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Lev Vygotski est aujourd’hui mondialement reconnu comme une source majeure de la psychologie scientifique. Cet ouvrage, inédit en français, constitue la meilleure introduction d’ensemble à sa conception histo- rico-culturelle du psychisme humain. Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures est l’exposé des recherches expérimentales et des vues théoriques vygots- kiennes. Il montre que les fonctions psychiques originales du genre humain – langage oral et écrit, pensée conceptuelle, attention et mémoire volontaires… – se développent non à partir du dedans biolo- gique, mais du monde socioculturel historiquement produit grâce aux médiateurs décisifs que sont l’outil et le signe. C’est ainsi que s’engendre cette forme complexe d’individualité qu’est une personnalité : on naît Homo sapiens, mais on ne devient un humain qu’en s’hominisant dans le monde historique et social. Une foule de savoirs sont venus appuyer cette vue novatrice de Vygotski, d’immense conséquence pour la psychologie, les neurosciences, l’approche du handicap, la pédagogie. Cette traduction de Françoise Sève, accompagnée d’une vaste présen- tation historique et critique, d’annotations théoriques et d’un index des matières détaillé, fait de cette édition une voie d’accès unique à l’une des grandes pensées du fait humain. Parution : 20 mai 2014 ISBN : 9782843032530 600 pages 140 x 225 mm 38 €

Histoire du développement des fonctions psychiques ... · Lev Vygotski est aujourd’hui mondialement reconnu comme une source majeure de la psychologie scientifique. Cet ouvrage,

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Lev Vygotski est aujourd’hui mondialement reconnu comme une source majeure de la psychologie scientifique. Cet ouvrage, inédit en français, constitue la meilleure introduction d’ensemble à sa conception histo-rico-culturelle du psychisme humain. Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures est l’exposé des recherches expérimentales et des vues théoriques vygots-kiennes. Il montre que les fonctions psychiques originales du genre humain – langage oral et écrit, pensée conceptuelle, attention et mémoire volontaires… – se développent non à partir du dedans biolo-gique, mais du monde socioculturel historiquement produit grâce aux médiateurs décisifs que sont l’outil et le signe. C’est ainsi que s’engendre cette forme complexe d’individualité qu’est une personnalité : on naît Homo sapiens, mais on ne devient un humain qu’en s’hominisant dans le monde historique et social. Une foule de savoirs sont venus appuyer cette vue novatrice de Vygotski, d’immense conséquence pour la psychologie, les neurosciences, l’approche du handicap, la pédagogie. Cette traduction de Françoise Sève, accompagnée d’une vaste présen-tation historique et critique, d’annotations théoriques et d’un index des matières détaillé, fait de cette édition une voie d’accès unique à l’une des grandes pensées du fait humain.

Parution : 20 mai 2014ISBN : 9782843032530600 pages140 x 225 mm38 €

Illustration de couverture : Maria-Elena Vieira da Silva (1908-1992), La Biblio-thèque © RMN-Grand Palais / Gérard Blot.Maquette d’après François Féret

Histoire du développement des fonctions psychiques

supérieures

Lev S. Vygotski

Traduction de Françoise Sève

Édition préparée par Michel Brossard et Lucien Sève

La Dispute

Tous droits de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays© 2014, La Dispute/SNÉDIT, Paris

ISBN : 978-2-84303-253-0

http://atheles.org/ladisputePour être informé de nos publications, abonnez-vous à notre bulletin

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Du même auteur, à La DisputeConscience, inconscient, émotions, trad. Françoise Sève et Gabriel Fernandez, précédé de « Vygotski, la conscience comme liaison » d’Yves Clot, 2003.Psychologie de l’art, trad. Françoise Sève, 2005.La Signification historique de la crise en psychologie, trad. Colette Barras et Jacques Barberis, édition préparée et présentée par Jean-Paul Bronckart et Janette Friedrich, 2010.Leçons de psychologie, trad. Olga Anokhina, édition préparée et présentée par Michel Brossard, 2011.Pensée et langage, 4e éd., trad. Fran-çoise Sève, 2013.

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Histoire du développement des fonctions psychiques supé-rieures (1928-1931 ?) – on écrira en abrégé Histoire du dévelop-pement… – est le meilleur exposé d’ensemble des recherches et conceptions du grand psychologue russe Lev Vygotski, mort à trente-huit ans en 1934, et sera pour nombre de lecteurs, spécialistes ou non en la matière, une vraie révélation.

Les cinq premiers chapitres du livre, parus pour la première fois à Moscou en 1960, exposent et justifient de façon générale la conception historico-culturelle du psychisme humain, qui constitue son apport majeur, et aujourd’hui encore novateur, à la science psychologique. À la différence des fonctions élémentaires que nous avons en commun avec les vertébrés supérieurs, nos fonctions psychiques les plus élevées résultent non de capacités natives mais de l’appropriation d’acquis historico-sociaux du genre humain cumulativement objectivés au cours des derniers millénaires en un monde culturel dont les éléments de base sont l’outil et le signe, appropriation moyennant laquelle se développent chez les individus des activités et une personnalité foncièrement irréductibles à leurs condi-tions naturelles. Cette conception s’est montrée des plus

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productives en pratiques innovantes, de la pédagogie à la défectologie en passant par la neurologie. Les dix chapitres suivants, retrouvés et publiés en 1983, donnent richement idée de ce que cette conception permet de comprendre à l’acquisition du langage oral et écrit comme de l’arith-métique, à la genèse de l’attention, la mémoire, la pensée verbale, la volonté, et pour finir aux premiers développe-ments de la personnalité. Sont donnés en annexe deux textes qui éclairent très suggestivement la gestation des idées directrices de l’ouvrage.

L’histoire de la rédaction d’Histoire du développement… puis de sa réception tardive en URSS et à l’échelle inter-nationale étant fort complexe, les sources et le sens de la conception historico-culturelle restant quant à eux insuf-fisamment étudiés encore, il s’imposait de faire précéder le texte de Vygotski d’une substantielle présentation histo-rico-critique, laquelle a nécessité de longues recherches.1 Cette présentation va s’attacher successivement à élucider les circonstances dans lesquelles a été conçu et écrit le livre, analyser son contenu et ses sources, parmi lesquelles l’ap-port de Marx jusqu’ici sous-estimé, comprendre les raisons qui ont conduit Vygotski à ne pas le publier, et retracer les péripéties à travers lesquelles cette œuvre majeure nous est enfin parvenue. Suit un Avertissement relatif à la traduc-tion du livre, travail délicat dû pour l’essentiel à Françoise Sève, et aux conditions dans lesquelles il a été achevé après son décès.

* * *

1. Préparée et rédigée par Lucien Sève, philosophe, auteur d’ouvrages sur l’anthropologie marxienne et la psychologie, cette présentation est le fruit d’un travail collectif ayant suscité de nombreux échanges auxquels ont pris part Michel Brossard, psychologue et philosophe, spécialiste de l’œuvre de Vygotski, professeur émérite de l’université Victor-Segalen Bordeaux-II ; Yves Clot, psychologue, professeur titulaire de la chaire de psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (Paris), organisateur des colloques internationaux sur Vygotski qui se sont tenus à Paris en 1998 puis 2010 ; Irina Leopoldoff-Martin, assistante en didactique des langues à l’université de Genève, spécialiste de l’œuvre de Vygotski. Ce travail a également bénéficié d’échanges avec deux grands connaisseurs de l’œuvre vygotskienne, Anton Yasnitsky, psychologue, en 2011 chercheur associé à l’université de Toronto, et Ekaterina Zaverchneva, psychologue, philosophe et écrivain, graduée de l’université de Moscou, dont l’expérience de travail sur les archives vygotskiennes nous a été très précieuse.

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Le livre qui suit est la traduction du tome III des Sobranie sočinenij (Œuvres2) de Lev Sémionovitch Vygotski, publié en 1983 à Moscou par l’éditeur Pedagogika.3 Une brève note indique en fin de volume : « Monographie écrite en 1931 », et ajoute que les cinq premiers chapitres furent pour la première fois publiés en 1960, un commentaire y préci-sant à tort que les chapitres suivants, projetés par l’auteur (chapitres VI à XV), « n’avaient pas été écrits ». Sur quoi l’édi-tion de 1983, tout en les rajoutant, ne fournit aucune explica-tion. D’emblée, cet ouvrage majeur de Vygotski apparaît ainsi en même temps comme le lieu d’une vraie énigme.

1. Une œuvre énigmatique

Qu’il s’agisse d’un ouvrage majeur de Vygotski, disons même plus hardiment : de la littérature psychologique en général, le lecteur s’en convaincra de lui-même, pensons-nous : il y découvrira l’exposé le plus approfondi et le plus vivant de cette conception historico-culturelle du psychisme humain, tout ensemble vue théorique et démarche pratique, qui fit à juste titre la gloire posthume, aujourd’hui croissante, de ce psychologue russe des temps soviétiques, mort en 1934 de tuberculose en sa trente-huitième année. Mais que ce livre soit en même temps un écrit bien énigmatique, il importe de le mesurer au départ.

À le lire avec attention, nombre d’interrogations surgissent, qui vont s’aiguisant en sa deuxième moitié. En l’absence à peu près totale d’appareil critique, cette édition russe de 1983 laisse sans réponse les questions les plus élémentaires. Pour-quoi en 1960, Vygotski commençant à sortir des oubliettes où il avait été jeté pour un quart de siècle à l’époque du stali-nisme triomphant, n’a-t-on publié que les seuls cinq premiers chapitres ? Comment comprendre que les préfaciers de cette publication Alexis Léontiev, Alexandre Luria, Boris Téplov,

2. Cette formule signifie littéralement « recueil d’œuvres », ce qui ne précise pas s’il s’agit d’une édition complète. En l’occurrence, les six tomes, parus entre 1982 et 1984, que compte le Sobranie sočinenij de Vygotski sont loin de recueillir tous ses écrits.3. À la suite d’Histoire du développement des fonctions psychiques supé-rieures (p. 6-328), ce tome comporte aussi, assez arbitrairement, un bref article écrit par Vygotski en 1928 Sur la question de l’enfant plurilingue, p. 329-337.

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très proches collaborateurs et amis de Vygotski, et qu’avec eux le redaktor même du volume – son secrétaire d’édition – A. Matiouchkine aient pu affirmer alors que les dix chapitres suivants « n’avaient pas été écrits » ?4 Où, quand, comment ont-ils été retrouvés de façon à pouvoir être publiés à la suite des cinq premiers dans les Œuvres en six volumes ? Comment admettre que pas un mot ne nous soit dit de ce mystère dans cette édition de 1983 dont le maître d’œuvre, pour comble, est ce même A. Matiouchkine qui avait donné vingt-trois ans plus tôt ces dix chapitres pour inexistants ? Quelle confiance avoir en semblables éditeurs ? Une fois installé, le doute n’a plus de frontières. L’édition de 1983 nous dit on ne peut plus laconiquement qu’Histoire du développement… a été « écrit en 1931 » ; l’édition de 1960 disait : 1930-1931 – une diffé-rence d’un an est ici de vraie importance, car en cette période d’intense activité la pensée de Vygotski bouge de semestre en semestre. Mais allons plus loin : comment sait-on que ce livre non publié de son vivant fut écrit en 1931, ou en 1930-1931 ? Par une indication sur le manuscrit, une information épis-tolaire, un recoupement chronologique ? Aucune précision ne nous sera donnée. On est donc enclin à demeurer méfiant. Comme on va voir, il y a tout lieu en effet de l’être.

Mais avant d’y venir, un mot encore sur la très médiocre qualité de cette édition des Œuvres vygotskiennes. Chemin faisant à travers l’ouvrage, le lecteur trouvera plus d’une note infrapaginale signalant une erreur patente ou probable de texte qu’on ne saurait imputer à Vygotski. Ainsi à diverses reprises le texte russe donne-t-il un mot aberrant en lieu et place manifeste d’un autre de graphie voisine. Comment expliquer pareilles fautes ? La consultation du manuscrit étant impossible, on verra plus loin pourquoi, on est réduit à la conjecture – situation déplorable et néanmoins récurrente pour qui travaille sur Histoire du développement… Une lourde faute de ce type dans le chapitre VI (stoknut’ pour sutknut’, comme il est indiqué en note) peut suggérer que le texte proviendrait d’une conférence ou d’un cours de Vygotski pris en sténographie, laquelle aurait été décryptée par un tiers manquant de formation ou de vigilance – en cette hypo-thèse, la faute serait du même coup une indication quant à

4. Cf. Lev S. Vygotskij, Razvitie vysših psihičeskih funkcij, Izdatel’stvo Akademij Pedagogičeskih Nauk (Éditions de l’Académie des sciences pédagogiques), Moscou, 1960, p. 482.

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la source du chapitre en question. En deux autres endroits on lit nejtral’nij (neutre) là où d’évidence il faut entendre natural’nij (naturel). Figurant dans les chapitres III et IV, qu’on ne peut prendre pour des conférences transcrites par un tiers, cette confusion ne saurait quant à elle en tout cas s’expliquer ainsi. La clef de l’énigme est peut-être donnée par Ekaterina Zaverchneva, qui a pu travailler sur les manuscrits : Vygotski avait l’habitude d’écrire en usant d’une sorte de sténographie personnelle où souvent un mot était plus ou moins réduit à ses premières lettres ou à ses consonnes5 ; de la sorte, natural’nij pouvait par hypothèse se trouver noté ntrl’nij. On conçoit alors comment un redaktor négligent ou peu avisé pouvait en venir à lire « neutre » là où Vygotski voulait manifestement dire « naturel »… Le même manque général de sérieux professionnel se traduit par quantité de fautes dans la façon dont les notes de fin de volume citent les noms d’auteurs non russes. Il se traduit aussi, de façon moins voyante mais encore plus dommageable, par le nombre de passages où devrait absolument être donnée en note une précision, une référence, une clarification, ce qui n’est pas fait. Disons pour n’y plus revenir combien cette édition d’His-toire du développement…, seule disponible en russe à ce jour, est au-dessous de ce qu’on est en droit d’attendre. Vygotski est une gloire nationale de la Russie ; le traitement éditorial dont il y a été l’objet n’en est pas digne.

La part faite de ce qui incombe à l’édition, reste que l’ouvrage porte en lui-même plus d’une énigme. L’une des premières choses qui y frappe est l’extrême disparité des chapitres. Disparité de longueur : les cinq premiers – sur quinze – font la moitié du livre ; le chapitre II compte plus de cent cinquante mille signes, le VIII, quinze mille ; dispa-rité de démarche : nombre de chapitres mènent longuement un débat de fond – tels les cinq premiers – ou font le tour d’une investigation concrète – comme ceux sur l’attention, la mémoire ou la volonté ; quelques autres sont nettement plus limités, par exemple sur le langage oral, et celui qui traite de l’arithmétique est même franchement parcellaire ; disparité du ton lui-même : autant les chapitres de la première moitié

5. Cf. Ekaterina Zaverchneva, « The Vygotsky family archive (1912-1934). New findings », Journal of Russian and East European Psychology, vol. 48, no 1, 2010, p. 17. Le y final de la transcription anglaise du nom de Vygotski n’a nulle raison d’être en français.

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du livre et les plus étoffés de la seconde sont fortement composés et d’écriture soutenue, autant quelques-uns de la seconde moitié – le VI, le VIII, le XIV… – paraissent moins construits et par leur style peuvent faire penser à des confé-rences ou des cours pris en sténographie ; partout Vygotski dit « nous » lors même qu’il ne renvoie pas à des travaux expressément menés avec des collaborateurs, mais dans le chapitre XI il dit de bout en bout « je », comme on fait dans une conférence. En bref, le lecteur acquiert progres-sivement l’impression que ce qu’il lit, bien que de premier intérêt, n’est pas un livre entièrement achevé, qu’en tout cas ses chapitres semblent n’avoir pas été écrits d’affilée dans un même registre ni peut-être au même moment.

Et voilà qui fait rebondir la question si importante de la datation exacte d’Histoire du développement… « Écrit en 1931 », décrète sans preuve la notule russe de fin du volume. Une découverte fortuite faite lors de la préparation de la présente édition est venue volatiliser cette assurance : les pages finales du chapitre XIII – presque la moitié de ce chapitre – sont reprises à peu près mot pour mot d’un article que Vygotski a écrit et publié en 1928.6 Commençait ainsi d’émerger un fait crucial qui n’a jamais encore été signalé dans aucune édition de l’ouvrage en quelque langue que ce soit : Histoire du développement… n’est pas un livre écrit d’un seul tenant, sa genèse est une histoire complexe, et proba-blement inélucidable pour une part. Ce constat à peine fait, la découverte d’une longue étude non encore publiée alors du psychologue canadien Anton Yasnitsky7 est venue lui

6. Cette découverte a été faite en septembre 2011 par Lucien Sève alors qu’il travaillait à réviser la traduction d’Histoire du développement… Lisant en même temps Understanding Vygotsky. A Quest for Synthesis, de René Van der Veer et Jaan Valsiner, Blackwell, Oxford et Cambridge, 1991, il eut la vive surprise d’y lire p. 71 une citation de Vygotski qu’il reconnut pour appartenir au chapitre XIII d’Histoire du développement… dont il avait effectué la saisie informatique peu avant ; or elle était donnée par Under-standing Vygotsky comme figurant dans un article de 1928 (« Defektologija i učenie o razvitij i vospitanij nenormal’nogo rebënka » [« Défectologie et étude sur le développement et l’éducation de l’enfant anormal »], Lev S. Vygotskij, Sobranie sočinenij, tome V, p. 166-173). Vérification faite, il apparut non seulement que ce texte de 1928 se retrouvait mot pour mot dans un chapitre d’Histoire du développement… censé avoir été écrit en 1931, mais que cela valait aussi de cinq pages entières de cet article écrit et publié trois ans plus tôt.7. Cette vaste analyse critique en russe, amicalement communiquée avant publication par son auteur à Irina Leopoldoff-Martin, et intitulée « Kogda

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apporter des enrichissements majeurs. Dans cet article très sévère à l’égard de l’édition russe et qui interroge sur plus d’un point, on apprend, entre bien d’autres, deux choses d’ap-port essentiel à notre enquête. D’abord, le chapitre VII d’His-toire du développement… est la reprise à peu près textuelle d’un chapitre identiquement intitulé « Predistorija pis’men-noj reči » (« Préhistoire du langage écrit ») appartenant à un ouvrage non publié de Vygotski, Istorija kul’turnogo razvitija normal’nogo i nenormal’nogo rebënka (« Histoire du déve-loppement culturel de l’enfant normal et anormal ») qui a été écrit en 1928-1929.8 Ensuite, dans le même ouvrage de 1928-1929 figure un chapitre XVI intitulé (traduction fran-çaise) « Développement de la personnalité et de la vision du monde chez l’enfant », énoncé qui figure pareillement dans le titre du chapitre XV et dernier d’Histoire du développe-ment…, et, commente Anton Yasnitsky, la comparaison des deux textes fait apparaître qu’« à peu de différences près ils sont identiques ».

Ainsi s’écroule définitivement la thèse jusqu’ici admise selon laquelle Histoire du développement… en son entier daterait de 1931, voire de 1930-1931 : si les cinq premiers chapitres ont sans doute bien été écrits alors – on y reviendra

–, trois chapitres de la deuxième moitié du livre en tout cas reprennent indiscutablement des textes de plusieurs années antérieurs. Ne s’agit-il même que de ces chapitres-là ? Sur la lancée des trois trouvailles précédemment indiquées, on s’est interrogé de façon systématique quant à la provenance des sept autres chapitres sur les dix qui constituent la deuxième moitié du livre. Exemple : le chapitre IX sur le développe-ment de l’attention n’aurait-il pas à voir avec l’étude inti-tulée « Razvitie vysših form vnimanija v detskom vozraste » (« Le développement des formes supérieures de l’attention chez l’enfant »), parue en 1929 dans un recueil de travaux de l’Académie d’éducation communiste N. K. Kroupskaïa et

b vy znali, iz kakogo sora… » (« Si vous saviez de quelles balayures… »), qui porte en sous-titre (traduction française) « À propos des fondements de la théorie du développement culturel de Vygotski-Luria », est devenue depuis lors, janvier 2011, librement accessible sur PsyAnima, publication en ligne, Dubna Psychological Journal, vol. 4, no 3.8. Ce texte a été publié dans Lev S. Vygotskij, Umstvennoe razvitie detej v processe obučenija (« Le développement mental des enfants dans le proces-sus éducatif »), Gosudarstvennoe učebno-pedagogičeskoe izdatel’stvo, Moscou et Leningrad, 1935, p. 73-95.

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republiée en 1956 dans le volume d’études psychologiques choisies où fut réédité Pensée et langage ? Vérification faite, le chapitre IX d’Histoire du développement… est bel et bien lui aussi une reprise quasi littérale de cette étude de 1929. Seule l’impossibilité dans laquelle nous nous sommes trouvés d’ac-céder à l’original russe de certains autres textes nous a empê-chés jusqu’ici d’étendre davantage la découverte. Mais, pour donner quelques exemples encore, on est enclin à supposer que le chapitre XIV d’Histoire du développement… sur « le problème de l’âge culturel » doit sans doute beaucoup à une conférence identiquement intitulée « Problema kul’turnogo vozrasta » prononcée par Vygotski en février 1929 et conser-vée sous forme de sténogramme ; que des conjectures du même ordre sont vraisemblablement fondées à propos des chapitres X sur la mémoire, XI sur le langage et la pensée et XII sur la volonté.

Résumons. Sur les dix chapitres consacrés à des acquisi-tions et fonctions psychiques particulières puis à des vues d’ensemble conclusives, qui forment la deuxième moitié du livre, quatre – le fait est maintenant établi – sont en entier ou en grande partie des reprises le plus souvent littérales de textes, inédits ou non, écrits ou prononcés en 1928-1929 ; la chose est aussi fort vraisemblable pour quatre autres ; en fin de compte, pour deux seulement – le VI sur le langage oral et le VIII sur l’arithmétique –, on ne voit pas d’emblée, en l’état de la bibliographie des écrits vygotskiens9, de textes anté-rieurs dont ils pourraient être plus ou moins largement repris ; il se trouve que ce sont aussi deux chapitres des plus brefs de tout l’ouvrage au point de donner une nette impression d’incomplétude. La conclusion est obligée : non, qu’Histoire du développement… en son entier ait été « écrit en 1931 » – ou

9. À cet égard, on dispose notamment de quatre documents : 1. la biblio-graphie dressée en 1932 sous la direction de Carl Murchison et avec la participation d’Alexandre Luria pour la deuxième édition du Psychological Register de la Clark University aux États-Unis ; 2. la liste des « Travaux du professeur L. S. Vygotski » donnée à la fin de l’édition de 1934 de Pensée et langage, p. 321-323, qui compte quatre-vingt-dix titres ; 3. la bibliogra-phie donnée à la fin de René Van der Veer et Jaan Valsiner, Understan-ding Vygotsky, op. cit., p. 424-438, qui indique les diverses publications de chaque titre ; 4. la bibliographie publiée à la fin du livre de Guita L. Vygod-skaïa et Tamara M. Lifanova, Lev Semënovič Vygotskij. Žizn’, dejatel’noct’, štrihi, k portretu (« Lev S. Vygotski. Vie, activité, traits, pour un portrait »), Academia, Moscou, 1996, p. 390-410, qui compte 274 titres, hors notes personnelles et correspondance.

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en 1930-1931 – n’est pas soutenable ; la confection de ce livre est en tout état de cause un processus bien plus complexe, et plus étendu dans le temps, qu’on ne l’a dit jusqu’ici ; et étant donné que la période en cause – 1928-1931 – est décisive dans la rapide maturation de la pensée vygotskienne, entre le diagnostic fondamental posé en 1926-1927 dans La Signi-fication historique de la crise en psychologie et le cours que Vygotski va imprimer à son travail dans les trois dernières années de sa vie, de 1932 à 1934, il devient essentiel de recons-tituer avec beaucoup plus d’exigence que cela n’a été fait jusqu’ici la genèse réelle de ce livre-charnière.

Mais pareil travail impliquerait bien entendu la possi-bilité d’accéder aux sources, et en premier au manuscrit d’Histoire du développement… Par-delà les versions dacty-lographiées dont l’existence est mentionnée par Ekaterina Zaverchneva10, comment se présente le document original à partir duquel on suppose qu’a été réalisée l’édition de 1983, est-il tout entier de la main de Vygotski, ou compte- t-il des chapitres transcrits par des tiers ? Etc. Or voilà juste-ment autant de questions auxquelles nous n’aurons pas réponse : le manuscrit d’Histoire du développement… a en effet disparu des archives à un moment et dans des condi-tions qu’on ne peut même pas préciser11. De façon générale d’ailleurs, toute recherche est devenue problématique : au milieu des années 2000 fut conclu entre les ayants droit de l’héritage littéraire Vygotski12 et la firme canadienne Sharpe un contrat de droit privé aux termes duquel était annon-cée la future publication d’Œuvres complètes en quinze volumes – le premier devait paraître en 2008… –, à la suite de quoi fut créée une société vygotskienne à but lucratif… « Cela signifie, commente Anton Yasnitsky au début de son étude citée plus haut, que les archives de Vygotski, en total contraste avec celles de très nombreux scientifiques occi-dentaux, telles par exemple des figures de la Gestaltpsycho-logie comme Kurt Lewin, Kurt Koffka, Max Wertheimer, Wolfgang Köhler, etc., restent la propriété de personnes

10. Cf. son article déjà cité « The Vygotsky family archive (1912-1934)…», p. 17, où elle parle de « the typewritten text “The history of the develop-ment of higher psychic functions” in several copies ».11. Communication personnelle d’Ekaterina Zaverchneva, mars 2012.12. Guita L. Vygodskaïa étant décédée en 2010, la propriétaire de cet héri-tage est désormais la petite-fille de Vygotski, Elena E. Kravtsova.

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privées et sont aujourd’hui complètement inaccessibles aux chercheurs extérieurs. »13

On conçoit dans ces conditions que la reconstitution précise de la genèse de cet ouvrage, pour nécessaire qu’elle soit, relève pour une part au moins de la tâche impossible. Nombre d’informations factuelles indispensables ont irré-médiablement disparu avec le manuscrit ; reste tout ce que peut nous apprendre la très attentive lecture critique du texte. Comment par exemple comprendre qu’en 1960 les dix derniers chapitres d’Histoire du développement… aient pu être tenus par les plus proches amis de Vygotski pour inexis-tants ? S’ils existaient bien, mais à part des cinq premiers, qui les a tous rassemblés pour constituer le volume publié en 1983 ? Peut-on être certain que ce rassemblement n’ait fait que reconstituer un ouvrage unique conçu et réalisé comme tel par Vygotski lui-même ? En somme, est-il bien sûr que le livre qu’on va lire soit non pas l’artefact d’éditeurs irres-ponsables mais la concrétisation d’un authentique projet vygotskien ? Cela au moins, par la lecture de certains articles de 1928 et par une attentive critique interne d’Histoire du développement…, nous sommes en mesure de le dire.

Car si la rédaction des cinq premiers chapitres date pour l’essentiel de 1930, ce qui n’est pas discuté, il est patent que le projet déjà fort élaboré en est formulé dès 1928. Deux articles en témoignent au premier chef. Celui d’abord qui parut cette année-là dans le numéro 1 de la revue Pedologija sous le titre « Problema kul’turnogo razvitija rebënka » (« Le problème du développement culturel de l’enfant »).14 À le lire, on a l’extrême surprise de découvrir que non seulement il énonce ou annonce un grand nombre de thèmes qui seront dévelop-pés dans la première moitié d’Histoire du développement…, et plus d’une fois en les termes mêmes, mais bien davan-tage encore : les cinq sous-titres de l’article – 1. Problème ; 2. Analyse ; 3. Structure ; 4. Genèse ; 5. Méthode – sont les titres mêmes des cinq premiers chapitres d’Histoire du développe-

13. Jugeant inacceptable cet état de choses, plus de trois quarts de siècle après la mort de Vygotski, nous nous sommes refusé à poser quelque question que ce soit à Mme Kravtsova, dont d’ailleurs nous n’aurions eu nul moyen de valider les éventuelles réponses.14. Cet article est accessible en français dans Frédéric Yvon et Yuri Zinchenko (sous la direction de), Vygotsky, une théorie du développement et de l’éducation, recueil de textes et commentaires, Université d’État de Moscou (MGU), 2012, p. 72-99.

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ment… (la seule différence est que dans le livre le chapitre sur la méthode passe en deuxième position, juste après le chapitre liminaire sur le problème). Et bien que le dévelop-pement donné dans l’article de 1928 à ces cinq thèmes soit naturellement assez succinct – « Ici, nous voulions seule-ment présenter d’une manière des plus concises, dit Vygotski en terminant, le problème du développement culturel de l’enfant » –, y sont déjà présents la plupart des éléments qui vont conférer à Histoire du développement… sa puissante originalité de pensée : à la rubrique du problème, l’indication cruciale des deux lignes, naturelle et culturelle, du dévelop-pement psychique humain ; à celle de l’analyse, le schéma triangulaire de l’activité médiatisée et son commentaire ; à celle de la structure, l’idée d’unité fonctionnelle complexe des fonctions psychiques supérieures ; à celle de la genèse, la thèse révolutionnaire d’un quatrième stade de comporte-ment chez l’homme social ; à celle de la méthode enfin, l’ana-lyse ébauchée de la méthode instrumentale et de la double stimulation. La préfiguration d’Histoire du développement… dans cet article va sous plus d’un rapport jusqu’au détail : on y trouve déjà les mêmes références à Höffding ou Binet, Stern ou Piaget, Meumann ou Blonski, la même citation de Bacon et jusqu’à, en exergue de l’article, la même phrase d’Engels qui va occuper la même place à la première page du livre… De sorte que la question de la datation d’Histoire du développement… pourrait devenir : pourquoi en somme l’ouvrage n’a-t-il pas été composé plus tôt ?

D’autant qu’un court passage d’un autre article de 1928 – celui même dont le chapitre XIII d’Histoire du développement… reprend à peu près littéralement cinq pages15 – annonce presque exactement, lui, autre surprise, la liste raisonnée des chapitres VI à XII. « Le développement des fonctions psychiques supérieures chez l’enfant, y lit-on, n’est possible que par les voies du développement culturel, que ce déve-loppement culturel se fasse selon la ligne de la maîtrise des moyens externes de la culture, comme le langage, l’écri-ture, l’arithmétique (objets, dans l’ordre, des chapitres VI, VII et VIII), ou selon celle du perfectionnement interne des fonctions psychiques elles-mêmes, c’est-à-dire l’élaboration

15. Il s’agit, rappelons-le, de l’article intitulé (traduction française) « Défec-tologie et étude sur le développement et l’éducation de l’enfant anormal », dont le texte russe figure au tome V des Œuvres en russe, p. 166-173.

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de l’attention, de la mémoire, de la pensée abstraite, de la formation des concepts, de la libre volonté, etc. » Et ici nous avons, toujours dans l’ordre, les objets des chapitres IX, X, XI et XII, à ceci près – chose fort digne de remarque – qu’était ainsi programmé un chapitre sur la formation des concepts qui ne figure pas entre le XI et le XII dans Histoire du dévelop-pement…, la question n’étant que très partiellement abordée à la fin du chapitre XI.

Ce dernier texte a pour nous d’autant plus d’importance qu’il fournit la clef de la composition d’ensemble d’His-toire du développement… Cinq chapitres ayant examiné de manière approfondie le problème du développement cultu-rel des fonctions psychiques supérieures, la méthode requise pour en saisir la spécificité, puis en ayant sur un plan général engagé l’analyse, mis au jour la structure et reconstitué la genèse, il y a lieu alors d’examiner monographiquement les diverses dimensions de ce psychisme supérieur : appropria-tion de ses moyens sociaux de base – langage oral, langage écrit, arithmétique – et développement de ses composantes fonctionnelles majeures – attention volontaire, mémoire logique, pensée verbale (formation des concepts), maîtrise du comportement –, trois chapitres finaux s’attachant à définir une démarche pédagogique adéquate au développe-ment culturel, à en ébaucher une méthode de mensuration correcte, à esquisser enfin l’histoire d’une personnalité en formation. On est ainsi fondé à penser que le plan de l’ou-vrage était déjà pour l’essentiel arrêté en 1928 dans l’esprit de Vygotski.

Et que ce soit bien lui – dans des conditions et selon une chronologie certes encore peu claires – qui l’a effectivement composé en ajoutant les dix derniers chapitres aux cinq premiers, on en peut trouver maintes preuves irrécusables, pensons-nous, tout au long du texte. Une lecture attentive fait repérer dans les cinq premiers pas moins de douze annonces précises des dix suivants. Ainsi dès les premières pages du chapitre premier indique-t-il que « dans des chapitres à part » sera présentée « l’étude des principales fonctions psychiques », indication répétée au début du chapitre II. Chemin faisant, on trouve à maintes reprises mention préa-lable de tel ou tel chapitre particulier à venir – le VI, le IX, le XII – et même, au milieu du chapitre premier, en est donnée par provision une liste très voisine de celle qui figure dans

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l’article cité de 1928 : « […] premièrement, les processus d’ac-quisition des moyens externes du développement culturel et de la pensée : langage, écriture, calcul », et « deuxièmement, les processus de développement de fonctions psychiques spéciales […], attention volontaire, mémoire logique, forma-tion de concepts, etc. » – ici encore est confirmée l’intention d’écrire un chapitre sur la formation des concepts qui, seule, ne sera pas mise à exécution. En écho, nous trouvons dans les chapitres ainsi annoncés d’avance deux douzaines de réfé-rences aux cinq premiers chapitres ou à tel ou tel des dix suivants. Ainsi rencontrons-nous vers la fin du chapitre VI une allusion manifeste à l’analyse du chapitre V sur l’unifi-cation comportementale « du type de la couture », au milieu du IX une autre allusion sans équivoque au schéma hégé-lien de développement en trois temps également exposé au chapitre V, etc. Et sont également fréquentes les références internes entre les chapitres VI à XV. Nous trouvons même expressément affirmée dans les débuts de ce dernier chapitre l’existence d’une connexion générale entre tous les moments de l’ouvrage : si nous le regardions en son ensemble, comme « à vol d’oiseau », écrit Vygotski, « nous apparaîtraient les fils si complexes et embrouillés qui relient entre eux les chapitres dans leur entrelacs » – qui rattachent par exemple langage écrit, dessin, mémoire mnémotechnique et attention ; et, conclut-il, « nous n’aurions jamais entrepris d’exposer l’his-toire de la personnalité et de la vision du monde chez l’enfant si ces fils maintes fois entrelacés n’avaient pas été signalés déjà à travers tout notre exposé précédent ». L’unité voulue de l’ouvrage est bien incontestable : Histoire du développement… n’est pas un arbitraire montage posthume.

Mais que ce que nous savons de façon certaine à son sujet continue de se présenter sur une toile de fond énigmatique, cela non plus n’est pas niable. Est-il même assuré que le titre de l’ouvrage soit bien de Vygotski ? Qu’il réponde très crédi-blement à son propos, certes : on connaît plusieurs textes de lui, écrits, voire publiés entre 1928 et 1930, qui arborent dans leur titre les syntagmes typiques istorija razvitie (« histoire du développement ») et vysšij psihičeskij funkcij (« fonctions psychiques supérieures »). Plus : l’histoire du développement des fonctions psychiques supérieures sont les mots mêmes par lesquels commence le premier chapitre, et l’expression se retrouve à plusieurs reprises dans les paragraphes puis les

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pages suivantes de l’ouvrage ; sa pertinence ne fait donc pas doute. Mais personne à ce jour n’a formellement affirmé en connaissance de cause que le titre Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures avait bel et bien été porté sur le manuscrit de la main même de Vygotski.16 De façon générale, les conditions dans lesquelles a dû être préparée cette présentation, sans accès direct possible aux archives Vygotski, nous font devoir de bien le souligner : si ce qui suit va s’efforcer de respecter les règles d’une étude critique, on ne peut pourtant y faire l’économie du conjectural, qui bien entendu sera expressément signalé comme tel.

2. Sur la genèse du livre (1928-1931 ?)

L’ouvrage qu’on va lire est à maints égards si central dans l’œuvre vygotskienne que tenter d’en esquisser la genèse exigerait à la limite d’examiner toutes les phases marquan-tes de développement de cette œuvre sous toutes ses dimen-sions principales. Pareil programme excède évidemment de très loin le cahier des charges acceptable de la simple présentation d’un livre. Du moins est-il indispensable de caractériser même succinctement le cheminement fonda-mental de pensée et d’expérience suivant lequel Vygotski en est venu à la fin des années 1920 à décider d’écrire – et d’écrire seul – un livre ayant de façon modeste mais décidée l’ambition d’exposer une vue révolutionnairement inédite

16. Ici est à citer une intéressante note de Vygotski dont Ekaterina Zaverchneva situe la rédaction « approximativement en 1930-1931 » (nous en retraduisons la traduction anglaise qu’elle donne dans son article déjà cité « The Vygotsky family archive [1912-1934]…», p. 30) : «NB ! Il nous manque un nom, une désignation. Ce ne doit pas être une enseigne (intuitivisme). Pas instrum., pas culturel, pas signif., pas struct. ; etc. Pas seulement à cause de la confusion avec d’aut[res] théories mais aussi à cause du manque int[e]rne de clarté, ainsi l’idée d’analogie avec instr. = simple échafaudage, la dissemblance est plus essentielle. Culture : mais d’où [vient] la culture elle-même (elle n’est pas primordiale, et cela ne saute pas aux yeux). Donc : 1) pour désigner la méthode, méth. de d[ou]ble stimulation ; 2) pour la théorie dans son ensemble, a) psychol. des fonctions supérieures, c.-à-d. b) psychologie histor. ou c) théorie histor. des f[on]ctions psychol. supérieures. Parce que le concept central pour nous est celui de fonction supérieure : il contient une théorie a) de son développement ; b) de sa nature psychol. ; c) de la méthode de recherche à son sujet. » Comme on voit, l’option 2c est à peu de chose près le titre sous lequel nous est connu Histoire du développement…

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du psychisme humain dont on essaiera au point suivant d’inventorier le riche contenu. Même à borner ainsi notre propos liminaire, sont à examiner au moins brièvement deux questions préalables. La première : travaillant depuis octobre 1924 à l’Institut de psychologie, où sous la direction de Konstantin Kornilov est poursuivi le projet d’élaborer une « psychologie marxiste » d’orientation réactologique, comment Vygotski en est-il venu à s’orienter lui-même à cet égard dans les années suivantes ? La deuxième : vivement conscient alors de la nécessité d’opérer un tournant dans la manière d’envisager le psychisme humain, quel diagnos-tic d’ensemble porte-t-il en 1926-1927 dans La Signification historique de la crise en psychologie et en quel sens, avec ses jeunes collaborateurs et amis, oriente-t-il en conséquence son travail des années 1926-1929, source immédiate des vues exposées dans Histoire du développement… ?

Formulons la première question de façon simple et directe : Vygotski est-il au milieu des années 1920, a-t-il d’ailleurs jamais été vraiment réactologue ? Précisons le sens du terme17 : le réactologue tel que le conçoit Kornilov considère que toute activité d’un être vivant est une réac-tion déterminée par les stimulations de son environnement, réaction mesurable (en durée, en intensité) aux modalités diverses (des plus simples réactions musculaires ou senso-rielles aux complexes réactions de choix, de reconnaissance ou d’association) et qui, de façon variable chez chaque indi-vidu, transforme activement l’énergie vitale en processus psychique dans sa double dimension objective et subjective. Kornilov juge pouvoir ainsi opposer la réactologie aussi bien à l’idéalisme de son prédécesseur à la direction de l’Institut de psychologie, Gueorgui Tchelpanov, qu’à la réflexologie de Pavlov et de Bekhterev, jugée réductionniste, l’idée de réac-tion autorisant à penser de façon matérialiste le complexe en même temps que l’élémentaire, le subjectif en même temps que l’objectif, et le caractère dialectique de l’activité par-delà ses déterminants mécaniques. La réactologie serait en somme la psychologie même qui convient au marxisme, tout en sachant se montrer accueillante aussi bien à la réaction

17. Sur la réactologie selon Kornilov, et aussi les rapports de Vygotski avec Kornilov à ce sujet, cf. « Konstantin Kornilov and his Reactology », chapitre 6 du livre de René Van der Veer et Jaan Valsiner, Understanding Vygotsky, op. cit., p. 112-140.

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inconsciente du freudisme qu’à la réaction comportementale du behaviorisme. Elle serait du même mouvement la culture théorique requise par deux disciplines jugées de centrale importance dans la jeune Union soviétique en construction des années 1920 : la psychotechnique et la pédologie, toutes deux d’urgente application dans les activités laborieuses et pédagogiques.

Autant qu’on sache, Vygotski s’est d’abord accommodé, en 1924-1925, de ce discours réactologique, sans aller néan-moins jusqu’à s’en faire un propagandiste. À un esprit aigu comme le sien ne pouvait échapper la part de verbalisme que recelait l’opération consistant à nommer de façon systéma-tique la perception réaction perceptive, l’émotion, réaction affective, l’attention, restriction de la réaction, la mémoire, reproduction de la réaction, la pensée, inhibition de la réac-tion…18 Mais ce qui est certain est qu’il n’en fit pas moins sien le concept de réaction, y voyant manifestement le terme premier d’une psychologie scientifique, c’est-à-dire pour lui causale-explicative, la pierre angulaire d’un matérialisme psychologique : à la source de toute activité psychique, il y a nécessairement une ou des stimulations à quoi cette activité réagit. Ainsi la Psychologie de l’art, en 1925, parle-t-elle de bout en bout le langage de la « réaction esthétique », toute la question étant d’analyser la forme raffinée de « contradic-tion affective »19 qui conduit des sentiments opposés à ce court-circuit cathartique en quoi consiste ladite réaction. Et c’est encore la position qu’exprime avec force, cinq ans plus tard, Histoire du développement… On verra dans les premières pages du chapitre II avec quelle netteté Vygotski énonce « la loi psychologique de base selon laquelle les processus psychiques sont des réactions aux stimuli qui les suscitent », de sorte que le fameux schéma S/R (stimulus/réaction) exprime bel et bien « la loi fondamentale du comporte-ment » – conviction récurrente au long de l’ouvrage et dont, lit-on au chapitre XII, « seule une psychologie spiritualiste » imagine pouvoir s’exempter. Conviction matérialiste dont on trouve partout écho, depuis la très haute estime que

18. Cf. sur ce point le témoignage de Karl Levitin dans One is Not Born a Personality. Profiles of Soviet Education Psychologists, Progress Publishers, Moscou, 1982, p. 154-155.19. Cf. Lev S. Vygotski, Psychologie de l’art, traduction de Françoise Sève, La Dispute, Paris, 2005, p. 295 sq.

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Vygotski ne cesse de porter aux travaux de Pavlov20, et que gage son constant recours à la théorie du réflexe conditionné, jusqu’à ce thème bien remarquable – prenant à contre-pied le lecteur trop pressé d’identifier vygotskisme et toute-puis-sance du culturel – selon lequel, lit-on au chapitre IV, « la culture ne crée rien, elle ne fait qu’utiliser ce qui est donné par la nature ». Vygotski a jusqu’au bout été un matérialiste intransigeant.

Mais sa façon de l’être change foncièrement ce qu’on entend d’ordinaire par là en son temps – et trop souvent encore au nôtre –, y compris chez ceux qui se veulent marxistes dans la Russie des années 1920 : en deçà de tout doctrinarisme officiel, lequel n’était encore qu’en cours de constitution à l’époque, le matérialisme mis en œuvre par Vygotski est authentiquement dialectique, comme il est possible à qui n’a pas seulement lu Hegel et Marx mais les a vraiment assimilés. Et que veut dire en l’occurrence être matérialiste dialectiquement ? Une chose aussi décisive que précise : comprendre qu’avec le développement culturel du psychisme apparaît en psychologie du qualitativement nouveau, ce que ne parvient pas à concevoir le matéria-liste ordinaire. On ne peut par exemple rien comprendre à cette cruciale forme supérieure du psychisme proprement humain qu’est la maîtrise du comportement – attention volontaire, mémorisation active, réflexion autonome, choix délibéré… – sur la base du traditionnel schéma S/R, puisque ici, inversion capitale, c’est l’activité même qui est à la source de ses propres stimulations pertinentes. Ici nous n’avons plus affaire à un stimulus naturel donné par le milieu mais à un stimulus artificiel créé par l’homme lui-même – ce que Vygotski va désigner dans Histoire du développement… par le terme générique de signe. En d’autres termes, du type animal d’adaptation passive du comportement au milieu tel qu’il est, nous passons à un type spécifiquement humain d’adaptation active qui transforme le milieu comme nous en décidons : la stimulation s’est convertie en autostimulation. Tout est donc

20. Estime qui ne doit nourrir aucune ambiguïté quant à la conviction fondamentale de Vygotski : la question de la conscience et de l’incons-cient n’est rien de moins que « la question de la psychologie elle-même » (cf.  « Psychisme, conscience, inconscient », article de 1930, dans Lev Vygotski, Conscience, inconscient, émotions, traduction de Françoise Sève et Gabriel Fernandez, précédé d’Yves Clot, « La conscience comme liaison », La Dispute, Paris, 2003, p. 95 sq.)

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changé par rapport à la classique perspective réactologique : ce n’est plus le principe de réaction qui régit les comporte-ments, peut dire Vygotski, mais celui de signification.

Non bien sûr que disparaisse ici le rôle déclencheur du stimulus – il n’est aucune activité qui d’une façon ou d’une autre ne réagisse à une stimulation –, mais entre des stimuli naturellement donnés et des stimuli socialement construits il y a un abîme. L’illusion ruineuse d’un matéria-lisme sans dialectique est justement de se laisser prendre à cette abstraction qu’est « le stimulus » en général. À ceux qui objectent : puisque vous convenez qu’au départ de toute activité psychique il y a toujours stimulation, reconnaissez donc l’universelle portée explicative du schéma S/R, Vygotski répond au chapitre II d’Histoire du développement… : c’est justement parce que le schéma S/R peut être identiquement retrouvé dans toutes les modalités d’activité psychique qu’il ne peut en rien expliquer par lui-même ce qu’a de spécifique un comportement de haute complexité comme l’attention volontaire ou le choix intérieurement motivé. Ramener par exemple – attitude répandue dans la littérature scientifique que cite Vygotski – le rôle de l’instruction verbale dans l’expérimentation psychologique à celui d’un simple stimu-lus auditif, c’est ne rien comprendre à ce qu’est le langage, réduire le psychisme humain au psychisme animal et en fin de compte « confondre le matérialisme avec le naturalisme ». Par un édifiant paradoxe, ce matérialisme supposé radical en vient à nourrir directement l’idéalisme, puisqu’en ne sachant rendre compte que de l’élémentaire dans les comportements supérieurs, il avoue de fait qu’ils échappent comme tels à une science matérialiste. La démarche critique de Vygotski est ici magistrale. Il rend évident ce qu’a d’intenable le simplisme d’une réactologie de stricte obédience, et pourtant n’aban-donne pas un instant le noyau rationnel du fait réactif : la détermination naturelle par le stimulus demeure en se dépas-sant dialectiquement21 dans la détermination personnelle et sociale du stimulus déclencheur même. Avec Histoire du

21. Vygotski recourt expressément ici, à la toute fin du chapitre III, au verbe russe snimat’ (snjat’), dont la gamme de sens – lever, enlever, révo-quer mais aussi recueillir – est assez homologue à celle de l’allemand aufheben, terme-clef de la dialectique chez Hegel puis, en une acception plus foncièrement transformatrice, chez Marx, et qu’en bien des cas on peut rendre par dépasser.

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développement des fonctions psychiques supérieures, Vygotski sort véritablement par le haut de la réactologie.

C’est ce qui n’était pas encore fait cinq ans plus tôt dans La Signification historique de la crise en psychologie – on mesure là l’ampleur du pas accompli entre 1926 et 1930. Pourtant, à relire ce livre dans l’optique qui est ici la nôtre, on mesure combien Vygotski y est déjà en garde envers la pente réduc-tionniste où menace fort de glisser, quoi qu’elle en ait, la réactologie. À résumer beaucoup le diagnostic global auquel il en arrive au chapitre XI de l’ouvrage (intitulé « Il n’existe que deux psychologies »), il y a crise parce que la psychologie est irrésistiblement en voie de se scinder entre une démarche causale-explicative, d’intention matérialiste, qui ne parvient à rendre compte chez l’être humain que des comportements élémentaires et des stades de développement précoces – là est ce qui menace les réactologues – et, en opposition polé-mique à cette étroitesse de vue, une démarche de pure description compréhensive, en général explicitement idéa-liste, qui récuse l’objectif de scientificité explicative en le décrétant contradictoire avec l’essence de la conscience.22 Et quelle est alors l’issue possible à semblable crise ? Elle est, pose Vygotski avec intrépidité, dans l’inventive exten-sion de la démarche causale-explicative au champ même des comportements supérieurs et de la conscience, ce qui implique de créer la « psychologie générale », la « méthodolo-gie » appropriées, de produire les savoirs empiriques inédits et les concepts théoriques informulés que cela requiert. Et de quelle façon concrète réaliser pareil exploit ? À cette ques-tion des questions, Vygotski n’apporte pas encore réponse en 1926-1927. « Ce que sera cette méthodologie et si elle va bientôt naître, nous ne le savons pas », écrit-il sans détour à la dernière page de ce chapitre-clef. Déclaration qui à elle seule prend une claire distance avec l’optimisme réactologique de Kornilov : non, dit-elle implicitement, notre problème n’est pas résolu comme on s’en flatte. Un mot aimable est certes consenti en faveur du directeur de l’Institut de psychologie :

22. C’est là, souligne Vygotski dans son livre sur la crise en psychologie, la position de Husserl dans son grand article de 1911, La Philosophie comme science rigoureuse, PUF, Paris, 1989, à quoi il oppose (p. 258) que pour la conscience vaut aussi la distinction fondamentale entre essence et phéno-mène : elle n’est pas réductible à ce qu’elle sait d’elle-même, ce qui met en cause la façon dont est conçu le projet phénoménologique.

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« Les travaux de Kornilov posent la première pierre de cette méthodologie, et qui veut voir se développer l’idée de psycho-logie et marxisme23 devra reprendre et prolonger sa route. »24 Le concept de réaction est bien la juste vue de départ. Mais seulement de départ : manque « une vraie orientation métho-dologique », et encore faut-il qu’à cette question décisive on « ne cherche pas de réponses toutes faites ». Voilà qui ne résonne vraiment pas comme un serment d’allégeance à la réactologie.25

Mais dans ce livre très mesuré – Vygotski est toujours mesuré –, il y a bien plus sévère à l’égard du kornilovisme, et sur un point autrement névralgique que le concept de réac-tion : sur la question même du marxisme. Kornilov a conquis aux dépens de Tchelpanov la direction de l’Institut de psycho-logie en se posant dès 1923 en champion de la « psychologie marxiste ». Or La Signification historique de la crise en psycho-logie est, en son chapitre XIII, une critique en règle de cette idée de psychologie marxiste – critique qui, bien au-delà du champ de la seule psychologie, constitue une intervention d’extrême audace dans les vifs débats politico-philosophiques de la période cruciale qui va de la mort de Lénine en 1924 au « grand tournant » stalinien de 1929. Et ce tout juste tren-tenaire qu’est alors Vygotski mène cette critique cardinale avec une autorité tranquille impressionnante. Qu’a-t-on en vue sous l’appellation de « psychologie marxiste » ? Une psychologie qui reprendrait à son compte les thèses psycho-logiques de Marx, d’Engels, de Plekhanov ? Vue de l’esprit : il n’y a nulle thèse proprement psychologique chez aucun d’eux,

23. Formulation un peu étrange, mais qui va s’éclairer avec ce qui suit. Ce que Vygotski a ici en vue n’est pas « l’idée de psychologie et de marxisme », mais bien « l’idée de “psychologie et marxisme” », expression qui est le titre même du livre publié par Kornilov en 1925 : Psihologija i marksism, Gosizdat’, Leningrad.24. Lev S. Vygotski, La Signification historique de la crise en psychologie (1926-1927), trad. Colette Barras et Jacques Barberis, éd. préparée et présentée par Jean-Paul Bronckart et Janette Friedrich, Delachaux et Niestlé, 1999, réédition La Dispute, Paris, 2010, p. 277. Nous modifions ici aussi la traduction, qui accorde trop à Kornilov : Vygotski écrit non pas qu’il a posé les « bases » de la méthodologie voulue, mais seulement son « commencement » (načalo), disons la « première pierre ».25. Dès lors que le travail de Vygotski va se concentrer sur les fonctions psychiques supérieures, au langage de la réaction va se substituer chez lui celui de l’opération, qui dit le passage du comportement involontaire à l’activité maîtrisée.

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ils n’étaient pas des psychologues. Une application de vues philosophiques générales au cas particulier de la psycholo-gie ? Illusion, et même danger : illusion, car on n’aura ainsi, au mieux, que « verbalisme scolastique », voire « amoncellement talmudique de citations », mais nulle science, car il ne peut y avoir de « science avant la science » ; danger, même, car à faire ainsi de thèses marxistes générales des critères de vérité concrète on les instituera en « dogmes », on substituera le « principe d’autorité » à la nécessaire « recherche librement critique », on soumettra ruineusement la supposée psycho-logie marxiste au verdict d’un « bureau des labels »26, avec pour effet non seulement une dégénérescence spéculative de la science mais encore « une déformation grossière du marxisme lui-même » – et ici, élevant le ton un bref instant, Vygotski parle de « monstrueuse ineptie »27.

Le lecteur d’aujourd’hui ne mesure peut-être pas d’emblée la portée de cette intrépide critique. Elle vise certes le direc-teur de l’Institut où il travaille – à vrai dire, un peu moins là au fil des années, et davantage ailleurs, notamment à l’Académie d’éducation communiste Kroupskaïa, où le climat est plus libre –, ce qui est déjà audacieux, mais lorsque à la cantonade il stigmatise « l’application directe du matérialisme dialec-tique aux sciences biologiques et à la psychologie, comme cela se fait aujourd’hui »28, c’est l’une des principales figures de la pensée officielle qui est mise en cause, Déborine soi-même, qui vient d’accéder à la direction de l’emblématique revue Pod znamieniem marksisma (« Sous la bannière du marxisme »), chef de file de ces « dialecticiens » qui veulent en effet introduire du dehors dans les sciences une théorie marxiste tout élaborée d’avance.29 « Monstrueuse ineptie. »

26. Probinaja palata (Lev S. Vygotskij, Sobranie sočinenij, op. cit., tome I, p. 421).27. Čudoviščnuju nelepost’, ibid., p. 420. Toutes ces citations figurent aux pages 242 et 272-274 de La Signification historique de la crise en psycholo-gie, op. cit. Nous en modifions le texte sur certains points pour serrer au plus près l’original.28. Ibid., p. 274. C’est nous qui soulignons.29. Cf. sur les « déboriniens » René Zapatta, Luttes philosophiques en URSS. 1922-1931, PUF, Paris, 1983. La ligne en question sera néanmoins condam-née pour grave insuffisance par le Parti communiste en 1931 : il lui sera fait grief de trop « séparer la philosophie de la politique » (cf. p. 319), en d’autres termes de faire obstacle à une totale maîtrise du parti lui-même sur la vie des idées.

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Ce livre de Vygotski est ainsi la plus hardie en même temps que la plus précoce des prises de position contre le mouve-ment de fond qui va conduire, à travers maintes vicissitudes, à l’ère stalinienne du dia-mat30 obligatoire. On comprend mieux alors pourquoi l’ouvrage est resté dans un tiroir. Nous savons, par une étude russe parue en 201031, que le manus-crit de La Signification historique de la crise en psychologie porte de nombreuses annotations critiques au crayon, dont l’auteur nous est inconnu mais semble avoir eu du poids. L’ouvrage n’a donc pu paraître, mais dès ce moment Vygotski est catalogué, et il le sait.

Nous avons maintenant réponse aux deux questions dont nous sommes partis. Vygotski dans la deuxième moitié des années 1920 peut-il être considéré comme un réactologue ? S’il ne récuse nullement l’usage topique du concept de réac-tion, on voit combien il se situe au-delà de la réactologie. Et dans quelle direction faut-il selon lui chercher issue à la crise en psychologie ? Concrètement parlant, la réponse, début 1927, reste à construire. En tout cas, ce sera dans la direction d’une psychologie qui ne visera pas à être labellisée marxiste mais tout simplement à être reconnue scientifique. Et pour en dire un peu davantage : une psychologie qui trou-vera la voie matérialiste d’une analyse causale-explicative du psychisme humain complexe et de la maîtrise consciente des comportements, ce qui implique une approche authen-tiquement dialectique des problèmes tant méthodologiques que théoriques. Ainsi s’engage le programme de recherche que Vygotski et ses tout jeunes collaborateurs, en premier Luria et Léontiev32, vont très activement mettre en œuvre en 1927-1930, et qui va déboucher, avec la rédaction d’Histoire du développement…, sur le premier exposé d’ensemble d’une conception culturelle et historique du psychisme humain.

Mais pour reconstituer avec beaucoup plus d’exigence la genèse réelle de ce livre-charnière, il nous faut alors élucider un problème bien obscur. S’il y a une énigme d’Histoire du développement…, on l’a dit, c’est que ce livre ne semble pas d’un seul tenant : cinq chapitres où domine l’exposé théo-

30. Terme alors courant formé à partir des syllabes initiales de dialektičeskij materializm (« matérialisme dialectique »).31. Étude d’Ekaterina Zaverchneva et M. Osipov parue dans Voprosy psihologij (« Questions de psychologie »), no 1, 2010, p. 92-102.32. En 1927, Luria a 25 ans et Léontiev, 24.

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rique général, d’abord, puis une série de chapitres consacrés à l’étude expérimentale de fonctions ou questions particu-lières ; or l’ordre logico-chronologique de ces deux moments se présente sous des jours contradictoires. Sans se poser de question pourtant, le redaktor du tome III des Œuvres où figure Histoire du développement…, ce même Matiouchkine dont on a déjà lu le nom plus haut, tranche en quelques lignes au début de sa postface : après des chapitres de carac-tère « fondamental », écrit-il, dans les suivants « les thèses théoriques générales sont concrétisées » en études particu-lières où Vygotski « donne réalité » à ses vues principielles.33 En somme, les recherches expérimentales de Vygotski et ses amis auraient tout uniment été l’application de vues pré éta-blies – le doctrinarisme « marxiste » fonctionnait encore bien à Moscou en 1983… On comprend que le silence sur la chronologie soit ici nécessaire : une fois établi qu’une grande partie de ces dix derniers chapitres a été écrite quelque deux ans avant les cinq premiers, pareille présentation des choses sombre dans le ridicule. Faut-il alors considérer au contraire que les années 1927-1929 furent consacrées par Vygotski à des expérimentations tâtonnantes au terme desquelles seule-ment ont pu être formulées, en 1930, les thèses constitutives de la conception historico-culturelle ? Constat déconcertant : non, cette façon opposée de voir les choses n’est pas mieux soutenable. Plus on explore l’héritage vygotskien, plus on voit reculer en effet la date où commencent d’être esquis-sées les idées directrices qui structurent Histoire du dévelop-pement… À en retenir une hautement caractéristique, celle d’activité psychique médiatisée par le signe, on sait qu’elle est déjà nettement indiquée dans des articles de 1928 cités plus haut ; on la repère même en 1927 dans un passage de La Signification historique de la crise en psychologie34 ; mieux, Ekaterina Zaverchneva cite une note de mai 1926 où le signe linguistique, « stimulus artificiellement créé », est qualifié d’« outil du comportement »35 – d’où elle conclut que « dès 1926 » Vygotski est en chemin vers l’idée cruciale d’activité instrumentale. On pourrait même aller jusqu’à dire : l’optique

33. Konkretizirujutcja, realizuja, p. 338. C’est nous qui soulignons.34. Par exemple p. 227, où est évoquée l’idée de « pilotage artificiel du comportement ».35. Cf. Ekaterina Zaverchneva, « The Vygotsky family archive (1912-1934)… », article cité, p. 27.

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que va développer Histoire du développement… se dessine déjà, en 1925, dans la thèse centrale de Psychologie de l’art : « L’art est une technique sociale du sentiment, un outil de la société, grâce à quoi il entraîne dans le cercle de la vie sociale les aspects les plus intimes et les plus personnels de notre être. »36

Ni le dogmatisme déductiviste, ni la naïveté inductiviste ne rendent donc compte de la démarche vygotskienne en ces années décisives où s’élabore sa conception novatrice du psychisme humain. Et si les vues théoriques ne sont venues ni avant ni après les investigations expérimentales, il faut bien en arriver à concevoir le développement des unes et des autres comme plus ou moins concomitant, la découverte de laboratoire stimulant l’éclaircissement théorique, la culture philosophique donnant des idées à l’investigation expéri-mentale. Dans cette dialectique de l’œuf et de la poule, la pratique de recherche en laboratoire est venue très tôt chez Vygotski, précocement animée par un intérêt passionné pour l’enfant normal ou déficient : en 1927-1929, il a déjà derrière lui la riche expérience pédologique d’investigateur qu’il a commencé d’acquérir à Gomel. Et la culture théorique aussi lui vient de loin – ses premières lectures de Spinoza, de Hegel et de Marx remontent à plus d’une décennie. Pour caractéri-ser la démarche qui va fructifier dans Histoire du développe-ment…, on pourra parler de permanente investigation inven-tive orientée par une hypothèse théorique. Au départ même il a idée de ce qu’il cherche ; au départ même il sait chercher ce dont il a idée ; mais seules d’intenses années d’expérimen-tation chaudement discutée entre esprits complices vont convertir une idée de départ en théorie approfondie.

Cette intelligence expérimentale dialoguée – fût-ce en dialogue avec soi-même – est omniprésente dans Histoire du développement…, non dans les seuls chapitres d’investi-gation concrète sur des fonctions particulières mais dès les cinq premiers dits « généraux » : chez Vygotski il n’y a pas de théorisation à vide. Et cela non pas pour la simple raison que, comme il le dit dans les débuts du chapitre XI, « seules des expériences peuvent donner une réponse définitive » à des interrogations de principe : ces interrogations mêmes ne s’éla-borent et ne s’affinent que dans des expériences bien conçues.

36. Lev Vygotski, Psychologie de l’art, op. cit., p. 347.

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Si le projet expérimental naît de l’exigence explicative, la pensée conceptuelle – y compris par exemple la conception philosophique de la liberté – à son tour n’avance qu’à partir de ce qui se dévoile au laboratoire. Selon une formule du début du chapitre XV, il faut donc mener de front les « géné-ralisations empiriques et théoriques ». Vygotski donne à réfléchir sur ce que « science expérimentale » peut vouloir dire. L’expérience ne nous apprendra pas beaucoup si nous ne partons pas d’un « schème théorique correct », lit-on au chapitre VII, mais un schème théorique correct prérequiert l’appropriation critique d’un très vaste savoir factuel – à lire Histoire du développement…, on est impressionné par ce que sait cet homme encore tout jeune. En fait, c’est le dualisme convenu du conçu et du donné qui est à dépasser résolu-ment, car le plus puissant analyseur conceptuel est justement l’expérience finement menée. On verra avec quelle ingénio-sité stratégique Vygotski refait par exemple des expériences classiques – de Köhler, d’Eliasberg, de Lewin ou d’Ach… – en y changeant un petit quelque chose, ce qui va dévoiler tout un nouveau paysage ; ainsi en rendant à l’enfant le choix à faire bien difficile, on décompose les moments de l’acte volontaire qui révèle ainsi sa structure interne. « Toute expérimentation est une analyse en action. »37 Le sommet de cette philoso-phie expérimentale est la méthode de double stimulation, dont Vygotski et ses amis font un usage novateur : en adjoignant aux stimuli naturels des stimuli artificiels bien choisis, ils reproduisent comme sur un écran les logiques de l’activité instrumentale, ce qui livre la clef du développement culturel. De même inspiration est la critique des démarches suivant lesquelles Stern interprète la description verbale d’une image par l’enfant où Binet pense mesurer son intelligence. Histoire du développement… repose sur une magistrale mise en œuvre de la méthode expérimentale originalement comprise comme une dialectique vivante du factuel et de l’idéel.

Et sur quoi portent principalement ces années de riche expérimentation ? Pour l’essentiel – à suivre l’ordre des chapitres d’Histoire du développement… – sur le langage oral, la formation du langage écrit – en collaboration avec Luria38 –,

37. Lev S. Vygotski, La Signification historique de la crise en psychologie, op. cit., p. 250.38. Alexandre Luria a écrit sur ce sujet un article qu’on confrontera avec intérêt au chapitre VII d’Histoire du développement… Il figure dans Michel

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l’apprentissage arithmétique, le développement de l’attention volontaire, de la mémoire mnémotechnique – sur ce point, le principal travail est fait par Léontiev –, la complexe évolution des rapports entre pensée et langage, la maîtrise du comporte-ment. Thèmes d’étude sans cesse étayés par la collecte assidue d’informations sur la psychologie animale et les comporte-ments des humains primitifs, recoupés par de nombreuses recherches directes en défectologie – sourds-muets, comme on dit encore à l’époque39, retardés mentaux – et en péda-gogie – par exemple sur l’enseignement de l’arithmétique, plus largement sur les âges successifs du développement culturel –, par la préoccupation constante de la pédolo-gie40, c’est-à-dire, de manière centrale, du développe-ment psychologique de l’enfant. Dans ce programme de recherches, une seule case prévue reste peu remplie encore en 1930 : la formation de la pensée conceptuelle, ce qui ne peut bien sûr être un oubli – on y reviendra.

Travail si intensément productif que, courant 1929, mûrit d’elle-même la possibilité, donc l’opportunité de vrais exposés de synthèse. La bibliographie est parlante : 1929 est l’année de rédaction de cet important manuscrit resté inédit, Očerk kul’turnogo razvitija normal’nogo i nenor-mal’nogo rebënka (« Esquisse du développement culturel de l’enfant normal et anormal ») où l’on pourrait bien voir comme un premier brouillon d’Histoire du développement… ; celle aussi où Vygotski rédige pour lui-même une longue note de cruciale importance – elle figure en annexe I à la fin du présent volume –, ébauchant dans leur connexion nombre de thèmes majeurs d’Histoire du développement… ; celle encore où, en collaboration avec Luria, il entreprend d’écrire le livre Etjudy po istorij povedenija (« Études sur l’histoire du compor-

Brossard et Jacques Fijalkow, Apprendre à l’école. Perspectives piagétiennes et vygotskiennes, Presses universitaires de Bordeaux, 1998, p. 201-211.39. C’est ce terme alors consacré qu’emploie d’ordinaire Vygotski, tout en sachant bien que leur mutité est l’effet pédagogiquement amendable de leur surdité, comme il le dit lui-même au chapitre XIII (cf. infra, p. 501). Cf. aussi sur ce point l’article de 1927 « Défaut et compensation », dans Lev Vygotski, Défectologie et déficience mentale, recueil de textes sous la direction de Koviljka Barisnikov et Geneviève Petitpierre, Delachaux et Niestlé, Paris, 1994, p. 101 sq.40. Cf. sur ce point la substantielle introduction à Lev S. Vygotski, Pédo-logie : fondements et place dans le système des sciences. Textes pédologiques (1930-1934), traduits par Irina Leopoldoff-Martin, édités par Irina Leopol-doff-Martin et Bernard Schneuwly, à paraître à La Dispute.

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tement »), qui va paraître en 1930 ; c’est aussi l’époque où il se sent assez sûr de ses vues synthétiques pour en tenter un exposé public à l’Académie des sciences pédagogiques – les thèses qu’il y présente sont résumées dans « La méthode instrumentale en psychologie », qu’on trouvera plus loin en annexe II.41 Autant d’importants acomptes sur la physiono-mie d’ensemble de cette psychologie causale-explicative des comportements complexes dont trois ans plus tôt l’ouvrage sur la crise en psychologie faisait l’objectif même de ceux qui lui cherchent résolument une issue de teneur scientifique.

Ce qu’il faut maintenant comprendre, c’est pourquoi ces acomptes ne suffisent pas à Vygotski, pourquoi il forme un projet bien plus ambitieux, celui d’un livre faisant le tour des questions que posent les fonctions psychiques supérieures, et pourquoi, par-delà sa collaboration avec Luria pour la rédaction des « Études sur l’histoire du comportement », il se décide à l’entreprendre seul. Sur ces questions cruciales pour notre enquête, nous avons la chance de disposer d’une lettre fortement éclairante : celle que Vygotski adresse à Léontiev le 23 juillet 1929, alors qu’il travaille sur les épreuves des « Études sur l’histoire du comportement ». En voici le passage-clef42 :

« Je corrige la deuxième partie, “le singe”. Hélas ! Le premier chapitre43 est entièrement rédigé suivant les freudiens, non pas Freud même mais V[éra] Schmidt (ses matériaux), M[élanie] Klein et au[tres] étoiles de second rang ; ensuite du Piaget opaque, absolu-ment tout du long ; plus loin encore, par endroits, des bouffées d’outil et signe, etc., etc. Ce n’est pas la faute d’A. L[uria] personnellement, mais celle de toute une

41. Ce texte est ordinairement daté de 1930. Selon Ekaterina Zaverch-neva (communication personnelle, mars 2012), il serait bien plutôt de 1928 (cf. l’avant-propos de ce texte donné en annexe II, à la fin du présent volume).42. Le volume de Correspondance de Vygotski, paru à Moscou en 2004, où figure cette lettre n’est pas encore traduit en français. C’est nous qui traduisons.43. Dans la version publiée, les deux premiers chapitres, respectivement consacrés au singe et au primitif, sont de Vygotski ; le troisième et dernier, sur l’enfant, est de Luria. Il faut manifestement comprendre que, dans la version initiale sur laquelle Vygotski était en train de travailler, l’ordre était inverse : le chapitre de Luria sur l’enfant figurait en premier.

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“ère” de notre pensée. Avec laquelle il faut en finir impi-toyablement. Tant que nous ne voyons pas en clair comment remanier notre point de vue pour en faire une partie organique de notre théorie, il est complè-tement exclu d’en venir au système. Soyons patients. Donc, régime sévère de pensée, monastique ; être des ermites des idées, s’il le faut. Et l’exiger des autres. Tirer au clair de quoi s’occupe une psychologie culturelle – pas pour s’amuser, pas à des moments perdus ni parmi des tas d’autres choses, pas comme terrain où chaque nouveau venu fera ses hypothèses personnelles. Mais indépendamment de ça le même régime pratiquement efficace. [Nous] organiser de sorte que deviennent impossibles les fautes du “singe”, l’article d’A. L[uria], le parallélisme de Zankov44 et autres. Je serai heureux si nous parvenons à un maximum de clarté et de rigueur dans cette question. »

Lettre qui suggère bien des commentaires mais, pour nous en tenir à notre problème, qui surtout nous fait en quelque sorte assister du dedans au moment où Vygotski va se décider à écrire Histoire du développement…, et nous en dévoile les attendus. En premier, indulgent envers les personnes, un verdict impitoyablement lucide sur le point théorique où en est le jeune collectif qui s’est formé depuis 1924 autour de lui : amateurisme, éclectisme, carence sur l’essentiel. Ensuite, un cap à viser en totale autonomie de pensée et rigueur de démarche : au stade où en est désormais l’avancement de nos travaux expérimentaux, mettre au clair, selon notre point de vue, de quoi s’occupe ce que nous nommons « psychologie culturelle ». Implicite enfin, un constat : formuler en toute exigence cette identité organique de notre théorie ne peut être entrepris avec Luria, l’expérience des Etjudy n’est pas ici à renouveler – c’est de nouveau le moment de la prise de responsabilité personnelle. Nous sommes fin juillet 1929 ; en septembre, stimulé par sa lecture de Politzer, Vygotski écrit fiévreusement la note qu’on lira en fin de volume ; il y a tout lieu de penser que sa rédaction des cinq premiers chapitres d’Histoire du développement… a commencé peu après.

44. Membre actif de l’équipe de Vygotski, tenant du parallélisme psycho-physiologique.

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Et ici nous sommes contraints de conjecturer. Ce dont Vygotski ressent le criant besoin, par-delà tout ce qu’il a déjà écrit dans l’ordre monographique – études de fonctions, approches sectorielles –, c’est d’éclaircissements fondamen-taux sur « ce que nous nommons psychologie culturelle ». Il s’agit de donner enfin à voir dans toute son originalité théo-rique cette « psychologie générale » seule capable de tourner la page de la crise parce qu’elle livre la clef du psychisme supé-rieur proprement humain que personne jusqu’ici n’a vraiment su expliquer. C’est cela qu’il veut écrire en grand – ce seront les cinq premiers chapitres d’Histoire du développement…, qui mûrissent en lui depuis au moins 1928. Bien entendu, le livre devra donner aussi les preuves expérimentales de ces vues d’ensemble – en ce domaine, Vygotski est sans inquiétude, il a d’avance à peu près tout ce qu’il lui faut, en bien des cas il suffira de reprendre des choses déjà écrites, voire publiées. Mais l’acte décisif, celui qui doit mettre un point final « impitoyable » à l’ère des tâtonnements, c’est l’accréditation théorique – et pour une part polémique – des vues directrices d’une psychologie intimement historique et culturelle.

Les cinq premiers chapitres paraissent avoir été écrits d’un même mouvement – fin 1929 et une partie de 1930 ? –, assez vite et sans relecture correctrice, comme le suggèrent plusieurs défauts rédactionnels qu’on signale en note, voire certaines discordances internes. Les chapitres VI à XV au contraire, fortement hétérogènes, ne semblent pas relever d’une rédaction continue. Certains ont été repris, avec fort peu de changements, de travaux très au point antérieu-rement publiés, tels le VII sur la préhistoire de l’écriture, le IX sur le développement de l’attention, peut-être aussi le X sur la mémoire ; d’autres ont pu utiliser des pages déjà écrites, comme le XIII sur l’éducation des formes supérieures de comportement, mais en y rajoutant pour la cohérence des développements inédits ; certains sont peut-être, par exemple le XIV, des décryptages de cours ou conférences que Vygotski n’aurait pas trouvé le temps de revoir avec soin, d’où certaines fautes typiques relevées plus haut ; quelques-uns même, nommément le VI et le VIII, donnent l’impression de n’être que des acomptes en attente du retravail nécessaire pour en faire des chapitres à part entière. À cette hétérogé-néité rédactionnelle vient s’ajouter une certaine incertitude

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du plan – à diverses reprises est annoncé un chapitre sur la formation des concepts, alors que seules les dernières pages du chapitre XI touchent partiellement à ce vaste problème ; la fin du XIII fait état d’un chapitre sur les dons, question qui n’est abordée en fait qu’au début du chapitre XIV ; le XV mentionne au passage un ordre des chapitres différent de celui que nous observons… Ajouté à tout cela de nettes disparités de style, on croit pouvoir conclure qu’Histoire du développement…, travail d’évidente importance, n’a pourtant pas été mené complètement à bien et semble avoir été aban-donné par lui – dans les débuts de 1931 ?45 – pour des raisons sur lesquelles on devra s’interroger plus loin.

3. Une conception hardiment innovante du psychisme humain

Histoire du développement des fonctions psychiques supé-rieures est donc la première et principale vue d’ensemble qu’ait donnée Vygotski de ce qu’on appelle souvent, de façon contestable46, la théorie historico-culturelle du psychisme humain. Avant d’en examiner les sources puis d’en caracté-riser le contenu, une remarque s’impose sur cette formule même. C’est de longue date une dénomination consacrée, d’usage généralisé. Alexei A. Léontiev affirme même, dans l’introduction au volume d’hommage à l’œuvre de son père47, que « dans la seconde moitié de 1925 » aurait pris naissance la kul’turno-istoričeskaja škola (l’« école culturelle-historique »)

45. C’est le calendrier que retiennent René Van der Veer et Jaan Valsiner, Understanding Vygotsky, op. cit., p. 188 : «Vygotski, y lit-on, commença d’écrire ce livre autour de 1929, s’y remit à plusieurs reprises et finale-ment acheva sa rédaction en 1931. » Les auteurs renvoient ici au livre d’Andreï A. Puzyrej, Kul’turno-istoričeskaja teorija L. S. Vygotskogo i sovre-mennaja psihologija (« La théorie historico-culturelle de L. S. Vygotski et la psychologie contemporaine »), Izdatel’stvo Moskovskogo Universiteta, Moscou, 1986.46. Si la conception historico-culturelle de Vygotski comporte certes un ensemble cohérent de vues théoriques, elle ne prend nulle forme doctri-nale et se définit tout autant par sa démarche expérimentale et ses visées pratiques. Vygotski n’est pas un « théoricien » de la psychologie, c’est un acteur à part entière de la science psychologique.47. Cf. Alexei A. Leont’ev, « Tvorčeskij put’ Alekseja Nikolaeviča Leont’eva » (« Le chemin créateur d’Alexis Nicolaievitch Léontiev »), dans A. N. Leont’ev i sovremennaja psihologija (« A. N. Léontiev et la psychologie contempo-raine »), Izdatel’stvo Moskovskogo Universiteta, Moscou, 1983, p. 9.

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Françoise Sève, traductrice de Vygotski – mon épouse –, est morte des suites d’un cancer le 3 mai 2011. À la profon-deur de ce drame est venue s’adjoindre une angoisse : celle du sort qu’allait connaître sa traduction incomplètement au point de ce livre majeur de Lev. S. Vygotski, Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures. J’ai décidé que le travail qui restait à faire serait accompli dans les meilleurs délais et conditions possibles et que j’en assu-merais la responsabilité. Quelques explications sont évidem-ment nécessaires sur les considérants de cette décision et les problèmes qu’a posés sa mise en œuvre.

Est d’abord à préciser le point où se trouvait le travail de traduction lorsqu’il fut interrompu, début mars 2011. La longue expérience acquise par Françoise Sève à traduire Vygotski au niveau élevé d’exigence qui était le sien1 lui

1. Elle avait engagé au milieu des années 1970 le très considérable travail qui allait la conduire à faire paraître en 1985 la version française de Pensée et langage (op. cit.), unanimement saluée pour sa qualité, et n’avait plus cessé depuis lors de se consacrer à la traduction de Vygotski. Elle a notam-ment traduit deux des études qui composent Conscience, inconscient, émotions (La Dispute, 2003) et Psychologie de l’art (La Dispute, 2005).

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Lucien Sève

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avait fait adopter une méthode de travail bien rodée. D’abord une longue préparation : information poussée sur l’œuvre, lectures répétées du texte, repérage des problèmes à résoudre et recherches à entreprendre, rassemblement des matériaux utiles, notamment des traductions existantes en d’autres langues que le français – pour ce qui est d’Histoire du dévelop-pement des fonctions psychiques supérieures, elle avait étudié et annoté page à page les traductions anglaise, espagnole, allemande (celle-ci, de même que l’italienne, couvrant les seuls cinq premiers chapitres). Puis commençait la traduc-tion de base, faite manuellement au stylo, d’une écriture lente et méditée comportant relativement peu de ratures, avec le souci dominant de la plus extrême fidélité au texte, les difficultés résistantes de sens et de style étant délibéré-ment renvoyées à la phase ultérieure où une claire vision de l’ensemble permettrait seule de leur chercher et éven-tuellement trouver solution valable – ce travail n’en faisant pas moins surgir des questions imprévues exigeant inves-tigations complémentaires, du nécessaire recours à l’origi-nal de textes en langue étrangère cités par Vygotski – de façon plus d’une fois incomplète – à la laborieuse récolte des indications voulues pour composer les notes. Venait alors le décisif labeur, bien plus long et difficile : la métamorphose de cette traduction de base en texte digne à ses yeux d’affron-ter l’épreuve de la publication – c’était la vaste période où devaient être tirées au clair les énigmes subsistantes, effec-tués les choix stylistiques appropriés, déployée en tous sens la vigilance. En fin de parcours, la confection des index la retenait longuement.

Commencée en septembre 2005, peu après la parution de Psychologie de l’art, la traduction de base d’Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures – volume d’un million de signes – lui a demandé deux ans. Tout en devant assumer des thérapies éprouvantes, Françoise Sève la mena au bout avec une tranquille vaillance. À l’automne 2007 put s’engager la deuxième phase, celle de la mise en forme finale, non point opération unique mais constantes relec-tures, confrontations, interrogations traduites en nouvelles ratures, surcharges et indications marginales au crayon, des questions particulièrement délicates demeurant toujours en suspens – comme cela avait été le cas pour le titre même du dernier livre de Vygotski, couramment mais un peu discuta-

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blement nommé en français Pensée et langage, le mot russe reč renvoyant à la parole autant qu’au langage –, jusqu’au bout Françoise Sève en a été tracassée. Mais il fallait bien finir. C’est moi qui, sous sa dictée, saisissais sur ordinateur le texte qu’établissait son ultime travail de préparation. Cette saisie informatique a commencé en avril 2009. En mars 2011, elle était parvenue au milieu du chapitre VI, qui lui-même est au milieu du livre.

On se représente ainsi ce qui était fait et ce qui restait à faire pour parvenir à une publication. Dans sa première moitié, la traduction qu’on va lire a été entièrement mise au point par Françoise Sève elle-même, à une ultime révision près dont la charge m’est incombée – j’en dirai plus loin le motif et le sens. Dans sa seconde moitié était requis, à partir du texte de base qu’elle avait établi et déjà plus d’une fois relu, un travail de mise au point en vue duquel son manuscrit contient jusqu’au bout – c’est-à-dire la fin du chapitre XV – d’assez nombreuses indications au crayon que j’ai pu suivre, mais aussi maintes difficultés explicites ou latentes qu’il fallait résoudre à sa place. Et, par-delà cette mise au point risquée du texte, restait à faire plus d’une recherche et véri-fication de détail, à ouvrir l’enquête sur les conditions énig-matiques dans lesquelles fut constitué le manuscrit de ce livre non publié par Vygotski lui-même pour se mettre en mesure d’en rédiger la présentation, à composer les notes de sa deuxième moitié ainsi que les index des auteurs cités et des matières avec le soin voulu.

Tâche non impossible, en somme, mais nullement anodine. Était-il dans ces conditions envisageable de publier sous son nom de traductrice – nom hautement estimé des connais-seurs – un ouvrage dont toute une seconde moitié, certes à partir de son propre travail déjà assez élaboré, n’a pu pour-tant bénéficier de sa révision finale et comporte donc nombre de choix effectués sans son aval ? Question de conscience aux aspects vivement contradictoires. Nul n’est mieux placé que moi pour mesurer l’insubstituable compétence qui manquait pour achever son œuvre, de sorte qu’à l’entreprendre à sa place et publier le tout en son nom, avec la meilleure des intentions, il pouvait y avoir pourtant comme une forfai-ture. Mais envisager de renoncer, c’était alors admettre l’idée de jeter au panier le fruit presque mûr de six ans de travail, dernière œuvre d’une grande traductrice consacrée à l’un

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des plus forts livres de Vygotski dont tout un public motivé attend de longue date l’édition. En vérité je n’ai guère hésité, tant m’a paru s’imposer de faire paraître l’ouvrage en forme achevée, mais au long du travail la prise de décision n’a pas laissé d’être éthiquement éprouvante.

Disons succinctement pourquoi j’ai cru possible de l’assumer. Dans ma jeunesse, à partir de 1945, j’ai étudié plusieurs années la langue russe, particulièrement à l’École des langues orientales en 1947 et 1948, du temps que j’étais à la Rue d’Ulm. De cette connaissance de la langue j’ai pu faire par la suite usage oral lors d’assez nombreux voyages à Moscou et séjours en Union soviétique, et usage écrit en confrontant maintes fois à l’original russe des traductions de Lénine qui m’apparaissaient douteuses, et en y décou-vrant en effet bien des approximations ou bévues – direc-teur des Éditions sociales, j’ai pu faire corriger quelques contresens dans ses textes les plus connus. Quant à l’œuvre de Vygotski, à peu près totalement inaccessible en français au début des années 1980 et aujourd’hui encore si incom-plètement traduite, je m’y suis plus d’une fois aventuré en explorateur et quelquefois risqué à de petites traductions de travail – ainsi, lors de la première « Journée Vygotski » organisée à la Sorbonne en décembre 1987, avais-je appuyé mon intervention sur le thème « Dialectique et psychologie chez Vygotski » en distribuant aux participants quelques pages de La Signification historique de la crise en psychologie, livre alors inédit en français, dans une traduction personnelle dont Françoise Sève avait contrôlé la fiabilité. De façon plus générale, j’ai acquis quelque expérience de traducteur, de l’allemand au français, en me confrontant continûment au problème tel qu’il se pose à propos de l’œuvre de Marx, dont j’ai fait paraître chez Flammarion une anthologie philoso-phique entièrement traduite par moi.

Ainsi la tâche a-t-elle pu ne pas m’apparaître impossible. La traduction de la seconde moitié des Fonctions psychiques supérieures eût-elle été encore à faire, je me serais sans doute tenu pour hors d’état d’y pourvoir. Mais la situation était toute autre : la traduction entière en existait, et non point comme approximatif premier brouillon mais comme résultat partiellement inachevé de son grand effort. Les difficultés restant à résoudre semblaient d’autant moins hors de portée que, de son avis même plus d’une fois exprimé, la plupart

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étaient d’ordre moins linguistique que psychologique, ou, pour le dire plus justement, la bonne solution linguistique à trouver y dépendait avant tout d’une bonne intelligence du sens psychologique – ainsi me voyais-je renvoyé à ma familia-rité avec l’œuvre vygotskienne. De plus – circonstance dont j’ai plus d’une fois éprouvé la décisive importance –, ayant saisi à l’ordinateur sous sa dictée les cinq premiers chapitres du présent livre et une partie du sixième, après l’avoir fait pour Psychologie de l’art tout entier, j’ai eu avec Françoise maintes discussions sur tel ou tel point de traduction, et par là nombre d’occasions de saisir du dedans sa démarche, que je me suis efforcé à ne pas trahir. J’ajoute à cela la certitude d’emblée acquise de pouvoir compter sur la vigilante relec-ture de deux vygotskiens français hautement compétents, mes amis Michel Brossard et Yves Clot, aussi attachés à la mémoire de Françoise Sève qu’intéressés à voir paraître ce livre majeur de Vygotski. Ensemble de raisons qui m’a fait décider de mener à bien ce travail risqué mais plus encore nécessaire.

Il me reste à dire pourquoi et en quoi une discrète révi-sion de la première moitié même du livre a été nécessaire, ce qui exige tout un détour. Près de quarante ans d’expérience dans la traduction de Vygotski avaient rudement appris à Françoise Sève les vives difficultés spécifiques de la tâche. D’abord, la fiabilité du texte russe dont nous disposons – à commencer par les Œuvres en six volumes parues à Moscou en 1982-1984, le présent ouvrage y occupant l’essentiel du tome 3 – laisse hélas maintes fois à désirer. À le considérer de près, on y décèle en plus d’un cas des fautes probables, voire certaines qu’il s’impose de corriger hypothétiquement2. À cela s’ajoutent, dans le cas d’Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures, surtout de sa seconde moitié, les difficultés d’un texte qui semble avoir été inéga-lement soigné, non relu sans doute par Vygotski en telle ou telle partie, sinon même, comme on l’envisage dans la présentation de l’ouvrage, de décryptages de cours ou confé-rences sténographiés où les marques du style oral d’origine et ce qui pourrait parfois être bévues de transcription par

2. Cf. par exemple, entre autres, l’étymologie fautive que Françoise Sève a dû repérer et rectifier au chapitre VI, note 10, p. 323. Pareille mésaventure lui était déjà arrivée à plusieurs reprises lors de la traduction de Pensée et langage, op. cit., cf. entre autres la note de la page 259.

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des tiers ne sont pas rares – à travailler de près sur ce texte, on mesure souvent qu’il n’a pas eu à affronter du vivant de l’auteur les impératifs bénéfiques d’une publication.

À cela viennent s’adjoindre les problèmes souvent posés au traducteur par certaines particularités fâcheuses du style. Les témoignages concordent au sujet de Vygotski : il était fort bon orateur, ses cours et conférences passion-naient les auditoires. Mais il avait manifestement quelques problèmes devant l’écrit. Sans pouvoir ni vouloir entrer ici en un examen poussé de cette question complexe, disons qu’il ne s’agit aucunement, chez cet homme d’impression-nante culture et de haut sens artistique, d’une inhabileté générale : il ne manque pas dans ses livres et articles de déve-loppements frappants, voire de pages brillantes. Mais par moments il se montre gauche, on saisit mal ce qu’il veut dire

– on verra par exemple, notamment dans la seconde moitié de l’ouvrage, que la description d’expériences peut parfois manquer de clarté. Ailleurs, surtout dans les commence-ments de chapitre, il semble parfois embarrassé, s’attarde plus que de raison à des préliminaires répétitifs, la discus-sion « traîne en longueur » – il le dit lui-même en propres termes, de façon assez désarmante, après les longs débuts du chapitre II3 –, et dans ces cas la langue en porte traces. Sans doute faut-il tenir compte aussi du fait que les Russes sont apparemment peu sensibles à des répétitions mal supportables pour le lecteur français – nombreuses sont par exemple, dans l’original du livre qu’on va lire, les récur-rences de locutions comme « le processus de développement du comportement de l’enfant », formulation qui peut même, en tout ou partie, figurer jusqu’à trois fois dans une même phrase – rude épreuve pour le traducteur.

Mais sans doute y a-t-il des raisons à la fois plus intimes et plus publiques au poids qu’en plus d’un passage on sent peser sur sa plume. Cet homme encore tout jeune – il n’a pas trente-cinq ans lorsqu’il écrit les cinq premiers chapitres d’Histoire du développement… – avance ici des vues révo-lutionnaires qui contestent sur le fond celles de sommités internationales – on serait intimidé à moins. Dans le climat de stalinisation de la vie intellectuelle qui commence à toucher la psychologie soviétique en 1930, il ressent déjà

3. Cf. plus loin la note 17, p. 172.

Avertissement

83

nettement la réprobation ici ou là manifestée à l’égard de son orientation de pensée – voilà qui gélifie vite l’aisance du ton. Sur certains sujets, au-delà de certaines analyses, il sent bien qu’il n’a pas les données expérimentales ni les moyens conceptuels pour pousser plus loin sa démarche propre – le style trahit aussitôt pareils épuisements de la ressource. En bref, sous les alternances frappantes du bien écrit et du moins bien lisible chez Vygotski se dessine comme la carte muette des hauts et des bas d’une maîtrise de pensée au total impressionnante.

Mais dans toutes ces conditions, on peut le dire sans détour, avoir à traduire certaines pages de Vygotski n’est pas véritablement un cadeau. Françoise Sève n’a cessé d’af-fronter cette difficulté majeure avec une belle éthique de traductrice. Sa doctrine intangible se formulait en peu de mots : traduire n’est pas récrire. Ce qui l’engageait à une fidé-lité dans le moins bon comme le meilleur : elle acceptait de passer pour mauvaise traductrice plutôt que d’arranger le texte, c’est-à-dire de s’arranger avec sa très exigeante déon-tologie. Mais au début de 2011 elle en était venue à l’idée que, sans rien renoncer de ses impératifs intérieurs, elle pouvait et sans doute devait aller un peu plus loin vers l’agrément du lecteur français. Il était convenu qu’une fois l’ensemble du livre informatiquement saisi, nous confronterions nos vues sur ce qu’il y avait lieu de retoucher dans sa première moitié même. J’ai donc eu, seul, à changer quelques choses d’une version qu’elle avait tenue jusqu’à peu de mois auparavant pour définitive – là fut le plus éprouvant de ma tâche.

Ces quelques choses changées, ce sont de fastidieuses répétitions de mots supprimées, des termes à la longue pure-ment explétifs – comme « processus » dans l’immanquable « processus de développement » – dont j’ai fait souvent l’éco-nomie, des constructions de phrase qu’on pouvait avantageu-sement restructurer, en bref, une toilette terminale légère dont j’ai la confiance intime qu’elle l’eût faite sienne. C’est pourquoi en fin de compte, ma tâche achevée, j’ai cru pouvoir en toute conscience et émotion écrire sur la page de titre : « Traduction de Françoise Sève ».

* * *

Restent à donner quelques indications sur divers autres aspects de la présente édition.

Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures

84

Sur les notes, d’abord. Pour un livre de cette nature, forte-ment daté dans sa teneur, exotique en sa provenance, allusif en plus d’un passage, elles sont particulièrement indispen-sables. La plupart, données sans mention d’origine, sont de Françoise Sève, qui a passé bien du temps à rechercher notamment les références et vérifier le texte original des cita-tions faites par Vygotski, chez Pavlov ou Binet, Lévy-Bruhl ou Piaget, Freud ou Titchener, Aristote ou Spinoza, Hegel ou Marx, et bien d’autres – j’ai eu à compléter ces recherches chez Pierre Janet et Georges Politzer. Dans certains cas, l’édi-tion russe donne des renseignements utiles qu’on a repro-duits en indiquant « Note de l’édition russe ». J’ai été amené à en introduire moi-même un certain nombre, notamment dans la deuxième moitié du livre – elles sont suivies de la mention « Note de L. S. ».

Comme on le verra, une part appréciable de ces quatre cents et quelques notes est consacrée à indiquer le ou les mots russes traduits, indications assorties parfois de commentaires. La montée du niveau d’exigence théorique dans les recherches vygotskiennes francophones, si sensible de séminaire international en séminaire international4, nous paraît faire obligation en effet d’être désormais plus atten-tif à l’aspect philologique des problèmes d’interprétation que pose une pensée évidemment russe dans sa manière d’être universelle. De façon générale, il semble temps d’abor-der l’appropriation critique de l’œuvre vygotskienne au niveau d’exigence auquel se pratique depuis des décennies la lecture de Freud, et de quelques autres sommités de la pensée psychologique. C’est en tout cas à ce vaste objectif que l’annotation du présent volume s’est proposé d’apporter une modeste contribution.

Quant à l’index des matières, j’aurais eu à faire seul le très exigeant travail que souvent, et d’abord sur Pensée et langage, nous avons fait à deux, si Michel Brossard n’avait accepté d’y apporter aussi ses soins et sa compétence. Dans une œuvre de cette sorte, dont la richesse est foisonnante, un bon index est la clef du coffre ; aucun effort n’est de trop pour que cette clef fonctionne vraiment. Et si l’on mesure qu’Histoire du développement des fonctions psychiques supé-

4. Cf. à cet égard Vygotski maintenant, op. cit., qui, sans constituer les actes du colloque Vygotski organisé au CNAM en 2010 à Paris, donne idée de la riche matière qui y fut exposée et débattue.

Avertissement

rieures est le livre de Vygotski où s’expose sans nul doute le plus complètement la conception historico-culturelle du psychisme humain, si l’on ajoute à cela que les deux textes donnés ici en annexe sont eux-mêmes des contributions exceptionnellement précieuses à sa bonne intelligence, on conclura que l’index des matières ici proposé se devait de viser à être la plus précise et la plus exhaustive des intro-ductions de recherche au vygotskisme. C’est dans cet esprit qu’on s’est efforcé de le réaliser.

Rappelons pour terminer les principales équivalences en prononciation française du système de translittération de l’écriture cyrillique internationalement adopté en 1958 et systématiquement appliqué dans les traductions de Vygotski publiées par La Dispute – seuls les noms propres sont ordi-nairement l’objet d’une transcription plus intuitive :

c se lit ts /č/ = tch e = é ë = io

g = gu h = kh j = i bref s = s ou ss

/š/ = ch u = ou y = i dur /ž/ = j

’ = signe mou

Puisse cette publication faire honneur posthume à la grande dame de la traduction de Vygotski qu’est Françoise Sève.

87

« Les lois éternelles de la nature aussi se transforment de plus en plus en lois histo-riques. »1

L’histoire du développement des fonctions psychiques supérieures est un domaine totalement inexploré de la psychologie. Quoique l’étude des processus de développement de ces fonctions ait une importance considérable pour bien comprendre et élucider tous les aspects de la personnalité de l’enfant, on n’a pas jusqu’à présent tracé avec quelque netteté les limites de ce domaine, on n’a pas pris conscience sur le plan de la méthode de la façon dont les problèmes fonda-mentaux se posent ni des tâches qui incombent au chercheur, on n’a pas élaboré la méthode d’investigation appropriée ni ébauché et développé les rudiments d’une théorie, ou à tout le moins d’une hypothèse de travail, qui aiderait le chercheur

1. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, Éditions sociales, Paris, 1952, trad. Émile Bottigelli, p. 240.

Chapitre premier

Le problème du développement des fonctions psychiques

supérieures

Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures

88

à saisir le sens et présumer une explication des faits qu’il a relevés au cours de son travail et des lois2 qu’il a observées.

Qui plus est, le concept même de développement des fonctions psychiques supérieures appliqué à la psycholo-gie de l’enfant – selon nous l’un des concepts centraux de la psychologie génétique – reste jusqu’à maintenant encore vague et confus. On ne l’a pas assez différencié d’autres concepts apparentés ou voisins, on lui donne un sens aux contours souvent flous, le contenu qui lui est assigné manque de définition.

De toute évidence, tel étant l’état du problème, il faut commencer par tirer au clair les concepts de base, poser les problèmes fondamentaux et préciser les tâches de l’investiga-tion. Tout comme la recherche dans un champ nouveau est impossible si on ne donne pas aux questions auxquelles elle doit répondre une formulation précise et nette, une mono-graphie consacrée à l’histoire du développement des fonc-tions psychiques supérieures chez l’enfant, qui représente un premier essai d’exposé systématique et de bilan théorique de nombreuses recherches particulières en ce domaine, doit partir d’une claire compréhension de l’objet à étudier.

La question se complique encore du fait qu’élucider cet objet requiert un changement radical du regard traditionnel qu’on porte sur le processus du développement psychique chez l’enfant. Changer l’optique habituelle dans laquelle on considère les faits du développement psychique est une condition préalable absolue, sans laquelle on ne peut poser correctement notre problème. Mais il est plus facile d’assimiler mille faits nouveaux dans un domaine donné que d’avoir un point de vue nouveau sur quelques faits déjà connus. Cependant maints et maints faits, qui se sont inté-grés de manière durable dans le système de la psychologie de l’enfant et y ont trouvé leur place, sont comme déracinés de leurs positions attitrées et se présentent sous un jour tout nouveau lorsqu’on commence à les envisager sous l’angle du développement des fonctions psychiques supérieures chez l’enfant sans toutefois en prendre encore conscience sous

2. Le mot russe zakonomernost’ ici employé correspond au mot allemand Gesetzmässigkeit et signifie : conformité à des lois, existence et dévelop-pement selon des lois. Le plus souvent, il équivaut, surtout au pluriel, au mot zakon (« loi »). Il est assez systématiquement employé dans la suite du texte.

Le problème du développement des fonctions psychiques…

89

cet aspect. La difficulté de notre problème n’est pas tant dans le manque d’élaboration et la nouveauté des questions qui en font partie que dans la façon unilatérale et fausse de poser ces questions, qui soumet tout le corpus de faits accu-mulé depuis des décennies à l’inertie d’une interprétation erronée dont l’effet perdure jusqu’aujourd’hui.

La conception traditionnelle des faits relatifs au dévelop-pement des fonctions psychiques supérieures a ceci d’uni-latéral et d’erroné qu’avant tout et surtout elle ne sait pas regarder ces faits comme ceux d’un développement histo-rique, qu’elle les considère uniquement comme des forma-tions et des processus naturels, qu’elle amalgame et ne diffé-rencie pas l’inné et le culturel3, le naturel et l’historique, le biologique et le social dans le développement psychique de l’enfant, en bref, qu’elle a de la nature des phénomènes étudiés une conception incorrecte en son principe.

Il existe maintes recherches particulières et monogra-phies remarquables consacrées à divers aspects, problèmes et moments du développement des fonctions psychiques supérieures chez l’enfant. Le langage et le dessin, la maîtrise de la lecture et de l’écriture, la logique et la vision du monde4 que se forge l’enfant, le développement des repré-sentations et opérations numériques, et même la psycho-logie de l’algèbre et de la formation des concepts ont été à de nombreuses reprises l’objet d’investigations exem-plaires. Mais tous ces processus et phénomènes, toutes ces fonctions psychiques et formes de comportement ont été étudiés avant tout sous leur aspect naturel, ils ont été examinés du point de vue des processus naturels qui les suscitent et en font partie.

Les fonctions psychiques supérieures et les formes cultu-relles complexes de comportement avec toutes les particu-larités spécifiques de fonctionnement et de structure qui leur sont inhérentes, avec toute la singularité de leur trajet génétique depuis leur apparition jusqu’à la complète matu-rité ou la mort, avec toutes les lois5 propres auxquelles elles

3. Le mot russe kul’tura (et donc l’adjectif kul’turnoe) renvoie à la fois à la culture et à la civilisation. Parfois Vygotski utilise le mot d’origine latine civilizacija. Nous le signalons alors.4. Mirovozzrenie. Cf. le commentaire sur le sens de ce terme à la fin de la présentation ci-dessus.5. Zakonomernosti.

Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures

90

sont soumises, sont habituellement demeurées en dehors du champ de vision du chercheur.

Les formations et processus complexes ont en outre été décomposés en éléments constitutifs et ont cessé d’exister en tant que touts, en tant que structures. Ils ont été ramenés à des processus d’ordre plus élémentaire, occupant une posi-tion subordonnée et remplissant une fonction déterminée par rapport au tout dont ils font partie. De même qu’un orga-nisme décomposé en éléments constitutifs révèle sa compo-sition mais ne présente plus les propriétés et lois spécifi-quement organiques, ces formations psychiques complexes et formant un tout ont perdu leur qualité fondamentale et, ramenées à des processus d’ordre plus élémentaire, ont cessé d’être elles-mêmes.

Une telle façon de poser la question a influé de la manière la plus funeste sur le problème du développement psychique de l’enfant, car justement le concept de développement diffère du tout au tout de la représentation mécaniste d’un processus psychique complexe comme naissant de parties ou d’éléments isolés, à l’instar d’une somme qui se forme par addition arithmétique de termes séparés.

La domination exercée par cette manière d’envisager les problèmes du développement des fonctions psychiques supé-rieures chez l’enfant a eu pour conséquence que l’analyse d’une forme toute prête du comportement a en règle géné-rale remplacé la mise au clair de la genèse de cette forme. À la genèse s’est souvent substituée l’analyse d’une forme complexe de comportement aux différents stades de son développement, si bien qu’est née l’idée que ce qui se déve-loppe ce n’est pas la forme dans son tout mais ses éléments pris isolément, dont la somme constitue à chaque étape donnée telle ou telle phase dans le développement de cette forme de comportement.

Plus simplement dit, le processus même de développe-ment des formes supérieures et complexes de comportement est dans cet état de choses demeuré inélucidé et on n’en a pas pris conscience sur le plan de la méthode. Au lieu des données de la genèse, on a d’ordinaire établi une coïncidence purement externe, mécanique, chronologique entre l’appa-rition de tel ou tel processus psychique supérieur et tel ou tel âge. La psychologie, par exemple, nous a appris que la formation des concepts abstraits a lieu sous des formes bien

573

Ach Narziss (1871-1946). Psycho-logue allemand. – 31, 157, 222, 225, 226, 227, 231, 385, 403, 404, 405, 470, 485.

Aristote (384-322 avant notre ère). Philosophe grec. – 84, 204, 524, 525.

Arséniev Vladimir K. (1872-1930). Ethnologue russe. – 184, 547, 552.

Bacon Francis (1561-1626). Philo-sophe anglais. – 17, 471, 486, 487.

Bain Alexander (1818-1903). Psy-chologue écossais. – 424.

Bakouchinski Anatolii V. (1883-1939). Pédagogue russe. – 335.

Baldwin James (1861-1934). Psy-chologue américain. – 280, 331, 530, 535, 546.

Bassov Mikhaïl Ia. (1892-1931). Psychologue russe. – 211, 212, 251, 252, 535, 549, 561, 563.

Bastian Adolf (1826-1920). Anthro-pologue allemand. – 200.

Bekhterev Vladimir M. (1857-1927). Psycho-neurologue russe. – 21, 154, 370, 412.

Bergson Henri (1859-1941). Phi-losophe français. – 384, 417, 435, 544, 550.

Binet Alfred (1857-1911). Psycho-logue français. – 17, 31, 84, 153, 154, 158, 262, 302, 376, 379, 411, 434, 439, 510-514, 573.

Bleuler Eugen (1857-1939). Psy-chiatre suisse. – 475, 477.

Blonski Pavel P. (1884-1941). Psy-chologue russe. – 17, 169, 270, 279, 280, 352, 379, 441, 447, 568, 572.

Bogen Helmut (1893- ?). Psycho-logue allemand. – 302.

Braille Louis (1809-1852). Inven-teur français. – 57, 133, 501, 504.

Bühler Charlotte (1893-1974). Psy-chologue autrichienne. – 312, 313, 339, 342, 343, 545.

Bühler Karl (1879-1963). Psycho-logue allemand. – 45, 64, 125, 151, 254, 255, 256, 261, 275, 276, 277, 285, 315, 319, 341, 342, 344, 391, 397, 491, 492, 527, 534, 545, 550, 552.

Buridan Jean (1300-1358 ?). Phi-losophe français. – 172, 173, 175, 178-182, 468, 469, 470.

Burt Cyril (1883-1971). Psycho-logue anglais. – 353.

Carnot Sadi (1796-1832). Physi-cien français. – 189.

Cattell James (1860-1944). Psy-chologue américain. – 226.

Chakhmatov Alexeï A. (1864-1920). Linguiste russe. – 324.

Charcot Jean Martin (1825-1893). Médecin français.

Index des auteurs cités

Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures

574

Claparède Édouard (1873-1940). Psycho-pédagogue suisse. – 69, 272, 482, 539, 567.

Compayré Gabriel (1843-1913). Pé-dagogue français. – 434.

Dahl Vladimir I. (1801-1872). Lin-guiste russe. – 323, 324.

Darwin Charles (1809-1882). Natu-raliste anglais. – 99, 216, 217, 258, 274, 275, 276, 319, 461.

Delacroix Henri (1873-1937). Psy-chologue français. – 331, 360, 535, 536.

Descartes René (1596-1650). Phi-losophe français. – 53.

Dewey John (1859-1952). Philo-sophe américain. – 201, 204, 572.

Dilthey Wilhelm (1833-1911). Phi-losophe allemand. – 99, 107, 108, 216, 558.

Dostoïevski Fiodor M. (1821-1881). Écrivain russe. – 107.

Driesch Hans (1867-1941). Philo-sophe allemand. – 528.

Edinger Ludwig (1855-1918). Neu-rologue allemand. – 315.

Eliasberg Wladimir (1887-1969). Psychologue allemand. – 31, 289, 397, 398, 400, 403, 405, 407, 408, 409, 445, 446.

Engels Friedrich (1818-1895). Pen-seur et homme politique alle-mand. – 17, 26, 38, 39, 40, 47, 87, 159, 160, 162, 163, 189, 195, 240, 487, 543.

Fedortchenko Sofia (1880-1959). Écrivain russe. – 309.

Fichte Johann Gottlieb (1762-1814). Philosophe allemand. – 536.

Foucault Marcel (1865-1947). Psy-chologue français. – 385.

Freud Sigmund (1856-1939). Fon-dateur autrichien de la psychana-lyse. – 33, 84, 108, 164, 165, 417, 531, 532, 556, 557, 558, 560, 563.

Fröbel Friedrich (1782-1852). Pé-dagogue allemand. – 356.

Goethe Johann Wolfgang von (1749-1832). Écrivain allemand. – 248, 290, 558.

Hall Stanley (1844-1924). Psycho-logue américain. – 269.

Hegel Georg W. F. (1770-1831). Phi-losophe allemand. – 23, 24, 30, 47, 49, 84, 161, 206, 239, 283, 471, 487, 556, 557, 561.

Heller Theodor (1869-1938). Psy-chologue autrichien. – 412.

Hering Ewald (1834-1918). Physio-logiste. – 276, 394, 415.

Hessen (?). – 354.Hetzer Hildegard (1899-1991).

Psychologue autrichienne. – 312, 340, 341, 343, 344, 352, 355, 358, 449, 450, 537, 545.

Höffding Harald (1843-1931). Phi-losophe danois. – 17, 238, 239, 260, 436, 557.

Husserl Edmund (1859-1938). Phi-losophe allemand. – 25, 99.

Jaensch Erich (1883-1940). Psycho-logue allemand. – 451, 452, 454, 458, 460-462, 506.

James William (1842-1910). Philo-sophe et psychologue américain. – 67, 173, 249, 473, 482, 484, 485.

Janet Pierre (1859-1947). Psy-chiatre et psychologue français. – 84, 280, 282, 488, 542, 544, 545, 546, 547, 550, 553.

Jennings Herbert S. (1868-1947). Zoologiste américain. – 124-127, 160, 207, 458, 527.

Kapp Ernst (1808-1896). Philo-sophe allemand. – 204.

Katz David (1884-1953). Psycho-logue allemand. – 506.

Koffka Kurt (1886-1941). Psycho-logue américain d’origine alle-mande. – 15, 214, 255, 275.

Köhler Wolfgang (1887-1967). Psychologue américain d’origine allemande. – 15, 31, 39, 171, 181, 247, 253, 258, 266, 267, 268, 275, 278, 283, 302, 303, 315, 346, 386-392, 394, 400, 449, 452, 455, 467, 506, 527, 534.

Kretschmer Ernst (1888-1964). Psychiatre allemand. – 129, 198, 199, 238, 278, 285, 476, 478, 485, 486, 488, 523, 545.

Kroupskaïa Nadiejda K. (1868-1939). Femme politique russe. – 13, 27, 427, 565.

579

Index des matières

N. B. – Comme tout index des matières, cette liste de mots-entrées vise en premier à permettre au lecteur de trouver ou retrouver aisément la page où figure telle ou telle indication de l’auteur. Aussi n’y sont pas recensées les simples occurrences du mot-entrée mais celles seulement qui en éclairent le sens, renvoyant parfois à des passages où figure clairement l’idée mais sans le mot. Selon la convention d’usage, le tiret qui relie deux numéros de page (par exemple 390-392) indique que le mot-entrée y fait l’objet d’un traitement continu de l’une à l’autre. Les indications de page qui renvoient au texte de Vygotski sont données en caractères romains, celles en italique renvoient à des passages de la présentation ou à des notes infrapaginales de l’éditeur.

Le but second – essentiel – du présent index est de faciliter le travail de recherche sur la pensée vygotskienne. C’est pourquoi toutes les rubriques comptant un nombre important de références sont subdivisées en sous-rubriques spécifiant les divers aspects de sens du mot-entrée. Ces sous-rubriques sont en général classées par ordre alphabétique ; pour quelques termes dont le traitement dans le texte est parti-culièrement riche, ces sous-rubriques nombreuses sont présentées dans un ordre raisonné qui développe l’analyse du concept correspondant. Les renvois à d’autres mots-entrées, de sens connexe ou adverse, visent à indiquer la cohérence propre de la pensée vygotskienne.

Malgré tout le soin apporté à sa confection, cet index des matières peut receler quelques oublis, voire erreurs. On est d’avance reconnaissant à tout lecteur qui nous en signalerait, aidant ainsi à améliorer encore les éditions futures de l’ouvrage.

A

abstraction, abstrait. – 103, 189, 342, 344, 397, 399, 403, 404, 406, 422, 520, 524.

acculturation, acculturé. – 293, 490-491. Voir culture.

acquis. – 296. Voir étage ; stade.acte, action. – 154, 443, 471, 473,

474, 482, 528-529, 539, 571. instrumental. – 422, 564, 568, 570.

Voir outil ; signe ; système.activité, actif. – 46-48, 167, 181,

184, 185, 191, 193, 195, 201, 252, 280, 317-318, 571. instrumentale, médiatisée, média-

tisante. – 29, 31, 47, 50, 54-56, 184-185, 205-206, 235-237, 245, 251,

Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures

580

289, 290, 363, 372-373, 375-376, 402.

sociale. – 197, 545, 548, 553, 564.Voir culture ; moyen.activité nerveuse supérieure. –

116, 157, 190-192.adaptation

active (humaine). – 23, 54, 122, 160, 162, 191, 193, 195, 202, 252, 261, 274-275, 276, 294, 527.

passive (animale). – 23, 195, 252, 276.

adolescent. – 63, 105, 106, 110, 111, 561.

adulte. – 169, 270-272, 375-376, 535. rapport de l’~ avec l’enfant. – 291,

364, 372, 395, 404, 406, 456, 460, 534-535.

Voir développement.affect, affectivité. – 53, 62,

244, 392.âge. – 95, 96, 125, 126, 315, 440, 522.

du chimpanzé. – 125-126, 315, 527.culturel. – 505, 508.mental. – 505-506, 508.premier âge. – 95-96, 440.préscolaire. – 281, 440.scolaire. – 281, 291, 538.de transition. – 64.

aîné/cadet. – 536.aliénation. – 49-50.alphabet braille. – 133, 359-

360, 501, 504.âme. – 100.analyse. – 31, 61, 90, 93, 141, 209-

213, 214-215, 219, 220, 221, 222, 226, 227, 230, 239, 245, 460, 521, 524. dialectique. – 61.dynamique. – 215, 221, 230.explicative, causale. – 211, 215, 219.génétique. – 222.mécaniste. – 61, 226, 227.

Voir élément ; tout.analytique. – 93, 210-213, 521.

Voir atomistique.âne de Buridan. – 172-173, 179,

180, 468-470.anencéphale. – 315.animal. – 160, 198, 201, 267, 317,

462, 529, 554. différence entre homme et ~. –

182, 200-201, 256, 258, 379, 458, 483, 487, 524, 563. Voir adapta-tion.

anormal. – 132-134, 136, 288-289, 290, 503. Voir déficience.

anthropologie, anthropolo-gique. – 45-50, 57, 73.

anthropomorphisme, anthro-pomorphique. – 258, 275.

aphasique. – 408-409.appareil. – 196, 198, 562.apprentissage. – 55, 291, 331,

352, 360, 490, 493. artificiel. – 330.de l’écriture. – 352, 358.naturel. – 357.

Voir développement ; éducation.appropriation. – 48-50, 55, 292,

549, 553.aptitude. – 506-508, 512.

spéciale. – 509. Voir dons.arithmétique. – 44, 186, 362-

364, 491, 496.culturelle, médiatisée, scolaire. –

186, 187, 363, 366-367, 491, 497, 498.

naturelle, primitive, préscolaire. – 186, 187, 362-367, 491, 498.

arriération. – 131, 136.artefact. – 205.artificiel. – 56, 175-178, 182, 184-

185, 186, 188-190, 192, 246, 257, 354, 433, 567.

assimilation. – 292, 506.association, associatif. – 146,

214, 238.associationniste. – 420.atomisme, atomistique. – 93,

95, 210, 213, 223. Voir analyse.attention. – 220-221, 369-370, 378.

595

Tale des matières

Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Avertissement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

Chapitre premier. Le problème du développement des fonctions psychiques supérieures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

Chapitre II. La méthode d’investigation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139

Chapitre III. Analyse des fonctions psychiques supérieures . . . . . . . . . . 209

Chapitre IV. Structure des fonctions psychiques supérieures . . . . . . . . . 243

Chapitre V. Genèse des fonctions psychiques supérieures. . . . . . . . . . . . 269

Chapitre VI. Développement du langage oral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311

Chapitre VII. Préhistoire du développement du langage écrit . . . . . . . . . 329

Chapitre VIII. Développement des opérations arithmétiques . . . . . . . . . 361

Chapitre IX. Maîtrise de l’attention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369

Chapitre X. Développement des fonctions mnémiques et mnémotechniques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 415

Chapitre XI. Développement du langage et de la pensée . . . . . . . . . . . . . 439

Chapitre XII. Maîtrise de son propre comportement . . . . . . . . . . . . . . . . 465

Chapitre XIII. Éducation des formes supérieures du comportement . . . 489

Chapitre XIV. Le problème de l’âge culturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505

Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures

Chapitre XV. Développement de la personnalité et de la vision du monde chez l’enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521

Annexe I. [Sur la conception historico-culturelle du psychisme humain] (1929). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 541

Annexe II. La méthode instrumentale en psychologie (1928 ?) . . . . . . . . 565

Index des auteurs cités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 575

Index des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 579