224

Homme subjugué.pdf

Embed Size (px)

Citation preview

  • lhomme subjugu

  • Esther Vilar

    Lhomme subjuguTRADUIT DE LALLEMAND PAR RAYMOND ALBECK

    Stock

  • Titre original ;DER DRESSIERTE MANN

    (Caann Verlag, Munich)

    1971, Esther Vilar, Munich. Editions Stock pour la traduction franaise.

  • Je ddie ce livre ceux dont il nest pas fait mention ici : aux hommes, si rares, qui ne se laissent pas "dresser" ; aux femmes, si rares, qui ne se laissent pas acheter ; et celles, si heureuses, qui nont pas de valeur commerciale, parce que trop vieilles, trop laides, ou trop malades.

    E. V.

  • Du bonheur de l'esclave

    La MG jaune citron drape. La jeune femme au volant larrte non sans impudence, descend et dcouvre que le pneu avant gauche est plat. Sans perdre un instant, elle prend les mesures ncessaires pour rparer : elle ne lche plus du regard chaque voiture qui sapproche comme si elle attendait quelquun. A ce signal international standardis (faible- femme-victime-de-la-technique-masculine), une voiture presque aussitt stoppe. Le conducteur, qui a compris, console dj : On va vous arranger a tout de suite , et pour confirmer quil est rsolu tout, demande la jeune femme son cric. Il ne lui demande pas si elle peut elle-mme changer sa roue : elle a la trentaine, elle est vtue la dernire mode, bien farde ; il sait bien qu'elle ne le peut pas.

    9

  • lhomme subjugu

    Comme elle ne trouve pas l'outil, il va chercher le sien, et il apporte du coup tous ses autres. En cinq minutes il a rgl laffaire et arrim la roue accidente la place prvue. Ses mains sont couvertes dhuile. Elle lui propose son mouchoir brod, mais il refuse poliment : il a toujours un vieux chiffon dans la bote outils pour des cas semblables. Elle le remercie avec effusion, sexcuse de sa gaucherie typiquement fminine : sans lui, elle serait encore ici la nuit tombante. Il ne rpond rien, mais referme galamment la portire sur elle et se penche au-dessus de la vitre demi-baisse pour un dernier conseil : faire rparer trs vite le pneu endommag. Elle lassure quelle avisera le jour mme son pompiste habituel. Et elle dmarre.

    Aprs avoir rang ses outils et tre revenu seul sa voiture, lhomme commence regretter de ne pouvoir se laver les mains. Et ses souliers, qui ont souffert de la glaise humide quil a pitine pour changer la roue, ne sont plus aussi propres que lexige sa profession il est reprsentant. Et sil veut arriver temps chez son prochain client, il va falloir quil se presse. Ah ! ces femmes , pense- t-il en mettant le contact, toutes aussi faibles les unes que les autres ! Srieusement, il se demande ce quelle serait devenue sil ne stait pas arrt. Pour rattraper son retard, il roule vite, imprudemment, ce

    10

  • DU BONHEUR DE LESCLAVE

    qui nest pas dans ses habitudes. Quelques instants plus tard, il commence fredonner : dune manire ou dune autre, il est heureux.

    La plupart des hommes se sont trouvs au moins une fois dans une situation semblable, de mme que la plupart des femmes. C'est que, ds que loccasion sen prsente, la femme, sans hsiter, laisse lhomme travailler pour elle, simplement parce quil est homme et elle quelque chose de diffrent : une femme. Celle dont nous avons fait la connaissance naurait pas boug : elle aurait attendu laide dun homme parce quon lui a enseign que dans le cas dune panne dauto, on sadresse un homme pour quil fasse la rparation, et rien de plus. Lhomme au contraire a rendu service, dune faon efficace, gratuitement, quelquun qui lui est totalement tranger. Il a sali ses vtements, compromis la conclusion dune affaire et il risque maintenant un accident en conduisant trop vite. En plus du changement de roue, il aurait procd volontiers une douzaine dautres rparations, tout cela parce qu' lui aussi, on le lui a appris. Et pourquoi une femme soccuperait-elle de sa voiture quand les hommes, la moiti de lhumanit, peuvent si bien le faire et sont prts mettre tout leur savoir sa disposition ?

    Les femmes laissent les hommes travailler pour

    11

  • l'homme subjugu

    elles, penser pour elles, assumer les responsabilits qui leur incombent. Les femmes exploitent les hommes. Or, ils sont forts, intelligents, pleins d'imagination ; elles sont faibles, sottes et ne brillent pas par limagination. Comment se fait-il que les femmes exploitent les hommes, et non linverse ?

    La force, lintelligence, limagination seraient- elles les conditions ncessaires de la servitude, et non de la puissance ? Le monde, loin dtre gouvern par ceux qui ont des capacits, le serait-il par celles qui ne sont bonnes qu cela ? Et sil en est ainsi, comment font-elles pour que les hommes ne se sentent pas tromps, mais croient au contraire tre ce quils sont le moins au monde : les matres ? Comment leur instillent-elles ce bonheur quils ressentent travailler pour elles, cette fivre dorgueil et de supriorit qui les incite entreprendre des tches toujours plus considrables ?

    Pourquoi ne dmasque-t-on pas la femme ?

  • Quest-ce que lhomme ?

    Quest-ce que lhomme ? Lhomme est ltre humain qui travaille. Avec ce travail, il se nourrit, et nourrit sa femme et les enfants de sa femme. Au contraire, la femme est ltre humain qui ne travaille pas, ou seulement de faon provisoire. Pendant la plus grande partie de sa vie, elle ne nourrit personne, ni elle-mme ni ses enfants, pour ne pas parler du mari.

    La femme appelle viriles toutes les qualits de lhomme qui prsentent quelque utilit pour elle, et fminines toutes celles qui ne servent rien, ni elle ni aux autres. Les manifestations extrieures de lhomme ne rencontrent lassentiment de la femme que si elles sont viriles, cest--dire rgles sur le seul but de son existence, le travail, et modeles

    13

  • lhomme subjugu

    de sorte qu' tout moment il puisse accomplir toutes les tches dont elle le charge.

    Sauf la nuit, o la plupart portent des pyjamas raies de couleur avec seulement deux ou quatre poches, les hommes revtent une sorte duniforme brun ou gris fait dun matriau non salissant et durable. Ces uniformes, ou complets comme on les appelle, comportent un minimum de dix poches o l'homme rpartit les accessoires les plus indispensables son travail pour les avoir toujours porte de la main. Comme la femme ne travaille pas, ses vtements nont pas de poches, que ce soit le jour ou la nuit.

    En socit, dans les grandes occasions, lhomme est autoris se mettre en noir, teinte plus fragile certes, mais quil ne risque gure de salir l o il est ; en outre rien ne met plus en valeur que le noir le bariolage splendide des toilettes fminines. Certes, on rencontre parfois des hemmes en vtements de soire verts et mme rouges : ils font paratre dautant plus virils leurs semblables plus conformistes.

    Lhomme a adapt cette situation le reste de son apparence : ses cheveux ne demandent quune taille, un quart dheure de soins, toutes les deux ou trois semaines. Bouclettes, ondulations, teintures, sont indsirables : elles ne feraient que le gner dans le travail quil accomplit souvent en plein air,

    14

  • quest-ce que lhomme ?

    ou qui du moins loblige sy exposer. Et en admettant mme quil recoure ces parures et quelles lui aillent bien, il nen tirera pas plus de succs auprs des femmes car, contrairement aux hommes, elles ne jugent jamais le sexe qui nest pas le leur selon des critres esthtiques. Lhomme qui se coiffe quelque temps d'une manire individualiste sen aperoit gnralement trs vite et revient de lui- mme aux deux ou trois variantes standardises des cheveux longs et courts. De mme, pour porter longtemps une barbe entire, il faut tre supersensible plus ou moins intellectuel frquemment et, par le truchement dune croissance dsordonne du systme pileux, vouloir donner une impression de robustesse spirituelle. Comme il sagit d un indice non ngligeable de la constitution dun homme et par consquent du parti quon peut tirer de lui, les femmes tolrent la barbe, indication du domaine qui soffre leur exploitation : le travail nvrotique de lintellectuel.

    Mais en gnral, lhomme, pour supprimer sa barbe, utilise trois minutes par jour un rasoir lectrique ; leau et le savon lui suffisent comme soins cutans, car on nexige de lui quun visage prsentable, net et sans fard, que tout le monde peut ainsi vrifier. Notons ses ongles : pour travailler, il les lui faut aussi courts que possible.

    15

  • l'homme subjugu

    Un homme viril ne porte aucun joyau, sauf son alliance, signe certain quil est dj exploit par une femme particulire. La grosse montre pataude quil porte au poignet, rsistante aux chocs, tanche leau, avec indication de la date, nest vraiment pas un luxe. Souvent, cest un cadeau de la femme pour laquelle il travaille.

    Le linge de corps, la chemise et les chaussettes de lhomme viril sont standardiss tel point quil est difficile de les distinguer de ceux dun autre, sauf peut-tre par la taille. On se les procure dans nimporte quel magasin sans perdre de temps. Ce n'est que dans le choix de ses cravates que lhomme disposerait dune certaine libert ; seulement, on ne la jamais habitu tre libre de quelque faon que ce soit. Aussi abandonne-t-il ce choix, comme celui de toutes les pices de son habillement, la femme.

    Un observateur venu dune autre plante croirait que les hommes font exprs de se ressembler autant quun uf un autre, mais le type de leur virilit, cest--dire la faon dont ils sont utilisables, varie linfini. Cest en effet indispensable : du moment que les femmes ne travaillent pas, ou peine, il faut des hommes pour tout faire.

    Il y a donc des hommes qui, huit heures du matin, sortent du garage, avec prcaution, une grosse

    16

  • quest-ce que lhomme ?

    conduite intrieure. Dautres, une heure plus tt, ont pris dassaut un wagon de seconde classe pour se rendre leur travail. Dautres, encore plus tt, sont partis pied, dans la nuit, avec sous le bras la vieille serviette o ils serrent leur bleu de travail et les sandwichs de leur djeuner, pour gagner lautobus ou le mtro qui les emportera au chantier ou lusine. Un destin impitoyable veut que ce dernier groupe, celui des plus pauvres, soit exploit par les femmes les moins attirantes. Car comme la femme ne tient qu largent de lhomme et lhomme laspect de la femme, les femmes les plus dsirables disparaissent aussitt de ce milieu, enleves par ceux qui gagnent davantage.

    Peu importe comment un homme pris au hasard passe sa journe. Comme tous les autres, il la passe de faon avilissante. Et il ne subit pas ce sort pour lui, pour gagner sa vie : dans ce cas il lui suffirait de bien peu defforts, puisquil naccorde aucune valeur au luxe. Il le subit pour dautres que lui, et avec une fiert infinie : il garde sur son bureau les photos de sa femme et de ses enfants, et il les exhibe toute occasion.

    Quoi que fasse un homme, quil compare des chiffres au tabulateur, soigne des malades, conduise un autobus ou dirige une entreprise, il fait partie ds quil travaille dun systme gigantesque et impi

    17

  • lhomme subjugu

    toyable, organis seulement en vue de lexploiter au maximum, et il en demeure toute sa vie le prisonnier.

    Il est sans doute intressant de comparer au tabulateur des sommes avec dautres sommes, mais combien de temps ? Toute une vie durant ? Srement pas. Peut-tre est-ce une impression fantastique que de diriger un autobus travers une ville ? Mais le mme autobus, sur le mme trajet, dans la mme ville, bon an, mal an...? Et il est certainement passionnant dexercer son pouvoir sur un grand nombre dtre humains, mais quoi donc, si lon dcouvre soudain quon est lesclave de son entreprise plus que son matre ?

    Nous livrons-nous aujourdhui aux jeux qui nous passionnaient enfants ? Non, naturellement. Et mme alors, ce ntait pas toujours le mme jeu, nous en changions ds que nous en avions envie. Lhomme est comme un enfant qui ne connatrait quun jeu. La raison en est vidente : ds quon le loue pour une chose plus que pour toutes les autres, il sy spcialise, et parce quil est dou pour cela et quil gagne ainsi plus dargent, on ly condamne jamais. Calcule-t-il bien en classe, il passera sa vie calculer comptable, mathmaticien, programmeur puisque cest l quon tirera de lui le rendement maximum. Il calculera donc, il compa-

    18

  • quest-ce que lhomme ?

    rera des chiffres au tabulateur, fera fonctionner des machines calculer, comparera encore des chiffres sans jamais pouvoir se dire : Maintenant jen ai marre. Je vais chercher autre chose. Chercher autre chose ? Jamais la femme qui lexploite ne le lui permettra vraiment. Peut-tre, aiguillonn par elle, grimpera-t-il, aprs une srie de conflits meurtriers, au sommet de la hirarchie de son servage, peut-tre deviendra-t-il fond de pouvoir, directeur de banque ? Mais quel prix ?

    Un homme qui change une seule fois de vie cest--dire de profession puisque vivre est pour lui travailler inspire dj moins de confiance. Sy risque-t-il plusieurs reprises, la socit le rejette et il reste seul. Car la socit, ce sont les femmes.

    La peur quinspire une telle consquence, un tel rejet, doit tre considrable. Un mdecin (qui tant gosse a lev pendant quelque temps des ttards dans un pot confiture) accepterait-il autrement de passer toute sa vie dbrider des abcs curants, contempler toutes les scrtions humaines possibles, frquenter jour et nuit des tres dont le seul aspect ferait fuir tout autre que lui ? Le pianiste, qui na t quun enfant sensible la musique, interprterait-il pour la millime fois le mme nocturne de Chopin ? Le politicien qui jadis,

    19

  • lhomme subjugu

    dans le prau de son cole, a trouv par hasard la poigne de ficelles au moyen desquelles on agite les hommes, avec, du mme coup, le don de lentregent, continuerait-il rpter, une fois adulte, pendant des dizaines dannes, les mmes phrases dpourvues de sens qui font partie de son rle de sous-fifre, ferait-il toujours les mmes grimaces, supporterait-il les discours atroces de ses concurrents, sous-fifres comme lui ? Il avait rv dune autre vie, lui aussi ! Et en admettant qu force de suivre cette voie, il arrive tre prsident des Etats-Unis dAmrique : le prix quil aura pay pour y parvenir ne sera-t-il pas, encore une fois, un peu trop lev ?

    Non, on conoit mal que les hommes acceptent de faire ce quils font sans avoir le dsir den changer. Ils sy prtent parce quon les a dresss le faire, parce quon les a domestiqus. Leur existence entire nest que la misrable squelle dun dressage. L'homme qui ne sait plus excuter son numro, qui gagne moins dargent, cet homme-l culbute et perd tout : sa femme, sa famille, son foyer, le sens de sa vie son dernier refuge.

    On pourrait dire, videmment, que lhomme qui ne gagne plus assez dargent redevient automatiquement libre et quil devrait sen fliciter. Mais 1 homme ne souhaite pas la libert. Comme nous le verrons plus tard, il fonctionne daprs un modle

    20

  • impos, celui de l'angoisse de la libert. Etre libre perptuit lui serait plus atroce quesclave vie.

    Soit dit en dautres mots : lhomme recherche sans cesse un matre, quelquun ou quelque chose, parce quil ne se sent pas en scurit ds qu'il nest plus asservi. Or, son choix tombe le plus souvent sur la femme. Mais qu'est-elle donc pour que ce soit prcisment elle quil doive la dgradation de sa vie, pour qu'il se laisse exploiter et asservir daprs les rgles de lart, pour que ce soit justement elle qui lui donne ce sentiment de scurit ?

    quest-ce que lhomme ?

  • Qu'est-ce que la femme ?

    Nous avons dit que la femme, par opposition lhomme, est ltre humain qui ne travaille pas. En ce qui la concerne, il ny a pas grand-chose dire de plus. On pourrait donc se contenter de cette dfinition si le concept tre humain ntait trop tendu, trop imprcis, pour rendre compte la fois de lhomme et de la femme.

    A ltre humain, le fait de vivre offre le choix entre une existence infrieure, rduite aux fonctions animales, et une vie spirituelle. Incontestablement, la femme penche vers la premire : son bien-tre physique, son nid, la possibilit dappliquer en paix les rgles de la couvaison, voil son idal le plus lev.

    Or, on considre comme prouv quhommes et femmes naissent dous de facults gales et qu'il ny

    23

  • lhomme subjugu

    a aucune diffrence d'intelligence, lorigine, entre les deux sexes. Mais il est tabli de mme que les facults quon ne dveloppe pas dprissent : les femmes, faute dexercer leur intellect et leur esprit, dmantlent de gaiet de cur lensemble de cet appareillage et, aprs quelques annes dentranement intellectuel sporadique, simmobilisent au stade infrieur d'une btise incurable.

    Pourquoi la femme nemploie-t-elle pas son cerveau ? Parce que, pour rester en vie, elle na besoin daucune facult dordre spirituel. Thoriquement, une jolie femme qui naurait que lintelligence dun chimpanz russirait parfaitement dans une socit humaine.

    En gnral, son intelligence se bloque au plus tard douze ans, cest--dire lge o elle dcide de se livrer un jour la prostitution en trouvant un homme qui travaille pour elle contre le prt, intervalles rguliers, de son vagin. Certes, elle poursuivra des tudes, obtiendra mme tout un salmigondis de diplmes, car lhomme croit quune femme qui a beaucoup appris par cur sait quelque chose, et un diplme augmente ses yeux la valeur commerciale de ce quil convoite. Mais en ralit les voies des deux sexes se sparent l une fois pour toutes. A partir de ce moment, toute possibilit de

    24

  • communication entre lhomme et la femme est coupe, et pour toujours.

    C'est lorigine dune des erreurs les plus importantes que commet l'homme dans son apprciation de la femme : il la tient pour son gale, cest--dire pour un tre humain dont le fonctionnement sentimental et intellectuel se situe peu prs dans les mmes domaines que le sien. Un homme a beau tudier le comportement de sa femme, il ne le fait que du dehors, en coutant ce qu'elle dit, en la voyant agir, soccuper. Quand il dduit de ces manifestations extrieures ce quelle pense, cest sa propre chelle de valeurs quil utilise finalement pour la juger. Ce quil arrive savoir, cest ce que lui dirait, ferait, penserait sa place elle. Et si le rsultat de ses observations, daprs son chelle de valeurs, est assez dprimant, il en conclut seulement que quelque chose doit empcher la femme de se comporter comme il le ferait sil tait elle. Car il se tient pour la mesure de toute chose, et avec raison, si lon dfinit ltre humain comme un tre pensant.

    Par exemple, sil observe quune femme passe tant et tant dheures par jour faire la cuisine, le mnage et la vaisselle, il nimaginera pas un instant que ces tches puissent la satisfaire puisquelles conviennent idalement son niveau intellectuel. Il croira quelles lempchent de soccuper dautre chose, et seffor-

    qu'est-ce que la femme ?

    25

  • lhomme subjugu

    cera de mettre sa disposition un lave-vaisselle automatique, un aspirateur poussires et des plats cuisins. Il voudra la dbarrasser de ces travaux stupides, lui permettre de mener lexistence dont il rve lui-mme.

    Et l, il se trompe : au lieu de commencer sintresser la vie spirituelle, sinquiter de politique, dhistoire ou dexploration spatiale, la femme utilise le temps devenu libre faire de la ptisserie, repasser de la lingerie, coudre et tricoter ou, quand elle a vraiment lesprit dentreprise, dcorer les agencements sanitaires de sa salle de bains avec des guirlandes de petites fleurs.

    Au fond, est-il un seul homme qui attache vraiment de la valeur aux sous-vtements repasss, aux dcors de petites fleurs et aux gteaux qui ne viennent pas de chez le ptissier ? Comme la femme parvient lui faire croire que tout cela est ncessaire ou fait pour le moins partie de la culture , il lui invente la machine repasser, la pte toute prte ptisserie, des distributeurs de papier hyginique dj dcors de petites fleurs. Mais la femme nen ht pas plus pour cela, elle ne sintresse pas davantage la politique, et lexploration de lunivers la laisse totalement froide. Le temps libre que lhomme lui procure arrive juste point : enfin, elle va soccuper delle-mme. Et puisque les aspi-

    26

  • quest-ce que la femme ?

    rations spirituelles, comme on le sait, lui sont trangres, elle comprend naturellement par l soccuper de son aspect extrieur.

    Lhomme, qui aime la femme et souhaite passionnment, par-dessus tout, son bonheur, la suit encore sur ce terrain : il produit pour elle du rouge lvre qui ne tache pas, du noir aux yeux qui ne la fait pas pleurer, des bigoudis chauffants qui remplacent ses ondulations absentes, des blouses plisses quelle na plus repasser, des sous-vtements quelle jette au fur et mesure quils sont sales. Car il a toujours le mme but, la dlivrer de ces mesquineries une fois pour toutes, lui permettre de raliser en elle ce qui est spcifiquement fminin et donc tranger son esprit dhomme, satisfaire les aspirations leves ce quil croit de la nature plus dlicate, plus sensible, de la femme, pour quenfin elle puisse mener la seule et unique existence quil considre digne dtre vcue : une vie dhomme libre.

    Et il attend toujours.Comme la femme ne vient pas lui, il commence

    lattirer dans son univers. Il multiplie les coles mixtes pour lhabituer ds lenfance son style de vie ; il recourt tous les prtextes possibles pour quelle frquente les universits quil a cres, pour quelle sinitie aux secrets quil a dcouverts, dans

    27

  • l'homme subjugu

    lespoir que lapproche directe des grandes choses lui en donnera le got. Il lui ouvre laccs des dernires fonctions honorifiques dont il se rservait jusqualors lexclusivit, rompant ainsi avec des traditions qui lui taient sacres. Il lincite prendre conscience de son droit de vote afin quelle puisse, selon ses conceptions fminines, modifier les systmes quil a imagins pour administrer lEtat, peut-tre dans l'attente que son action politique lui apportera la paix, car il va jusqu lui attribuer une sorte de charisme pacificateur.

    Il saccroche avec tant dacharnement et de consquence ce quil suppose tre sa tche quil ne voit plus quel point il est ridicule. Ridicule daprs son chelle de valeurs, naturellement, et non daprs celle de la femme. Car, celle-ci, incapable de se distancer de lobjet, manque compltement dhumour !

    Non, les femmes ne se moquent pas des hommes. Elles peuvent tout au plus sirriter, un jour, leux- sujet. Les vieilles faades obligation du mnage, soins des enfants derrire lesquelles elles dissimulent leur refus dune vie spirituelle, sont encore debout malgr leur dlabrement, et elles leur servent justifier, ne serait-ce quun peu ou pour la forme, leur fuite prmature de luniversit et leur rpudiation de toute carrire o il faut vraiment assumer

    28

  • quest-ce que la femme ?

    une responsabilit. Que se passera-t-il lorsque le travail mnager sera encore plus automatis, quil y aura plthore de garderies denfants, ou quand les hommes dcouvriront ce quils auraient pu faire depuis longtemps que pour vivre on na absolument pas besoin denfants ?

    Il suffirait que lhomme sarrte, interrompe une fois seulement son activit aveugle et en fasse le bilan, pour quil saperoive que tous ses efforts pour la promotion spirituelle de la femme sont rests vains. Certes, elle est de jour en jour plus toilette, plus soigne, plus cultive , mais ses exigences croissantes demeurent purement matrielles, jamais spirituelles.

    Par exemple, le mode de penser que lhomme lui enseigne dans ses universits la-t-elle incite, une fois, dvelopper une thorie qui lui soit propre ? Sest-elle livre, une fois, une recherche personnelle dans les instituts de recherches o il laccueille ? Lhomme devra sapercevoir peu peu que tous ces livres merveilleux quil tient sa disposition dans les bibliothques o il la convie, la femme simplement ne les lit pas ; que toutes les uvres dart fantastiques quil lui propose dans ses muses ne sont pour elle, dans I' meilleur des cas, que matire imitation ; qtiVUc ne juge tous les appels la libration qu'il lui prodigue dans les films et dans

    '0

  • l'homme subjugu

    les pices de thtre o il s'efforce de s'abaisser son niveau et de parler son langage, que d'aprs leur valeur rcrative et que jamais, au grand jamais, ils ne provoquent chez elle la moindre rvolte.

    Il est tout fait logique que l'homme, qui tient la femme pour son gale et assiste l'existence stupide qu'elle mne ses cts, se persuade que cest lui qui lopprime. Pourtant, aussi loin que remontent nos souvenirs, la femme na jamais t force de se soumettre, dune manire ou dune autre, la volont de lhomme. Elle a toujours eu toutes les possibilits de se rendre indpendante. Si depuis tout ce temps elle ne sest jamais libre de son joug , il ny a cela quune explication : ce joug na jamais exist.

    Lhomme aime sa femme, mais tout en la mprisant, parce quun tre qui sort chaque matin de chez lui, plein dnergie, pour conqurir un monde nouveau ce qui videmment narrive que rarement puisqu'il doit peiner pour gagner sa vie ne peut que mpriser ltre qui refuse de le faire. Cest peut- tre la raison de tous ses efforts pour favoriser le dveloppement spirituel et intellectuel de la femme : ayant honte pour elle, il croit quelle aussi a honte. Par gentillesse de cur, il voudrait la tirer de son embarras.

    Ce quil ignore, cest que les femmes ne connais

    30

  • quest-ce que la femme ?

    sent pas cette curiosit, cette ambition, ce besoin dagir qui lui paraissent si naturels. Elles ne participent pas lunivers masculin parce qu elles ne le veulent pas : elles n'ont aucun besoin de lui. Le type d'autonomie de lhomme serait pour elles dpourvu de toute valeur, elles ne ressentent pas leur dpendance. La supriorit spirituelle et intellectuelle de lhomme ne les choque nullement ; dans ce domaine, elles nont aucune ambition.

    La femme peut choisir, et cest ce qui lui assure une telle supriorit, une supriorit infinie, sur l'homme : elle a le choix entre la forme de vie de lhomme, et celle dune sotte crature de luxe, dun parasite ; presque toujours, elle choisit la seconde possibilit. Lhomme, lui, na pas ce choix.

    Si les femmes se sentaient opprimes par les hommes, elles prouveraient envers eux le sentiment de haine ou de peur quinspire tout oppresseur. Or, les femmes ne hassent pas les hommes et ne les craignent pas. Si les hommes les humiliaient par la supriorit de leurs connaissances, elles chercheraient devenir leurs gales en se servant des moyens mis leur disposition. Si elles avaient limpression de ne pas jouir dassez de libert, elles auraient russi se librer au moins de nos jours, sous cette constellation favorable de leur histoire.

    En Suisse, lun des pays les plus volus du monde

    31

  • lhomme subjugu

    et o les femmes nont bnfici du droit de vote qu une poque rcente, un canton a voulu les laisser dcider elles-mmes de lopportunit de cette mesure : la majorit dentre elles ont refus ce droit de vote. Les hommes, consterns, ont cru voir dans ce comportement indigne la consquence de leur tutelle sculaire.

    Comme ils se trompent ! La femme na pas du tout l'impression dtre sous tutelle. Lune des nombreuses vrits dprimantes concernant les rapports entre les deux sexes est que, dans lunivers de la femme, lhomme nexiste pratiquement pas. Il ny occupe pas la place ncessaire pour quelle se rvolte contre lui. La dpendance de la femme son gard est purement matrielle, dun type purement physique . Cest celle du touriste par rapport sa compagnie daviation, du cafetier qui recourt son percolateur, de lauto qui ne marche pas sans essence, du tlviseur qui a besoin du courant. Ce type de dpendance nengendre gure dangoisse spirituelle.

    Ibsen, qui a commis la mme erreur que tous les hommes, sest donn la peine de rdiger avec sa Maison de Poupe une sorte de manifeste qui sadressait toutes les femmes. Mais la premire reprsentation, en 1880, na agi comme un choc que sur les hommes, qui se sont alors jurs de lutter avec encore

    32

  • quest-ce que la femme ?

    plus dacharnement pour assurer la femme des conditions de vie dignes dun tre humain.

    Du reste, cette lutte pour leur mancipation devait aboutir chez les femmes, comme dhabitude, une variation de la mode : pendant quelque temps, elles se sont plu jouer la mascarade de la suffragette, dont on sest moqu si souvent.

    La philosophie de Sartre a produit sur elles un effet dune profondeur semblable. Pour prouver qu'elles lavaient bien compris, elles se sont laiss pousser les cheveux jusqu la taille et ont mis des pantalons et des pull-overs noirs.

    Le mme phnomne vient de se produire avec la doctrine du prsident Mao Ts-toung : pendant toute une saison on a vu triompher le Mao-Look .

  • Lhorizon fminin

    Quoi que fassent les hommes pour en imposer aux femmes, dans le monde des femmes, ils ne comptent point. Dans le monde des femmes, seules comptent les autres femmes.

    Lorsquune delles remarque quun homme dans la rue se retourne sur elle, naturellement, elle sen rjouit. Si lhomme est habill de faon coteuse ou roule dans une voiture de sport grand luxe, sa joie est dautant plus grande, joie comparable celle dun porteur dactions qui lit un rapport de bourse favorable. Pour la femme, que lhomme soit bien physiquement ou non, sympathique ou non, intelligent ou non, ne joue absolument aucun rle. Lactionnaire lui non plus ne se proccupe pas de la couleur de lencre dont on imprime son coupon.

    Mais quau contraire une femme saperoive

    35

  • l'homme subjugu

    quune autre se retourne sur elle ce qui en ralit narrive que dans des cas extrmement rares, car elles emploient pour se juger rciproquement des talons de mesure bien plus impitoyables que ceux des hommes alors, elle a atteint son objectif le plus lev. Cest pour cela quelle vit, pour tre reconnue, admire, aime , par les autres femmes.

    Car dans lunivers fminin, seules existent les autres femmes ; les femmes quelles frquentent en allant lglise, dans les soires familiales ou au supermarch ; les femmes avec lesquelles elles sentretiennent au-dessus de la haie de leur jardinet ; les femmes quelles ont lair dignorer dans le tumulte des rues lgantes du grand commerce ou dans les manifestations et soires mondaines. Cest avec ce que contient leur petit crne, et non celui des hommes, quelles se jaugent mutuellement, cest leur jugement qui compte, et pour un simple compliment de la bouche dune autre femme, elles renoncent volontiers toutes les louanges maladroites, toujours entaches dun peu de dilettantisme, dun soupirant. Car les hommes ne savent pas dans quel monde elles vivent rellement ; si bien que, dans leurs hymnes de louanges, ils omettent sans cesse les points importants.

    Les femmes ne veulent-elles pas plaire aux hommes ? Mais si, puisquils garantissent leur vie

    36

  • lhorizon fminin

    matrielle. Toutefois, les besoins masculins seraient satisfaits beaucoup moins de frais : devant la femme, lhomme ragit pour ainsi dire exclusivement au symbolisme sexuel et l'tranget que confre une touche de fard, par exemple une longue chevelure, des lvres peintes, un pull-over qui moule le corps, une jupe courte, des bas transparents, des talons hauts. Mais les chefs-duvre fminins vivants quon rencontre dans les rues du grand commerce lgant de Paris, de Rome et de New York, sont trs loin de ce que souhaite et de ce que comprend lhomme. Bien placer sur ses paupires une omhre qui sachve par un dgrad exige une haute culture ; le choix dun certain rouge lvres, la technique de lappliquer, directement ou au pinceau, en une seule couche ou en plusieurs, lobtention du meilleur des rapports entre leffet dsir et 1 effet fortuit des faux cils, et finalement laccord en soi et lharmonie gnrale de la robe, de ltole, du manteau et de lclairage, tout cela est du domaine dune spcialiste. Un homme ny comprend rien, il n'a aucune culture dans cette mascarade fminine et ne peut donc juger de manire adquate ce genre de chefs-duvre ondoyants. Il faut y consacrer du temps, de largent, une troitesse desprit infinie, toutes conditions qui ne spanouissent que chez les femmes.

    37

  • lhomme subjugu

    En dautres mots, une femme cherche impressionner un homme seulement dans la mesure ncessaire pour qu'il reste avec elle et, au sens le plus tendu du mot, lalimente. Tous ses autres investissements ont pour but exclusif la femme. En dehors de cette fonction alimentaire, elle naccorde lhomme aucune valeur.

    Lorsquun entrepreneur recherche durgence de la main-duvre, il tente de lappter par tous les moyens jusquau moment o elle cde : il sait qu'une fois le contrat sign, il se rattrapera vite ses dpens puisque cest lui qui tient la queue de la pole. Il en est de mme avec les femmes : elles ne lchent leur mari que la longueur de laisse qui lincite rester prs delle plutt que dannuler le contrat.

    On peut parfaitement comparer la femme une entreprise, systme neutre programm pour raliser le maximum de gain : la femme se lie sans amour, sans mchancet ni haine personnelle, lhomme qui travaille pour elle. Sil labandonne, langoisse naturellement la saisit, car son existence conomique est en jeu. Sous cette angoisse aux causes rationnelles ne souvre aucun abme infini, et sa compensation est elle aussi dordre logique : par exemple, il suffit de prendre un autre homme sous contrat. Cette angoisse na rien voir avec les

    38

  • lhorizon fminin

    sentiments dun mari ou dun amant qui, dans la mme situation, est tortur par la jalousie et souffre, en proie au complexe dinfriorit.

    Lorsquun homme quitte une femme, cest toujours pour une autre et jamais pour tre libre. Elle na donc aucune raison de lenvier ou de le jalouser : du point de vue fminin, la situation de lhomme ne sest pas amliore. Cette aventure existentielle, ce nouvel amour qui lentrane vers une autre, la femme abandonne le considre la manire du petit patron qui, perdant son meilleur employ au profit dun concurrent, passe par les affres de devoir dnicher un remplaant. Pour elle, un chagrin damour nest, dans le meilleur cas, que le sentiment de voir une belle affaire svanouir en fume.

    Aussi un homme fait-il une fois de plus preuve dabsurdit quand il admire la fidlit de sa femme parce quelle ne le trompe pas avec des hommes qu'il trouve beaucoup plus attirants que lui. Pourquoi le ferait-elle tant quil travaille bien et qu'il lui procure ainsi les joies qui lui importent vraiment ? La fidlit dune femme na fondamentalement rien de commun avec celle de lhomme : contrairement lui, elle demeure pour ainsi dire indiffrente laspect extrieur de son compagnon. Lorsqu'elle flirte avec le meilleur ami de la maison, elle ne pense pas son mari, mais contrarier la femme

    39

  • lhomme subjugu

    de lami ; car elle ne sintresse quaux sentiments des femmes (sil sagissait vraiment de lhomme, elle ne jouerait pas aussi ouvertement cette comdie ). Dans les relations sexuelles en groupe, nouvelle mode qui nest quune variante des flirts frquents dans la bonne socit, la femme ne voit que les autres femmes et non les hommes. Lhistoire fourmille danecdotes sur les rois et les princes qui ont eu simultanment plusieurs matresses. On ne rapporte pas grand-chose de semblable sur les potentats fminins : cest quune femme sennuie mort dans une partouze o elle est seule de son sexe. Cela a toujours t et sera toujours.

    Si les femmes ragissaient la bonne mine des hommes, la publicit se servirait deux depuis longtemps. Car, grce largent que les hommes leur donnent, elles disposent dune puissance dachat bien suprieure la leur (il existe sur ce point des statistiques fort instructives), et les fabricants chercheraient naturellement pousser la vente de leurs produits par des photos et des rclames o figureraient de beaux hommes puissants dont ils accuseraient les caractres sexuels secondaires. Or cest le contraire qui est vrai : les agences de publicit, pour vendre des voyages forfait, autos, dtersifs, appareils de tlvision ou chambres cou

    40

  • lhorizon fminin

    cher nouveau modle, nous les font prsenter par de jolies femmes.

    Les producteurs de films dcouvrent enfin, mais lentement, que les femmes se contentent parfaitement dartistes aussi laids que Belmondo, Walter Matthau ou Dustin Hoffman, au lieu des beaux acteurs de jadis. Puisqu'ils accordent peu de valeur leur physique et ne se croient beaux quexcep- tionnellement (ils ne voient la beaut que chez les femmes), ils sidentifient plus facilement des interprtes qui ne sont pas des Apollons. Pourvu que les principaux rles fminins soient tenus par de belles vedettes, les femmes absorbent ces films avec autant de plaisir que ceux o jouerait un Rock Hudson ; en fait, elles ne sintressent quaux femmes quelles y voient.

    Si cette vrit chappe lhomme, cest parce que les femmes, devant lui, se dnigrent constamment : lorsquun mari entend son pouse critiquer le nez crochu, la gorge plate, les genoux cagneux et les hanches volumineuses de madame X. il en dduit logiquement que les femmes ne peuvent pas se sentir entre elles ou du moins quelles se trouvent totalement dpourvues dattraits. Quelle erreur grossire ! Si le patron dune firme louait sans arrt, devant son personnel, une firme concurrente, on le tiendrait pour fou, et ses meilleurs

    41

  • lH0MME subjugu

    employs le quitteraient bientt. Les politiciens jouent la mme comdie en se vouant publiquement aux gmonies : Nixon prfrerait mille fois, en cas dexil sur une le dserte, sy trouver en compagnie de Kossyguine ou de Fidel Castro plutt quavec lAmricain moyen quil encense et qui a vot pour lui. Cet Amricain moyen et lui nont pour ainsi dire aucun point commun.

    Ds que les femmes peuvent subvenir leurs besoins matriels, on constate quelles prfrent la socit des autres femmes celle des hommes. Ce n'est pas quelles soient toutes lesbiennes. Cette tendance na probablement rien voir avec le dsir sexuel. La vrit est que les deux sexes nont pour ainsi dire aucun intrt semblable. Que rechercheraient donc les femmes chez les hommes, si ce nest leur argent ? Entre elles, elles ont au contraires des quantits de choses se dire, car leur intelligence et leur vie sentimentale se sont cristallises un niveau primitif, universel, si bien quil ny a gure de femme individualiste ou qui recherche la solitude. On imagine trs bien la vie excitante quelles mneraient ensemble si elles taient seules, une vie paradisiaque peut-tre, malgr un niveau de bassesse effroyable. Mais cette bassesse, qui gnerait-elle ?

  • Le beau sexe

    Pour un observateur extra-terrestre, Ihomme serait certainement, sur cette plante, ltre le plus cligne dtre ador ; de toute faon, lhomme lui paratrait sans aucun doute plus attirant que, par exemple, la femme. Car il a sur elle deux avantages : il est beau, et il est intelligent.

    Ce nest qu la suite dune confusion sculaire de tous les talons de valeur quil est devenu possible daffirmer que les femmes constituent a le beau sexe . Leur btise relative, elle seule, suffirait dmentir cette prtention absurde. Un homme bte ne peut jamais tre beau ; soutenir le contraire, cest nier la caractristique essentielle de ltre humain. Et il faut insister sur un point : l'homme lui-mme commet cette erreur en jaugeant la valeur de la

    43

  • l'homme subjugu

    femme daprs un gabarit commun aux espces humaine et animales. Mais cest indispensable, car lchelle de l'Homo sapiens, la femme na pas la moindre chance.

    Nous le constaterons souvent encore : lhomme a besoin de la femme pour se soumettre elle, el afin de se justifier, il ne nglige rien pour la parer de qualits qui justifie cette attitude. Etant donn quil na jamais mis lesprit de la femme lpreuve, il lui serait difficile daffirmer quelle est un parangon de spiritualit (il sy est pourtant efforc en inventant le concept de 1 intuition fminine ). Alors, il dit quelle est belle.

    En esthtique, toute conception est subjective ; tout jugement, un acte individuel et libre. Mais la subjectivit se transforme aisment en alibi, et l'homme aime tre esclave. Comme la femme sattife dune manire qui vise attirer sur elle tous les regards, il en dduit quil existe une raison valable pour quelle agisse ainsi : puisquelle se trouve belle, cest quelle lest. Et il lui est reconnaissant de lui permettre de la trouver belle.

    Pour soutenir cette prtention, la femme recourt un artifice de plus. Comme son idal le plus lev, vivre sans travail et sans responsabilit, est demeur celui de l'enfant, elle fait lenfant. Les bbs nous meuvent par leur incapacit se dbrouiller

    44

  • LE BEAU SEXE

    seuls ; ils ont un petit corps et de petits membres joyeux, une peau immacule, jeune, dlicate, tendue sur de petits matelas de graisse. On les fait rire facilement, ils se conduisent de faon amusante, ce sont de mignonnes rductions des adultes, et comme ils ne peuvent se nourrir eux-mmes, il va de soi quon soccupe deux et quon se charge de toutes leurs difficults. Un mcanisme biologique y pourvoit : une espce qui laisse prir sa postrit, disparat.

    Grce des procds cosmtiques raffins dont le but est de lui conserver laspect dun bb, grce un gentil babil dsarm et dsarmant dans lequel les exclamations de surprise, de saisissement et dadmiration ( Oh ! , Ah ! , Merveilleux ! ) tiennent le rle principal, la femme essaie de faire miroiter aux yeux de son entourage, aussi longtemps quelle le peut, tous les charmes dune douce et tendre petite fille. Ce visage enfantin et cette comdie de limpuissance en appellent linstinct de protection de lhomme et lincitent subvenir tous les besoins de sa compagne.

    Ce calcul, comme tout ce quentreprend la femme, est si bte et si mesquin que sa russite tient presque au prodige. En effet, en vulgarisant partout, comme idal de la beaut fminine, le baby-look , elle se retrouve, au plus tard vingt-

    45

  • lhomme subjugu

    cinq ans, au fond de limpasse quelle a elle-mme cre. On a beau lire textuellement dans les publications fminines que la femme peut et doit remdier aux rides que provoquent chez elle les rflexions et le rire , tous les artifices de lart cosmtique ne peuvent empcher son visage de devenir, cet ge, celui dun tre adulte. Et que voulez-vous que fasse dune femme adulte lhomme dress ne trouver belles, adorables et dignes dtre servies, que de mignonnes petites filles ?

    Que peut-il faire dune dame dont les rondeurs fermes et lisses sont devenues des amas de graisse tremblotants recouverts dune peau blafarde et flasque ? Dont la voix criarde a perdu son charme enfantin ? Dont le rire spontan et joyeux sest mu en un hennissement saccad ? Comment pourrait-il supporter cet pouvantail vieilli dont le verbiage sot et rebutant, maintenant qu'il ne sort plus d'une bouche denfant, lui dchire les nerfs, ce visage o les Ah ! et les Oh ! de surprise amnent de moins en moins lexpression dun tonnement naf, et de plus en plus celle de la faiblesse desprit ? Comment cette momie denfant veillerait- elle chez lui des rves de dsir, de lrotisme ? On pourrait donc croire que cen est fait de son pouvoir.

    Le calcul des femmes est diffrent, comme nous

    46

  • LE BEAU SEXE

    lavons dit, et pour deux raisons : dabord, les enfants quelles ont entretemps les aident jouer une fois de plus la comdie du besoin de protection et, ensuite, il ny a pas assez de femmes jeunes sur terre.

    Il va de soi que les hommes, sils en avaient le choix, abandonneraient de grand cur leurs femmes- bbs adultes pour dautres qui ne le sont pas encore devenues. Mais comme le nombre des hommes et des femmes squilibre peu de chose prs, tout homme ne peut tout moment disposer d'une femme jeune, et comme il lui en faut une quelle quelle soit, il reste avec celle quil a.

    Il est facile de le prouver. Ds quun homme a rellement le choix, il choisit la plus jeune. Marilyn Monroe et Liz Taylor taient finies du jour o elles nont pas russi, pour la premire fois, repltrer leurs petites rides : lhomme sest tout simplement offert son billet de cinma l o jouait une actrice plus jeune. Quand ses moyens financiers le lui permettent, il ne se contente pas de passer la caisse du cinma, mais sadresse celle de la vie. Les grands hommes de la finance et du show business changent rgulirement lpouse usage contre une autre plus jeune. Sils lui offrent une bonne pension alimentaire, personne ny trouve redire, pas mme lpouse (vraisemblablement heureuse d'tre quitte, si bon compte, de son mari).

    47

  • L'HOMME SUBJUGU

    Mais seuls les riches peuvent se payer ce luxe. Quand un pauvre diable fait limportant et, dans un moment denthousiasme et daberration, soffre pour la seconde fois une jeune femme, il peut tre sr de se retrouver bientt seul parce que son argent ne suffit pas lentretien de deux foyers (et des enfants sur lesquels la nouvelle lue compte, elle aussi, pour assurer son avenir). Lorsquune femme a le choix entre deux hommes, lun g et lautre jeune, dont le revenu est le mme, elle choisit certes le plus jeune, non parce que sa jeunesse lui inspire un sentiment esthtique ou de la sympathie, mais uniquement parce quil pourra subvenir plus longtemps ses besoins. Les femmes savent trs bien ce quelles attendent dun homme, aussi prennent- elles parfaitement leur dcision : on nen a probablement jamais vu prfrer pour mari un pauvre diable de vingt ans un quadragnaire fortun.

    Les femmes devenues adultes ont beaucoup de chance : les hommes ne croient pas leur propre beaut. Et pourtant, la plupart sont beaux. Avec leurs paules puissantes, leurs jambes muscles, leur voix mlodieuse, leur rire humain et chaleureux, leur expression intelligente et leurs gestes mesurs parce que raisonnables , ils surclassent de loin tout ce que la femme peut jamais offrir mme

    48

  • LE BEAU SEXE

    au point de vue purement physique. Et comme contrairement elle, ils travaillent et exercent constamment, ingnieusement, leur corps, ce corps garde plus longtemps sa beaut. Ds la cinquantaine, faute dentranement, celui de la femme nest quune ruine, un amoncellement quelconque de cellules fminines (il suffit de regarder dans la rue une mnagre de cinquante ans et de la comparer, une fois seulement, aux hommes du mme ge).

    Mais les hommes ne savent pas quils sont beaux. Personne ne le leur dit. On vante le charme de la femme, la grce de lenfant, la sduction du monde animal. On veut bien leur reconnatre du cur, de la bravoure, de la dtermination, qualits qui ne se rapportent jamais leur aspect physique, mais uniquement la valeur que leur attribue la femme pour servir ses buts. En dehors des livres de mdecine, il nexiste aucune description de lhomme ; rien qui clbre longuement la forme de ses lvres, la teinte de ses yeux sous tel ou tel clairage, la croissance puissante de son systme pileux, la dlicatesse de ses ttons et la belle symtrie de ses bourses. Et sil entendait louer ces caractristiques masculines, lhomme serait le premier sen tonner et rire.

    Cest quil nest pas habitu ce qu'on parle de son physique. La femme adulte, qui la plupart du

    49

  • l'homme subjugu

    temps est laide et aurait par consquent loccasion et le temps de contempler lhomme et de ladmirer, ne le voit point. Ce nest pas mchancet ou calcul de sa part : pour elle, lhomme est une sorte de machine productrice de biens matriels. On n'apprcie pas une machine daprs des critres esthtiques, mais un point de vue purement fonctionnel. L'homme, qui pense comme la femme, se juge de mme. Il est tellement accapar par son travail, tellement puis par la lutte continuelle qu'implique sa concurrence avec les autres hommes, qu'il lui manque le recul ncessaire pour se voir tel quil est.

    Et surtout, les hommes ne se posent mme pas de questions ce sujet. Pour que leur lutte intestine ait un sens, il faut absolument que les femmes, pour eux, soient la beaut mme, lincapacit mme se dbrouiller seules, donc vraiment dignes dtre adores. Voil pourquoi ils les appellent, faute dune dfinition plus prcise de leurs impressions contradictoires, le beau sexe.

  • Lunivers est masculin

    Contrairement la femme, lhomme est beau parce quil est une crature spirituelle.

    Ce qui veut dire que :Lhomme est un tre curieux (il veut connatre le

    monde qui lentoure et savoir comment il fonctionne ).

    Lhomme est un tre pensant (il tire les consquences des phnomnes quil constate).

    Lhomme est un tre crateur ( partir des connaissances dont il dispose, il invente du nouveau).

    Lhomme est un tre sensible. (Sur une chelle de sensations dune ampleur, dune pluridimensionalit extraordinaires, lhomme non seulement enregistre les impressions les plus diverses et les plus dlicates, mais il dcouvre et cre de nouvelle valeurs senti -

    51

  • lhomme subjugu

    mentales que ses descriptions rendent accessibles tous, ou quil reproduit de faon artistique dans les exemples quil imagine.)

    De toutes ces qualits, la curiosit est certainement la plus marque, curiosit si diffrente de celle de la femme quil est indispensable de sy arrter.

    La femme sintresse principalement aux choses dont elle peut immdiatement tirer profit. Si par exemple elle lit dans un journal un article politique, cest plus vraisemblablement pour jouer son rle de Circ prs dun tudiant des Sciences politiques que pour soccuper des Chinois, des Israliens ou des Africains du Sud. Si elle cherche dans le dictionnaire le nom dun philosophe grec, cela ne signifie pas quelle prouve un amour subit pour la philosophie, mais que ce nom lui manque pour rsoudre un problme de mots croiss. La voyez-vous tudier le catalogue dune marque dautomobiles, ce nest jamais par passion pour les progrs de la technique : elle veut une voiture, simplement.

    Cest un fait que la plupart des femmes et aussi des mres nont aucune ide de la manire dont se produit dans leur propre corps la fcondation, ni du dveloppement de lembryon et des diffrents stades par lesquels il passe jusqu sa naissance. Naturellement, ce genre de connaissances leur serait compltement superflu, puisque de toute faon elles

    52

  • lunivers est masculin

    ne peuvent influer en rien lvolution du ftus. Ce qui leur importe, cest de savoir que la gestation dure neuf mois, quon doit leur pargner entre-temps toute peine, et que sil y a complication, il faut quelle aille aussitt voir un mdecin lequel, naturellement, remet tout en ordre.

    La curiosit de lhomme est dun tout autre genre : elle se suffit elle-mme, elle na pas besoin dtre immdiatement utile, tout en tant bien plus profitable que celle de la femme.

    Il suffit pour sen rendre compte de se trouver une fois sur un chantier o lon va utiser un nouvel outil, disons une nouvelle excavatrice. Il nest gure de passant homme, quelle que soit sa classe sociale, qui naccorde pas au moins un long regard intress lengin. Et beaucoup sarrtent, contemplent, discutent des qualits de cette machine inconnue, de son rendement, des avantages quelle offre par rapport celles qui lont prcde.

    Jamais il ne viendra lide dune femme de sarrter dans un cas semblable, moins que l'attroupement soit tel quelle imagine lvnement sensationnel ( Ouvrier rduit en bouillie par un bulldozer ) quil ne faut surtout pas manquer. Mais ds quelle sait de quoi il sagit, elle tourne les talons.

    La curiosit de lhomme est universelle. Tout en

    53

  • lhomme subjugu

    principe lintresse, politique, botanique, technique atomique, Dieu sait quoi encore. Il se penche mme sur des choses qui ne sont pas de son ressort, la conservation des fruits, la prparation dune pte ptisserie, les soins des nourrissons. Un homme ne pourrait jamais porter en lui un bb pendant neuf mois sans se renseigner compltement sur la fonction du placenta ou de ses ovaires.

    Lhomme ne se contente pas dobserver ce qui se passe autour de lui (et dans le monde), il linterprte. Comme il tente de sinformer de tout, il lui devient facile de tout comparer, den dduire des principes quil utilise toujours dans le mme but : crer quelque chose dautre, cest--dire du nouveau.

    Faut-il insister sur le fait que toutes les dcouvertes, toutes les inventions de ce monde ont t faites par des hommes, que ce soit dans les domaines de llectricit, de larodynamisme, de la gyncologie, de la cyberntique, de la mcanique, de la physique des quanta, de lhydraulique et de lhrdit. Il en est de mme des principes de la psychologie enfantine, de lalimentation des nourrissons ou des conserves alimentaires. Il nest pas jusqu lvolution de la mode fminine, ou des banalits comme lordonnance des repas et les nuances de got, qui ne soient traditionnellement du domaine de lindustrie masculine. Veut-on procurer son

    54

  • lunivers est masculin

    palais un plaisir indit, on dlaisse la table familiale pour le restaurant o, naturellement, le matre s sauces est un homme.

    Mme si les femmes voulaient faire du nouveau en cuisine, leur got est si limit, si us par la prparation quotidienne de mets dpourvus de toute imagination, quelles en seraient incapables. Il nexiste mme pas de gourmets fminins. Rellement, les femmes ne sont bonnes rien.

    Et pourtant, lhomme qui runit en lui toutes les conditions pralables pour jouir dune vie riche, libre, digne dun tre humain, y renonce pour mener au contraire lexistence dun esclave. Toutes ses facults merveilleuses, il les met au service dtres qui en sont totalement dmunis, au service de 1 humanit , comme il dit, cest--dire de la femme et des enfants de la femme.

    Quelle ironie ! Ceux qui sont capables de concevoir une vie idale la sacrifient, et ceux que cette abngation met mme de vivre idalement ne sy intressent pas ! On sest tellement habitu ce mcanisme absurde, cette exploitation unilatrale dun groupe dtre humains par une organisation de parasites, que tous nos concepts moraux en sont pervertis. Il nous est devenu si naturel de voir dans le sexe masculin le Sisyphe qui ne vient au monde

    55

  • lhomme subjugu

    que pour apprendre, travailler, lever des enfants, afin que ces enfants eux-mmes apprennent, travaillent et lvent dautres enfants, que nous narrivons plus nous reprsenter ce quau trement l'homme serait et devrait tre.

    Un homme jeune qui fonde une famille et sacrifie ensuite le reste de sa vie, plong dans des activits abrutissantes, nourrir sa femme et ses enfants, est ce quon affirme un homme honorable. Lhomme qui ne se lie pas, nlve pas denfant, vit ici et l, fait tantt ceci, tantt cela, pour se nourrir lui et lui seul et parce que a lintresse, et qui, lorsquil rencontre une femme, se comporte envers elle en tre libre et non en esclave, est, daprs notre socit, mprisable et rejeter.

    Rien nest plus dprimant que de voir quel point les hommes, jour aprs jour, trahissent tout ce pour quoi ils sont ns ; au lieu demployer leur intelligence, leur force et leur merveilleuse nergie dcouvrir des mondes dont nul nose encore rver, explorer des sentiments dont nous ne souponnons pas encore la prsence, alors quils pourraient remplir leur vie dune richesse infinie qui la rendrait enfin digne dtre vcue (cette vie qui nest qu eux et que les femmes ne comprennent pas), nest-il pas atroce de les voir renoncer toutes ces possibilits extraordinaires pour sobliger, de corps et desprit,

    56

  • lunivers est masculin

    suivre l'ornire des besoins primitifs, rpugnants, de la femme ?

    Alors qu'il tient haut dans sa main la clef de toutes les nigmes de lunivers, lhomme sabaisse de son plein gr au niveau de la femme pour accorder son jugement au sien. Il met au service de la conservation et de lamlioration de ce qui est dj, un esprit, une force et une imagination destins raliser tout ce qui devrait tre. Et quand il lui arrive de dcouvrir ce qui nexiste pas encore, il lui faut invoquer lalibi que toute lhumanit (il veut dire la femme) en tirera tt ou tard profit. Il sexcuse donc de ses prouesses, sexcuse de conqurir lespace et de senvoler jusqu la Lune au heu de procurer un peu plus de confort physique la femme et ses enfants. Lors dune nouvelle dcouverte, son effort le plus pnible est toujours de la traduire en langage fminin, par exemple dans le caquet infantile ou les chuchotements damour sirupeux des rclames tlvises, pour convaincre doucement la femme quelle peut se servir en toute tranquillit de la nouvelle acquisition. En effet, comme elle manque videmment dimagination, la femme ne ressent jamais le besoin a priori dune dcouverte : autrement, il y a longtemps quil lui serait arriv, au moins une fois, dinventer quelque chose.

    57

  • lhomme subjugu

    Nous avons tellement pris lhabitude de voir les hommes faire tout ce qu'ils font par rapport la femme que nous ne pensons pas quil puisse en tre autrement. Par exemple, les compositeurs pourraient composer autre chose que des chansons damour (dasservissement) ; les crivains, sintresser non plus aux romans et aux posies d'amour (dasservissement), mais lart. Que se passerait-il si les peintres cessaient enfin de nous offrir leurs ternels nus et profils fminins, inutiles et conventionnels, pour nous prsenter quelque chose de nouveau que nous naurions encore jamais vu ?

    Il pourrait arriver quun jour les savants ne ddient plus leurs travaux scientifiques leur pouse (elles ny ont jamais, jamais, jamais rien compris), que les cinastes ne surchargent plus leur ide de film de corps fminins aux seins surabondants, que les journaux ne sexcusent plus de nous rendre compte dune exploration spatiale en recourant des photos grand format de femmes aux cheveux oxygns, les pouses des astronautes, et que les astronautes eux-mmes, une fois dans lespace, se fassent jouer autre chose en provenance de la Terre que des rengaines d'amour (dasservissement).

    Nous navons pas la moindre ide de ce que serait un monde dans lequel les hommes emploieraient rsoudre leurs vrais problmes limagination

    58

  • lunivers est masculin

    quils gaspillent inventer des cocottes rapides encore plus rapides, des dtergents lavant encore plus blanc, des tapis de velours aux couleurs encore plus garanties bon teint et des rouges lvres qui dteignent un peu moins que les autres. Un monde o, au lieu dlever des enfants qui eux-mmes en lveront dautres et de repousser ainsi sans cesse dans l'avenir le moment de vivre, ils vivraient eux-mmes. Un monde, o au lieu de toujours recommencer explorer la psych nigmatique de la femme (elle ne leur semble telle que parce qu'il n'y a en elle aucune nigme rsoudre), ils sintresseraient leur psych ou celle des cratures ventuelles vivant sur dautres plantes, avec lesquelles ils trouveraient le moyen de communiquer. Un monde o, au lieu de fabriquer des armes qui n'ont dautre but que de protger la proprit individuelle, laquelle na dutilit que pour les femmes, les hommes construiraient des vaisseaux spatiaux interstellaires, de plus en plus efficaces, grce auxquels ils voleraient vers dautres mondes la vitesse de la lumire, pour en revenir avec des choses auxquelles nous ne nous permettons mme pas de rver.

    Hlas, les hommes, capables de tout concevoir et de tout vouloir, tiennent pour tabou la totalit de ce qui concerne la femme. Le plus terrible est que ces tabous sont si efficaces que personne ne les remarque

    59

  • lhomme subjugu

    plus. Sans sen apercevoir, les hommes mnent les guerres des femmes, lvent les enfants des femmes, btissent des villes pour les femmes. Et ces femmes deviennent sans cesse plus paresseuses, plus btes, plus exigeantes au point de vue matriel. Et toujours plus riches ! Grce un systme primitif mais efficace dexploitation directe mariage, divorce, hritage, pension de veuve, assurance vieillesse et dcs elles senrichissent de plus en plus. Aux Etats-Unis, o le pourcentage de celles qui travaillent na fait que diminuer depuis des dizaines dannes, elles possdent dj, tout le monde le sait, plus de la moiti de la fortune prive du pays. Et il ne doit pas en tre autrement dans les rgions les plus avances dEurope. En plus de la puissance psychologique quelle exerce sur lhomme, la femme disposera bientt du pouvoir matriel absolu.

    Lhomme, aveugle volontaire, continue rechercher son bonheur dans lasservissement. Cette servitude aurait quelque justification dordre potique si la femme tait vraiment ce quil la croit lre, un tre tendre, charmant, une fe bienfaisante, un ange venu dun monde meilleur, trop bonne pour lui et pour notre terre.

    Comment est-il possible que les hommes, qui dans tous les autres domaines veulent tout savoir, se bouchent les yeux pour ignorer prcisment ce

    60

  • l'univers est masculin

    simple fait ? Comment ne remarquent-ils pas quen dehors dun vagin, de deux seins, et dune paire de cartes perfores qui dbitent toujours la mme srie dinsanits strotypes, il ny a rien, absolument rien, dans une femme ; quelle ne se compose que de matire, quelle nest, sous de la peau humaine, quun rembourrage qui se donne pour un tre pensant ?

    Si les hommes, une fois seulement, sarrtaient de produire aveuglment pour rflchir, ils dmasqueraient en un tour de main les femmes avec leurs colliers au cou, leurs petites blouses gauffres et leurs sandalettes dores, et il leur suffirait de se servir de lintelligence, de limagination et de lesprit de suite qui sont les leurs pour raliser en quelques jours linstrument, la machine humanode, qui remplacerait avantageusement un tre qui manque jamais de toute originalit extrieure et intrieure.

    Mais pourquoi les hommes craignent-ils donc tellement la vrit ?

  • La sottise de la femme fait sa divinit

    Le besoin dtre libre ne peut se dvelopper que chez des opprims. Ds quils le deviennent et condition quils soient assez intelligents pour mesurer toutes les consquences de leur libert , ce besoin se transforme en son contraire : langoisse les prend la gorge et ils commencent soupirer aprs la scurit des liens retrouvs.

    Pendant les premires annes de sa vie, ltre humain nest jamais libre. Les prescriptions des adultes lenserrent de toutes parts et, comme il na aucune exprience en matire de comportement social, il dpend compltement de cette rglementation. Ainsi nait en lui un dsir si puissant de libert quaucune autre nostalgie ne le bouleverse avec une telle force : il faut quil s'vade de cette

    63

  • lhomme subjugu

    prison et, la premire occasion, il le fait. Une fois libre, sil est bte et les femmes le sont il se trouve parfaitement laise dans cette libert et cherche la conserver. Un tre humain inintelligent na aucune pense abstraite, il ne quitte jamais le plancher des vaches et ignore par consquent ce quest langoisse de vivre. Il ne craint pas la mort (il est incapable de se la reprsenter) et il ne sinterroge aucunement sur le sens de lexistence. Tous ses actes ont un but, satisfaire son dsir de confort, et il leur trouve par consquent une signification immdiate qui lui suffit. Le besoin de religion lui est galement tranger. Le ressent-il quil le satisfait immdiatement, pour lui-mme, car les sots prsentent la caractristique de sadmirer sans en tre gns le moins du monde (lorsquune femme est religieuse, elle lest pour obtenir le ciel : le bon Dieu nest rien dautre quun homme qui doit le lui procurer).

    Le cas de ltre intelligent (de lhomme) est tout diffrent : certes, il ressent dabord sa libration comme un soulagement infini, les perspectives grandioses de son autonomie lenivrent. Mais ds quil veut faire usage de cette libert, cest--dire sengager par un acte librement voulu dans une direction plutt que dans une autre, langoisse le saisit ; capable de penser de faon abstraite, il conoit que cha-

    64

  • LA SOTTISE DE LA FEMME FAIT SA DIVINIT

    cun de ses actes comporte lventualit dun nombre infini de consquences, quil ne peut toutes les prvoir malgr son intelligence, et qu en sera pleinement responsable puis quil va dcider en toute indpendance.

    Quelle tentation pour lui de ne rien entreprendre par peur des implications ngatives dun projet ! Mais comme ce nest pas possible lhomme est condamn agir il se prend jeter un regard en arrire vers les rgles de son enfance, il recherche quelquun qui, en lui dictant ce quil doit faire et ne pas faire, le dbarrasse de ses grandes responsabilits et redonne ainsi un sens des actes qui lui en paraissent dsormais dpourvus, puisquils nont finalement dautre but que son confort, que lui- mme, et ds lors, se dit-il, quoi bon ? Il se cherche donc le Dieu qui remplacera celui de son enfance sa mre et auquel il pourra se soumettre inconditionnellement.

    Il prfrerait certes un Dieu plus strict, plus juste galement., plus sage, omniscient, dans le genre du Dieu juif, chrtien ou musulman. Mais il est intelligent, il sait videmment que ce Dieu nexiste pas, que tout adulte est par dfinition son propre dieu. Il ne peut donc chapper langoisse de la libert quen simposant des rgles quil sinvente lui-mme, et comme ce retour un stade simi

    653

  • lhomme subjugu

    laire la dpendance de l'enfant qu'il fut lui procure un bien-tre profond, les rgles quil se donne deviennent ses dieux.

    Inconsciemment, il dresse procs-verbal de ses expriences individuelles, les compare avec celles dautrui, constate quelles ont toutes quelque chose de commun. Cest ce caractre commun quil saisit, toujours inconsciemment, en tant que rgle, en tant que loi dun comportement rationnel , cest--dire utilisable par nimporte qui mme en dehors de lui. Alors, volontiers, il sy soumet. Les systmes qui sen dgagent se dveloppent ensuite constamment sous leffet de laction individuelle et collective, pour devenir bientt dune telle complexit que lindividu nen a plus une vue densemble : ils acquirent une autonomie qui les rend divins . Il peut dsormais croire a ces lois, tout comme, enfant sans exprience, il a cru aux lois, tantt rationnelles, tantt irrationnelles, de ses parents. Elles sont devenues incontrlables, mais il suffit dy contrevenir pour risquer dtre exclus de la socit et perdre la scurit retrouve. Le marxisme, lamour du prochain, le racisme, le nationalisme, sont des exemples de ces systmes qui sont luvre de lhomme. Et lhomme qui, grce eux, parvient satisfaire son besoin de religion, est en

    66

  • LA SOTTISE DE LA FEMME FAIT SA DIVINIT

    grande partie immunis contre lasservissement un individu unique (la femme).

    Mais, dans leur trs grande majorit, les hommes prfrent consciemment se soumettre cette divinit exclusive que sont les femmes (ils donnent cet asservissement le nom d'amour), car elle prsente toutes les conditions requises pour satisfaire leur besoin de religion. Toujours leurs cts, elle nprouve aucune inquitude mtaphysique, et en cela elle est rellement divine ... Du fait quelle a sans cesse des exigences nouvelles, lhomme ne se sent jamais abandonn (comme Dieu, elle est omniprsente ). Elle le dlivre de sa dpendance des dieux collectifs quil doit partager avec ses concuirents. Elle lui semble digne de confiance puisquelle ressemble au Dieu de son enfance, sa mre, et elle confre son existence un sens artificiel puisque tout ce quil fait a pour objectif son confort elle (et plus tard le confort de ses enfants), et non le sien.

    Desse, elle peut non seulement chtier (en retirant sa protection), mais rcompenser (en lui accordant des satisfactions sexuelles).

    Mais les plus importantes des conditions requises pour cette dification sont la tendance qua la femme se dguiser, et sa sottise. Tout systme doit impressionner ses croyants par la supriorit de ses connaissances ou les confondre par son incomprhen-

    67

  • lhomme subjugu

    sibilit. Comme il nest pas question pour la femme de la premire ventualit, elle tire profit de la seconde. Grce sa mascarade, lhomme voit en elle un tre qui lui est tranger et plein de mystre, et toutes ses tentatives de contrle choueront devant une sottise telle quelle en est imprvisible. Car tandis que lintelligence sexprime par des actes logiques et comprhensibles, donc mesurables, calculables, contrlables, les faits et gestes des imbciles, manquant de toute rationalit, ne peuvent tre ni prvus ni contrls. Ainsi, exactement comme les papes et les dictateurs, la femme se dissimule constamment derrire une muraille de pompe, de carnaval et de mystres de quatre sous pour viter quon lui arrache son masque. Renouvelant sans cesse son empire, elle peut donc tout moment garantir lhomme la satisfaction de ses besoins religieux.

  • Des procds de dressage

    Pour que lhomme, m par le bonheur que lui cause son asservissement, se soumette rellement la femme et non dautres hommes, une espce animale quelconque ou un systme de son choix, la femme lui fait subir un dressage qui commence trs tt. Cest fort propos que lhomme lui est livr lorsquelle peut le plus facilement le subjuguer : comme enfant. Et du fait de la slection naturelle, seules en fin de compte se reproduisent les femmes qui sont le plus aptes ce dressage.

    Lhomme shabitue donc ds le dbut avoir une femme autour de lui, trouver cc normale sa prsence, anormale son absence, ce qui explique jusqu un certain point sa dpendance son gard. Mais cette dpendance ne serait pas grave, et vivre

    6 9

  • l'homme subjugu

    sans femme ne serait alors comparable qu un changement de milieu. Quiconque a pass son enfance dans un pays de montagnes pour habiter ensuite la plaine, continue peut-tre voquer avec nostalgie les paysages dautrefois, mais sans prouver le besoin immdiat dy revenir. Il y a donc l quelque chose de plus, et de plus important.

    Dailleurs, la femme naurait pas intrt susciter chez lhomme une nostalgie aussi romanesque et dordre aussi secondaire que cette sorte de regret du foyer natal, sentiment lointain qui ne resurgit que dans linaction des dimanches et qui nentrane aucune consquence. Ce qui est important pour elle, cest de former lhomme directement en vue du travail pour quil en mette tous les fruits sa disposition. Elle sefforce donc en premier lieu de conditionner en lui une srie de rflexes qui lengagent produire la totalit des biens matriels dont elle a besoin. Elle y parvient en le soumettant ds sa premire anne un dressage qui lui impose une chelle de valeurs purement fminines. Et elle poursuit ce dressage jusqu ce quil confonde sa valeur propre avec lutilit quelle en tire, cest--dire lorsquil produit quelque chose qui pour elle a de la valeur.

    Par l mme, la femme devient pour lhomme une sorte dinstrument de mesure sur lequel il peut lire tout instant le degr de valeur ou de non-valeur

    70

  • DES PROCEDES DE DRESSAGE

    de chacune de ses activits. Lorsquil se livre une occupation qui, d'aprs cette chelle, est absolument vaine, par exemple une partie de football, il essaiera de composer cette perte par un surcrot de diligence dans l'un des domaines admis comme positifs. C'est dailleurs la raison pour laquelle les femmes tolrent, jusqu un certain point, le football et les autres manifestations sportives.

    De toutes les mthodes de dressage dont la femme se sert dans lducation de lhomme, lloge se rvle tre la plus prcieuse. On peut lappliquer presque ds le dbut et elle garde son efficacit totale jusqu un ge avanc, ce qui nest pas le cas du dressage par le sexe, dont la dure pratique est relativement limite. Son rendement est tel qu dose convenable, il peut remplacer compltement la mthode contraire : le blme. Une fois habitu aux compliments, il suffit de nen pas recevoir pour se sentir blm.

    Le dressage par lloge prsente entre autres les avantages suivants : celui qui est lou tombe dans un tat de dpendance par rapport au laudateur (pour que lloge vaille quelque chose, il doit provenir dune instance suprieure ; cest donc reconnatre au laudateur un niveau plus lev). Lloge agit comme une drogue (lorsquil en est priv, lintoxiqu confond toutes les valeurs et perd la

    71

  • lhomme subjugu

    facult de s'identifier lui-mme). Lloge accrot les rendements (il suffit pour cela de cesser de lappliquer l'tat de choses prsent et de ne laccorder quau rendement suprieur).

    Ds quun nourrisson masculin est lobjet de flicitations parce que, pour la premire fois, il satisfait ses besoins non plus dans son lit mais dans son petit pot de chambre, ds quil commence concevoir quun sourire bienveillant et que deux ou trois phrases btifiantes et joyeuses, toujours les mmes, constituent une rcompense pour avoir bien vid son biberon, il entre dans le cercle infernal. Pour prouver de nouveau la mme jouissance, il essaiera la prochaine fois de refaire exactement ce qui a provoqu chez lui cette sensation de bonheur. Si un jour cet loge lui manque, il sera malheureux et fera limpossible pour ressentir une fois encore le plaisir dont il ne peut plus se passer.

    Naturellement, le nourrisson fminin lui aussi est soumis ces mthodes de dressage. Au cours des premires annes de leur vie, la femme ne fait gure de diffrence entre ses enfants, quils soient dun sexe ou de lautre. Mais le dressage de la petite fille cesse ds quelle connat les rgles de lhygine ; ds lors, les voies se sparent, et plus on avancera dans leur ducation, plus la fille sera leve pour exploiter, comme le garon pour tre lobjet de lexploitation.

    72

  • DES PROCDS DE DRESSAGE

    Les jeux enfantins constituent des moyens importants de diffrenciation. En favorisant d'abord le penchant quont ses enfants pour le jeu, puis en lutilisant, la femme, comme par hasard, les dirige dans la direction voulue. Elle offre la petite fille des poupes et des accessoires de poupe : landaus, berceaux, dnette ; et au jeune garon tout ce qui ne convient pas sa sur : jeux de construction, modles de chemins de fer lectriques, voitures de course, avions. Ds quelle est bb, lenfant-femme a tout de suite loccasion de sidentifier sa mre et dapprendre jouer le mme rle : elle transfre sur ses poupes le mme systme de dressage, les loue et les blme comme elle est elle-mme loue et blme, apprend en jouant les rgles qui sappliquent la manipulation de ltre humain. Et du fait quelle nobtient de louanges quen sidentifiant au rle de la femme, elle ne souhaitera plus tard rien dautre que dtre fminine . Pour elle, linstance suprieure est videmment la femme, seule capable de dcerner lloge puisquelle seule peut dire si la fillette joue bien le rle qui lui est dvolu. Et il nest pas question de lhomme en tant que laudateur, car on lui enseigne ds le dbut que le rle de femme na quune valeur mdiocre.

    On applaudit en effet tout ce qu'il fait, sauf quand il joue avec des reprsentations miniaturi-

    73

  • lhomme subjugu

    ses dtres humains. Il construit des modles d'cluses, de ponts, de canaux, dmonte par curiosit les autos qui sont ses jouets, tire des coups de feu avec ses imitations darmes ; bref il apprend tout quil devra faire plus tard pour entretenir la femme. Quand il est lge dentrer lcole, il connat dj, de par sa propre exprience, les principes de base de la mcanique, de la biologie, de la technique lectrique, il peut construire une cabane de planches et se dfendre en jouant la guerre. Plus il montre dinitiative, plus il est certain dtre lou. La femme est intresse ce quil sache trs vite bien plus de choses quelle, qui se maintiendrait avec difficult en vie dans un monde dpourvu dhommes. Il faut quil devienne totalement indpendant pour tout ce qui est travail. Aux yeux de la femme, cest vraiment une machine que lhomme, mais une machine peu ordinaire qui a besoin dtre servie avec comptence ou tout au moins bien programme. Si une femme savait ce que cest, elle dirait que lhomme est une sorte de robot dou de conscience, capable de se programmer lui-mme, donc de dvelopper son activit et dadapter son programme toute situation nouvelle. Les savants dailleurs travaillent la mise au point de machines semblables qui puissent travailler, dcider, penser leur place, dans le but de disposer un jour,

    74

  • DES PROCDS DE DRESSAGE

    leur gr, des fruits de ce travail. Mais il sagit de robots faits de matire inanime.

    Ainsi, avant dtre mme de choisir de faon autonome une manire de vivre quelconque, lhomme, intoxiqu force dloges, se sent seulement laise dans les domaines dactivit qui lui valent lapprobation de la femme. Et comme, du fait de cette intoxication, il a besoin de plus en plus de louanges, il ressent lobligation daugmenter sans cesse ses cadences et son rendement dans les directions qui lui sont imposes. En principe, cette approbation pourrait videmment venir dun autre homme, mais pour les raisons exposes ci-dessus, les hommes, continuellement occups, se trouvent plongs dans une concurrence qui fait de chacun l'ennemi de tous. Aussi, ds quun homme peut se le permettre, cherche-t-il avoir domicile son laudateur personnel, un thurifraire exclusif, quelquun qui il peut tout instant demander s'il est vraiment un brave type, un type bien, et quel point il est brave et bien. Comme par hasard, la femme est l, reprsentante idale du rle. Mais c'est elle qui davance a tout mis en scne, si bien quelle na plus qu y faire son entre.

    Il arrive trs rarement qu'un homme, savant ou artiste qui a russi, parvienne rompre ce charme et tirer des autres hommes lapprobation dont il

    75

  • l'homme subjugu

    a tellement besoin. Toutefois, il a beau se librer de la femme, il demeure toujours esclave de son besoin dloges. La preuve en est que lhomme qui sest assur sa scurit matrielle par une russite dans un certain domaine, nen change plus : il ne tentera jamais dprouver ses capacits dans une autre branche dactivit, il ne satisfera jamais sa curiosit. En rgle gnrale, il continue travailler le terrain qui lui a dj valu des louanges, que ce soit Mir dans sa technique de peintre, Strauss avec ses valses ou Tennessee Williams avec ses drames fmnins. Tous reculent devant le risque de devenir leur propre chelle de valeurs.

    Ds lors, on na plus quun pas faire pour souponner quil ny a rien de positif dans ce quon appelle le style personnel dun artiste. Un auteur comme Beckett qui, depuis vingt ans, ne produit que des variantes de son Godot, ne le fait certes pas par plaisir (il est trop intelligent pour cela). Avide dloges, il rencle devant le risque comme devant une cure de dsintoxication. Sil pouvait seulement se librer de son comportement conditionn ! Il ferait depuis longtemps autre chose ; il aurait construit des avions peut-tre (la mcanique prouve de ses pices permet de conclure des capacits dordre technique), cultiv des plantes rares ou au moins crit une comdie. Une comdie peut-tre o une

    76

  • DES PROCDS DE DRESSAGE

    femme, enfonce jusqu la taille dans un tertre deterre, chercherait sa brosse dents comme dans Oh les beaux jours ! Peut-tre aurait-il mme du succs auprs du public. Mais une telle exprience est naturellement trop risque pour un homme dress daprs le principe du rendement. Voil pourquoi Beckett prfre continuer crire des drames sur labsurdit de la vie : l, il est sr de recevoir des loges.

  • Du dressage par auto dprciation

    Il arrive peut-tre plus dune fois un homme lesprit critique de scrier que la femme n'a vraiment aucun sens de lhonneur quand il lentend avouer impudemment son ignorance de tout ce qui est tant soit peu scientifique. Il oublie trop facilement quil doit ses propres concepts, honneur, fiert, dignit humaine, etc., son dressage, que s'il est devenu homme dhonneur, fier, chevaleresque, cest quune femme ly a dress, que ces qualits qui constituent sa virilit et dont il tire tant dorgueil font dautant plus partie de son caractre que ce dressage a t mthodique et rigoureux, et enfin que lui-mme ny est pour rien.

    Il suffit douvrir un ouvrage srieux de psychologie pour lire quon obtient chez lenfant les

    79

  • lhomme subjugu

    rsultats les meilleurs en lui donnant confiance en lui. Or, cette confiance en soi, il est impossible que l'enfant l'acquire par lui-mme. Il est n dans un milieu o tout lui est suprieur, o rien nest sa porte sil ne dispose que des forces qui sont les siennes. La femme, fortement intresse ce quun petit d'homme devienne une crature capable de gagner non seulement sa vie mais celle des autres, se fixe donc pour premier but ducatif de lui donner confiance en lui. Elle commence par minimiser les dangers de lexistence (en admettant quelle en ait elle-mme une ide exacte) elle lui dissimulera la possibilit quil puisse mourir, en lui promettant par exemple une vie ternelle en rcompense de ce qui est, son point de vue, une bonne conduite ; bref, elle suscitera en lui la disposition desprit imbcile, loptimisme bat, qui larmeront le mieux en vue de son dressage et de la vie quil doit mener. Lune des mthodes quelle emploie pour intensifier au maximum la conscience quil a de sa virilit, et par consquent son rendement, est, nous lavons vu, l'loge. Elle en dispose dautres dont l'autodprciation.

    Si la femme ntait pas suprieure en intelligence l'enfant quelle a mis au monde, au moins pendant la premire anne de sa vie, lhumanit aurait depuis longtemps cess dexister. Mais une bonne

    80

  • DU DRESSAGE PAR AUTODEPRECIATION

    mre veille toujours ce que cette supriorit momentane ne joue pas dans lvolution de lenfant le rle dun facteur inhibant susceptible de se retourner un jour contre elle, lenfant se pendant ses robes plus longtemps quil nest absolument indispensable. Aussi tente-t-elle de lui inspner le plus vite possible, surtout quand il sagit dun garon, un sentiment de supriorit son gard. Elle recourt ds lors lartifice quelle utilisera de plus en plus souvent au fur et mesure que lenfant se rapprochera de son tat dhomme : elle se fait encore plus bte quelle nest, lui accordant ainsi un avantage quil naura jamais plus loccasion de perdre quand il sera devenu vraiment homme (et on peut compter sur elle pour quil le devienne).

    Comme la valeur sociale dune femme ne se mesure pas son intelligence, mais selon des critres totalement diffrents ( proprement parler, lhomme ne mesure rien du tout : il a besoin delle, et cela suffit), elle peut se permettre de jouer la comdie de la btise et dtre bte autant quil convient. En cela, les femmes ressemblent aux milliardaires : eux non plus nont pas besoin d'tre intelligents, lessentiel est quils soient riches. Si Henry Ford II avait la capacit intellectuelle d'une cliente assidue du Tiffanys, il nen frquenterait pas moins la meilleure socit. Cest son chauffeur

    81

  • l'homme subjugu

    qui en est exclus. Tout comme un homme riche, une femme est capable de commettre toutes les gaffes possibles on peut affirmer bon droit qu'elle n'en rate pas une sans que cela tourne son dsavantage. En dautres termes, elle peut tre aussi bte quelle le veut, son mari continue tre plein de considration pour elle et personne ne lui tourne le dos.

    Sa formule de conjuration est trs simple : lhomme est fait pour travailler, la femme pour ne rien faire. Elle proclame partout que lhomme, fort et libre de tous liens, occupe une situation digne denvie, tandis que sa faiblesse et la charge sacre de lenfantement lenchanent au foyer. Physiquement, elle est inapte tout travail.

    Lhomme accepte de bon gr cette mythologie, et il la tient pour flatteuse. Il ne pense pas que llphant lui aussi est fort, beaucoup plus fort que lui par exemple, et que malgr tout lhomme s'adapte beaucoup mieux que llphant la plupart des travaux.

    Naturellement, la femme dissimule lhomme quelle ne fait rien, pour ainsi dire, par rapport lui. En ralit, elle ne cesse de soccuper de quelque chose. Elle prtend seulement que tout ce quelle fait est dun niveau tellement infrieur quand on le compare aux occupations de lhomme. Elle lui

    82

  • DU DRESSAGE PAR AUTO DPRCIATION

    suggre que les plaisirs imbciles quelle soffre dans le cours de la journe (repasser, faire de la ptisserie, embellir le foyer), sont des travaux indispensables au bien de la famille, et qu'il peut sestimer heureux davoir une femme qui lui te le souci de ces humbles besognes. Lhomme, qui ne peut souponner quun tre humain trouve son plaisir soccuper de la sorte, sestime vraiment heureux.

    Comme la femme rpartit toutes les tches en viriles et fminines , suprieures et humbles , elle leur confre des valeurs sentimentales auxquelles, aprs quelque temps, personne ne peut plus se soustraire ; elle chappe ainsi tout contrle et se procure, dans le domaine o elle exerce son pouvoir, une libert dagir et de parler qui voque celle des anciens bouffons de cour. Quoi quelle fasse, la valeur de ce quelle fait est pour ainsi dire nulle par rapport au travail de lhomme. Cest elle- mme qui le dit. Alors, pourquoi les hommes le vrifieraient-ils ?

    Evidemment, si lhomme voulait dvoiler ce que cache cette terminologie fminine, il naurait qu employer les mots facile et difficile . Les tches de lhomme sont en effet trs difficiles, tandis que les travaux mnagers sont dune extrme facilit. Avec la machinerie que lhomme a inven-

    83

  • lhomme subjugu

    te dans ce but, le mnage disons de quatre personnes sexpdie sans grand-peine en deux heures de matine. Tout ce que la femme fait en plus est du superflu et ne sert qu son plaisir ou au maintien des symboles absurdes du statut de sa coterie (rideaux de dentelle, parterres de fleurs, encaustique partout). Lorsquelle prtend que cest du travail, ce nest quun mensonge, une tromperie honte.

    Le mnage est chose si facile que, dans les hpitaux, on le confie traditionnellement aux faibles desprit incapables de toute autre activit. Lorsque les femmes se plaignent que ce a travail ne leur rapporte aucun salaire (elles nexigent pas beaucoup, peine ce que gagne un mcanicien automobile ! ), ce nest quune preuve Je plus de lattirance quil exerce sur elles. Ce genre de revendications est dailleurs bien courte vue, car il pourrait arriver quon value un jour la femme sa valeur de main- duvre et quon la rtribue proportionnellement ce quelle fait. On dcouvrirait alors quel point les femmes vivent aux dpens des hommes et au-dessus de leur rendement.

    Mais lhomme sest tellement habitu, tant enfant, la terminologie de la femme, quil ne ressent pas lenvie de dvoiler le vide quelle recouvre. Il faut quil croie, en gagnant de largent pour

    84

  • DU DRESSAGE PAR AUTODPRCIATION

    elle, quil accomplit quelque chose de noble et quil se livre ainsi une activit dont elle nest pas capable. Sil ntait m par ce complexe de supriorit, la stupidit de son travail le dsesprerait. Ds quil a limpression que ce quil fait est la porte de lautre sexe, (et les femmes ne manquent pas de temps autre dveiller chez lui ce sentiment), il sefforce daccrotre son rendement et de rtablir la distance habituelle entre lui et le sexe faible , distance indispensable la haute ide quil doit avoir de lui.

    Lanalyse de ce cercle infernal est simple : la femme invente des rgles qui lui servent dresser lhomme afin de pouvoir le subjuguer. Ces rgles, elle les ignore ds quil sagit delle. L'honneur masculin, par exemple, est lun des systmes invents par la femme ; elle-mme, sen dgageant a priori, ne respecte aucune sorte dhonneur pour manipuler dautant mieux les hommes. Dans la clbre mission de tlvision Chapeau melon et bottes de cuir o figure Emma Peel, une scne reprsente deux adversaires que spare une table de billard. Chacun deux a devant lui un revolver. Ils conviennent de se battre loyalement et de saisir leur arme aprs avoir compt haute voix jusqu trois. Le hros prend la sienne deux et sauve ainsi sa vie. En

    85

  • lhomme subjugu

    se dgageant dun systme, on est toujours capable de manipuler celui qui tient davantage un systme qu la raison.

    En rendant mprisable ce quelle fait, la femme incite lhomme mener tout le reste bien, cest-- dire tout ce qui la rebute (elle choisit en premier puisquelle imite sa mre). Lhomme se sent avili, malheureux, quand il fait un travail de femme . Nombreux sont ceux qui font preuve exprs dune grande maladresse dans les travaux mnagers, et la femme de clbrer aussitt cette gaucherie si virile . Un homme qui recoud un de ses boutons nest pas un vrai homme. Se sert-il de laspirateur poussire, quelque chose chez lui ne tourne srement pas rond ! A force darguments semblables, il se laisse mettre sous tutelle (jusqu se croire incapable de rchauffer une soupe, lui qui peut tout le reste) et admet quon le chasse du lieu de travail le plus lmentaire du monde. Ce nest quarriv un certain stade de son dressage quon peut lautoriser sans danger excuter quelques tches auxiliaires, o il lui faudra, puisquil ne comprend rien ce genre de choses, suivre la lettre les instructions de la femme. Dres