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Gestion des flux physiques et conditions de travail sur les chantiers Ghislaine Doniol-Shaw Ingénieur de recherche CNRS, Ergonome avec la collaboration de Mokhtar Larbi LATTS-ENPC Laboratoire Technique, Territoires et Sociétés École Nationale des Ponts et Chaussées Études et Expérimentations Chantier 2000 décembre 1996

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Gestion des flux physiqueset conditions de travail

sur les chantiers

Ghislaine Doniol-Shaw Ingénieur de recherche CNRS, Ergonome

avec la collaboration de Mokhtar Larbi

LATTS-ENPCLaboratoire Technique, Territoires et Sociétés

École Nationale des Ponts et Chaussées

Études et ExpérimentationsChantier 2000

décembre 1996

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Sommaire

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37

51

61

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L’enjeu de la qualité et de la sécuritéLa gestion des flux physiques dans le secondœuvreSpécificités du procès de travail, qualifications etsécuritéFiabilité de “système de production” et facteurs derisquesLes activités du second œuvre, point de rencontredes enjeux et des contradictionsUn diagnostic construit sur un chantier “classique”

Synthèse et recommandationsLa nécessité d'une réflexion globale et dynamiqueIntégrer les spécificités des corps d'état secon-daires dans l'élaboration des planningsUne fonction logistique à déployer précocementau plus près de la réalisationLes moyens de manutention : une réflexion glo-bale, incluant les circulations et les stockages

PREMIÈRE PARTIESynthèse

Le chantier étudié : Méthodologie

Analyse du fonctionnement du second oeuvre et'organisation de la logistique de chantier.Les entreprises intervenantesLe statut des salariésL'implantation des sièges et ateliersLes approvisionnementsConclusion

La gestion dynamique du chantier : planification,circulation des informations et coordinationLa planification des travaux : un enjeu stratégiqueLa circulation des informations et la transmissiondes plans d'exécution La commission de coordination : fonctionnement,avantages et limites

Les points critiques : stockages, circulations etpetits moyens de manutentionLes zones de stockages : un enjeu stratégique malperçu La conception des circulations : un révélateurLa standardisation des outils de manutentionLa vision d'une activité standardisée

Les manutentions manuelles dans le travail dumenuisier intérieur et du maçonLe menuisier intérieurLes maçons : montage des murs en parpaings

Le travail des électriciens : des écarts qui se creu-sent avec le gros oeuvre

DEUXIÈME PARTIEGestion des flux physiques

et conditions de travail

Conclusion

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LE CASANIER

Les tuiles de bonne cuisson,Des murs moulés comme des arches,Les fenêtres en proportion,Le lit en merisier de Sparte,Le miroir de flibusterie,Pour la Rose de mon souci.

René Char, La sieste blanche

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Cette étude repose sur l'observation longue et approfondiedu déroulement d'un chantier en région parisienne.

Nous tenons à remercier l'ensemble des personnes que nousavons rencontrées*, avec lesquelles nous avons largementdiscuté et qui se sont prêtées à l'observation, pour la qualitéde leur accueil et leur contribution à la recherche.

Nous avons disposé d'une totale liberté d'action et l'accès àtous les documents du chantier nous a été ouvert. Ces condi-tions sont déterminantes dans le travail de recherche maisnotre expérience nous montre aussi qu'il est rare qu'ellessoient aussi bien remplies.

S'agissant d'une recherche-action, le but visé est à la fois defaire progresser les connaissances et de développer des outilspour l'action. Ici, il s'agissait de réfléchir aux conditions del'amélioration de la gestion des flux physiques des entre-

prises du second œuvre, en vue d'une moindre pénibilité etd'une meilleure sécurité pour les compagnons et de progrèsquant à la qualité des ouvrages.

L'analyse du chantier a constitué la base de la compréhen-sion des mécanismes conduisant aux dysfonctionnements etaux difficultés recensés, mécanismes sur lesquels il faudraagir pour apporter les améliorations souhaitées. Dans cesens, le rapport fait ressortir et insiste sur les points critiques.Il donne de ce fait une image déformée de la réalité du chan-tier dont il hypertrophie les "défauts". La "vraie vie" du chan-tier, loin de l'accumulation de défauts, d'ailleurs bien viteoubliés, est avant tout à l'image de l'accueil qui nous a étéfait : marquée par la convivialité, les coopérations, le souci dela qualité…, ce qui n'exclut pas certaines tensions, desdébats parfois vifs, une certaine lassitude aussi, mais à l'évi-dence la vie d'une communauté qui partage le plaisir de"construire" et la fierté de l'œuvre produite.

Avant-propos

7

*. Il s’agit, d’une part, des personnes appartenant à l’entreprise générale,responsable du gros œuvre et coordonnatrice des corps d’état secondaireset directement impliquée en raison d’un projet de REX devant s’appuyer surles résultats de la recherche engagée et, d’autre part, des personnes appar-tenant aux différentes entreprises intervenant dans le cadre du secondœuvre.

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PREMIÈREPARTIE

Synthèse

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La qualité et la sécurité d'un chantier sont deux enjeuxmajeurs et indissociables dans les métiers de laconstruction1. Simultanément, les pressions, qui s'ac-centuent, sur les délais et les coûts, dans une conjonc-ture économique fragile, peuvent apparaître commepotentiellement antagoniques aux enjeux précités.

En effet, la qualité comme la sécurité, qu'il s'agisse de ladéfinition ou de l'application des règles qui les sous-ten-dent, supposent un niveau de compétences élevé dessalariés donc un niveau d'expérience et une qualificationqui doivent logiquement s'accroître.

Or, pour la majorité des entreprises du bâtiment, les pré-visions de charge de travail se font à très court terme etcompte tenu de la concurrence sévère, les marchés sonttrès débattus. Ne pouvant planifier leur programme detravail sur le moyen terme nombre d'entreprises, notam-ment dans le cadre du second œuvre où les entreprisesde taille petite ou moyenne sont très majoritaires, fonc-tionnent avec une main d'œuvre stable fixée au plus justeet font appel à des salariés sur CDD ou à d'autres sous-traitants pour ajuster leur main d'œuvre aux marchésobtenus. Ces ajustements en main d'œuvre sont souventd'autant plus nécessaires que les entreprises du secondœuvre sont soumises aux aléas du planning d'exécutiondu gros œuvre dont les retards fréquents, mais en mêmetemps non prévisibles, pénalisent la planification de leurspropres interventions.

Par ailleurs, qualité et sécurité sont des "consommatricesde temps" ce qui fait généralement apparaître d'abordcomme un coût les actions engagées, ceci d'autant plusque leur rentabilité n'est pas aisément identifiable :

la qualité impose, outre la compétence, des phases depréparation approfondie, de contrôle-vérification, deconcertation sur l'avancement des travaux après valida-tion… Or, classiquement, on sait que ce sont ces étapesqui disparaissent les premières sous la pression du tempset les exigences de rendement.

la sécurité, pour sa part, nécessite une formationapprofondie sur les risques potentiels, ce qui est rare-ment le cas des salariés temporaires (dont le taux d'acci-dentabilité est d'ailleurs 4 fois plus élevé que celui dessalariés fixes) et un temps de préparation soigneux desinterventions, notamment en cas de co-activité dans unmême espace. De plus la sécurité exige fréquemment lamise en œuvre de moyens de protection et de pratiquesprofessionnelles qui accroissent le temps d'exécution :cheminements protégés, fractionnement des chargestransportées, port de moyens individuels de sécurité quipeuvent rendre le travail plus difficile et donc plus long (leport d'une ceinture de sécurité réduit la mobilité, lesgants font perdre la sensibilité tactile, le port d'un masquediminue la ventilation pulmonaire et accélère l'apparitionde la fatigue (moindre oxygénation donc moindre récu-pération…) qui, on le sait, diminue les performances etaugmente les risques…).

Les deux hypothèses que nous formulons quant à la maî-trise de la sécurité et de la qualité portent donc, en prio-rité, sur la compétence des groupes d'une part, sur lesexigences temporelles d'autre part. Les collectifs doiventêtre formés mais ils doivent aussi pouvoir garder la maî-trise du temps pour ne pas faire "sauter" en priorité lesexigences liées à la qualité et à la sécurité. Or il apparaîtque tant le resserrement des coûts que la pression sur lesdélais sont deux facteurs "perturbants".

LA GESTION DES FLUXPHYSIQUES DANS LESECOND ŒUVRE : POINTD'ANCRAGE DE LARECHERCHEDans la réflexion générale sur les conditions de travail, lasécurité et la qualité sur les chantiers, très brièvementexposée ci-dessus, le transport des produits et des maté-riaux, leur stockage ainsi que les problèmes globaux de

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L’enjeu de la qualitéet de la sécurité

1. Qualité, sécurité, les hommes de l’art, in Le Moniteur, 04/02/94.

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circulation sur le chantier occupent une place spécifiqueet les questions posées apparaissent pour le moinsencore mal résolues.

Conditions de travail et sécurité ont en effet bénéficié cesdernières années d'une attention soutenue, sans toutefoisparvenir à des résultats qui puissent être qualifiés de véri-tablement satisfaisants. Surtout, les recherches se sontprincipalement focalisées sur le gros œuvre, à juste titrecompte tenu des données relatives aux accidents, maiscela a néanmoins conduit à une certaine stagnation desefforts entrepris pour améliorer les conditions de travailet de sécurité dans le second œuvre alors même quecelui-ci prend de plus en plus d'importance dans le pro-cessus de construction.

Sur le plan des accidents du travail, le secteur de laconstruction reste celui qui contribue le plus massive-ment et le plus gravement à l'ensemble des accidents quisurviennent annuellement.

Le BTP représentait en France, en 1992, 8,6 % des effec-tifs salariés mais 21,7 % des accidents avec arrêt et 26,7 %des journées perdues par incapacité temporaire ainsi que26,2 % des accidents avec incapacité permanente et plusencore, 29,1 % des décès.

Les jeunes de moins de 25 ans, qui représentent 14,3 %des effectifs cumulent 20,7 % des accidents avec arrêt ; ilsencourent donc un risque d'accident 1,4 fois supérieur àcelui de la moyenne du secteur avec toutefois un indicede gravité inférieur à la moyenne, à l'inverse des salariésde plus de 50 ans qui, alors qu'ils représentent 15,4 % deseffectifs, comptent 25 % des accidents ayant entraîné uneincapacité permanente et 29 % des décès.

Ces données ont peu évolué en 5 ans et elles sont sensi-blement équivalentes dans l'ensemble des pays de la CEE.Ainsi, d'après LORENT 2 (1989), la construction employait,en 1988, 7 % des salariés dans la CEE et détenait 15 %du total des accidents du travail et 30 % des accidentsmortels du secteur industriel. Par ailleurs, des données de1985 montrent que, dans la construction, le secteur dubâtiment est celui où le niveau de risque est le plus élevé(trois fois plus que pour les travaux routiers et deux foisplus que pour les travaux de génie civil). L'une des raisonsde ces écarts réside dans le fait que "les travaux de bâti-ments font appel à de nombreuses entreprises et lesrisques induits par leur co-activité sont multiples".

Toujours d'après LORENT, la répartition des causes des acci-dents mortels se situe par ailleurs selon trois composantes :

- les chutes de hauteur et de plain-pied : 35 %, principa-lement en lien avec des défaillances de conception (dumatériel, des matériaux, des postes de travail, de laconception architecturale),- l'exécution d'activités simultanées mais incompatibles :28 %, en lien avec des défaillances de planification, doncd'organisation du chantier,- les conditions générales du travail : 37 %, en lien avec lesrisques du chantier, la formation des personnels, lescontraintes de temps, les circulations…

Les données sur les accidents du travail dans le BTP enFrance3 proposent un classement un peu différent danslequel les principales causes d'accidents avec arrêt identi-fiées sont, pour l'année 1992 :- 31,5 % : manutention manuelle (22,5 % des accidentsgraves et 2,5 % des décès)- 20 % : chutes de plain-pied (13,5 % des accidents graveset 2 % des décès)- 19 % : chutes de hauteur (25 % des accidents graves et34 % des décès)- 9,5 % : mouvements accidentels d'objets, de masses oude particules (6 % des accidents graves et 12 % desdécès)- 8 % : outils individuels à main (4 % des accidents graveset 0,5 % des décès)

On note ici que près du tiers des accidents ont pour causeorigine la manipulation d'objets ou le transport de chargeset qu'il s'agit de la deuxième cause d'accidents après leschutes soit de plain-pied soit de hauteur qui occasionnentprès de 40 % des accidents. On peut par ailleurs remar-quer que, dans nombre d'accidents, les chutes sont occa-sionnées par le fait que les opérateurs manipulent descharges, lourdes et/ou encombrantes, sources en particu-lier de déséquilibre, de fatigue et de manque de visibilité.

La question des manutentions est donc bien un problèmecrucial, dont il convient d'explorer les exigences réellessur le chantier et également ce qui a conduit à ce qu'enFrance, contrairement aux pays nordiques en particulier,cette question n'ait que très peu progressé au cours dela dernière décennie

La Fédération Nationale du Bâtiment et celle des TravauxPublics 4 identifient, parmi les facteurs de risques actuelslimitant l'amélioration de la sécurité, les points suivants :"des délais trop serrés, des intérimaires embauchés sansréelle formation, un matériel pas toujours adapté… Enoutre les aléas conjoncturels ne facilitent pas les choses :en période de crise, la profession laisse partir desouvriers qualifiés et quand une reprises se profile, elle est

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2. P. LORENT, Ergonomie, productivité, concertation, l’enjeu sécurité sur leschantiers de la construction, in L’ergonomie de conception, éd. Universitaires,De Boeck-Entreprise, Bruxelles, 1989, p. 61-73.

3. Données CNAM : Statistiques économiques et financières de 1992.

4. O. RIOUX et al., Dossier Santé : Le BTP sous haute surveillance, LiaisonsSociales, n° 87, Mars 1994, p. 36-50.

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obligée de recruter dans la précipitation, sans toujourstrouver du personnel compétent."

Le lien entre la qualification des salariés et la sécurité est ainsiclairement posé. De plus, si comme nous le développons ci-dessous, c'est la gestion des aléas et les exigences fréquentesde replanification qui caractérisent le travail dans le bâtiment,il est nécessaire de s'interroger sur l'influence, sur la maîtrisede ces aléas, de la présence simultanée sur les chantiers desalariés dont les qualifications et l'expérience différent.

SPÉCIFICITÉS DU PROCÈSDE TRAVAIL, QUALIFICATIONSET SÉCURITÉLes exigences du procès de travail dans le bâtiment appa-raissent en elles-mêmes porteuses de risques. La des-cription du procès de travail telle que la fait J. BOBROFF 5

illustre cet aspect : "Si le processus de rationalisation dutravail de chantier est marqué par la prescription destâches et le contrôle des temps, la double contrainte devariabilité externe (concernant le produit et la taille desséries) et interne (quantité de travail et enchaînement destâches), fait du chantier un procès de travail spécifique.Les aléas y sont plus nombreux que dans l'industrie etintrinsèques à l'acte de construire… Les activités dechantier exigent ainsi la mobilisation de savoirs profes-sionnels acquis dans la pratique, constituant une qualifica-tion de base mais les spécificités du procès de travail eten particulier la nécessité de le stabiliser impliquent d'yassocier d'autres savoirs, d'autres qualités. On pourraitmême émettre l'hypothèse que ces derniers sont encoreplus nécessaires dans la construction, où la gestion de lavariabilité reste prioritaire, que dans d'autres secteurs del'industrie où le procès est stabilisé par les machines."

De notre point de vue, cette réflexion de J. BOBROFF, surles spécificités du procès de production dans le bâtiment,éclaire remarquablement les problèmes que les salariéspeuvent rencontrer dans la gestion de la sécurité (la leuret celle de leurs collègues). En effet la sécurité dépendessentiellement de deux facteurs : la maîtrise des condi-tions de l'environnement et la maîtrise du temps6.

La maîtrise de l'environnement suppose la capacité de faireface aux aléas qui surviennent, en intégrant la nouvelleconfiguration des risques induite par l'aléa survenu. Elle estégalement profondément liée aux capacités d'anticiper surles dérives possibles, c'est-à-dire de réduire l'occurrencedes aléas. Ceci réfère avant tout aux compétences acquiseset à l'expérience qui évitent l'effet de surprise et font quel'opérateur dispose des moyens de répondre, d'apporterune solution à l'événement et que la stratégie qu'il vamettre en place prend en compte la nouvelle configurationde la situation du point de vue de ses risques potentiels.La maîtrise du temps est le deuxième élément essentielde maîtrise de la sécurité. Dans l'exécution de sa tâchetout opérateur tend à planifier son activité et la survenued'événements qui viennent perturber cette planificationest toujours coûteuse. Si, simultanément, les contraintesde temps s'accroissent (par exemple par la nécessité dedevoir faire face à un aléa mais de ne pas disposer dedélai supplémentaire pour achever le travail), TEIGER7

(1987) souligne qu'elles "aggravent tous les autres risquesen présence dans la situation de travail, modifient lamanière de travailler et peuvent amener à utiliser desprocédures plus coûteuses pour maintenir la cadence,des postures plus inconfortables".

Ainsi, si comme le souligne J. BOBROFF, "la gestion de la varia-bilité reste prioritaire", en même temps que "le processus derationalisation du travail de chantier est marqué par la pres-cription des tâches et le contrôle des temps", les conditionsde travail qui dominent sur un chantier sont en soi un fac-teur de risques à prendre en compte, en particulier en agis-sant sur l'organisation du travail, et notamment sur les condi-tions de la planification des interventions, sur la conceptiondes outils et des matériels et sur la formation des agents.

FIABILITÉ DU "SYSTÈME DEPRODUCTION" ETFACTEURS DE RISQUESSi l'on s'intéresse à la fiabilité du système de production,qui représente le déterminant essentiel de la sécurité, onpeut avec profit se référer à la classification proposée parFAVERGE 8 (1970), qui s'est attaché à identifier les facteursd'infiabilité des processus industriels par l'analyse sur leterrain des "points noirs" de l'insécurité, dont il retientplus particulièrement les interférences entre tâches et lesactivités de récupération.

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5. J. BOROFF, “Bac pro” : à la recherche de nouveaux profils professionnels, inModèles pédagogiques et rénovation des métiers : l’exemple des CFA et desLP.PCA, 1989, p. 27-43.

6. G. DONION-SHAW, L’influence des situations complexes et à risques rap-prochées sur la fiabilité humaine. Colloque Facteurs humains de la fiabilitéet de la sécurité des systèmes complexes, 17-18 avril 1991. Actes INRS,Nancy, 1992.

7. C. TEIGER, L’organisation temporelle des activités, in Traité de psychologiedu travail, PUF, 1987, p.659-682.

8. J.M. FAVERGE, L’homme, agent d’infiabilité du processus industriel,Ergonomie, 13, n° 3, 1970, 301-327.

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Les interférences entre tâches peuvent sedécliner en quatre catégories.

1. La co-activité : il y a co-activité aux points où travaillentdeux ou plusieurs catégories de gens fonctionnant dansdes systèmes différents, par exemple lorsqu'une équipede production et une équipe de construction ou de répa-ration occupent les mêmes places. La fragilité de cessituations tient le plus souvent à l'absence de coordina-tion et de communication entre les groupes : absenced'informations réciproques sur les tâches respectives,absence de consignes de sécurité communes…La multiplication des entreprises intervenant en sous-trai-tance, dans le cadre législatif actuel qui stipule que la res-ponsabilité du chantier relève de l'entreprise sous-trai-tante et non du donneur d'ordre, si elle évite les contratsde fausse sous-traitance, ne facilite pas la coordinationdes interventions et accroît les risques liés à la co-activité.

2. L'intersection : c'est le lieu où se croisent deux pro-cessus. Se pose ici la question de la planification des tra-vaux qui, si elle exclut le plus souvent de telles interfé-rences, peut se trouver, du fait des aléas, confrontée à unesituation de ce type.

3. La succession : c'est la période de transition où uneéquipe en remplace une autre pour continuer le travail. Icise posent la question des conditions de la relève, de lapassation des consignes, de l'information sur des pointscritiques, sur les aléas survenus et qui pourraient sereproduire ou influencer la suite du travail…

4. Zones frontières : ce sont les lieux où il y a change-ment de service, d'encadrement, de réglementation et oùles risques résultent souvent de défauts de communica-tion (on rejoint certaines des questions soulevées à pro-pos de la co-activité)

Les activités de récupération

d'après FAVERGE 9 (1977), "la situation de récupération estprésente lorsque la tâche normale est interrompue parun incident et qu'il est nécessaire de récupérer, c'est-à-dire d'œuvrer pour rétablir le cours habituel du travail"."On a alors une chaîne d'incidents au bout de laquellerisque de prendre place un accident".

La classification proposée par FAVERGE rend bien comptedu fait que le procès de travail sur les chantiers cumuleles "points noirs" en matière de sécurité et présente doncdes risques élevés d'infiabilité du système socio-tech-nique. Par ailleurs elle montre bien également que lesconditions actuelles du marché de la construction consti-tuent un facteur potentiel d'accroissement des risques.

LES ACTIVITÉS DU SECONDŒUVRE, POINT DE REN-CONTRE DES ENJEUX ETDES CONTRADICTIONS DUPOINT DE VUE DES CONDI-TIONS DE TRAVAIL ET DELA QUALITÉLe bon produit, au bon endroit, au bon moment, dans lesmeilleures conditions de manutention et de stockage, pourles compagnons et pour le produit.

C'est ainsi que avons résumé l'interrogation qui a guidé ladémarche de recherche, en lien avec certaines caractéris-tiques déjà identifiées du fonctionnement du second œuvre.

Les qualifications et les formes d'emploi

Le second œuvre est en moyenne plus qualifié que le grosœuvre mais les conditions actuelles du marché et laconcurrence le fragilisent. La plupart des entreprises opè-rent en sous-traitance et, de ce fait, leur fonctionnementest assez exemplaire du processus de précarisation dessalariés induit par l'instabilité des marchés : augmentationdes CDD et de la sous-traitance en cascade. Or, cescaractéristiques influencent directement les conditions desécurité et de qualité sur les chantiers.

La co-activité

Presque par définition, chaque corps d'état du secondœuvre intervient simultanément au gros œuvre ou auxautres corps d'état. Les risques liés à la co-activité ou auxcroisements de processus sont donc particulièrementprésents.

Les moyens de manutention

On a noté qu'en 1992, 31,5 % des accidents avaient pourcause-origine la manipulation d'objets et/ou les transportsde charge. Il s'agit de la deuxième cause d'accidents aprèsles chutes de hauteur ou de plain-pied. A ce niveau lesactivités du second œuvre sont très largement touchées.

Une dépendance des moyens du gros œuvre

Pour toutes les manutentions lourdes et encombrantes,les entreprises du second œuvre dépendent des moyensdu gros œuvre, en particulier de la grue. Il faut donc

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9. J.M. FAVERGE, Analyse de la sécurité du travail en termes de facteurs derisque, Revue Épidémiologie et santé publique, 25, 1977, 229-241.

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"négocier" les heures d'utilisation de ces moyens qui seplacent le plus souvent pendant les heures "creuses" desbesoins du gros œuvre : tôt le matin, pendant les pauses,notamment de midi… La qualification des agents qui uti-lisent les moyens de manutention du gros œuvre n'est,dans ces conditions, pas toujours garantie. De plus, dis-posant d'une durée d'utilisation limitée, les opérateursvont agir sous forte contrainte de temps, ce qui est péna-lisant tant pour la sécurité que pour la qualité.

Des approvisionnements individualisées et des manu-tentions avec "les moyens du bord"

Compte tenu des incertitudes dans lesquelles sont tenusles corps d'état quant à la date précise de leur interven-tion, liée aux aléas du planning du gros œuvre, les appro-visionnements en matériaux et matériels sont le plus sou-vent réalisés au coup par coup. De plus, la pratiqueactuelle fait que chacun prend à sa charge les approvi-sionnements correspondant à ses prestations. Il n'existeen aucune façon de fonction approvisionnement centrali-sée au niveau des corps d'état.

La plupart du temps, la réception, le déchargement, lestockage et le coltinage à pied d'œuvre sont réalisés dansl'improvisation et avec les "moyens du bord". Ces moyenssont le plus souvent rudimentaires (et très souvent pure-ment manuels…) car les besoins de chacun des lotsconsidérés isolément ne justifient pas en eux-mêmes l'ins-tallation d'un équipement mécanisé performant.

Or, on sait ce que les "moyens du bord" peuvent engen-drer comme risque pour les personnes manipulant etcelles placées à proximité et pour les produits eux-mêmes. Les chutes d'objets lourds et encombrants, malamarrés sont fréquentes ainsi que les chocs qui détério-rent les matériaux transportés.

Si l'on cherche à quantifier la part prise par les manuten-tions dans l'activité, certaines observations montrent quele temps passé par certains corps d'état aux manuten-tions de leurs produits peut atteindre 40 % de leur tempsd'activité (cas de la pose de châssis de fenêtres métal-liques). Plus souvent, cette part représente entre 10 et20 % de l'activité des compagnons. Rarement prise encompte dans les plannings, ou largement sous-estimées,ces manutentions, outre la fatigue qu'elles occasionnent,accroissent la pression sur les délais d'exécution des tra-vaux eux-mêmes et sont source d'erreurs et de non qua-lité.

Ces quelques éléments appuient la nécessité d'analyserles conditions de réception et de manutention des diffé-rents produits sur le chantier afin de proposer desmoyens adaptés aux besoins, au niveau technique d'unepart, organisationnel d'autre part.

Des évolutions de la réglementation : desexigences futures pour les manutentions etle conditionnement

La directive européenne concernant les prescriptionsminimales de sécurité et de santé relatives à la manuten-tion manuelle des charges comportant des risques pourles travailleurs, est entrée en application en France le 1er

janvier 1993.

Elle prévoit en particulier :

que l'employeur doit prendre des mesures d'organisa-tion appropriées ou utiliser les moyens adéquats afind'éviter le recours à la manutention manuelle compor-tant des risques pour les travailleurs, notamment dorso-lombaires, en raison des caractéristiques de la charge oudes conditions ergonomiques défavorables

que l'employeur doit évaluer les risques encourus etorganiser les postes de travail de façon à éviter ou réduireces risques, en recherchant des aides mécaniques et enfournissant des accessoires de prévention.

Le code du travail limite à 55 kg les charges manuten-tionnées manuellement, lorsque celles-ci ne peuvent êtreévitées. La directive européenne recommande de fixer lalimite à 25 kg et depuis 5 ans en Hollande, la directiveARBOWET déconseille la manipulation manuelle decharges de plus de 18 kg. Il ne s'agit encore que derecommandations mais il est certain que de telles évolu-tions vont conduire inévitablement à une reprise du codedu travail dans les prochaines années.

Les conséquences de ces évolutions, favorables à la santéet à la sécurité, imposent de disposer des moyens demanutention appropriés, qui sont encore largement àconcevoir ainsi que de revoir certains modes de condi-tionnement des produits dès lors qu'ils devraient conti-nuer à être manutentionnés manuellement, pour tout oupartie de leur acheminement à pied d'œuvre. Ces amé-liorations ne devraient d'ailleurs pas concerner que lechantier lui-même. En effet, les matériaux et produitsdivers subissent au cours de leur acheminement jusqu'auchantier de nombreuses manipulations : stockage/destoc-kage en usine, chargement/déchargement dans lescamions de livraison, avec de fréquents stockages/destoc-kages intermédiaires, qui devraient également bénéficierdes améliorations du conditionnement des produits. Laréflexion sur le conditionnement devra aussi bénéficier àla qualité du transport en assurant une protection efficacedes produits ainsi que leur identification précise et acces-sible quels que soient le lieu et les conditions du stockage.

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UN DIAGNOSTICCONSTRUIT SUR LA BASED'UNE ANALYSE APPRO-FONDIE D'UN CHANTIER"CLASSIQUE"Privilégiant l'approche ergonomique, c'est-à-dire l'analysedes conditions réelles de l'activité, la recherche s'estancrée sur le suivi des interventions des Corps d'ÉtatSecondaires sur un chantier "classique", les élémentsrecueillis devant servir de base à une réflexion dans deuxdirections :

technique : les moyens de manutention, verticaux ethorizontaux, les conditionnements et le marquage-identi-fication des produits pour une mise à disposition à piedd'œuvre, les cheminements et les zones de stockage surchantier,

organisationnelle : les conditions d'une planificationdes travaux intégrant les contraintes propres aux corpsd'état secondaires et facilitant la prise en compte desaléas et la simulation d'une fonction logistique de chantiertous corps d'état, notamment sur le plan de la gestion desapprovisionnements "en temps, heure et qualité".

Les conditions de l'analyse

L'étude de la gestion des flux physiques des corps d’étatsecondaires et des conséquences de ses modalités sur lesconditions de travail, s'appuie donc sur un ensembled'observations détaillées, réalisées sur un chantier delogements sociaux (HLM) dans la banlieue parisienne. Lechantier est organisé en entreprise générale, réalisatricedu gros œuvre et coordonnatrice des travaux réalisés parles corps d'état secondaires.Ces observations ont permis de définir un ensemble defacteurs, caractéristiques de certaines difficultés rencon-trées dans la gestion des flux physiques par les entreprisesdes corps d'état secondaires. Ce rapport présente lesanalyses produites à partir du suivi du travail des princi-paux corps d'état secondaires sur le chantier et les pistesà suivre pour améliorer tant la gestion des flux elle-mêmeque les conditions de travail des intervenants.

Les principaux facteurs identifiés sont :- Les aléas de la planification des tâches- La gestion des approvisionnements- La disponibilité et l'accessibilité des aires de stockage- La prééminence des manutentions manuelles- La conception des circulations et des accès aux zonesde travail

Le rapport présente, à la suite des principales caractéris-tiques du chantier étudié, l'analyse des modes de fonc-tionnement interne des différentes entreprises de secondœuvre intervenant sur le chantier étudié et des moyens derégulation qu'elles adoptent face aux multiples aléas. Cetteanalyse permet d'identifier à la fois les caractéristiquescommunes aux entreprises et les spécificités de chacuned'entre elles et d'orienter ainsi les priorités d'action.

Par ailleurs, au niveau de l'analyse de l'organisation du tra-vail, nous sommes remontés en amont de l'exécution,afin d'identifier, "à la source", l'origine de certains pro-blèmes ou dysfonctionnements subis par les entreprisesdu second œuvre. Nous avons ainsi questionné deuxaspects qui nous sont apparus comme les déterminantsprincipaux des contraintes et/ou des marges de libertédes entreprises et qui constituent par ailleurs les phasespréparatoires à la réalisation des opérations sur le chan-tier. D'une part, la planification des interventions et sonréaménagement en cours de chantier, d'autre part, l'exé-cution et la circulation des plans détaillés et leurs modifi-cations éventuelles en cours de chantier. L'analyse dufonctionnement de la commission de coordination qui"accompagne" le déroulement du chantier a fait appa-raître les logiques propres aux différents intervenants,leurs complémentarités et leurs oppositions et, en consé-quence, les axes d'amélioration.

L'analyse des points critiques dans l'organisation des fluxphysiques a fait ressortir que, peut être moins que lesapprovisionnements eux-mêmes, les stockages, les circu-lations et les petits moyens de manutention devaient fairel'objet d'une attention particulière.Compte tenu de leur capacité de représenter certainescontraintes pesant fortement sur l'activité des corpsd'état secondaires, certains métiers font l'objet d'uneanalyse plus détaillée. Ils illustrent notamment certainesformes de dégradation des conditions du travail des sous-traitants en lien avec l'accroissement des contraintes tem-porelles. Ils peuvent expliquer aussi les difficultés grandis-santes du secteur à former et recruter des jeunesouvriers qualifiés.

L'ensemble de ce rapport propose, simultanément auxconstats associés à l'étude du déroulement du chantier,des pistes de réflexion pour améliorer l'organisation et lagestion des flux physiques des CES. Le premier chapitredu rapport récapitule cependant un ensemble d'orienta-tions et de recommandations portant plus spécifique-ment sur l'organisation du travail et susceptibles d'êtremises en œuvre dans le cadre de l'opération expérimen-tale pilote. Les conditions de la planification et de la pré-paration du chantier et l'organisation de la fonction degestion des flux physiques sont ainsi plus largement dis-cutées, mais aussi les moyens de manutention à mettre àla disposition des CES et les conditions qui doivent impé-rativement y être associées.

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Les flux physiques des corps d'état secondaires sontcomplexes et toutes les observations ont confirmé cettecomplexité. Des régulations quotidiennes sontconstamment mises en œuvre pour pallier auxdéfaillances d'une planification assez éloignée du réel,en raison des difficultés de sa réactualisation et du défi-cit de communications et de concertation, compte tenunotamment de la multiplicité des acteurs impliqués.

Cependant, en dépit de la somme importante d'aléasquotidiens, la capacité d'absorption et, partiellement, derécupération en temps réel des dysfonctionnements, estimportante. Elle s'appuie sur la responsabilité, individuelleet collective, que l'on rencontre sur le chantier. Chaquecompagnon, chaque responsable, semble avoir le souci defaciliter la bonne marche de l'ensemble, en aidant àcontourner les nombreuses "embûches". "On s'arrange,on se débrouille entre nous" : cette phrase prononcéepar un ouvrier nous semble refléter l'esprit d'équipe et decoopération qui règne sur le chantier.

Cette coopération est le plus souvent dictée par des inté-rêts, immédiats et convergents, comme la libération d'unevoie de passage ou encore le partage d'une aire d'activité.Le menuisier va installer les plinthes dans une autre pièce

si le peintre doit intervenir sur le même espace. Les deuxopérateurs travailleront "plus à l'aise". Le ferrailleur, quidispose d'une certaine souplesse dans l'organisation deson travail, va déplacer sa zone de travail pour permettreà l'électricien de réaliser, sans risque et sans gêne, sesincorporations. L'ascensoriste prévient le plâtrier qu'ilstocke du matériel dans un espace où lui-même a desmatériaux, mais qu'il libérera l'espace si cela s'avèrenécessaire… Ce type de coopération se fait sur la basede négociations, le plus souvent informelles, dans unesorte d'accord et de reconnaissance tacites des intérêtset besoins mutuels.

Ces coopérations entre les corps d'état, où gros œuvreet second œuvre ne se différencient pas, si elles s'opèrentsur le chantier, en temps réel, ne semblent pas avoir leuréquivalent dans le cadre des relations entre l'entreprisegénérale et les responsables des entreprises du secondœuvre. Les logiques de négociation ne sont pas, à ceniveau, guidées par les mêmes impératifs. L'entreprisegénérale a pour objectif de tenir les coûts et les délais,d'une certaine façon indépendamment des aléas.Compte tenu des faibles marges de manœuvre dont elledispose, les entreprises sous-traitantes se trouvent elles-mêmes soumises à ces contraintes et, face aux aléas(modifications, dérive du planning…), même lorsqu'ellesn'en sont pas responsables, leurs marges de négociationparaissent se réduire au fur et à mesure de l'avancementdu chantier.

Les conséquences de ces pressions croissantes sontvisibles au niveau du chantier. D'une manière générale,elles conduisent à des formes d'organisation du travail quivont dans le sens de sa parcellisation et de la répétitivitédes tâches, facteurs de déqualification du travail et d'alté-ration de la santé physique et mentale. Elles rendent aussiplus fragiles les coopérations, intra et inter-entreprises car,si les marges de manœuvre diminuent drastiquement,chacun peut être tenté de sauvegarder ses propres inté-rêts. Une telle évolution ne peut être que défavorable àla bonne marche d'ensemble du chantier tant sur le plande la qualité que de la sécurité du travail.

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Synthèse et recommandations

Les manutentions manuelles sont à l’origine du tiers des accidentsdu travail dans le BTP

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Rendre compatibles des logiques aussi manifestementdivergentes n'est évidemment pas aisé. L'entreprise géné-rale peut-elle en effet être à la fois attentive aux besoinset aux contraintes des corps d'état secondaires pourassurer un rôle de coordination qui tiendrait compte deleurs intérêts et, simultanément, leur imposer des exi-gences contradictoires avec ces mêmes intérêts ? Et, si ellele peut comment ? C'est ce à quoi nous avons tenté d'ap-porter des éléments de réponse en termes de planifica-tion des activités, de préparation du chantier, d'organisa-tion du travail et de moyens matériels nécessaires auxcorps d'état secondaires.

LA NÉCESSITÉ D'UNERÉFLEXION GLOBALE ET DYNAMIQUEUn dysfonctionnement majeur observé, sur le chantierétudié, au niveau de l'accès à l'un des bâtiments, réduit àl'utilisation d'une petite échelle métallique, et le coût qu'ilen est résulté pour les CES, est en quelque sorte révéla-teur de la logique dominant dans l'organisation du chan-tier : la fascination exercée par le béton éclipse l'activitédes sous-traitants des corps d'état secondaires.

Les possibilités d'amélioration de la gestion des flux phy-siques des corps d'état secondaires passent donc par uneréhabilitation de l'activité des sous-traitants, qui sont lesprincipaux concernés, et une remise en question du sta-tut quasi monarchique du béton. De plus, compte tenudes capacités de régulation des compagnons, observéesau cours du déroulement du chantier, il est nécessaire des'appuyer sur leurs compétences et donc de leur donnerles moyens susceptibles de favoriser au mieux l'exercicede ces régulations, c'est à dire aussi qu'elles aient un véri-table statut au sein de leur activité.

INTÉGRER LES SPÉCIFICITÉSDES CORPS D'ÉTAT SECON-DAIRES DANS L'ÉLABORA-TION DES PLANNINGSCONTRACTUELSL'amélioration de la gestion des flux physiques ne peut sefaire qu'en prenant en compte les logiques et lescontraintes propres à chacun des CES et ce le plus enamont possible du projet.

Le CCAP (cahier des clauses administratives particu-lières) définit les délais de préparation - en général dedeux ou trois mois - et d'exécution. Les plannings sontquant à eux élaborés à partir des données techniquescontenues en particulier dans le devis descriptif portédans le CCTP (cahier des clauses techniques particu-lières). Dans ce dernier document, sont décrites les tâches élémentaires à réaliser pour la construction detout l'ouvrage entièrement achevé comprenant, donc, lestravaux de sous-traitants.

Les plannings sont ainsi précocement déterminés alorsque les sous-traitants ne sont, pour la plupart, pas connus(et en tout cas pas "officiellement") et qu'il n'y a pas dedescriptif des tâches réelles qui seront effectuées. Lesbases sur lesquelles s'appuie l'entreprise générale pourélaborer les plannings sont ainsi très largement standardi-sées. Cela veut dire qu'elles n'intègrent pas ou très peules spécificités de l'ouvrage vis à vis des différents corpsd'état et notamment de ceux qui interfèrent directementavec le gros œuvre, électriciens et plombiers-chauffa-gistes, en particulier.

Or, plus l'architecture du bâtiment est complexe et,notamment, lorsqu'il s'agit d'habitat, plus la diversité deslogements est grande, plus la prise en compte des don-nées propres aux CES est nécessaire. En effet, l'absencede répétitivité crée des contraintes temporelles spéci-fiques aux corps d'état chargés des incorporations avantle coulage du béton. Tant les problèmes d'espace que lesexigences de maîtrise de la qualité ne permettent pas demultiplier les intervenants dans la réalisation de cestâches. Elles ne peuvent donc être planifiées sous ladépendance des besoins liés au coulage du béton.

Cela suppose un préalable : qu'avant toute planificationdes travaux l'entreprise générale définisse la complexitéde l'ouvrage, du point de vue de chacun des corps d'état,et qu'elle y associe les exigences temporelles ainsi que lesconditions d'exécution, qui ont, elles aussi, une incidencesur le temps (besoins spatiaux, limitation des co-activités…).

C'est sur la base de cette évaluation que doit s'établir leplanning prévisionnel, défini par l'entreprise généraleavant la sélection des sous-traitants. Dans cette configu-ration les intérêts des sous-traitants étant pris en comptedès la contractualisation du marché, la renégociation desplannings, si elle reste nécessaire, ne relève plus que del'ajustement et rentre plus aisément dans les marges quel'entreprise générale a nécessairement gardées, ne serait-ce que pour faire face à ses propres besoins de flexibilité.

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UNE FONCTIONLOGISTIQUE À DÉPLOYERPRÉCOCEMENT ET ÀSITUER AU PLUS PRÈS DELA RÉALISATIONComme nous l'avons affirmé plus haut, la réflexion rela-tive à la gestion des flux physiques des corps d'étatsecondaires doit émerger dans le fonctionnement globaldu chantier. Elle doit donc déborder en amont et en avalles phases de la réalisation du seul gros œuvre. Pour cela,après une contractualisation des marchés, qui doit pré-server les intérêts du sous-traitant, la phase préparatoiredu chantier doit aussi être construite en partenariat effec-tif réunissant les différents interlocuteurs devant interve-nir, à quelque moment que ce soit, dans les travaux.

Les données recueillies sur le chantier étudié montrent ladiversité des pratiques des différentes entreprises enmatière d'approvisionnement, de transport et de manu-tention. Cette diversité n'est par ailleurs pas seulementrelative aux caractéristiques des matériaux acheminésmais tient aussi à la taille de l'entreprise et surtout à sondegré de dépendance vis à vis des fournisseurs et plusencore des transporteurs.

Les difficultés de la gestion des flux physiques semblent eneffet s'accroître avec la taille de l'entreprise et le nombredes fournisseurs. Elles sont par ailleurs redoubléeslorsque l'entreprise ne dispose pas de ses propresmoyens de transport et/ou de manutention10.

Une mise à plat de l'organisation desapprovisionnements des différents corpsd'état

On peut ainsi d'ores et déjà souligner que l'organisationde la logistique sur un chantier ne peut être totalementprédéterminée, à l'inverse de ce que semblent souhaiteret viser les entreprises générales. En effet, si un certainnombre de principes d'organisation peuvent naturelle-ment être retenus, le détail de cette organisation doitêtre construit en relation avec les logiques techniques etéconomiques qui guident le fonctionnement de chacunedes entreprises intervenantes, aussi bien qu'avec lescontraintes propres au chantier, qui ne sont jamais iden-tiques d'un chantier à l'autre.

Cela signifie aussi qu'une première étape, indispensable àl'organisation de la logistique, sur un chantier particulier,doit consister à recueillir systématiquement les donnéessur les modalités habituelles de gestion des approvision-nements mises en œuvre par les entreprises des CES,ainsi que nous l'avons fait dans l'analyse du chantier ayantservi de point d'ancrage à cette étude.

En parallèle, il s'agit de mesurer les contraintes mais aussiles marges de manœuvre existant sur le chantier : acces-sibilité, stockages, moyens de manutention, nature desaléas potentiels (par exemple un chantier hivernal risqueplus facilement de prendre du retard qu'un chantier esti-val), contraintes temporelles, enchaînement particulier decertaines tâches, complexité de l'ouvrage…

Pour la mise en place de la première étape, il s'agit ici deconstituer une fiche descriptive, par entreprise, compor-tant les données stratégiques du point de vue de l'orga-nisation et de la gestion des flux physiques. Les donnéesà recueillir sont les suivantes :

Organisation générale- taille de l'entreprise : effectifs,- part des activités sous-traitées,- effectifs d'ouvriers prévus sur le chantier et niveau dequalification des équipes, selon les différentes étapes dutravail, et part prévisible d'appel à des sous-traitants oudes intérimaires,- encadrement prévu sur le chantier : proportion detemps de présence,- forme de rémunération de la main d'œuvre (fixe,primes, rendement…).

Les fournisseurs- nombre,- localisation,- délais d'approvisionnement pour chacun des produits,en distinguant les fournisseurs exclusifs,- lieu d'approvisionnement des produits : atelier ou direc-tement chantier.

Le circuit des commandes et les conditions de leurréception- commandes établies sur les bases définies par le bureaud'études : nature des commandes, degré de modificationspossibles, a priori (produits de substitution ou capacitésd'adaptation à des modifications intervenant en cours dechantier de la part du maître d'œuvre ou du maître d'ou-vrage), degré d'anticipation par rapport aux besoins(délais et quantités) et responsable(s) de leur mise enœuvre (déclenchement) et de leur réception (à l'atelieret/ou sur le chantier),- commandes directes à partir du chantier : nature descommandes, niveau d'anticipation par rapport auxbesoins (délais et quantités) et responsable(s) de leur

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10. Cette remarque recoupe les observations faites dans le cadre de larecherche “Pour une organisation rationnelle entre acteurs du bâtiment etles industriels sur les chantiers de demain”, rapport de recherche PCA-Chantier 2000, janvier 1996.

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mise en œuvre (déclenchement) et de leur réception (àl'atelier et/ou sur le chantier),- nature des contraintes financières liées aux différentsproduits, notamment en relation avec les coûts de trans-port et/ou de stockage : commandes groupées ou aucontraire approvisionnement au fur et à mesure desbesoins (avec les risques de rupture d'approvisionnementque cela inclut),- nature des documents accompagnant les commandesréceptionnées sur le chantier, par type de commande, etnature de l'archivage de ces documents.

Les transports et la manutention- moyens de transport utilisés par type de produits etdétenteurs de ces moyens de transport,- modes de conditionnement et degré de "fragilité" desproduits,- modes de manutention des produits aux différentesétapes de leur transport,- identification des produits dont la manutention poseproblème, de façon habituelle : encombrement, poids,fragilité, quantités…- en relation avec les manutentions, les besoins de circu-lation et les exigences d'accessibilité aux zones de stoc-kage ou de fabrication/montage devront être identifiés.

Les stockages- modes de stockage des produits aux différentes étapes :chez le fournisseur, dans l'entreprise, sur le chantier,- besoins en stockages spécifiques sur le chantier : maté-riaux fragiles ou à protéger contre le vol.

L'élaboration d'un planning "logistique"

Lors des différentes rencontres, précédant le début destravaux, un certain nombre de points doivent être abor-dés, dans une vision cinétique du déroulement du chan-tier. Mais, dans cette approche intégrée, la fonction logis-tique doit faire l'objet d'une démarche spécifique. Lesvoies d'accès, les aires de stockage et les moyens demanutentions doivent faire l'objet de discussions qui défi-niront les droits et devoirs de chaque partenaire, maisaussi une stratégie pour que la gestion des flux soit conti-nûment adaptée à l'avancée des travaux.Ainsi, la fonction logistique mise en place précocementpermettra d'intégrer et surtout d'anticiper les situationspénalisantes, et de prévoir des solutions de rechange, évi-tant des improvisations le plus souvent coûteuses physi-quement pour les ouvriers, mais aussi financièrementpour les sous-traitants.

Dans la recherche d'un fonctionnement efficace de cettestructure, l'identification et l'analyse des différents incidents,qui perturbent, de façon répétitive, le déroulement deschantiers, sont indispensables, les fiches établies pour chaqueentreprise constituant le support de cette reconnaissance.

En effet, ces incidents sont la source essentielle des diversdysfonctionnements qui affectent les flux physiques descorps d'état secondaires.

Il est donc impératif de réduire les éléments aléatoires outout du moins les facteurs qui favorisent l'émergence desaléas tels que les choix instantanés des aires de stockagesou l'arrivée imprécise des fournitures sur le chantier ouencore une disponibilité non planifiée des moyens demanutentions. Pour cela, les différents intervenants sur lechantier doivent améliorer tant leurs méthodes d'infor-mation et de communication que leurs instruments d'ob-servation, comme les registres aujourd'hui quasimentabsents. Quand ces derniers existent, la pauvreté desinformations qu'ils comportent les rend le plus souventinexploitables. Mais cette préoccupation doit aussi êtrecelle des sous-traitants et là il est clair également que desprogrès doivent être faits. On a pu ainsi noter que lemenuisier extérieur s'est révélé incapable de se remémo-rer, quelques mois plus tard, l'incident du report dudéchargement de ses articles, pour retard horaire à lalivraison, qui lui a pourtant coûté plus de 20000 francs.

Hormis dans les cas très particuliers de très grosses livrai-sons, nécessitant de définir précisément les zones destockage et/ou demandant impérativement la grue, lagestion des flux physiques des CES nous est apparucomme ne faisant l'objet d'aucun suivi au niveau de l'en-treprise générale. De plus, les conditions de réception deces livraisons sont débattues au cas par cas, sans anticipa-tion préalable, ce qui veut dire aussi qu'elles ne sont, enaucun cas, inscrites dans les plannings du chantier.

Nous proposons qu'il soit établi, dans la phase de prépa-ration du chantier, un planning logistique prévisionnel.

Ce planning parallèle au planning des travaux de chacundes lots, établira, pour chaque lot, toutes les prévisionsd'approvisionnement en précisant plusieurs points : lesdates de déclenchement des commandes, les conditionsde manutention à la réception et les lieux de stockage.Chaque entreprise établira un planning le plus détaillépossible et un planning général sera constitué à partir desplannings détaillés, mettant en évidence les points cri-tiques : risques de chevauchement d'approvisionnements,besoins simultanés des mêmes moyens de manutention,notamment de la grue, limites des stockages disponibles,circulations et accessibilités limitées… Les arbitrages quipourront être opérés dès cette phase de préparationentraîneront la modification concertée des plannings. Lespoints supposés critiques et sans solution immédiateseront clairement identifiés et les dates butoirs pourréanalyser la situation seront fixées.

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Une délégation de responsabilité dans lagestion des flux physiques, au niveau desouvriers les plus qualifiés

Au niveau des entreprises des CES, les ouvriers doiventpouvoir bénéficier d'une véritable délégation de respon-sabilité dans la gestion des approvisionnements, c'est àdire dans la mise en œuvre du planning logistique prévi-sionnel. Cela signifie qu'ils doivent être informés des com-mandes et livraisons, pouvoir traiter directement avec lecorrespondant de leur entreprise chargé de cette fonc-tion en cas d'aléa (en lien bien entendu avec le commisresponsable du chantier) et être aptes à vérifier, avec l'en-treprise générale, les conditions de leur manutention etde leur stockage sur le chantier, conformément au plan-ning prévisionnel et, en cas d'écart non prévu avec lesdonnées prévisionnelles à négocier les nouvelles condi-tions de réception et de stockage.

Actuellement, la gestion des approvisionnements est prin-cipalement assurée par la direction de l'entreprise sous-traitante du corps d'état secondaire concerné qui, elle-même, le plus souvent, sous-traite leur acheminement surle chantier.

Le chef de chantier de l'entreprise a peu de pouvoir surcette gestion dont il subit les aléas. La quasi totalité deschefs de chantier des corps d'état secondaires est inca-pable de définir avec précision l'heure et même parfois lejour de livraison des approvisionnements. Ils ne peuventdonc intégrer les livraisons dans leur programme de tra-vail. Parfois même, le chef de chantier ignore la natureexacte des fournitures livrées. Il doit alors improviser lesmoyens de manutention et les lieux de stockage néces-saires. Ne connaissant pas toujours le fournisseur ni letransporteur qui doit assurer ces approvisionnements, ilne pourra pas aller à la source d'une information précisequi lui permettrait de mieux anticiper et de réguler avecefficacité la gestion des approvisionnements. Il doit donc,le plus souvent, parer au plus pressé : le déchargementdans les délais les plus courts, compte tenu descontraintes du transporteur, et la mise en sécurité contrele vol et/ou les intempéries.

Par ailleurs, la trace de ces livraisons, non planifiées lors desrencontres hebdomadaires qui réunissent la direction del'entreprise générale et les directions des corps d'étatsecondaires, ne se retrouve pas toujours dans les docu-ments de gestion du chantier. Ainsi, elle ne bénéficient pasd'un statut qui leur donnerait une représentation plusproche de la réalité et les ferait émerger dans la vie du chan-tier, ce qui permettrait une prise en charge plus efficace.

Compte tenu de la faible disponibilité moyenne des chefsde chantier des entreprises des CES, d'autant plus lors-qu'ils ont en charge simultanément plusieurs chantiers, ce

qui est fréquemment le cas, il est nécessaire de déléguerla responsabilité de la gestion des approvisionnements,sur le chantier, aux personnels permanents c'est-à-direaux compagnons. Ceux-ci pourraient également trouverdans l'exercice de cette responsabilité un enrichissementde leur métier, que les conditions de la sous-traitance ontpar ailleurs plutôt tendance à appauvrir et à dévaloriseren le parcellisant.

L'objectif est donc ici de désigner, au niveau de chaqueentreprise de second œuvre, un correspondant, respon-sable de la logistique, doté des moyens opérationnels,c'est à dire à la fois matériels et temporels, d'assurer lesuivi des approvisionnements, de leur date de commandejusqu'à leur mise à disposition des équipes intervenantessur le chantier, dans les conditions définies par le planninglogistique prévisionnel, en relation avec le coordinateurlogistique désigné au sein de l'entreprise générale.Cela signifie que chaque entreprise de second œuvredevra non seulement désigner son correspondant logis-tique mais également spécifier les moyens dont il dispo-sera pour assurer ce rôle : type et mode de transmissiondes informations, garanties (et recours) sur le bon fonc-tionnement de la circulation de ces informations, degréd'autonomie, type d'assistance au sein de l'entreprise… Ilimporte de parvenir à une certaine homogénéité desrôles et des responsabilités assurés par chacun des cor-respondants, tant pour constituer une structure équili-brée au niveau de ses membres, garante d'un meilleurfonctionnement que pour parvenir à la définition d'unprofil-type, susceptible d'être généralisé sur tout chantier.

Une structure de gestion des flux physiquesanimée par un coordinateur logistique dési-gné au sein de l'entreprise générale

Le suivi du chantier a amplement montré que la coordi-nation des activités des CES revêt une importance stra-tégique. L'entreprise générale, compte tenu de sa placeauprès du maître d'œuvre et du maître d'ouvrage, restela mieux placée pour assurer cette fonction, même si lestensions observées11 en soulignent les limites.

Cependant, nous faisons l'hypothèse que la concertationprécoce avec les sous-traitants, telle que nous l'avonsdéfinie, c'est-à-dire favorisant l'identification des besoinset des contraintes des CES, la négociation des planningsdes travaux et incluant l'élaboration d'un planning logis-tique prévisionnel, est un facteur d'atténuation majeurdes tensions et contradictions recensées.

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11. Il faut rappeler ici, qu’en dépit de certaines “fictions” et d’une “coordi-nation” avec laquelle les négociations tournaient rarement à leur avantagedirect, toutes les entreprises sous-traitantes s’accordaient pour louer le bonfonctionnement du chantier et la qualité des relations avec l’équipe diri-geante du chantier.

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Nous avons vu en effet, à travers l'analyse des réunionsde coordination, que l'objet de la coordination tendait àse déplacer, au fur et à mesure de l'avancement du chan-tier, de la satisfaction des besoins des CES à l'impositiondu respect des plannings et des délais indépendammentdes aléas survenus. Cette "dérive" de la coordination nepeut qu'être largement atténuée dès lors que planningset délais auront intégré, dans la concertation préalable, lesmarges de manœuvre indispensables aux entreprisespour répondre aux exigences de qualité et favoriser lesconditions de travail et la sécurité des compagnons.

La coordination doit être particulièrement attentive à lagestion des enchaînements entre les intervenants quipeuvent être concomitants. Dans ce cas, les formes desarticulations doivent être particulièrement discutées parles corps d'état concernés, qui définiront leur rôle, maisdemanderont à l'entreprise générale de s'y adapter enfonction de ses obligations et de ses moyens.

L'ordre d'ajustement aux plannings doit être approprié audéroulement des travaux et la prééminence accordéeaux tâches prioritaires. Le béton ne doit pas systémati-quement bénéficier de la primauté des moyens de manu-tention et les CES ne doivent pas non plus se trouver sys-tématiquement asservis aux délais du gros œuvre et à sesaléas.

Devant un sentiment de dépendance qui s'accroît, onnote un comportement défensif des CES pour tenter derésister : "Vous n'allez pas décider de mon organisation detravail ", déclare un commis au directeur de travaux del'entreprise générale qui lui conseillait une forme derépartition du personnel sur le chantier pour réaliserrationnellement certaines tâches, dans des délais fixés parl'entreprise générale. Ce type de discussion dénote unecertaine méfiance entre les partenaires, engendrée parune organisation du travail fragmentée, dont les éléments,aux statuts déséquilibrés, s'affrontent ou s'évitent.

Devant ce déséquilibre, qu'ils subissent le plus souvent,les CES cherchent néanmoins à se préserver une auto-nomie d'action où s'expriment leurs savoir-faire. Dans cecontexte, toute initiative de l'entreprise générale visant àcoordonner les actions du sous-traitant, est perçuecomme une incursion et une menace pour cette autono-mie.

Ce constat renforce le plaidoyer pour l'intégration, dansl'organisation du chantier, des besoins d'autonomie, liés àleur compétence, et de marges de manœuvre, liées àleurs contraintes, des sous-traitants. L'efficacité de lacoordination ne peut être que renforcée par le respect etla confiance mutuelle, tant entre l'entreprise générale etles sous-traitants qu'entre les sous-traitants eux-mêmes.

L'organisation et la gestion des flux physiques doivents'intégrer dans cette logique. C'est dans ce sens que nousemployons le terme de structure de gestion pour souli-gner que la gestion des flux physique par sa complexité etle nombre important d'intervenants ne peut être tenueque par une structure collective, ce qui ne l'empêche pasd'être animée par un agent à qui on en confie la fonctionet qui, en toute logique, appartient à l'entreprise géné-rale.

Nous avons esquissé les contours de cette structure col-lective en insistant sur la proximité nécessaire avec le ter-rain et en faisant l'hypothèse que la responsabilité de lagestion des flux physiques pouvait revenir, dans les entre-prises des CES, aux compagnons les plus qualifiés.

Sur le chantier observé, la coordination des CES, incluantla fonction logistique, était assurée par l'entreprise géné-rale, qui y avait affecté un conducteur de travaux, ingé-nieur de formation. Comme nous l'avons rappelé précé-demment, nos observations ont montré, en quelquesorte, une "dérive" de la coordination de la fonction d'ac-compagnement des CES vers la fonction de contrôle.

Même si les conditions d'une concertation préalable sontréunies, favorisant une organisation du travail en cohé-rence avec les caractéristiques des activités des CES, ilnous semble cependant que, du côté de l'entreprisegénérale, la gestion des flux physiques ne doit pas être dela responsabilité du conducteur de travaux. En effet, d'unepart sa fonction ne lui permet pas d'assurer une présence"physique" intensive sur le terrain, d'autre part, si la res-ponsabilité de cette gestion est déléguée aux compa-gnons chez les sous-traitants, il nous semble assez évidentque le dialogue ne sera pas équilibré si l'interlocuteurdans l'entreprise générale a un niveau de responsabilitétrop élevé.

C'est donc dans le même esprit de délégation qu'il faut,selon nous, penser la responsabilité de cette gestion desflux physiques des CES au sein de l'entreprise générale.Doit-elle être dévolue à un chef de chantier ou être unemission spécifique d'un chef d'équipe ? Dans le cas duchef de chantier, le risque est que cette tâche viennealourdir sa charge de travail, sans qu'il soit véritablementdéchargé de ses autres tâches habituelles. Si la responsa-bilité en est confiée à un salarié ayant le niveau d'un chefd'équipe, il est plus aisé, du moins nous le pensons, dedéfinir sa fonction en affectant une part précise de sontemps à cette activité.

D'une certaine façon cela signifie que, plus que le choixde ceux qui seront responsables de cette fonction, tantpour l'entreprise générale que pour les CES, ce quiimporte c'est qu'elle soit "officiellement" reconnue. Cela

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veut dire qu'elle est comptabilisée en temps nécessaire etorganisée en vue de son efficacité, donc qu'elle disposeaussi des moyens nécessaires, notamment en informa-tions et qu'on lui reconnaît une capacité de négociation.

Nous proposons donc que, de même que chaque entre-prise intervenant dans le second œuvre désigne, dans laphase de préparation du chantier, son correspondantlogistique, que l'entreprise générale désigne de son côté,dans cette même phase, le coordinateur logistique.

Définir l'organisation de la structure degestion des flux physiques

Définir des responsabilités et des moyens est une chosemais il s'agit aussi de définir les conditions du fonctionne-ment quotidien de cette structure de gestion des fluxphysiques.

Nous proposons :

une réunion quotidienne courte, en début de journée,entre le coordinateur logistique et tous les correspon-dants logistiques des CES présents sur le chantier à desfins de :- bilan des événements de la veille et des éventuelles dif-ficultés rencontrées,- consultation du planning et des documents associéspour faire le point sur les livraisons matinales attenduespour le lendemain et sur les livraisons attendues dans lajournée ainsi que sur les conditions d'organisation de leurréception : vérification de la disponibilité des moyens demanutention, des aides en personnels, des lieux de stoc-kage prévus, des conditions d'accessibilité…- point sur l'organisation des approvisionnements deszones de stockage vers les zones de "montage" lorsqueles matériaux n'ont pas été disposés à pied d'œuvre aumoment de leur livraison : vérification et/ou programma-tion de la disponibilité des moyens de manutention, desconditions d'accessibilité, des aides en personnels, desquantités à manutentionner et des fragmentations à opé-rer au cours de la journée (manutention en une ou plu-sieurs fois), compte tenu des espaces de travail…- vérification du lancement des commandes telles queprévues au planning logistique,

en cas de difficultés rencontrées au niveau de l'une oul'autre des entreprises des CES, pour les livraisons, lesmises à pied d'œuvre ou les commandes, prolongation dela réunion entre le coordinateur logistique et le corres-pondant logistique de l'entreprise concernée pour déci-der des mesures à mettre en œuvre pour pallier lesdifficultés,

une réunion hebdomadaire, prolongeant la réunionquotidienne du matin, la veille de la réunion de coordina-tion générale, afin de faire le point sur les questions à faireremonter à ce niveau.

Au cours de la phase de préparation du chantier, outre leplanning logistique prévisionnel, des "outils" de suividevront être élaborés afin de faciliter le travail de l'équipede gestion logistique. Le développement d'outils informa-tisés constituerait un apport important dans la mesure oùleur usage pourrait être étendu à d'autres chantiers quecelui proprement expérimental, mais qui jouerait bien àce niveau son rôle pilote.

Une formation courte, de l'ordre de trois ou quatredemi-journées, devra être mise en place pour toutel'équipe de correspondants et le coordinateur, basée surla résolution de cas pratiques et la mise en œuvre desdocuments, outils et moyens qui auront été élaboréspour faciliter le suivi et la gestion des flux physiques.

LES MOYENS DEMANUTENTIONS,CIRCULATIONS ETSTOCKAGESSi l'on veut que l'action expérimentale ne soit pas seulementdestinée à l'amélioration de la gestion des flux physiques maisqu'elle favorise également les conditions physiques de travailet la sécurité des ouvriers, la structure logistique doit aussiêtre une cellule de réflexion relative aux différents moyens demanutention en les intégrant dans une approche globale,orientée vers l'efficacité de leur utilisation pour améliorer lesconditions de travail. Cela implique également une conver-gence avec les exigences de sécurité. On peut rappeler ici ceque nous indiquons dans l'introduction, à savoir qu'un tiersdes accidents du travail dans le BTP sont liés à la manipula-tion d'objets et au transport de charges. Cette réflexion surles moyens de manutention est par ailleurs nécessairementliée à celle concernant les voies de circulation et les accès ainsique les aires de stockage.

La plupart des plans sont désormais réalisés sur informatique.Ces outils pourraient être aisément utilisés pour simuler, quo-tidiennement, les flux et les stockages en réservant lesbesoins de circulation, ce suivi étant nécessairement assurépar le coordinateur logistique. Les conflits stockages/circula-tions s'accroissent en effet avec l'avancement du chantier, lesbesoins en stockage prenant de plus en plus le pas sur lesbesoins en circulation. Les conséquences sur les conditions detravail des ouvriers sont généralement importantes augmen-

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tant les cheminements et rendant plus précaires les condi-tions de manutention des charges.

L'usage de la grue doit aussi faire l'objet d'une réflexionapprofondie. Son efficacité n'apparaît réelle que lorsque lesmanutentions qu'elle doit réaliser pour les CES sont pro-grammées avec exactitude, c'est-à-dire qu'elle est "réservée"."L'improvisation" de l'usage de la grue conduit systématique-ment à des attentes, qui peuvent être très longues suivies deconditions de manutention parfois dangereuses compte tenudes contraintes de temps qui limitent les précautions prisesdans l'accrochage et le décrochage des charges.

Si l'on identifie, dans la phase de préparation, que les besoinsdes corps d'état sont importants et qu'ils ne peuvent, pournombre d'entre eux, être programmés à l'avance, il importede prévoir des moyens de manutention qui leur soientpropres afin de les rendre indépendants de la grue. On peutpenser que les gains en temps, en sécurité et en qualité com-penseront largement le coût des moyens de manutentionautonomes.

On a pu également noter l'inadéquation de moyens de manu-tention aussi standards que la brouette ou le transpalette danscertaines conditions d'avancement du chantier : la largeur dela brouette n'est plus compatible avec l'installation des huisse-ries et le transpalette ne peut plus circuler dans des zonesencombrées et des espaces de plus en plus cloisonnés. A labrouette se substitue alors l'usage des seaux et au transpalettecelui des bras. Les diables sont la plupart du temps inutilisablescompte tenu de l'état des sols qui en extérieur sont le plussouvent embourbés et en intérieur parsemés de gravats.

Mais ces manutentions manuelles réalisées par les ouvriersdes CES, le sont dans l'opacité des murs et échappent ainsi,pour la plupart, au regard des responsables du chantier quidemeurent persuadés de la constante efficacité des moyensd'aide. Dans ce sens, outre une véritable réflexion sur lesmoyens traditionnels mais désormais partiellement inadaptés,comme la brouette et le transpalette, et la nécessité de déve-lopper des moyens spécifiques pour les manutentions répé-tées de charges lourdes : parpaings et portes en particuliers,l'attention doit être portée à la propreté des espaces et à laqualité des revêtements des cheminements.

Dans le cadre du chantier expérimental, il s'agit donc de définir :- d'une part les moyens d'aide dont disposeront les compa-gnons pour manutentionner les charges lourdes et manipu-lées de façon répétitive, ce qui suppose d'en avoir fait aupréalable un inventaire,- d'autre part les conditions de propreté et donc de net-toyage et d'entretien quotidiens du chantier pour garantir descirculations aisées tant au sein qu'à l'extérieur des bâtiments.Dans les deux cas il s'agit d'exigences qui doivent être ins-crites au cahier des charges de l'appel d'offre à destinationdes CES.

Au niveau du chantier, le coordinateur logistique, aidé par lescorrespondants logistiques des CES faisant remonter lesinformations, vérifie ces aspects, directement liés à sa fonctionet déterminants du point de vue des conditions de travail etde la sécurité des ouvriers.

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L’importance d’organiser les stockages et les circulations

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DEUXIÈMEPARTIE

Gestion des flux physiqueset conditions de travail

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Site : banlieue parisienne

Il s'agit d'un chantier en zone urbaine pouvant engendrercertaines difficultés de stockage et d'approvisionnement.L'entrée du chantier n'est cependant pas directement surla rue et son accessibilité est assez aisée, de telle sorteque le déchargement des camions peut se faire sanspénaliser les circulations, c'est-à-dire sans accroître lapression temporelle. Il est néanmoins difficile d'effectuerplusieurs livraisons simultanément.

Partenaires :Maître d'Ouvrage : OPHLM

Maître d'Œuvre : Architecte

Entreprise Générale

Bureaux d’études :"FLUIDES" (plomberie/chaufferie, électricité, ventilation.)

"Décoration" (moquette, papier)

"BÉTON" (structure, VRD, étanchéité)

Bureau de contrôle : Sous-traitant du MO

L’ouvrage :Il s'agit de 156 logements sociaux et d'une petite partieréservée à usage de bureaux pour la délégation départe-mentale de l'Office HLM, répartis en trois bâtiments aulieu de deux prévus initialement. Cette modification estdue, d'une part, au mode de financement distinct pourchaque édifice, d'autre part, à une préoccupation organi-sationnelle : "la séparation des Bt. 1 et 2 (mitoyens) per-met une meilleure rotation des échafaudages et une inter-vention des Corps d'État Secondaires sur des espacespréparés par le Gros Œuvre, ce qui devra réduire l'en-combrement et limiter une co-activité qui ralentirait lesCorps d'État."

Le Bt. 3 est de l'autre côté de la rue. Ceci a nécessité l'uti-lisation d'une autre grue, qui n'était pas prévue au début,car "on avait une vision linéaire du déroulement du chan-tier". Il était en effet prévu initialement de réaliser le Bt. 3après la fin du gros œuvre sur les Bt. 1 et 2.

L'entreprise générale, après obtention du marché, a recal-culé ses coûts selon les différents choix d'organisation duchantier. Ayant conclu à une meilleure économie du chan-tier en réalisant le Bt. 3 simultanément aux Bts. 1 et 2, cechoix permettant de réduire de 5 mois la durée totale du

chantier (ce qui apparaissait plus rentable en dépit de lanécessité de disposer de deux grues), elle a revu l'en-semble des plannings de construction. Ce choix a cepen-dant eu une incidence forte sur la charge de travail desconducteurs de travaux et des chefs de chantier de l'en-treprise générale qui, dans les faits, ont eu à gérer simul-tanément deux chantiers.

L'organisation du chantier permet d'observer toutes lesphases de la construction : celle du gros œuvre seul (quine nous concernait pas directement), celle où gros œuvreet second œuvre travaillent en co-activité et celle où lesecond œuvre intervient après finition du gros œuvre.

Les sous-traitants :Dix huit sous traitants pour vingt et un lots.Quinze d'entre eux ont travaillé auparavant pour l'entre-prise générale.

Modes de relation avec l’entrepriseLa négociation"La consultation est rapide, puisque la majorité des sous-traitants est agréée par l'entreprise générale".

"Certains ont été imposés par le Maître d'Ouvrage ou leBET".

On peut noter que, dès cette phase, l'entreprise généralecherche à réduire les délais en s'assurant un savoir fairequ'elle a pu évaluer sur d'autres chantiers. Par ailleurs, elles'assure une fidélité de liens avec ses partenaires, l'enjeuétant la qualité : "On préfère avoir affaire au même per-sonnel sous-traitant et, parfois, on impose le chef de chan-tier ".

L'organisation du travailMise en place d'un programme : les premières réunionsse tiennent quatre semaines après l'ordre de service.

On y aborde :- les aspects techniques- l'organisation générale du chantier- les plannings- l'identification des aires de stockage- les relations entre les différents interlocuteurs

RemarqueCes réunions sont dirigées par un ingénieur, conducteurde travaux, affecté au suivi des Corps d'État Secondaires.Le principe de l'utilisation de la grue ainsi que les formulesd'arbitrage entre les différents intervenants (allant jusqu'àl'intervention auprès du fournisseur d'un sous-traitant)sont aussi discutés lors de ces séances.

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Le chantier étudié

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L'entreprise générale réalise les travaux de gros œuvre etest coordonnatrice des travaux effectués par les corpsd'état secondaires.

Cette coordination s'effectue en particulier dans le cadred'une réunion hebdomadaire réunissant, les responsablesde l’entreprise générale sur le chantier, en priorité l'ingé-nieur, conducteur de travaux, spécialement chargé dusuivi des corps d'état secondaires, et les responsables descorps d’état secondaires. Ces réunions de coordinationsont conduites de manière séparée avec les différentscorps d'état. Elles ont fait l'objet d'un suivi tout au long duchantier, en raison de la richesse des informations dontelles sont porteuses sur le déroulement des opérations etsur les difficultés éventuelles que rencontrent les différentsacteurs dans la coordination des activités, ainsi que surl'évolution des ces difficultés avec l'avancement du chan-tier.

Compte tenu de la place centrale de ces réunions dansles échanges entre l'entreprise générale et les entreprisessous-traitantes, nous y avons porté une attention plusparticulière lors de la deuxième phase de l'étude et cher-ché à analyser en profondeur leur rôle et leur fonction-nement. Cette analyse s'est appuyé à la fois sur la naturedes informations échangées et discutées lors de cesréunions, et sur la nature des négociations qui se"jouaient" entre les différents partenaires ou protago-nistes. Nous avons aussi étudié les comptes-rendus établisà l'issue de chaque réunion et noté les éléments essentielsqui y sont portés. Par ailleurs, nous avons tenté d'obser-ver, sur le chantier, les conséquences des décisions qui ysont prises.

Pour mieux comprendre le fonctionnement et leslogiques des entreprises des corps d'état secondaires(désormais nommées CES, dans la suite de ce rapport)qui jouent un rôle important dans le déroulement duchantier, nous avons mené des entretiens avec les res-ponsables des principaux corps d'état, c'est-à-dire les CEStechniques, comme l'électricité et la plomberie-chauffage,mais également avec les CES de finitions comme la pein-ture ou la serrurerie.

Notre préoccupation visait à saisir le profil de chaqueCES, en posant des questions essentiellement sur sonorganisation interne, la circulation de l'information entreles différents services, mais également la nature des rap-ports, contractuels ou d'usage, qui les lient à leurs inter-locuteurs, c'est-à-dire l’entreprise générale, les bureauxd'études, les fournisseurs, les transporteurs et leurspropres sous-traitants. Nous avons également tenté d’ap-préhender leurs capacités et méthodes d'ajustement faceaux perturbations des plannings, ainsi que leur pouvoir denégociation pour influer sur ces plannings lorsque leséchéances, fixées par l'entreprise générale, entrent encontradiction avec leurs propres programmes.

Enfin, au delà des observations ponctuelles réalisées toutau long du déroulement du chantier, nous avons mené,selon la méthodologie propre à l'ergonomie, quelquesanalyses de postes de travail, caractéristiques des pro-blèmes recensés et, surtout, de leurs conséquencespotentielles sur la charge de travail et la santé desouvriers.

Ces analyses de l'activité des opérateurs sur certainspostes ont également été réalisées afin de rattacher cer-tains faits marquants aux différents déterminants du chan-tier, c'est-à-dire, essentiellement, les conditions du mar-ché, et les marges de négociation des entreprises sous-traitantes vis à vis de l'entreprise générale.

Nous avons également eu toute liberté pour prendre desphotos. Celles-ci viennent illustrer ce rapport dans lamesure où elles permettent de mettre en scène certainessituations caractéristiques des problèmes rencontrés dansl'organisation du travail et la gestion des flux physiques.

C'est donc à partir d'une pluralité d'approches : organisa-tionnelle, technico-économique et ergonomique quenous nous sommes efforcés de comprendre la mise enœuvre de la logistique sur le chantier et les principalescontraintes pesant sur l'activité des corps d'état secon-daires.

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Méthodologie

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Les entreprises des CES ont des contraintes spécifiquesliées à la nature de leur "production" et des modesd'organisation qui dépendent à la fois des caractéris-tiques des produits et des modes de gestion choisis. Apartir d'un questionnaire et d'entretiens avec les res-ponsables des entreprises, les commis, chefs d'équipeset compagnons, nous avons essayé de caractériser, defaçon systématique, l'organisation propre à chacunedes entreprises des CES intervenant sur le chantier, enmettant l'accent sur les aspects de cette organisationles plus directement en relation avec la question de lagestion des flux physiques : approvisionnements, trans-port et manutentions, en relation avec les exigences dequalification des salariés.

Les données recueillies montrent la diversité des pra-tiques des différentes entreprises en matière d'approvi-sionnement, de transport et de manutention. Cettediversité n'est par ailleurs pas seulement relative auxcaractéristiques des matériaux acheminés mais tient aussià la taille de l'entreprise et surtout à son degré de dépen-dance vis à vis des fournisseurs et plus encore des trans-porteurs.Les difficultés de la gestion des flux physiques semblent eneffet s'accroître avec la taille de l'entreprise et le nombredes fournisseurs. Elles sont par ailleurs redoubléeslorsque l'entreprise ne dispose pas de ses propresmoyens de transport et/ou de manutention.

On peut ainsi d'ores et déjà souligner que l'organisationde la logistique sur un chantier ne peut être totalementprédéterminée, à l'inverse de ce que semblent souhaiteret viser les entreprises générales. En effet, si un certainnombre de principes d'organisation peuvent naturelle-ment être retenus, le détail de cette organisation doitêtre construit en relation avec les logiques techniques etéconomiques qui guident le fonctionnement de chacunedes entreprises intervenantes, aussi bien qu'avec lescontraintes propres au chantier, qui ne sont jamais iden-tiques d'un chantier à l'autre.

Cela signifie aussi qu'une première étape, indispensable àl'organisation de la logistique, sur un chantier particulier,

doit consister à recueillir systématiquement les donnéessur les modalités habituelles de gestion des approvision-nements mises en œuvre par les entreprises des CES,ainsi que nous l'avons fait dans le cadre de cette étude.

En parallèle, il s'agit de mesurer les contraintes mais aussiles marges de manœuvre existant sur le chantier : acces-sibilité, stockages, moyens de manutention, nature desaléas potentiels (par exemple un chantier hivernal risqueplus facilement de prendre du retard qu'un chantier esti-val), contraintes temporelles, enchaînement particulier decertaines tâches, complexité de l'ouvrage… Ces condi-tions seront étudiées dans la seconde partie, à partir del'analyse de certains postes de travail et des événementssignificatifs recensés au cours du chantier.

LES ENTREPRISESINTERVENANTES18 entreprises sont présentes sur le chantier pour réaliser21 lots. Elles se distinguent ainsi selon la taille :- trois d'entre elles emploient environ 150 ouvriers cha-cune :

· l'électricité· la chaufferie/plomberie/ventilation· le pierreux

- les autres entreprises ont des effectifs de 20 à 30 per-sonnes.

Les entreprises de plus grande taille semblent rencontrerdes difficultés plus grandes pour réaliser une bonne ges-tion des flux physiques sur le chantier. En effet, plus l'en-treprise est importante, plus les modalités de gestionseront centralisées, ce qui les rend moins adaptables auxspécificités et aux variations du chantier. La taille de l'en-treprise joue dans le même sens sur le fonctionnementde la communication avec le chantier. C'est dans lesentreprises les plus importantes que l'information circulele moins bien sur les livraisons, tant en ce qui concerne

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Analyse du fonctionnement du second œuvre

et organisation de la logistique

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leur contenu que le moment de leur arrivée. Il faut doncfréquemment improviser, dans l'instant, les moyens deréceptionner et de stocker les matériaux, sans que per-sonne n'en ait vraiment la responsabilité.

Il y a là des potentialités de responsabilisation des ouvriersles plus qualifiés (plutôt que des chefs d'équipe qui sont leplus souvent déjà surchargés de tâches), qui pourraientavoir une fonction de "correspondant logistique" sur lechantier. Ils disposeraient, de la part de leur entreprise, desinformations sur les commandes et les livraisons etferaient connaître, à l'entreprise générale, les besoins enmatière d'accessibilité pour les marchandises, et demoyens de manutention et de stockage. Ils devraient avoirune certaine latitude pour négocier, de part et d'autre(dans leur entreprise et avec l'entreprise générale), enfonction des contraintes qui peuvent apparaître.

Des obstacles existent néanmoins à la mise en place decette organisation. Par exemple, elle semble incompatibleavec le fait que les ouvriers soient payés au rendement,comme dans le cas du menuisier. Elle nécessite aussi ladisponibilité d'ouvriers qualifiés, ce qui veut dire que leurtemps ne doit pas être totalement pris par les tâchesd'exécution et d'encadrement, comme cela était le casdans l'entreprise d'électricité par exemple. Ces constatsne peuvent que renforcer ce que nous soulignions dansl'introduction de ce chapitre, c'est-à-dire la nécessité demettre à plat le fonctionnement de chaque entreprise desCES afin de concevoir une organisation des flux physiquesacceptable par tous. Cela suppose d'élaborer, en com-mun, des compromis et des ajustements par rapport àses propres habitudes et règles, pour construire uneorganisation "originale", dans le contexte spécifique duchantier traité et des entreprises qui y interviennent.

LE STATUT DES SALARIÉSLes salariés sont en majorité sous contrat à durée indé-terminée. Certaines entreprises font appel à des sous-traitants de façon épisodique, ou à des intérimaires, alorsque d'autres, comme le plombier, emploient en perma-nence plusieurs artisans sous-traitants qui représentent lamajorité de leur personnel sur le chantier.

La forme de rémunération peut être au rendement defaçon permanente, comme pour le menuisier, ou bienpour certaines tâches, comme les tirages de fils dans lestravaux de finition, chez les électriciens. Dans ce derniercas, cette modalité de rémunération n'est pas systéma-tique mais proposée aux ouvriers. Ceux-ci hésitent par-

fois à l'accepter car, en cas d'erreurs commises lors desincorporations, il leur faudra aussi réaliser les corrections.Le même travail pourra ainsi demander des temps d'exé-cution très différents, mais qu'ils ne peuvent anticiper,d'autant moins lorsqu'ils n'ont pas eux-mêmes participéaux incorporations. Dans ces conditions, la rémunérationau rendement peut être très pénalisante.

La rémunération au rendement est, nous l'avons noté, unobstacle à la prise en charge par les compagnons de lagestion des flux physiques pour le compte de leur entre-prise. La sous-traitance de deuxième niveau est égale-ment, dans une moindre mesure cependant, un facteurqui rend plus délicate l'organisation, car il est évidemmentimpossible de l'intégrer dans l'analyse préalable des diffé-rents modes de fonctionnement. Le risque est donc quela logique de fonctionnement de ces sous-traitants seheurte à une organisation des flux physiques définie sanseux et qu'ils reproduisent leurs pratiques habituelles,indépendamment des choix arrêtés collectivement.

L'IMPLANTATION DESSIÈGES ET ATELIERSHormis la menuiserie intérieure, installée en province(Tours), les autres corps d'état secondaires sont de larégion parisienne. Cependant, plusieurs d'entre eux sontdistants du chantier de plusieurs dizaines de kilomètres.Cela ne favorise pas la présence de la direction des entre-prises sur les chantiers, puisque les commis ont le plussouvent la charge de plusieurs chantiers. Les consé-quences en sont une connaissance souvent peu précisede la réalité du déroulement des travaux et donc unemoins bonne qualité de la coordination avec l'entreprisegénérale.

Dans ces conditions il apparaît souhaitable que la maîtrisepuisse bénéficier d'une plus grande autonomie d'action,que celle dont elle dispose habituellement, pour réagirplus rapidement à des perturbations de plannings oud'organisation des tâches.

Par ailleurs, le niveau d'information et les moyens decommunication en direction de la maîtrise et des ouvrierssont souvent défaillants alors que ces aspects sont essen-tiels pour permettre une bonne réactivité de l'organisa-tion du travail sur le chantier afin de répondre en tempsréel aux aléas et/ou aux réaménagements de la planifica-tion des travaux. Le fonctionnement de l'entreprise deserrurerie et de celle d'électricité, où le responsable asso-cie systématiquement le chef de chantier aux réunions de

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coordination, est un exemple de fonctionnement favo-rable à des prises de décision non contradictoires avec lespossibilités ou les contraintes de la réalisation des tâches.De plus, un tel fonctionnement enrichit la négociationlorsqu'il s'agit de trouver des solutions, techniques ouorganisationnelles, face à des aléas et il donne auxéquipes une vraie responsabilité, ce qui est un facteuressentiel de la qualité du travail, tant au plan des délaisque de l'exécution. Il faut souligner cependant que celafonctionne d'autant mieux que les travaux réalisés béné-ficient d'une certaine autonomie. C'est le cas du serrurier,dans la pose des garde-corps mais ce n'est pas le cas del'électricien, surtout dans la réalisation des incorporationsoù il est soumis au planning du gros œuvre. Les margesde négociation des CES, dans ce dernier cas, nous sont aucontraire apparues très limitées, voire inexistantes.

LES APPROVISIONNEMENTSTous les sous-traitants s'approvisionnent chez un ou plu-sieurs fournisseurs, que ce soit en produits finis ou enmatériaux qu'eux-mêmes transforment dans leursateliers.

Certains fabriquent la quasi totalité de leurs articlescomme la menuiserie extérieure ou la serrurerie.D'autres, comme la menuiserie intérieure en sous-trai-tent la quasi totalité. Leurs ateliers ne servent qu'àquelques travaux secondaires C'est aussi le cas du pier-reux et du peintre. Les cas intermédiaires, comme l'élec-tricien, ne confectionnent que les grosses fourniturestelles que les pieuvres.

La possibilité de disposer de ses propres ateliers de fabri-cation, est un facteur de régulation de l'activité et derationalisation de la main d'œuvre, en organisant unerotation entre les tâches de pose sur le chantier et d'usi-nage dans les ateliers, comme le fait le serrurier. Cela per-met aussi d'organiser l'ordonnancement des commandeset des livraisons aussi bien au sein du chantier étudiéqu'entre les autres chantiers. Mais elle n'est pas pourautant entièrement efficace dans la suppression des aléas.En effet aussi bien la menuiserie extérieure que le serru-rier sont dépendants des hésitations de l'entreprise géné-rale et du client. Le premier n'a pu mettre en place uneprogrammation de la fabrication dans les ateliers, de lalivraison et de la pose, car les commandes sur le bâtiment2 n'ont pas été clairement définies dès le début du chan-tier par l'entreprise générale. Le second a vu le client exi-ger des modifications en cours de travaux, ce qui aengendré une désorganisation du programme de travail

des ateliers. Or, le serrurier dit qu'il ne peut maîtriser lafabrication et les livraisons, que si les éléments devantêtre sous-traités sont prévus au moment de la contrac-tualisation, "ce qui n'est pas toujours le cas, pour lesmodifications naturellement, mais aussi pour les com-mandes secondaires, comme certaines grilles ou portes".

Aucun chantier ne fonctionne sans que l'ouvrage nesubisse des modifications. Il peut être souhaitable quecette part soit réduite mais chacun sait que, quelle quesoit la qualité des plans, la construction révèle des sur-prises et que des adaptations sont nécessaires. Mais, pourne pas aggraver les difficultés inévitables que vont ren-contrer les entreprises pour répondre aux besoins demodification, il est indispensable, ainsi que l'exprime leserrurier, que tout ce qui est prévu soit défini, avec préci-sion, lors de la contractualisation de l'offre. On comprendqu'un maître d'œuvre, souvent pressé par le maître d'ou-vrage, ne fournisse qu'après le début du chantier lesétudes de détail de certains éléments qui ne seront mon-tés qu'en fin de chantier. Cependant, dans ce cas, lesmarges de manœuvre qu'il se donne sont prises au détri-ment des entreprises concernées, qui voient leurs capaci-tés de programmation et d'anticipation limitées.

Choix des fournisseurs

Pour chaque article, plusieurs fournisseurs sont générale-ment prévus. Le choix du fournisseur dépend alors de lapossibilité de négociation des prix, mais surtout de la dis-ponibilité de l'article, déterminée elle-même par l'antici-pation de la commande. Certains, comme le "menuisierintérieur", prévoient des fournisseurs occasionnels ou desnégociants pour des réajustements d'urgence. D'autres,comme le pierreux, sont tributaires d'un seul fournisseur,car chaque type de pierre n'est produit que par un seulfournisseur, ce qui occasionne des situations d'impasse encas de rupture de stock. Plusieurs corps d'état, commel'entreprise chargée des menuiseries extérieures, le plom-bier ou le pierreux, s'approvisionnent, soit de manièreexclusive, soit pour certains articles, à l'étranger, sans quecela semble poser un problème particulier.

En fonction de la diversité des besoins, le nombre defournisseurs par sous-traitant, varie de quelques unitéscomme pour le peintre, le pierreux ou les menuiseriesintérieures, à plus d'une dizaine pour le plombier qui nepeut les citer de mémoire, ou pour la menuiserie exté-rieure. Les fournisseurs nationaux peuvent se situer àproximité du sous-traitant, comme à de grandes dis-tances. Le fournisseur principal du peintre est ainsi installéau Havre, mais l'éloignement est largement compensépar la disponibilité des produits et des prix avantageux.

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Les conditions d'approvisionnement peuvent ainsi êtreinfluencées en amont par l'organisation même des four-nisseurs. Il est donc important de connaître le niveau dedépendance des sous-traitants vis à vis de leurs fournis-seurs, indépendamment de l'aspect économique, parailleurs souvent beaucoup plus déterminant dans les stra-tégies des sous-traitants.

La négociation des prix et des délais et leurinfluence sur les stocks

La détermination des fournisseurs et des commandesdépend de plusieurs facteurs :- une éventuelle situation de monopole du fournisseur,- une stratégie de négociation des prix et des délais quirepose, parfois, sur la possibilité pour le sous-traitant de semettre en position de monopsone (client unique) vis à visde son fournisseur, comme tente de le faire le serrurier :"Si il est sûr que nous lui consommons une très grandepartie de sa production, il nous donnera la priorité dansses livraisons et on peut même négocier les prix."

Par ailleurs, dans la même stratégie de réduction des prixet des coûts de transport et de manutention, l'étancheurou le serrurier concentrent leur commandes. Le serruriera une plus grande marge de manœuvre, car ses produitsne sont pas périssables, il s'agit, pour beaucoup, dematière première, et les coûts des stocks sont largementcompensés par la réduction des prix. L'étancheur ou lemenuisier préfèrent aussi déclencher leur commandesdans leur globalité au début du chantier ; ils réduisentalors les prix en réduisant les coûts indirects liés au trans-port et à la manutention.

D'autres, comme le peintre, préfèrent fractionner leurscommandes et leur livraisons car les frais de stocks sont,pour eux, plus coûteux que ceux du transport.

Cependant, l'espace de liberté que s'aménagent les sous-traitants pour mener, de manière satisfaisante, des négo-ciations de prix ou de délais avec leurs fournisseurs,dépend étroitement d'une prévision précise du déroule-ment des travaux, c'est-à-dire du respect des plans initiauxet des plannings ou encore d'une anticipation précoce desmodifications. Mais les commandes et les livraisons sur lechantier dépendent également de la possibilité de dispo-ser d'une aire de stockage. Or, ce point est du ressortexclusif de l'entreprise générale, qui ne répond pas tou-jours aux vœux du corps d'état : l'étancheur a tenté, vai-nement, de négocier une aire de stockage qui recevraittoute la consommation du chantier pour éviter des livrai-sons fractionnées trop coûteuses. Dans ce cas, l'entreprisegénérale demanda l'étanchéité dans l'immédiat d'une sur-face de 20 m2, mais refusa l'attribution d'un espace ou

serait entreposée, pendant plusieurs jours, la commandeglobale qui satisferait une grande partie des travaux.

Le secteur du bâtiment subit, comme tous les autres sec-teurs, l'effet de la logique de réduction des stocks et del'organisation en "flux tendus". Sur le chantier étudié, seulle peintre semble disposer d'une souplesse suffisante pourpasser ses commandes au fur et à mesure de ses besoins,son fournisseur lui garantissant ses stocks et acceptant delivrer régulièrement tout lui offrant des prix intéressants.

Pour la plupart des entreprises, du moins les plus petites,l'absence de stocks vient de leurs stratégies économiquesmais aussi de leur taille qui fait que, non seulement ellesne disposent pas d'espaces de stockages appropriés, maisqu'elles ne disposent pas non plus des moyens de livrai-son nécessaires.

La connaissance préalable de ces contraintes est un atoutimportant pour organiser les approvisionnements et sur-tout pour prévoir les stockages nécessaires. Sur le chan-tier étudié, par exemple, l'étancheur n'a pu voir sademande satisfaite parce qu'elle a été formulée trop tar-divement pour que l'entreprise générale puisse aisémentla prendre en compte.

L'organisation d'une plate-forme de stockage, dite de"rupture de charge", extérieure au chantier, fait partie desstratégies envisagées par les entreprises générales pourfaire face à ces problèmes d'approvisionnement fractionnésur le chantier mais de commande groupée des fourni-tures. La mise en œuvre d'une telle organisation pose tou-tefois plusieurs questions, la principale étant la prise encharge du coût des transports supplémentaires qu'occa-sionne ce fractionnement des approvisionnements. On avu en effet que les commandes et livraisons globales dimi-nuaient les coûts du transport pour les entreprises qui lesous-traitent, compte tenu des moyens spécialisés néces-saires (cas des menuiseries extérieures) ou plus générale-ment pour toutes les fournitures qui nécessitent desmoyens particuliers de transport (menuiseries intérieuresou étanchéité par exemple). Hormis ces coûts supplé-mentaires en transport, il s'agit aussi de répartir le coûtd'exploitation d'une telle plate-forme, qui nécessitera desmoyens de manutention importants et un système de ges-tion des stocks performant, ce qui signifie aussi des per-sonnels en nombre et en qualification suffisants. Si nousregardons, à partir du chantier étudié, les entreprises quiseraient concernées par cette organisation, elles apparais-sent en fait peu nombreuses (menuiseries extérieures etintérieures, étanchéité, et éventuellement revêtements depierre), ce qui rendrait d'autant plus coûteux pour elles lamise en place d'un tel système, sauf à penser que l'entre-prise générale prenne à sa charge la totalité des coûtsdirects supplémentaires liés à cette organisation.

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Les moyens de transport et de manutention

Les moyens de transport sont choisis par les sous-trai-tants en fonction du volume et du poids global des four-nitures mais également des conditions de leur charge-ment et donc des contraintes de leur manutention pen-dant le chargement et, plus encore, leur déchargementsur le chantier.

Certaines entreprises disposent de leurs propres moyensde transport sans aucun outil particulier de manutention.Ce sont des fourgons, camionnettes, ou camions à pla-teau.

Le plombier, l'électricien ou le peintre peuvent utiliser desvéhicules ordinaires, sans gêne particulière, en raison dela taille des colis qu'ils transportent.

A l'inverse, le déchargement de 16 garde-corps de 140 kgchacun, gerbés sur un plateau d'un camion de 2,5 tonnesappartenant au serrurier, impose des efforts physiquesimportants aux ouvriers sur le chantier et le chargementa dû lui-même être aussi pénible.

Ainsi, l'économie souvent recherchée au niveau destransports peut engendrer des coûts physiques élevés,source de pénibilité et de fatigue ainsi que de risquesd'accidents. Elle peut, paradoxalement, être également àl'origine de pertes de temps : la désarticulation du pre-mier élément de l'ensemble des 16 garde-corps a mobi-lisé 5 ouvriers pendant près d'un quart d'heure. Ledéchargement global dura 3/4 heure.

Mais l'usage de véhicules propres à l'entreprise reste,dans les limites de leur rentabilité, généralement préféréà la sous-traitance. C'est le cas le plus fréquemmentobservé lorsque les livraisons sont fractionnées et aisé-ment manipulables grâce à un colisage de petites dimen-sions et/ou de faible poids, comme les cartons d'articlesde plomberie ou d'électricité. En fait, dans ces cas là, lesfournitures arrivent dans l'entreprise qui peut les stockerun certain temps dans ses entrepôts et qui approvisionnele chantier au fur et à mesure des besoins. Seul le peintredéroge à cette règle, puisqu'en dépit de colisages per-mettant la manipulation manuelle, il se fait directementlivrer sur le chantier par le fournisseur au fur et à mesuredes besoins. On peut observer que les entreprises d'élec-tricité et de plomberie différent assez largement par leurtaille de l'entreprise de peinture. Celle-ci ne dispose pasdes mêmes moyens de stockage, ni d'un flux aussi impor-tant des produits, de telle sorte que son intérêt est plu-tôt de laisser les stocks chez le fournisseur. On peut noteraussi que le nombre de fournisseurs du peintre est net-tement moins élevé que celui du plombier notamment etdonc que, là encore, il peut plus aisément maîtriser sesapprovisionnements directs sur les chantiers sans passerpar une étape de centralisation dans l'entreprise.

Lorsque les fournitures nécessitent des aides techniquesà la manutention, les sous-traitants ont souvent recours àleur propres moyens, ou à des moyens loués ou encoreà la sous-traitance du transport et de la manutention,comme les camions auto-déchargeables. Ce choix est engénéral coûteux mais il leur est souvent imposé par lesdifficultés à disposer de la grue. Ce fut le cas pour l'en-treprise de menuiserie extérieure qui, après un premieréchec (livraison arrivée en retard sur l'horaire prévu etqui n'a pu être déchargée), décida de faire appel à uncamion grue. C'est également ce que fit le pierreuxlorsque la grue fut démontée à la fin des travaux du grosœuvre sur le bâtiment 2.

Utilisation de la grue

En principe, son utilisation est négociée dès la contrac-tualisation du marché aussi bien pour les opérations dedéchargement des fournitures sur le chantier, que pour ledéplacement des matériels, matériaux et produits les pluslourds, afin de réduire les manutentions manuelles.

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Transport des gardes corps

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Sur le chantier étudié, elle est gracieusement mise à la dis-position des sous-traitants. Sur d'autres chantiers, son uti-lisation pourra être imputée sur le compte prorata desentreprises.

Certains Corps d'État Secondaires n'ont quasimentaucun recours à la grue pour le déchargement de leursapprovisionnements. C'est le cas du plombier, de l'élec-tricien et du peintre. Lors des incorporations, les pre-miers peuvent faire appel à la grue pour la mise à piedd'œuvre des couronnes ou des pieuvres. Cependant, leplus souvent, lassés d'attendre leur tour, ils se résignentaux manutentions manuelles. Ils expriment néanmoinsleurs frustrations, lorsque les priorités sont systématique-ment accordées au béton. Ainsi, l'électricien a attendupendant plusieurs heures, sans succès, le transfert de sespieuvres, alors que, sur la même surface de travail, letransfert du flexible du vibreur de béton fut effectué dèsla demande du chef d'équipe de l'entreprise générale.

Le pierreux et les menuisiers, de même que les maçonspour la montage des murs en parpaings, ont, par contre,un besoin impératif de la grue, ou d'un moyen similaire,pour le déchargement et, pour certains, pour la mise àpied d'œuvre des pierres, huisseries, menuiseries exté-rieures ou parpaings palettisés sur le chantier. Les maçonsont également besoin de la grue pour leur approvision-nement en "ciment colle" pour le montage des parpaings.

La disponibilité de le grue pendant la journée étant trèsfaible, du fait de son affectation privilégiée au transportdu béton, les gros approvisionnements sont de plus enplus fréquemment prévus en dehors des heures de tra-vail du chantier, c'est-à-dire tôt le matin mais plus souventencore le samedi et même parfois le dimanche. Dans cesderniers cas la grue est entièrement à la disposition duCES sans limite de temps. C'est cette disposition qui a étéadoptée pour la livraison des menuiseries extérieures, quisont en fait les fournitures du chantier qui demandent leplus de temps pour leur manutention.

Cette solution est apparue satisfaisante pour tous maiselle nécessite des livraisons en quantité importante, pourassurer la rentabilité de l'opération. Elle suppose doncaussi des zones de stockage appropriées si, compte tenude l'avancement des travaux, elles ne peuvent être dis-posées partout à pied d'œuvre et, dans tous les cas, ellesdevront être protégées contre les risques de détériora-tion liés à d'autres intervenants.

Pour l'entreprise de second œuvre, cette organisationcrée cependant une contrainte financière et de planifica-tion de l'ensemble de sa production, par la constitutionde stocks en avance sur le planning d'utilisation mais

néanmoins prioritaire, dans ce cas, sur des fabricationsdont l'utilisation peut être plus immédiate.

Dans ce sens, on peut dire que, pour les entreprises dusecond œuvre, il s'agit plutôt d'un "compromis". On peutaussi souligner que ce compromis a indirectement desretombées sur l'ensemble du chantier. Il conduit en effetà un plus grand encombrement des surfaces ce qui a uneinfluence sur la disponibilité des aires de stockage et surles conditions de circulation sur le chantier et l'accessibi-lité des zones de travail.

En général, les CES anticipent les risques d'indisponibilitéde la grue, compte tenu d'expériences d'attentes infruc-tueuses, en installant des treuils comme le font le serru-rier ou le pierreux.

Cependant, le peintre, qui d'habitude procède au trans-fert de ses articles et de ses échafaudages manuellement,a dû exiger la grue sur le bâtiment 3 car les voies d'accès,réduites à une étroite échelle métallique, ne permettaientpas le passage des approvisionnements tels que les fûtsou les pots de peinture.

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Déplacement de plaques avec la grue

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D'autres, comme l'ascensoriste, qui ne peut se passer dela grue pour certaines manutentions, peuvent attendre,ainsi que nous l'avons constaté, plus d'une demi-journée,sa disponibilité. La grue lui était en effet promise dès lematin, mais elle n'a été mise à sa disposition qu'à uneheure de l'après-midi et il a passé toute la matinée à guet-ter le moment où elle serait libre. La manutention elle-même, avec la grue, a par ailleurs duré moins d'une quin-zaine de minutes.

Des observations similaires ont été faites avec le plom-bier, pour ce qui concernait les fournitures liées à la chauf-ferie, disposée sur la toiture-terrasse et avec le menuisierintérieur pour ce qui concernait le déplacement des huis-series.

On a pu également noter, à certaines de ces occasions,que la faible disponibilité de la grue entraînait une rapiditéd'exécution du chargement préjudiciable à la sécurité. Lesfournitures n'étaient par exemple que faiblement atta-chées, voire simplement posées sur le support, et trans-portées ainsi par la grue, de telle sorte que leur déchar-gement soit plus rapide sur les lieux de stockage. Cesconditions de transfert accroissent inévitablement lesrisques de chute des matériaux au cours de leur trans-port.

Le responsable de l'entreprise chargée des menuiseriesextérieures envisageait par ailleurs d'utiliser un camiongrue, pour ses livraisons en dehors des week-end, defaçon à pouvoir s'affranchir de la grue à la livraison. Il avaiten effet dû faire face à un incident de livraison, un lot demenuiseries extérieures n'avait pu en effet être livré lejour prévu, le camion de livraison, pris dans des embou-teillages étant arrivé sur le chantier à 8 heures au lieu de7 heures, comme prévu. Le camion était reparti avec salivraison, reportée à plus tard dans la semaine. Le res-ponsable de l'entreprise évaluait le coût de cet incident à20000 F. Cette anecdote, coûteuse pour l'entreprise,éclaire bien le fait que le transport du béton est toujoursprioritaire. Cette opération éclipse toutes les autres, quine peuvent bénéficier de la grue même si elles sollicitentl'engin pour des temps très courts.

Il faut remarquer aussi que la présence de la grue sur lechantier est totalement liée aux travaux du gros œuvre.Aussi, dès lors que ceux-ci sont achevés, la grue estdémontée sans que soient examinés les besoins résiduelsdes CES. Le démontage de la grue précéda ainsi la fin destravaux sur les bâtiments 1 et 2. Le serrurier comme lepierreux durent mobiliser leur propres moyens dedéchargement et de manutention ; le premier dut monterson treuil alors que le ravalement de la façade étaitachevé, engendrant un risque de détérioration.

L'étanchéiste fut également dans ce cas et la terrasse étaittoujours encombrée par des matériaux et matériels à lafois lourds et volumineux.

CONCLUSIONLes entreprises des CES ont chacune leur logique proprequant aux modalités d'approvisionnement des fournituressur la chantier. Ces logiques apparaissent toutefois toutescomme des compromis entre le besoin de disposer desmatériaux en temps et en heure sur le chantier et le coûtdu transport et des stockages, d'une part, de la disponi-bilité des moyens de manutention et des zones de stoc-kage, d'autre part.

La mise à plat des éléments relatifs au coût des transportset des stockages ainsi qu'aux moyens de manutentionnécessaires pour chaque CES semble assez aisée à réali-ser, car ils sont spécifiques à chaque entreprise et les don-nées recueillies auprès des entreprises intervenant sur lechantier étudié l'attestent.

Cette connaissance est déterminante pour l'organisationde la logistique des flux physiques mais elle est insuffisantecar elle n'intègre pas la dynamique du chantier, c'est-à-dire aussi son évolution constante.

Or, cette évolution, où il faut inclure les aléas qui influen-cent directement la planification des tâches, agit sur plu-sieurs données critiques pour les approvisionnements :- les circulations et les accès,- les zones de stockage,- la disponibilité des moyens de manutention.

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Vue de la terrasse du bâtiment 1, après enlèvement de la grue

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On a pu constater, à travers l'analyse du déroulement duchantier, que cette dynamique du chantier n'était que fai-blement intégrée par les entreprises, d'abord par l'entre-prise générale coordonnatrice mais aussi par les CES.

La priorité que l'entreprise générale accorde au respectdes délais, quelques soient les éléments influençant la pla-nification initiale des travaux, prend en effet assez rapide-ment le pas sur toute autre préoccupation, laissant laplace à une forme d'improvisation pour tout ce quiconcerne la gestion des flux physiques et rendant, de fait,plus difficile le travail des CES.

Au niveau des CES eux-mêmes, c'est le déficit de circula-tion de l'information au sein de chaque entreprise quiapparaît comme l'élément le plus pénalisant tant pour lesconditions que pour la qualité du travail.

Nous nous appuierons sur nos observations pour mon-trer l'émergence progressive de ces difficultés et discuterdes moyens matériels et organisationnels susceptibles deles atténuer.

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Vue d’une partie de l’ouvrage terminé, bâtiment 1 et 2

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LA PLANIFICATION DESTRAVAUX : UN ENJEUSTRATÉGIQUEL’élaboration des plannings donne le rythme des réalisa-tions physiques des différentes phases des travaux.

C'est le respect des plannings qui donne l'image d'unchantier qui "tient la route" de celui qui risque d'aller versl'échec. Il est donc significatif de noter que, dans tous leslocaux du chantier, sont placardés divers plannings, que cesoit dans la salle de réunion, dans les bureaux desconducteurs de travaux ou des chefs de chantier de l'en-treprise générale, mais également dans les locaux deschefs de chantier des sous-traitants.

Les plannings accompagnent et guident la vie du chantier.Il y a plusieurs types de plannings, différents selon leursobjectifs, leur contenu et leur statut. Ils sont élaborés àdes moments différents, par des services différents.

Les délais contractuels

Ils sont transmis dans les dossiers lors du dépôt de can-didature de l'entreprise générale. A ce stade, il s'agit plu-tôt de délais sur lesquels s'engage a minima l'entreprisegénérale.

Les plannings prévisionnels

Ils sont confectionnés par les bureaux des méthodes aux-quels sont associés les principaux responsables du chan-tier comme le directeur des travaux et le conducteur destravaux. Ils englobent les lots les plus importants, commel'installation du chantier, la réalisation de la structure desdifférents bâtiments et l'intervention des CES. Pour lesréaliser, les bureaux des méthodes se réfèrent, d'une part,à l'organisation classique du chantier, avec un ordre chro-

nologique standard, d'autre part, aux moyens technolo-giques qu'ils comptent utiliser.

Lors de cette étape, une vision générale du déroulementd'un chantier prédomine. Elle peut déjà être énoncée.Ainsi, par exemple, ainsi que nous l'avons souligné dans laprésentation du chantier, il n'avait initialement été prévuqu'une seule grue puisque la réalisation du Bt. 3 devaitdébuter à l'issue de celle des Bt. 1 et Bt. 2 : "on avait unevision linéaire du chantier". A ce stade, les corps d'étatsecondaires ne sont pas encore connus ce qui les rend,de facto, absents de leur élaboration. Ces plannings ser-vent à valider les délais dans lesquels l'entreprise s'engagecontractuellement lorsqu'elle répond à l'offre.

Les plannings révisés après obtention dumarché

Les plannings précédents ont donc pour objectif de satis-faire aux exigences de l'appel d'offre mais ils représen-tent, dès la concrétisation du marché, un objectif à dépas-ser, dans un souci de meilleure rentabilité du marché, etils peuvent même être entièrement bouleversés. Sur lechantier étudié, l'organisation a ainsi été entièrementreconsidérée après l'obtention du marché. La construc-tion du Bt. 3 a été programmée en simultanéité avec celledes Bt. 1 et 2, ce qui réduisait la durée globale du chan-tier et permettait des économies substantielles, en dépitde la nécessité de mettre en place une seconde gruepour le Bt. 3, situé de l'autre côté de la rue par rapportaux bâtiments 1 et 2. Cette organisation transformaitradicalement le planning prévisionnel en assurant "un gainde 5 mois par rapport aux plannings officiels, pour assu-rer la rentabilité du chantier".

Ces révisions des plannings prévisionnels sont égalementfaites avant que les sous-traitants ne soient sélectionnés,mais ils devront néanmoins se soumettre à ces conditions,qui font partie des exigences de la consultation lancée parl'entreprise générale. Or, il est clair que si la réduction desdélais s'impose aussi à l'entreprise générale, elle intègreen priorité dans ses prévisions les besoins du gros œuvre

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La gestion dynamique du chantier :planification, circulation des

informations et coordination.

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et on peut penser que les entreprises de second œuvre"souffriront" plus d'une contraction dans le temps desopérations. La démonstration de cette pression accruesur le second œuvre peut être faite à partir des condi-tions de travail qui ont été imposées aux électricienschargés des incorporations 12. La complexité de l'ouvragerendait plus délicate cette phase13, qui précède nécessai-rement le coulage des planchers et des voiles. Par ailleursil ne sert à rien d'accroître le nombre des intervenantspour faire ce travail, tant pour des questions d'espace detravail que de rigueur de l'exécution. Les électriciens sesont ainsi trouvé presque constamment "pressés par letemps" et sans marge de manœuvre car ne pouvantjamais obtenir un décalage du coulage du béton. Il est cer-tain, dans ce cas, que le planning "béton" a été construitindépendamment des interventions des Corps d'ÉtatSecondaires et de leurs contraintes spécifiques.

Au delà de la faible prise en compte des contraintespropres aux sous-traitants dans l'élaboration des plan-nings, par l'entreprise générale, on peut souligner que,d'une manière générale, la planification du chantierrepose sur une vision d'un déroulement optimal, sansincident, de l'avancement des travaux.

On est ici dans une contradiction forte que nous appe-lons la logique de la "sublimation de l'aléa". Cette logiquese retrouve aussi chez les sous-traitants qui "comptent surles retards du gros œuvre", pour pouvoir contourner ladifficulté que prévoit l'entreprise générale au moment dela signature du marché avec le sous-traitant. L'entreprise

générale cherche en effet avant tout à s'assurer que lesous-traitant saura faire face aux délais imposés et il sejoue, en quelque sorte, à ce niveau, une partie de cache-cache comme l'explicite clairement le responsable d'unedes entreprises sous-traitantes : "De toute façon noussommes obligés d'occulter les aléas lorsque nous dépo-sons notre candidature car, d'une part, nous ne savonspas ce qui se passera, d'autre part, si nous les incluonsdans nos prix et dans nos délais, on sera éliminé".

Les plannings de chantier

A partir des plannings prévisionnels se déclinent ceux destravaux du chantier. Ils sont alors l'œuvre des respon-sables de chantier et se répartissent en deux catégories :- les plannings établis par l'entreprise générale,- les plannings des sous-traitants, réalisés à partir des pre-miers.

Si la démarche semble cohérente, l'articulation des deuxtypes de planning semble être le point sensible de toutel'organisation. Il est évident que de cette démarche res-sort une inégalité de statut entre les deux organisations,celle des sous-traitants étant "condamnée" à s'ajuster àcelle de l'entreprise générale. Autrement dit, les planningsdes sous-traitants sont totalement asservis au rythmedéfini par l'entreprise générale pour le gros œuvre dontelle assure la réalisation ainsi qu'aux échéances définiesunilatéralement par l'entreprise générale. Cela pose deuxtypes de problèmes.

Le premier a déjà été noté, il concerne les interventionsprécoces des CES, c'est-à-dire celles qui interfèrent direc-tement avec le gros œuvre (électricité et plomberie). Ilnous semble nécessaire que la planification du gros œuvretienne compte des caractéristiques des travaux à réaliserpar ces corps d'état.

Le second problème est la faiblesse des renégociationssur les butées temporelles fixées au niveau des plannings.La rentabilité du chantier, pour l'entreprise générale, tienten effet à la tenue des délais globaux c'est-à-dire au res-pect de la date de fin de chantier. Pour se garantir la tenuede cet objectif, sa stratégie est de faire en sorte que lesretards pris sur le démarrage de certaines tâches, quellesqu'en soient les raisons, ne se répercutent pas (ou lemoins possible) sur la date prévue pour la fin de leur exé-cution. Cela suppose que les entreprises des CES dispo-sent d'une flexibilité importante pour adapter leur orga-nisation initiale aux nouvelles conditions (c'est-à-dire auxdélais raccourcis) du chantier. Dans les faits la flexibilitédont disposent les entreprises des CES est souvent faible,et les ajustements qui leur sont imposés sont presquetoujours coûteux.

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Co-activité entre les différents corps d’état

12. Nous y revenons plus en détail p. 65-66.

13. Bien que s'agissant de logements HLM, la recherche d'une qualité deconception architecturale était une volonté du maître d'ouvrage. L'une descaractéristiques des bâtiments était ainsi leur faible répétitivité, tant d'unniveau à l'autre que d'un bâtiment à l'autre. Pour les électriciens effectuantles incorporations cela signifie l'impossibilité de mémoriser un schéma pourle répéter et donc, à l'inverse, la nécessité de se référer en permanence auxplans. Ces exigences sont plus coûteuses en temps et imposent une atten-tion soutenue, pour éviter les erreurs, ce qui est aussi une source de fatigueplus grande, encore accentuée si de fortes contraintes de temps s'imposent.

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Il nous semble que la fonction de coordination des CESdevrait prendre en compte les contraintes spécifiques descorps d'état, pour aider à l'anticipation des aléas et deleurs conséquences sur les plannings. Ces contraintesdépendent à la fois des caractéristiques des tâches, ellesne sont pas identiques pour l'électricien et pour le menui-sier, et des caractéristiques des entreprises, notammentleur taille et plus globalement leurs modes de gestion.

Quoiqu'il en soit, les marges de manœuvre ne peuventpas n'être que du côté de l'entreprise générale et lescorps d'état secondaires doivent disposer de réelles capa-cités de négociation. Cela suppose des relations deconfiance entre l'entreprise générale et les sous-traitantset il est certain aussi que les conditions actuelles de lapassation des marchés n'y sont pas vraiment favorables.On peut même avancer qu'elles s'opposent bien souventà la volonté des acteurs eux-mêmes qui inscriraient plusvolontiers leur activité sous l'angle de la coopération quesous celui de la concurrence qui leur est en quelque sorteimposée. L'analyse du fonctionnement de la réunion heb-domadaire de coordination viendra préciser ces points.

Des marges de manœuvre peu utilisées

La planification des travaux des CES est faite en respec-tant un ordre préétabli, quasi immuable, dans l'enchaîne-ment des tâches. Le menuisier doit intervenir une fois lescloisons montées et les incorporations électriques et deplomberie faites, mais avant la peinture et le papier peint.En réalité, il a dû aussi intervenir quelquefois après lapeinture. Durant les finitions, l’installation des plinthesprécède celle des bâtis de gaines, des portes de distribu-tion, des portes de gaines et, en dernier, des portes deplacards. Cet ordre peut être perturbé par une mauvaiseanticipation des influences saisonnières sur certains maté-riaux : l'installation des portes de placards a été retardéecar le temps trop humide retardait le séchage de l'enduit.Pour éviter trop de perte de temps, le menuisier a dûchanger de cage d'escalier, sans avoir achevé la précé-dente où il retournera plus tard.

En fait, nous avons pu observer, au delà des ajustementsréalisés par chaque corps d'état sur son lot, que lesenchaînements sont souvent rediscutés entre les diffé-rents partenaires, quand ils ne sont pas remis en causepar l'arrivée tardive de certains plans sur le chantier.

Contrairement donc à l'idée dominante, soutenue par lafaçon dont les travaux des CES sont planifiés, les enchaî-nements ne sont pas totalement immuables, et peuventvarier en fonction d'un certains nombre d'aléas, d'inégalimpact sur le chantier. Cela va du bouleversement del'ordre d'intervention du ravaleur par rapport au pier-

reux, suite à la défaillance du bureau d’étude et du four-nisseur du pierreux, qui perturbe tout le déroulement duchantier, à la modification de l’organisation d'un stockagesuite au retour tardif des plans de la porte métallique dulocal devant accueillir les robinets de radiateurs.

Il semble cependant que les capacités d'ajustement dontles CES peuvent disposer au niveau de l'enchaînementdes travaux, même si elles ne sont pas très étendues, nesoient pas vraiment intégrées par l'entreprise générale,responsable de la coordination des CES. Si cette sou-plesse, même relative, était prise en compte, elle per-mettrait d'éviter certaines dérives du planning, qui pèsentensuite sur les sous-traitants, à qui il est demandé de rat-traper les retards, et qui sont presque toujours appelés àle faire dans des conditions plus difficiles.

LA CIRCULATION DESINFORMATIONS ET LATRANSMISSION DES PLANSD'EXÉCUTIONLes plans d'exécution sont le principal support des infor-mations pour les équipes intervenantes. La qualité de l'in-formation dont disposent les équipes pour réaliser leurstâches est donc directement influencée par la qualité dela transmission des plans. Or, on a pu noter une qualitéaléatoire de circulation et d'actualisation de ces plans jus-qu'aux équipes, notamment lorsque des modificationssont décidées ou lorsque des erreurs ont été décelées.On a pu aussi noter que très peu d'informations remon-tent vers la hiérarchie lorsque les équipes détectaientelles-mêmes des erreurs dans les plans.

D'une manière générale, l'ensemble des observationsque nous avons pu faire à propos des plans reflète large-ment les difficultés de circulation de l'information sur lechantier, tant au sein des entreprises des CES elles-mêmes qu'entre l'entreprise générale et les CES. Alorsqu'au fur et à mesure de l'avancement du chantier, leséquipes détiennent de plus en plus d'informations sur laréalité du travail, c'est-à-dire sur les aléas et les difficultésrencontrées, ces données ne remontent pratiquementjamais jusqu'aux responsables des CES. Les décisions quisont prises en concertation avec l'entreprise générale, aulieu de coller avec les besoins de l'exécution ont ainsi ten-dance, au contraire, à s'en éloigner et donc à aggraver lesconditions de travail des ouvriers.

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Rôles de l'entreprise générale et des corps d'état, dans la réalisation des plansd'exécution

L'entreprise générale

Elle réalise les plans d'exécution détaillés pour le grosœuvre, et coordonne les plans correspondant aux tra-vaux réalisés par les entreprises appartenant aux corpsd'état secondaires.Elle s'appuie sur différents bureaux d'études techniques,tant pour l'exécution du gros œuvre que pour la coordi-nation du second œuvre.

Les Corps d'État Secondaires

Ils disposent pour réaliser les plans d'exécution détaillésdes plans réalisés par le maître d'œuvre au niveau del'APD (Avant Projet Détaillé) ainsi que des éléments ins-crits dans le dossier de consultation des entreprises, réa-lisé par l'entreprise générale et qui comporte un descrip-tif des travaux à réaliser lot par lot.

Ces données sont généralement complétées, dans lacadre de la préparation des travaux, par des précisionsquant aux principes techniques retenus, qui peuvent êtredéfinis soit au niveau du ME, soit à celui de l'entreprisegénérale, ainsi, qu'en général, par des schémas.

En fonction de leur taille et de la précision des travaux, lesentreprises des CES peuvent disposer ou non de bureauxd'études techniques ; c’est le cas de l'électricité, de lachaufferie/plomberie et du pierreux.

La transmission des plans : parcours normalet "voies d'urgence"

La transmission des plans et des calepinages se fait selondeux voies principales :- un parcours normal des plans initiaux ou des modifica-tions lorsqu'il y en a,- un parcours en cas de retard de réalisation des plans oudes calepinages ou “voie d’urgence”.

La transmission des plans se fait donc selon des voies nor-malisées qui sont reconduites de chantier en chantier,mais qui peuvent aussi se trouver contournées en fonc-tion de la pression des événements, la "voie d'urgence"elle même ne répondant pas, dans ce cas, aux besoinsimmédiats.

"Le parcours normal"

Ce parcours est celui qui est suivi par les plans et don-nées caractéristiques ou procès verbaux, au début duchantier, quand aucun problème particulier ne se pose.

L'entreprise générale communique donc à l'entreprisesous-traitante, le plus souvent lors de la réunion de coor-dination, mais aussi parfois directement par télécopie, lesdonnées techniques concernant son lot. Le commis, ou lechef de chantier de l'entreprise sous-traitante, les trans-met à son propre bureau d'étude qui exécute les plans etles calepinages. Cette fonction “étude” peut être assuréepar le commis, qui est un professionnel. Puis, les plansfont le chemin inverse, passant obligatoirement par l'en-treprise générale, puis par le maître d'œuvre et enfin,aboutissent au bureau de contrôle sous-traitant du MOpour approbation. Ce dernier les transmet, en retour,avec ses remarques, au maître d'œuvre qui les remet àl’entreprise générale qui, elle-même, les remet au sous-traitant. Ce parcours est respecté, dans les périodes destabilisation du chantier, et lorsque l’on pense que lesdélais de réalisation se superposent aux prévisions.

Le même cheminement du plan est observé pour unemodification intervenant en cours de chantier, et modifiantdes choix techniques, ceci quelque soit son point dedépart, c'est-à-dire que la décision de modification del'ouvrage provienne du MO, de l'architecte, ME, de l'en-treprise générale ou des entreprises sous-traitantes.Lorsque la modification n'a pas d'incidence sur les choixtechniques ni sur les calculs, le bureau de contrôle n'estpas concerné et le circuit s'arrête au maître d'œuvre.Dans les faits, il est plutôt rare que le bureau de contrôlene soit pas consulté, dans la mesure où il concerné partout ce qui touche à la solidité et à la sécurité de l'ouvrage.

Ainsi, on note une standardisation des canaux de trans-mission des plans et calepins, quelque soit le rythme desmodifications et indépendamment de l'influence que cesmodifications peuvent avoir sur les plannings.

Ce fonctionnement est en tout cas quasiment toujoursrespecté dans la première période de réalisation du chan-tier. Cela correspond à une période où les marges demanœuvre sont les plus larges et où les interventions desCES sont encore mineures. Les modifications les concer-nant s'inscrivent donc encore dans des délais gérables parles CES. Néanmoins, les CES qui interviennent le plus pré-cocement, c'est-à-dire, avant tout, les électriciens puis lesplombiers, qui assurent les opérations d'incorporation desréseaux dans les planchers et les cloisons, ont soulignéqu'ils rencontraient certaines difficultés, en relation avec le"circuit" décrit ci-dessus des plans et des modifications. Deleur point de vue, ce circuit accroît notablement les délaisdans lesquels ils disposent des informations concernantleur lot. Ils se retrouvent en effet en bout de chaîne dansla connaissance des décisions arrêtées par le MO (par l'in-termédiaire du bureau de contrôle), le ME et/ou l'entre-prise générale, et cela bien souvent quelle que soit l'im-portance de l'impact de ces décisions sur leur lot.

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"Les voies d'urgence"

Dans certains cas, les CES font appel à des bureauxd’étude sous-traitants. Il arrive que le conducteur de tra-vaux de l'entreprise générale, chargé du suivi des CES,intervienne directement au niveau de ces bureauxd'études pour "aider" le CES, lorsque ce dernier ne peutobtenir les plans, dans les temps impartis par la planifica-tion du chantier. Ce type d'intervention peut même par-fois avoir lieu lorsqu'il s'agit de services internes à l'entre-prise du sous-traitant.

Cette voie est utilisée dans les cas d’exception, lorsque,du point de vue de l'entreprise générale, le parcours nor-mal ne permet plus de respecter les délais portés sur lesplannings.

Dans les faits, on observe que cette voie est de plus enplus fréquemment empruntée en fin de chantier. Lesinterventions directes de l'entreprise générale sont alorsmultipliées car les délais se raccourcissent et les pertur-bations de plannings, qui seraient engendrées par l'adop-tion du circuit "normal", sont trop importantes par rap-port aux prévisions initiales ou plus récemment fixées.

La voie d'urgence est également empruntée lorsque leretard dans les livraisons des plans d'exécution romptl'enchaînement prévu avec les autres corps d'état.

Les conséquences des dysfonctionnementsdans la circulation et la transmission desplans

Les conditions de gestion des plans et de leurs modifica-tions au cours du chantier peuvent avoir des consé-quences nombreuses, que l'exemple du pierreux permetd'illustrer.

Les calepins du pierreux, sur le Bt. 2, ont accusé deuxmois de retard. Ce retard a engendré des répercussionsde plusieurs sortes :- le fournisseur, en Espagne, a reçu la commande enretard et n'a pu la satisfaire dans les délais,- cela a entraîné une inversion de l'enchaînement normaldes opérations qui consiste à poser la pierre avant de réa-liser le ravalement de façade,- le ravaleur a dû intervenir de façon imprévue ; de plus,il s'est quand même trouvé retardé par rapport à sesplannings et au planning du chantier - devant enchaînersur le Bt. 3 après le Bt. 2 - et, afin d'absorber le retard etde permettre à une équipe supplémentaire d'intervenir -il a alors confectionné, en urgence, une partie des écha-faudages, et ceux-ci n'étaient plus en conformité avec laréglementation.

Cette situation suggère certains commentaires.

Les "voies d'urgence" perdent de leur efficacité si ellessont sollicitées tardivement. Ceci est d'autant plus vraique les allongements de délais accusés par un des parte-naires, ici pour retard de transmission de plans mais n'im-porte quelle raison occasionnant des retards a les mêmesconséquences, ne profitent pas toujours à celui qui doitlui succéder sur le même espace de travail. Cela a été lecas pour le ravaleur, qui a été prévenu tardivement, etdonc n'a pu anticipé les changements de planning et qui,de plus, a néanmoins dû attendre le pierreux pour unepartie de son intervention, ce qui l'a obligé à tout fairedans la précipitation. Autre exemple : le peintre doitattendre, sans pouvoir intervenir, que l'électricienrebouche les trous occasionnés lors des interventionsreportées suite à des modifications de plans.

Dans le cas du pierreux, on peut aussi noter qu'il n'a pasexercé de pression sur son Bureau d'Études, pour dispo-ser des plans dans les délais prévus car, sur le Bt. 1, undécalage de plus d'un mois dans la réalisation des opéra-tions, ne lui permettait plus de prévoir précisément ladate de son intervention. La planification était devenuetrop imprécise pour lui permettre une anticipation perti-nente dans l'organisation des travaux.

On peut aussi remarquer que, pour certains corps d'état,la fréquence des modifications est telle qu'elle deviennent"une normalité". Dans ces conditions, les CES déclen-chent leur commande au plus tard, afin d'éviter des modi-fications de commande engendrant inévitablement dessurcoûts. Cependant, cette stratégie d'adaptation auxaléas des plans peut être contrariée par des facteursextérieurs au chantier.

Dans le cas du pierreux, un fait supplémentaire s'est ainsiajouté aux différents aléas. Les délais de livraisons de 9

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Un échafaudage peu conforme à la réglementation et des risquesde chute grave pour les ravaleurs

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semaines, régulièrement respectés par le fournisseur, ontété perturbés car, dans la seule carrière disposant de lapierre devant servir sur ce chantier, aucune veine per-mettant de débiter les quantités requises n'était dispo-nible, à ce moment. La situation de monopole subie parle sous-traitant, réduisait ses moyens de régulation.

Par ailleurs, il semble qu'une vision du déroulement duchantier, focalisée sur le court terme, occulte les incidentsrelevant du moyen et long terme ; les plans ne sont récla-més avec insistance que lorsque les échéances se rappro-chent. Sur le Bt. 2 on a aussi accusé des retards surd'autres travaux comme la menuiserie (huisseries), l'élec-tricité, le cloisonnement etc., qui ont masqué celui desplans.

De plus, pour parler de retards, il faudrait une clarificationdes règles et des repères consolidés : les délais doiventêtre clairement précisés par chaque interlocuteur. Or,autour des délais, un malentendu brouille parfois leursignification. Nous assistons, par exemple, à ce genre dedialogue où l'entreprise générale explique au pierreuxque ses plans sont en retard :- "En retard par rapport à quelles échéances ?"- "Celles que vous avez avancées !"-"Vous m'avez demandé si je pourrais les respecter, jevous ai répondu que j'essaierais. Pour moi, ce sont desdates indicatives, pour vous ce sont des dates d'effet !".

Ces propos, ou des propos similaires, sont fréquemmententendus lors des rencontres hebdomadaires, entre lesreprésentants de l'entreprise générale et ceux des CES. Ilsemble donc que l'une des insuffisances, qui émousse l'ef-ficacité de la coordination, soit le manque de clarté destermes, dans les échanges. Ce qui paraît être un accordn'est, en fait, qu'un dialogue de sourds. Mais peut-êtreaussi pourrait-on parler d'un utile malentendu ?

Flou involontaire ou marge de manœuvre?

Lors d'une séance de travail, au cours d'une réunion decoordination, pendant que le conducteur de travaux del'entreprise générale expliquait, sur plans, les modifica-tions qui devaient être apportées sur un lot, tout enmanifestant son accord, le commis ne jugeait pas utile deconsulter le document, qu'il n'avait d'ailleurs pas sous lesyeux. A la fin de la réunion, il demanda à son chef dechantier ce qu'il y avait à faire. Ce dernier, qui ne dispo-sait pas non plus de plan, lui donna toutes les informa-tions nécessaires. "Les plans n'ont aucune importancepour ces détails, ils ne servent que de façon générale"nous dit-il après la réunion.

Un commis d'un autre Corps d'État, toujours au coursd'une réunion de coordination, acquiesçait à toutes lesdirectives émanant du conducteur de travaux. Il disposaitde plans, cependant, à la sortie, il nous confia n'avoir pasvraiment compris ce qu'on lui avait dit, tout en ajoutantque "de toute manière, il savait ce qu'il avait à faire".

Dans un cas comme dans l'autre, on peut se demander sice type de comportement ne sert pas plutôt à réguler lescontraintes imposées par des délais, de plus en plusrigides et décidés, le plus souvent, unilatéralement parl'entreprise générale. En dépit des pressions que l'entre-prise générale exerce sur eux, les CES tentent de garderleurs marges de manœuvre, en faisant en quelque sorte"comme si de rien n'était". Mais, cette stratégie a évidem-ment ses limites et, de plus, tant du côté de l'entreprisegénérale que de celui des CES, on cherche à éviter d'al-ler jusqu'au conflit. Néanmoins, lorsque cette "tactique"de régulation est tirée trop loin, des conséquences néga-tives et multiples peuvent apparaître, notamment auniveau de la sécurité sur le chantier, car alors il faut allerplus vite et les équipes travaillant simultanément sur lesmêmes zones de travail se multiplient, engendrant desrisques pour eux-mêmes et pour les autres. Des surcoûtspour l'entreprise générale mais surtout pour les CESdeviennent aussi inévitables.

Par exemple, le retard des plans du pierreux, a retardé leravaleur qui avait des difficultés à occuper son personnelsur le chantier. Puis, comme nous l'avons souligné plushaut, lorsqu'on décida d'inverser l'enchaînement normal,il monta un échafaudage non réglementaire, qui menaçaitla sécurité des ouvriers. Par ailleurs, il dut ensuite aug-menter ses effectifs et accélérer les cadences et doncn'arriva pas à respecter un rythme régulier, facteur dequalité ainsi que de sécurité.

Formalisme de l'entreprise générale etlaisser-faire de certains CES

Malgré un certain degré de souplesse des procédures(parcours normal ou voie d'urgence) le fonctionnementgénéral reste très conventionnel. De plus, les voies d'ur-gence voient aussi leur capacité limitée par les réticencesdu Conducteur de Travaux de l'entreprise générale,chargé de suivre les CES, à les utiliser plus fréquemment.Celui-ci justifie sa réticence par son souci de réduire lenombre de ses interlocuteurs, afin de mieux maîtriser lesrelations avec les sous-traitants et de ne disposer que"d'un interlocuteur par Corps d'État".

Du point de vue des CES, le circuit de retour des plans(le même qu'à l'aller) peut être pénalisant et, de plus, il nesemble pas garantir toujours, pour autant, leur fiabilité…

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Là encore, cependant, les CES ont, semble-t-il, appris à"se débrouiller" face aux aléas prévisibles :- "Parfois, les plans tardent à revenir, et on ne peut lesattendre", nous dit un chef de chantier,- "De toutes façons, malgré les contrôles, les plans sontparfois faux. Nous ne leur faisons pas toujours confiance.Nous avons perdu du temps au premier étage du Bt. 1,mais depuis que nous nous sommes rendu compte deserreurs que comportent les plans, nous les corrigeonsnous-mêmes au moment des travaux, en nous référant àce que nous avons déjà réalisé. Si on avait attendu unecorrection par notre bureau d'études puis les approba-tions du bureau de contrôle, on n'aurait jamais rattrapéles retards dans les travaux."

Ce dernier cas, qui est pourtant loin d'être exceptionnel,ne remet cependant pas en cause les conditions de l'éla-boration et de la transmission des plans d'exécution.Ainsi, les procédures définies apparaissent prévues dansun contexte de fonctionnement en situation stable, sansdysfonctionnement particulier, comme si les procédures àelles seules suffisaient à garantir la qualité de la transmis-sion des informations et l'absence d'erreurs au niveau desplans.

Par ailleurs les procédures semblent fonctionner indé-pendamment des modifications des plannings, donc desaléas de la réalité de l'exécution des opérations sur lechantier, aléas pourtant itératifs comme les modificationsdemandées par le maître d'ouvrage ou plus souvent parle maître d'œuvre, au vu de l'avancement des travaux :certains gardes corps, qui n'étaient pas du goût du maîtred'ouvrage, ont ainsi été changés après leur installation.Les procédures paraissent s'inscrire dans un terme long,imprécis, peut-être même pourrait-on dire qu'elles appa-raissent "hors du temps".

Pour cela, le mode de transmission des plans, doit lui-même être adaptatif, c'est-à-dire qu'il doit pouvoir suivrela réalité du chantier. Il est indéniable que, par sa repro-duction de chantier en chantier, l'organisation des flux desplans, véhicule un savoir faire essentiel au lancement destravaux. Il ne s'agit pas de recréer, à chaque nouveauchantier, une nouvelle organisation car il s'ajouterait alorsune nouvelle incertitude aux incertitudes du chantier.Néanmoins elle ne devrait pas se rigidifier ni "se liquéfier",au cours de l'avancée des travaux. Elle devrait être l'épinedorsale d'une construction permanente des différentscircuits, l'objectif essentiel étant de véhiculer une infor-mation claire et crédible, facteur de qualification pour lesdifférents intervenants. En effet, des plans fiables peuventêtre une source de données techniques s'échangeantentre ceux qui élaborent les plans et ceux qui les trans-forment en ouvrage. Ils ne doivent pas être un simpledocument contractuel.

Inadaptation des circuits d'information ausein de la plupart des CES

Quand les plans suivent le même rythme et les mêmescircuits de transmission, quelque soit le déroulement duchantier, l'information qu'ils renferment court le risque dese trouver dépassée et de perdre donc de son intérêt.Leur importance s'amenuise et leur statut se réduit sur lechantier. L'information réelle n'est plus que du ressort ducompagnon. Mais, selon le statut des ouvriers, celle-cipourra avoir encore plus de difficultés pour "remonter".

C'est, par exemple, ce qu'exprimait un artisan travaillanten sous-traitance pour l'un des CES. Il se plaignait de nepas être consulté alors que, disait-il, "nous voyons leserreurs mais nous ne pouvons pas donner toujours notreavis". Il ajoutait encore que "si le responsable de l'entre-prise sous-traitante est au courant des diverses transfor-mations des plans, nous, nous ne sommes pas toujoursavertis à temps car les chefs ne communiquent pas assezavec les compagnons" et aussi que, "si les plans arrivent enretard on est obligé de tout refaire !". Ceci pose doncaussi le problème de la profondeur de la diffusion desinformations relatives aux plans sur le chantier.

L'imprécision des informations peut même parfois tou-cher des intervenants ayant eux-mêmes un rôle d'enca-drement des équipes. Un chef de chantier se plaignait parexemple de découvrir, au jour le jour, les modifications,mais aussi les dates et la nature des livraisons de fourni-tures. Ces conditions sont évidemment très préjudiciablesà l'organisation du travail car elles multiplient l'incertitudeet interdisent toute anticipation.

On remarque, qu'au fur et à mesure de l'avancement duchantier, le savoir se déplace vers l'ouvrier mais, quellesque soient ces évolutions, les circuits s'arrêtent le plussouvent au commis du CES. Ce problème est lié à l'orga-nisation du travail dans les entreprises des CES mais aussià la nature même de la réunion de coordination hebdo-madaire qui se déroule de façon immuable selon le prin-cipe : "un interlocuteur par CES". Or, nous avons remar-qué qu'avec la progression du chantier, les stocks, les déci-sions techniques, l'organisation du travail sont de plus enplus du ressort du chef de chantier. Le commis, respon-sable de plusieurs chantiers, a une vision de plus en plusimprécise de la réalité des travaux. Dans certains cas,nous avons noté que le commis a pu prendre connais-sance des nouveaux plans arrivés au siège de son entre-prise dans la semaine, mais que le chef de chantier a pun'en être averti que le jour de la réunion, parce qu'il yétait invité et qu'il pouvait y participer.

Ainsi les circuits classiques, que nous avons appelés "voiesnormales", deviennent inefficaces pour s'adapter aux per-

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turbations et évolutions du chantier, puisqu'ils fonction-nent selon des schémas standardisés, rigides, incapablesde se désaxer pour orienter l'information vers la cible laplus opérationnelle.

En effet, au début du chantier, "le commis" est bien la per-sonne la mieux placée pour recevoir l'information afind'organiser et de coordonner l'activité du chantier. Mais,au fur et à mesure que ce dernier avance, les opérateurssur le chantier nous paraissent s'imposer aussi commeinterlocuteurs privilégiés. Nous avons remarqué, pour cer-tains des CES, qu'ils intervenaient, de fait, de plus en plusdans les choix techniques et dans les décisions de gestion,ce qui montre, pour ces CES, certaines capacités d'ajuste-ment de l'organisation aux exigences réelles du travail. Lesadaptations ne semblent pas aussi aisées à réaliser par l'en-treprise générale, probablement en raison d'une moindreconnaissance des contraintes et, plus généralement, dufonctionnement des entreprises des CES.

Il est évident que les mécanismes, pour adapter les cir-cuits d'information, ne dépendent pas que de l'entreprisegénérale. Ils dépendent aussi largement du fonctionne-ment interne des CES, qui, nous l'avons vu, n'ont pas tousles mêmes capacités d'adaptation et de réactivité face à laréalité quotidienne du chantier. Le compromis entre lastabilité nécessaire et l’efficacité permanente de l’organi-sation des flux des plans passe par le choix d'unedémarche intermédiaire. Entre les "circuits standards indif-férents" et "la gestion spasmodique" dans les situationsd'urgence, il pourrait y avoir une voie intermédiaire pourtransmettre les plans d'exécution. Tous les plans n'ont pasle même "poids", ni la même priorité, ce qui devrait setraduire par des circuits adaptés.

Par ailleurs, il peut arriver que certains plans ne soient paspertinents ou plutôt que l'on puisse concevoir des solu-tions plus simples. A titre d'exemple, intéressant sur cedernier point, on peut noter qu'une concertation entre leconducteur de travaux de l'entreprise générale et le pier-reux a fait passer le nombre de calepins de 7 à 5. Celarenvoie à la concertation préalable entre les Corps d'ÉtatSecondaires, l'entreprise générale et le maître d'œuvre,lors de la conception technique, dont le développementapparaît favorable tant aux conditions de travail des sala-riés qu'à la qualité de réalisation de l'ouvrage.

Circulation des informations et réalitétechnique et sociale sur le chantier : des obstacles importants à la "remontée"des informations

Nous avons entendu plusieurs fois, l'un ou l'autre de nosinterlocuteurs, dire : "Je ne sais pas ce qu'il veut dire par

là", en parlant des plans provenant du Maître d'Œuvre.Cependant, sur ce chantier, la situation est plutôt favo-rable pour les sous-traitants, du fait que l'entreprise géné-rale coordonne les plans d'exécution du second œuvre.Cela favorise les échanges avec les CES et réduit certai-nement les erreurs d'interprétation.

Les bureaux d'études des CES exécutent également desplans qui ne sont pas non plus toujours totalementexempts d'erreurs. On a ainsi pu noter, dans le cas d'uneentreprise, la non-utilisation des plans exécutés par lebureau d'études, car celui-ci les avaient inversés (il auraitfallu les lire dans un miroir !). Dans ce cas particulier, lesplans conformes n'ont jamais été faits et les ouvriers ontdonc dû travailler sans plans. Nous avons également notéun cas où les travaux ont été effectués et où il a falluensuite tout refaire. L'erreur provenait du bureaud'études d'un autre corps d'état que celui qui étaitconcerné : sur l'un des bâtiments, les garde-corps, poséssur la base de plans erronés, gênent le pierreux.

La remontée des informations en provenance du chantier,c'est-à-dire concernant les conditions d'exécution destravaux et les aléas rencontrés, apparaît rudimentaire :souvent, pour gagner du temps ou simplement parcequ'elles sont gérées sur l'instant, les erreurs ne sont pasremontées jusqu'au Maître d'Œuvre, et parfois mêmeelles ne remontent pas à l'entreprise générale. Étantgénéralement détectées et rectifiées par les compagnons,il est fréquent qu'ils n'en avertissent pas toujours leurmaîtrise, dans la mesure où, d'une certaine façon, ils ontrésolu le problème. L'information reste donc détenue auniveau de l'exécution et les possibilités d'actualisation desplans ou de certaines conditions d'organisation du chan-tier sont réduites.Cette question de la remontée des informations du chan-tier vers l'entreprise générale est certainement un desenjeux majeurs de l'organisation à prendre en comptedès lors que l'on cherche à améliorer les conditions géné-rales du travail des CES, en termes de sécurité et de santédes salariés ainsi que de qualité de réalisation.

Les rapports hiérarchiques, présents sur le chantiercomme dans toute organisation industrielle, pèsent aussisur la circulation des informations. Il n'est pas simple defaire état d'aléas prévisibles, face à sa hiérarchie, car celapeut sembler une mise en cause de la compétence de sessupérieurs. Un chef d'équipe anticipe les difficultés à ins-taller des banches entre un mur de soutènement et despiliers en béton, qui seront coulées dans quelques jours :"On voit des choses, mais on ne nous demande pas notreavis", dit-il. On peut ajouter que lui-même ne se sent pasautorisé à exprimer spontanément son avis. Dans ce casparticulier, le chef d'équipe n'avait pas encore pu consul-ter les plans et il ne savait donc pas si l'erreur était déce-

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lable sur les plans ou si c'était la construction elle-mêmequi avait été réalisée en écart avec les plans. Ne pouvantidentifier de manière sûre l'origine de l'erreur, il ne sentaitpas en situation favorable pour faire état de ses interro-gations auprès de sa hiérarchie.

Par ailleurs, l'accès aux plans concernant des tâchesconnexes n'est pas facilité : "On n’a pas accès aux plansdes corps d’état quand ils interviennent dans un espacevoisin car, souvent, chacun ne s’occupe que de ce qui leconcerne directement, d’autant plus que les plans se limi-tent parfois à une ”structure”. Ainsi, par exemple, lesplans du plombier n'étaient pas connus du chef d’équipealors que cette connaissance lui aurait évité de comblerune voie de passage des conduites, dans le mur mitoyenau bâtiment dont il a la charge.

Conclusion : les aléas sont-ils une fatalité?

On observe donc, qu'en dépit des différents dysfonction-nements relevés dans la gestion des plans, les modalitésde cette gestion ne sont pas remises en cause. Il noussemble que cette absence de questionnement sur l'orga-nisation tient à ce que, par leur densité et leur reproduc-tivité, les aléas tendent à devenir une norme et ils sesuperposent "naturellement" à l'organisation formelle,sans la remettre en cause.

Les différents acteurs du chantier cèdent devant la fatalitéde l'imprévu "prévisible", et se tournent vers une coopé-ration au quotidien. Celle-ci repose sur le savoir-faire deplus en plus ignoré des "techniciens", propriété cachéemais non reconnue des compagnons. En outre cettesituation est entretenue par le déficit de concertation etde transparence des problèmes rencontrés, qui ne"remontent" qu'au compte-gouttes ainsi que par le par-tage segmenté de l'information.

LA COMMISSION DECOORDINATION :FONCTIONNEMENT,AVANTAGES ET LIMITESLa nature des relations entre les sous-traitants et l'entre-prise générale peut être approchée assez explicitementpar l'analyse des réunions de coordination, en lien aveccertaines observations et échanges conduits sur lechantier.

Un fonctionnement stéréotypé

La réunion de coordination est hebdomadaire. Elle setient, le plus généralement, entre le conducteur de tra-vaux de l’entreprise générale affecté au suivi des Corpsd'État Secondaires et les représentants des CES.

Les représentants de l'entreprise sous-traitante sont lecommis chargé du chantier, accompagné parfois de sonchef de chantier. Dans le cas des entreprises de petitetaille, le représentant de l'entreprise peut être le patronde l'entreprise.

Cette réunion a, pour rôle essentiel, d'assurer la coordi-nation entre l'entreprise générale qui, outre sa responsa-bilité de l'ensemble du chantier, réalise les travaux du grosœuvre, et les CES, ainsi que d'assurer la coordinationentre les divers CES.

Tous les problèmes importants du chantier devraient yêtre abordés, soit les aspects organisationnels, axés surl‘identification des tâches à effectuer, ou plutôt des lots àréaliser, sur le suivi des plannings en cours et les modifi-cations d’échéance, sur les modifications de plans, sur lesbesoins de stockage et les modes de manutention des dif-férentes fournitures…

Pendant ces réunions, programmées le mercredi, les CESsont reçus successivement, dans un ordre régulièrementrespecté, sauf imprévu, les horaires ayant été choisis enconcertation. Cette organisation paraît pertinente, carelle évite des "réunions fleuves", qui absorberaient inutile-ment le temps des CES. Ce serait d'autant plus contrai-gnant pour ces derniers que leurs commis ont plusieurschantiers à gérer. Néanmoins, l'ordre de réception seg-menté, limité le plus souvent à un seul Corps d'ÉtatSecondaire, interdit en quelque sorte une concertationplus élargie. Nous avons déjà noté les limites des circuitsde transmission de l'information verticale, qui s'arrête leplus souvent à la direction du chantier et à la direction desentreprises des CES. Dans ce cas, c'est le champ hori-zontal de la circulation de l'information qui paraît lui aussiréduit.

En dehors des rencontres de hasard sur le chantier, utilescertes, mais aléatoires, les CES concernés par un espacede travail commun, ou bien par une même articulationd'enchaînement de tâches, passent obligatoirement parl'entreprise générale, sans qu'ils ne soient nécessairementamenés à se rencontrer. C'est le cas du plombier et del'électricien, étroitement concernés par les incorpora-tions, du peintre et du menuisier, lors de la peinture deshuisseries ou des plinthes, du peintre et de l'électricienlors de la reprise des retouches. Le ravaleur et le pierreuxont pu partager le même échafaudage, car ils se sont ren-

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contrés de façon imprévue dans la réunion. L'étancheursectionne, sur la terrasse, les fourreaux de l'électriciensans que celui-ci le sache. Ils n'y eut, malgré cet incident,aucune rencontre au sein de la commission de coordina-tion pour discuter du problème alors que l'électricienn'arrivait plus à repérer l'emplacement exact des dégâts.Il fallut recourir à des travaux de dérivation. Les deuxcorps d'état n'ont cependant exprimé à aucun momentle vœu de se concerter.

Ainsi, s'il est inutile d'organiser des rencontres trop largesqui auraient les inconvénients précédemment relevés, ris-quant de diluer les problèmes, il paraît opportun de fairese rencontrer les CES, lorsqu'au fil du déroulement duchantier, ils partagent une situation de travail.L'organisation de la réunion doit s'adapter au chantier,perdre son aspect rituel ou standardisé. Un CES peut-être amené à attendre la rencontre d'un autre CES avecle conducteur de travaux de l'entreprise générale pouravoir l'information qu'il recherchait. D'une structure tri-angulaire de la communication on doit passer à uneforme horizontale, qui raccourcit le temps de transfert del'information et véhicule les éléments les plus pertinents.En effet, en dehors de son caractère trop complexe, lavoie de la communication indirecte est source de déper-dition d'informations.

Des préoccupations qui s'éloignent des besoins des CES avec l'avancement duchantier

La lecture des comptes-rendus de ces rencontres, précé-dant notre arrivée sur le chantier, et les observations quenous avons faites nous-mêmes en y assistant, mettent enévidence une évolution des problèmes abordés, selon laphase de déroulement du chantier.

Le début du chantier : une période de transparence

Les discussions et faits rapportés sur les registres au coursdes premières réunions, montrent une situation encoremaîtrisée, où l'intérêt de chacun semble préservé grâce àune concertation élargie qui permet, par exemple, laréservation d'aires de stockage ou de la grue :- l'ascensoriste se voit réservé la grue,- l'ordre et la nature des fournitures font l’objet d’atten-tion : "les huisseries arriveront le 20/06, ce sera les "ban-chées"... Elles sont munies de gâches électriques".

La coordination se préoccupe également des relationsentre les différents Corps d'État Secondaires :- le 24/08, l'entreprise générale rappelle au plombier laremise de plans d'implantation des radiateurs.

Les stockages font l'objet d'une attention élevée et d'exi-gences fortes :- le 12/10, on réitère les principes et la nécessité d'unstockage avec le plus grand soin. On peut même hausserle ton : "Sinon, on refusera la réception". On rappelle leconseil lors de la réunion qui suit.- le 26/10 on discute et reporte sur le P.V. de la réunion"que les portes des placards seront stockées sur les esca-liers R +1 en attente des huisseries".

On se préoccupe donc de l'arrivée des fournitures, deleur manutention et de leur stockage. La réunion decoordination joue son rôle. C'est la période de la com-munication extrême qui va dans jusqu'à des détails parfoissurprenants mais qui ont un intérêt pour les sous-trai-tants : "les volants des robinets d'arrêt du sous-sol doiventêtre remis à la personne qui assure l'entretien”.

Le chantier est avancé : une discrimination des pro-blèmes au détriment de la gestion des flux physiquess’instaure

Les préoccupations relatives aux approvisionnements s'ef-facent peu à peu derrière les contraintes du chantier. Lescompte rendus ne font quasiment plus mention de cesquestions. Néanmoins, on saura, par l'entretien que nousaurons avec le responsable de l'entreprise "Menuiseriesextérieures", que ces dernières devaient être livrées à7 heures les 20 et 21 septembre et qu'elles seront ren-voyées car la grue n'était pas disponible - la livraison ayantété retardée par les encombrement sur la route.

Au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture desprocès verbaux, la gestion des flux physiques, qui est laphase initiale de l'activité du sous-traitant sur le chantier,disparaît derrière les problèmes de retards de planningsaccusés déjà par certains : la réunion du 16 novembrerelève ceux de l'électricien. Par contre, on ne retrouvenulle part trace de l'arrivée de fournitures ou d'incidentsayant pu marquer ces arrivées. L'opacité commence às'inscrire comme un voile sur certains événements duchantier.

La pression s'accentue sur le chantier avec son avance-ment mais les perturbations quotidiennes ne sont pasvisibles, seules leurs conséquences sur l'avancée des tra-vaux font l'objet d'attention et de remarques dont onretrouve les traces écrites. On ne trouve plus notées queles modifications en terme de réajustement de plan, d'en-chaînement de travaux entre corps d'état. Cependant,même si ces événements font l'objet de discussions ver-bales, leur contenu est absent des comptes rendus. Cequi est noté, ce sont les données techniques, de plus enplus précises, et les délais que doit respecter le CESconcerné.

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Un partenariat déséquilibré : les délais, sont presquetoujours fixés par l'entreprise générale

Au cours des négociations, le CES a pratiquement tou-jours cédé, même si de temps à autre il arrive à "grigno-ter" quelques jours. Lors de la réunion du 26 octobre, onremarquera que les pare-feu devant être livrés le 21 sep-tembre, le seront en fait le 20 à 8h00, pour pouvoirbénéficier des services de la grue.

L'entreprise générale, devant ses propres contraintes,s'écarte de son rôle de coordination et l'affectation de lagrue est avant tout pour le béton, les livraisons des four-nitures des Corps d'État Secondaires n'ayant que la pos-sibilité de s'ajuster aux besoins prioritaires du gros œuvre.

Quand les plannings se heurtent, la commission de coor-dination tranche pratiquement systématiquement enfaveur du gros œuvre : l'électricien, le plombier, le peintredoivent attendre l'avancée des travaux de réalisation dela structure, mais ont rarement gain de cause, lorsqu'ilsnégocient une compensation temporelle.

L'électricien est obligé de réaliser ses incorporations dansle temps qui lui est imparti en absorbant le retard accusé,par exemple, par le ferraillage et quelle que soit la com-plexité des incorporations à réaliser, inégale pourtantselon les niveaux et les bâtiments.

Le peintre ne peut pas toujours observer des haltes, quilui permettraient de réguler son activité, afin de s'aména-ger un enchaînement lui évitant un déplacement de per-sonnel ou d'outillage d'un chantier à l'autre. Ceci estobservable même si l’interruption de son programme detravail est le fait de l'entreprise générale, ou des autressous-traitants qui n’ont pas préparé les ouvrages sur les-quels il doit intervenir ou s'il doit récupérer des défautsde travaux exécutés par d’autres sous-traitants qui l’ontprécédé sur le même lot.

La définition des plannings hebdomadaires est, commenous l'avons signalé, surtout du ressort de l'entreprisegénérale qui les soumet lors des réunions hebdomadairesaux CES pour les "inviter" à s'y ajuster.

Au fur et à mesure que les délais se resserrent, les margesde manœuvre des différents partenaires se réduisent enmême temps que leurs intérêts tendent à diverger.L'entreprise générale veut contracter les plannings pourconserver des marges de manœuvre, tandis que les CEScherchent à les étendre.

Les négociations auxquelles nous avons assisté, dans unclimat de plus en plus tendu, mais toujours convivial (oupresque) adoptent le stéréotype suivant :

- l'entreprise propose une date, en général plus procheque celle qui était prévue dans les plannings précédents,- le sous-traitant propose une date qui se situerait entreles deux,- l'entreprise générale refuse,- le CES abdique.

La conséquence immédiate est l'émergence d'un conflitcroissant entre les plannings de l'entreprise générale etceux que souhaitent les CES, mais également entre lesplannings des CES. Le ravaleur signale la perte d'un moisde travail à cause de la malfaçon de la façade du bâtiment3, qui met à mal son organisation de travail. Cela nécessi-tera probablement un renforcement d'effectifs ainsi quedes mesures d'urgence pour réaliser l'installation deséchafaudages. Au même moment, la direction de l'entre-prise générale faisait état du fait qu'elle prévoyait un gaintemporel sur les plannings annoncés, de l'ordre du mois.Il est évident que le mois économisé par l'entreprisegénérale, ne se confond pas avec celui du ravaleur, maisl'organisation du travail confirme la prééminence des inté-rêts du premier partenaire sur celui des CES.

Utilité et limites de la commission decoordination

L'utilité de ces réunions de "coordination" est bien sûrévidente. C'est un lieu d'échange d'informations qui per-met de suivre au plus près l'évolution du chantier.

Mais s’agit-il réellement d’une coordination ou ne s'agit-ilpas plutôt d’une réunion où les rôles et les statuts sont figésdans une hiérarchie adoptant un fonctionnement tendant àse bureaucratiser au fil de l’avancement des travaux?

Statut inégal des différents partenaires

Le déséquilibre entre les statuts des différents partenairesau profit de l'entreprise générale se creuse au fur et àmesure que le chantier avance. Nous avons noté que lesavis de l'entreprise générale bénéficient d'un statut quis'affirme au fil du déroulement du chantier.

Malgré des signes évidents de la part de l'entreprise géné-rale de sa volonté de ne pas mettre en péril les corpsd'état, les négociations semblent toujours se situer à lalimite du point critique que peut atteindre le sous-traitantavant l’effondrement et non à son niveau optimum deperformance.

"Quand on vient à cette réunion, c'est pour tenter de col-ler au maximum aux échéances que nous fixe l'entreprisegénérale, et non pour proposer des solutions efficaces, etje ne sais pas si nous tiendrons encore longtemps", nous

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confia un commis. "On est là pour se défendre et nonpour proposer. D'ailleurs, c'est ainsi de plus en plus,quelle que soit l'entreprise générale, encore que cela sepasse ici mieux qu'avec d'autres qui vous étranglent" nousa dit un autre responsable, ajoutant encore : "Sincère-ment dans ces conditions, on a peu de temps pour réflé-chir à la gestion des flux, puisque nous sommes constam-ment en train de parer au plus pressé. Il faut ajouter, qu'ausein de notre entreprise, on dispose de très peu detemps pour mener une réflexion approfondie autour desapprovisionnements, et nous nous rabattons vers lesméthodes usitées jusque là. C'est pour cela que nousréitérons les mêmes erreurs depuis vingt ans !”

En effet, dans la recherche d'une rationalisation maxi-mum, chaque commis gère plusieurs chantier et, pourchacun de ces chantiers, il a plusieurs interlocuteurs : ladirection du chantier bien sûr, mais également le servicefinancier du MO, le bureau d'étude, le bureau decontrôle, le services achat et le service du personnel deson entreprise. Après une journée passée sur plusieurschantiers, il faut envoyer des courriers à un certainnombre d'entre eux. Il reste donc peu de temps pour éla-borer une stratégie afin de réguler les flux. L'un des com-mis rencontrés estime que, compte tenu de cescontraintes, "la réunion de coordination devrait être aussiun lieu de réflexion où tout le monde réunit ses facultésde proposition. Malheureusement, dès que nous sommesen présence des représentants de l'entreprise générale,nous perdons l'initiative, et les propositions que nousnous promettions de faire, se perdent dans lescontraintes de temps et de modifications que nous subis-sons".

Le lissage des tâches

Des plannings "impertinents"Au sein de la commission de coordination l'équilibreentre les intérêts et les enjeux des différents partenairesparait ainsi préfixé, et non le résultat d'une constructioncommune. Des plannings, proposés par l'entreprise géné-rale, n'intègrent pas la réalité des tâches qui y sont inclues.L'électricien s'exclame : "Vous faites des plannings, maisvous ne voyez pas le temps que nous demande le travailà faire" ! Il est aussi évident que les tâches comportent desaléas et que la réalité du travail concret doit être prise encompte, ce qui n'est que très peu le cas lors de laconception des plannings et plus encore peut être lors deleur modification. "La pose d'une prise ne se fera pas dela même manière lorsque le filage a été fait correctementou quand il faut tirer un fil oublié lors des incorporations"confie un compagnon ajoutant que "c'est pour cela qu'ilest difficile de négocier au forfait la réalisation d'unetâche".

Responsabilisation descendante/déqualification ascen-danteMais cette démarche a des effets encore plus pervers : àtrop enfouir les tâches dans les plannings, les responsablestechniques du chantier perdent leur sens de l'anticipationdu défaut de qualité. La façade du bâtiment 3 portaitdeux grands défauts dont on ne s'aperçut que lorsque lemenuisier tenta d'installer les cadres, qui ne purent tenircar la cloison extérieure n'était pas accrochée aux piliers,et lorsque le ravaleur vit que le joint de dilatation étaitabsent en plusieurs endroits.

Ainsi, par la sous-traitance, la distance prise par l’entre-prise générale à l’égard de l’activité, c'est-à-dire desconditions réelles de l'exécution, s’accompagne implicite-ment d’une délégation de responsabilité du contrôle de laqualité. Cela aboutit parfois à son évacuation du champde vision tant de la direction technique que de la maîtrise,"fascinées" par la tenue des échéances et la réduction desdélais.

L'altération de la qualité est d’autant plus grande lorsque,par leur apparente simplicité, les tâches ne sont pas soup-çonnées d’être affectées d’un risque potentiel d’erreur. Laremarque d’un responsable du chantier à propos de cetincident est édifiante : "Pourtant c’est tellement facile deconstruire un mur. Il suffit de savoir correctement mettreun parpaing sur l’autre, et c’est à la portée de chacun."

L’observation de l’activité concernée (le montage desparpaings), effectuée avant la connaissance du problèmede la façade, laisse penser que cette opinion est proba-blement partagée par la maîtrise du sous-traitant.L’équipe de maçonnerie est exclusivement constituéed’ouvriers étrangers maîtrisant mal le français. Un chefd’équipe de l'entreprise générale souligne lui-même lesdifficultés de communication qu’il rencontre avec eux. Ils’agit donc d’un microcosme, relativement autonome, quimaintient une certaine distance, tout en entretenantquelques échanges conviviaux avec les personnels desautres entreprises. Ainsi, par exemple, après avoir inter-rompu leur activité, pour laisser le plâtrier transférer sonescabeau, ils n'hésitent pas à l'aider, l’opération nécessi-tant plusieurs manœuvres. En contrepartie, ce derniertransporta pour eux une poutre qui leur servit d’écha-faudage. L’activité des maçons est une suite d’opérationsde manutention de charges lourdes dans des posturestrès contraignantes et de tâches rudimentaires comme lemontre la description de l’activité, telle que nous l'avonsobservée et décrite dans le chapitre restituant les ana-lyses du travail de certains CES. La pauvreté et la répéti-tivité des tâches sont tellement peu valorisantes et telle-ment déqualifiantes pour les ouvriers que ces derniersn’hésitent pas à les confier à des manœuvres.

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Les erreurs commises sur les murs de façade laissent pen-ser que la déqualification de ce type d’activité existe auposte de travail, avant de remonter et de gagner la direc-tion technique de l’entreprise générale qui ne sait plusanticiper l’erreur : le transfert du savoir-faire se solde parune perte du savoir. La responsabilisation descendante dela qualité croise une déqualification ascendante qui va duposte à la hiérarchie la plus haute de l’entreprise générale.

La commission de coordination n’a pas analysé les raisonsde ce défaut pourtant très pénalisant puisque des reprisesont dues être opérées. Les cadres des fenêtres exté-rieures ont été confectionnés en béton et les joints dedilatation reconstitués.

Une représentation en contradiction avec le déroule-ment du chantier

Après la phase de préparation, quand les travaux com-mencent à progresser, la représentation des partenairesdu chantier dans la commission paraît figée, ne tenant pascompte de la réalité de la représentation des diversacteurs.

En effet au fil des étapes suivies par les travaux de réali-sation, nous avons noté l'immuabilité de la constitution dela représentation des CES. Or, comme nous l'avons notéplus haut, le chantier fait évoluer le niveau des responsa-bilités et la présence physique des sous-traitants descorps d’état secondaires. Il est vrai que certains CES fontparticiper leur chef de chantier, mais, d'une part les sous-traitants de deuxième niveau sont toujours absents,d’autre part, certains commis continuent de se présenterseuls. Ils attendent souvent la fin de la réunion pour véri-fier, auprès de leur chef de chantier, les informationsapprises au cours de la réunion. Plusieurs fois, des com-mis ignoraient, et l'avancée des travaux réels, et la naturedu stock dont ils disposaient sur le chantier. A maintesreprises ils déclarent : "je ne sais pas si les fournitures sontarrivées", ou "je ne pas si cela a été fait", "je verrai tout àl'heure avec mon chef de chantier"…

Par ailleurs, avec le rapprochement de la date de livraisonde la première tranche de travaux, la représentation del'entreprise générale à la réunion de coordination s'estétoffée. Les principaux responsables sur le chantier sontprésents. L'équilibre des forces entre les différents inter-locuteurs parait ainsi s’incliner encore plus en faveur del’entreprise générale, et ceci en contradiction avec la réa-lité du chantier qui, de plus en plus, transfère l’activité auxcorps d’état. Le sous-traitant reste lui le plus souvent seulet donc en situation d'infériorité.

Cependant, l'élargissement de cette représentation pré-sente aussi des aspects positifs car les solutions proposéessont plus variées.

L'entreprise générale intervient plus fréquemment auprèsdes fournisseurs car certains de ses représentants lesconnaissent, pour avoir déjà travaillé avec eux sur d'autreschantiers. Le fabricant de laine de verre dont l'épaisseurfournie ne répond pas aux caractéristiques techniques dufaux plafond, est ainsi appelé par le conducteur de tra-vaux de l’entreprise générale pour changer les caractéris-tiques de son produit, ce que le plaquiste, à qui étaientdestinées ces fournitures, ne semblait pas apte à négocier.

Les mêmes responsables interviennent auprès du Maîtred'Ouvrage pour faire agréer un type de pierre, en rem-placement de celle qui était prévue par le pierreux et quece dernier ne pouvait obtenir pour les raisons évoquéesprécédemment. Les risques de retard sont, dans ce cas,fortement pénalisants pour le sous-traitant concernédirectement et pour certains autres sous-traitants, maiségalement pour toute l'avancée du chantier Cette situa-tion était d’autant plus contraignante que les possibilitésde régulation étaient très limitées, puisque les dates delivraison de la pierre retenue à l'origine semblaient dépas-ser largement celle de la fin des travaux.

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LES ZONES DE STOCKAGES :UN ENJEU STRATÉGIQUEMAL PERÇUUne logique à court terme

Les chantiers sont en permanente transformation et, siles aires de stockage sont, dès les premières réunions,matérialisées sur les plans du chantier, elles font, rapide-ment, l'objet de modifications, aussi bien dans les implan-tations que dans leurs affectations par rapport aux prévi-sions initiales. Ces ajustements se font le plus souvent defaçon informelle et sans vision d'ensemble de leurs effets.

D'une manière générale, l'ordre d'arrivée des fournituresdomine sur l'ordre d'utilisation. La gestion des approvi-sionnements, marquée par de fortes contraintes detemps, semble donc statique et parcellisée, plutôt queglobale et dynamique. Les approvisionnements des corpsd'état apparaissent gérés de façon indépendante, sanss'inscrire dans une chronologie rationnelle des réalisa-tions. Il s'agit avant tout de "faire au plus vite et au plusprès". De ce fait, certains corps d'état peuvent se trouverpénalisés par l'utilisation, par d'autres corps d'état, de cer-taines zones de stockage qui seraient les mieux appro-priées à leur propre stockage ou qui constituent un obs-tacle à l'accessibilité à leur propre espace de travail. Celaa pour conséquence d'obliger à des entreposages éloi-gnés de la mise à pied d'œuvre, qui imposeront ensuite,pour s'approvisionner, d'allonger les itinéraires.

La mobilisation chronique de la réaction à court terme(au détriment de l'anticipation et donc de la préparation),fait ainsi obstacle à une vision plus étendue, dans l'espaceet dans le temps, des réalité des situations de travail.

Le nomadisme croissant des stocks

Si, au début du chantier, les espaces de travail sont assezbien distincts pour chaque corps d'état secondaire, ils onttendance à se confondre par la suite, les lieux d'interven-tion se réduisant au fur et à mesure que l'on approche dela fin de la réalisation des structures.

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Les points critiques : stockages, circulations etpetits moyens de manutention

Stockage d’équipements sanitaires, “au plus près” de la zone dedéchargement et “au plus loin” de la zone de montage

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L'affectation des espaces de travail devient alors impré-cise, engendrant une répartition des zones de stockagesde plus en plus éphémère avec l'avancement du chantier.Au fil du déroulement des travaux, les déplacements despetits stocks de fournitures se font de plus en plus fré-quents d'un endroit à un autre. Ce nomadisme des stockss'accentue encore lorsque le nombre des corps d'étatpartageant le même espace de travail augmente.

Dans la première partie du chantier les aires de stockagessont sous la quasi exclusive autorité de l'entreprise géné-rale puis, la présence des corps d'état sous-traitants s'ac-centue, permettant à ces derniers une prise de posses-sion des lieux de travail et des entreposages. Mais celle-cise réalise de façon tout à fait informelle et plus ou moinscontre la volonté de l'entreprise générale, qui s'avèrecependant impuissante à réguler correctement lesbesoins de chacun. Le "collectif des sous-traitants" adoptedonc ses propres règles et tente d'optimiser son organi-sation. Le plus souvent, la logique qui fonctionne est celledu "premier arrivé, premier servi", les suivants s'adaptantà la situation trouvée ou, parfois, négociant, généralementsans heurts, certains réaménagements.

L'entreprise générale intervient pour les stockages impor-tants soit en volumes soit en valeurs, mais les choix deszones de stockage sont rarement faits en tenant comptedes contraintes et besoins du sous-traitant pas plus qu'ilsn'anticipent vraiment sur l'avenir.

Ces affectations selon une vue à court terme des stoc-kages, conduisent à de fréquents déplacements desentreposages, coûteux en temps et en fatigue et non sansrisques pour les produits entreposés : les portiques desvitrages du "menuisier extérieur" ont ainsi été déplacésconstamment et cela sans l'aval de l'entreprise.

Dans un autre sens, les conditions de réception et sur-tout d'entreposage des robinets de radiateurs, qui sontdes objets précieux, puisqu'ils valent 150 F/pièce, sontexemplaires. Il faut tout d'abord souligner que, si le jourde livraison était bien programmé, l'heure d'arrivée desrobinets n'avait pas été précisée par le fournisseur ni parle transporteur. Les plombiers-chauffagistes ont ainsi dûinterrompre leur activité d'incorporation, elle-même for-tement soumise aux contraintes de temps et mobilisantla quasi totalité de la main d'œuvre des sous-traitantsconcernés. Ceux-ci, pour perdre le moins de temps pos-sible, ont déposé les approvisionnements au pied du véhi-cule, afin de s'en retourner au plus vite à leur activité d'in-corporation. Un local était initialement prévu pour stoc-ker les robinets mais, sa porte n'ayant pu être fabriquéeà temps par le serrurier, un autre stockage a dû être trouvé, au dernier moment. Le choix a été fait de les

entreposer dans un container extérieur, cadenassé dans lajournée, sa fermeture étant renforcée la nuit par la dis-position de deux gros blocs de béton devant la porte,blocs obligatoirement manutentionnés par le grue. Celasignifie leur installation systématique en fin de journée etleur déplacement le matin à la première heure, ce qui acrée une dépendance des plombiers vis à vis de la grue.Cela ne semble pas cependant avoir induit des difficultéspour ces derniers car le premier "geste" du grutier, lematin, était bien de libérer les portes du container et ledernier, le soir, de les condamner à nouveau.

L'usage de la grue, dès lors qu'il rentre dans une régula-rité ne pose pas de problèmes et cela d'autant moins qu'iln'intervient pas au milieu des activités du gros œuvre. Ilfaut néanmoins remarquer que le changement de lieu destockage induit une activité supplémentaire pour l'entre-prise de plomberie. Un ouvrier de cet entreprise a dû eneffet être désigné pour réaliser, matin et soir, l'accrochageet le décrochage des blocs de béton pour leur manuten-tion par la grue. Cela représente une contrainte qui n'estpas négligeable car elle impose à cet ouvrier d'inter-rompre son travail en cours pour réaliser cette tâche qui,de plus, n'est pas dans la logique de ses tâches habituelles.

Si l'usage de la grue n'a ainsi pas posé de problème pourl'accès au container et la protection des robinets, tel n'apas été le cas au moment de leur livraison. En effet, aprèsle dépôt des stocks au pied du camion, il a fallu attendredeux heures avant que la grue ne soit disponible pour lestransporter à l'entrée du container et assurer ensuite sadouble fermeture avec les blocs de béton. On peut noterque, pendant les deux heures qui se sont écoulées avantla disponibilité de la grue, le chef de chantier plombe-rie/chauffage est resté à proximité des articles livrés afinde les garder sous surveillance constante.

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Un container (trop ?) bien gardé.

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On a pu observer aussi, qu'afin de libérer au plus vite lagrue, les ouvriers de l'entreprise générale ont aidé ceuxde l'entreprise de plomberie/chaufferie à entreposer lespièces dans le container. Ainsi, la coopération entres lesdeux collectifs a suppléé aux difficultés et limites de lacoordination des tâches, compte tenu de leur diversité etde la faible prévisibilité de celles liées aux approvisionne-ments, au sein de l'entreprise de plomberie/chauffage.On peut remarquer que cette intervention est dictée parune convergence d'intérêts des deux équipes, même sicette convergence n'est pas bien perçue au départ. Eneffet, l'équipe de l'entreprise générale est avant tout pré-occupée par la disponibilité de la grue, tandis que l'équipede plomberie/chauffage s'inquiète du risque de vol desrobinets, qui devaient absolument passer la nuit dans lecontainer. Cette coopération, entre collectifs de travaildifférents, est observée dans beaucoup de situations. Ellepallie le plus souvent à l'absence de coordination entre lescorps d'état sur ces aspects.

En ce qui concerne les fournitures liées à la plomberie ona observé d'autres écarts avec les zones de stockage pré-vues, lors de la livraison des sanitaires tels que lescuvettes de W.C, éviers, lavabos, bacs de douche et rac-cords. Ceux-ci devaient être distribués directement dansles appartements où ils devaient être installés. Ils ont été,au dernier moment, c'est-à-dire à leur livraison, emmaga-sinés dans l'appartement témoin, car les portes desautres appartements n'étaient pas encore montées. Celasignifie qu'une manutention supplémentaire aura éténécessaire lors de leur mise en place.

On voit que, si des régulations s'opèrent "sur le tas", lessolutions aménagées introduisent généralement unecontrainte supplémentaire pour les sous-traitants.

Face à ce mode de gestion on peut se poser au moinsdeux questions :

les sous-traitants peuvent-ils se trouver dans un statutde partenariat avec l'entreprise générale alors qu'ils appa-raissent fortement dépendants et soumis aux modes degestion adoptés par l'entreprise générale selon sespropres critères ?

les pérégrinations des matériaux et des produits, nesont-elles pas dues, en particulier, à une médiocre prévi-sion du déroulement du chantier, du point de vue desapprovisionnements nécessaires aux différents corpsd'état et à leurs logiques de gestion des fournitures, ainsique, plus généralement, à l'absence de vision de l'activitéréelle des différents acteurs appartenant aux corpsd'état ?

Une coopération entre les sous-traitants quis'affaiblit

L'inégalité de statut, avec une hiérarchie dominée parl'entreprise générale dès la contractualisation des mar-chés, s'affirme au cours des travaux. Cette prééminenceest naturelle lors de la réalisation de l'enveloppe, mais ellepose un problème quand elle persiste alors que l'essen-tiel de l'activité est du ressort des Corps d'ÉtatSecondaires c'est-à-dire pendant les travaux d'équipe-ment et de finition. Elle peut être un obstacle à des initia-tives des sous-traitants plus proches à ce moment de laréalité du chantier.

En ne déléguant pratiquement aucune liberté de choix destratégie, dans la définition des plannings et l'organisationdes flux - par une mise à leur disposition des moyens demanutention ou encore par la participation des sous-trai-tants à la définition des voies de circulation et des aires destockage - l'entreprise aggrave la désolidarisation descorps d'état à l'approche des échéances qu'elle impose àces derniers. "On s'arrange entre nous", modalités régis-sant les relations entre corps d'état au début du chantierfait place à "on se débrouille comme on peut".

Ainsi, la coopération informelle du début de chantier,entre les différents corps d'état, est présente et elle estun réel facteur de régulation et de meilleure efficacité. Or,l'avancement des travaux, qui renforce la présence descorps d'état secondaires, mais qui accroît aussi lescontraintes temporelles au fur et à mesure que l'on s'ap-proche de la fin du chantier, loin de rendre plus efficacecette coopération, tend à la réduire. Les rigidités tempo-relles plus fortes empêchent les ouvriers de se détacherde leurs tâches immédiates, pour se consacrer à l'organi-sation des aires de stockage et, a fortiori, aider leurs col-lègues. Les tensions liées à la réduction des délais pourréaliser des tâches de plus en plus nombreuses, mettentà mal la solidarité observée et exprimée antérieurement.

L'isolement des compagnons s'accentue : le menuisier neput trouver d'aide pour gerber les portes de distributionet les faire manutentionner par la grue.

La coopération s'amenuise et cette régression seretrouve dans les propos des commis, qui se refusent deplus en plus à pallier aux défauts des autres corps d'étatavec lesquels ils doivent partager la confection d'unouvrage : au début des travaux le peintre acceptait, enprenant sur son temps, d'ébarber les éclaboussures, surles plinthes, du réagréage du sol. A la fin du chantier, ildemanda à l'entreprise générale de lui payer les reprisesdes trous laissés par l'électricien en faisant répercuter lesfrais sur ce dernier. La gestion des déchets fait, de plus en

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plus souvent, l'objet de discussions vives entre le pla-quiste, l'électricien et le plombier.

L'entreprise générale, elle-même préoccupée par latenue des délais, joue de moins en moins son rôle decoordination : le chef d'équipe de l'entreprise d'électricitéest prié de se mettre d'accord avec le plaquiste, pourévacuer ses déchets qui encombrent les bennes dispo-sées sur le chantier à cet effet.

Des stocks de plus en plus dispersés et demoins en moins visibles

Le déplacement des zones de stockage dans un mouve-ment centripète, de l'extérieur, c'est-à-dire des terre-pleins, vers l'intérieur des bâtiments, ajoute à l'opacité quientoure les stockages, de plus en plus enfouis dans l'obs-curité des couloirs et des pièces. Les fournitures et lesdéchets s'entremêlent pour obstruer les voies de passageou s'entasser sur les balcons, aggravant les risques d'acci-dent et obligeant les ouvriers à des manutentionspénibles et de plus en plus fréquentes.

La concertation se fait aussi de plus en plus rare entre lescorps d'état du fait qu'ils se trouvent isolés par les cloi-sons de plus en plus nombreuses et qu'il leur faut accélé-rer l'exécution des tâches pour tenir les délais. Les huis-series encombrent les pièces du rez de chaussée du bâti-ment 2, et le maçon s'en plaint, mais il ne peut repérerl'utilisateur. Celui-ci était pourtant dans l'appartementvoisin ! Les champs de vision des compagnons se rédui-sent, limitant les coopérations.

C'est aussi pendant cette phase que les compagnons sontle plus à la recherche de leur fournitures, perdant untemps précieux au détriment de la production.Néanmoins on observe peut être là une forme de "récu-pération" des ouvriers afin d'échapper, très temporaire-

ment, à des cadences qui s'accélèrent quand les délais seréduisent. Cependant, si cette démarche est source derécupération (bien limitée) pour le compagnon aussi bienphysiquement que psychologiquement, elle ne peut par-ticiper que d'une organisation "cachée" car elle ne faitl'objet d'aucune concertation entre les ouvriers, intégrésdans des collectifs de plus en plus engagés dans destâches fortement contraintes par les dates de livraisondes ouvrages.

Ainsi, l'activité de l'ouvrier s'enfouit de plus en plus pro-fondément au cœur de la structure, échappant au regarddes directions et de la maîtrise qui n'en ont plus qu'uneidée standardisée, au delà du fait que, par ailleurs, leurintérêt pour la gestion des flux et la fonction logistiquedemeure très limité.

LA CONCEPTION DESCIRCULATIONS : UN RÉVÉLATEURNous l'avons noté à plusieurs reprises, les espaces réser-vés aux circulations ont tendance à s'encombrer avecl'avancement du chantier. Les interventions des corpsd'état en nombre de plus en plus important multiplientles besoins en aires de stockage qui tendent de plus enplus à occuper les espaces originellement réservés pourles circulations. Mais l'avancée du gros œuvre révèle aussifréquemment l'oubli total des besoins de circulationpropres aux CES, qui ne sont pas équivalents à ceux desouvriers du gros œuvre. La différence essentielle tientprécisément aux manutentions manuelles qu'effectuent lamajorité des ouvriers du second œuvre contrairementaux ouvriers du gros œuvre.

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Déplacer les stockages des uns et des autres pour accéder à sespropres matériaux ou libérer les circulations

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L'encombrement peut provenir de matériels qui ont étédémontés et qui sont en attente d'être enlevés. Cela aété le cas d'échafaudages, mis en attente plusieurssemaines au pied du bâtiment 1, en pleine zone de circu-lation des corps d'état secondaires, car devant servir pourle bâtiment 3, et pour lequel aucune zone de stockage n'aété aménagée. Leur entreposage a été réalisé "au plusprès", c'est-à-dire au pied de l'emplacement où ils ont étédémontés, sans tenir compte des difficultés immédiatesqu'un tel stockage pouvait engendrer ni surtout de ladurée pendant laquelle ils allaient devoir rester stockés.

On a aussi observé un lot important d'huisseries enfer-mées dans une zone de sécurité aménagée et balisée parun ruban pour éviter des accidents par chute d'objets, quiproviendraient de travaux des étages. La délimitation decette zone, interdite donc à toute circulation, s'est faitesans déplacer le stock d'huisseries c'est-à-dire aussi sanstenir compte de la nécessité de pouvoir disposer de cesfournitures pour les corps d'état concernés. C'est ainsique nous avons pu observer un maçon, chargé des tra-vaux de cloisonnement et de l'installation des huisseriesqui, ayant besoin de certaines des huisseries entreposéesdans ce périmètre de sécurité, a dû sectionner le rubanprotecteur pour les récupérer. Il s'est donc trouvé exposéau risque vis à vis duquel le dispositif mis en place était

censé le protéger au même titre que toute personne surle chantier. Ainsi, le compromis entre la production et lasécurité a été rompu, au détriment de cette dernière, lalogique des circulations et des accès ayant été penséeindépendamment de la réalité du travail des intervenants.

En termes de conditions de circulation aggravées, on aégalement observé la réalisation de travaux de grosœuvre au niveau du rez de chaussée du bâtiment 2, quiont imposé ensuite des conditions particulièrement pré-caires d'accès à la partie mitoyenne du bâtiment 1 :planches disposées sans beaucoup de soin, pour réaliserun "pont", sur lequel il était impossible de se croiser. Laplupart des corps d'état intervenant dans cette zonedevaient emprunter ce "passage" tout en transportantdes seaux, planches, outils et matériels divers, nécessairesà leur activité dans les étages. Ils avaient donc à la fois untrajet allongé et des conditions dans lesquelles les risques,notamment de chute, étaient aggravées.

Les travaux de gros œuvre qui ont handicapé le travaildes CES auraient pu être réalisés plus tard, ce qui soulignebien que leur programmation s'est faite sans prendre encompte les exigences du travail des CES et sans queceux-ci ne soient à même d'exprimer les difficultés occa-sionnées par ce choix. Cela souligne aussi les difficultéspour le contrôleur de travaux de l'entreprise générale,chargé de la coordination des CES, d'intégrer leursbesoins propres. Au fur et à mesure de l'avancement duchantier, la focalisation sur le respect du planning devientde plus en plus incompatible avec une orientation et uneréflexion visant à faciliter aussi le travail des sous-traitants.La fonction de contrôle prend alors le pas sur la fonctiond'accompagnement.

Mais, l'exemple le plus frappant est celui de l'accès aubâtiment 3. Une petite échelle métallique a constituél’unique voie d’accès des différentes fournitures et per-sonnels à l'intérieur du bâtiment 3, une fois l'envelopperéalisée. L'accès se faisait en effet au niveau du rez dechaussée, mais celui-ci est surélevé par rapport au sol. Laconstruction de l'escalier (de grandes dimensions) per-mettant l'accès au rez de chaussée depuis le sol étantprogrammée en fin de chantier, une échelle a été instal-lée "en guise d'escalier" pour permettre l'accès au bâti-ment. Ici, il apparaît que l'on a totalement "oublié" quel'accès à l'intérieur du bâtiment n'était pas un simpleaccès piétonnier mais que les "piétons" étaient pour laplupart "accompagnés" d'objets plus ou moins encom-brants et pesant, nécessaires pour réaliser leurs tâches etfaire avancer l'ouvrage. A aucun moment il ne fut envi-sagé la construction d'un escalier provisoire ou de toutautre moyen plus confortable et surtout moins dange-reux que l'échelle.

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Des stockages qui interdisent une circulation sûre.

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La limitation des voies d'acheminement des fournitures a eude multiples conséquences, dont les principales furent que :- les manutentions de toutes les fournitures, mais plusparticulièrement des fûts ou des plaques de plâtre, sefirent dans des conditions très pénibles,- le peintre perdit son autonomie vis à vis de la grue et accusadu retard lorsque cette dernière n'était pas disponible.

Ces situations, qui révèlent particulièrement l'absence deprise en compte des caractéristiques de l'activité desCES, ne font que confirmer ce qui a été observé tout lelong des travaux : la fascination exercée par le bétonéclipse largement l'activité des sous-traitants des Corpsd'État Secondaires. Cette référence quasi sacrée au bétonpeut cependant parfois se retourner contre le grosœuvre : "on ne raisonne pas en structure mais en cubagede béton", dit un agent de maîtrise de l'entreprise géné-rale ; "c'est pour cela qu'on a oublié de ménager de l'es-pace entre les piliers et la terre pour y poser les banchesdestinées au coulage du mur de soutènement".

LA STANDARDISATION DES OUTILS DE MANUTENTION : FACTEURSUPPLÉMENTAIRE DECONTRAINTESLe but premier des moyens de manutention est biendéfini mais les conditions de leur utilisation sont, commetout le chantier, en continuelle mutation. Ainsi, même lesmoyens les plus simples, comme la brouette, peuvent

devenir inadaptés.

La brouette

Elle a une largeur de 75 cm environ, elle est dotée d'uneroue unidirectionnelle et son volume est standardisé. Elleest efficace pour le transport d'une charge de 30 kg envi-ron, selon le niveau de remplissage. Elle est d'une mani-pulation relativement facile sur des surfaces lisses, suffi-samment larges (notamment pour tourner) et sans obs-tacle. Elle permet une mise à pied d'œuvre satisfaisante etréduit la charge physique par la limitation des manuten-tions manuelles.

Cependant, dès que les cloisons segmentent l'espace etrétrécissent les voies de passage, et que le sol est par-semé de gravats ou que des obstacles gênent sa progres-sion, son utilisation devient source de surcharges phy-siques car le transfert des matériaux se fera en partie pardes moyens improvisés quand l'engin ne peut atteindreson objectif. Sur le bâtiment 2, les tables de plancher nepermirent pas à la grue de déposer la colle à proximitédes cloisons, que les maçons construisaient en parpaings.Ces derniers utilisèrent la brouette pour se rapprocherde l'ouvrage mais les huisseries, trop étroites, étaient unobstacle infranchissable ; le trajet entre la brouette et lelieu d'utilisation, distants d'une dizaine de mètres environ,s'acheva à l'aide d'une pelle. Le résultat fut, pour lesouvriers, un allongement des distances et un port decharges dans des postures coûteuses.

Ainsi une mauvaise anticipation des conditions de travailet des moyens de manutention inadaptés, engendrentune improvisation dans les stratégies de manutention,source de surcharge physique pénalisante pour lesouvriers.Ce type de situation est constamment observé et source

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Un rez-de-chaussée surélevé et la construction de l’escalier prévueen fin de chantier. Résultat : une mince échelle “accrochée” augarde corps a servi “d’escalier” pour toutes les manutentions decompagnons (sur la photo, ouvrier transportant une planche de plusde 2 m de long).

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de plaintes de la part des ouvriers. Un compagnon nousdéclara : "je fais ce métier depuis plusieurs années mais,avec les conditions de travail actuelles, j'ai mal partout, onn'arrête pas de porter la colle et les parpaings et j'ai envied'abandonner. D'ailleurs il y a de moins en moins dejeunes qui résistent ou qui s'y intéressent".

Le transpalette

Il sert particulièrement au déplacement des palettes deparpaings à l'intérieur des bâtiments.

C'est un outil doté de deux fourches, mues par des rouesmétalliques particulièrement inadaptées à une surfacejonchée de morceaux de parpaings ou de sable, commec'est le plus souvent le cas dans les zones de constructionde cloisons. Il est donc soumis aux mêmes contraintesque la brouette.

Sur le bâtiment 3, l'utilisation du transpalette s'est avéréimpossible car, pour s'approvisionner, il fallait emprunterun balcon étroit, séparé de surcroît, par un petit muret,de la pièce où devaient être utilisés les matériaux. La dis-tribution des parpaings, par la grue, n'a pas tenu comptede la configuration interne du bâtiment, invisible il est vraiau grutier.

Les ouvriers durent effectuer tous les transferts manuel-lement, sur une distance de 20 mètres environ. Chaqueparpaing pèse 37 kg environ (il s'agissait ici de parpaingspleins, les creux pesant entre 15 et 20 kg) et la périodede manutention dura près d'une demi-heure. Tous lesouvriers participèrent à cette opération quand ils s'aper-çurent que le manœuvre, affecté à cette tâche, n'arrivaitpas alimenter le poste à une cadence satisfaisante.

Lorsque le transpalette permet la mise à disposition desparpaings au poste de travail, dès la consommation despremières rangées, l'opérateur se voit contraint d'adop-ter, pour s'approvisionner, une position inclinée trèspénible et source d'accidents lombalgiques, surtout si lesparpaings manipulés sont des parpaings pleins. Ainsi laconception de l'appareil ne tient compte que de sa fonc-tion première, qui est le transport, mais occulte son utili-sation ultime qui est celle d'un plan d'entreposage. Poursatisfaire cet usage, il suffirait de munir le transpaletted'une fonction de levage, permettant le réglage en hau-teur.

La corbeille ou fourche et la benne

Elle sert au transport, à l'aide de la grue, des palettes desacs ou de parpaings par exemple. Elle a environ 2,5 m dehauteur. Pour permettre sa réception au niveau d'un bal-con, les ouvriers démontent les garde-corps et encourentun risque de chute.

La même situation est observée lors de l'utilisation de labenne à colle ou lors de l'évacuation des déchets.

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Réception de la benne.

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Le compromis entre la sécurité et l'utilisation de moyensde transfert des matériaux et des produits est constam-ment rompu, au détriment de la sécurité, car les optionsoffertes pour s'adapter aux caractéristiques de la situa-tion de travail, liées dans ces cas à la hauteur des moyensde protection, sont nulles.

Conclusion : des moyens qui participent plussouvent du symbolique que de l'efficacité

Les propos des responsables du chantier révèlent unereprésentation de l'efficacité des moyens de manutentiondont sont totalement absents les dysfonctionnementsque nous avons rapportés. "Le transport des parpaings etde la colle se fait sur le bâtiment 2 à l'aide du transpalette"nous affirmait ainsi, dans son bureau, l'un des chefs dechantier, au moment où nous venions de constater quel'engin était totalement bloqué par des palettes de par-paings creux, disposées anarchiquement sur le trajet desparpaings pleins et de la colle, eux mêmes entreposésdans la zone la plus éloignée de la cloison à réaliser !

L'externalisation de l'activité, par la sous-traitance detâches de plus en plus nombreuses, semble être à l'ori-gine de l'idée fausse de l'efficacité des moyens méca-niques de manutention et semble même bloquer la

réflexion relative à leur adaptation aux contraintes réellessur le poste de travail, ainsi que la recherche de moyensplus performants.

La présence sur le chantier de certains moyens d'aide à lamanutention relève parfois du pur symbolisme : dans lecontainer du plombier, un diable est entreposé mais il neviendrait à personne l'idée de l'utiliser, compte tenu del'état habituel du terrain, dans lequel il s'embourberait àcoup sûr.

LA VISION D’UNE ACTIVITÉSTANDARDISÉEL'externalisation, en cascade, de l'activité de la directionde l'entreprise générale vers sa maîtrise, puis de cettedernière vers l'entreprise sous-traitante se traduit par unevision standardisée de l'activité et de l'organisation de lagestion des flux.

Les plannings, déterminés par l'entreprise générale, igno-rent toute une partie du contenu réel des tâches. Lessous-traitants font ainsi remarquer à la direction du chan-tier que les temps prévus, ne correspondent à la réalisa-tion effective du lot, qu'une fois la phase de préparationterminée, c'est-à-dire après l'élimination des défauts dusà l'intervention du sous-traitant précédent, le montagedes échafaudages et la mise à pied d'œuvre des fourni-ture. Les temps prévus ne tiennent pas non plus compted'éventuelles erreurs commises pendant les incorpora-tions, de la correction des informations erronées sur lesplans, des essais auxquels il faut procéder pour s'assurerde la qualité…

On peut souligner, plus généralement, que chaque opé-ration comporte elle-même des risques de dysfonction-nement plus ou moins anticipés.Les fournitures peuvent ne pas être disponibles, les trans-porteurs ne pas respecter pas leurs engagements, la grueêtre occupée par le coulage de béton, les aires de stoc-kages ne pas être définies, ou être occupées par d'autrescorps d'état… Le déchargement se fera alors au plusprès, c'est-à-dire à l'entrée du chantier ou dans le hall dubâtiment, ce qui veut aussi dire bien souvent "au plus loin"de la mise à pied d'œuvre…

Les aires de travail peuvent aussi être occupées par lesfournitures d'un autre corps d'état : les huisseries à l'en-trée du chantier du bâtiment 3 ont retardé, parce qu'ellesont dû être déplacées, l'ouvrier venu monter les échafau-dages pour les cloisonneurs devant réaliser une partie dela façade. Le chef de l'équipe qui procédait à cette opé-ration disait : "Dire que ce travail n'est compté nulle part !"

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Se pose en effet le problème de la non reconnaissance dela fonction de gestion des flux, non pas du point de vueorganisationnel, tout le monde pense que les livraisons etles stockages doivent faire l'objet d'une gestion coordon-née, mais du point de vue de la réalité de ce qu'ellerecouvre, parce qu'aussi, tout le monde pense plus oumoins que cette fonction de gestion des flux est réelle-ment remplie !

A partir de l'expérience et du vécu des différents acteurs,que sont les responsables de l'entreprise générale ou lescommis des entreprises sous-traitantes, la gestion des fluxphysiques est ainsi abordée, au début du chantier, avec laconviction que la reproductibilité des mécanismes éprou-vés auparavant, est évidente. Cette vision, erronée,empêche une réflexion adaptée aux caractéristiques quidéterminent le nouveau chantier et son évolution.

Cette approche ne manque pas d'efficacité au début duchantier, car c'est la phase d'installation commune, dansses grands traits, à la plupart des chantiers, correspondantà la mise en place des réseaux d'électricité et d'eau etrépondant grosso modo aux mêmes procédures.

Les surfaces, dans cette phase de démarrage, ne présen-tent pas de grands obstacles et les voies de circulationsont multiples et multidirectionnelles ; on peut accéderaux aires de stockage par le haut, verticalement, ou bienhorizontalement par les voies transversales. Les moyensde manutention sont disponibles, car l'activité est maîtri-sée et bien intégrée dans la planification. Ceci est parti-culièrement lié à une faible intervention des corps d'étatpuisque les tâches principales se résument au coulage desfondations et des premières plates-formes. On peut éga-lement faire appel à des moyens de transport roulantstelles que les bennes mécaniques qui se déplacent assezaisément car les surfaces sont encore bien dégagées.

Mais, dès les premières cloisons, l'activité se complexifie,les obstacles s'érigent et le nombre des corps d'état aug-mente. Aux plombiers et électriciens viennent s'ajouterles maçons, les menuisiers et les plaquistes. Par ailleurs,certains sous-traitants, comme le plombier ou l'électri-cien, avançant dans leurs travaux, utilisent des fournituresde plus en plus variées, qu'ils reçoivent avec une fré-quence croissante sur le chantier.

Les lots à réaliser évoluent d'un mois à l'autre :

au mois de décembre 1994 on en comptait 9, sur lescages A1 et B1, impliquant 6 sous-traitants, répartis entrecorps d'état du gros œuvre et du second œuvre : ce sontles cloisons et les plinthes réalisées par les cloisonneurs,l'installation des tuyaux de cuivre et baignoires par leplombier, la faïence et la préparation du sol par leréagréeur, la préparation de la peinture,

en janvier 1995, sur les mêmes cages, 23 lots étaientréalisés et, aux premiers, viennent s'ajouter la pose deshuisseries, les PVC, les moquettes, les peintures, la posedu papier peint, les éviers, W.C et lavabos, les appa-reillages et autres travaux d'achèvement en électricité. Ilest à noter que l'activité tombe de nouveau à 8 lots aumois de février.

Mais, dans le même temps où les manutentions augmen-tent avec l'accroissement des flux, les voies d'accès et lesmoyens de transfert se réduisent. En outre, la grue est demoins en moins disponible. Cela peut conduire à des inci-dents comme celui de l'embourbement d'un camion,ayant nécessité plusieurs heures de travail pour le déblo-quer, ou encore à des encombrements rendant plus diffi-ciles et surtout plus risqués les déplacements des com-pagnons.

La gestion des flux physiques, soumise aux aléas qui semultiplient avec l'accroissement des intervenants, perdalors de sa stabilité. Son organisation initiale devient obso-lète et par son "insensibilité" à la réalité du chantier et soninertie, devient elle-même, comme nous l'avons illustrépar de multiples exemples, source de dysfonctionnement.

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Camion embourbé et camion bloquant l’accès du chantier

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Lors de nos observations et entretiens sur le chantier,deux activités, celle du menuisier intérieur et celle dumaçon-monteur de parpaings, nous ont paru particu-lièrement affectées par l'importance des manutentionsmanuelles exigées.

D'autres activités apparaissent plus "spectaculaires", dansla mesure où certaines manutentions manuelles concer-nent des objets à la fois lourds et encombrants. C'est parexemple le cas des menuiseries extérieures, certainschâssis étant de très grandes dimensions ou des plom-biers, lorsqu'ils coltinent des baignoires en fonte.Cependant, pour ces activités, d'une part la majorité deces manutentions sont effectués à plusieurs, ce qui n'estpas le cas des charges manipulées par le menuisier ou lesmaçons, et d'autre part, la part des manutentions lourdes,et des manutentions en général, apparaît relativementponctuelle, s'insérant dans un ensemble de tâches danslesquelles les principales contraintes ne sont pas d'abordliées aux manutentions.

LE MENUISIER INTÉRIEURNous rappelons que sur le chantier observé, un seulouvrier, rémunéré au rendement, effectuait la totalité dulot "menuiseries intérieures". Il réside à l'hôtel pendant lasemaine et rentre le week-end sur Tours, où il habite etoù se situe son entreprise. Le chantier consiste en la réa-lisation de 156 logements sociaux et d'une petite partieréservée à usage de bureaux, le tout réparti en trois bâti-ments.

Les tâches à réaliser et les interfaces avecles autres CES

Réception et stockage des fournitures

Le menuisier assure la réception et le stockage des four-nitures, dont les huisseries, dont l'installation n'est pas àsa charge.

Sur ce dernier point les rôles apparaissent en fait mal défi-nis entre le menuisier et les poseurs, en particulier sur ladistribution dans les étages. Le menuisier se considèreuniquement responsable de la réception tandis que lesCES installateurs et l'entreprise générale lui en attribuentla mise à pied d'œuvre donc la répartition et la manu-tention. Les huisseries arrivent par palettes, destinées à unbâtiment, en une fois et, dans les faits, la distribution sefait par le corps d'état concerné.

Les huisseries se caractérisent par leur grande diversitéliée à :- La nature du matériau des murs ou cloisons qui lesreçoivent, qui détermine l'installateur :

· les huisseries banchées installées par les cloisonneurs· les huisseries maçonnerie installées par les maçons· les huisseries plâtre installées par les plâtriers· les huisseries des placards installées par les menuisier.

- Leur épaisseur : de 16 cm, 18 cm et 20 cm- Leur passage : (largeur intérieure) : 90 cm et 80 cm- Le nombre de points d'ouverture : 1, 2 ou 3- Les côtés d'ouverture : droite et gauche- Leur propriété isolante : avec point phonique pour lesportes d'entrée.

Cela fait approximativement une centaine de catégoriesde cadres de portes.

L'identification des caractéristiques précises des huisserieslivrées s'avère toujours difficile, car elles peuvent être ger-bées par dimensions identiques ou bien de façon plusimprécise. Il faut alors les vérifier, à chaque opérationd'installation, avec des risques d'erreur.

La cogestion des huisseries, entre l'entreprise de menui-serie et l'entreprise qui les installe, pose de nombreuxproblèmes, dans la mise à jour des commandes d'unepart et dans leur mise en place d'autre part.

Dans le bâtiment 2, plusieurs huisseries "banchées" n'ontpas été installées au bon emplacement. Les commandesde mise à jour ont été faites en concertation par l'entre-prise de menuiserie et l'entreprise générale. Cependant,

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Les manutentions manuelles dans le travail du menuisier intérieur

et du maçon

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malgré plusieurs contrôles, l'entreprise de menuiserien'est pas arrivée à évaluer les besoins. Il est impossiblepar ailleurs de retrouver la trace des affectations des huis-series

Des dysfonctionnements surviennent et certains ont étéévoqués tels que les modifications de plannings, l'utilisa-tion non prévue et non coordonnée de fournitures quin'ont pu être remplacées simultanément (pour les huis-series, il a été impossible d'évaluer précisément ce quiavait été mis en place et ce qui restait en stock), ouencore des erreurs de livraisons par des transporteursqui doivent livrer dans la même journée plusieurs chan-tiers. Ainsi, une erreur d'agencement sur le camion a eupour conséquence la livraison d'huisseries destinées à unautre chantier. Ce n'est qu'une fois "dépalettisées" qu'ons'est rendu compte de la méprise. Il a fallu deux heurespour reconstituer les palettes et les recharger sur lecamion et le menuisier n'a pu se faire aider que par sonpatron qui était de passage.

Les tâches de montage

Hormis les portes métalliques d'entrée, le menuisier ins-talle toutes les portes. Il installe également les huisseriesde placards et les plinthes boisées.Son intervention est inscrite de manière assez précisedans le déroulement du chantier ; "après la peinture, avantle papier peint et le carreleur". Cependant, cette chrono-logie n'est pas toujours respectée ; les modifications d'ou-vrage ou bien la reprise de défauts par d'autres corpsd'état, viennent la perturber et même gêner la circulation,le stockage et l'installation des fournitures. Ainsi lepeintre, devant réintervenir dans un appartement, pourcorriger des malfaçons, a déposé son bac de peinture etses tuyaux obligeant le menuisier à des ports de chargesplus long et à des manœuvres multiples pour dégager lesvoies de circulations et d'accès.

L'enchaînement des taches doit suivre un ordre pré-établi : installation des plinthes, puis des bâtis de gaines oudes portes de distribution, des portes de gaines et, endernier, des portes de placards. Cet ordre peut être per-turbé par une mauvaise anticipation des influences sai-sonnières sur certains matériaux : l'installation des portesde placards a été retardée car l'humidité empêche leséchage de l'enduit. Pour éviter toute perte de temps, lemenuisier est obligé de changer de cage d'escalier sansavoir achevé la précédente, où il retournera plus tard.

Le programme peut subir, également des changementsquand les contraintes de l'activité d'autres corps d'étatn'ont pas été intégrées dans celles du menuisier. Le rava-lement de la façade, par projection, salit la moquette, etla mise en place de cette dernière est donc différée. Mais,

le menuisier ne pouvait installer les portes de placardsqu'après cette mise en place. Il a donc dû modifier sonprogramme de travail, l'ordre de ses commandes et celuides livraisons. Cela a imposé de prévoir, rapidement, desaires de stockage et les manutentions ont été multipliées.Par exemple, les contraintes du ravalement ont imposél'interruption des opérations dans une cage d'escalier etle déplacement sur une autre cage. De ce fait, les bâtis degaines, qui avaient été mis à pied d'œuvre dans la caged'escalier où leur installation était prévue, devaient êtredéplacés sur leur nouveau lieu d'installation.

On note donc l'imbrication des plannings des différentscorps d'état et l'importance, voire la nécessité, d'unebonne coordination entre les différents acteurs. Celle-cipermet à chacun des acteurs d'avoir une bonne connais-sance de l'activité de ceux avec qui il partage le mêmeespace de travail, et d'intégrer ces contraintes dans sonpropre planning. Ceci est d'autant plus important que lesretards seront difficilement comprimés et que les butéestemporelles elles-mêmes ne sont pas modifiées. Ellesdeviennent ainsi encore plus contraignantes, car ellesjouent sur les marges de manœuvre des sous-traitants enles réduisant d'autant.

Principales caractéristiques des stockages etdes manutentions

Une première analyse sommaire de l'activité a révélé plu-sieurs points.

Les manutentions sont particulièrement pénibles etl'intéressé se plaint de maux de dos. Il a par ailleurs déjàsubi deux opérations, pour des hernies discales.

Les menuiseries intérieures, sont déposées sur le terre-plein, car la grue, même disponible, ne peut les amenerdirectement au niveau souhaité, et les fenêtres exté-rieures ne permettent pas toujours le passage. La distri-bution par étage se fait alors par les escaliers. La manu-tention de ces charges pesant de 17 kg à 35 kg se faitmanuellement et elle peut durer plusieurs heures. Unapprovisionnement de menuiseries intérieures a ainsi étéeffectué sur une durée de 23 heures, soit près de troisjours consécutifs de travail.

La contrainte de temps est très forte, liée, en particu-lier, à la rémunération au rendement. L'opérateur préfèrealors multiplier les manipulations des portes, en les ajus-tant en un seul lieu par appartement plutôt que de lesrépartir par pièce. Cela raccourcirait les temps de port,mais engendrerait des opérations de nettoyage pluslongues.

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L'exemple de la tâche d'installation d'uneporte

Celle-ci nécessite un ensemble d'opérations :- l'acheminement manuel par les escaliers jusqu'au palier,- la distribution sur le lieu exact d'utilisation,- après le choix d'un endroit qui servira d'établi pour leséquiper en ferrures, le réglage sur le cadre où la portesera installée.

La description sommaire de cette dernière phase peut sefaire comme suit :- la porte est déplacée de son lieu d'entreposage initialjusqu'à l'établi improvisé, pour être équipée des ferrures,- elle est mise en position horizontale,- remise en position verticale pour recevoir la serrure,- déplacée jusqu'au cadre pour un premier essai,- ramenée à l'établi pour être rabotée,- de nouveau essayée sur le cadre et ceci jusqu'à son ajus-tement.

La porte est ainsi portée manuellement 3 à 4 fois etmanipulée sur place à 2 à 3 reprises. L'opération dureenviron 15 minutes, soit un port de charge de 450 kg parheure.

Il est à noter que le rabot et la perceuse électriques nesont pas munis de fils assez longs pour éviter les déplace-ments des portes : "sinon ils risquent de s'entremêler".

Par ailleurs, les moyens de manutention se résument à unpetit levier qui aide à soutenir la porte, pendant son ajus-tement sur le cadre : "on utilise beaucoup les pieds !"déclare le menuisier, mais il ne peut porter des chaus-sures de sécurité, car elles seraient trop épaisses pourpasser sous la porte. Il prend donc le risque de se blesserpour conserver l'usage du pied en tant qu'outil de travailprivilégié…

Afin de limiter les opérations de nettoyage, le menuisierconcentre toutes les tâches de réglage en un endroit, cequi augmente encore le nombre de manutentionslourdes.

Par ailleurs, lorsque la grue est indisponible pendant plu-sieurs heures, engendrant des temps d'attente trop longs,il choisit de procéder manuellement à la mise à piedd'œuvre.

LES MAÇONS : MONTAGEDES MURS EN PARPAINGSLes caractéristiques constructives du chantier font que laplupart des façades sont montées en parpaings pleins (etnon en voiles de béton). Cette tâche est sous-traitée aumême titre que les cloisonnements intérieurs dont unepartie est réalisée en parpaings pleins et une autre en par-paings creux, les cloisons intérieures aux appartementsétant en plâtre et ne relevant pas du travail des maçons.Les maçons montent par ailleurs certaines huisseries.

Les premières observations effectuées au niveau de ceposte, montrent une opposition entre la régularité et lamonotonie des ouvrages réalisés par les maçons, qui sontdes cloisons le plus souvent rectilignes et unies, et la com-plexité architecturale de l'édifice lui-même.

La nature du travail à réaliser, marquée par la répétitivitéet la brièveté des cycles des tâches qu'elle comporte, neva donc pas dans le sens d'enrichir l'activité des ouvriers.Elle est de plus contradictoire avec les volontés de "reva-lorisation" des métiers du bâtiment affichées depuisquelques années. Par ailleurs, cette répétitivité du travail,dans des tâches physiquement astreignantes, est suscep-tible d'aggraver les atteintes à la santé.Les manutentions sont pénibles et multiples puisque lesparpaings peuvent peser jusqu'à 35 kg, et la colle est sou-vent transportée dans des brouettes pleines à ras-bord.Les moyens de manutentions sont sommaires : ils seréduisent à la brouette pour la colle, et au transpalettepour les parpaings. Mais le transpalette, nous l'avons vu,s'avère inopérant dans de nombreux cas, car d'une partses roues circulent mal sur le sol jonché de gravats,d'autre part, sa largeur, trop importante, ne lui permetpas de circuler facilement dans des espaces réduits etencombrés. De plus, les huisseries sont trop étroites pourson passage. Ainsi, s'il réduit les distances, le transpaletten'évite pas aux ouvriers les manutentions, ce qui nesemble pas être l'avis de la direction du chantier.

Description du montage d'un mur de façade de 2,5 mde hauteur et de 2 m de largeur.

Deux opérateurs, dont l’un est maçon confirmé et l’autreest manœuvre, réalisent la tâche. Celle-ci peut se décriresuccinctement comme suit, les gestes et opérations sui-vants se succédant dans un ordre relativement immuable ;la description est ici celle du premier rang :- prise de la colle à l’aide d’une truelle dans le récipient aubas du mur,

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- dépose de la colle sur le parpaing préparé grossière-ment,- dépose du parpaing sur le sol face encollée en bas,- prise d'un marteau,- donne quelques coups de marteau sur le parpaing pourle fixer,- saisit un autre parpaing et l’installe, en réalisant les opé-rations identiques mais en contrôlant les interstices,- en fin de rangée, casse d'un parpaing pour l’ajuster.

Chaque rangée est réalisée en 15 minutes environ, avecdes variations n'excédant pas 2 minutes Il est à noter que,jusqu’à hauteur d’homme, le manœuvre qui, dans le casobservé, était un lycéen en vacances scolaires, participe àla construction du mur de façon autonome sans contrôleparticulier du maçon professionnel. Pendant toute cettephase les positions accroupies, ou inclinées en avant, sontles plus fréquemment adoptées. Les tâches de montagedu mur sont alternées avec l’approvisionnement en par-paings, stockés au début à une dizaine de mètres puisdans un local situé à une vingtaine de mètres environ.

A partir d’une hauteur de 1,70 m environ les ouvriers ins-tallent un échafaudage, constitué de deux fûts sur lesquelssont posés deux poutres. L’équilibre est instable et lespositions inclinées latéralement deviennent de plus enplus fréquentes. Elles s’alternent avec les positions incli-nées en avant pour prendre la colle transvasée de labenne dans un bidon. Les gestes effectués pour superpo-ser les parpaings, sont les mêmes que les précédents aubas du mur. L’approvisionnement est assuré par lemanœuvre qui a cessé sa participation à la confectioneffective du mur.

On voit donc que la pauvreté et la répétitivité des tâchessont tellement peu valorisantes et tellement déquali-fiantes pour les ouvriers que ces derniers n’hésitent pas àles confier, jusqu'à une certaine limite, à des manœuvres.

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Les électriciens sont l'un des corps d'état secondaires quiinteragit fortement avec le gros œuvre dans le cadre desactivités d'incorporation dans les planchers et les cloisons.Le planning du gros œuvre conditionne donc très forte-ment l'activité des électriciens qui semblent disposer demarges de manœuvre de plus en plus réduites.

Les incorporations consistent à insérer, au sein de lastructure à réaliser (cloison ou plancher), avant le coulagedu béton, les éléments qui véhiculent les fluides, c'est-à-dire le courant électrique, l'eau et l'air de la ventilation.

Si les incorporations des cloisons ne posent pas de pro-blème particulier, celles des planchers présentent de mul-tiples difficultés, soulignées par la plupart des interve-nants, tant au niveau du gros oeuvre que du secondoeuvre lui-même. En effet, les fortes contraintes detemps, conditionnées par la livraison du béton, pour lecoulage des dalles, sont en particulier imposées à l'élec-tricien et les pressions temporelles qui s'exercent sur sontravail sont perçues par les ouvriers du gros œuvre avecqui ils partagent le même espace de travail.

Cependant, bien que, sur le chantier observé, il était évi-dent pour tout le monde que les contraintes temporellespesant sur le travail des électriciens étaient trop fortes, laplanification du gros œuvre n'a pas été modifiée. Elleconditionne en effet très fortement le respect des délaisprévus par l'entreprise générale de telle sorte, qu'à cestade, aucune négociation n'est possible.

Ce qu'il est important de comprendre ce sont les raisonsqui ont conduit à ce que, sur ce chantier, le travail del'électricien soit soumis à une si forte contrainte tempo-relle. C'est en grande partie la vision erronée de la réa-lité du travail des électriciens qui a conduit l'entreprisegénérale à planifier le gros œuvre en minimisant le tempsde travail nécessaire aux électriciens et en ne prenant passuffisamment en compte les conditions indispensables à laréalisation de ce travail en sécurité et en qualité.

Le chef de chantier "électricité" estimait que les délaisdont il disposait pour faire les incorporations, d'une part

étaient trop courts, et d'autre part qu'ils imposaient desco-activités avec le ferrailleur et le plombier, parfois diffi-ciles à gérer, ne serait-ce que spatialement. Or on sait queles situations de co-activité sont une source particulièrede risques pour la sécurité, d'autant plus élevée si descontraintes temporelles s'y superposent14.

La pression temporelle, quelque soit l'activité exercée,accroît aussi les risques d'erreurs et influence la qualité deréalisation15. Le chef de chantier "électricité" a par ailleursmis en relation ces difficultés avec une évolution de lanature des ouvrages qui ont tendance à se complexifieret le chantier étudié était de ce point de vue assez repré-sentatif de cette évolution.

Les appartements ont en effet des architectures très dif-férentes les unes des autres, avec des surfaces rarementrectangulaires, ce qui complique les repérages. Le grosœuvre a amélioré ses techniques de construction et rac-courci les délais des réalisations. Mais, ce temps, gagné parle gros œuvre, devient du temps indisponible pour lesecond œuvre. En effet, même s'il a un peu gagné auniveau des techniques d'incorporation, il a vu augmenterles tâches à réaliser ainsi que les normes de qualité.Celles-ci deviennent plus contraignantes, car plus com-plexes et exigeant plus de précisions, sans qu'il soit pourautant possible de trouver une organisation lui permet-tant de gagner du temps. L'espace sur lequel les différentscorps d'état interviennent est en effet toujours le mêmeet on ne peut multiplier la présence de personnels y tra-vaillant sous peine, nous l'avons noté, de multiplier lesaccidents et/ou les erreurs.

Ces exigences nécessitent aussi des ouvriers très qualifiésdans la mesure où on est loin de la simple reproductibi-lité d'une pièce à l'autre et d'un niveau à l'autre. Or, lesentreprises ont rarement des équipes aussi qualifiées detelle sorte que l'encadrement, ici le chef de chantier, se

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Le travail des électriciens :des évolutions révélatrices d’écartsqui se creusent avec le gros œuvre

14. J. M. FAVERGE, Analyse de la sécurité du travail en termes de facteurs derisque, Revue Épidémiologie et santé publique, 25, 1977, 229-241.

15. C. TEIGER, L’organisation temporelle des activités, in Traité de psycholo-gie du travail, PUF, 1987, p. 659-682.

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trouve soumis à une charge de travail très lourde, donton peut faire l'hypothèse qu'elle n'est pas sans consé-quences sur sa santé et qui, quelle que soit sa compé-tence, peut néanmoins conduire à des défauts dequalité16.

On peut également remarquer que ces conditions consti-tuent un obstacle majeur à la formation des jeunesouvriers. Cette formation, pour être efficace, nécessite eneffet un apprentissage en situation réelle, que la pressiontemporelle rend de facto impossible. Cet apprentissageimpose nécessairement de disposer de temps, pour pré-parer, expliquer, "montrer" et enfin contrôler le travail desjeunes encore non expérimentés. L'entreprise généraleen "oubliant" dans la planification des tâches, cette part deformation par l'action, propre aux métiers du bâtiment,handicape puissamment les entreprises de second œuvredans la construction des compétences dont elles ontbesoin.

Dans une moindre mesure, les travaux de finition, c'est-à-dire essentiellement l'installation des interrupteurs,prises et fils de lampes dans les appartements, subissent,comme pour les incorporations, une pression temporellequi semble s'accroître avec les années. Elle est notam-ment liée à une exigence de qualité croissante, qui

demande, par exemple, l'installation de plus de prises quepar le passé. "Maintenant, on installe neuf prises au lieu detrois comme avant" et "les temps sont toujours lesmêmes, sinon inférieurs".

Les exigences de qualité peuvent aussi induire descontraintes particulières. Ainsi, on demande de "placerdes prises "avec vis" au lieu des "griffes" qui permettaientplus de jeu". On peut également noter que les gains faitssur la qualité du béton augmentent les difficultés, car il ya moins de fers, qui pouvaient servir de guide et de main-tien pour les câbles.

Par ailleurs, ces travaux de finitions sont sujets à de mul-tiples modifications. Elles peuvent être demandées par lemaître d'œuvre, même à un stade avancé du chantier ouêtre liées à des erreurs imputables au gros œuvre, auxmaçons ou encore à l'électricien lui-même.

On voit donc, à travers l'exemple des travaux d'électri-cité, comment la définition des plannings faite par l'entre-prise générale avec une vision partielle de la réalité dutravail des électriciens peut mettre en difficulté des pro-fessionnels extrêmement consciencieux et soucieux de lameilleure qualité de leur travail, ainsi qu'handicaper la for-mation des jeunes ouvriers.

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16. La majeure partie du gros œuvre a été réalisée pendant la périodehivernale et nous avons vu le chef de chantier “électricité” venir travailleralors qu’il était malade et que son médecin voulait lui prescrire un arrêt. Parailleurs, au cours de nos discussions, il soulignait sa “peur” de se tromper,très largement renforcée par le fait qu’il lui fallait aller vite. La fatigue phy-sique et nerveuse ainsi accumulée est donc inévitablement un facteur de fra-gilisation de la santé.

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Ainsi, les conditions de la gestion des flux physiques dessous-traitants des corps d'état secondaires et leursconséquences sur les conditions de travail et la sécuritédes ouvriers sont déterminées par les caractéristiques del'organisation à plusieurs niveaux.

Cela va de la réflexion sur les conditions juridiques, quidoivent rapprocher les différents statuts des partenaires,à l'observation minutieuse des différents facteurs qui,pour avoir été négligés, font d'une situation de travail àpriori favorable, une source de risque pour le travailleur.

Une mauvaise répartition des parpaings dans deux piècesadjacentes sur le bâtiment 3, engendre deux types deconditions de travail différentes. Dans la première pièce,bien dégagée, le plâtrier utilise son escabeau qui lui per-met de travailler sans grande contrainte mais aussi sansrisque majeur de chute. Dans la seconde, faute de pou-voir installer l'escabeau, par le fait d'un encombrementpar les palettes disposées anarchiquement, le plâtrier arecours à des bidons renversés pour accéder au plafond !Dans ce cas, une défaillance dans la phase finale de la miseà pied d'œuvre annihile tout les effets positifs d'une orga-nisation qui a satisfait les étapes précédentes. En effet lesparpaings sont bien arrivés dans les délais, conditionnésdans un colisage de qualité, transportés par la grue sur lechantier et transférés à l'intérieur du bâtiment par uneestacade qui est une voie de passage bien dégagée. Maisla répartition hasardeuse, à l'intérieur de la structure, aengendré des situations contrastées dont certaines sontparticulièrement défavorables. Ceci est dû à l'absence decoordination véritable des travaux des CES, qui prendrait

notamment en compte les situations de co-activité etgérerait les approvisionnements et leurs stockages enfonction des besoins réciproques des différents interve-nants.

Ainsi, la gestion des flux physiques est complexe et doitfaire l'objet d'une attention qui doit mobiliser une vigi-lance constante. Tout fléchissement de cette vigilancepeut perturber gravement l'organisation des travaux,accroître la pénibilité des tâches et aggraver le risqued'accident. La conjonction de ces trois facteurs concourtavec d'autres, tels que les intempéries, à la renomméenégative du B T P auprès des jeunes ouvriers et tend àéloigner les anciens.

La maîtrise de la gestion des flux physiques est sans aucundoute un élément d'amélioration certaine des conditionsde travail qui peut modifier favorablement la tendanceactuelle marquée par le vieillissement et le turn-overélevé de la population ouvrière du BTP.

Mais, pour garantir son efficacité, cette gestion doit serapprocher au plus près de l'évolution réelle et inégale duchantier et suivre sa dynamique. Elle doit donc êtreconstruite et conduite en commun avec tous les parte-naires, c'est-à-dire aussi ne pas être exclusivement priseen charge par l'entreprise générale. Si ces conditions nesont pas réunies, la fonction logistique sera un lest sup-plémentaire qui alourdira un peu plus l'organisation duchantier, pour amplifier l’effet du hasard qui marque, deson empreinte, la vie du chantier.

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ConclusionL'activité des

Corps d'État Secondaires

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