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HADAMARD (Jacques) [Jacques, Solomon]
1865-1963
Jacques Hadamard a été un des plus importants mathématiciens de son temps. Très
engagé sur la scène publique et dans des causes d’intérêt général, sa longévité lui a
permis de parcourir un siècle d’histoire des intellectuels, de l’affaire Dreyfus au
philocommunisme des années cinquante, en affirmant avec constance son pacifisme,
son rationalisme militant, ses engagements pour les droits de l’homme et la
démocratie, contre le racisme et l’intolérance.
Jacques Hadamard, né le 8 décembre 1865, à Versailles, dans une famille juive libérale.
La fille d’un cousin de son père, Lucie Hadamard, était l’épouse du capitaine Dreyfus.
Jacques Hadamard épousa, le 30 juin 1892, Louise-Anna Trénel (1868-1960), fille du
directeur du séminaire israélite. Il eurent cinq enfants : Pierre, polytechnicien, Étienne,
centralien, tous deux morts au front pendant la Première Guerre mondiale, Mathieu-
Georges (en l’honneur de Mathieu Dreyfus et du colonel Georges Picquart), ingénieur,
Français Libre mort en Tripolitaine, Cécile, mariée à René Picard, polytechnicien, et
Jacqueline, restée célibataire et qui devint sa collaboratrice.
Reçu premier à l’ENS et à l’École polytechnique, Hadamard choisit l’ENS (1884) où il
noue des amitiés durables avec ses aînés, Duhem et Painlevé. Licencié en mathématiques
et en physique (1886), agrégé de mathématiques (1887), docteur en mathématiques (1891),
il entame une carrière dans le Secondaire puis à la Faculté des sciences de Bordeaux, où il
retrouve Duhem et rencontre Durkheim. Hadamard racontera les longues conversations
qu’il eut avec celui-ci qui, par exemple, soutenait que la morale devait nécessairement
avoir une base scientifique tandis que lui, rejoignant en cela la position qui serait celle de
Henri Poincaré, lui opposait qu’une telle base ne pouvait suffire à fonder une morale.
Puis Hadamard rejoint l’ENS où il remplace Borel et, finalement, le Collège de France,
en 1909. Il enseigne aussi à l’École polytechnique et à l’École centrale. Il est élu à
l’Académie des sciences, en 1912, au fauteuil de Poincaré. Son œuvre scientifique s’étend
aux domaines les plus variés des mathématiques : théorie des fonctions analytiques,
géométrie riemannienne, distribution des nombres premiers, équations aux dérivées
partielles, calculs de variations, physique mathématique. A la fin de sa vie, il s’intéresse
aux mécanismes intellectuels de la production des idées scientifiques. Hadamard inaugure,
dès avant la Première Guerre mondiale, un séminaire qui devient un haut lieu de
développement de la pensée mathématique en France et « un lieu privilégié d’ouverture
aux idées mathématiques venant de l’étranger ».
Au retour de Bordeaux, à l’automne 1897, Hadamard, convaincu de l’innocence de
Dreyfus, s’engage dans ce qui devient « la grande affaire de sa vie » (L. Schwartz) : il est
témoin au procès de Rennes ; il est présent à la réunion constitutive de la Ligue des Droits
de l’Homme et jusqu’à la fin de sa vie restera à son comité central où sa fille, Jacqueline,
lui succédera. La Première Guerre mondiale est un second événement déterminant dans les
mêmes proportions pour Hadamard. Tandis que ses deux fils aînés partent au front, il est
rattaché au Département des inventions où Painlevé et Borel organisent le travail
scientifique d’intérêt militaire. Il accepte un poste à Rome que lui propose son ami, le
mathématicien italien, Vito Volterra, au nom de la coopération scientifique entre alliés.
Lorsque ses deux fils sont tués, à un mois d’écart, au printemps 1916, Hadamard revient à
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Paris, désespéré et transformé. Désormais, son engagement pacifiste ne se démentira plus.
Il soutient les efforts de la SDN et de sa Commission internationale de coopération
intellectuelle. En 1922, il formule dans les Cahiers des droits de l’homme, une définition
de l’agresseur qui sera reprise, à peu près telle quelle, dans le protocole de Genève de
1924. Il écrit à Einstein, entamant ainsi une correspondance qui ne cessera plus entre eux,
que ce texte rend caduque à ses yeux son pacifisme intégral : « A quoi servirait de
distinguer entre le pays agresseur et le pays attaqué si, dans l’un comme dans l’autre, on
devait s’abstenir de toute défense ? » Einstein lui répond que la guerre, même au nom du
droit, est un remède pire que le mal. Hadamard poursuit ses réflexions publiques dans de
nombreux articles et, à la fin de 1931, il propose l’envoi par la SDN d’un corps
international de volontaires en Mandchourie.
Progressivement, il devient l’un des intellectuels scientifiques les plus actifs en France.
En plus de la LDH, on le retrouve au comité d’honneur de l’Union rationaliste et au
Syndicat National de l’Enseignement Supérieur, et, dès 1933, à la présidence du comité
Dimitrov, au Comité international d’aide aux victimes du fascisme hitlérien, présidé par
Einstein, et au comité du Foyer des enfants juifs allemands. Il est membre du comité
France-Palestine et soutient l’établissement de l’Université hébraïque de Jérusalem. Il est
un des fondateurs du CVIA et il signe l’appel des intellectuels en faveur de Paul Rivet
dans le Ve arrondissement de Paris. En octobre 1935, il est signataire de la réponse au
manifeste « Pour la défense de l’Occident » et il adhère au Rassemblement Universel pour
la Paix. En décembre 1936, il est signataire de la pétition, parue dans Commune, pour la
défense de l’Espagne républicaine. Il adhère aux Amis de l’Union soviétique et assiste, en
juin 1938, à la conférence de Jacques Duclos sur « Les droits de l’intelligence » qui réunit
950 intellectuels autour du PCF. Après Munich, il écrit à ses amis mathématiciens
tchécoslovaques : « Nous vous serrons la main par-dessus les têtes des gouvernements
occidentaux qui vous ont trahis ».
À l’été 1940, tandis que Jacqueline retourne à Paris avec Langevin, Hadamard, à la
retraite depuis 1937, reste en zone sud. Sa fille, exclue du CNRS par Vichy, revient bientôt
et, dès lors, l’exil devient la seule perspective. Une invitation d’une université américaine
arrive finalement, grâce à Louis Rapkine, animateur de la mission scientifique de la France
Libre. À New York, Hadamard participe aux activités de l’Ecole Libre des Hautes Études.
En 1943, il signe l’appel, lancé par le chanteur noir, Paul Robeson, commémorant « le
début de l’incendie », dix ans auparavant : l’incendie du Reichstag. En juin 1944, dans une
lettre ouverte à l’American Jewish Joint Distribution Committee, il écrit que « la tragédie
sans précédent des Juifs d’Europe, dont deux ou trois millions ont été assassinés par les
Allemands et qui sont dans leur quasi totalité ruinés, affamés et en détresse, réclame une
collaboration énergique de toutes les forces humanitaires pour sauver ceux qui sont
menacés de mort(…) ». Quelques jours plus tard, il prend la mer pour rejoindre
l’Angleterre et y participer, par des travaux de recherches opérationnelles auprès du
ministère de l’Air britannique, dans le cadre de la mission Rapkine, à la bataille finale
contre le Reich.
La dernière période de la vie de Hadamard qui commence en 1945 – il a 80 ans - est
marquée par un engagement quasi total aux côtés du parti communiste. Contrairement à
ses filles et son gendre, il n’adhère pas au PCF mais il est de toutes les tribunes. Il entre au
comité directeur de l’Union nationale des intellectuels et il prend directement part à la
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naissance, en 1948, des Combattants de la liberté et de la paix, puis des Partisans de la
paix. En 1952, il invite ses amis américains à dénoncer « l’éventuelle dispersion des
maladies les plus dangereuses par les avions américains » dans la guerre de Corée et, en
1953, à s’opposer à l’exécution des Rosenberg: « Peut-être ne vous aurais-je pas écrit
cette lettre si je n’avais pas été un survivant de l’affaire Dreyfus qui garde en mémoire les
luttes de cette époque et l’énergique intervention des intellectuels », écrit-il, affirmant
ensuite : « Comme vous, je ne pense pas qu’il soit raisonnable et juste de prononcer une
sentence irrévocable dans une telle atmosphère. Ce fut la position que prit la cour lors du
procès de Dreyfus et ils ne le condamnèrent pas à mort ».
A la fin de sa vie, Hadamard, président d’honneur de l’Union rationaliste et
membre du comité d’honneur du Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et
pour la paix, dont Daniel Mayer, président de la LDH, souligne que son
engagement relevait de son refus constant de l’intolérance et d’un « élan du
cœur », est devenu une sorte de référence intellectuelle et morale, un rôle
qu’avaient pu occuper avant lui d’autres compagnons de route du PCF, comme
Romain Rolland ou Paul Langevin. Grand croix de la Légion d’Honneur, Médaille d’or du CNRS (1962).
Michel Pinault
Œuvres, 4 vol. CNRS, Paris, 1968. – Essai sur la psychologie de l’invention dans le domaine
mathématique, Gauthier-Villars, Paris, 1954. – « L’origine, l’esprit et le rôle de la science moderne »,
Cahiers rationalistes, 1953, n° 132, p. 1-16. - « Soixante ans d’activité au service de la justice », Cahiers
des Droits de l’Homme, 1958-4, p. 47-49.
Lévy P., Mandelbrojt S., Malgrange B. et Malliavin P., La Vie et l’œuvre de Jacques Hadamard,
L’Enseignement mathématique, Genève, 1967. - Maz’ya Vladimir et Shaposhnikova Tatyana, Jacques
Hadamard, A Universal Mathematician, American & London Mathematical Societies, Providence (E.-
U.), 1998.- Rossat-Mignod Suzanne et Alfred, « Jacques Hadamard », Cahiers rationalistes, décembre
1969, n° 269.