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744 Rev M6d Interne (1994) 15,744-746 © Elsevier, Paris Communication br~ve Granulomatose h~patique associ6e h un syndrome mononucl~osique secondaire ~ une infection h cytom~galovirus : propos de deux cas chez l'adulte sain L Heyries 1, M Perreard 1,, D Monges 1, MA Chrestian 2, A Gerolami 1 1 Service d'hdpato-gastroentdrologie, 2 service d'anatomie pathologique, CHU Timone, bd Jean-Moulin, 13385 Marseille Cedex 05, France (Re~u le 18 fdvrier 1994; accept6 le 23 juillet 1994) R~sum~ - Les auteurs rapportent deux observations de granulomatose h6patique. Trois semaines apr6s le ddbut de la fi~vre, 1' appa- rition secondaire d'un syndrome mononucl~osique a fait 6voquer le diagnostic d'infection h CMV chez l'adulte sain. Les auteurs rappellent les diff6rences histologiques et virologiques entre l'infection h CMV chez l'adulte sain et celle survenant chez l'immuno- ddprim6. Ils soulignent les difficult6s du diagnostic d'infection h CMV chez 1' adulte sain. granulomatose h~patique / cytom~galovirus / syndrome mononucl~osique / adulte sain Summary - Granulomatous hepatitis associated with a mononucleosis syndrome caused by eytomegalovirus: two cases re- port in healthy adult. In this study, the authors report two observations of granulomatous hepatitis. The secondary apppearance of a mononucleosis syndrome, three weeks after the onset of fever, in healthy adults, evoked the diagnosis ofa cytomegalovirus infec- tion. The authors insist on the histologic and virologic differences of the CMV infection between the healthy adults and the immuno- depressed patients. They also note the difficulties of the diagnosis of the CMV infection in healthy adults. granulomatous hepatitis / cytomegaiovirus / mononucleosis / healthy adult Les granulomatoses hdpatiques (GH) posent souvent des probl~mes 6tiologiques puisque sel0n les auteurs 5 ?~ 50% d'entre elles seraient d'origine inddterminde [1]. On ne note dans la litt6rature que 30 cas de GH h cytom6galovirus (CMV) chez l'adulte sain [2]. Nous rapportons ici deux observations of~ l'apparition se- condaire d'un syndrome mononucldosique nous a orient6 vers une infection h CMV. Observation 1 Un patient fig6 de 73 ans, 6tait hospitalis6 en juin 1993 pour une fi~vre d'allure pseudopalustre 6voluant depuis 10 jours, r6sistante aux antibiotiques (doxycycline) et associde une cytolyse hdpatique (SGPT 1,5 x N). On ne notait pas de traitement hdpatotoxique. Ce patient, ath6romateux, ta- bagique et 6thylique (140 g d'alcool pur par jour) prdsen- tar une altdration de l'6tat g6ndral associant un amaigrisse- ment de 3 kg depuis 1 mois avec une fievre allant jusqu'h 40°C et un syndrome grippal. L' examen clinique mettait en 6vidence une hdpatom6galie ainsi que des ad6nopathies axillaires bilatdrales de petite taille. L'h6mogramme h Fen- tr~e 6tait normal. II existait une cholestase anictdrique (PAL 2 x N, "~3T 6 x N) associde h une discrete cytolyse pr6dominant sur les SGPT (3 x N). Les examens radiolo- giques (ASP-thorax) dtaient normaux, l'6chographie abdo- minale notait un calcul intrav6siculaire sans dilatation des voies biliaires. L'absence de calcul dans la voie biliaire principale 6tait confirm6e par la normalit6 de l'6cho- endoscopic. * Correspondance et tir~s ~ part : Marc Perreard, m6me adresse.

Granulomatose hépatique associée à un syndrome mononucléosique secondaire à une infection à cytomégalovirus : à propos de deux cas chez l'adulte sain

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744 Rev M6d Interne (1994) 15,744-746 © Elsevier, Paris

Communication br~ve

G r a n u l o m a t o s e h~pat ique associ6e h un s y n d r o m e m o n o n u c l ~ o s i q u e secondaire ~ une infect ion h cy tom~ga lov irus :

propos de deux cas chez l 'adulte sain

L Heyries 1, M Perreard 1,, D Monges 1, MA Chrestian 2, A Gerolami 1

1 Service d'hdpato-gastroentdrologie, 2 service d'anatomie pathologique, CHU Timone, bd Jean-Moulin, 13385 Marseille Cedex 05, France

(Re~u le 18 fdvrier 1994; accept6 le 23 juillet 1994)

R~sum~ - Les auteurs rapportent deux observations de granulomatose h6patique. Trois semaines apr6s le ddbut de la fi~vre, 1' appa- rition secondaire d'un syndrome mononucl~osique a fait 6voquer le diagnostic d'infection h CMV chez l'adulte sain. Les auteurs rappellent les diff6rences histologiques et virologiques entre l'infection h CMV chez l'adulte sain et celle survenant chez l'immuno- ddprim6. Ils soulignent les difficult6s du diagnostic d'infection h CMV chez 1' adulte sain.

granulomatose h~patique / cytom~galovirus / syndrome mononucl~osique / adulte sain

Summary - Granulomatous hepatitis associated with a mononucleosis syndrome caused by eytomegalovirus: two cases re- port in healthy adult. In this study, the authors report two observations of granulomatous hepatitis. The secondary apppearance of a mononucleosis syndrome, three weeks after the onset of fever, in healthy adults, evoked the diagnosis o fa cytomegalovirus infec- tion. The authors insist on the histologic and virologic differences of the CMV infection between the healthy adults and the immuno- depressed patients. They also note the difficulties of the diagnosis of the CMV infection in healthy adults.

granulomatous hepatitis / cytomegaiovirus / mononucleosis / healthy adult

Les granulomatoses hdpatiques (GH) posent souvent

des probl~mes 6t io logiques puisque sel0n les auteurs

5 ?~ 50% d 'en t re el les seraient d ' o r ig ine inddterminde

[1]. On ne note dans la litt6rature que 30 cas de G H h

cy tom6galovi rus ( C M V ) chez l ' adul te sain [2]. Nous

rapportons ici deux observat ions of~ l ' appar i t ion se-

c o n d a i r e d ' u n s y n d r o m e m o n o n u c l d o s i q u e nous a

orient6 vers une infec t ion h C M V .

O b s e r v a t i o n 1

Un patient fig6 de 73 ans, 6tait hospitalis6 en juin 1993 pour une fi~vre d'allure pseudopalustre 6voluant depuis 10 jours, r6sistante aux antibiotiques (doxycycline) et associde

une cytolyse hdpatique (SGPT 1,5 x N). On ne notait pas

de traitement hdpatotoxique. Ce patient, ath6romateux, ta-

bagique et 6thylique (140 g d'alcool pur par jour) prdsen-

ta r une altdration de l'6tat g6ndral associant un amaigrisse-

ment de 3 kg depuis 1 mois avec une fievre allant jusqu'h

40°C et un syndrome grippal. L' examen clinique mettait en

6vidence une hdpatom6galie ainsi que des ad6nopathies

axillaires bilatdrales de petite taille. L'h6mogramme h Fen-

tr~e 6tait normal. II existait une cholestase anictdrique

(PAL 2 x N, "~3T 6 x N) associde h une discrete cytolyse

pr6dominant sur les SGPT (3 x N). Les examens radiolo-

giques (ASP-thorax) dtaient normaux, l'6chographie abdo-

minale notait un calcul intrav6siculaire sans dilatation des

voies biliaires. L'absence de calcul dans la voie biliaire

principale 6tait confirm6e par la normalit6 de l '6cho-

endoscopic.

* Correspondance et tir~s ~ part : Marc Perreard, m6me adresse.

Granulomatose h6patique 745

Devant ce tableau d'h6patom6galie f6brile cholestatique associ6e ~t une alt6ration de l'6tat g6n6ral, nous avons 6vo- qu6 en premier lieu un lymphome. Nous avons donc prati- qu6 une ponction biopsie h6patique (PBH) qui a mis en 6vidence de nombreux granulomes 6pith61oides au niveau des lobules h6patiques et des espaces-portes sans n6crose cas6euse ni d6bri parasitaire au contact.

I1 existait 6galement des signes de souffrance h6patocy- taire et une hyperplasie kuppf6rienne. En l'absence de st6a- tose et de corps de Mallory, les signes de souffrance h6pa- tocytaire ne semblaient pas li6s ~t l'intoxication 6thylique.

Nous avons entrepris alors un large bilan 6tiologique s'orientant vers une cause infectieuse bact6rienne (IDR ~t la tuberculine et recherche de BK n6gatives, s6rologies bru- cellose et salmellose n6gatives) virale (s6rologie herpbs, EBV, VIH, HTLV, h6patites A et C n6gatives, Ac anti- HBc isol6 positif) ou parasitaire (s6rologie toxoplasmose n6gative). Nous avons 6galement 6cart6 une sarco'fdose au vue du LBA et de l 'enzyme de conversion. Le bilan immu- nitaire notait un latex positif h deux croix et un Waaler- Rose positif au 1/32 e avec une discrete hyper-IgA ~t 4,63 g/1 et une cryoglobulin6mie mixte discr&e mais les AC antinucl6aires et les AC anticytoplasme de PNN 6taient n6- gatifs. Le typage lymphocytaire notait une inversion du rapport CD4/CD8 ~t 0,21 pour 6,23 G/1 de lymphocytes.

Enfin, la biopsie de l'art~re temporale 6tait n6gative et la recherche de n6oplasie profonde &ait 6galement n6gati- ve (tomodensitom6trie thoracoabdominale, fibroscopie cesogastroduoddnale, coloscopie totale, transit du gr~le, biopsie ost6om6dullaire et ponction lombaire avec 6tude du LCR).

Le diagnostic d'infection ~ CMV avait 6t6 6voqu6 mais la s6rologie 6tait en faveur d'une infection acquise (IgG ~t 0,3 U en Elisa) et la recherche de cellule ~ inclusion ainsi que l'immunod6tection anti-CMV 6taient n6gatives ~t l 'his- tologie.

Au 15 e jour d'hospitalisation, l'apparition d'un syndro- me mononucl6osique (leucocytes 8,5 G/1 ; polynucl6aires neutrophiles 26% ; lymphocytes 74%; lymphocytes hyper- basophiles nombreux) nous a incit6 h rdpdter les recherches de CMV par des examens directs (vir6mie, virurie, PCR du CMV sur le foie) qui restaient n6gatifs et par des s6rologies (Elisa) dont la cin6tique 6tait 6vocatrice d 'une r6activa- tion : le 9 ju in (IgG = 0,3 U ; IgM = 0 U) et le 9 juillet (IgG = 2 U ; IgM = 0,6 U).

Nous avons par la suite observ6 la r6gression des signes cliniques en 3 semaines et la normalisation du bilan biolo- gique au 2 e mois (bilan h6patique, formule sanguine, taux des IgG et des IgM anti-CMV, bilan immunitaire) sans traitement sp6cifique.

Observation 2

Une patiente ~g6e de 41 ans, aide-soignante hospitali~re dans un service de r6animation, 6tait hospitalisde en sep- tembre 1993 pour une perturbation du bilan h6patique

(SGPT 1,5 x N, "/GT 2 x N) associ6e ~ une altdration de l'6tat g6n6ral avec une f6bricule h 38°C depuis 1 mois. On ne notait pas d'intoxication 6thylique ni de traitement hd- patotoxique. I1 existait une hdpatomdgalie sensible isol6e. L'6chographie abdominale 6tait normale. La radiographie pulmonaire 6tait normale et I 'IDR ~ la tuberculine n6gati- ve.

Devant ce tableau d 'h6patom6galie f6brile dans un contexte d'alt6ration de l'6tat g6n6i~al, nous avons 6voqu6 un lymphome et r6alis6 une PBH qui a mis en 6vidence des microgranulomes portaux et lobulaires associ6s ~t une hy- perplasie kuppfdrienne et des signes de souffrance hdpato- cytaire.

Au 3 e jour d'hospitalisation, apparaissait un syndrome mononucl6osique (leucocytes 5,5 G/1 ; polynucl6aires neu- trophiles 37% ; lymphocytes 50% ; quelques lymphocytes hyperbasophiles). La recherche de CMV 6tait ndgative sur la PBH (pas de cellule ti inclusion, immunod6tection n6ga- tive), n6gative dans le sang et les urines mais positive darts la salive. La cin6tique s6rologique 6tait tr~s 6vocatrice d'une primo-infection : le 9 septembre (IgG = O U ; IgM = 0 U), le 12 septembre : IgG = 0,6 U ; IgM = 1 U. Nous avons bien sar 61imin6 les grandes causes de GH par la n6- gativit6 des explorations suivantes : s6ro (A, B, C, VIH, MNI, toxoplasmose, brucellose, salmonellose), IDR ?~ la tuberculine, LBA et enzyme de conversion pour la sarco'l'- dose, tomodensitom6trie thoracoabdominopelvienne.

L'interrogatoire a pr6cis6 par la suite, une notion de contage professionnel puisque darts la m~me p6riode, on notait une pneumopathie ~t CMV dans l'6quipe soignante et de nombreuses infections ~ CMV parmi les malades.

Nous avons constat6 ult6rieurement la gu6rison au 2 e mois sans traitement sp6cifique. Le brian h6patique et la formule sanguine s'6taient normalis6s, le taux des IgG anti-CMV s'dtait stabilis6 et la recherche de CMV dans la salive 6tait n6gative.

Discussion

Les GH secondaires ~t une infect ion ~t C M V restent

rares puisque seulement 30 cas ont 6t6 rapportds sur

une p6riode de 20 ans [2]. Chez l ' adu l te sain le dia-

gnos t ic d ' i n f e c t i o n 5 C M V repose sur un fa isceau

d ' a rgument s cl iniques, b iologiques , his tologiques et

s6rologiques. Cl in iquement , le plus souvent, on note

une h6patom6galie isol6e dans un contexte d 'al t6ra-

t ion de l '6tat gdn6ral. Bentata-Pessayre et al [2] ont

rapport6 6ga lement une 6rupt ion mob i l i fo rme dans

30% des cas [2]. Le syndrome mononuc ldos ique est

un signe quasi pa thognomonique d ' in fec t ion ~ C M V

quand il est associ6 ~t une GH. I1 est caract6ris6 par

son apparit ion retard6e d ' e n v i r o n 3 semaines par rap-

port ~ la fi~vre [2, 3].

746 L Heyries et al

L'histologie h6patique n'apporte pas de certitude et l 'absence de cellule h inclusion n'61imine pas le diagnostic contrairement aux h6patites h CMV chez l ' immunod6prim6 [2].

Toutefois certains signes sont 6vocateurs d 'une in- fection h CMV comme la pr6sence d 'un infiltrat in- trasinusoidal, une souffrance h6patocytaire discrete, an granulome 6pith61oYde intralobulaire et une in- flammation p6riveinulaire sus-h6patique [2].

Le diagnostic virologique est difficile, il repose chez l 'adulte sain sur le profil s6rologique (une mul- tiplication du taux des IgG par 9 en 4 semaines est tr~s sp6cifique) [4]. Les examens directs (sang, urine, salive, L B A , h i s to log ie ) sont ra rement posi t i fs contrairement h l ' infection h CMV chez l ' immunod6- prim6 [2].

Nos observations appellent deux remarques : - premi~rement, la cin6tique s6rologique dans l 'ob- servation n ° 1, est en faveur d 'une r6activation alors que dans l 'observation n ° 2, elle 6voque une primo- infection. Ceci nous rappelle qu'une r6activation vi- rale peut ~tre symptomatique chez l 'adulte sain ; - deuxi~mement, sur le plan 6pid6mologique, ces deux observations rares en peu de temps, ne sem- blent pas ~tre seulement le fait du hasard. Deux fac- teurs semblent concourir h la recrudescence de GH ~t CMV chez l 'adulte sain : d 'une part, le recours de plus en plus fr6quent h l 'histologie dans le bilan mo-

derne de cytolyse h6patique, et, d 'autre part, la recru- descence des formes symptomatiques d ' infection CMV chez l'adulte sain. Cette nouvelle pr6sentation peut ~tre li6e ~t une meilleure d6tection du virus ou bien peut relever d 'une virulence accrue du CMV chez l ' immunod6prim6. L 'observat ion n°2 semble indiquer qu 'un contage professionnel soit ~ craindre dans les secteurs expos6s (unit6s de soins de sida, chimioth6rapie, greffes).

Chez l 'adulte sain, l 'association d 'une GH ~t un syndrome mononucl6osique doit faire 6voquer une infection ~ CMV en particulier dans des milieux pro- fessionnels expos6s, le diagnostic reposera avant tout sur la s6rologie qu'il conviendra de r6p6ter.

R 6 f 6 r e n c e s

1 Sartin JS, Walker RC. Granulamatosa hepatitis: a retros- pective review of 88 cases at the Mayo clinic. Mayo Clin Proc 1991 ;66:914-8

2 Bentata-Pessayre M, Beaugrand M, Callard Pet aL Les h6- patites granulomateuses au cours des infections h cytom6- galovirus ches l 'adulte sain. Ann M~d Interne 1987;138:353-7

3 Van Beers D, Van Gossum M, Burette A et al. H6patite granulomateuse et syndrome mononucl6osique ~t cytom6- galovirus de l'adulte sain. Acta Gastro Enterol Belg 1983;XLVI:7-13

4 Lobdell DH. Ring granulomas in CMV hepatitis. Arch Pathol Labol Med 1987; 111:881-2