques, émergence de la dialectologie, de la géolinguistique et d’une phonétique indépendante)

� et celui de Pierre Swiggers (1997) lui dédie également son chapitre IV (Langues : typologisation et histoire, ibid : 207-264).

À la lecture de ces ouvrages, on ne peut s’empêcher d’échafauder une triple conclusion :

a) l’essentiel de la pensée linguistique au 19e siècle a porté sur la description comparative et l’organisation généalogique des langues issues du proto-indo-européen,

b) cette grammaire comparée a été élaborée essentiellement par des savants allemands, autrichiens ou suisses germanophones, et

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c) ce siècle a vu la professionalisation des linguistes, l’émergence de disciplines particulières et la scission progressive entre linguistes et philologues.

Bien entendu, ces conclusions sont excessives, car

a’) certains des linguistes les plus renommés, au premier rang W. von Humboldt et G. von der Gabelentz, ont porté leur attention vers des langues d’autres familles et d’autres continents,

b’) certains des grands noms de la grammaire comparée ne sont pas allemands : Whitney, Rask, Saussure, Verner, plus tard Jespersen ou Meillet ; néanmoins, on constate qu’ils ont été formés en Allemagne et/ou ont travaillé en symbiose avec l’école allemande, et

c’) à la fin du 19e siècle, la scission entre philologues et linguistes n’est pas encore jouée (voir par exemple en France Gaston Paris et Mario Roques).

Il n’en est pas moins vrai que le 19e siècle a été celui de l’irrésistible ascension de la linguistique allemande. On peut s’en convaincre en consultant le tome 3, L’hégémonie du comparatisme (2000), de la magistrale Histoire des idées linguistiques dirigée par Sylvain Auroux. Les deux sections principales du Chapitre II. Vers le métier de linguiste, II-1. Le savoir romantique, par Peter Schmitter (ibid : 63-78) et II-2. La professionalisation de la recherche allemande, par Erika Hültenschmidt (ibid : 79-96), traitent exclusivement de linguistes allemands, et la majorité des linguistes évoqués dans le chapitre III. Le paradigme historique et la grammaire comparée (divisé en quatre sections, p.139-192) le sont également.

Cette constatation est à l’origine de mon ambition de présenter en français les caractéristiques majeures de la recherche linguistique dans l’Allemagne du 19e siècle. Cette présentation se divise en trois composantes.

� Le chapitre I offre

� un aperçu des trois sources de la linguistique du 19e siècle : (a) la grammaire générale et philosophique, (b) les spéculations sur l’origine du langage qui contrastent avec les compilations de fragments de centaines de langues et les premières études d’ethnographie linguistique, et (c) la genèse d’une généalogie des langues non “adamique” avec l’étude du sanscrit ;

� une réflexion sur la catastrophe militaire pour la Prusse de la défaite de Iéna en 1806 et le redressement moral du pays auquel a contribué Humboldt avec la fondation de l’université de Berlin en 1809,

� un examen des conditions dans lesquelles sont nées les chaires de philologie moderne, et en particulier celles de philologie romane, en Allemagne au début du 19e siècle

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� et finalement un inventaire des linguistes étrangers célèbres qui à un moment ou un autre de leur formation ont profité des enseignements d’une ou de plusieurs universités allemandes, les deux plus importantes ayant été d’abord Berlin dans la première moitié du siècle, puis Leipzig dans la seconde moitié.

� La première partie (chapitres II—V) évoque quinze linguistes destinés à illustrer les différentes branches de la linguistique allemande au 19e siècle, en fonction du poids respectif de chaque branche. Je les ai répartis en trois générations en fonction de leur date de naissance. La première, celle des FONDATEURS, est représentée dans le chap.II par W. von Humboldt, Fr. Schlegel. J. Grimm, Fr. Bopp, Ch.K. Reisig et Fr. Diez, la seconde, celle des PASSEURS, l’est par A. Schleicher, H. Steinthal et M. Müller (chap.III) et la troisième, celle des DÉVELOPPEURS (notamment des néogrammairiens) est représentée au chap. IV par G. von der Gabelentz, H. Schuchardt, B. Delbrück, K. Brugmann, H. Paul et W. Meyer-Lübke.

� Le chapitre V conclut la première partie en abordant quatre questions auxquelles se sont attachés plusieurs des quinze linguistes sélectionnés et deux autres (A.F. Pott et Fr. Von Miklosich) qui auraient tout autant mérité de l’être, en commençant par l’ordre dans lequel ont été examinées les différentes composantes de la grammaire (ce qui permet de comprendre la focalisation de l’intérêt de la plupart d’entre eux pour la typologie morphologique des langues, avec ou sans ordonnancement historique des types identifiés). Les trois autres questions sont celle de la tolérance ou pas à l’égard de lois du changement phonétique sans validité absolue, celle du nombre de types morphologiques supposés représenter l’ensemble des langues du monde et celle du statut particulier de la langue des roms dans la famille ‘indogermanique’.

� Enfin la deuxième partie (chapitres VI-X) présente une anthologie bilingue comprenant des extraits des œuvres de W. von Humdoldt (sur la distinction entre verbes et noms dans les langues amérindiennes), d’A. Schleicher (sur la généalogie des langues ‘indogermaniques’), de H. Steinthal (sur les principes du classement morphologique des langues), de H. Schuchardt (sur la variation dialectale dans l’espace roman) et de G. von der Gabelentz (sur les idées-forces d’une future typologie des langues).

Cet ouvrage a pu être publié grâce au soutien du Laboratoire d’excellence

TransferS de l’École Normale Supérieure. Je remercie Michel Espagne, directeur du LabEx TransferS et Thierry Poibeau, directeur de l’UMR 8094 LATTICE,

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membre de TransferS, pour leur confiance. Mes très sincères remerciements vont par ailleurs à André Rousseau, Nicole Guilleux, Didier Samain, Bernhard Hurch, Bernard Colombat, Denis Thouard, Daniel Jacob et Pierre Swiggers pour leurs encouragements et leur aide dans l’évaluation de l’un ou l’autre chapitre, à Peter Blumenthal et Sascha Diwersy pour m’avoir offert leur hébergement à l’occasion de mes nombreuses visites à la bibliothèque de l’Institut für Sprachwissenschaft de l’université de Cologne, ainsi qu’à Marc Arabyan qui a suivi l’évolution de ce projet au fil des années, et à mon épouse, Saïda François-Sandli, pour avoir accompagné avec patience et bienveillance la progression de ce livre.

AVERTISSEMENT

Cet ouvrage s’adresse en priorité aux chercheurs et étudiants en sciences humaines, en histoire des sciences ou en linguistique curieux du COMMENT et du POURQUOI de la suprématie des linguistes allemands au 19e siècle. Par l’importance qu’y jouent l’histoire des idées et l’environnement culturel et politique dans lequel cette suprématie s’est bâtie, il relève de la SCIENCE DES CULTURES (cf. Rickert 1997).

Plutôt que de prévoir séparément une bibliographie, un index des noms et un répertoire des principaux linguistes du 19e siècle qui interviennent dans cet ouvrage, j’ai opté comme dans mes ouvrages précédents (François 1989, 2003, 2007) pour une bibliographie indexée permettant de se reporter aux sections où sont abordés les travaux référencés. En outre elle est enrichie de brèves notes biographiques pour les linguistes du 19e siècle à l’exception de ceux qui font l’objet d’une section biobibliographique dans les chapitres II—V. De nombreux ouvrages de linguistique et de philologie tombés dans le domaine public sont accessibles sur la toile et c’est en général cette édition électronique que j’ai consultée. De ce fait j’ai mentionné, à droite de la date de la plupart des publications faisant l’objet d’une édition électronique, l’un des exposants A(rchive.org), ADB (Allgemeine deutsche Biographie), NDB (Neue deutsche Biographie), CTLF (Corpus des Textes Linguistiques Fondamentaux), EU (Encyclopaedia Universalis), G(allica), N (Neue deutsche Biographie) ou SEP (Stanford Encyclopedia of Philosophy).

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction : COMMENT LES LINGUISTES ALLEMANDS DU 19e SIÈCLE ONT ÉLABORÉ ET DIFFUSÉ LEUR VISION DU LANGAGE

Chapitre I : LA LINGUISTIQUE ALLEMANDE DU 19e SIÈCLE : LES SOURCES ET LE CADRE UNIVERSITAIRE

I—1. LES TROIS SOURCES DE LA LINGUISTIQUE DU 19e SIÈCLE

I—1.1. LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET PHILOSOPHIQUE I—1.1.1. La “lingua universalis” en point de mire I—1.1.2. La vision de la ‘linguistique générale’ au tournant du 19e siècle

I—1.2. LES COMPILATIONS LINGUISTIQUES ET LES ÉBAUCHES ETHNOLINGUISTIQUES DU

18E SIÈCLE

I—1.2.1. Condillac, Herder, Rousseau et l’origine du langage entre Lumières et romantisme

I—1.2.2. Les compilations de langues et la genèse de l’ethnolinguistique I—1.3. L’ÉTUDE DU SANSCRIT ET L’ÉMERGENCE DE LA GÉNÉALOGIE DES LANGUES

I—2. LE REDRESSEMENT MORAL DE LA PRUSSE ENTRE IÉNA ET LEIPZIG (1806-1813) ET LA CRÉATION DE L’UNIVERSITÉ DE BERLIN (1809)

I—3. L’ATTRIBUTION PROGRESSIVE DE CHAIRES AUX PHILOLOGIES MODERNES

1—3.1. LES NOUVEAUX PROFESSIONNELS DE LA PHILOLOGIE MODERNE I—3.2. L’EXEMPLE DE LA PHILOLOGIE ROMANE

I—3.2.1. Les enjeux de la philologie romane selon Gustav Gröber I—3.2.2. Mobilité et polyvalence des romanistes

I—4. UN EFFET REMARQUABLE DE L’ÉMERGENCE DE LA SCIENCE DES LANGUES EN ALLEMAGNE : L’ATTRACTIVITÉ INTERNATIONALE DES CENTRES ALLEMANDS DE LINGUISTIQUE

I—5. LES ENTREPRISES GRAMMATICALES ET LEXICOGRAPHIQUES

MAJEURES

ANNEXE : Liste des professeurs de philologie romane dans l’espace germanophone au 19e siècle

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Première Partie

LA SCIENCE ALLEMANDE DU LANGAGE : UNE EXPOSITION EN QUINZE PORTRAITS

ET QUATRE MINIATURES

Chapitre II : LA GÉNÉRATION DES FONDATEURS

II—1. Wilhelm von HUMBOLDT

II─1.1. UNE CARRIÈRE MULTIPLE ET FLAMBOYANTE II—1.2. LA LANGUE HUMAINE, UNE ET INFINIMENT DIFFÉRENCIÉE

II—1.2.1. La place centrale de Humboldt dans la genèse de la linguistique moderne II—1.2.2. Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues, Chapitres 1-18 II—1.2.3. “La différence principale entre les langues selon la pureté de leur principe

de formation” (chapitre 19) II—1.2.4. L’imperfection des langues sémitiques (chapitre 23)

II—1.3. LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE LINGUISTIQUE DE HUMBOLDT II—1.3.1. La philosophie du langage de Humboldt examinée par Steinthal à travers

le prisme de l’idéalisme dialectique de Hegel II—1.3.2. Humboldt vu par les linguistes du 19e siècle II—1.3.3. Le jugement de Jespersen II—1.3.4. Le jugement des historiographes

II─2. Friedrich von SCHLEGEL

II—2.1. UNE CARRIÈRE ENCYCLOPÉDIQUE : PHILOSOPHE, HISTORIEN DES ARTS, DES

LANGUES ET DES LETTRES II—2.2. L’ANCIENNE LANGUE DES INDIENS, CLÉ DE LEUR SAGESSE II—2.3. LA RÉCEPTION DE LA THÈSE LINGUISTIQUE DE SCHLEGEL

II—2.3.1. Le jugement des contemporains et des pairs II—2.3.2. Le jugement des historiographes

II—3. Jacob GRIMM

II—3.1. UNE CARRIÈRE POLYMORPHE : CONTEUR, GRAMMAIRIEN ET LEXICOGRAPHE II—3.2. L’ŒUVRE GRAMMATICAL ET LEXICOGRAPHIQUE DE J. GRIMM

II—3.2.1. Une grammaire de “l’allemand” dans le sens romantique II—3.2.2. Grimm révélateur de la découverte de Rask et précurseur de celle de Verner

sur les mutations consonantiques du proto-germanique II—3.2.3. Après Adelung et avant Paul, le dictionnaire de l’allemand, une entreprise

séculaire et nationale II—3.3. LA RÉCEPTION DE L’OEUVRE LINGUISTIQUE DE GRIMM HIER ET AUJOURD’HUI II—3.3.1. Le jugement des contemporains et des pairs II—3.3.2. Le jugement des historiographes

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II─4. Franz BOPP

II—4.1. UNE CARRIÈRE ENTIÈREMENT CONSACRÉE A L’ÉTUDE DU SANSCRIT ET DES LANGUES

APPARENTÉES II—4.2. L’ÉMERGENCE DE LA GRAMMAIRE HISTORIQUE COMPAREE DES LANGUES INDO-

EUROPENNES ENTRE 1816 ET 1836 II—4.2.1. Du Système des conjugaisons (1816) à la grande Grammaire comparée

(1833sq) II—4.2.2. Le vocalisme germanique : Bopp critique de Grimm

II—4.3. LE JUGEMENT DES PAIRS ET DES HISTORIOGRAPHES SUR L’IMPACT DE L’ŒUVRE DE

BOPP II—4.3.1. Le jugement des contemporains et des pairs II—4.3.2. Le jugement des historiographes

II─5. Christian Karl REISIG

II—5.1. UN LATINISTE QUI SE SAVAIT LINGUISTE (1792-1829) II—5.2. LES LEÇONS SUR LA LINGUISTIQUE LATINE (1839)

II—5.2.1. La composition des Leçons II—5.2.2. La sémasiologie de Reisig II—5.2.3. Reisig théoricien de la linguistique

II—5.3. LA RÉCEPTION DES LEÇONS

II─6. Friedrich DIEZ

II—6.1. UNE CARRIÈRE DÉDIÉE À L’ARPENTAGE DES LANGUES ROMANES II—6.2. L’ŒUVRE GRAMMATICALE ET LEXICOGRAPHIQUE DE DIEZ

II—6.2.1. L’articulation de la grammaire comparée des langues romanes selon Diez et selon Meyer-Lübke

II—6.2.2. Un exemple d’évolution entre les deux grammaires comparées des langues romanes : le traitement de la prosodie

II—6.2.3. La création lexicale romane (1875), un avant-goût du classement onomasiologique de Hallig & von Wartburg (1952)

II—6.3. LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE DE DIEZ

Chapitre III : LA GÉNÉRATION DES PASSEURS

III—1. August SCHLEICHER

III—1.1. UNE CARRIERE ECOURTEE AU SERVICE DE LA GENEALOGIE DES LANGUES INDO-EUROPÉENNES

III—1.2. UNE ŒUVRE DESCRIPTIVE ET CLASSIFICATOIRE MAJEURE GREVÉE PAR UN

NATURALISME DÉBORDANT III—1.2.1. Les langues de l’Europe moderne : le cadre théorique se met en place III—1.2.2. Die deutsche Sprache (1859a) III—1.2.3. Le Compendium (1861), un jalon essentiel de la grammaire historique

comparée des langues indo-européennes, entre Bopp et Brugmann III—1.2.4. Schleicher, Haeckel et la linguistique naturaliste

III—1.3. LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE DE SCHLEICHER PAR SES PAIRS ET LES

HISTORIOGRAPHES III—1.3.1. Au temps des néogrammairiens

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III—1.3.2. Au tournant du siècle : le jugement changeant de Saussure III—1.3.3. Au début du 20e siècle III—1.3.4. Depuis la seconde moitié du 20e siècle

III─2. Heymann STEINTHAL

III—2.1. UNE FIGURE À DOUBLE FACE III—2.2. L’ŒUVRE MULTIPLE DE STEINTHAL ENTRE PHILOSOPHIE DU LANGAGE,

ETHNOLINGUISTIQUE ÉVOLUTIONNISTE ET GRAMMAIRE PSYCHOSOCIALE III—2.2.1. En amont, en marge et en aval de Steinthal III—2.2.2. Une vision de la grammaire au croisement des philosophies de Humboldt

et Hegel (1848) III—2.2.3. La question de l’origine du langage après Herder, Hamann et Humboldt

(1849) III—2.2.4. Steinthal primé comme africaniste (1852, 1867) III—2.2.5. La grammaire entre la psychologie des individus et celle des peuples

(1871) III—2.3. LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE DE STEINTHAL CHEZ SES CONTEMPORAINS ET CHEZ

LES HISTORIOGRAPHES III—2.3.1. Th. Achelis (1898) et la corrélation entre linguistique et psychologie des

peuples III—2.3.2. La réception moderne de la ‘psycho-linguistique’ de Steinthal

III─3. (Friedrich) Max MÜLLER

III—3.1. UNE CARRIÈRE CONSACRÉE AU COMPARATISME GÉNÉRALISÉ (LANGUES, PEUPLES ET

RELIGIONS) III—3.2. MÜLLER DIFFUSEUR DE LA “SCIENCE DU LANGAGE”

III—3.2. 1. Les Leçons de 1861 III—3.2.2. Les Leçons de 1863

III—3.3. LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE LINGUISTIQUE DE MAX MÜLLER III—3.3.1. La critique féroce de la “science du langage” de Müller par William

Whitney III—3.3.2. Le jugement contrasté des historiographes

III—4. CONCLUSION

Chapitre IV : LA GÉNÉRATION DES DÉVELOPPEURS

IV─1. Georg von der GABELENTZ

IV—1.1. LES GABELENTZ PÈRE ET FILS, OU COMMENT LA SINOLOGIE CONDUIT À LA

LINGUISTIQUE GÉNÉRALE IV—1.2. L’ŒUVRE DE GABELENTZ EN LINGUISTIQUE GÉNÉRALE

IV—1.2.1. “La linguistique - ses exigences, ses méthodes et ses résultats présents” IV—1.2.2. Gabelentz prophète de la typologie fonctionnelle des langues

IV—1.3. QUATRE JUGEMENTS SUR LE RÔLE DE GABELENTZ DANS LA REFONDATION DE LA

LINGUISTIQUE GÉNÉRALE

IV—2. Hugo SCHUCHARDT

IV—2.1. UNE VIE CONSACRÉE À LA CRITIQUE DE LA VISION ESSENTIALISTE DES LANGUES

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IV—2.2. SCHUCHARDT ET SES ADVERSAIRES SUCCESSIFS IV—2.2.1. Schuchardt et la généalogie arborescente des langues selon Schleicher IV—2.2.2. Schuchardt et les néogrammairiens IV—2.2.3. Schuchardt, pionnier des études créoles IV—2.2.4. Un sujet d’interrogation rémanent à la suite des études créoles : la langue

basque IV—2.3. LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE DE SCHUCHARDT IV—2.3.1. Le jugement des pairs IV—2.3.2. Le jugement des historiographes

IV—3. Berthold DELBRÜCK

IV—3.1. DELBRÜCK, FONDATEUR DE LA SYNTAXE COMPARÉE DES LANGUES INDO-EUROPÉENNES, FÉRU DE DIFFUSION ET DE PSYCHOLOGIE

IV—3.2. L’ŒUVRE DANS SA VARIÉTÉ IV—3.2.1. La syntaxe comparée des langues indo-européennes IV—3.2.2. Delbrück et la diffusion de la pensée néogrammairienne IV—3.2.3. Les formations par analogie IV—3.2.3. L’incursion en aphasiologie et le débat avec le psychologue Wilhelm

Wundt IV—3.3. LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE GRAMMATICALE ET PSYCHOLINGUISTIQUE DE

DELBRÜCK IV—3.3.1. Delbrück comparatiste IV—3.3.2. Delbrück diffuseur du savoir linguistique IV—3.3.3. Delbrück et la neurolinguistique

IV—4. Karl BRUGMANN

IV—4.1. LE PORTE-PAROLE DES NEOGRAMMAIRIENS IV—4.2. UNE ŒUVRE DE COMBAT POUR UNE LINGUISTIQUE SCIENTIFIQUE

IV—4.2.1. La préface aux Investigations morphologiques, manifeste des néo-grammairiens

IV—4.2.2. La composition de l’abrégé du Grundriẞ IV—4.2.3. Comparaison du poids relatif de la phonétique, de la morphologie et de la

syntaxe dans les trois grammaires comparées de Bopp, Schleicher et Brugmann

IV—4.3. LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE MONOLITHIQUE DE BRUGMANN ET DES ACQUIS DU

MOUVEMENT NÉOGRAMMAIRIEN IV—4.3.1. La place historique du Grundriẞ IV—4.3.2. Le mouvement néogrammairien entre l’ambition d’une révolution et la

reconnaissance d’une évolution majeure

IV—5. Hermann PAUL

IV—5.1. UN NÉOGRAMMAIRIEN DISTANCIÉ IV—5.2. LE MAÎTRE DE L’ÉPISTÉMOLOGIE LINGUISTIQUE ET DE LA PHILOLOGIE

GERMANIQUE IV—5.2.1. Les Principes de la linguistique historique IV—5.2.2. Le maître d’oeuvre du Grundriẞ der germanischen Philologie (1891-93)

IV—5.3. LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE DE HERMANN PAUL

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IV─6. Wilhelm MEYER-LÜBKE

IV─6.1. LE CONTINUATEUR DE L’ŒUVRE DE FRIEDRICH DIEZ EN ROMANISTIQUE IV─6.2. L’ŒUVRE GRAMMATICALE, LEXICOGRAPHIQUE ET THÉORIQUE DE MEYER-LÜBKE

IV─6.2.1. La Grammaire historique de la langue française (vol.I, 1908) IV—6.2.2. Le Dictionnaire étymologique roman (1911) comparé à celui de Diez IV—6.2.3. Gröber et Meyer-Lübke sur les tâches incombant à la linguistique romane

IV─6.3. LA RÉCEPTION ET L’HÉRITAGE DE L’ŒUVRE DE MEYER-LÜBKE IV—6.3.1. Une réception clairsemée IV—6.3.2. De von Wartburg à Baldinger, l’héritage lexicographique de Diez et de

Meyer-Lübke

Chapitre V : QUATRE QUESTIONS DÉBATTUES AU LONG DU 19e SIÈCLE

V—0. DES PORTRAITS AUX MINIATURES

V—1. MORPHOLOGIE, PHONOLOGIE, SYNTAXE, SÉMANTIQUE : COMMENT LA GRAMMAIRE HISTORIQUE COMPARÉE S’EST PROGRESSIVEMENT CONSTRUITE

V—2. LA CONTROVERSE DE 1885 SUR L'ABSENCE D’EXCEPTION DANS LES LOIS PHONÉTIQUES

V—2.1. L’ANNÉE 1876 ET LE RENOUVELLEMENT GÉNÉRATIONNEL DANS LA

LINGUISTIQUE ALLEMANDE V—2.2. CURTIUS ET LA CRITIQUE DE LA RECHERCHE LINGUISTIQUE RÉCENTE V—2.3. LA RÉPLIQUE DE DELBRÜCK À CURTIUS V—2.4. BRUGMANN ET LA DÉFENSE DU PROGRAMME NÉOGRAMMAIRIEN V—2.5. LA CHARGE DE SCHUCHARDT CONTRE LES NÉOGRAMMAIRIENS

V—3. LE CLASSEMENT MORPHOLOGIQUE DES LANGUES

V—3.1. HUMBOLDT ET LES FRÈRES SCHLEGEL V—3.2. SCHLEICHER ET LA FORMALISATION DES TYPES MORPHOLOGIQUES DE LANGUES

(1859b) V—3.3. LES DEUX CLASSEMENTS SUCCESSIFS DE STEINTHAL (1850, 1860) V—3.4. LE CLASSEMENT DE MISTELI (1893)

V—4. L’ÉTUDE DU ROMANI DE POTT À MIKLOSICH

V—4.1. L’ÉTUDE “ETHNOGRAPHIQUE-LINGUISTIQUE” D’A.F. POTT (1844) V—4.2. LA VARIATION DIALECTALE DES ROMS À L’APPUI DE L’HISTOIRE DE LEUR

MIGRATION SELON F. VON MIKLOSICH (1872)

V—5. CONCLUSION

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Seconde Partie

ÉDITION BILINGUE D’ARTICLES ET DE FRAGMENTS REPRÉSENTATIFS

Chapitre VI : WILHELM VON HUMBOLDT, GRAMMAIRIEN ET

PHILOSOPHE

VI—1. ÉDITION BILINGUE DE LA COMMUNICATION À L’ACADÉMIE DE BERLIN LE 23 JUIN

1823 ÜBER DAS VERBUM IN DEN AMERIKANISCHEN SPRACHEN

VI—2. STEINTHAL, ÉDITEUR DES ÉCRITS DE HUMBOLDT EN PHILOSOPHIE DU LANGAGE

(1883)

Chapitre VII : AUGUST SCHLEICHER ET LE ‘STAMMBAUM’

VII—1. LE COMPENDIUM, APRÈS BOPP ET AVANT BRUGMANN

VII—2. ÉDITION BILINGUE DE L’INTRODUCTION DU Compendium der vergleichenden Grammatik der indogermanischen Sprachen

Chapitre VIII : HEYMANN STEINTHAL ET LES FONDEMENTS DU

CLASSEMENT DES LANGUES

VIII—1. DEUX APERÇUS DES FONDEMENTS DU CLASSEMENT DES LANGUES SELON

STEINTHAL

VIII—2. ÉDITION BILINGUE DE Grammatik, Psychologie und Logik (1855), §§135-143

VIII—3. ÉDITION BILINGUE DE Charakteristik der hauptsächlichsten Typen des Sprachbaus (1860: 103-106)

Chapitre IX : HUGO SCHUCHARDT ET LA DÉLIMITATION DES DIALECTES ROMANS

IX—1. UNE PUBLICATION REPOUSSÉE PENDANT TRENTE ANS

IX—2. ÉDITION BILINGUE DE Über die Klassifikation der romanischen Mundarten (1870-1900)

Chapitre X : GEORG VON DER GABELENTZ ET LA TYPOLOGIE DES

LANGUES

X—1. ÉDITION BILINGUE D’UN FRAGMENT DE Die Sprachwissenschaft (21901)

X—2. ÉDITION BILINGUE DE Typologie der Sprachen (1894)

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EN GUISE DE CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE INDEXÉE ET ANNOTÉE

TABLE

EN GUISE DE CONCLUSION

Nous avons pu constater au fil de notre parcours que les linguistes allemands du 19e siècle avaient tous une solide culture philosophique. Pour les uns, comme Reisig (cf. section II—5), l’idéalisme transcendantal de Kant restait la référence majeure. La philosophie de la nature de Schelling a certainement laissé des traces indélébiles chez ceux qui concevaient le langage comme un organe, en particulier Max Müller (cf. section III—3) dont on sait qu’il a suivi son enseignement. De son côté Fichte, sollicité par Humboldt pour être le premier détenteur de la chaire de philosophie de l’université de Berlin en 1810, ne semble avoir exercé une influence notable sur les linguistes que par ses Discours à la nation allemande (1808), mais c’est son successeur, Hegel, qui, avec sa conception de la dialectique (exposée dans La phénoménologie de l’esprit en 18067 devait exercer l’influence la plus notoire sur ceux-ci, tout particulièrement sur Steinthal (cf. sections II—1.3 et III—2.2) et sur Schleicher (cf. section III—1.2).

On peut donc se demander si la dialectique hegelienne peut s’appliquer – à un niveau métathéorique, celui de la succession des épistémé dans l’archéologie des sciences humaines de Michel Foucault (1966) – à l’histoire des “idées linguistiques allemandes”. En effet les linguistes allemands du 19e siècle ont élaboré collectivement des systèmes d’idées qui leur étaient propres, que leurs collègues français ont fréquemment adoptés et parfois mis en doute (comme Bréal à l’égard du naturalisme de Schleicher) et dont le critique le plus clairvoyant a été l’américain William Whitney2. La notion centrale de la dialectique hegelienne est l’“Aufhebung der Gegensätze”, notion complexe, puisqu’elle fusionne l’élévation (sens premier du verbe aufheben) et la relégation (sens second de ce verbe), comme nous l’avons déjà vu (section III—1.3). Soit une épistémé A (premier stade dialectique), le second stade (qui RELÈGUE A) peut être noté ~A et le troisième stade (qui ÉLÈVE, c’est-à-dire RÉVISE le stade A préalablement relégué par ~A) se notera A+.

2 Cf. sections III—1.3 vis-à-vis de Schleicher et III—3.3. vis-à-vis de M. Müller

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Nous avons vu dans le chapitre I que les trois points de départ de la linguistique allemande du 19e siècle sont

a) la grammaire générale française, voire sa version intégrée à l’Idéologie (vol. II : La grammaire) de Destutt de Tracy,

b) les compilations de langues de Hervás y Panduro, Pallas et Adelung & Vater et

c) la découverte par Coeurdoux, Jones et Lord Monboddo (James Burnett) des parentés lexicales entre le sanscrit, le persan et plusieurs langues européennes. Appelons cette configuration l’épistémé A.

À partir de 1806 (la défaite d’Iéna), 1808 (l’ouvrage de Fr. Schleicher sur La langue et la sagesse des indiens et les Discours à la nation allemande de Fichte) et 1809 (la réforme de l’enseignement par Humboldt, débouchant sur la création de l’université de Berlin) se met en place l’épistémé ~A caractérisée par l’idée du langage comme un organe, la “nationalisation” de la langue allemande et la survalorisation des langues flexionnelles. Chez certains, surtout J. Grimm, l’apophonie (Ablaut) devient (avec le redoublement qui en est une extension) le procédé flexionnel par excellence, la variation vocalique étant vue comme un processus fonctionnel véhiculant la référence temporelle. Cette vision permettait – consciemment ou inconsciemment – de corréler l’histoire des religions (sémitiques, indiennes, iraniennes et européennes) et celle des langues en valorisant les langues sacrées (l’hébreu, le sanscrit et le zend, langue de l’Avesta zoroastrienne) et les langues à la base des traditions religieuses européennes (le grec de la Septante et du Nouveau Testament, le latin de la Vulgate, le gotique de la bible de Ulfila, le slavon de celle de Cyrille et Méthode).

Le stade épistémologique ~A est réactif :

a) contre Napoléon qui a humilié l’Allemagne, l’Autriche et plus particulièrement la Prusse, laquelle se concevait depuis Frédéric II comme la nouvelle puissance destinée à rajeunir intellectuellement et moralement l’Europe, et

b) contre les Lumières et leur universalisme que Napoléon voulait instiller en Allemagne par la réforme du droit civil et la réduction du nombre des principautés.

Plus la Prusse affirme, après le congrès de Vienne, sa capacité à intégrer des états allemands (d’abord avec la fédération douanière, le Zollverein) et finalement à les unifier en 1870, plus s’atténue la soif de démocratie des années 1806-10 et le ressentiment à l’égard de l’“esprit français”, plus le romantisme perd de son attractivité et plus le positivisme ou le scientisme gagne du terrain.

Arrivés à ce stade, l’épistémé A+ recouvre

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a) la relégation progressive (entre autres sous l’influence de Whitney) de la composante nationaliste de la linguistique générale de tradition humboldtienne,

b) l’évincement progressif de la dimension axiologique des classements morphologiques (types isolant � agglutinant � flexionnel) avec Gabelentz (1891) et Misteli (1893) et

c) la thèse de l’inconditionalité des lois phonétiques pour la grammaire historique et comparée des langues indo-europeénnes (cf. Brugmann 1885).

L’épistémé A+ a bien entendu deux branches, celle des néogrammairiens et celle des typologues. Cependant l’une et l’autre se conçoivent comme des sciences positives, exemptes des derniers relents du romantisme. Toutefois l’histoire des idées linguistiques ne s’arrête pas là : un nouveau cycle se met en place avec un quatrième stade ~A+, lequel prend à son tour deux facettes, l’une scientifique, l’autre sombrement idéologique. Du côté scientifique, Franz Boas et Edward Sapir transportent aux USA la tradition humboldtienne sous la forme d’une anthropologie linguistique “culturaliste”3, dont Benjamin L. Whorf sera l’héritier. Du côté idéologique, les dignitaires nazis poussent à son extrême la corrélation romantique entre langue et nation caractéristique du stade ~A, la cause principale étant analogue : le ressentiment de la nation allemande à la suite de la défaite de 1918 et de la perte de territoires culturellement et linguistiquement “allemands” (comme l’Alsace et le couloir de Danzig). L’adjectif völkisch devient le symbole de l’Allemagne “régénérée” par Hitler et, comme l’ont montré Victor Klemperer (LTI, 1947-1996) et Jean-Pierre Faye (1972), devient l’équivalent privilégié du fr. racial4.

Au final on peut représenter l’articulation des deux cycles dialectiques comme suit (Fig.1). Les caractéristiques d’UNIVERSALISME et d’ENCYCLOPÉDISME valent pour A et A+, celles de NATIONALISME, d’ORGANISCISME et de CULTURALISME valent pour ~A et ~A+ , celle de RACISME essentiellement pour l’épisode nazi.

3 C’est l’époque de l’élaboration aux USA de l’“anthropologie culturelle” autour de

Franz Boas, Alfred Kroeber, Margaret Mead, Ruth Benedict, etc. 4 Rassisch est un terme scientifique, rassig un adj. évaluatif équivalent au fr. racé et

rassistisch s’applique à l’idéologie raciste.

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Figure 1 : Les deux cycles dialectiques des “idées linguistiques allemandes”

entre la fin du 18e et le début du 20e siècle

Au-delà de ce modeste essai de philosophie de l’histoire des “idées linguistiques allemandes” au 19e siècle, il reste à évoquer une double question subsidiaire :

a) Pourquoi les chercheurs allemands ont-ils perdu leur mainmise sur la linguistique dans la première moitié du 20e siècle ?

b) Pourquoi la linguistique de la deuxième moitié du 20e siècle a-t-elle été prioritairement américaine ?

Concernant la première question, il faut tout d’abord souligner la DISPARITÉ

ÉPISTÉMOLOGIQUE entre l’orientation comparatiste historique des néo-grammairiens et le courant humboldtien de la ‘innere Sprachform’, lequel va engendrer

a) l’EXPLOITATION PHÉNOMÉNOLOGIQUE DU LANGAGE (Edmund Husserl, Martin Heidegger, Ernst Cassirer, Maurice Merleau-Ponty, etc.),

b) la linguistique dite “IDÉALISTE” et essentiellement culturelle du romaniste Karl Vossler5,

c) la linguistique “ÉNERGÉTIQUE” de Leo Weisgerber (31962) et la stylistique comparée6, et

5 cf. Sprache als Schöpfung und Entwicklung (1905). 6 Les deux principales stylistiques comparées, celle du fançais et de l’anglais par J.P.

Vinay et J. Darbelnet en 1956 et celle du français et de l’allemand par L. Malblanc en

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d) la LINGUISTIQUE ANTHROPOLOGIQUE développée de concert aux USA par Franz Boas et Edward Sapir.

En outre, la matière comparatiste va progressivement s’épuiser (dans une certaine mesure, c’est la rançon du succès des néogrammairiens) et ne sera renouvelée qu’avec le déchiffrement du hittite par Bedřich Hrozný qui confirmera en 1917 entre autres l’“hypothèse laryngale” de F. de Saussure (1879). Un facteur décisif est le revirement de SAUSSURE qui, formé à Leipzig par l’école néogrammairiene, opte dans son Cours de Linguistique Générale posthume pour une conception humboldtienne (étonnamment proche de la position de Steinthal, cf. plus haut section III—2.2) qu’exploiteront ultérieurement Leo Weisgerber (cf. plus haut) et Jost Trier en sémantique lexicale au tournant des années 1930 (cf. Trier 1931). Enfin pour revenir à l’arrière-plan politique, on sait que l’effondrement de la volonté de puissance wilhelminienne en 1918, combinée avec le pessimisme de Schopenhauer, Nietzsche ou Spengler a conduit de nombreux intellectuels allemands à perdre leurs repères dans l’entre-deux guerres.

Quant à la seconde question, je vois à l’“hégémonie” nouvelle de la linguistique américaine trois raisons principales :

a) Poussés par les anthropologues Lewis H. Morgan et Franz Boas, les linguistes américains comprennent dès la fin du 19e siècle qu’il importe en priorité d’enregistrer les traits principaux des langues américaines aborigènes (en voie d’extinction en raison de la non-reconnaissance de la dignité culturelle des indiens d’Amérique), et que, pour rendre compte de la diversité de ces langues, la discipline prioritaire est la morphosyntaxe. À cette fin, ils mettent en place à partir des années 1920 un appareil académique comparable à celui des néogrammairiens allemands dans la seconde moitié du 19e siècle (sous la houlette d’Eduard Sapir, Leonard Bloomfield, Charles Fries, Bernard Bloch, George L. Trager, Zellig Harris, Kenneth Pike, Charles Hockett, Morris Swadesh, etc.).

b) Pendant la seconde Guerre mondiale, la composante pionnière de la linguistique devient la théorie de la communication de Claude Shannon & Warren Weaver (cf. Shannon 1948) favorisée par le brillant décodage par le mathématicien britannique Alan Turing du système de codage allemand ENIGMA. Dans la même mouvance, Roman Jakobson va jouer un rôle décisif comme introducteur du structuralisme européen aux USA et particulièrement de la linguistique fonctionnelle pragoise (cf. Jakobson 1963).

c) À la faveur de ce bouillonnement intellectuel – où la défense nationale joue un rôle déterminant, guerre ‘chaude’, puis ‘froide’ oblige – le terrain est

1968 s’inspirent d’une part de la “forme linguistique interne” de Humboldt et d’autre part de la stylistique “externe” de Ch. Bally.

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ainsi préparé pour l’invention, essentiellement aux USA, de la CYBERNÉTIQUE et de l’INFORMATIQUE (cf. John von Neumann, Norbert Wiener, Warren McCulloch), des SCIENCES COGNITIVES (George Miller, Thomas Sebeok, etc.) et, pour ce qui nous occupe, des GRAMMAIRES

FORMELLES et de la ‘MÉTAPHORE DE L’ORDINATEUR’ (cf. Notari 2009) que Noam Chomsky saura formuler de la manière la plus convaincante (quels que soient les avatars qu’a connus ultérieurement sa théorie mentaliste de la faculté de langage).