2
Herpes virus et cancers chez les Th. TURSZ* immunod prim s. La theorie de la surveillance immunitaire, proposee il y a 30 ans par Burnel, postulait que run des reles majeurs du systeme immunitaire etait la detection sur les cellules tumorales d'antig~nes nouveaux permettant la destruc- tion des cellules transform~es. La survenue de cancers chez les enfants atteints de deficits immunitaires cong~- nitaux puis chez les patients transplantes recevant des traitements immunosuppresseurs a ete initialement re- vue comme une preuve clinique de rexistence de la surveillance immunitaire. Cependant, les cancers retrouves chez les immuno- deprimes, s'ils sont effectivement plus frequents que dans une population normale du meme &ge, ne sont pas lescancers les pluscommunsdanslapopulationgenerale. II s'agit en effet essentiellement de proliferations malignes du systeme lympho'~'de. Environ 90 % de ces cancers sont des lymphomes B, le reste etant des lymphomes inclassables ou des maladies de Hodgkin. II apparaft aujourd'hui que le virus d'Epstein Barr est responsable de la quasi totalite de ces proliferations malignes lympho'fdes chez les immuno- deprimes. Le virus d'Epstein-Barr est u n gros virus (175 kb) dont le genome est completement sequence. II infecte electi- vement les lymphocytes B humains & raide d'un recep- teur de surface specifique qui semble analogue & celui d'un fragment de clivage du complement, le C3d. Alors que la totalite de la population adulte du globe est probablement en contact avec le virus, son expres- sion pathologique varie considerablement suivant les regions : il est associe & la quasi totalite des lymphomes de Burkitt survenant en Afrique intertropicale, au cancer du nasopharynx en Asie du Sud Est et au Maghreb. En Europe et en Amerique du Nord, il est responsable chez un certain nombre de sujets, Iors de primo-infestations, d'une affection aigue parfaitement benigne, la mono- nucleose infectieuse. Plus recemment, il a ete montre que EBV est proba- blement implique dans au moins 50 % des cas de mala- dies de Hodgkin. Cependant, son rele oncogene direct n'est pas demontr& In vitro, apres avoir infecte les lymphocytes B, EBV modifie leur phenotype en leur donnant raspect de lympho- cytes B actives et leur permet de proliferer en culture de * Institut Gustave-Roussy ; VlLLEJUIF. 1992 - Tome XlII Num#ro 7 fa£on indefinie, aboutissant & I'etablissement de lignees lymphoblastoYdes continues dotees d'une autonomie de croissance in vitro. Cependant, ces lignees << immortali- sees >, ne sont pas des cellules malignes : elles ne contien- nent pas d'anomalie chromosomique, elles ne sont tumorigenes ni in vitro ni in vivo chez des animaux immuno-deprimes. A rinverse, la presence du virus d'Epstein-Barr dans les lymphomes de Burkitt n'est pas un phenomene cons- tant : la majorite des cas sporadiques de Burkitt observes en Europe et en Amerique du Nord ne sont pas associes au virus. Ainsi, la m~me proliferation tumorale peut se voir sans presence intracellulaire du virus : EBV apparaft ainsi comme un cofacteur de la carcinogen~se, qui n'est cependant ni necessaire ni suffisant pour transformer un lymphocyte B. Au plan moleculaire, le point commun entre les lympho- cytes de Burkitt endemiques, associ~s & EBV et les Burkitt sporadiques, non associes & EBV, est I'existence d'une anomalie chromosomique constante qui est une translocation impliquant dans tous les cas le chromo- some 8 et aboutissant a une deregulation de rexpression de I'oncog~ne c-myc, maintenant les cellules en phase proliferative. Chez un sujet dont I'immunite est normale, I'infection par EBV aboutit & rinfection de quelques lymphocytes B par le virus. Cependant, ces lymphocytes B sont detruits par une vigoureuse reponse immunitaire en lymphocytes T, dont rexpression la plus caricaturale est la mono- nucleose infectieuse :les grands mononucleaires bleu- tes caracteristiques de cette affection sont en fait des lymphocytes T stimules antiviraux capables de detruire les lymphocytes B autologues infectes par le virus. M~me s'ils n'ont pas eu une mononucleose infectieuse clinique, tousle sujets europ~ens ou Nord-Americains infectes par EBV gardent toute leur vie des lymphocytes T & memoire capables de limiter la proliferation des lym- phocytes B infectes par le virus. Une proliferation de lymphocytes B lies & EBV ne peut donc se voir qu'en cas d'atteinte des reponses immunitaires cellulaires. A la lumi~re de I'ensemble de ces donnees, on peut proposer un scenario de la genese du lymphome de Burkitt reposant sur la survenue de trois ev~nements : 1) Une infection precoce par le virus d'Epstein Barr entrafnant une proliferation d'un pool important de lymphocytes B infectes ; 2) L'existence d'un deficit immunitaire (qui, en Afrique inter-tropicale, peut ~tre lie au paludisme present S 291

Herpès virus et cancers chez les immunodéprimés

  • Upload
    th

  • View
    219

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Herpès virus et cancers chez les immunodéprimés

Herpes virus et cancers chez les Th. TURSZ*

immunod prim s.

La theorie de la surveillance immunitaire, proposee il y a 30 ans par Burnel, postulait que run des reles majeurs du systeme immunitaire etait la detection sur les cellules tumorales d'antig~nes nouveaux permettant la destruc- tion des cellules transform~es. La survenue de cancers chez les enfants atteints de deficits immunitaires cong~- nitaux puis chez les patients transplantes recevant des traitements immunosuppresseurs a ete initialement re- vue comme une preuve clinique de rexistence de la surveillance immunitaire.

Cependant, les cancers retrouves chez les immuno- deprimes, s'ils sont effectivement plus frequents que dans une population normale du meme &ge, ne sont pas lescancers les pluscommunsdanslapopulationgenerale. II s'agit en effet essentiellement de proliferations malignes du systeme lympho'~'de.

Environ 90 % de ces cancers sont des lymphomes B, le reste etant des lymphomes inclassables ou des maladies de Hodgkin. II apparaft aujourd'hui que le virus d'Epstein Barr est responsable de la quasi totalite de ces proliferations malignes lympho'fdes chez les immuno- deprimes.

Le virus d'Epstein-Barr est u n gros virus (175 kb) dont le genome est completement sequence. II infecte electi- vement les lymphocytes B humains & raide d'un recep- teur de surface specifique qui semble analogue & celui d'un fragment de clivage du complement, le C3d.

Alors que la totalite de la population adulte du globe est probablement en contact avec le virus, son expres- sion pathologique varie considerablement suivant les regions : il est associe & la quasi totalite des lymphomes de Burkitt survenant en Afrique intertropicale, au cancer du nasopharynx en Asie du Sud Est et au Maghreb. En Europe et en Amerique du Nord, il est responsable chez un certain nombre de sujets, Iors de primo-infestations, d'une affection aigue parfaitement benigne, la mono- nucleose infectieuse.

Plus recemment, il a ete montre que EBV est proba- blement implique dans au moins 50 % des cas de mala- dies de Hodgkin. Cependant, son rele oncogene direct n'est pas demontr&

In vitro, apres avoir infecte les lymphocytes B, EBV modifie leur phenotype en leur donnant raspect de lympho- cytes B actives et leur permet de proliferer en culture de

* Institut Gustave-Roussy ; VlLLEJUIF.

1992 - T o m e X l I I

Num#ro 7

fa£on indefinie, aboutissant & I'etablissement de lignees lymphoblastoYdes continues dotees d'une autonomie de croissance in vitro. Cependant, ces lignees << immortali- sees >, ne sont pas des cellules malignes : elles ne contien- nent pas d'anomalie chromosomique, elles ne sont tumorigenes ni in vitro ni in vivo chez des animaux immuno-deprimes.

A rinverse, la presence du virus d'Epstein-Barr dans les lymphomes de Burkitt n'est pas un phenomene cons- tant : la majorite des cas sporadiques de Burkitt observes en Europe et en Amerique du Nord ne sont pas associes au virus. Ainsi, la m~me proliferation tumorale peut se voir sans presence intracellulaire du virus : EBV apparaft ainsi comme un cofacteur de la carcinogen~se, qui n'est cependant ni necessaire ni suffisant pour transformer un lymphocyte B.

Au plan moleculaire, le point commun entre les lympho- cytes de Burkitt endemiques, associ~s & EBV et les Burkitt sporadiques, non associes & EBV, est I'existence d'une anomalie chromosomique constante qui est une translocation impliquant dans tous les cas le chromo- some 8 et aboutissant a une deregulation de rexpression de I'oncog~ne c-myc, maintenant les cellules en phase proliferative.

Chez un sujet dont I'immunite est normale, I'infection par EBV aboutit & rinfection de quelques lymphocytes B par le virus. Cependant, ces lymphocytes B sont detruits par une vigoureuse reponse immunitaire en lymphocytes T, dont rexpression la plus caricaturale est la mono- nucleose infectieuse :les grands mononucleaires bleu- tes caracteristiques de cette affection sont en fait des lymphocytes T stimules antiviraux capables de detruire les lymphocytes B autologues infectes par le virus. M~me s'ils n'ont pas eu une mononucleose infectieuse clinique, tousle sujets europ~ens ou Nord-Americains infectes par EBV gardent toute leur vie des lymphocytes T & memoire capables de limiter la proliferation des lym- phocytes B infectes par le virus. Une proliferation de lymphocytes B lies & EBV ne peut donc se voir qu'en cas d'atteinte des reponses immunitaires cellulaires.

A la lumi~re de I'ensemble de ces donnees, on peut proposer un scenario de la genese du lymphome de Burkitt reposant sur la survenue de trois ev~nements :

1) Une infection precoce par le virus d'Epstein Barr entrafnant une proliferation d'un pool important de lymphocytes B infectes ;

2) L'existence d'un deficit immunitaire (qui, en Afrique inter-tropicale, peut ~tre lie au paludisme present

S 291

Page 2: Herpès virus et cancers chez les immunodéprimés

~, 1'6tat holo-end6mique). Ce d~ficit immunitaire abroge la r~ponse ,~ lymphocytes T qui permettrait de limiter ou d'abolir la prolif6ration polyclonale des lymphocytes B infect6s ;

3) La survenue dans une cellule de cette proliferation polyclonale de lymphocytes B (d'une anomalie chromosomique) aboutissant & I'activation perma- nente de I'oncog~ne c-myc.

C'est probablement ce scenario qui se voit <, en acc~- 16r~ >> chez les sujets immunod~prim6s et en particulier chez les malades transplant~s sous immunosuppres-

seurs. Des ph~nom~nes du m~me ordre sont probable- ment impliqu~s dans les lymphocytes B frequents dans le SIDA.

Ainsi, la survenue de cancers chez les immuno- d~prim~s refl~te bien plus une facette du d6ficit de la surveillance antivirale, ~vident chez ces patients, qu'une preuve en faveur de I'existence d'une 6ventuelle sur- veillance anti tumorale << tous azimuts >>.

Le rSle du virus d'Epstein Barr dans la pathog~nie de la maladie de Hodgkin et du cancer du nasopharynx est plus complexe.

S 292 La Revue de M~decine Interne D~cembre